Plaute: Cistellaria ou la cassette

 

La Cassette

 

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NOTICE

 

Le texte de cette comédie nous est parvenu en piteux état. Les manuscrits palatins présentent au milieu une grande lacune que comblent très imparfaitement les restes fragmentaires du palimpseste ambrosien. Mais si certaines péripéties de l'intrigue nous échappent, celle-ci nous est, dans son ensemble, suffisamment connue. Du reste nous avons pour nous éclairer sur les circonstances et sur le développement à la fois une scène d'exposition, qui ouvre le premier acte, et un prologue du Dieu Secours, prologue qui par une particularité remarquable, se trouve inséré dans la pièce elle-même, au lieu de la précéder. La pièce tire son nom d'une cassette (cistella) contenant des jouets (crepundia) qui au dénouement permettront à une jeune fille, abandonnée dans son enfance, de retrouver ses parents, sa condition libre, et d'épouser celui qu'elle aime.

Ainsi donc, au début de la comédie, nous recueillons les confidences d'une jeune et sentimentale courtisane, Sélénie, qui révèle à son amie Gymnasie, et à la mère de celle-ci, la léna Syra, ses peines de cœur. Elle aime un jeune homme, Alcésimarque, mais celui-ci va l'abandonner pour se marier. En vain Gymnasie et sa mère lui conseillent de lutter contre son amour, lui remontrant que le pire qui puisse arriver à une cour­tisane, c'est d'aimer véritablement, et de s'attacher à un seul homme : une courtisane, dit fort bien la vieille Syra, « ne se peut mieux comparer qu'à une riche cité : elle ne prospère qu'autant que beaucoup d'hommes la visitent ». La tendre Sélénie n'admet point cette morale cynique : du reste, sa mère — ou du moins celle qu'elle croit être sa mère — la léna Mélénis, ne l'a pas nourrie dans ces sentiments. Après l'avoir élevée chastement, elle lui a permis de se con­sacrer uniquement à celui qu'elle aime, et de repous­ser tous les autres galants. Et Alcésimarque, à qui elle s'est donnée, a promis solennellement de l'épouser. Mais que vaut un serment d'amour? Aujourd'hui ce même Alcésimarque, reniant sa parole, se prépare, pour obéir à son père, à épouser une sienne cousine de Lemnos, fille d'un certain Démiphon. C'est à ce point que l'action s'engage. Ce Démiphon, sans qu'il s'en doute, n'est autre que le père de Sélénie. Jadis à Sicyone, par une nuit de fête où il était ivre, il a fait, dans la rue, violence à une jeune fille — sans la connaître. La jeune fille, enceinte de ses œuvres, a donné le jour à un enfant qu'elle abandonna. Syra a recueilli le nouveau-né et l'a porté à Mélénis qui l'éleva « comme sa propre fille, honnêtement et chastement ». Voilà bien de la vertu chez une léna; mais, comme la Planésie du Curculio, il faut que Sélénie soit pure pour qu'elle puisse, au dénouement, épouser Alcésimarque. Démiphon, son coup fait, s'est sauvé à Lemnos, où il s'est marié : et sa femme, après lui avoir donné une fille, a eu le bon esprit de mourir; ce qui a permis au veuf de reprendre femme — et sa nouvelle épouse est justement la jeune fille qu'il a déshonorée autrefois, Phanostrate, et qu'il reconnaît. Démiphon a donc deux filles : une fille légitime du premier lit qu'il veut donner en mariage à Alcésimar­que, et qui ne paraît pas dans la pièce; une autre, fruit du viol de Phanostrate, et dont il ne sait ce qu'elle est devenue. Phanostrate veut retrouver la fille qu'elle a jadis fait exposer : justement l'esclave qu'elle avait chargé de ce soin, Lampadion, est demeurée aux aguets pour voir qui recueillerait l'abandonnée : il a vu Syra ramasser l'enfant et le porter à Mélénis. Après diver­ses péripéties, tout finit par s'arranger. Phanostrate retrouve sa fille, et celle-ci épousera Alcésimarque. Nous sommes ici tout près de la comédie sentimen­tale, sinon larmoyante. Je n'irai pas jusqu'à dire, avec Lejay, que « nulle part il n'y est question d'argent (1) » : il y est fait allusion plus d'une fois. Mais le chagrin de Sélénie est plus louchant que risible, et, si la com­paraison n'avait quelque chose de sacrilège, on pourrait soutenir que par moments ses plaintes rappellent celles de Phèdre :

Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent! (2)

Alcésimarque connaît de l'amour toutes les tortures plutôt que les plaisirs; il le sent chez lui — pour rappeler un autre héros de tragédie —

Tantôt fort,  tantôt faible el tantôt triomphant;

et sa douleur s'exhale dans des « stances » dont le début tout au moins est près du Ion tragique (3). Lui aussi s'apprête à trouver dans la mort la délivrance de ses tourments :

Je te salue ô mort, libérateur céleste

dira-t-il (4) avant le héros lamartinien. Mais ce tragique ne va pas très loin, et le spectateur est vite rassuré, s'il a besoin de l'être. Les serments les plus solennels d'Alcésimarque tournent vite à la bouffonnerie (5), et ramènent la comédie dans le ton traditionnel. La mutilation des manuscrits nous a du reste privés par­tiellement ou totalement de scènes de pur comique, comme celle où le père d'Alcésimarque, prenant Gymnasie pour Sélénie, se faisait berner par l'objet de sa méprise (6).

 

1. Plaute, p. 129.

2. Cf. 114 et 115.

3 Voir le « canticum » qui ouvre l'acte II, v. 203 et suiv.

4. V. 640.

5. V. 512 et suiv.

6. V. 306 et Suîv.

 

Le hasard a fait que les parties les mieux conservées sont l'exposition et le dénouement qui sont dans la note attendrie, comme il est naturel.

Les caractères sont joliment esquissés, avec un visi­ble souci de variété. C'est devenu un lieu commun de signaler l'heureuse façon dont Sélénie contraste avec Gymnasie et Syra, courtisanes de profession; on sent dans toute sa personne la fille ingenua qui, dans les malheurs où le destin l'a plongée, conserve une dignité naturelle et une générosité de sentiments dignes de tout respect. Du reste, une atmosphère de vertu plane sur la pièce : Gymnasie est capable d'amitié dévouée; les deux lénas, Syra et Mélénis n'ont pas perdu tout bon sentiment; et les esclaves eux-mêmes, Lampadion et Halisca, ont honnête figure.

L'état fragmentaire dans lequel la pièce nous est parvenue ne permet pas d'en préciser la composition métrique : telle qu'elle est, elle comporte trois cantica (1), le reste est écrit en iambiques sénaires et septénaires (les octonaires sont exceptionnels), et en trochaïques septénaires. L'original grec devait être de Ménandre, car les v. 89 et suiv. semblent traduire un fragment d'une comédie indéterminée de cet auteur (2). Une allusion à la victoire des Romains sur les Cartha­ginois, au v. 202, laisse supposer que la Cistellaria dut être représentée peu après la fin de la seconde guerre punique.

L. E. Benoist a donné une édition annotée de la Cistellaria qui a paru à Lyon en 1863.

 

1. Acte I, scène I début, trio entre Sélénie, Gymnasie et sa mère; acte II, scène I, solo d'Alcésimarque sur l'amour; acte IV, scène II, lamentations d'Halisca sur la perte de la cassette.

2. Le titre de la comédie « Cistellaria » n'est peut-être pas de Plaute. Festus (p. 390, 8 Lindsay) en cite un fragment sous le titre: (Plautus) in Sym... (le texte est mutilé, et la dernière lettre incertaine); plus loin (p. 480, 23 on lit encore: Plautus in Sy... Faut-il compléter: in Sy (ra), et supposer que la pièce avait pour titre un nom propre de femme, qui serait celui de la mère de Gymnasie? L'hypothèse est fragile. En tout cas, il n'y a pas assez de place dans la lacune que présente le manuscrit de Festus pour restituer, comme le veut Prehn, « Plautus in Synaristosis ».et conclure que la Cistellaria est imitée des Suvaio-râJo-ai de Ménandre.

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PERSONNAGES

SÉLÉNIE,    courtisane, amante d'Alcésimarque, fille supposée de Mélénis, et reconnue pour être fille de Démiphon et de Phanosirate.

GYMNAS1E,  courtisane.

SYRA (?), vieille courtisane (1), mère de Gymnasie.

Le dieu SECOURS, personnage du Prologue.

ALCESIMARQUE, jeune homme, amant de Sélénie.

THYNISGUS  (?), esclave (2).

UN AMI DU PÈRE D'ALCÉSIMARQUE (3).

LE PÈRE D'ALCESIMARQUE.

LAMPADION, esclave de Phanostrate.

MÉLÉN1S,  léna.

PHANOSTRATE, mère de Sélénie, maintenant femme de Démiphon.

HALISCA, servante.

DÉMIPHON, vieillard.

 

1. Nom peu sûr, restitué par Studemund d'après Festus.

2. Nom également, peu sûr, que Schoell a conjecturé d'après le texte mutilé donné par le palimpseste, y. 283.

3. Personnage peu sûr, qui se trouve dans un  passage obscur et mutilé.

 

 

ARGUMENT (acrostiche)

Un jeune homme de Lemnos fait violence à une fille de Sicyone. Il retourne dans son pays, se marie, et devient père d'une fille. La Sicyonienne, elle aussi, met une fille au monde. Un esclave l'emporte pour l'exposer, puis, sa besogne faite, se tient aux aguets et observe. Une courtisane recueille l'enfant et le porte à une autre. Dans la suite, le Lemnien revient à Sicyone, épouse celle qu'il avait violée, et veut marier sa fille de Lemnos à un jeune homme qui est épris de celle qui fut jadis abandonnée. A force de recherches, l'esclave finit par retrouver celle qu'il avait exposée. Aussi est-elle reconnue citoyenne, selon le droit et la coutume, et, Alcésimarque, déjà son amant, devient son mari.

 

(ACTE  I)

(SCÈNE   I)

SÉLÉNlE    GYMNASIE    SYRA (?)LENA

COURTISANES

sélénie (sortant de chez elle en compagnie de Gymnasie et de sa mère). — Je l'ai toujours aimée, et je n'ai jamais pu douter de son amitié, ma Gymnasie, ni de celle de ta mère; mais c'est aujourd'hui plus que jamais que vous m'en avez donné des preuves, elle et toi. Quand tu serais ma soeur, je ne sais pas comment vous auriez pu avoir plus d'égards pour moi; et, à mon sentiment, je ne crois pas un vérité que cela soit pos­sible; car vous avez tout quitté pour vous consacrer entièrement à moi. Que je vous aime pour tous ces soins, et que je vous suis reconnaissante!

gymnasie. — Par Pollux! au prix dont tu paies nos services, il nous est facile d'être assidues et officieuses auprès de toi (1). Ton dîner était si somptueux, et tu nous as si aimablement reçues que nous ne l'oublierons jamais.

selénie. — Je vous jure que c'a été pour moi un plaisir, et c'en sera toujours un de chercher à faire tout ce que je croirai pouvoir vous être agréable.

 

1. Le texte de ce vers est peu sûr.

 

syra. — Comme disait l'autre qui naviguait par bonne brise sur une mer calme, c'est un bon vent (1) qui nous a conduites chez toi. Nous y avons été traitées d'une façon vraiment charmante, et, à part le service, tout m'a paru parfait.

sélénie. — Comment cela, s'il le plaît?

syra. — On me servait trop rarement à boire, et encore on me gâtait mon vin.

gymnasie (à sa mère). — Je t'en prie, ce n'est pas convenable.

syra. — Quel mal, quel crime y a-t-il? Nous sommes entre nous.

sélénie. — Comme j'ai raison de vous aimer! Vous avez tant d'égards et tant d'estime pour moi!

syra. — Parbleu, il faut bien, ma chère Sélénie, que dans notre classe on soit gentilles les unes pour les autres et qu'on s'aime de bonne amitié, quand on voit ces dames de la haute, ces matrones des plus grandes familles, et comment elles pratiquent l'amitié, comme elles sont intimement liées entre elles... Nous, même en faisant comme elles, en imitant leur exemple, mal­gré tout, nous avons bien du mal à vivre, et nous sommes fort mal vues. Elles veulent que toujours nous ayons besoin de leur protection; elles veulent que nous ne puissions rien par nous-mêmes, et qu'en toutes choses nous soyons obligées de recourir à leur aide, pour nous avoir sans cesse à leurs pieds (2).

 

1. Jeu de mots sur « secundo uento » par bon vent et « uentum gaudeo »« je me réjouis qu'on soit venu. Cf. Curculio 314 et 315.

2. « Les courtisanes étaient presque toutes d'origine étrangère, d'abord esclaves et ensuite affranchies. Beaucoup avaient com­mencé à exercer cette industrie dans la servitude, par l'autori­sation, au profit de leurs maîtres... Ensuite, lorsqu'elles avaient acheté leur liberté avec leur pécule, devenus citoyennes, « libertinae », elles se rangeaient, comme les petits plébéiens, dans la clientèle d'un patron... Une matrone avait aussi des affran­chies, des clientes, et parmi ces clientes, des courtisanes... » (Naudet)

 

Et quand on va les trouver, à peine est-on arrivée qu'on voudrait être partie; elles ont l'air, devant le monde, de flatter les femmes de notre ordre, mais, par derrière, si elles en ont l'occasion, elles ne manquent pas de nous arroser sournoisement d'eau froide. Elles vont criant sur les toits que nous vivons avec leurs maris, que nous les leur débauchons; elles nous traînent dans la boue. Hé quoi? comme nous ne sommes que des affran­chies, la mère et moi, nous sommes devenues toutes les deux des courtisanes. Elle t'a élevée à elle seule, comme j'ai toute seule élevé ma fille, puisque vos pères étaient de rencontre. Et si j'ai fait prendre à Gymnasie le métier qu'elle exerce, ce n'est pas par dureté de coeur, mais pour ne pas avoir faim.

sélénie. — II aurait mieux valu la marier.

syra. — Bah ! Elle se marie tous les jours, par Castor ! Elle s'est mariée aujourd'hui; elle se mariera encore cette nuit. Jamais je ne l'ai laissée coucher veuve. Si les mariages venaient à lui manquer, vois-tu, toute la maison n'aurait plus qu'à mourir misérablement de faim.

gymnasie. — II faut bien, ma mère, que je sois selon ta volonté.

syra. — Par Castor, si tes paroles se vérifient, je n'en demande pas davantage. Car si tu es telle que je veux, jamais tu ne deviendras vieille comme moi; toujours tu garderas cette fleur de jeunesse que tu possèdes maintenant; et tu videras bien des bourses comme tu rempliras souvent la mienne, sans me coûter jamais rien.

gimnasie. — Que les dieux t'entendent !

syra. — Sans ton aide, les dieux n'y peuvent rien.

gymnasie. — Hé bien, par Hercule! je ferai de mon mieux. Mais à propos, mon petit œil, ma chère Sélénie, jamais je ne te vis un air plus triste. Pourquoi donc, dis-moi,   je  te  prie, as-tu  perdu à  ce point ta belle gaieté? Et puis, tu n'es pas aussi coquette que d'habitude. (A sa mère) Tiens, vois quel soupir elle vient de pousser — et tu es toute pâle. Il faut nous dire deux choses : et ce que tu as, et l'aide que tu désires de nous; nous voulons le savoir. Ne va pas, par tes larmes, mobiliser les miennes à mon tour.

sélénie. — Ah ! que je souffre, ma pauvre Gymnasie, que j'ai mal, que j'ai de tourments! Malade est mon coeur, malades sont mes yeux, toute ma personne est malade de chagrin. Que te dirai-je, sinon que c'est ma folie qui me livre en proie à la douleur?

gymnasie. — Dépêche-toi de renvoyer cette folie d'où elle vient, .et de l'y enterrer à tout jamais.

sélénie. — Comment cela?

gymnasie. — Cache-la, enfouis-la au plus profond de ton cœur. Garde ta folie pour toi seule, sans mettre personne dans ta confidence.

sélénie.  --- Mais mon cœur me fait tant souffrir!

gymnasie. — Hein? ton cœur? d'où le tiens-tu, dis-moi, je te prie? Car pour moi, je n'en ai pas, ni du reste aucune autre femme, à ce que disent les hommes.

sélénie.  — Si nous avons un  cœur pour souffrir, le mien souffre; et n'en aurions-nous pas, que la place en est chez moi douloureuse.

gymnasie. — Elle est amoureuse, la pauvre!

sélénie. — Quoi? est-ce donc chose si amère, je te prie, que s'éprendre d'amour?

gymnasie. — Oui, ma foi, oui; l'amour est tout miel et tout fiel à la fois.  De la douceur de l'un, il nous donne à peine le goût; mais de l'amertume de l'autre, il nous abreuve jusqu'à satiété.

sélénie. —— Ah, ma chère Gymnasie! que tu sais bien dépeindre le mal qui me consume!

gymnasie. —L'amour est sans foi.

sélénie. — Aussi use-t-il de perfidie envers moi.

gymnasie. — Du courage! ton mal ira mieux.

sélenie. — J'en aurais l'assurance, si je voyais venir le médecin qui seul peut me guérir.       

gymnasie. — II viendra.

sélénie. (avec un soupir). — II viendra! Que ce mot est lent quand on aime ! pourquoi pas : il vient? Folle que j'étais! c'est bien ma faute si chaque jour voit s'accroître ma peine et ma misère. Fallait-il m'attacher à lui seul, et caresser le rêve de passer avec lui toute ma vie?

syra.- (haussant tes épaules). — Quelle idée avais-tu, ma petite Sélénie? Bon pour une matrone de n'aimer qu'un seul homme et de passer sa vie avec celui qu'elle a épousé une fois pour toutes. Mais une courtisane ne se peut mieux comparer qu'à une riche cité : elle ne prospère qu'autant que beaucoup d'hommes la visitent.

sélénie.- (Les prenant toutes deux  par la main). — Voulez-vous m'écouter? Je vous expliquerai pourquoi je vous ai fait venir. Ma mère, voyant ma répugnance pour la profession de courtisane, s'est rendue à mes prières, avec une complaisance bien faite pour me complaire, et elle m'a permis, si je tombais vraiment amoureuse, de vivre avec celui que j'aimerais.

syra. — Sotte idée, ma foi, qu'elle a eue là! Mais toi, as-tu jamais eu quelque liaison?

sélénie. — Aucune, sauf avec le seul Alcésimarque. Aucun autre que lui n'a triomphé de ma pudeur.

syra. — El comment, je te prie, s'est-il introduit auprès de toi?

sélémie. — C'était aux Dionysies (1). Ma mère m'avait emmenée voir la procession. A notre retour, il me suivit discrètement, sans nous perdre de vue, jusqu'à notre porte ensuite il s'insinua dans l'amitié de ma mère, et dans la mienne, par ses compliments, sa générosité, ses cadeaux.

 

1. Le trait est purement grec, et Plaute l'a transcrit sans le modifier, comme du reste il l'a fait plusieurs fois,  cf.  Curcutio644, Pseudolus 59. Pourtant les Romains connaissaient des fêtes en l'honneur de Liber, le dieu italique correspondant à Dionysos, les Liberalia, qui du reste furent instituées, comme les Bacchanalia, à l'imitation des fêtes grecques. Mais les fêtes latines n'eurent jamais l'éclat ni l'importance de leurs modèles. Nous savons qu'à Sicyone, où se déroule notre comédie, les triétérides dionysiaques étaient célébrées en grande pompe. Et il n'est pas besoin de rappeler l'influence que les Dionysies attiques exer­cèrent sur la littérature et les beaux-arts.

 

syra. — Qu'on me le donne, à moi; comme je vous le tournerais et retournerais!

sélénie. — Faut-il en dire davantage? A force de nous fréquenter, je suis devenue amoureuse de lui, et lui-même vis-à-vis de moi...

syra. — Ah, ma petite Sélénie! il faut seulement faire semblant d'aimer; car, dès qu'on aime réelle­ment, on songe bien plus à son amant qu'à son propre intérêt.

sélénie. — Mais il avait juré solennellement à ma mère qu'il m'épouserait; et maintenant il lui faut en épouser une autre, une sienne cousine de Lemnos, qui demeure ici tout près (elle montre la maison de Démiphon); car son père l'y a forcé. Aujourd'hui ma mère est fâchée contre moi de ce que je ne suis pas retournée chez elle, aussitôt après avoir appris qu'il allait en épouser une autre.

syra. — En amour, un faux serment ne compte pas.

sélénie. — Maintenant, veux-tu me faire le plaisir de permettre à Gymnasie de rester chez moi pendant ces trois jours seulement, pour garder la maison; car ma mère m'appelle auprès d'elle.

syra. — Cette absence de trois jours me contrarie et me coûte, mais pour toi, j'y consens.

sélénie. — Que tu es bonne et obligeante! Toi, ma bonne Gymnasie, si Alcésimarque vient à la maison pendant mon absence, ne va pas l'accabler de reproches; quoi qu'il m'ait fait, il m'est toujours cher. Parle-lui doucement, je t'en prie; ne lui dis rien qui puisse le blesser. Tiens, voici les clefs; si tu as besoin de quelque chose, tu le prendras. Pour moi, je m'en vais.

gymnasie. — Ah! quelles larmes tu me fais verser!

sélenie. — Adieu, ma chère Gymnasie.

gymnasie. — Arrange-toi un peu, ma chère. Tu vas t'en aller dans une tenue aussi négligée, miséricorde!

sélénie.— Le négligé va bien à ceux que la fortune néglige.

gymnasie. — Relève ta mante, au moins.

sélénie. — Laisse-la traîner, comme je me traîne moi-même.

gymnasie. — Puisqu'il le plaît ainsi, adieu; porte-toi bien.

sélénie. — Je le voudrais bien, si je pouvais (Elle sort).

gymnasie (à sa mère). — Tu n'as plus besoin de moi, mère? Je vais rentrer. Par Castor ! elle paraît bien éprise.

syra. — Aussi je ne cesse de le rebattre les oreilles de cet avis : garde loi d'aimer. Va, rentre,

gymnasie. — Tu n'as plus rien à me dire?

syra. — Sinon de te bien porter.

gymnasie. — Toi aussi.

 

(SCÈNE  II)

 LA LENA    (SYRA ?)

 J'ai le défaut commun à la plupart des femmes de notre profession : une fois que nous sommes lestées, aussitôt nous devenons bavardes, et babillons plus que de raison. Cette jeune fille que vous avez vue s'en aller tout en larmes, elle fut autrefois exposée en bas

age dans une ruelle où je la recueillis. (Il y a ici un jeune homme de la plus haute naissance... Voyez-vous, moi, aujourd'hui, maintenant que je suis bien et dûment chargée, et me suis emplie jusque là de la fleur de Bacchus, je me sens l'envie de laisser courir libre­ment ma langue; impossible, pour mon malheur, de taire ce que je devrais taire... Ce jeune homme, qui a pour père un Sicyonien de très bonne maison, est éperdument épris, le malheureux, de la belle que vous venez de voir sortir tout en larmes; et elle, de son côté, se meurt d'amour pour lui (1)). Je la donnai à une cour­tisane de mes amies qui habite ici (montrant la maison de Mélénis), et qui souvent, en causant avec moi,

m'avait priée de lui trouver, d'une manière ou d'une autre, un enfant, garçon ou fille, n'importe, en tout cas un nouveau-né qu'elle pût faire passer pour sien. A la première occasion, je m'empressai de lui procurer ce dont elle m'avait priée. Après qu'elle eut reçu de

moi la petite fille, la voilà aussitôt qui accouche de cette même petite qu'elle avait reçue de moi,

 

1. Les vers 125-132, qui du reste sont omis partiellement dans le palimpseste ambrosien, proviennent évidemment d'un rema­niement, et ont été ajoutés après la mort de Plaute, et sans doute à l'occasion d'une reprise, pour tenir lieu de la scène suivante, où le Dieu Secours apprend au public les mêmes événements (v. 125, et 130-132). Les v. 126-129 ne font que répéter assez platement les v. 120-122

 

et cela sans le secours  d'une  sage-femme,   sans les douleurs que connaissent les autres accouchées qui ne cherchent qu'à se faire du ma (1). Elle avait, disait-elle, un étran­ger pour amant, et c'était à cause de lui qu'elle faisait cette supposition d'enfant. Tout cela, nous ne sommes que deux à le savoir : moi qui lui donnai le bébé, et elle qui le reçut de moi, (au public) sans vous compter,  naturellement.   Voilà   comment   la  chose  s'est   passée. Au besoin, tâchez de vous en souvenir. Pour moi, je rentre à la maison. (Elle rentre chez Mélénie).

 

(SCÈNE  III)

LE  DIEU SECOURS

Cette vieille unit les deux qualités : elle est aussi bonne langue que bon gosier. C'est à peine, vraiment, si elle a laissé à un dieu quelque chose à dire, tant elle s'est dépêchée de vous instruire tout de suite de la supposition d'enfant. Du reste, si elle ne vous en avait pas parlé, je m'apprêtais à vous l'expliquer, et plus clairement : étant dieu, ce m'était facile. Car je me nomme le Dieu Secours. A présent, de l'attention : je vais vous exposer clairement et en détail le sujet de la pièce. Il y a de celui bien longtemps, on fêtait à Sicyone les Dionysies. Un marchand de Lemnos y était venu voir les jeux; et notre homme prit de force une jeune fille en pleine rue : il était jeune, il avait bu, c'était nuit noire...

 

1. Naudet comprend: «Elle mit au monde... sans le secours d'une sage-femme, sans douleurs; sorte d'accouchement qui attire quelquefois de mauvaises affaires. » II est plus vraisem­blable que la vieille oppose l'accouchement supposé aux accou­chements réels.

 

Lorsqu'il eut compris la gravité de son cas, aussitôt il confie à ses jambes le soin de son salut, et s'enfuit à Lemnos, où il demeurait. Quant à sa victime, au bout du dixième mois, elle mit au monde une fille dans cette ville. Ne connaissant point l'auteur

de l'attentat, elle met dans sa confidence un esclave de son père, et lui remet l'enfant pour l'exposer en sorte qu'il meure. L'esclave jette l'enfant à la rue. La vieille que vous avez vue la prend; tandis que l'esclave, sans être vu, observe où elle va, dans quelle maison

elle l'emporte. Comme vous l'avez entendue elle-même vous en faire l'aveu, elle donne la petite à la courtisane Mélénis, qui l'a élevée comme sa propre fille, honnête­ment et chastement. Cependant l'homme de Lemnos se maria avec une de ses proches, une sienne cousine.

Celle-ci mourut : ce fut sa première complaisance pour son mari (1). Celui-ci lui rend les derniers devoirs, et aussitôt transporte ses pénates dans notre ville. Il s'y remarie, justement avec celle qu'il avait autrefois violée, et reconnaît sa victime d'autrefois. Elle lui

révèle qu'à la suite de son attentat elle a mis au monde une fille qu'elle a aussitôt remise à un esclave pour être exposée. Lui, sans perdre un instant, ordonne à ce même esclave de se mettre en quête pour retrouver, par tous les moyens, celle qui recueillit l'enfant. C'est à cette tâche qu'à l'heure actuelle s'emploie assidûment l'esclave, afin de retrouver, s'il se peut, la courtisane que, de l'endroit où il était embusqué, il avait vue jadis relever l'enfant qu'il venait d'exposer. — Main­tenant pour le reste, je vais vous le solder; je veux être quitte et n'avoir point de dettes à mon compte.

II y a ici à Sicyone un jeune homme qui a encore son père. Il est éperdument amoureux de la jeune fille autrefois abandonnée, celle qui vient de partir tout en larmes retrouver sa mère, et elle ne le chérit pas moins : n'est-ce pas là le plus doux des amours?

 

1. Plaisanterie  traditionnelle;  cf.  Trinummue  v.  42.

 

Mais le bonheur qui nous est accordé n'est jamais durable : c'est le lot des humains (1). Le père du jeune homme veut

le marier. Quand la mère de l'amante a su la nouvelle, elle a fait revenir sa fille auprès d'elle. Voilà où en sont les événements. Portez-vous bien, et soyez victo­rieux par votre vrai courage, comme vous l'avez fait jusqu'ici. Conservez vos alliés, anciens et nouveaux;

accroissez par vos justes lois le nombre de vos auxiliai­res, écrasez vos ennemis, moissonnez gloire et lauriers, et que les Carthaginois vaincus reçoivent de vous le châtiment qu'ils méritent (2).

 

(ACTE  II)

(SCÈNE I)

ALCÉSIMARQUE

Je crois bien que le premier qui inventa le métier de bourreau, c'est l'amour. Ce que j'en dis, j'en ai la preuve chez moi, sans la chercher ailleurs; car j'endure des tourments qui dépassent et surpassent ceux d'aucun homme au monde. Je suis ballotté, torturé, agité, trans­percé, tourné et retourné sur la roue de l'amour; je sens ma misérable vie qui m'abandonne; je suis em­porté, tiraillé, déchiré, dépecé; d'épais nuages embrument ma pensée.

 

1. Cette réflexion est plus dans le goût du mélancolique Térence (Andr., act. IV, se. 3, v. 1; aet. V, so. 5, v. î-5; Eunuch.. aot. III, so. 5, v. 3). Mais nous avons vu qu'il vient aussi de graves inspirations à Plaute au milieu de sa plaisanterie (Captiv., prol. 22, 51). (Naudet).

2. Toute cette fin est de style emphatique; l'expression y est soulignée par des figures de style et en particulier par l'allité­ration. Ce ton solennel, où l'on ne saurait voir de parodie, doit traduire un état d'esprit et de choses auquel fait allusion le dernier vers — sans qu'on puisse préciser davantage.

 

Je ne suis pas où je suis; où je ne suis pas, là se porte mon esprit (1). Mille sentiments divers me possèdent à la fois. Je veux, et au même moment je ne veux pas. C'est ainsi qu'Amour se joue de moi et de mon cœur las. Il me chasse, il me pousse, il m'invite, il m'entraîne, il me retient, il me séduit, il fait le généreux. Il donne sans donner, pour me berner. Ce qu'il vient de me conseiller, il le déconseille; ce qu'il m'a déconseillé, il l'agite à mes yeux comme un appât. Il en use avec moi comme une mer orageuse (2): prenant mon pauvre cœur amoureux, il le brise. Perdu corps et biens, je n'ai plus, hélas! qu'à sombrer pour consommer définitivement ma perte. Ainsi, voilà six jours sans discontinuer que mon père me relient dans sa ferme à la campagne, sans qu'il m'ait été permis tout ce temps de venir voir ma mie. N'est-ce pas là un sort affreux?

(Lacune)

Fragment I. Voici le sixième jour...(3). (Lacune)

 

1. « On lit quelque chose d'analogue, mais de moins véhément, dans une lettre de M -Aurèle à Fronton: At ego ubi animus meus sit nescio ; nisi hoc scio illo nescio quo ad te profectum esse... et nunc, ut commode affas, cito, oro, perscribe mihi, et •mentem meam in pectus repone : le mauvais goût du temps se fait sentir ici jusque dans la. sincérité du langage amical; c« n'est pas un travers de l'esprit de l'écrivain. » (Naudet).

2. Texte peu sûr.

3. Les manuscrits de la famille Palatine présentent ici une lacune importante, de plus de six cents vers ; le palimpseste ambrosien a conservé partiellement, et avec des lacunes qui ren­dent souvent toute restitution impossible, les v. 233-491.

 

ALCÉSIMARQUE    UN   ESCLAVE  (THYNISCUS ?)

(Lacune)

Fragment II.

alcesimarque. — Es-tu capable d'ac­complir une action d'éclat?

l'esclave. — Il  y en a bien assez sans moi pour le faire; je ne liens pas du tout à mériter le nom de brave. (Lacune)

alcésimarque. — .................. (1)

l'esclave. — Pourquoi donc?

alcésimarque. — Parce que je suis vivant.

l'esclave. — Ça, ma foi, ce n'est pas difficile, et si lu veux...

alcésimarque. — Oui, je veux.

l'esclave. — Mais ne va pas faire travailler tes poings pendant que j'aurai le pouvoir.

alcésimarque. — Sois tranquille.

l'esclave. — Tu le jures?

alcesimarque. — Je le jure que je n'en ferai rien... Pour commencer, faut-il que je sois lâche pour avoir consenti à vivre six jours éloigné de ma maîtresse (2)?

l'esclave. — Sûrement, tu es lâche,

alcésimarque. — ...Une fille qui m'aime, comme je l'aime, à la folie.

l'esclave. — Tu mériterais une fière rossée.

alcésimarque. — Hélas! faut-il que je lui fasse tant de chagrin?

l'esclave. — Tu ne seras jamais qu'un triste sire.

alcésimarque.— Surtout quand nous avions échangé nos serments, qu'elle m'avait assuré de sa foi!

 

1, Le texte, mutilé, donné par A n’offre pas de sens. Leo a proposé une correction conjecturale qui se traduit ainsi; l'esclave. Mais où veux-tu en venir? — ALCESIMARQUE. Je veux qu'on m'accable d'injures. — L'ESCLAVE. Et pourquoi?

2. Texte corrompu; la traduction ne peut prétendre qu'à, un sens approximatif.

 

l'esclave. — S'il y a une justice, tu seras après cela maudit des hommes et des dieux.

alcésimarque. — [Elle qui m'avait été confiée, remise tout entière à ma loyauté]...(1) Elle qui comptait se marier avec moi, et passer toute sa vie à mes côtés.

l'esclave. — Fais-toi mettre les fers aux pieds et ne les quitte pas; c'est tout ce que tu mérites.

alcésimarque. — Elle qui m'avait été confiée, remise tout entière à ma loyauté!

l'esclave. — Parbleu, on devrait te rouer de coups, c'est bien mon avis.

alcésimarque. — Elle qui m'appelait son doux miel, son tendre baiser...

l'esclave. — Rien que pour cela, tu mériterais dix fois de porter le carcan.

alcésimarque. — Ah! voilà qui me réjouit (2). Mais maintenant, que me conseilles-tu de faire?

l'esclave. — Je vais te le dire. Offre-lui une expia­tion; prends une corde et pends-toi, pour qu'elle ne t'en veuille plus.

 

(Lacune. Les vers 251 à 265 sont tellement mutilés qu'il est impossible d'en donner aucune interprétation. On ne déchiffre sur le palimpseste que des mots sans suite, et souvent même fragmentaires).

 

1. Ce vers est manifestement une dittographie du v. 245, four­voyé à cette place par anticipation. Le texte en est corrompu à cet endroit; j'en ai donné la traduction d'après le texte du v. 245 gui est correct.

2. Texte suspect.

 

UYMNASIE    ALCÉSIMARQUE

(Le palimpseste porte ici l'indication d'une nouvelle scène dont il ne reste rien).

ALCÉSIMARQUE    UN  AMI   DE SON  PÈRE

(ou peut-être GYMNASIE) UN  ESCLAVE  (THYNISCUS ?)

(Lacune; puis au commencement de la scène âne série de vers mutilés).

...par Hercule, demain, bon gré mal gré...

(Les vers 268-272 sont inintelligibles).

alcésimarque. — Mais si j'aime?

l'ami (?). — Ce n'est pas là de l'amour... Toi, et celle que tu aimes tant, à ce que je vois Si je pouvais vous tenir enfermés en prison... ...de l'amour nuit et jour... Si la mort...

alcésimarque. — Jamais personne ne me... Tu n'es pas...

l'ami (?). — Si, et le plus grand.

Car ceux qui aiment sottement, sans modération ni bon sens...

(les vers 281-282 sont trop mutiles pour pouvoir être traduits).

alcésimarque. — Ah! ... Thyniscus, où es-tu?

un esclave. — Me voici.

alcesimarque. — Va me chercher mes armes et ma cuirasse, et amène-les moi.

l'esclave. — T'amener ta cuirasse? ...  (l'amener).

alcésimarque. — Allons, cours, apporte-moi mon cheval.

l'esclave. — II est fou, ma foi, le malheureux.

alcésimarque. — Va, et ramène-moi des fantassins en masse, des troupes légères en masse, toute une armée en masse, avec leur suite. J'en ai assez de sup­plier (1). As-tu apporté tout ce que je t'ai commandé?

l'esclave. — II a perdu la tête.

l'ami ( ?). — Pour agir comme il fait, il faut qu'on l'ait ensorcelé (2) .

l'esclave. — Voyons, es-tu fou ou bien rêves-tu tout debout, pour me commander de t'apporter un cheval, de t'amener ta cuirasse, des fantassins en masse, ensuite des troupes légères en masse, toute une armée en masse, avec leur suite ? II faut que tu dérailles pour tenir de pareils propos.

alcésimarque. — Miséricorde! moi, je t'ai dit pareille chose?

l'esclave. — Mais oui, parbleu; tu viens de me le dire.

alcésimarque. — Je n'y étais plus, sûrement.

l'esclave. — II faut que tu sois sorcier, pour être ici et ne plus y être tout à la fois.

l'ami (?). — A ce que je vois, tu es rudement touché par le poison de l'amour, jeune homme; aussi voudrais-je te donner un avis.

alcésimarque. — Donne.

l'ami (?). — Garde-toi de ne jamais entrer en guerre avec l'amour.

alcésimarque. — Que dois-je faire?

l'ami (?). — Va trouver sa mère chez elle. Justifie-toi, serments, prières, flatteries, supplications, n'épar­gne rien pour calmer sa colère.

alcésimarque. — Pardieu! je veux me justifier jusqu'à extinction de voix.

 

1. Texte incertain.

2. On pourrait comprendre aussi : « il faut qu'il ait le cerveau fêlé (par un coup) ».

 

(ACTE   III (1))

(LE  PÈRE   D'ALCÉSIMARQUE ?)

VIEILLARD

Qui lui fait refuser une grosse fortune, une dot bien grasse et rebondie.

 

LE  PÈRE   D'ALCÉSIMARQUE    GYMNASIE

                   VIEILLARD         COURTISANE

le vieillard. — Voici une petite femme bien joliment attifée... elle n'est pas mal du tout, par Hercule. J'ai beau n'être qu'un vieux bidet, m'est avis que si on me la donnait seule à seul, je serais encore capable de hennir pour cette belle pouliche.

gymnasie (sans le voir). — Quelle chance, vraiment, qu'Alcésimarque soit de retour ! II n'y a personne comme moi pour détester la solitude.

le vieillard. — Tu n'as qu'à m'appeler, si tu ne veux pas être seule. Je resterai avec toi; je ferai en sorte que tu aies quelque chose à faire.

gymnasie (toujours sans le voir). — Alcésimarque a joliment bien arrangé celle maison.

Le vieillard. — L'agréable spectacle! C'est Vénus en personne qui s'avance. Que c'est charmant d'être toujours amoureux!

gymnasie (continuant). — Tout y respire le parfum de Vénus : on voit que c'est un amant qui l'a décorée.

 

1. Etant   donné  les  lacunes   et  l'incertitude   du   texte,   cette division n'est rien moins que sure.

 

le vieillard. — Non seulement elle est gentille de traits, mais elle s'exprime fort gracieusement, par Her­cule!... Mais, si je comprends bien ses paroles, c'est elle, parbleu, selon toute apparence, c'est elle qui dé­bauche mon fils. Evidemment je ne puis avoir que des soupçons, puisque je ne l'ai jamais tant vue... Mais tout me porte à le croire. C'est mon fils qui a en location la maison devant laquelle elle s'est arrêtée; et d'autre part, pour confirmer mes soupçons, n'a-t-elle pas tout à l'heure nommé Alcésimarque? Si je l'abor­dais et lui parlais en face? Pernicieuse et ruineuse séductrice, je te salue.

gymnasie. —  ...............  je te ferai rosser.

le vieillard. — ...............  chez toi.

(Les vers 324-329 sont  trop  mutilés pour pouvoir être traduits).

Frg. VII. gymnasie. — Je rentre; car une courtisane ne doit pas s'attarder toute seule dans la rue : c'est bon pour les pierreuses.

(Les vers 332-362 n'offrent que des débris informes; les   vers   340-341,   qui   sont   partiellement   cités   par Nonius, sont trop isolés pour que le sens puisse en être restitué  avec  certitude.)

Frg. VIII.  «...   Laisse-là  le mauvais (?); c'est le bon dont j'ai besoin (?) ».

le vieillard. — Je veux que tu me dises ce que mon fils a fait, quoi que ce soit. Quel mal t'avons-nous jamais fait, moi ou quelqu'un des miens, voyons, dis-moi, pour que tu t'acharnes à nous piller et à nous ruiner, moi, mon fils, sa mère, sans parler de notre bien?

gymnasie (à part). — Le pauvre se trompe, comme je l'ai dit (1). Quel beau sujet! Bernons-le; c'est l'occasion ou jamais. (Au vieillard) Es-tu capable de prêter tes services — en tout bien tout honneur — à une pauvre fille injustement soupçonnée?

 

1. Il est probable que dans cette partie de la pièce) le père d'Alcésimarque prenait Gymnasie pour Sélénie, et que la remplaçante s'amusait à entretenir le vieillard dans son erreur.

 

le vieillard. — Dis-moi,  de grâce;  en dehors de mon fils tu n'as pas d'autre amant?

gymnasie. — Sauf ton seul fils, il n'y a personne que j'aime au monde.

le vieillard. — Mais moi, je (t'aime).

gymnasie. — Je m'en moque;  (des amants tels que toi) cela me coûte gros...

le vieillard. — (Lacune).

gymnasie. — Un arbitrage? mais c'est de la violence!

gymnasie. — C'est que vous vous entendez fort joli­ment à nous faire besogner, vous les petits vieux.

 

SYRA    GYMNASIE

LENA (LE PÈRE D'ALCÉSIMARQUE)

VIEILLARD

syra (?). — Tu veux que je te réponde? Ce n'est pas juste. C'est à moi au contraire de toujours exiger des  hommes des  engagements  formels — c'est  mon métier — sans jamais rien leur promettre.

Frg.   XI. le vieillard. — Si tu voulais ne pas commander avec plus d'autorité que ne t'en donnent ta fortune et ta modeste condition.

Frg. XII. syra. — Avance, mais avance donc; quelle lambine tu fais!

Frg.XIII. gymnasie. —  C'est que, vois-tu, maman, je suis plus entraîné à me coucher qu'à courir; aussi je suis un peu lente.

 

LAMPADION

ESCLAVE

Frg.  XIV.  ...... qui n'oublient pas leur devoir.

Frg.   XV.  Je ne sais quel bouquet de vin nouveau est venu jusqu'à mes narines.

Frg.  XVI. Les cheveux arrachés et les oreilles tailladées...

Frg. XVII. Elle, comme si elle nettoyait la ruelle du bourreau...

(Il ne reste à peu près rien des vers 385-404)

Frg. XVIII-XIX….  Non pas comme celles qu'on voit aujour­d'hui, ces limaces au teint blafard, grelottantes de fièvre, ces amantes de malheur, toutes en os, ces filles à deux oboles, parfumées au rabais, laides à faire peur, avec leurs talons déjetés, leurs mollets de coq (1).

(Il ne reste à peu près rien des vers 409-433).

 

ALCÉSIMARQUE   MÉLÉNIS   SÉLÉNIE

(Il  en est de même des vers434-444)

Frg. XX. En clignant les yeux...

Frg. XXI. A bien y réfléchir...

Frg. XXII. En somme...

 

1. Des grammairiens et des glossateurs, de Varron à Festus et à Priscien, ont essayé d'expliquer les épithètes et les expressions injurieuses adressées aux courtisanes: « schoenicula » désigne celle qui se parfume au o-^oîvoç, sorte de jonc dont on tirait un parfum grossier; « miracula », la monstrueuse (cf. mirus) -, les péri­phrases « cum extritis talis, cum todillis crusculi »s sont de sens peu sûr; la leçon « extritis » est contestée; « todillus » est expliqué par « gracilis » dans les gloses.

 

Frg. XXIII  Amicalement...

... sElEnie. — Tu m'ennuies.

alcEsimarque. — Ma maison réclame sa chère maîtresse (1). Permets que je te conduise chez moi.

sélénie (le repoussant). — Bas les mains!

alcésimarque. — Ma chère petite sœur germaine... 

sélénie. — Je te renie, cher petit frère.

alcésimarque (à Mélénis). — Hé bien alors, ma chère petite mère...

mélénis. — Je te renie, mon cher enfant...

alcésimarque. — Je t'en supplie...

mélénis. — Adieu!

alcésimarque. — Laisse-moi...

mélénis. — Je m'en moque.

alcésimarque. — Me justifier.

mélénis. — Tu m'assommes.

alcésimarque. — Laisse-moi te dire...

(mélénis). — Tes parjures lui en ont appris assez, à mon gré. Impossible de nous en faire croire main­tenant.

alcésimarque. — Je veux vous faire réparation.

sélénie. — II ne me plaît pas de l'accepter.

alcésimarque. — Hélas! que je souffre, et que je l'ai mérité!

sélénie. — Tant mieux! Tu ne mérites pas de pitié.

mélénis.   —  Le  ventre  a  beau  pour  un  homme... Tromper ainsi (deux pauvres femmes) (2)...

alcésimarque. — Ce n'est pas cela...

mélénis. — Par Pollux ! pour moi, ceux qui rompent les traités... on devrait bien les...

 

1. Si la forme restituée par Schoell, « issula », est correcte, il faut sans doute y voir un diminutif de « ipsa », prononcé « issa » dans la langue familière avec le sens de « maîtresse ». Sur ce sens de « ipse », et la prononciation « isse », voir Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique du latin, au mot  « ipse », et le texte du Suétone, Auguste, ch. 88, qui y est cité.

2. Texte et sens très incertains.

 

(alcésimarque). — Ordonne-moi n'importe quoi...

sélénie. — ... A cette condition je donnerai.

alcésimarque. — Et moi, je ne donne rien, et je ne te lâcherai pas de la journée, si tu ne consens pas à m'écouter.

 

MÉLÉNIS  ALCÉSIMARQUE

mélénis (suivie d'Alcésimarque dont elle essaye de se débarrasser). — As-tu fini, oui ou non, de m'en­nuyer?

alcesimarque. — Justement, c'est là mon nom; tout le monde m'appelle l'Ennuyeux...

mélénis. — Où (veux-tu en venir? Lâche-moi), je t'en supplie.

alcésimarque.  — Tes supplications sont inutiles...

(Les vers 468-470 sont trop mutilés pour être traduits. Alcésimarque s'y engage à prononcer un serment).

mélénis. — Et moi, maintenant, je me méfie de tes serments. Les serments d'amants ressemblent à un pot pourri (1), on ne sait jamais...

alcésimarque. — ... Tu plaisantes.

(On ne peut rien tirer des vers 475-476).

alcésimarque.  — A titre de réparation, je te don­nerai des bijoux, un manteau, et à elle...

mélénis. — Comment veux-tu que je... .................   parce  que   tu  en  as  trouvé  une   autre, qui...

 

1. Jeu de mots intraduisible sur « iusiurandum » « serment », et « ius confusicium »  « ragoût composite », qui fait penser à la célèbre plaisanterie de Cicéron sur le « ius Verrinum ».

 

alcésimarque. ...... Comme si tu ne savais pas...

mélénis. — Que tous les dieux et les déesses se con­jurent pour la perdre...

alcésimarque. — (Je veux bien que tu ne me croies plus) jamais, si je mens.

mélénis. — Je m'en moque... Tu cherches à tromper quelqu'un qui ne s'y trompe pas; (je sais ce que vaut) ta loyauté. Enfin, si tu réussissais à m'en conter, tu n'en conférais jamais aux dieux.

alcésimarque. — Puisque je veux t'épouser !

mélénis. — Tu l'épouserais si... Maintenant si tu trouves ton avantage à...

alcesimarque. — Ne lui ai-je pas donné des bijoux et des toilettes?

melénis. — ... Si tu l'aimais véritablement... Mais laissons cela. Réponds maintenant à ma question... Tu lui as donné...

alcésimarque. — ...

(Les vers 490-491 sont trop mutilés pour être tra­duits).

melenis. — Tu fais de l'esprit, parce que tu vas eu épouser une autre, cette riche Lemnienne. Épouse-la. Nous ne sommes pas d'aussi haut parage que toi; nous n'avons pas une fortune aussi solide que la tienne. Mais au moins je n'ai pas peur qu'on nous reproche d'avoir trahi nos serments. Quant à toi, si tu as du chagrin, tu sauras à qui t'en prendre.

alcesimarque. — Que les dieux me foudroient...

mélénis (l'interrompant). — Puisse ton vœu se réaliser (1).

alcésimarque. Si jamais j'épouse celle que mon père m'a fiancée.

 

1. Plaisanterie classique qui consista & interrompre une affir­mation solennelle, accompagnée d'une imprécation, immédiate­ment après la formule de malédiction, comme ai cette derniere était seule en cause. Cf. Miles  Gloriosus. v. 292 et suiv.

 

mélénis. — Et moi, si je te donne jamais ma fille pour femme.

alcésimarque. — Tu me laisseras me parjurer?

mélénis. — Ma foi, je m'y résignerai bien plus facile­ment qu'à voir qu'on me perd, qu'on me ruine, qu'on se moque de ma fille. Va-t'en chercher des gens qui fassent quelque fond sur ta parole; pour ce qui est de chez nous, Alcésimarque, tout est rompu.

alcésimarque. — Fais encore une épreuve...

mélénis. — Je n'en ai que trop fait, et je n'ai eu qu'à m'en repentir.

alcésimarque. — Rends-la moi.

mélénis. — A nouvelle situation j'appliquerai le vieux dicton : « Ce que j'ai donné, je le regrette; ce qui me reste, point ne le donnerai. »

alcésimarque. — Tu ne veux pas me la renvoyer?

mélénis. — Tu viens de répondre à ma place.

alcésimarque. — Tu ne la renverras pas?

mélénis. — Tu connais déjà ma résolution.

alcésimarque. — Tu y es bien décidée?

mélénis. — Bien mieux; l'idée ne m'en vient même pas. [Tu peux parler; tes paroles n'entrent pas dans mon oreille.

alcésimarque. — Vraiment? Alors, que décides-tu?

mélénis. — Hé bien, écoute-moi; tu vas savoir ce que je veux faire (1).]

alcésimarque. — Hé bien! j'en jure par tous les dieux et les déesses du ciel, et des enfers, et de la moyenne région (2); j'en jure par Junon reine, fille du très grand Jupiter; par Saturne son oncle, père suprême des dieux, par Ops l'opulente, son aïeule...

 

1. Les vers 510 511 qui ne sont pas dans le palimpseste, sem­blent provenir d'un remaniement

2. On ne sait au juste ce qu'il faut entendre par là, malgré les commentaires qu'ont donnés de l'adjectif « medioxumi » Apulée, Dogm. Plat. 1, p. 8; Servius, in Aen. 3, 134; Martianus Capella 2 3 154. Il s'agit peut-être simplement d'une plaisanterie dePlaute.

 

mélenis. — Mais non, sa mère... Junon sa fille, Saturne son oncle, père suprême des dieux! (1)

alcésimarque. — C'est toi qui me troubles; tu me fais dire tout de travers.

mélénis. — Continue.

alcésimarque. — Puis-je savoir quelle sera ta déli­bération?

mélénis. — Dis toujours. Je ne te la renverrai pas; voilà mon dernier mot.

alcésimarque. — Hé bien! j'en jure par Jupiter, par Junon, par Janus, par... je ne sais plus ce que je veux dire... si; je me retrouve. Ecoute, Mélénis, tu vas connaître ma résolution. Fassent tous les dieux, les grands, les petits, et même les patellaires (2), que jamais de ma vie je ne donne un baiser à Sélénie, si de ma main je ne vous massacre aujourd'hui toutes les deux, ta fille et toi; ou si au plus tard, demain au point du jour, je ne vous tue toutes les deux; bref, morbleu, si, dans un troisième assaut, je ne vous assomme toutes, à moins que tu ne me la rendes. J'ai dit. Adieu. (Il sort).

mélénis (seule). — Le voilà parti fort en colère. Que dois-je faire? Si elle retourne avec lui, nous en serons toujours au même point. Dès qu'il en sera las, il la mettra à la porte, et il épousera la Lemnienne. Cepen­dant je vais le suivre. Il faut prendre garde que, dans sa folie, il ne fasse un coup de tête.

 

1. Le texte de toute cette partie du dialogue n'est pas très sûr. IJ y a divergence entre le palimpseste et les manuscrite ambrosiens sans qu'il soit possible de se déterminer avec certi­tude pour l'un ou l'autre.

2. C'est-à-dire les dieux Lares, à qui l'on présentait les offran­des dans des soucoupes (patellae). C'étaient les dieux de la plus basse catégorie. Cf. Ovide. Fastes. II 633 et s. :

« Et libate dapes ut,  grati  pignus  honoris, Nutriat incinctos missa patella Lares ».

 

Après tout, puisque la loi n'a pas les mêmes complaisances pour le pauvre que pour le riche (1), j'aime mieux perdre ma peine que perdre ma fille. Mais qui est-ce qui vient tout droit de ce côté, et qui traverse la place en courant ? Si l'autre m'effraie, celui-ci m'épouvante : de tous côtés, tout conspire à me faire peur. (Elle se retire de manière à ne pas être vue de Lampadion).

 

LAMPADION   MÉLÉNIS

lampadion (arrivant du côté de la place). — J'ai poursuivi la vieille par les rues en la harcelant de questions. Oh! je lui ai mené la vie dure. Mais comme elle a su mettre un bœuf sur sa langue et manquer à propos de mémoire! Combien il m'a fallu employer de cajoleries et de promesses! combien forger de ruses et de mensonges dans mon enquête! J'ai fini, à grand peine, par lui arracher un aveu, en lui promettant un grand tonneau de vin.

 

PHANOSTRATE  LAMPADION   MÉLÉNIS

phanostrate (sortant de sa maison). — II me semble que je viens d'entendre devant chez nous la voix de mon esclave, le petit Lampadion.

lampadion. — Tu n'es pas sourde, maîtresse; tu as bien entendu.

 

1. Ces plaintes des petites gens sur la partialité des juges étaient un thème courant de l'ancienne comédie, et répondaient sans doute à la réalité. Naudet rappelle que dans l'Andrienne de Térence, Dave représente à Pamphile que Simon peut faire expulser Glycérie quand il lui plaira: «Elle n'a point de protec­tion, on trouvera un prétexte» (Acte II, se. 3, r. 7).

 

phanostrate. — Que fais-tu ici?

lampadion. — Je t'apporte une bonne nouvelle.

phanostrate. — Qu'est-ce?

lampadion (montrant la maison de Sélénie). —Tout à l'heure j'ai vu sortir d'ici, de celle maison une femme...

phanostrate (l'interrompant). — Celle qui avait enlevé ma fille?

lampadion. — Tu y es.

phanostrate. — Et après?

lampadion. — Je lui dis comment je la vis autrefois enlever de l'hippodrome (1)la fille de mes maîtres. Aussi­tôt elle a été prise de peur.

mélenis (à part dans le fond du théâtre). — Tout mon corps frissonne, mon coeur palpite. Je me sou­viens en effet que la petite fille que j'ai fait passer pour mon enfant me fut apportée de l'hippodrome.

phanostrate. — Vite, continue, je l'en prie; si tu savais comme j'ai hâte d'entendre ton récit.

mélénis (à part). — Puisses-tu devenir sourde !

lampadion.  — .............   (Lacune de quatre vers);

Lampadion continuant son récit, raconte que la vieille l'a mené chez Gymnaste, qu'il prend pour la fille de Phanostrate, Sélénie, et qu'il a essayé de ramener la jeune fille chez celle, qu'il croit sa mère). ............

Je continue de l'endoctriner : « Cette vieille-là te fait renoncer à la fortune pour la misère. Car ne crois pas que ce soit ta mère; ce n'est que la nourrice. Moi je te remets en possession d'immenses richesses; tu seras rendue à une famille opulente, à un père qui le donnera vingt talents de dot. Ce n'est pas comme ici, où tu es obligée de gagner ta dot à la mode toscane, en te déshonorant à faire commerce de ton corps.

 

1. Le trait est grec, comme le mot. On sait en effet que de tout temps les courses de chevaux ont été pratiquées en Grèce, et qu'elles faisaient partie de toutes les grandes fêtes, ou cérémo­nies religieuses. Homère décrit minutieusement au chant XXIII de l'Iliade les courses organisées par Achille à l'occasion des funérailles de Patrocle. A Rome il ne semble pas que les courses aient connu une grande vogue avant l'époque impériale.

On sait la  détestable réputation du vicus Tuscus à Rome.

 

phanostrate. — C'est donc une courtisane, cette femme qui l'a recueillie?

lampadion. — Ou plutôt une ancienne courtisane; mais je te dirai ce qu'il en est. Déjà la jeune se laissait prendre à mon éloquence persuasive, quand la vieille embrasse ses genoux, et tout en larmes la conjure de ne pas l'abandonner : c'était bien sa fille, c'était bien elle qui l'avait mise au monde, m'affirmait-elle en jurant ses grands dieux. « Celle que tu cherches, me dit-elle, je l'ai donnée à une de mes amies, qui devait l'élever comme sa fille à elle, et elle est vivante. » — Où est-elle? m'écriai-je aussitôt.

phanostrate. — 0 dieux! sauvez-moi, je vous en supplie.

mélénis (à part). — Oui, mais vous me perdez.

phanostrate. — II fallait tâcher de savoir à qui elle l'avait donnée.

lampadion. — C'est ce que j'ai fait. Elle l'a donnée, m'a-t-elle dit, à la courtisane Mélénis.

mélénis (à part). — II a prononcé mon nom; je suis morte.

lampadion. — Après ce premier aveu, je poursuis aussitôt mon interrogatoire : « Où demeure-t-elle? » lui dis-je, « conduis-moi, et montre-moi sa maison. » — « Elle s'est embarquée, répond-elle, pour aller habi­ter à l'étranger. »

mélénis (à part). — C'est une goutte d'eau qui me ranime.

lampadion. — Où elle est allée nous la suivrons. Ah, tu veux nous rouler? Tu es morte si... (lacune) ... Bref, je ne lui ai pas laissé un instant de répit, jusqu'à ce qu'elle m'ait juré de me faire voir bientôt cette femme.

phanostrate. — Mais il ne fallait pas la lâcher.

lampadion. — On la garde à vue. Mais elle m'a dit qu'elle  voulait,  auparavant,  consulter une  femme de ses amies, intéressée comme elle dans cette affaire. Je suis sûr qu'elle viendra.

mélénis (à part). — Elle va me dénoncer, et ajouter encore ses misères à celles que j'ai déjà... (lacune) ...    son visage complice.

phanostrate. — Que veux-tu que je fasse, de mon côté.

lampadion. — Rentre, et aie bon espoir. Si ton mari revient, dis-lui d'attendre à la maison, pour que je n'aie pas à le chercher, au cas où j'aurais besoin de lui. Moi je cours retrouver la vieille.

phanostrate. — Lampadion, je t'en supplie, tâche de réussir!     

lampadion. — Sois tranquille, je réussirai.

phanostrate. — Mon espoir est en toi, et dans les dieux.

lampadion. — Moi aussi j'espère en eux... pour qu'ils te fassent rentrer chez toi. (Phanostrate rentre.)

mélénis (se dirigeant vers Lampadion (1) ). — Jeune homme, arrête, un mot.

lampadion. — Est-ce moi, femme, que tu appelles?

mélénis. — Oui, toi.

lampadion. — Pour quelle affaire? Car je suis terri­blement occupé.

mélénis. — Qui est-ce qui habite cette maison?

lampadion. — Mon maître, Démiphon.      

mélénis. — C'est bien lui qui a fiancé sa fille à Alcésimarque, un très riche parti?

 

1. Ici certains éditeurs font commencer une nouvelle scène, mais aucune indication de ce genre n'est fournie par les manus­crits.

 

lampadion. — Lui-même.

mélénis. — Alors, dis-moi, quelle est donc l'autre fille que vous êtes si en peine de retrouver?

lampadion. — Puisque tu veux le savoir, c'est une fille de sa femme, sans être de sa femme.

mélénis. — Qu'est-ce que cette énigme?

lampadion. — Oui, te dis-je, c'est une fille qu'il a eue d'un premier amour.

mélénis (avec insistance). — Mais tu disais tout à l'heure à celle qui te parlait que tu étais à la recherche de sa fille.

lampadion.  — Oui,  c'est bien  elle que je cherche.

mélénis (insistant toujours davantage). — Comment je te prie, cette première femme est-elle sa femme actuelle?

lampadion (sur un ton d'impatience). — Tu m'as­sommes avec tes questions, femme, qui que tu sois. D'une épouse qu'il eut dans l'intervalle est née la jeune fille qu'on marie avec Alcésimarque. Mais cette femme-là est morte. (D'un ton plus radouci) Y es-tu maintenant?

mélénis. — Oui, pour cela, j'ai compris. Mais il y a un  point  qui  m'embrouille  et  que je  n'arrive pas  à éclaircir : comment la première peut-elle être la secon­de, et la seconde, la première?

lampadion. — C'est qu'il fit violence à celle-ci autre­fois, avant son premier mariage. C'est avant ce mariage qu'elle devint enceinte, et qu'elle mit au monde une fille. Quand elle l'eut mise au monde, elle la fit exposer toute petite. C'est moi qui l'exposai, une autre femme la recueillit. Moi, j'ai observé son manège. Par la suite mon maître a épousé sa victime. C'est sa jeune fille que maintenant nous recherchons. (S'interrompant pour regarder Mélénis qui ne l'écoute plus, et médite, les yeux levés vers le ciel) Qu'est-ce qui te fait lever le nez en l'air et regarder le ciel?

mélénis. — Va maintenant où tu courais si vite; je ne te retiens plus. J'ai compris maintenant.

lampadion. — Par Hercule, j'en rends grâces aux dieux; car si tu n'avais pas compris, jamais, je crois, tu ne m'aurais laissé partir. (Il sort).

mélénis. — Maintenant, il faut, de tout nécessité, que je fasse une bonne action, bon gré mal gré, et quoi qu'il m'en coûte. Tout est découvert, je le vois. Il vaut mieux me faire auprès d'eux un mérite de la restitution que d'attendre que l'autre me dénonce. Rentrons chez nous, et ramenons Sélénie à ses parents. (Elle rentre dans la maison de Sélénie).

 

 (ACTE IV)

 

(SCÈNE  I)

MÉLÉNIS    SÉLÉNIE     (HALISCA)

mélénis (sortant avec Sélénie). — Maintenant, tu sais tout : suis-moi, chère Sélénie, que je te rende à ceux à qui tu dois être plutôt qu'à moi. Ce n'est pas sans peine que je me priverai de toi, mais il faut bien m'y résigner : je ne dois consulter que ton intérêt. (Montrant une cassette qu'elle tient sous le bras) Ici dedans sont les jouets (1) qui me furent remis avec toi par la femme de qui je t'ai reçue : ils serviront à te faire reconnaître de tes parents. (A sa suivante) Prends cette cassette, Halisca; ... (lacune) ... va donc frapper à la porte de cette maison (elle lui montre la porte de Démiphon).   Dis que je prie  qu'on  se  hâte de venir vite, vite.

 

1. Plutôt que de jouets proprement dits, il s'agit de hochets (crepundia), et de petites breloques d'argent, réductions de jouets véritables ou destinées à protéger contre le mauvais œil. Ces objets ayant une certaine valeur, on s'explique qu'ils aient été conservés avec soin, et qu'ils aient pu, comme des bijoux, servir à faire reconnaître un enfant abandonné.

 

ALCÉSIMARQUE   SÉLÉNIE    MÉLÉNIS

alcésimarque (sortant de sa maison, une épée à la main, et sans voir les deux femmes). — Accueille-moi dans ton sein, ô Mort; je viens à toi en ami, je me donne de plein gré.

sélénie (apercevant Alcésimarque). — Ma mère! malheur à nous, nous sommes perdues!

alcésimarque. — Par où me percerai-je le flanc? Par ici ou à gauche?

mélénis (à Sélénie). — Qu'as-tu donc?

sélénie. Ne vois-tu pas Alcésimarque? Le fer à la main...

alcésimarque. (toujours sans voir les deux femmes). — Hé bien ! qu'attends-tu? Abandonne la lumière. (Il s'apprête à se transpercer).

sélénie (s'élançant vers lui). — De grâce, au se­cours! empêchez-le de se tuer.

alcésimarque (l'apercevant). 0 Salut de mes jours, plus salutaire pour moi que la déesse du Salut ! toi seule, que je le veuille ou non, oui, toi seule es capable de me rendre à la vie!

mélénis. Tu ne voulais pas, dis, faire une aussi affreuse chose?

alcésimarque. Je n'ai rien à faire avec toi; je suis mort pour toi. Mais elle (montrant Sélénie), puisque je la tiens, je suis bien décidé à ne pas la lâcher. Car, par Hercule, je veux me l'attacher corps et âme, indis­solublement :c'est une chose que j'ai résolue. Holà, esclaves; fermez les portes aux verrous et avec les barres, une  fois  que  je  lui   aurai   fait   franchir, mon  seuil. (II emporte Sélénie dans ses bras).

mélénis. — II est parti en enlevant sa belle. Allons; suivons-le pour lui faire les mêmes révélations et tâchons d'apaiser sa colère et de me le rendre favorable. (Elle sort; Halisca la suit, mais celle-ci, dans le tumulte, laisse tomber la cassette).

 

(ACTE V)

 

(SCÈNE I)

LAMPADION PHANOSTRATE

lampadion— Jamais je n'ai vu, je crois, de vieille plus pendable que celle maudite vieille. Ne me nie-t-elle pas à présent ce qu'elle m'avouait tout à l'heure? Mais voici ma maîtresse que j'aperçois... Tiens, qu'est-ce que c'est que cette cassette, qui est là par terre, avec des jouets? Je ne vois personne dans la rue. Faisons notre petit mignon; plions l'échiné, et tendons la croupe pour la ramasser.

phanostrate. — Hé bien, Lampadion?

lampadion.  — Est-ce que ce coffret vient de chez nous? je viens de le ramasser par terre devant la porte.

phanostrate.  —  As-tu  des nouvelles de  la vieille ?

lampadion. — II n'y en a pas de plus scélérate au monde. Ne nie-t-elle pas maintenant tout ce qu'elle m'avait avoué? Et je souffrirais, mordieu! qu'elle se moque de moi! ah non! plutôt mille morts!

phanostrate (apercevant les jouets). — 0 dieux! de grâce, secourez-moi!

lampadion. — Pourquoi adjures-tu les dieux?

phanostrate. — Sauvez-nous!

lampadion. — Qu' y a-t-il?

phanostrate. — Voici les jouets que tu as emportés avec ma fillette, pour la mener à la mort.

lampadion. — Tu n'es pas folle?

phanostrate. — Ce sont bien eux.

lampadion. — Tu t'obstines?

phanostrate. — Ce sont eux.

lampadion. — Si c'était une autre qui me parle ainsi, je dirais qu'elle est ivre.

phanostrate. — Non, par Castor! je ne dis rien que de véritable.

(lampadion}. — Mais, par tous les dieux, d'où peut bien venir cette cassette? Serait-ce un dieu qui l'a placée devant notre porte, comme à dessein, juste à point nommé?

phanostrate. — Divine Espérance (1), viens à mon aide!

 

(SCÈNE   II)

HALISCA    LAMPADION   PHANOSTRATE

halisca. — Si les dieux ne me sont en aide, je suis perdue, perdue sans ressource, perdue sans espoir. Que mon étourderie me cause de chagrin...

 

1. L'Espérance figure plusieurs fois parmi les abstractions personnifiées et divinisées que mentionne Plaute, cf. Bacchides 893 où Spes figure avec Opis et Virtus entre luppiter et Venus; Mercator 867 où Spes est jointe à Salus, Victoria; Eudens 231, où elle est invoquée, comme ici: Spes 'bona, obsecro, subuenta mihi. Elle avait à Rome plusieurs temples, notamment au Champ de Mars, où elle était représentée sous la forme d'une femme « tenant d'une main sa robe, et de l'autre tendant une fleur. • (P. Lavedan, Dict. des antiquités).

 

J'ai bien peur que mon dos ne s'en ressente, si ma maîtresse vient à savoir combien j'ai été négligente! (Cherchant) Je la tenais dans mes mains; je l'ai reçue ici, devant cette maison, et je ne sais ce qu'elle est devenue. Elle m'a échappé, j'imagine, ici ou dans les environs. (S'inter­rompant pour s'adresser aux spectateurs) Braves gens, chers spectateurs, si quelqu'un l'a vue, indiquez-moi qui a pu la ramasser, qui a pu l'enlever? Quel

chemin a-t-il pris? par ici? par là? J'ai beau les inter­roger, les presser de questions, je n'en suis pas plus savante (1). Ces hommes! ils prennent toujours plaisir à faire souffrir les femmes. Maintenant, tâchons de re­connaître quelque trace de pas. Car si personne n'avait passé par ici depuis que je suis rentrée dans la maison, la cassette serait encore là. Mais où, là? Je suis morte,

que je crois. Tout est fini; adieu! Malheur et misère de moi! Elle n'est plus, et je ne vaux guère mieux (2). Sa perte entraîne ma propre perte. Mais continuons nos recherches; malgré tout, je ne veux pas renoncer. J'ai le cœur qui tremble et la peau qui frissonne; des deux côtés, maintenant, la peur me travaille.

Ah, pauvre de nous! quelle misère! Il est bien content à présent, celui qui possède la cassette, quel qu'il puisse être! Et pourtant elle ne lui sert de rien, tandis qu'elle me serait si précieuse! Mais je perds mon temps à bavarder mal à propos. Attention, Halisca, regarde à terre, baisse les yeux, tâche de retrouver les traces; inspecte habile­ment, comme les augures (3).

 

1. C'est une pratique courante de la comédie antique que de faire participer le spectateur à l'action, soit en le prenant à témoin, soit eu lui demandant d'intervenir; et le procédé est particulièrement usité dans les monologues dont il interrompt la monotonie. Cf. le monologue d'Buclion dans Aulularia, v. 715 et suiv.

2. Equivoque ordinaire sur le double sens de esse; cf. Bacchi-des 194 et suiv.

3. Le texte dit astute augura « prends les augures habilement «. Augura est pris ici dans son sens technique, et désigne l'opéra­tion fondamentale de l'augure. Celui-ci, avant de procéder à la consultation des présages fournis par l'observation des signes célestes ou du vol des oiseaux, doit au préalable déterminer et consacrer un espace de terrain, aussi bien sur la terre que dans le ciel, dans les limites du cruel seront valables les signes observés par lui : c'est ce qu'on appelle le templum. Ces limites ne peuvent être fixées qu'après un examen attentif du. sol, comme celui auquel se livre Halisca dans sa recherche. Cf. Varron, De lingua latina, I. VII, §§ 8 et 9.

 

lampadion. — Maîtresse!

phanostrate. — Hé bien!

lampadion. — C'est...

phanostrate. — Quoi?

lampadion. — C'est elle.

phanostrate. — Qui, elle?

lampadion. — Celle qui a perdu la cassette.

phanostrate. — Sûrement, la voici. Elle essaie de repérer l'endroit où elle l'a laissé tomber; c'est visible.

halisca (cherchant par terre, et sans voir personne). — Il est passé par ici, j'aperçois la marque d'un brode­quin dans la poussière. Suivons-le de ce côté... Là, il s'est arrêté avec quelqu'un... Là tout se brouille, et mes yeux n'y voient plus... Il n'a pas continué de ce côté... Ici il a fait halte... Il est ensuite parti par ici. Ici s'est tenu un conciliabule... Certainement ils sont deux; c'est clair (1)... Ha, ha! voici les traces d'une per­sonne seule; mais elle s'en est allée par ici... Exami­nons. Elle est allée d'ici par ici... Ici, les traces se perdent. — Peine superflue! ce qui est perdu est perdu, ma peau avec la cassette. Rentrons (2). (Elle va pour ren­trer chez Sélénie).

phanostrate. — Holà, femme, arrête; voici des gens qui veulent te parler.

halisca. — Qui m'appelle?

 

1. Texte douteux.

2. « Monologue admirable de naturel et de vérité ; on ne peut pas le lire sans devenir spectateur ou acteur soi-même. Vous éprouverez une pareille sensation en lisant ailleurs une descrip­tion du naufrage (Rudens. 160 et Sui)… (Naudet).

 

lampadion. — C'est une honnête femme et un mau­vais garçon qui ont deux mots à te dire.

halisca. — ... (Lacune) ... Après tout, celui qui m'appelle en sait plus sur ce qu'il veut que moi, qui suis appelée. Retournons. (A Lampadion) As-tu vu quelqu'un, je t'en prie, ramasser dans ces parages une cassette avec des jouets, que j'ai eu le malheur de perdre? Tout à l'heure, quand nous sommes accourues pour empêcher Alcésimarque de se tuer, je l'ai dans mon effroi, laissée tomber par terre...

lampadion (à Phanostrate). — C'est elle qui (a perdu) cassette. Laissons-lui la parole pour quelque temps, maîtresse (1).

halisca (continuant). — Malheureuse ! je suis per­due! Que dirai-je à ma maîtresse? Elle m'avait tant recommandé de la bien garder. Ces jouets devaient aider Sélénie à se faire reconnaître de ses parents... Pauvre petite, que ma maîtresse a fait passer pour sa fille, après l'avoir reçue d'une courtisane...

lampadion (toujours à Phanostrate), — Mais c'est notre histoire qu'elle raconte! Elle doit savoir où est ta fille, d'après les indications qu'elle donne...

(halisca). — Maintenant elle veut, sans attendre qu'on la redemande, la rendre à son père et à sa véri­table mère... Mon ami, tu penses à autre chose, misé­ricorde! tandis que je te confie mes affaires.

lampadion. — Mais non, je t'écoute; et tout ce que tu racontes est un vrai régal pour moi. Mais tout en m'occupant de ce que tu dis, je répondais à une question de ma maîtresse. Je suis à toi, maintenant; si tu as besoin de quoi que ce soit, parle, je suis à tes ordres. Qu'est-ce que tu cherchais avec tant de soin ?

 

1. Texte mutilé et peu sûr.

 

halisca. — Mon brave homme, et ma chère dame, je vous salue.

phanostrate. — Nous de même. Mais que cherches-tu donc?

halisca.  — Une  trace  qui m'indique par où  s'est enfui... (Lacune).

(lampadion). — Quoi donc? De quoi s'agit-il?

(halisca). — D'un objet qui ne peut faire plaisir à autrui, et qui chez nous causera bien de la peine (1).

lampadion. — C'est une mauvaise pièce, maîtresse, que cette femme, et une rouée...

phanostrate. — Elle m'en a bien l'air, par Castor !

lampadion. — Elle ressemble à un méchant et mal­faisant animal.

phanostrate. — Lequel, s'il te plaît?

lampadion. — La chenille tordeuse, qui s'enroule et s'entortille dans les feuilles de pampre. Elle nous fait des discours tout aussi entortillés. — Que cherches-tu?

halisca. — C'est une cassette, mon cher garçon, qui a pris ici sa volée hors de mes mains.

lampadion. — II fallait la tenir en cage.

halisca. — Ce n'est pas que ce soit un gros butin.

lampadion. — C'est merveille qu'il n'y ait pas eu toute une troupe d'esclaves dans une cassette!

phanostrate. — Laisse-la parler.

lampadion. — Si elle parle, toutefois.

phanostrate.   —  Allons,   dis-nous  ce  qu'il  y  avait dedans.       

halisca. — Rien que des jouets.

lampadion. — II y a quelqu'un qui prétend savoir où elle est.

halisca. — Ce quelqu'un, s'il la faisait retrouver à une certaine femme, n'obligerait pas une ingrate.

 

1. Texte mutilé et sens peu sûr. Il semble toutefois qu'Halisca oppose l'un à l'autre alienum et familiarem que met en valeur la place qu'ils occupent au commencement et à la fin du vers.

 

lampadion. — Mais ce quelqu'un veut qu'on lui donne son salaire.

halisca. — Mais, par Pollux! cette certaine femme qui a perdu la cassette dit qu'elle n'a rien à donner à personne.

lampadion. — Mais ce quelqu'un réclame plutôt une aide que de l'argent.

halisca. — Mais,  par Pollux! cette certaine femme n'a pas l'habitude de se faire aider pour rien.

(phanostrate). — Voilà une conversation venue juste à point, et qui te sera profitable (1). Nous te décla­rons tout d'abord que nous avons la cassette.

halisca. — Que la déesse du Salut vous ait en sa garde! Où est-elle?

phanostrate.  — La voici intacte.  Mais je veux te parler d'une  affaire  qui  m'intéresse  fort;  je  t'adopte comme alliée pour me sauver la vie.

halisca. — Que veux-tu dire? qui es-tu?

phanostrate. — La mère de celle à qui ces jouets appartenaient (2).

halisca. — C'est donc là que tu habites?

phanostrate. — Tu parles comme un devin. Mais, s'il te plaît, femme, plus de détours, et réponds à ma question. Dis-moi sur le champ de qui tu tenais ces hochets.

halisca. — C'est la fille de ma maîtresse qui les portait.

lampadion. — Tu mens; c'est la fille de ma maîtresse qui les portait, et non celle de la tienne.

phanostrate. — N'interromps pas.

lampadion. — Je me tais.

 

1. Texte  très  peu sûr.  D'autres  comprennent,  en corrigeant  le texte : «  Aide-moi de tes discours,  tu t'en trouveras bien. » 

2. Proprement   « qui   a   porté   ces   jouets ».   L'emploi   du   verbe « porter »  s'explique  par  la nature de ces  crepundia.

 

phanostrate. — Continue, femme. — Où est celle à qui ils appartenaient?

halisca (montrant la maison louée par Alcésimarque). — Là, tout près.

phanostrate. — Mais, par Pollux! c'est là qu'habite le gendre choisi par mon mari !

lampadion (à Phanostrate). — N'interromps pas non plus, toi. (A Halisca) Continuons : quel âge lui donne-t-on?

halisca. — Dix-sept ans.

phanostrate. — C'est ma fille, d'après le chiffre qu'elle vient de prononcer...

(halisca). — Hé bien? Je réclame pour moi (la moitié du gain).

lampadion. — Et moi, parbleu, (puisque nous som­mes trois), j'en réclame le tiers (1).

phanostrate. — Enfin! j'ai découvert ce que j'ai tant cherché, j'ai retrouvé ma fille.

halisca. — II est juste qu'un secret confié de bonne foi (soit gardé de même), pour que l'auteur du bien­fait n'ait pas à se repentir de sa bienfaisance... Celle que nous avons nourrie est ta fille, la chose est sûre. Et ma maîtresse est bien décidée à te la rendre; d'ailleurs elle était sortie dans cette intention. Pour le reste, interrogez-la elle-même, s'il vous plaît : moi je ne suis qu'une esclave.

phanostrate. — Tu as raison.

halisca. — J'aime mieux que ce soit à elle que vous ayez cette obligation. Mais, je t'en supplie, rends-moi la cassette.

phanostrate. — Que dois-je faire, Lampadion?

lampadion. — Garder pour toi ce qui est à toi.

phanostrate. — Pourtant, j'ai pitié d'elle.

 

1. Le  texte  de  ces  trois  vers  est très  mutilé,  et  le  sens  très incertain.

 

lampadion. Voici ce qu'il faut faire, selon moi : rends-lui la cassette, et entre dans la maison avec elle.

phanostrate. — Je suivrai ton conseil. (A Halisca) Tiens, prends la cassette, et entrons. Mais quel est le nom de ta maîtresse?

halisca. — Mélénis.

phanostrate. — Marche devant; je le suis. (Elles entrent chez Alcésimarque; Lampadion reste seul quel­ques instants sur la. scène).

 

DÉMIPHON         LAMPADION

demiphon   (il  entre sur la scène par la coulisse de droite). — Qu'est-ce que c'est que celle histoire dont tout le monde parle dans les rues? On raconte que ma fille est retrouvée? et que Lampadion me cherchait au forum?

lampadion. — Hé maître d'où viens-tu?

démiphon. — Du sénat.

lampadion. — Je me réjouis d'avoir par mes soins augmenté le nombre de tes enfants.

demiphon (d'un ton faussement irrité). — Je ne m'en réjouis pas, moi. Je ne me soucie pas que ma famille s'accroisse par les soins d'autrui. (Reprenant son ton naturel) Mais qu'y a-t-il de vrai dans tout cela?

lampadion. — Dépêche-toi d'entrer là, chez ton futur gendre; tu reconnaîtras ta fille. Ta femme y est déjà. Va-t-en vite.

démiphon. — Certes, je n'ai rien de plus pressé. (Il entre chez Alcésimarque).

 

L'ORATEUR  DE  LA TROUPE

Spectateurs, n'attendez pas qu'ils reviennent ici devant vous; pas un ne sortira, ils termineront tous leur affaire dans la maison. Une fois la chose faite, ils déposeront leurs costumes. Et après, celui qui a fait des fautes sera rossé, celui qui n'en a pas fait aura à boire. Maintenant en ce qui vous concerne, specta­teurs, vous avez encore une affaire à liquider : suivant la coutume de vos ancêtres, applaudissez à la fin de la comédie.

 

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