MENAECHMI

ou les Ménechmes

de Plaute

Traduction de Alfred Ernout, membre de l'Institut, professeur à la Faculté des Lettres de Paris, 1936.

Société d'édition "LES BELLES LETTRES".

 

 

NOTICE
Nous ne connaissons pas l'original grec dont s'est inspiré Plaute pour écrire les Ménechmes (1) mais à en juger par le nombre de pièces qui portent pour titre " les Jumeaux" (2), ou " les Semblables" (3), il n'a pas dû être embarrassé pour trouver un modèle et peut-être même a-t-il emprunté à l'un et à l'autre des traits ëpars qu'il a fondus dans l'unité de son intrigue (4).

1. On a voulu tirer des vers 11 et 12 du Prologue
Atque adeo hoc argumentum graecissat : tamen Non atticissat, uerum sicilicissitat
la preuve que Plaute aurait suivi un modèle sicilien, de là, à penser à Epicharme, il n'y a qu'un pas, on l'a fait (cl. Ladewig, Ueber den Kanon des Volcacius Sedigitus, p. 19-26, et Philologus I, 1846, p. 276 et s). Mais il suffit de lire le contexte pour voir que les vers du prologue font allusion non pas à l'auteur de la comédie, mais au lieu de naissance des deux Jumeaux, Syracuse.
2. On en cite d'Antiphane, Anaxandride, Aristophon, Xénarque, Alexis, Euphron, sans compter Ménandre, et Antiphane.
3. C'est le titre d'une comédie de Posidippe, dans laquelle on a voulu voir le modèle suivi par Plaute, en se fondant du reste sur un argument des plus faibles, tiré d'Athénée, XIV, 658. Celui-ci nous apprend qu'on ne pourrait trouver d'esclave cuisinier dans aucune comédie en dehors de chez Posidippe. Les cuisinièrs sont des artisans libres, qu'on engage moyennant salaire, et qu'on loue sur le marché. Plaute se conforme d'ordinaire à cette tradition, sauf dans les Ménechmes où le cuisinier Cylindrus semble bien appartenir à Erotie, et faire partie de sa maison.
4. Il serait toutefois vain de s'appuyer sur une hypothèse de ce genre pour essayer de trouver et pour expliquer ensuite des traces de contamination, des incohérences, des additions injustifiées, etc. Comme il arrive le plus souvent, !es critiques ont porté sur la composition de la pièce les jugements les plus divers: pour Sonnenburg, par exemple, la comédie a subi toute sorte de remaniements "misere ab retractatoribus turbatam et laceratam nos habere fabulam", tandis que pour J. Vahlen et O. Eibbeok, elle nous est parvenue sous sa forme authentique.

On comprend d'ailleurs que la ressemblance exacte jusqu'à s'y méprendre de deux personnages ait fourni aux auteurs comiques une mine de situations aussi riche que facile à exploiter. Le thème se retrouve dans l'Amphitryon, où l'identité de Jupiter-Amphitryon et de Sosie-Mercure est le ressort qui détermine la marche de l'action. Et il ne manque pas de pièces où la méprise produite par la similitude vraie ou supposée de deux personnages intervient à titre épisodique dans le développement de l'intrigue.
La fable d'Amphitryon appartient au domaine du merveilleux; celle des Ménechmes n'a rien que de naturel. Que deux jumeaux se ressemblent au point de se confondre, c'est là un fait d'observation courante. Sans doute les gens raisonnables ne manqueront pas d'objecter que, dans l'espèce, les deux Ménechmes, ayant vécu loin l'un de l'autre pendant de nombreuses années, doivent présenter, au moment où s'ouvre la comédie, des différences notables de mœurs, de costume, de langage, qui rendent la confusion difficile, sinon impossible; que d'autre part, Ménechme-Sosiclès, devant les méprises dont il est l'objet, devrait aussitôt avoir la puce à l'oreille, et se douter que le Ménechme pour qui on le prend sans cesse est précisément le jumeau qu'il cherche. Mais s'il n'y avait que des gens raisonnables, et si la comédie devait uniquement s'inspirer du réel et du vraisemblable, il n'y aurait pas de comédie.
Il est inutile d'analyser la pièce; le prologue se charge d'expliquer très exactement les conditions dans lesquelles elle s'ouvre; et mieux vaut laisser au lecteur la joie de suivre les péripéties de l'imbroglio dans lequel il va se trouver jeté. Comme le dit justement Naudet : "Ce que l'on n'a pas assez remarqué dans l'oeuvre de Plaute, c'est l'art admirable de cette composition dramatique, la multiplicité des effets avec la simplicité des ressorts, la vivacité toujours croissante, et en même temps la constante unité de l'action. Point de personnages intrus, point de scènes épisodiques, de ces scènes dont le nombre s'augmente et se diminue à volonté sans préjudice pour la fable. L'action ici ne sort pas de la famille : la femme, le beau-père, le parasite, la maîtresse de l'Epidamnien, et une servante de cette courtisane, avec l'esclave du voyageur et un médecin que l'on appelle pour guérir la folie dont on croit les deux frères atteints, sont tous les acteurs mêlés à cette intrigue, et chacun d'eux tourmente à son tour les deux Ménechmes séparément. Dans cette combinaison, tout le monde est trompé, il n'y a point de trompeur. Le trompeur, c'est le hasard qui rassemble dans un même lieu les jumeaux de même nom et de même visage, inconnus l'un à l'autre. Dans la comédie de Regnard, un d'eux est instruit de la présence de son frère, et lui tend des pièges, il n'y a qu'une dupe, par conséquent moins d'effets comiques. » On a reproché aux Ménechmes de n'avoir pas de caractères, ni de peinture des mœurs (1). Sans doute est-ce avant tout une comédie d'intrigue; mais si les actes des deux frères sont conditionnés par leur ressemblance, et si, en conséquence, ils n'échappent pas à une sorte d'automatisme, ce serait méconnaître Plaute que d'imaginer qu'il ait pu se contenter de faire manœuvrer des fantoches. Dans les situations qui sont imposées aux personnages par la suite logique et nécessaire des événements, il a su leur donner l'attitude convenable et le mot juste. Les personnages accessoires sont croqués avec une verve étonnante : il y a, notamment, un médecin qui est le digne ancêtre des médecins molièresques, et un type de vieillard raisonneur, le beau-père de Ménechme d'Epidamne, dont les traits sont dessinés avec autant de naturel que d'esprit.

1. " II n'y a pas de caractères dans la pièce et il ne peut y en avoir... Ici peu de psychologie, une peinture sommaire des mœurs, la place manque, tout est subordonné à l'intérêt du problème posé. Il n'y a pas de comédie latine qui ressemble plus à une pièce de Scribe que les Ménechmes." (Paul Lejay, Plaute, p. 101 et 102).

La comédie se signale par l'abondance des parties lyriques. Paul Lejay a noté que « le parlé ne dépasse guère le tiers du chiffre total des vers (1)», le reste se compose de récitatifs presque tout entiers en trochaïques, sauf un passage d'un dessin un peu plus compliqué (2), et de cantica, tous d'une richesse et d'une variété de rythmes remarquables (3). La virtuosité du métricien s'allie heureusement à l'habileté supérieure du dramaturge.
On sait que le thème des Ménechmes a été fréquemment repris par les modernes. Parmi les plus célèbres imitateurs de Plaute, on cite notamment Shakespeare avec sa "Comedy of errors", Regnard avec "Les Ménechmes", Goldoni avec "I due gemelli veneziani". De nos jours, M. Tristan Bernard a écrit "les Jumeaux de Brighton", et M. Sacha Guitry, "Mon double et ma moitié". Il n'est pas jusqu'au cinéma qui n'ait exploité l'invention, et il a été publié dans ces dernières années un petit film intitulé "L'homme à la barbiche", où l'on voyait un individu emprunter la personne et les traits d'un autre homme pour tenter de se substituer à lui et d'hériter à sa place.

1. P. Lejay, Plaute, p. 105.
2. V. 995-1007.
3. Canticum de Ménechme d'Epidamne, v. 110-134; canticum d'Erotie, v. 351-368, nouveau canticum de Ménechme d'Epidamne, v. 571-603, canticum du beau-père, y. 753-774, canticum de Messénion, v. 966-987.

 

PERSONNAGES

LABROSSE, parasite de Ménechme I.

MÉNECHME I, habitant d'Epidamne, enlevé dans son enfance.

MËNECHME II (ou SOSICLÈS), son frère jumeau.

EROTIE, courtisane, maîtresse de Ménechme I.

CYLINDRE, cuisinier d'Erotie.

MESSÉNION, esclave de Ménechme II.

UNE SERVANTE d'Erotie.

UNE MATRONE, femme de Ménechme I.

UN VIEILLARD, beau-père de Ménechme I.

UN MÉDECIN.

ESCLAVES du vieillard.

La scène se passe à Epidamne.

 

PROLOGUE

Tout d'abord, spectateurs, Salut et Prospérité à moi et à vous : c'est par là que débutera mon message. Je vous apporte Plaute, non dans ma main, mais sur ma langue; soyez assez bons pour l'accueillir d'une oreille favorable. Et maintenant écoutez le sujet, et faites bien attention. Je vais le résumer aussi brièvement que possible.
Autre chose : vous savez ce que font nos poètes comiques. Ils sont toujours à prétendre que l'action se passe à Athènes, pour que leur ouvrage vous ait davantage l'air grec. Pour moi, je ne placerai jamais le lieu de l'action que là où, dit-on, elle s'est passée réellement (1). Ainsi donc le sujet est grécisant, sans être toutefois atticisant : ce qu'il est, c'est sicilianisant.
Après ce préambule à notre exposé, j'en viens maintenant à l'exposé lui-même, et vous aurez bonne mesure. Je n'irai pas par boisseau, ni par triple boisseau; tout le grenier y passera : tant j'ai l'humeur libérale en fait de narration.
Il y avait à Syracuse un marchand d'un certain âge. Il devint père de deux fils jumeaux.

1. Sens équivoque. On peut comprendre aussi, mais la construction est moins simple : « Pour moi, je ne placerai jamais le lieu de l'action à Athènes que quand il est dit qu'elle s'y est passée. »

Les enfants étaient d'une si parfaite ressemblance, que leur mère nourrice n'arrivait pas à les distinguer (1), elle qui leur donnait le sein, ni même leur mère véritable qui les avait mis au monde. Du moins, c'est ce que m'a dit quelqu'un qui avait vu les enfants, moi, je ne les ai pas vus, n'allez pas vous l'imaginer. — Ils avaient atteint leur septième année, lorsque leur père s'avisa de charger un grand vaisseau d'une grosse cargaison. Il embarque avec lui l'un de ses fils, et l'emmène, pour avoir une compagnie, jusqu'à Tarente où l'appelait son commerce, laissant l'autre auprès de sa mère, à la maison. Justement, à Tarente c'étaient les jeux, lorsqu'il y arriva et comme toujours, quand il s'agit de jeux, il y avait un grand concours de peuple. L'enfant s'égara dans la foule, et perdit son père. Il se trouvait là certain marchand d'Epidamne (2), notre homme enlève l'enfant et l'emmène avec lui dans son pays. Le père, désespéré d'avoir perdu son fils, en tomba malade de chagrin, et mourutà Tarente quelques jours après. Quand, à Syracuse, la nouvelle en arriva au grand-père, et qu'il sut que l'enfant avait été enlevé, que le père était mort à Tarente, il fit changer de nom le petit-fils qui lui restait. Par amour pour l'enfant disparu, il donne son nom à celui qui reste, et l'appelle désormais Ménechme (3), comme l'autre se nommait, et comme il se nommait lui-même, lui, le grand-père.

1. Le mot "mater" s'emploie en latin aussi bien pour désigner la mère que la nourrice; cf. Virgile, En. VIII, 631
"Geminos huic ubera circum Ludere pendentis pueros et lambere matrem Inpauidos".
2. Epidamne est le nom ancien de Dyrrachium, ville située sur la côte d'Illyrie, en face de" Brundusium" (Brindisi).
3. Proprement " à la lanoe ferme, inébranlable." C'est un nom d'heureux augure.

J'ai retenu le nom facilement, parce que j'étais là, quand on criait de tous côtés après l'enfant.
Ainsi, pour que vous n'alliez pas vous tromper tout à l'heure, je vous en avertis d'avance : les deux jumeaux portent le même nom.
Maintenant retournons de ce pas à Epidamne, pour vous régler jusqu'au bout le compte de cette affaire. Si quelqu'un d'entre vous veut me charger d'une commission dans cette ville, qu'il n'ait pas peur de parler et de commander; mais à condition de me donner quelque chose pour la commission. Car, si l'on ne me donne point d'argent, c'est comme si l'on chantait...; et si l'on m'en donne, ce sera bien pis encore (1).
Mais je reviens à mon point de départ, et cette fois je n'en bouge plus.
Cet Epidamnien dont je vous parlais tout à l'heure, celui qui enleva l'un des deux jumeaux, en fait d'enfants ne possédait que ses richesses. Il adopta pour fils l'enfant dérobé, le maria à une grosse dot, et en fit son héritier, quand il vint à mourir. Car un beau jour qu'il se rendait aux champs après de fortes pluies, il voulut passer à gué un fleuve rapide, pas très loin de 65 Ja ville. La rapidité du courant fit perdre pied au ravisseur, et entraîna notre homme aux cinq cent mille diables. Ainsi son fils adoptif se vit échoir une très grosse fortune : lui, il habite Epidamne, c'est le jumeau dérobé. L'autre jumeau, celui qui habite Syracuse, vient d'arriver aujourd'hui à Epidamne avec son esclave, pour tâcher d'y retrouver son frère. La ville

1. Plaisanterie traditionnelle qu'on retrouve à peu près exactement dans les mêmes termes, Prologue du Poenulus, v. 79-82.

que vous voyez est Epidamne, tout le temps que durera cette pièce. Quand on en changera, elle changera de nom, comme les acteurs changent de rôle, eux aussi : le même est tantôt léno, tantôt jeune homme, tantôt vieillard, pauvre, mendiant, roi, parasite, charlatan...
(Lacune 1)

1. Le prologue paraît être incomplet dans nos manuscrits. Le palimpseste Ambrosien a conservé la trace d'un vers qui ne figure pas dans les Palatins, mais dont le texte est indéchiffrable.

 

ACTE I

SCÈNE I

LABROSSE
Les jeunes gens m'ont surnommé Labrosse (1), parce qu'il n'est pas un repas où je ne fasse table nette. Tenir des prisonniers de guerre à la chaîne, mettre des entraves aux pieds des esclaves qui s'évadent, c'est agir bien sottement, à mon humble avis. Car si un malheureux voit son mal s'accroître d'un autre mal, il n'en a que plus envie de fuir et de mal faire. D'une manière ou d'une autre ils arrivent à se délivrer de leurs chaînes. Ceux qui ont les fers aux pieds en liment l'anneau, ou, avec une pierre, ils font sauter la clavette, c'est comme si l'on chantait. Voulez-vous garder sûrement un homme, et l'empêcher de fuir? C'est par la mangeaille et la boisson qu'il faut le retenir. Attachez lui le bec à une table bien garnie.

1. "Peniculus", diminutif de "pénis" « queue », ainsi nommé parce que la brosse était faite de la touffe de poils qui garnit l'extrémité d'une queue de vache. Cf. "penicillus" « pinceau »..

Pourvu que vous lui fournissiez et à manger et à boire à discrétion, tout son saoul, tous les jours, jamais il ne s'enfuira, j'en réponds, même si sa tête était en jeu. Pour le garder facilement, voilà de quels liens il faut le lier. Admirable élasticité de ces liens alimentaires ! Plus on les élargit, plus ils serrent. Ainsi moi, de ce pas, je m'en vais là, chez Ménechme, auquel depuis longtemps je me suis donné, pieds et poings liés (1); je cours de moi-même au devant de mes fers. Car c'est un homme, voyez-vous, qui ne se contente pas de vous nourrir; il vous engraisse, il vous remplume : il n'y a pas meilleur médecin que lui. C'est ainsi qu'il est fait, ce bon jeune homme : redoutable fourchette lui-même, tous les repas qu'il donne sont banquets de Cérés (2) : il vous y dresse de ces tables, il vous y entasse de ces montagnes de plats! Il faut monter debout sur le lit si l'on veut prendre au sommet. Mais tous ces jours-ci j'ai dû interrompre mes visites. Force m'a été de me claquemurer entre mes quatre murs avec tout ce qui m'est cher (3); car je ne mange ni n'achète que ce qu'il y a de plus cher. Mais voici : tous ces chers objets commencent à déserter la table où je les aligne; aussi vais-je maintenant retrouver mon bienfaiteur. Justement la porte s'ouvre. Hél mais c'est Ménechme en personne que je vois. Il s'apprête à sortir.

1. Il est difficile de rendre exactement le mot "iudicatus", qui fait allusion à la vieille loi romaine, en vertu de laquelle le débiteur insolvable était remis par le préteur entre les mains du créancier, qui le tenait enchaîné dans sa prison particulière, jusqu'à paiement de la créance, et qui, après soixante jours, pouvait vendre comme esclave le "iudicatus" ou le mettre à mort.
2. Aux fêtes de Cérés, "Cerialia", qui étaient célébrées à Rome du 12 au 19 avril, on offrait au peuple de grands banquets dans le cirque.
3. Ici commence une série de jeux de mots intraduisibles sur "carus" qui a les deux sens de " cher" en français. Le texte n'est d'ailleurs pas très sûr dans le passage.


(SCÈNE II)
MÉNECHME LABROSSE

MÉNECHME (le dos tourné aux spectateurs, et parlant à sa femme dans la maison). — Si tu n'étais pas une méchante bête, une sotte, une créature intraitable et insupportable, ce que tu vois déplaire à ton mari, devrait te déplaire à toi aussi. Dorénavant, à partir d'aujourd'hui, si tu me fais la même chose, à la porte! Je te répudie (1) et te renvoie chez ton père. Je ne peux pas mettre un pied dehors que tu ne me retiennes, que tu ne me rappelles; et ce sont des questions : "Où vas-tu? que fais-tu? quelle affaire as-tu en train? Qu'est-ce que tu vas chercher? Qu'est-ce que tu emportes? Qu'est-ce que tu as fait dehors? C'est un douanier que j'ai épousé : il faut que je lui déclare tout ce que j'ai fait, tout ce que je fais, sans rien omettre. Je t'ai trop gâtée. Mais voici comment j'agirai désormais. Puisque servantes, provisions, laine, bijoux, vêtements, pourpre, je te donne tout à foison, et que tu ne manques de rien, si tu ne veux pas qu'il t'arrive malheur, tu cesseras d'espionner ton mari, c'est le plus sage/Et à ce propos, afin que tu ne me surveilles pas pour rien, pour récompenser ton zèle, je me paierai aujourd'hui une fille, et je m'inviterai à souper quelque part en ville.

LABROSSE (à part). — II a l'air de s'en prendre à sa femme, et c'est à moi qu'il en à. Car s'il dîne en ville, ce n'est pas sur sa femme, mais bien sur moi qu'il se venge

1. L'adjectif "viduus" a un sens plus large que notre « veuf, veuve », et signifie « privé de femme ou de mari ». Plaute l'emploie pour qualifier Pénélope pendant l'absence d'Ulysse, cf. Stichus, v. 2.

MÉNECHME (voyant que sa femme est rentrée dans la maison). — Victoire! A force de la querellei, j'ai fini tout de même par éloigner ma femme de la porte. Où sont nos maris à bonne fortune? Pourquoi tardent-ils à venir tous m'offrir leurs présents et leurs félicitations? N'ai-je pas vaillamment soutenu leur caus? (Il fait voir un manteau dont il est affublé sous'Oon, pallium) Voici un manteau que je viens de chiper à ma femme, et que je porte à ma maîtresse. C'est ainsi qu'il faut faire : attraper avec esprit ces fines mouches qui vous surveillent. 0 le bel exploit, le bon tour, le joli trait, le coup de maître! Non sans dam pour moi, j'ai friponné ma damnée femme de ceci que je porte à ma ruine. J'ai raflé ce butin à l'ennemi, pour le plus grand bien de nos alliés.
LABROSSE (qui s'est tenu du côté opposé à la maison de Ménechme). — Hé! l'ami, n'y a-t-il rien pour moi dans ce butin?
MÉNECHME (entendant Labrosse sans le voir). — Je suis perdu, me voici tombé dans une embuscade.
LABROSSE. — Mais non, c'est un renfort qui t'arrive. N'aie pas peur.
MÉNECHME. — Qui est là?
LABROSSE. — C'est moi.
MÉNECHME. — O ma bonne chance! 0 ma bonne. Fortune! Salut! (Il lui tend la main).
LABROSSE. — Salut!
MÉNECHME. — Que deviens-tu?
LABROSSE. — Je tiens par la main droite mon bon Génie.
MÉNECHME. — Tu ne pouvais pas m'arriver plus à propos que tu n'arrives.
LABROSSE. — C'est dans ma manière : je suis passé maître dans l'art de choisir les bons moments.
MÉNECHME. — Veux-tu examiner un beau travail?
LABROSSE. — Quel est le cuisinier qui l'a mijoté? Rien qu'à voir les restes, je saurai bien s'il a fait quelque boulette.
MÉNECHME. — Dis-moi, as-tu jamais vu quelque peinture murale représentant Ganymède enlevé par un aigle, ou Adonis par Vénus?
LABROSSE. — Plus d'une fois. Mais qu'ai-je à faire avec ces peintures?
MÉNECHME (montrant la mante qu'il a sous son manteau). — Tiens, regarde-moi. Tu ne trouves pas que je leur ressemble?
LABROSSE. — Qu'est-ce que cet accoutrement?
MÉNECHME. — Avoue que je suis le plus charmant des hommes.
LABROSSE. — Où allons-nous manger?
MÉNECHME. — Dis d'abord ce que je te demande.
LABROSSE. — Soit : tu es le plus charmant des hommes.
MÉNECHME. — Tu n'as rien à ajouter de ton cru?
LABROSSE. — Et le plus gai compagnon.
MÉNECHME. — Continue...
LABROSSE. — Ma foi, non, parbleu! je ne continue pas, à moins de savoir sur quoi compter. Tu es en dispute avec ta femme : raison de plus pour que je prenne précautionneusement mes précautions avec loi.
MÉNECHME. — II faut que nous enterrions la journée, sans que ma femme sache où nous allumerons le bûcher...
LABROSSE (l'interrompant). — Ahl cette fois, voilà qui est parler d'or. Vite, quand faut-il approcher la torche? C'est que la journée est déjà morte à moitié, elle est perdue jusqu'au nombril.
MÉNECHME. — Tu te retardes toi-même, en me coupant la parole.

LABROSSE. —Ménechme, je veux bien que tu me crèves l'œil, et que tu le fasses jaillir de son orbite, si je dis encore un seul mot sans ton ordre.
MÉNECHME. — Eloigne-toi de cette porte, et viens par ici.
LABROSSE. — Volontiers.
MÉNECHME (s'éloignant davantage, en regardant derrière lui). — Viens, ça encore.
LABROSSE. — Comme tu voudras.
MÉNECHME (s'éloignant toujours de même). — Avance encore hardiment; écarte-toi de l'antre de la lionne.
LABROSSE. — Par Pollux, tu aurais fait, je pense, un fameux cocher de cirque.
MÉNECHME. — Pourquoi donc?
LABROSSE. — Tu regardes à chaque instant en arrière, de peur que ta femme ne te rattrape.
MÉNECHME. — Mais dis-moi...
LABROSSE. — Moi? Tout ce que tu veux : oui, si tu dis oui, non, si tu dis non.
MÉNECHME. — Si l'on te faisait fleurer quelque chose, pourrais-tu à l'odeur deviner... (lacune)

LABROSSE. — ... (lacune) ... C'est comme si tu consultais le collège des augures.
MÉNECHME. — Eh bien! renifle un peu cette mante que j'ai là. Qu'est-ce qu'elle sent? (Il présente le bas de la mante; Labrosse recule) Tu renâcles?
LABROSSE. — C'est par le haut qu'il faut sentir un vêtement de femme. De ce côté-ci il vous infecte le nez d'une puanteur indécrottable.
MÉNECHME. — Sens-le donc par ici, mon cher Labrosse. (Il lui présente le haut du manteau; Labrosse le flaire à peine) Tu fais joliment le dégoûté!
LABROSSE. — II y a de quoi.
MÉNECHME. — Quoi donc? Quelle odeur lui trouves-tu? Réponds.
LABROSSE. — Une odeur de vol, de fille, de dîner.
MÉNECHME. — Puisses-tu ... (lacune) ... tu as tout deviné (1) ... (lacune) Je m'en vais l'offrir à ma maîtresse, à la belle Erotie. En même temps je ferai préparer à dîner pour moi, pour toi et pour elle.
LABROSSE. — Parfait.
MÉNECHME. — Et puis nous pourrons (2) jusqu'au lever de l'étoile du matin...
LABROSSE (l'interrompant). — Bravo !Voilà qui s'appelle parler clairement. Je frappe à la porte?
MÉNECHME. — Frappe. (Labrosse frappe à coups redoublés) Ou plutôt, attends encore.
LABROSSE. — Tu retardes de mille pas l'arrivée des flacons.
MÉNECHME. — Frappe doucement.
LABROSSE. — Tu as peur, je crois, que la porte ne soit en terre de Samos? (Il frappe de nouveau).

MÉNECHME. — Attends, attends, je t'en supplie par Hercule! La voici justement qui sort. Ah! c'est le soleil que tu vois! Est-il assez éclipsé par l'éclatante splendeur qu'elle dégage?

(SCÈNE III)

EROTIE LABROSSE MÉNECHME I

EROTIE. — Bonjour mon cœur, mon cher Ménechme.
LABROSSE. — Et moi ?
EROTIE. — Tu ne comptes pas.

1. On peut suppléer: Puisses-tu (obtenir tout ce que tu souhaites de cela), tu as deviné juste. Car (justement j'ai dérobé cette mante à ma femme.)
2. Certains éditeurs lisent « Nous boirons » ("potabimus" au lieu de « Nous pourrons » ("poterimus") que donnent les manuscrits.

LABROSSE. — C'est ce qui a lieu à l'armée pour les surnuméraires.
MÉNEChME. — J'ai commandé pour aujourd'hui chez toi les apprêts d'un combat.
EROTIE. — Va pour aujourd'hui.
MÉNECHME. — Dans ce combat, nous ferons l'un et l'autre (montrant Labrosse) couler le vin. Celui de nous qui se montrera le meilleur guerrier dans cette lutte à coup de bouteilles, libre à toi de le choisir : tu décideras toi-même (1) avec lequel des deux tu passeras la nuit. 0 plaisir de ma vie que ma femme, quand je t'aperçois, me paraît odieuse!
EROTIE. — En attendant, tu ne peux t'empêcher de porter quelque chose qui soit à elle. (Prenant un pan de la mante qui dépasse) Qu'est-ce que c'est que cela?
MÉNECHME. — Une mante pour toi, dont j'ai démantelé (2 ) ma femme, ô ma rosé.
EROTIE (d'un ton radouci). — Comme tu sais t'y prendre pour prendre le dessus sur tous mes soupirants!
LABROSSE. — Une courtisane est tout miel tant qu'elle voit quelque chose à emporter. Si tu l'aimais, tu lui aurais déjà arraché le nez à belles dents.
MENECHME (se débarrassant de son pallium). — Tiens-moi ça, Labrosse. Je vais enlever ces dépouilles que j'ai fait vœu d'offrir à ma déesse.
LABROSSE. — Donne. (Ménechme reste seulement vêtu de sa tunique, avec la mante de sa femme par dessus). Mais pardieu! je t'en supplie, danse-nous donc quelque chose, comme cela, avec cette mante.
MÉNECHME. — Moi, danser? Par Hercule, tu es fou?
LABROSSE. — Qui l'est davantage, de toi ou de moi? Si tu ne danse, pas, ote-la donc.

1. Texte peu sûr.
2. J'ai repris le sens étymologique de ce verbe, qu'emploie encore d'Aubigné, pour tâcher de rendre le jeu de mot"induuiae...exuuiae".

MÉNECHME. — Quels dangers n'ai-je pas courus aujourd'hui en la dérobant ! M'est avis qu'en ravissant à Hippolyte (1) sa ceinture, Hercule n'en courut jamais d'aussi grands. Prends, prends-la pour toi, puisque seule entre toutes tu ne vis que pour me faire plaisir. N'est-ce pas ainsi que devraient en user tous les vrais amants?
LABROSSE (à part). — Oui, tous ceux qui n'ont rien de plus pressé que de courir à leur ruine.
MÉNECHME. — II y a un an que je l'ai achetée à ma femme, pour quatre mines.
LABROSSE. — Ce sont quatre mines de perdues, tout compte fait.
MÉNECHME (à Erotie). — Tu sais ce que je t'ai demandé de préparer?
EROTIE. — Oui; tout sera prêt comme tu le désires.
MÉNECHME. — Fais donc apprêter chez toi un dîner pour nous trois, et prendre au marché quelques fins morceaux : un ris de porc, un jambon salé, des têtes de cochon, ou quelque chose de la sorte. Enfin que tous les plats bien mijotés, bien servis, me donnent une faim de vautour. Et tout de suite.
EROTIE. — Volontiers, par Castor.
MÉNECHME. — Nous, nous allons au forum; nous serons de retour dans un instant. Pendant que ça cuira, nous viderons quelques coupes.
EROTIE. — Viens quand tu veux; tout sera prêt.
MÉNECHME. — Fais vite, en tout cas. (A Labrosse) Suis-moi.
LABROSSE. — Parbleu oui !je te suis, et je ne te quitte
pas de l'œil; je ne voudrais pas te perdre aujourd'hui pour tous les trésors des dieux. (Ils sortent).

1. Allusion au combat d'Hercule contre l'Amazone, dont parle Diodore de Sicile IV, 16, combat dans lequel il s'empara de la ceinture qu'Ares avait donnée à Hippolyte, pour en faire ensuite présent à Admète, fille d'Eurysthée. — Cette réflexion de Méneoume est attribuée par quelqjues éditeurs à Labrosse.

EROTIE (à ses esclaves). — Faites-moi venir tout de suite mon cuisinier Cylindre.


(SCÈNE IV)

EROTIE CYLINDRE

EROTIE. — Prends ton panier et de l'argent; tiens, voici trois écus.

CYLINDRE. — Je les tiens.
EROTIE. — Va faire ton marché et rapporte-nous les provisions. Il faut qu'il y en ait assez pour trois personnes : ni trop, ni trop peu.
CYLINDRE. — Qu'y aura-t-il en fait de convives?
EROTIE. — Moi, Ménechme, et son parasite.
CYLINDRE. — Alors, cela fait dix personnes. Car le parasite en vaut bien huit à lui tout seul.
EROTIE. — Je t'ai nommé tous les convives; le reste te regarde.
CYLINDRE. — Parfaitement. Tout est cuit; tu peux dire qu'on se mette à table.
EROTIE. — Reviens vite.
CYLINDRE. — A l'instant. (Ils sortent).


(ACTE II)

(SCÈNE I)

MÉNECHME II MESSÉNION

MÉNECHME II (arrivant du côté du port). — Non, Messénion, il n'y a pas, je crois, de plaisir plus grand pour le navigateur que d'apercevoir du large la terre à l'horizon.
MESSÉNION. — Pour ne point mentir, il y en a un plus grand, c'est de voir la terre natale, et d'arriver chez soi. Mais pourquoi, je te prie, sommes-nous maintenant venus à Epidamne? Est-ce que nous allons faire, comme la mer, le tour de toutes les îles?
MÉNECHME II. — C'est pour chercher mon frère jumeau.
MESSÉNION. — Quel sera donc le terme de nos recherches ?Voilà six ans que nous ne faisons pas autre chose. Histriens, Espagnols, Marseillais, Illyriens, mer Adriatique tout entière, Grèce extérieure (1), côtes d'Italie autant qu'en baigne la mer, nous avons tout visité. Si c'était une aiguille que tu cherchais, je crois que, si elle y était, tu l'aurais trouvée depuis longtemps. C'est un mort que nous voulons retrouver parmi les vivants; car, s'il vivait encore, il y a belle lurette que nous l'aurions découvert.
MENECHME II. — Alors, je veux trouver quelqu'un qui puisse m'en assurer, qui me déclare qu'il est absolument sûr de sa mort; en ce cas, je ne poursuivrai pas ma recherche plus loin. Autrement, tant que je vivrai, je ne cesserai jamais de rechercher sa trace. Il n'y a que moi qui sache combien il est cher à mon cœur.

1. C'est-à-dire la Grande Grèce, et les colonies fondées par les diverses métropoles.

MESSÉNION. — C'est chercher un noeud dans un jonc (1). Ne vaudrait-il pas mieux retourner chez nous, à moins que nous ne voulions écrire un jour l'histoire (2)?
MÉNECHME II (avec humeur). — Fais ce qu'on te dit, mange ce qu'on te donne, et prends garde à toi. Ne m'ennuie pas plus longtemps; ce n'est pas toi qui me commanderas.
MESSÉNION. — Ah! voilà un mot qui me rappelle au sentiment de ma servitude. Impossible de s'exprimer plus clairement en si peu de mots. Mais pourtant, je ne peux pas, malgré tout, m'empêcher de parler. Ecoute, Ménechme : à bien inspecter notre bourse, parbleu, il appert que nous sommes tout ce qu'il y a de plus légèrement équipés. Je t'assure, par Hercule, que si tu ne retournes au logis, le temps est proche où, n'ayant plus rien, tu gémiras d'avoir cherché ton jumeau. Je sais comment sont faits les gens de ce pays : les Epidamniens sont de grands noceurs et de grands buveurs, la ville abonde en intrigants et en escrocs de tout poil.Et les filles de joie donc! Il n'y a pas de pays, dit-on, où elles sachent mieux vous prendre. C'est pour cela qu'on a donné à la ville le nom d'Epidamne : c'est parce qu'on n'y peut séjourner qu'à son dam.
MÉNECHME II. — C'est bon, je tiendrai compte de tes recommandations. En attendant, donne-moi donc la bourse.

1. Expression correspondant à notre : Autant vouloir tondre un oeuf.
2. Comme un Hérodote, qui a fait l'histoire des régions qu'il a parcourues.

MESSÉNION. — Que veux-tu en faire?
MÉNECHME II. — Tes paroles m'ont donné des craintes sur ton compte.
MESSÉNION. — Qu'est-ce que tu crains?
MÉNECHME II. — Que tu ne visites à mon grand dam Epidamne.Tu es grand amateur de femmes, Messénion; moi, je suis colère, de tempérament emporté. Je préviendrai, en tenant la bourse, deux désagréments : pour toi celui de te mettre en faute, pour moi celui de me fâcher.
MESSÉNION. — Tiens, garde; tu me feras plaisir.

1. Le texte latin présente ici quelques petites lacunes. Le sens général est sûr.

(SCÈNE II)

CYLINDRE MÉNECHME II MESSÉNION

CYLINDRE. — Je suis content, j'ai trouvé au marché tout ce que je voulais; je pourrai servir à mes dîneurs un bon dîner. (Apercevant Ménechme II) Mais c'est Ménechme que je vois là! Gare à mon dos! Les convives se promènent déjà devant la porte, et je ne suis pas encore revenu du marché. Accostons-le, et parlons lui. Bonjour, Ménechme.
MÉNECHME II. — Te bénissent les dieux, qui que tu sois.
CYLINDRE. — Qui que tu sois, dis-tu. Comment cela? Tu ne sais pas qui je suis (1)?
MÉNECHME II. — Ma foi non, absolument pas.
CYLINDRE (regardant autour de lui). — Où sont les autres convives?
MÉNECHME II (étonné). — Après quels convives cherches-tu?
CYLINDRE. — Après ton parasite.
MÉNECHME II. — Mon parasite? (A Messénion) Certainement, c'est un fou.
MESSÉNION (bas à Ménechme). — Ne t'avais-je pas dit qu'il y avait ici des tas d'aigrefins?
CYLINDRE. — * * * * * * * * * (1).
MÉNECHME II (à Cylindre). — Dis-moi, l'ami; comment se nomme ce mien parasite après qui tu cherches?
CYLINDRE. — Labrosse.
MESSÉNION. — Justement, je l'ai là, bien en sûreté, dans ma valise.
CYLINDRE. — Tu viens de bien bonne heure pour dîner, Ménechme. Je reviens seulement du marché.
MÉNECHME II (fouillant dans sa bourse). — Réponds-moi, l'ami : combien se vendent ici les porcs sans défauts (2) pour les sacrifices?
CYLINDRE. — Un denier.
MÉNECHME II. — Tiens, prends-moi celui-là; fais-toi exorciser (3) sur mon argent, car je suis bien sûr que tu es fou, pour te moquer ainsi d'un inconnu, qui que tu sois.
CYLINDRE. — C'est moi, Cylindre : voyons, tu ne connais pas mon nom?
MÉNECHME II. — Que tu sois Cylindre ou Coriandre (4), va te faire pendre. Je ne te connais pas, et n'ai aucune envie de te connaître.

1. Ici, un vers conservé seulement dans le palimpseste, mais mutilé et indéchiffrable.
2. Ce semble être le sens de l'adjectif "sinceri" dans l'expression de la langue religieuse employée par Ménechme. Le pluriel "sacres" au lieu de "sacri" est d'origine dialectale.
3. Ou « purifier ». La folie est souvent une malédiction envoyée par les dieux en punition d'une faute.
4. Forme du nom très incertaine.

CYLINDRE (insistant). — Voyons, tu as bien nom Ménechme.
MÉNECHME II. — Autant que je sache. Tu parles sensément quand tu m'appelles par mon nom. Mais où diable as-tu fait ma connaissance ?
CYLINDRE (stupéfait). — Où j'ai fait ta connaissance ? Toi, l'amant d'Erotie, ma maîtresse, qui habite ici?
MÉNECHME II— Moi? Ma foi non, je ne suis pas son amant, et je ne sais qui tu peux bien être.
CYLINDRE. — Tu ne sais pas qui je suis ? Je te verse pourtant assez souvent à boire (1), quand tu fais bombance chez nous.
MESSÉNION (à part). — Ah, malheur! Dire que je n'ai rien pour casser la tête à ce coquin!
MÉNECHME II (haussant peu à peu le ton). — Tu as l'habitude de me servir à boire, moi qui avant aujourd'hui n'avais jamais vu Epidamne, moi qui n'y suis jamais venu?
CYLINDRE. — Quoi, tu nies?
MÉNECHME II. — Morbleu, oui, je nie.
CYLINDRE. — Ce n'est pas toi qui habites dans cette maison ? (Il montre la maison de Ménechme I).
MÉNECHME II. — Que les dieux confondent les gens qui l'habitent!
CYLINDRE (à part). — II faut qu'il soit fou, pour se maudire ainsi lui-même. (Haut) Ecoute, Ménechme.
MÉNECHME II. — Que veux-tu?
CYLINDRE. — Si tu m'en croyais, avec cet écu que tu m'as promis de me donner tout à l'heure — car vrament, Ménechme, par Hercule, tu n'es certes pas, dans tout ton bon sens, en te maudissant toi-même — tu ferais bien de te procurer à ma place un porcelet de sacrifice.

1." cyathisso" littéralement « te verse avec le cyathos ». Le cyathos, en Grèce, était une sorte de gobelet avec lequel on puisait le vin du cratère pour le verser dans les coupes. Le verbe, formé sur le modèle des verbes grecs, est sans doute une création plautinienne.

MÉNECHME II. — Dieux! l'ennuyeux bavard et l'assommant personnage!
CYLINDRE (aux spectateurs). — II a souvent l'habitude de plaisanter sur ce ton avec moi, II n'y a pas d'homme aimant mieux rire que lui, quand sa femme n'y est pas. (A Ménechme II) Dis-moi. (Ménechme fait semblant de ne pas entendre) Dis-moi, te dis-je. (Montrant son panier) Avec les provisions que tu vois là-dedans, penses-tu qu'il y ait suffisamment pour vous trois ou faut-il acheter quelque chose de plus pour toi, pour ton parasite, et pour ta belle?
MÉNECHME II. — Qu'est-ce que tu me chantes, avec tes belles,et tes parasites?
MESSÉNION (à Cylindre, d'un ton menaçant). — Quelle rage te tourmente de l'embêter de la sorte?
CYLINDRE. — De quoi te mêles-tu? Je ne le connais pas, moi, c'est à lui que je parle, et lui, je le connais.
MESSÉNION. — Pardieu, tu es malade, j'en suis sûr et certain.
CYLINDRE. — Hé bien, je vais m'arranger pour que tout soit cuit dans un instant. Ce sera vite fait. Ainsi, ne t'éloigne pas trop de la maison. Tu n'as plus rien à me demander?
MÉNECHME II. — Si, d'aller aux cinq cent mille diables.
CYLINDRE. — C'est toi, parbleu, qui ferais mieux d'aller te mettre à table, pendant que j'expose tout ceci à la violence de Vulcain.Je rentre, et je dirai à Erotie que tu restes à la porte, afin qu'elle vienne te chercher plutôt que de te laisser dehors en sentinelle. (Il rentre dans la maison).
MÉNECHME II. — Est-il parti, à la fin ? Oui, il est
parti. Ma foi, tu ne m'avais pas menti, je m'en aperçois.

MESSÉNION. — Seulement, fais bien attention. Car c'est ici, je crois bien, qu'habite la demoiselle en question, d'après ce qu'a dit cette espèce de fou qui vient de s'en aller.
MÉNECHME II. — Mais comment a-t-il pu savoir mon nom? Cela m'étonne.
MESSÉNION. — Parbleu! cela n'a rien d'étonnant. C'est l'habitude des courtisanes d'envoyer au port leurs jeunes esclaves, garçons ou filles. Si quelque vaisseau étranger entre dans le port, elles s'efforcent de savoir par là de quel pays il est, comment s'appelle son propriétaire. Ensuite, sans perdre une minute, elles s'accrochent, elles se collent à leur homme; et si elles réussissent à l'embobeliner, il n'a plus un sou quand elles le renvoient chez lui. (Montrant la maison d'Erotie) Hé bien ! Il y a là dans ce port un corsaire qui te guette; je crois que nous ferons bien de nous en méfier.
MÉNECHME II. — Parbleu! Le conseil est bon.
MESSÉNION. — Je ne pourrai savoir s'il est bon que si toi-même tu fais bonne garde.
MÉNECHME II. — Tais-toi un peu. La porte a craqué. Voyons qui sort de là.
MESSÉNION. — En attendant, je dépose ceci. (Il se débarrasse de la valise qu'il porte, et la donne aux matelots qui le suivent) Ayez l'œil sur ceci, vous autres, hé là, les rameurs (1)!


1. Proprement « les pieds (c.-à-d. les jambes) des vaisseaux ». Mais la traduction littérale serait inintelligible en français.

(SCÈNE III)

EROTIE MÉNECHME II MESSÉNION

EROTIE (sortant de chez elle, et s'adressant à Cylindre qui veut fermer la porte). — Laisse la porte comme cela, va; je ne veux pas qu'elle soit fermée. Rentre, prépare tout, aie soin de tout, veille à tout : qu'on fasse bien tout ce qu'il faut. (A d'autres esclaves, à l'intérieur de la maison) Vous autres, dressez les lits, brûlez des parfums (1), le luxe est un appât pour les amants. Son agrément fait leur ruine, et notre profit. (Cherchant Ménechme) Mais où est-il donc ? Mon cuisinier m'avait dit qu'il était devant la maison. Ah! le voici, je le vois, cet ami qui m'est si utile et si précieux. De mon côté, en revanche, je sais reconnaître ses mérites; il est chez nous le préféré. Approchons-nous, et parlons-lui la première. (A Ménechme II, d'un ton câlin) Mon cher petit cœur, comment se fait-il que tu restes ici, devant le seuil, toi à qui ma porte est toujours ouverte, plus que celle de ta propre maison ?
N'es-tu pas ici chez toi? Tout est prêt (lacune (2)) comme tu l'as demandé, comme tu l'as voulu, et ce n'est pas moi qui te ferai attendre. On a suivi tes ordres pour le dîner. Nous pouvons nous mettre à table quand il te plaira.

1. C'était la coutume dans les repas luxueux non seulement d'enduire de parfums les convives et de les couronner de fleurs, mais de brûler des aromates dans des cassolettes. Cicéron signale cet usage dans la description du repas que Denys le Tyran offre à Damoclès : "Aderant unguenta, coronae; mensae conquisitissimis epulis extruebantur". (Tusculaues, 1. V, en. XXI, § 62).
2. Le palimpseste ambrosien a trace d'un ou deux mots, du reste illisibles, entre "paratumst et ut iussisti". Les manuscrits palatins, suivis entre autres par Léo et Lindsay, lient directement "paratumst" à "ut iussisti".

MÉNECHME II. — A qui en a cette femme?
EROTIE. — Mais à toi.
MÉNECHME II (à Erotie). — Qu'avons-nous jamais eu de commun ensemble? et qu'ai-je affaire avec toi aujourd'hui?
EROTIE. — II y a, par Pollux, que c'est à toi seul entre tous que Vénus a voulu que je réserve mon amour et mon estime, comme tu le mérites. Par Castor, n'est-ce pas à ta seule générosité que je dois toute cette brillante fortune ?
MÉNECHME II (bas à Messénion). — Sûrement, Messénion, cette femme est folle ou ivre, pour me parler si familièrement, à moi, un homme qu'elle ne connaît pas.
MESSÉNION (bas à Ménechme). — Ne t'avais-je pas dit que c'était ici l'habitude ? Ce ne sont encore que des feuilles qui tombent, en comparaison de ce que ce sera dans trois jours, si nous restons ici, alors ce sera des arbres qui te tomberont dessus. Les courtisanes d'ici sont toutes les mêmes : pour escamoter votre argent, à elles le pompon. Mais laisse-moi lui parler un peu. (Haut) Hé! la belle (Erotie reste tournée du côté de Ménechme), j'ai un mot à te dire.
EROTIE. — Qu'est-ce?
MESSÉNION. — Où as-tu connu cet homme?
EROTIE. — Mais, là même où il m'a connue moi-même, et il y a beau temps, à Epidamne.

MESSÉNION. — A Epidamne ? il n'y a jamais mis le pied jusqu'à ce jour.
EROTIE. — Tu veux plaisanter, je crois. (A Ménechme II) Mon cher Ménechme, je t'en prie, pourquoi n'entres-tu pas? Tu seras bien mieux chez moi.
MÉNECHME II. — Pardieu, il n'y a pas d'erreur; elle
m'appelle bien par mon nom. Quelle étrange histoire ! Je n'y comprends rien.
MESSÉNION (bas à Ménechme). — Elle a flairé la bourse que tu as là.
MÉNECHME II. — Parbleu, oui! et tu as eu raison de m'en faire souvenir. Tiens, prends-la. Je vais voir si c'est moi qu'elle aime, ou ma bourse.
EROTIE. — Entrons nous mettre à table.
MÉNECHME II (se défendant). — Tu es trop bonne; merci.
EROTIE. — Alors, pourquoi m'as-tu dit tantôt de te faire préparer à dîner?
MÉNECHME II. — Moi, je t'ai fait préparer à dîner?
EHOTIE. — Bien sûr, pour toi et pour ton parasite.
MÉNECHME II. — Hé, mordieu, quel parasite? Cette femme est folle, sûrement.
EROTIE. — Labrosse.
MÉNECHME II. — Qu'est-ce que c'est que cette brosse-là ? Celle qui sert à décrotter les souliers ?
EROTIE. — Mais Labrosse, voyons, qui est venu avec toi tout à l'heure, quand tu m'as apporté la mante que tu avais dérobée à la femme.
MÉNECHME II. — Hein, quoi? Je t'ai donné une mante, que j'ai dérobée à ma femme? Tu n'es pas folle? Sûrement, elle est comme les chevaux hongres, elle rêve tout debout.
EROTIE. — Quel plaisir as-tu à te moquer de moi, et à vouloir me nier ce qui est ?
MÉNECHME II. — Dis-moi : qu'est-ce que j'aurais fait et que je nie ?
EROTIE. — Tu ne m'as pas donné aujourd'hui une mante de ta femme ?
MÉNECHME II. — Non, cent fois non, et je le nie encore. Jamais, au grand jamais je n'ai eu de femme, ni autrefois, ni maintenant; et jamais, depuis que je suis né, je n'ai mis le pied dans cette ville, jamais je n'en ai franchi la porte. J'ai déjeûné à bord de mon vaisseau; je l'ai quitté pour venir ici; et je viens seulement de te rencontrer.
EROTIE. — Ça y est! Misère de moi, je suis perdue !Qu'est-ce que cette histoire ? De quel vaisseau s'agit-il ?
MÉNECHME II. — D'un vaisseau de bois, souvent avarié (1 ), souvent recloué, souvent retapé. C'est comme un atelier de pelletier; les chevilles y sont les unes contre les autres (2).
EROTIE. — De grâce, cesse cette plaisanterie, et viens avec moi.
MÉNECHME II. — Je ne sais à qui tu en veux, ma belle, mais en tout cas ce n'est pas à moi.
EROTIE. — Voyons, je ne te connais pas, toi, Ménechme, fils de Moschus, né, comme chacun sait, à Syracuse en Sicile, où régna le roi Agathocle, ensuite Phintias, puis en troisième lieu Liparon, qui laissa en mourant le sceptre à Hiéron, lequel Hiéron règne à présent?
MÉNECHME II. — C'est exact, ma belle, tu ne mens pas.
MESSÉNION. — O Jupiterl Est-ce qu'elle vient de là-bas pour te connaître si bien?
MÉNECHME II. — Pardieu, il n'y a pas moyen, je pense, de lui dire non plus longtemps.
MESSÉNION. — N'en fais rien. Tu es perdu, si tu passes le seuil de cette porte.
MÉNECHME II. — Allons, tais-toi donc. (A part) C'est une bonne affaire. Je répondrai oui à tout ce qu'elle me dira, et je me ferai héberger à ce prix. (Bas à Erotie) Vois-tu, ma belle, j'avais mes raisons de te contredire tout à l'heure. Je craignais que ce drôle n'aille tout raconter à ma femme, à propos du dîner et de la mante. Maintenant, je suis à toi, entrons.
EROTIE. — Tu n'attends pas ton parasite ?

1. Certains traduisent "tritam" par « raboté, aplani ».
2. Il s'agit sans doute des chevilles auxquelles on accrochait les peaux pour les étendre et les faire sécher.

MÉNECHME II. — Ma foi, non !Je me moque bien de lui. Et même s'il vient, je défends qu'on le fasse entrer.
EROTIE. — Ma foi, voilà un ordre que j'exécuterai de grand cœur. Mais sais-tu ce que tu devrais faire pour me faire plaisir?
MÉNECHME II. — Tu n'as qu'à commander.
EROTIE. — Tu sais bien, la mante que tu m'as donnée tantôt, si tu la portais chez le brodeur, pour la faire rectifier, et y ajouter quelques ornements dont j'ai envie ?
MÉNECHME II. — Par Hercule, c'est une bonne idée.çon on ne la reconnaîtra pas et si ma femme
EROTIE. — Ainsi, tu l'emporteras tout à l'heure avec toi, en t'en allant.
MÉNECHME II. — Entendu.
EROTIE. — Entrons.
MÉNECHME II. — Je te suis. (Montrant Messénion) J'ai un mot à lui dire. Messénion, approche.
MESSÉNION. — Qu'y a-t-il ?### (1) Qu'en est il de cela ?
MÉNECHME II. — II en est besoin. Je sais ce que tu vas dire de moi...
MESSÉNION. — Tant pis pour toi.
MÉNECHME II. — Le butin est à moi; j'ai amorcé une de ces manœuvres! Va le plus vite que tu peux; emmène tes gens sans retard à l'auberge. Quant à toi, arrange-toi pour venir à ma rencontre avant le coucher du soleil.
MESSÉNION. — Tu ne connais pas ce genre de femmes, mon maître.
MÉNECHME II. — Silence, te dis-je * * * (2). C'est mo iqui en pâtirai, et non toi, si je fais une sottise. Cette femme est une sotte, une imbécile. D'après ce que j'ai pu voir tout à l'heure, il y a ici une riche proie qui nous attend.

1. La fin du vers est corrompue et inintelligible. Peut-être Ménechmo II répondait-il à Messéniou, en lui donnant à garder sa bourse ou son manteau. Du reste, la répartition du dialogue n'est pas très sûre.
2. La fin du vers manque dans les manuscrits.

MESSÉNION. — Je suis perdu. (Voyant Ménechme II entrer chez Erotie) Tu t'en vas déjà? — II est perdu, bel et bien. Notre barque court à sa ruine, à la remorque d'un corsaire. Mais je suis bien sot de prétendre régenter mon maître. Il m'a acheté pour lui obéir, et non pour lui commander. (A ses compagnons) Suivez-moi vous autres, que j'aie le temps de revenir le chercher, comme il m'en a donné l'ordre. (Il sort avec les marins).

(ACTE III)

(SCÈNE I)

LABROSSE
Depuis plus de trente ans que je suis né, jamais, non, mais jamais je n'ai fait pire bourde, ni plus funeste que celle que j'ai commise aujourd'hui, en allant, comme un pauvre sot, me fourrer au beau milieu de l'assemblée. Pendant que j'étais là à bayer aux corneilles, Ménechme m'a planté là en douceur. II s'en est allé, bien sûr, chez sa maîtresse, sans vouloir m'emmener. Que tous les dieux confondent celui qui le premier inventa les assemblées populaires, pour donner de l'occupation aux gens occupés! N'aurait-il pas mieux valu choisir les désœuvrés pour cet office, et s'ils ne se rendaient pas à la convocation, saisir immédiatement leurs biens? (Lacune de deux vers (1).
Il y a bien assez de gens pour se contenter d'un seul repas par jour, des gens qui n'ont rien à faire, qui n'invitent ni ne sont invités à dîner! C'est à eux de donner leur temps aux assemblées et aux comices,
Si les choses se passaient ainsi, je n'aurais pas aujourd'hui perdu un dîner (prenant un ton d'ironie), que pourtant, je crois, on avait bien l'intention de me donner, aussi vrai que je suis sûr d'être en vie (2). Allons; j'ai encore l'espoir de quelques restes pour me consoler. Mais que vois-je? Ménechme qui sort avec une couronne sur la tête. La table est desservie; par Pollux, j'arrive juste à temps pour le reconduire. Observons d'abord ce qu'il fait, ensuite je l'accosterai pour lui parler.

(SCÈNE II)

MÉNECHMEII LABROSSE

MÉNECHME II (à Erotie dans la maison). — Tu peux être tranquille; (lui montrant la mante qu'il tient); je vais aujourd'hui même te la faire arranger joliment, gentiment, et je te la rapporterai tout aussitôt. Je te promets que tu ne pourras plus dire que c'est elle, tant elle sera méconnaissable.

1. Le palimpseste a ici gardé la trace de deux vers (ou d'un vers écrit sur deux lignes), dont les restes mutilés n'offrent malheureusement aucun sens.
2. Texte peu sûr.

LABROSSE. — II va porter la mante chez le brodeur, maintenant que le dîner est mangé, le vin bu, et le parasite laissé à la porte. Par Hercule, je veux perdre mon nom, si je ne tire de cet affront une belle vengeance. Vous allez voir ce que je lui réserve.
MÉNECHME II (sans voir Labrosse). — Oh dieux immortels, avez-vous jamais envoyé à un homme plus belle aubaine, et plus inattendue ? J'ai bien mangé, bien bu, avec une jolie fille attablée à mes côtés et j'emporte cette mante que la belle ne reverra jamais plus.
LABROSSE (qui s'efforce vainement d'entendre les propos de Ménechme). — Impossible de mon coin d'entendre ce qu'il dit. Maintenant qu'il a le ventre plein, parlerait-il de moi, et de la part qu'il m'a laissée ?
MÉNECHME II (de même). — Elle prétendait que je la lui ai donnée, après l'avoir dérobée à ma femme. Quand j'ai compris son erreur, je me suis mis aussitôt à opiner, comme si j'étais de mèche avec elle (1) à tout ce qu'elle disait, je disais de même. Bref, je n'ai jamais été mieux traité à meilleur compte.
LABHOSSE (s'avançant vers lui). - Accostons-le; je grille de le secouer.
MÉNECHME II. — Quel est cet homme qui vient à ma rencontre ?
LABROSSE. — Eh bien, misérable, plus volage que la plume, coquin et vaurien sans pareil, infâme, traître, mauvais sujet! Que t'ai-je fait pour vouloir me perdre ? Comme tu m'as lâché tout à l'heure, au forum! Tu as enterré le dîner, sans moi. Comment as-tu osé pareille chose ? N'avais-je pas ma part dans l'héritage ?

1. Certaine éditeurs entendent "res" comme une litote pour désigner les rapports amoureux et traduisent " comme si j'étais son amant". Mais ce sens ne me paraît pas convenir ici.

MÉNECHME II. — Ah ça, mon garçon, qu'est-ce que nous avons à démêler ensemble, pour que tu viennes insulter un homme que tu ne connais pas, sans savoir pourquoi ? Veux-tu qu'on te fasse un mauvais parti pour tes insolences?
LABROSSE. — Parbleu, tu me l'as déjà fait; je ne le vois que trop.
MÉNECHME II. — Réponds-moi, l'ami, quel est ton nom?
LABROSSE. — Tu te moques encore! Comme si tu ne savais pas mon nom.
MÉNECHME II. — Non, ma foi, non; jamais, que je sache, je ne t'ai vu avant aujourd'hui, et je ne te connais pas le moins du monde. Mais ce qui est sûr, c'est que, qui que tu sois, tu ferais bien, je te conseille, de ne pas m'ennuyer.
LABROSSE. — Ménechme, réveille-toi.
MÉNECHME II. — Mais, morbleu! je suis bien éveillé, que je sache.
LABROSSE (d'un ton d'affectueux reproche). — Tu ne me connais pas ?
MÉNECHME II. — Si je te connaissais, je n'irais pas le nier.
LABROSSE. — Tu ne connais pas ton parasite ?
MÉNECHME II. — Tu as le cerveau dérangé, mon garçon, à ce que je vois.
LABROSSE (touchant la mante que tient Ménechme). — Réponds : n'as-tu pas chipé aujourd'hui à ta femme cette mante, pour la donner à Erotie ?
MÉNECHME II. — Eh! par Hercule! je n'ai pas de femme, je n'ai rien donné à Erotie, pas plus que je n'ai chipé de mante. Tu n'es pas fou?
LABROSSE (avec un geste de désespoir). — Tout est perdu. Je ne t'ai pas vu sortir de chez toi, affublé de cette mante ?
MÉNECHME II. — La peste de toil Prends-tu tous les gens pour des mignons, parce que tu en es un ? Tu prétends m'avoir vu affublé d'une mante de femme?
LABROSSE. — Oui, parbleu, assurément.
MÉNECHME II. — Va-t-en où tu mérites d'aller, ou fais-toi désensorceler, archifou.
LABROSSE. — Non, par Pollux, il n'y aura pas de prière qui puisse m'empêcher d'aller de ce pas raconter toute l'affaire à ta femme, dans tous ses détails. Tu me paieras cher tous tes affronts. Laisse-moi faire; ce n'est pas impunément que tu auras mangé tout le dîner. (Il entre chez Ménechme I).
MÉNECHME II (seul). — Qu'est-ce que cela veut dire? Tous les gens que je rencontre se sont donc donné le mot pour s'amuser à nos dépens ? (Regardant du côté de la maison d'Erotie) Mais j'entends grincer la porte.

(SCÈNE III)

UNE SERVANTE MÉNECHME II

LA SERVANTE (se dirigeant vers Ménechme, un bracelet à la main). — Ménechme, Erotie dit qu'elle te serait très obligée de porter par la même occasion ceci chez le bijoutier, d'y faire ajouter une once d'or, et de faire remettre à neuf son bracelet. (Elle lui donne le bracelet).
MÉNECHME II. — Entendu. Je m'en chargerai, comme de tout ce qu'il lui plaira de me commander. Dis-le lui; elle n'a qu'à parler.
LA SERVANTE. — Tu ne sais pas ce que c'est que ce bracelet ?
MÉNECHME II. — Ma foi non, sauf qu'il est en or.
LA SERVANTE. — C'est celui que tu as chipé jadis, secrètement, à ta femme dans son armoire : c'est toi-même qui nous l'as dit.
MÉNECHME II. — Moi ? jamais de la vie!
LA SERVANTE. — Tu ne t'en souviens pas, miséricorde! Alors rends-moi le bracelet, si tu manques de mémoire.
MÉNECHME II. — Un moment. Parbleu, oui, je m'en souviens : c'est bien celui que je lui ai donné.
LA SERVANTE. — Lui-même.
MÉNECHME II— Où sont les grands bracelets que je lui ai donnés en même temps ?
LA SERVANTE. — Jamais tu ne lui en as donné.
MÉNECHME II— Si, parbleu; je les lui ai donnés avec celui-ci (1).
LA SERVANTE. — Je peux lui dire que tu feras sa commission?
MÉNECHME II— Oui, on s'en chargera. Je m'arrangerai pour qu'on lui rapporte en même temps et la mante et le bracelet.
LA SERVANTE. — Je t'en prie, mon cher Ménechme, donne-moi des boucles d'oreilles, fais-moi faire des pendeloques du poids de deux drachmes, pas plus, pour que j'aie plaisir à te voir, quand tu viendras chez nous.
MÉNECHME II. — Volontiers. Fournis l'or, je paierai la main d'œuvre.
LA SERVANTE. — Fais m'en l'avance, veux-tu ? Je le le rendrai sans faute.
MÉNECHME II. — Non, fournis-le toi-même; je te le rendrai au double.

1. Texte peu sûr.

LA SERVANTE. — Je n'ai pas d'argent.
MÉNECHME II. — Hé bien, quand tu en auras, tu me le donneras.
LA SERVANTE. — Tu n'as plus besoin de moi ?
MÉNECHME II. — Non, dis-lui que je ferai tout mon possible... (à part, en baissant la voix) pour que tout cela soit vendu, le plus tôt possible, à son juste prix. (La servante rentre chez Erotie) Est-elle enfin rentrée? Oui, la voilà partie, elle a fermé la porte...(1). En vérité tous les dieux m'aident, me comblent, me chérissent. Mais ne perdons pas de temps, profitons de l'occasion qui nous est offerte, et filons de ces lieux de maquerellage. Vite, Ménechme; en avant, marche! Otons cette couronne, et jetons-la à notre gauche, de façon que, si l'on se met à ma poursuite, on me croie parti de ce côté. Et maintenant, je vais tâcher, si je peux, de rejoindre mon esclave, pour lui faire part de toutes les aubaines que les dieux m'envoient. (Il sort par la porte de droite).

1. Lacune d'un vers.

(ACTE IV)

(SCÈNE I)

LA FEMME DE MÉNECHME LABROSSE

LA FEMME (continuant la conversation qu'elle a commencée avec Labrosse). — Et je souffrirais, moi, d'être ainsi dupe dans mon ménage, et de voir mon mari faire main basse en cachette sur tout ce qu'il y a dans la maison, pour aller le porter à sa maîtresse?
LABROSSE. — Tais-toi, te dis-je. Je te le ferai prendre en flagrant délit. Suis-moi seulement par ici. Ivre, une couronne sur la tête, il s'en allait porter au brodeur la mante qu'il t'a dérobée aujourd'hui. (Apercevant par terre la couronne jetée par Ménechme II) Justement, voici la couronne qu'il avait. Suis-je un menteur? Tiens, c'est par là qu'il a pris, si tu veux le suivre à la trace. (Ménechme I apparaît par la coulisse de gauche) Et, par Pollux, le voici qui revient tout à point. Mais il n'a pas la mante.
LA FEMME. — Comment dois-je agir maintenant avec lui?
LABROSSE. — Comme d'habitude : fais-lui la vie dure; tel est mon avis (1). Retirons-nous de ce côté. Mets-toi aux aguets, et ne le perds pas de vue. (Ils se retirent dans le fond de la scène de façon à n'être pas aperçus).

(SCÈNE II)

MÉNECHME SA FEMME LABROSSE

MÉNECHME I. — Quelle sotte et insupportable manie nous avons tous, et surtout les gens de la haute, quelle manie nous avons de vouloir augmenter sans cesse le nombre de nos clients. Qu'ils soient honnêtes ou malhonnêtes, on ne s'en préoccupe pas, c'est de la fortune du client qu'on s'inquiète, bien plus que de sa probité.

1. Certains éditeurs attribuent "Sic censeo" à la femme de Ménechme

Est-il honnête, mais pauvre, il passe pour un homme de rien, est-il malhonnête, mais riche, on le tient pour le meilleur des clients. Et ces gens sans foi ni loi, que de soucis ne causent-ils pas à leurs patrons !Ce qu'on leur a donné, ils nient l'avoir reçu, toujours fourrés dans les procès, voleurs, escrocs et fourbes, qui ne doivent leur fortune qu'à l'usure ou au parjure; ils n'ont en tête que la chicane (1). Lorsqu'on les cite en justice, on cite en même temps leurs patrons; car ceux-ci sont bien forcés d'aller parler pour excuser leurs coquineries et l'affaire est portée devant le peuple, ou devant le préteur, ou devant un arbitre (2)... C'est ainsi qu'aujourd'hui, un maudit client m'a tracassé de toutes les manières, sans que j'aie rien pu faire de ce que je voulais, tant il m'a tenu, retenu et détenu.
J'ai dû le défendre devant les édiles pour des méfaits aussi graves que nombreux; j'ai proposé des arrangements compliqués, pleins d'embûches. J'en avais dit à la fois plus et moins qu'il ne fallait dans le débat, pour qu'il y eût un compromis sous garantie. Et que fait notre homme? Ne s'est-il pas vu forcé de donner caution (3)?

1. Le texte du vers 584 est mutilé et altéré dans les manuscrits. Les Palatins portent "mensae in quo ire", dans l'Ambrosien on croit entrevoir "inquola" ni l'une ni l'autre de ces leçons n'a de sens. La traduction correspond à la correction des manuscrits italiens: "mens est in querelis", qui s'appuie sur des expressions comparables, comme Térence, Eunuque, v. 816 : "iamdudum animus est in patinis".
2. Allusion à la phase "in iure" (devant le préteur), et à la phase "in iudicio, apud iudicem" (devant l'arbitre désigné par le préteur) de tout procès civil à Rome. On sait que le préteur ne rendait pas la décision lui-même, mais qu'il en confiait le soin à un "iudex" de son choix.
3. Texte et sens très contestés. M. Cuq propose de lire: Et que fait notre homme? Il a bien failli ne pas donner caution. Mais le texte n'est pas beaucoup plus clair, même avec cet amendement.

Jamais, au grand jamais je n'ai vu d'homme plus manifestement convaincu d'imposture. De tous ses mauvais tours, il y avait trois témoins acharnés contre lui.
Que tous les dieux le confondent, pour m'avoir ainsi gâté ma journée, et qu'ils rne confondent aussi, pour avoir eu l'idée d'aller jeter un oeil au forum aujourd'hui. Une si belle journée, gâchée par ma faute! J'avais fait préparer un dîner, ma maîtresse m'attend, j'en suis sûr. J'ai saisi la première occasion pour m'échapper vivement du tribunal. Erotie, à cette heure, doit être en colère contre moi. (Se rassurant) Bah! la mante que je lui ai donnée l'apaisera, cette fameuse mante que j'ai dérobée aujourd'hui à ma femme pour la lui porter.
LABROSSE (à la femme de Ménechme). — Qu'en dis-tu?
LA FEMME. — Que je suis bien mal mariée à un bien mauvais mari.
LABROSSE. — Tu entends bien ce qu'il dit?
LA FEMME (avec amertume). — Je ne l'entends que trop.
MÉNECHME I (se dirigeant vers la maison d'Erotie). — Si j'entrais chez elle pour passer un bon moment? Ce serait le plus sage.
LABROSSE (se dressant devant lui pour lui barrer la roule). — Une minute! Apprête-toi plutôt à passer un mauvais quart d'heure.
LA FEMME (surgissant à son tour devant lui). — Par Castor, tu me payeras cher la manie que tu m'as volée.
LABROSSE (à Ménechme). — Attrape.
LA FEMME. — Tu croyais pouvoir faire en cachelle tous tes mauvais coups?
MÉNECHME I (d'un ton conciliant). — De quoi s'agit-il donc, ma femme?
LA FEMME. — C'est à moi que tu le demandes?
MÉNECHME I. — A qui veux-tu je le demande? à lui? (Il s'approche de sa femme pour la caresser),
LA FEMME (le repoussant). — Ha, non! pas de caresses!
LABROSSE (à la femme). — Tiens bon, toi.
MÉNECHME I (revenant à sa femme d'un air patelin). — Pourquoi me fais-tu grise mine?
LA FEMME. — Tu dois le savoir.
LABROSSE. — II le sait bien, mais il ne fait semblant de rien, le vaurien!
MÉNECHME I. — Qu'est-ce donc?
LA FEMME. — Ma mante...
MÉNECHME I. — Ta mante?
LA FEMME. — Oui, ma mante... Qu'est-ce qui te fait peur?
MÉNECHME I. — Moi, rien du tout... (à part) sauf une chose : cette mante me démonte un peu.
LABROSSE. — Cela t'apprendra, aussi, à manger le dîner derrière mon dos. (A la femme) Vas-y; pousse ferme.
MÉNECHME I. — Veux-tu te taire?
LABROSSE. — Non, morbleu! je ne me tairai pas. (A la femme) II me fait des signes de tête pour que je ne dise rien.
MÉNECHME I. — Moi, jamais de la vie! je ne te fais ni signes de tête, ni signes de l'œil.
LABROSSE. — Quel toupet! Nier effrontément ce que tu vois de tes yeux!
MÉNECHME I. — Je te jure par Jupiter et par tous les dieux, ma femme — ce serment-là te suffit-il? — que je ne lui ai fait aucun signe.
LABROSSE. — C'est bon, elle ne te cherche pas chicane là-dessus; retournons au fait.
MÉNECHME I. — Où veux-tu que je retourne?
LABROSSE. — Chez le brodeur, parbleu, cela va de soi. Vas-y, et rapporte la mante,

MÉNECHME I. — De quelle mante veux-tu parler?
LABROSSE. — Je n'ai qu'à me taire, puisqu'elle ne se souvient pas de son affaire.
LA FEMME. — Mon dieu! que je suis donc malheureuse!
MÉNECHME I. — Tu es malheureuse! Pourquoi? explique-toi. Est-ce qu'un de tes esclaves s'est mis en faute? Est-ce que tes servantes ou les domestiques te répliquent? Tu n'as qu'à le dire; il leur en coûtera cher.
LA FEMME. — Balivernes!
MÉNECHME I. — Elle a l'air tout à fait de mauvaise humeur... Je n'aime pas te voir ainsi.
LA FEMME. — Balivernes!
MÉNECHME I. — Sûrement, c'est après quelqu'un de la maison qu'elle est fâchée.
LA FEMME. — Balivernes!
MÉNECHME I. — Ce n'est pas après moi, au moins?
LA FEMME. — Cette fois, ce ne sont plus des balivernes.
MÉNECHME I. — Pourtant, pardieu, je n'ai rien fait de mal.
LA FEMME. — Bon! de nouveau, des balivernes.
MÉNECHME I (s'approchant d'un air câlin). — Dis, ma chère petite femme, qu'est-ce qui te fait de la peine?
LABROSSE. — Le beau mignon qui te cajole!
MÉNECHME I (à Labrosse). — Veux-tu me laisser tranquille! Est-ce à toi que je m'adresse?
LA FEMME (à Ménechme, qui veut lui prendre le bras). — Bas les mains!
LABROSSE. — Attrape! Une autre fois tu te dépêcheras encore de manger le dîner sans moi, et tu viendras après, couronne en tête et ivre à tomber, te moquer de moi devant la porte.
MÉNECHME I. — Pardieu, je n'ai point dîné, je n'ai pas mis ici le pied de la journée.
LABROSSE. — Tu oses le nier?

MÉNECHME I. — Morbleu, oui, je le nie!
LABROSSE. — Quel toupet sans exemple! Je ne t'ai pas vu ici tout à l'heure devant cette maison (montrant la maison d'Erotie) avec une couronne de fleurs sur la tête, quand tu me disais que j'avais le cerveau dérangé, que tu ne me connaissais pas, que tu étais étranger ?
MÉNECHME I. — Puisque je te dis que, depuis le moment où je t'ai quitté, je reviens seulement à l'instant!
LABROSSE. — Je te connais. Tu pensais que je n'avais pas les moyens de me venger : hé bien! j'ai tout dit à ta femme.
MÉNECHME I. — Qu'est-ce que tu lui as dit?
LABROSSE. — Je n'en sais rien. Demande-le lui, à elle-même.
MÉNECHME I. — Qu'est-ce que tout cela, ma femme? Qu'est-ce qu'il a bien pu te raconter? Qu'y a-t-il? Tu ne réponds pas? Tu ne veux pas me dire ce dont il s'agit?
LA FEMME. — Comme si tu ne le savais pas! [On m'a volé une mante à la maison.
MÉNECHME I. — On t'a volé une mante (1)?]
LA FEMME. — Tu me le demandes?
MÉNECHME I. — Parbleu! si je le savais, je ne te le demanderais pas.
LABROSSE. — Le scélérat; comme il dissimule! Inutile de vouloir rien cacher; elle est au courant de tout, je lui ai raconté l'histoire de bout en bout, morbleu!
MÉNECHME I. — Quelle histoire?
LA FEMME. — Puisque rien ne te fait honte, et que tu ne veux pas reconnaître ta faute, écoute et fais bien attention. Tu sauras pourquoi j'ai cet air sombre, et quel récit il m'a fait. On m'a volé une mante à la maison.
MÉNECHME I. — On m'a volé une mante, à moi?

1. Vers interpolé.

LABROSSE (à la femme). — Vois-tu comme il cherche à t'attraper, le brigand! (A Ménechme) C'est à elle qu'on l'a volée, non pas à toi car, assurément, si on avait pu te la voler à toi, elle serait maintenant en sûreté (1).
MÉNECHME I. — Je n'ai pas affaire à toi. (A sa femme) Voyons, qu'est-ce que tu disais?
LA FEMME. — Une mante à moi, dis-je, a disparu de la maison.
MÉNECHME I. — Qui est-ce qui l'a prise?
LA FEMME. — Celui qui l'a prise doit le savoir, je suppose.
MÉNECHME I. — Qui est-ce?
LA FEMME. — Un nommé Ménechme.
MÉNECHME I. — Par Pollux, la vilaine action! Qui est ce Ménechme?
LA FEMME. — Toi-même, dis-je.
MÉNECHME I. — Moi?
LA FEMME. — Oui, toi.
MÉNECHME I. — Qui est-ce qui m'accuse?
LA FEMME. — Moi-même.
LABROSSE. — Et moi aussi. Et tu as été la porter à ta maîtresse Erotie, là en face.
MÉNECHME I. — Je l'ai donnée, moi?
LA FEMME. — Toi, toi, qui es là, dis-je.
(LABROSSE). — Faut-il qu'on aille chercher un corbeau (2) pour te corner aux oreilles : « Toi, toi »? (Il contrefait le croassement) Nous n'en pouvons plus à force de le répéter.
MÉNECHME I. — J'en atteste Jupiter et tous les dieux, ma femme — ce serment te suffira, j'espère? —, je ne l'ai pas donnée.
LABROSSE. — Et nous, par Hercule, nous les prenons tous à témoins que nous ne disons que la vérité.

1. Passage obscur, et différemment interprété.
2. Le texte dit: "une chouette qui te répète sans cesse: "tu, tu."» (Prononcé tou, tou).

MÉNECHME I. — Je n'en ai pas fait cadeau, je l'ai seulement donnée à prêter.
LA FEMME. — Ah vraiment! Mais moi, par Castor, est-ce que je prête jamais à personne ta chlamyde ou ton manteau? Les toilettes d'une femme ne doivent être prêtées que par la femme, comme les vêtements du mari, que par le mari. Rapporte-moi ma mante.
MÉNECHME I. — Je vais te la faire rendre.
LA FEMME. — Tu feras bien, j'imagine. Car tu ne mettras plus le pied dans la maison, sans être accompagné de la mante. Je rentre chez nous.
LABROSSE (à la femme). — Et à moi, que me reviendra-t-il pour le service que je t'ai rendu?
LA FEMME. — On te rendra la pareille quand il y aura quelque chose de volé chez toi. (Elle rentre chez elle).
LABROSSE. — Voilà une chose, parbleu, qui ne m'arrivera jamais; est-ce que j'ai chez moi quelque chose à perdre? Mari, femme, que les dieux vous confondent l'un et l'autre! Courons vite au forum; car désormais, il n'y a plus place pour moi dans cette maison, je ne le vois que trop. (Il sort).
MÉNECHME I (seul). — Ma femme s'imagine m'avoir bien puni en me mettant à la porte; comme si je n'avais pas pour m'accueillir un autre logis plus agréable! Si je te déplais, il faudra m'y résigner; mais je suis sûr de plaire ici (montrant la maison d'Erotie) à Erotie, qui, loin de me fermer la porte au nez, la refermera plutôt sur moi avec elle. Je vais maintenant la prier de me rendre la mante que je lui ai donnée tantôt, quitte à lui en racheter une autre plus belle. (Il frappe) Holà! Y a-t-il quelqu'un à cette porte? Ouvrez, et qu'on dise à Erotie de venir me trouver devant sa maison.

(SCÈNE III)

EROTIE MÉNECHME I

EROTIE. — Qui est-ce qui me demande?
MÉNECHME I. — Quelqu'un qui te veut plus de bien qu'à lui-même.
EROTIE. — Mon petit Ménechme, pourquoi restes-tu devant la porte? Rentre avec moi.
MÉNECHME I. — Un moment. Sais-tu pourquoi je viens te voir?
EROTIE. — Oui, bien sûr : pour prendre ton plaisir avec moi
MÉNECHME I. — Par Pollux! Il ne s'agit pas de cela, mais de la mante que je t'ai donnée tantôt, et que je viens te prier de me rendre. Ma femme a su toute l'affaire, de point en point. Je t'en rachèterai une autre qui vaudra le triple : tu choisiras.
EROTIE. — Mais je te l'ai donnée pour la porter au brodeur, il n'y a qu'un instant, avec le bracelet que tu devais remettre au bijoutier pour le faire transformer.
MÉNECHME I. — Toi, tu m'as remis la mante et un bracelet, à moi? tu ne me le feras jamais avaler. Depuis le moment que je te l'ai donnée, avant de m'en aller au forum, c'est la première fois que je reviens, c'est la première fois que je te vois.
EROTIE (indignée). — Je vois où tu veux en venir. Tu veux me dépouiller de ce que je t'ai confié, c'est bien ton but, n'est-ce pas?
MÉNECHME I. — Mais non, par Pollux! ce n'est pas pour te dépouiller que je te le demande. Quand je te dis que ma femme a tout appris.
EROTIE. — Ce n'est pas moi qui suis venue te prier de me la donner; c'est toi qui, de ton plein gré, es venu me l'apporter. Tu m'en avais fait cadeau, tu me la redemandes; c'est bon. Garde-la, emporte-la. Faites-en ce qu'il vous plaira, toi et ta femme, fourrez-la même dans vos coffres, si vous voulez. Mais toi, à partir d'aujourd'hui, tu ne mettras plus les pieds chez moi, ne t'y trompe pas. Puisque toutes mes bontés pour toi ne sont payées que par des mépris, désormais, si tu n'apportes du bel argent comptant, inutile d'essayer; tu ne m'auras pas. Dès maintenant tu peux t'adresser ailleurs pour trouver tes dupes. (Elle rentre, en claquant la porte).
MÉNECHME I. — Par Hercule! comme tu t'emportes! Tu exagères. Voyons, attends un peu, je te dis. Reviens. Arrête-toi. Voyons! Tu ne veux pas revenir pour me faire plaisir? Elle est rentrée; elle a clos sa maison. Me voici désormais mis à la porte de partout. Chez moi comme chez ma maîtresse, personne ne veut plus me croire... Allons voir nos amis, et les consulter sur ce que nous devons faire.

(ACTE V)

(SCÈNE I)

MÉNECHME II LA FEMME DE MÉNECHME I

MÉNECHME II (tenant encore la mante). — Quelle sottise j'ai faite tantôt, de confier la bourse avec l'argent à Messénion. Il est allé, je parie, se terrer dans quelque bouge.
LA FEMME (sortant de chez elle). — Je veux voir quand mon mari rentrera. Mais le voici, je le vois. Sauvée, mon Dieu! il rapporte la. mante.
MÉNECHME II (sans voir la femme). — Je me demande bien où Messénion se promène en ce moment.
LA FEMME. — Accostons-le, et faisons lui l'accueil qu'il mérite. (Haut) Tu n'as pas honte de te présenter devant moi dans cette tenue, vilain garnement?
MÉNECHME II. — Hein, quoi? Qu'est-ce qui te prend, femme?
LA FEMME. — Effronté, tu oses encore souffler mot devant moi, et m'adresser la parole!
MÉNECHME II— Mais enfin, qu'est-ce que j'ai fait pour ne pas oser prendre la parole?
LA FEMME. — Tu me le demandes! Quelle impudente effronterie!
MÉNECHME II. — Dis donc, femme, tu ne sais pas pourquoi les Grecs traitaient Hécube de chienne?
LA FEMME. — Non, ma foi.
MÉNECHME II. — C'est parce qu'elle faisait exactement comme toi. Elle ne pouvait pas rencontrer quelqu'un sans aboyer après lui toute sorte d'injures. C'est ce qui lui avait valu son surnom de chienne; elle ne l'avait pas volé.
LA FEMME. — Je ne puis endurer plus longtemps de pareilles insolences. J'aimerais mieux vivre toute ma vie sans mari que de souffrir tes grossièretés.
MÉNECHME II— Qu'est-ce que cela me fait, que tu consentes à rester dans ton ménage ou que tu veuilles quitter ton mari? Est-ce la mode, ici, de raconter des histoires aux étrangers qui débarquent?
LA FEMME. — Quelles histoires? Je te dis que j'en ai assez, entends-tu? et que j'aime mieux vivre sans mari que de supporter plus longtemps ta conduite.
MÉNECHME II— Et mordieu! pour mon compte, tu peux bien vivre sans mari, jusqu'à la fin du règne de Jupiter, si tu veux.
LA FEMME. — Tu me soutenais tout à l'heure que tu ne me l'avais pas prise (montrant la mante), et maintenant tu la tiens, là, devant mes yeux. Tu n'as pas honte?
MÉNECHME II (d'un ton outré). — Hé bien, vrai, la femme, tu ne manques pas de toupet ni de coquinerie. Tu oses me dire qu'on t'a pris cette mante, à toi, quand c'est une autre femme qui me l'a donnée pour la faire arranger?
LA FEMME. — Oui, certes, je le dis, par Castor! Je vais faire chercher mon père, et je lui raconterai tous tes déportements. (Elle appelle) Décion! va chercher mon père; qu'il vienne avec toi; dis-lui que j'ai absolument besoin de lui. (A Ménechme II) Je lui découvrirai toutes tes turpitudes.
MÉNECHME II. — Tu n'es pas folle? Quelles turpitudes?

LA FEMME. — De voler chez toi à ta femme ses mantes et ses bijoux pour aller les porter à ta maîtresse. Est-ce exact, ce que je dis?
MÉNECHME II. — Je t'en prie, femme, par Hercule! Si tu le sais, indique-moi ce que je dois boire pour pouvoir soutenir tes insolences. Je ne sais pour qui tu me prends au juste; en tout cas, moi je ne te connais ni plus ni moins que Porthaon (1).
LA FEMME. — Moque-toi de moi, si tu veux, mais, par Pollux! tu ne pourras pas te moquer de mon père, qui vient justement là-bas. Retourne-toi : tu ne le connais pas, lui?
MÉNECHME II. — Je le connais comme je connais Calchas, toi et lui, jusqu'ici je vous ai vus tous les deux exactement le même jour.
LA FEMME. — Ainsi, tu soutiens que tu ne me connais pas? que tu ne connais pas mon père?
MÉNECHME II. — Hé mordieu! j'en dirai autant de ton grand-père, s'il te prend fantaisie de l'amener.

1. Père d'Oeneus, roi d'Etolie. et grand-père de Déjanire, femme d'Hercule.

LA FEMME. — Par Castor! cela te ressemble bien.

(SCÈNE II)

LE VIEILLARD LA FEMME MÉNECHME II

LE VIEILLARD (avançant à petits pas, en s'arrêtant pour monologuer). — Autant que l'âge me le permet et que la circonstance l'exige, j'allongerai le pas et je presserai l'allure. Mais ce n'est pas pour moi chose facile, je ne me le dissimule pas. L'agilité m'abandonne, la vieillesse m'ac-cable, mon corps est un fardeau pesant, les forces m'ont quitté... Mauvaise marchandise que ce qu'on appelle le mauvais âge. Il apporte avec lui un long cortège de misères; si je voulais les nommer toutes, je n'en finirais pas. Mais c'est une autre chose qui me met en souci le cœur et l'âme (1). Qu'est-ce qu'il peut bien y avoir, pour que ma fille me presse si soudainement de venir la trouver, sans me donner un mot d'explication sur ce qu'elle me veut? Pourquoi me demande-t-elle? Du reste, je devine à peu près ce que ce peut être : elle se sera sans doute disputée avec son mari. Elles n'en font pas d'autres, ces femmes qui veulent dominer leurs maris, leur dot les rend orgueilleuses, insupportables (2). Et les maris, eux aussi, ne sont pas toujours sans reproche. En tout cas, il y a une limite à la patience d'une femme et autre part..., mon dieu! une fille ne fait jamais venir son père sans qu'il y ait grave faute commise ou juste sujet de querelle. Enfin, quoi qu'il en soit, je vais bientôt le savoir. Justement la voici en personne; je la vois devant sa maison, avec son mari; il a l'air fâché. C'est bien ce que je soupçonnais. Allons-lui parler.

1. "in pectore et corde"; les deux termes doivent être pris en bloc, et leur union est destinée simplement à produire un effet d'insistance. Cf. Mercator, v. 590:
Ita mi in pectore atque in corde facit amor incendium.
2. Cf la conclusion du monologue de Mégadore, Aulularia, T. 535.

LA FEMME. — Allons au devant de lui. (Elle s'avance à la rencontre du vieillard). — Bien le bonjour, mon cher père.
LE VIEILLARD. — Bonjour, ma fille. Tu vois, j'arrive. Tout va bien? Tu n'as pas de sujet de mécontentement pour m'appeler? Pourquoi fais-tu grise mine? Et lui, pourquoi se tient-il si loin de toi, avec cet air courroucé? Il y aura encore eu entre vous deux quelque escarmouche. Parle, lequel de vous deux est le coupable? En deux mots, pas de longs discours.
LA FEMME. — Je n'ai pour ma part absolument rien à me reprocher; je puis te rassurer sur ce premier point, mon père. Mais je ne puis plus vivre ici, je n'y peux plus durer à aucun prix. Ainsi je voudrais que tu m'emmènes de cette maison.
LE VIEILLARD. — Qu'est-ce à dire?
LA FEMME. — On me méprise, mon père, on m'outrage.
LE VIEILLARD. — Qui donc?
LA FEMME. — Celui-là même à qui tu m'as confiée, mon mari.
LE VIEILLARD. — Encore une dispute! Combien de fois, à la fin, t'ai-je expressément recommandé de ne pas venir rn'ennuyer avec vos plaintes, ni toi ni ton mari?
LA FEMME. — Comment, mon cher père, puis-je m'arranger pour faire autrement?
LE VIEILLARD. — Tu me le demandes? Il suffit de le vouloir. Combien de fois t'ai-je recommandé d'être soumise à ton mari, de ne pas espionner ce qu'il fait, où il va, ce qui l'occupe?
LA FEMME. — Mais c'est qu'il est l'amant d'une fille qui habite ici tout près!
LE VIEILLARD. — II a bien raison; et je suis prêt à parier que, pour te payer de tes procédés, il ne l'en aimera que davantage.
LA FEMME. — II y passe son temps à boire.
LE VIEILLARD. — Alors, pour tes beaux yeux, il ne faut pas qu'il boive, là ou ailleurs, s'il en a envie? Fichtre, tu ne manques pas de toupet! Tu voudrais peut-être, pendant que tu y es, l'empêcher d'accepter une invitation ou de recevoir un étranger chez lui? Tu voudrais te faire des esclaves de tous les maris? Tu voudrais peut-être aussi, du même coup, leur mettre une quenouille entre les mains, les faire asseoir parmi tes servantes, et les mettre à carder la laine?
LA FEMME. — A t'entendre, on dirait que ce n'est pas pour moi que j'ai invoqué ton assistance, mais pour mon mari. Tu es de mon côté, et c'est sa cause que tu plaides.
LE VIEILLARD. — S'il est en faute, je lui ferai bien d'autres reproches encore qu'à toi. Mais puisqu'il ne te laisse manquer ni de bijoux ni de toilettes, qu'il te donne des servantes à foison, qu'il pourvoit à l'entretien du ménage, le mieux, vois-tu ma fille, c'est de te montrer raisonnable.
LA FEMME. — Mais il me vole mes bijoux, mes toilettes dans mes coffres, chez moi; il me dépouille, et va porter en cachette mes parures chez des filles!
LE VIEILLARD. — S'il fait ce que tu dis, il a tort; sinon, c'est toi qui as tort d'accuser un innocent.

LA FEMME. — Innocent, lui! Regarde, père! Il a encore sur lui la mante, avec le bracelet qu'il avait porté chez cette femme. Comme j'ai tout découvert, il me les rapporte à présent.
LE VIEILLARD. — Je vais savoir de lui ce qui s'est passé. Accostons-le et parlons-lui. (S'avançant vers Ménechme) Dis-moi, Ménechme, pourquoi vous disputez-vous? Je voudrais le savoir. Pourquoi as-tu cet air fâché? Et elle, pourquoi est-elle en colère, et s'éloigne-t-elle de toi?
MÉNECHME II (du ton de quelqu'un qui prononce un serment solennel). — Qui que tu sois, quelque nom que tu portes, vieillard, j'en atteste le grand Jupiter et tous les dieux...
LE VIEILLARD. — A quel propos? Où diantre veux-tu en venir?
MÉNECHME II. — Que je n'ai fait aucun tort à cette femme, et qu'elle m'accuse sans raison de lui avoir volé et d'avoir emporté de chez elle cette mante... Elle extravague (1). Si j'ai jamais mis le pied dans la maison qu'elle habite, je consens à devenir le plus misérable de tous les misérables. Que dis-je? je le souhaite de tout mon cœur.
LE VIEILLARD. — Es-tu sain d'esprit, de faire un pareil souhait, et de prétendre que tu n'as jamais mis le pied dans la maison où tu habites, archifou?

MÉNECHME II. — Et toi, vieillard, tu soutiens que j'habite dans cette maison?
LE VIEILLARD. — Tu soutiens le contraire?
MÉNECHME II. — Oui, parbleu!
LE VIEILLARD. — Comment? tu oses le nier (2)? ...

1. Texte très incertain. Le "delurat" des manuscrits n'offre aucun sens. Les corrections qu'on a proposées sont très incertaines. Certains éditeurs ont supposé une lacune.
2. Le texte est corrompu, la traduction ne vise qu'à donner un sens vraisemblable.

à moins que tu ne sois allé loger ailleurs depuis cette nuit... Approche-toi de ce côté, ma fille. Dis-moi. Est-ce que vous avez déménagé?
LA FEMME. — Pour aller oui ?Et pour quelle raison, miséricorde?
LE VIEILLARD. — Par ma foi, je n'en sais rien.
LA FEMME. — Sûrement il se moque de toi. Tu ne le vois pas?
LE VIEILLARD. — Voyons, Ménechme, c'est assez plaisanté; parle sérieusement.
MÉNECHME II. — Qu'ai-je à faire avec toi, je te prie? D'où viens-tu? Qui es-tu? Que t'ai-je fait? Et qu'ai-je fait (1) à cette femme qui cherche à me tracasser par tous les moyens?
LA FEMME (à son père). — Vois-tu comme ses yeux deviennent vitreux? Et cette teinte verte qui se répand sur ses tempes et sur son front (2)? Et la flamme que jettent ses yeux? Tu le vois?
MÉNECHME II (à part). — Le mieux que j'ai à faire, puisqu'ils prétendent que je suis fou, n'est-ce pas de jouer la folie, pour les mettre en déroute? (Il se met à gesticuler).
LA FEMME. — Comme il s'étire, comme il baille! Que dois-je faire, mon père?
LE VIEILLARD. — Viens par ici, ma fille; éloigne-toi de lui le plus possible.
MÉNECHME II. — Evohé, Bacchus! Evohé, Bromius! Dans quelle forêt m'appelles-tu pour chasser? J'entends ta voix, mais je ne puis quitter ces lieux. Tu le

1. Le texte ici présente une petite lacune.
2. Signes d'un épauchement de bile qui, chez les anciens, passait pour provoquer la folie. Cf. Amphitryon, v. 727 sq. et Captifs, v. 594 et s. :
"Ardent oculi; fit opus Hegio;
Viden tu illi maoulari corpus totum maculis luridis ? Atra bilis agitat hominem".

vois,à gauche cette chienne enragée me tient en arrêt, par derrière, j'ai ce vieux bouc puant (1) qui plus d'une fois dans sa vie fit condamner des citoyens innocents par ses faux témoignages.
LE VIEILLARD. — La peste de toi!
MÉNECIIME II. — J'y suis! Apollon, par son oracle, m'ordonne de lui brûler les yeux avec des torches enflammées.
LA FEMME. — Je suis perdue, mon père !II me menace de me brûler les yeux.
MÉNECHME II (à part). — Pauvre de moi! Ils disent que je déraisonne, et ce sont eux les premiers à déraisonner (2).
LE VIEILLARD. — Holà! ma fille?
LA FEMME. — Hé bien? Que faisons-nous?
LE VIEILLARD. — Si j'appelais ici des esclaves; qu'en dis-tu? Je vais les chercher, j'en amènerai quelques-uns pour qu'ils l'emportent d'ici et nous l'attachent solidement à la maison, avant qu'il fasse plus d'esclandre.
MÉNECHME II (à part). — Voilà qui va mal. Si je ne trouve au plus vite quelque expédient, ils vont m'emporter chez eux, dans leur maison. (Haut) Tu veux que mes poings lui caressent la figure sans ménagement, si elle ne disparaît de mes yeux pour aller se faire pendre au diable? Je ferai ce que tu me commandes, ô Apollon!
LE VIEILLARD (à sa fille). — Sauve-toi à la maison aussi vite que tu peux. Autrement il va t'assommer.
LA FEMME. — Je me sauve. Je t'en prie, surveille-le, mon père, qu'il ne s'en aille pas. Suis-je assez malheu
reuse d'entendre de pareilles choses !(Elle se sauve dans la maison).

1. Texte peu sûr; la leçon ircosalus des manuscrits n'a pas de sens, mais aucune des corrections proposées ne s'impose. Exempli gratia, j'ai traduit comme si le latin portait Jiircus olidus.
2. Ce vers paraît peu eu situation, et trouble la marche de la scène. Certains éditeurs le croient interpolé et le déplacent avec Acidalius.

MÉNECHME II (à part). -— Pas trop mal; j'ai réussi à l'éloigner. Maintenant au tour de ce vieux dégoûtant, de cette vieille barbe, de ce Tithon tremblotant, véritable progéniture de Cycnus. (Haut) Ainsi tu m'ordonnes de lui rompre les membres, les os, les articulations avec ce bâton qu'il tient lui-même à la main?
LE VIEILLARD (se reculant). — Gare à toi, si tu as le malheur de me toucher ou de m'approcher de trop près.
MÉNECHME II (feignant toujours de parler au dieu). — Tu seras obéi, je vais prendre une hache à deux tranchants, et de ce vieillard, je m'en vais, jusqu'à l'os, faire de la chair à pâté.
LE VIEILLARD. — Eh mais! c'est qu'il faut me tenir sur mes gardes et faire attention à moi! A entendre ses menaces, j'ai grand peur qu'il ne me donne quelque mauvais coup.
MÉNECHME II. — Que d'ordres tu me donnes, ô Apollon! Tu veux maintenant que je prenne un atlelage de chevaux fougueux, indomptables, et que je monte sur mon char pour écraser ce vieux lion décrépit, puant et édenté? Me voici debout sur mon char, je tiens les rênes, j'ai l'aiguillon, il est en ma main. Partez, mes chevaux; faites résonner la fanfare de vos sabots. Dans votre course rapide, déployez toute l'agilité de vos souples jarrets.
LE VIEILLARD. — Tu me menaces d'un attelage de chevaux?
MÉNECHME II. — J'y suis, Apollon! Pour la seconde fois tu m'ordonnes de foncer sur cet homme qui est là debout, et de le mettre à mort... (Il s'élance, puis s'arrête) Mais quel est celui-ci qui me tire par les cheveux et me jette à bas de mon char? Il révoque ton ordre et ta parole, ô Apollon!

LE VIEILLARD. — Par Hercule, quelle terrible et affreuse maladie! (Lacune) ... Grands dieux, protégez-nous! Pourtant ce malheureux fou était si bien portant tout à l'heure! Dire qu'un mal pareil lui est tombé dessus d'un seul coup! Allons chercher le médecin le plus vite que nous pourrons. (Il sort).

(SCÈNE III)

MÉNECHME II

MÉNECHME II (seul). — Sont-ils enfin partis, je vous prie, ont-ils fini par disparaître, ces gens qui me forcent à déraisonner en bonne santé? Vite, vite, regagnons notre vaisseau, pendant que je puis le faire sans danger. (Aux spectateurs) Quant à vous, je vous en prie tous, si le vieux revient, n'allez pas lui indiquer par quelle rue je me suis sauvé. (Il sort).

(SCÈNE IV)

LE VIEILLARD

LE VIEILLARD (revenant du côté ville). — J'ai mal aux reins d'être assis, mal aux yeux de regarder, en attendant que le médecin revienne de sa tournée. L'assommant personnage! Qu'il a eu de peine à en finir avec ses malades! Il prétend avoir remis une jambe cassée à Esculape, et un bras à Apollon. A bien y réfléchir, je me demande si c'est un médecin que j'amène ou un forgeron (1). Enfin, le voici tout de même qui s'avance. (Au médecin) Allonge un peu ce pas de fourmi.

(SCÈNE V)

LE MÉDECIN LE VIEILLARD

LE MÉDECIN. — Quel mal m'as-tu dit qu'il avait? Répète un peu, vieillard. Est-il possédé ou ensorcelé? Je voudrais le savoir. Est-ce la léthargie qui le tient, ou bien l'hydropisie?
LE VIEILLARD. — Si je t'ai fait venir, c'est justement pour que tu me le dises, et pour que tu le guérisses en même temps.
LE MÉDECIN. — Rien de plus facile. Je le guérirai; je t'en donne ma parole.
LE VIEILLARD. — Je veux qu'il soit bien soigné, avec de grands soins.
LE MÉDECIN. — Bon! je pousserai plus de six cents soupirs par jour (2), tant j'aurai soin de te le bien soigner.
LE VIEILLARD (apercevant Ménechme I qui arrive). — Justement voici notre malade. Observons ce qu'il est en train de faire.

1. C'est-à-dire: s'il a vraiment soigné les dieux (en tant que médecin), ou seulement réparé leurs statues (comme un forgeron peut le faire).
2. Texte peu sûr.

(SCÈNE VI)

MÉNECHME I LE VIEILLARD LE MÉDECIN

MÉNECHME I (sans voir personne). — Par Pollux, voilà certes un jour où je n'ai eu que traverses et contrariétés. Tout ce que j'espérais tenir secret a été révélé par mon parasite, qui m'a couvert de honte et rempli de terreur, nouvel Ulysse qui a causé tant de mal à son souverain (1). Mais celui-là, son compte est bon : si les dieux me laissent la vie, je lui arracherai la sienne. Du reste je suis bien bête de dire la sienne. Sa vie n'est-elle pas à moi, à moi qui l'ai nourri et engraissé à ma table, à mes frais? Je le retrancherai des vivants. Et l'autre coquine lui a-t-elle donné assez dignement la réplique, suivant la bonne tradition de ces filles! Parce que je lui demande de me rendre la mante pour la rapporter à ma femme, elle soutient me l'avoir donnée! Bien joué, par Pollux!... Vraiment, je suis bien malheureux.
LE VIEILLARD. — Tu entends ce qu'il dit?
LE MÉDECIN. — II se plaint de son malheur.
LE VIEILLARD. — Je voudrais que tu ailles lui parler.
LE MÉDECIN. — Salut, Ménechme. Pourquoi te découvres-tu le bras, s'il te plaft? Tu ne sais pas combien tu aggraves ton mal?
MÉNECHME I. —- Va te faire pendre.
LE VIEILLARD (au médecin). — Vois-tu quelque chose?

1. Le parasite joue vis-à-vis de Ménechme le même rôle qu'Ulysse vis-à-vis d'Agamemnou. Il y a une équivoque sur le mot" rex" qui peut s'entendre au sens propre quand il s'agit d'Agamemnon, et qui est aussi le terme qu'emploient les parasites pour désigner leurs protecteurs, cf. entre autres Captifs v. 92.

LE MÉDECIN. — Si je vois! Un arpent d'ellébore n'y suffirait pas (1)... Mais dis-moi, Ménechme?
MÉNECHME I. — Qu'est-ce que tu veux?
LE MÉDECIN. — Réponds à mes questions. Bois-tu du vin blanc ou du rouge?
MÉNECHME I. — Va-t'en à la potence, te dis-je.
LE MÉDECIN. — Voilà son accès qui commence à le prendre (2).
MÉNECHME I. — Pendant que lu y es, demande-moi si je mange à mon ordinaire du pain rouge, ou violet, ou jaune? si je mange à mon ordinaire des oiseaux à écailles, des poissons à plumes?
LE VIEILLABD. — Bigre! Tu entends les extravagances qu'il débite? Qu'attends-tu pour lui donner une potion, avant que la folie ne le prenne tout entier?
LE MÉDECIN. — Un moment, je veux lui poser encore quelques questions.
LE VIEILLARD. — Tu me fais mourir avec tes discours (3).
LE MÉDECIN (à Ménechme). — Réponds à ma question : est-ce que tes yeux deviennent durs, par moments?
MÉNECHME I. — Quoi? Est-ce que tu me prends pour une sauterelle, triple idiot?
LE MÉDECIN. — Dis-moi : tu n'as jamais les boyaux qui crient, tu ne l'as jamais remarqué?
MÉNECHME I. — Quand ils sont pleins, ils se taisent, quand ils sont vides, alors ils crient famine.

1. Le texte du v. 913 n'est pas très sûr. Les manuscrits palatins portent" iungere", forme qui ne peut être maintenue, bien que Lindsay la conserve, il n'y a aucun exemple d'un substantif "iungus, -eris". Le codex B2 a la correction" unguine", mais l'ellébore n'était pas administré sous forme d'onguent, mais de potion, cf. ici-même les vers 921 et 950. Le plus simple est d'adopter la correction des manuscrits italiens" iugere", ablatif de l'ancienne forme" iugus (iuger") à laquelle s'est substituée la flexion" iugerum", -i. Le jugère romain était une mesure agraire qui valait environ vingt-cinq ares.
2. Le vers 916 est trop long, et la réponse de Ménechme ne va pas bien avec la réflexion du médecin. Il y a peut-être là trace d'une lacune.
3. Certains éditeurs attribuent — moins vraisemblablement — cette phrase à Ménechme

LE MÉDECIN. — Voilà, ma foi, une réponse qui n'est pas celle d'un fou. — Est-ce que tu dors tout d'une traite jusqu'au jour? Est-ce que tu t'endors facilement quand tu es couché?
MÉNECHME I (avec humeur, et haussant les épaules). — Je dors tout d'une traite, quand j'ai payé mes dettes (1). Que Jupiter et tous les dieux te mettent à mal, maudit questionneur!
LE MÉDECIN (au vieillard). — Voilà son accès qui le reprend. Tu l'entends? Gare à toi!
LE VIEILLABD. — Oh! mais c'est un Nestor maintenant, en comparaison de ce qu'il disait tout à l'heure. Ne traitait-il pas sa femme de chienne enragée?
MÉNECHME I. — Qu'est-ce que j'ai dit, moi?
LE VIEILLAKD. — Dans ton accès, dis-je...
MÉNECHME I. — Moi?
LE VIEILLARD. — Oui ,toi, toi-même qui m'as menacé, moi aussi, de m'écraserr sous un char à quatre chevaux... Voilà ce que je t'ai vu faire de mes yeux, voilà ce dont je t'accuse.
MÉNECHME I. — Et moi je sais que tu as dérobé à Jupiter sa couronne sacrée (2) et je sais encore que pour ce haut fait on t'a fourré au prison; je sais que tu n'en es sorti que pour être battu de verges et porter le carcan. Et je sais aussi que tu as tué ton père et vendu ta mère à l'encan. Ai-je ma tête à moi, et t'ai-je bien rendu injure pour injure?
LE VIEILLARD. — Je t'en conjure, médecin! Par Hercule, dépêche-toi de lui faire ce qu'il faut. Tu ne vois pas qu'il est complètement fou?

1. Ménechme ne répond qu'à la première question du médecin. Aussi Ritschl a-t-il supposé une lacune entre le v. 930 et le suivant. L'hypothèse est quelque peu naïve. Comme le note Léo, Ménechme " priore responso prolato non se continet et antequam alteram proférât, in exsecrationem erumpit".
2. Expression proverbiale, cf. Trinummus 84 et s. : "Nam nunc ego si te surrupuisse suspicer loui coronam de capite ex Capitolio".

LE MÉDECIN. — Sais-tu ce qu'il y a de mieux à faire? Arrange-toi pour le faire transporter chez moi.
LE VIEILLARD. — Tu crois?
LE MÉDECIN. — Sûrement. Là je pourrai le soigner à ma guise.
LE VIEILLARD. — Hé bien, comme tu voudras.
LE MÉDECIN (à Ménechme). — Je te ferai boire de l'ellébore pendant vingt jours environ.
MÉNECHME I. — Et moi je te ferai pendre et te larderai à coups d'aiguillon pendant trente (1).
LE MÉDECIN (ou vieillard). — Vite, va chercher des hommes pour le transporter chez moi.
LE VIEILLARD. — Combien en faut-il?
LE MÉDECIN. — Dans l'état de fureur où je le vois, quatre, pour le moins.
LE VIEILLARD. — Ils seront là dans un instant. En attendant garde-le bien, médecin.
LE MÉDECIN. — Non, il faut que j'aille chez moi préparer tout ce dont j'aurai besoin. Toi, donne ordre à tes esclaves de me l'amener.
LE VIEILLARD. — II y sera tout de suite, je te le promets.
LE MÉDECIN. — Je m'en vais.
LE VIEILLARD. — Bonne santé. (Ils sortent chacun de leur côté).
MÉNECHME I. — Parti le beau-père, parti le médecin : me voilà seul. Par Jupiter! Qu'est-ce que les gens d'ici ont à prétendre maintenant que je suis fou? Depuis que je suis au monde, jamais je n'ai été malade un seul jour. Je ne fais pas de folies, je ne cherche ni querelle ni chicane à personne. Je raisonne et j'entends raison; je reconnais les gens; je leur parle. N'est-ce pas plutôt ceux qui m'accusent faussement de folie qui seraient fous eux-mêmes? Que vais-je faire maintenant?

1. Les vers 950-951 sont inversés dans les manuscrits. L'ordre normal a été rétabli par Camerarius.

Je voudrais rentrer chez moi; ma femme me le défend. Ici (montrant la maison d'Erotie) on ne me recevrait pas non plus. Quelle funeste aventure! Ne bougeons pas d'ici. Une fois la nuit tombée, j'espère, on finira bien par me laisser rentrer chez moi. (Il s'installe, dans un coin)

(SCÈNE VII)

MESSÉNION MÉNECHME I

MESSÉNION (se parlant à lui-même tout en marchant) (1). — A quoi reconnaît-on un bon serviteur? A ce qu'il prend à cœur les intérêts de son maître, veille, dispose, pense à tout, et se préoccupe en son absence de lui garder son bien avec autant de zèle, ou même mieux, que s'il était présent lui-même. S'il a le oœur bien placé, il songera plutôt à son dos qu'à son gosier, à ses jambes qu'à son ventre. Il n'oubliera pas les récompenses que les maîtres réservent à leurs fripons d'esclaves, quand ils sont paresseux et malhonnêtes. Les verges, les fers aux pieds, la meule à tourner, une fatigue écrasante, la faim, le froid qui vous tenaille : voilà le salaire de la mauvaise conduite. J'ai male peur de pareils maux; voilà pourquoi j'ai résolu d'être un bon plutôt qu'un mauvais sujet. Je me résigne bien plus facilement à recevoir des ordres que des coups — je les ai en horreur! Et j'ai bien plus de plaisir à manger mon blé moulu qu'à le moudre pour les autres.

1. Le monologue de Messénion est d'un type fréquent dans la comédie. On rapprochera, à titre d'exemple, celui d'Harpax dans le Pseudolus, v. 1103 et suiv. :
"Malus et nequam est homo qui nihili eri imperium sui seruos facit,
Nihilîst autem suum qui officium facere immemor est. nisi est admonitus.
Nam qui liberos se ilico esse arbitrantur Ex conspectu eri si sui se abdiderunt
Luxantur, lustrantur, comedunt quod habent, ei nomen diu Seruitutis ferunt."



Aussi j'obéis à mon maître, j'exécute ses ordres avec zèle et sans murmurer, et je m'en trouve bien. Libre aux autres de faire ce que bon leur semble; moi je ferai ce que je dois faire. Je veux être toujours en crainte pour n'être jamais en faute, et m'arranger pour être partout prêt à servir mon maître. [Pour qu'un esclave soit utile à son maître, il faut qu'il le craigne sans cesse, même quand il n'est pas en faute. Ceux qui ne craignent rien, finissent tout de même par craindre, après qu'ils ont mal fait (1).] Du reste, je n'aurai pas longtemps à craindre; le temps est proche où mon maître me récompensera des services que je lui rends (2). Je m'acquitte de mon service de la manière qui me semble le mieux épargner mes épaules. J'ai d'abord déposé à l'auberge les bagages et les esclaves, comme il me l'avait ordonné, et je viens à sa rencontre... Frappons à la porte, pour qu'il sache que je suis là, et tâchons de l'emmener sain et sauf de ce coupe-gorge (3). Mais j'ai bien peur d'arriver trop tard, après le combat terminé.

1. Vers sans doute interpolés.
2. Texte peu sûr.
3. Texte très incertain.

(SCÈNE VIII)

LE VIEILLARD QUATRE ESCLAVES avec lui MÉNECHME I MESSÉNION

LE VIEILLARD (à ses esclaves). — Par tous les dieux et par tous les hommes, je vous le dis et je vous le répète, n'oubliez pas mes ordres, et ayez soin de les exécuter avec intelligence. Arrangez-vous pour m'enlever cet homme sur vos épaules, et pour le porter tout de suite chez le médecin, si vous tenez à vos jambes et à vos côtes. N'attachez pas la moindre importance à ses menaces. Hé bien, vous ne bougez pas? Vous hésitez? Pourquoi? Il devrait déjà être emporté sur vos épaules. Moi je vais chez le médecin, vous m'y trouverez en arrivant. (Il sort).
MÉNECHME I (voyant les esclaves courir à lui). — Je suis mort. Qu'est-ce que c'est encore? Pourquoi ces hommes courent-ils sur moi, miséricorde? Que voulez-vous, vous autres? Que cherchez-vous? Pourquoi m'entourez-vous? Où m'entraînez-vous? Où m'emportez-vous? Je suis perdu! Je vous en supplie, citoyens d'Epidamne! protégez-moi, secourez-moi! (Aux esclaves) Voulez-vous me lâcher?
MESSÉNION. — O dieux immortels! miséricorde, quel spectacle devant mes yeux! Mon maître emporté de la manière la plus indigne sur les épaules de je ne sais quelles gens!
MÉNECHME I. — Personne n'aura le cœur de venir à mon secours?
MESSÉNION. — Si! Moi, mon maître, et de grand cœur. Quelle indignité, quelle horreur, citoyens d'Epidamne! Quoi, dans votre ville, en temps de paix, en plein jour, en pleine rue, on enlève mon maître, votre hôte, un homme libre! (Aux esclaves) Lâchez-le.
MÉNECHME I. — Je t'en supplie, qui que tu sois, prête-moi ton aide, ne me laisse pas faire une violence pareille avec cette impudence!
MESSÉNION. — Non, non, sois tranquille. Je t'assisterait et te défendrai, et te secourrai de mon mieux. Jamais je ne te laisserai périr : plutôt périr moi-même! Arrache-moi l'œil à celui-là, qui te tient par l'épaule, mon maître, pour l'amour de Dieu! Moi je me charge des autres, et je vais leur semer sur le museau une volée de coups de poing... (Il frappe les esclaves) II vous en coûtera joliment cher, par Hercule, de vouloir l'emporter. Lâchez-le.
MÉNECHME I. — Je tiens l'oeil à celui-ci.
MESSÉNION. — Arrache-le lui, qu'on n'en voie plus que la place. (Frappant) Ah! scélérats! ah! bandits! ah! brigands!
LES ESCLAVES. — Nous sommes morts! Grâce, par pitié!
MESSÉNION. — Alors, lâchez-le.
MÉNECHME I. — De quel droit mettez-vous la main sur moi? Donne-leur une bonne peignée.
MESSÉNION (frappant toujours). — Allez, oust! sauvez-vous, courez vite vous faire pendreI Tiens, toi, prends encore ça; cela t'apprendra à partir la dernier. (Ils s'enfuient tous.) Je suis arrivé joliment à point (1); je ne pouvais pas tomber mieux. Pardieu, maître, il était temps que j'arrive pour te prêter main-forte.
MÉNECHME I. — En effet, mon garçon; et, qui que tu sois, veuillent les dieux te bénir à jamais. Sans toi, j'étais mort avant le soleil couché.

1. Texte et sens peu sûrs. Certains éditeurs lisent: "Nimis bene ora commetant" J'ai joliment bien pris la mesure de leurs visages (avec mes poings) ; d'autres: "Nimis bene ora commutaui" J'ai joliment bien changé leura figures.

MESSÉNION. — Eh bien donc, parbleu! pour bien faire, maître, tu devrais m'affranchir.
MÉNECHME I. — T'affranchir, moi?
MESSÉNION. — Bien sûr, puisque je t'ai sauvé la vie, maître.
MÉNECHME I. — Qu'est-ce à dire? Tu es dans l'erreur, mon garçon.
MESSÉNION. — Comment dans l'erreur?
MÉNECHME I. — J'en jure par Jupiter, notre père à tous, je ne suis pas ton maître.
MESSÉNION. — Veux-tu te taire?
MÉNECHME I. — Je ne mens pas. Jamais esclave à moi n'a fait ce que tu as fait pour moi.
MESSÉNION. — Eh bien! puisque tu ne veux pas que je sois ton esclave, laisse-moi partir en liberté.
MÉNECHME I. — Ma foi, pour ma part, je ne demande pas mieux que tu sois libre, et que tu ailles où bon te plaît.
MESSÉNION. — Tu m'y autorises?
MÉNECHME I. — Mais oui, parbleu, si tant est que j'aie quelque autorité sur toi.
MESSÉNION. — Salut, mon cher patron. — « Je suis bien heureux de te voir libre, Messénion ». — « Je vous en crois, parbleu »(1)— Mais, je t'en prie, mon cher patron, continue à me commander, comme au temps où j'étais ton esclave. Je continuerai d'habiter avec loi, et quand tu regagneras ta maison, je t'accompagnerai.
MÉNECHME I (à part). — Pas du tout.
MESSÉNION. — Pour le moment, je cours à l'auberge, et te rapporte les bagages et l'argent. La bourse avec les fonds pour le voyage est sous bon scellé dans la valise, je te la rapporte tout de suite.

1. Messénion mime ici le dialogue qu'il aura avec ses amis, lorsqu'ils le féliciteront de son affranchissement. On trouve un jeu de scène comparable dans Mercator, v. 947, où Charinus, au retour de son voyage imaginaire, feint d'échanger avec Eutychus les salutations d'usage.

MÉIVECHME I. — Dépêche-toi.
MESSÉNION. — Je te la rendrai intacte, comme tu me l'as donnée. Attends-moi ici (II sort).
MÉNECHME I. — Vraiment, tout ce qui m'arrive aujourd'hui est étrange, singulièrement étrange. Les uns refusent de me reconnaître, et me mettent à la porte de chez moi. En voici un autre qui se disait mon esclave, et que je viens d'affranchir. Il va, dit-il, m'apporter une bourse avec de l'argent. S'il l'apporte, je lui dirai de me laisser, et de s'en aller, libre, où bon lui semble, pour qu'il ne vienne pas me réclamer l'argent quand il aura sa tête à lui. Mon beau-père et le médecin disaient que j'étais fou. Je n'y comprends rien. Il me semble que je vis dans un rêve, exactement. Maintenant allons voir cette fille, quoiqu'elle soit fâchée; peut-être, en la priant bien, obtiendrai-je qu'elle me rende la mante, pour la rapporter à la maison. (Il rentre chez Erotie).

(SCÈNE IX)

MÉNECHME II MESSÉNION

MÉNECHME II (arrivant du côté du port avec Messénion). — Comment, effronté! tu as l'audace de soutenir que je t'ai vu aujourd'hui, depuis que je t'ai donné l'ordre de venir me trouver ici?
MESSÉNION. — Oui; et, même je t'ai arraché aux mains de quatre hommes qui t'emportaient sur leurs épaules, là, devant cette maison. Tu appelais à l'aide les dieux et les hommes; j'accours, et de haute lutte je te délivre, en dépit qu'ils en aient. C'est même pour cela, parce que je t'ai sauvé la vie, que tu m'as donné la liberté. Mais ensuite, quand je t'ai dit que j'allais chercher l'argent et les bagages, tu t'es dépêché de courir au devant de moi, pour renier ce que tu avais fait.
MÉNECIIME II. — Je t'ai donné la liberté, moi?
MESSÉNION. — Certainement.
MÉNECHME II. — Quand je suis bien décidé à devenir moi-même esclave, plutôt que de jamais t'affranchir!

(SCÈNE X)

MÉNECHME I MESSÉNION MÉNECHME II

MÉNECHME I (sortant de chez Erotie). — Vous auriez beau jurer par la prunelle de vos yeux, vous ne ferez
tout de même pas, mordieu! que j'aie emporté aujourd'hui d'ici la mante et le bracelet, coquines que vous êtes!
MESSÉNION (apercevant Ménechme I). — O dieux immortels! que vois-je?
MÉNECHME II (le regardant sans comprendre). — Qu'est-ce que tu vois?
MESSÉNION. — Ton reflet, dans un miroir.
MÉNECHME II. — Que veux-tu dire?
MESSÉNION. — C'est ton portrait. Il te ressemble, on ne peut pas plus.
MÉNECHME II (examinant à son tour Ménechme 1). — En effet pardieu! il me ressemble assez, à bien me rappeler mes traits...
MÉNECHME I (à Messénion). — Ah! bonjour, jeune homme; qui que tu sois, tu m'as sauvé la vie.
MESSÉNION (avec agitation). — Jeune homme, je t'en prie, par Hercule, dis-moi ton nom, si tu veux bien.
MÉNECHME I. — Pardieu, tu m'as rendu un trop grand service pour que je veuille te refuser quoi que ce soit. Mon nom est Ménechme.
MÉNECHME II (sursautant). — Mais non, par Hercule, c'est le mien!
MÉNECHME I (continuant sans l'entendre). — Je suis né en Sicile, à Syracuse.
MÉNECHME II. — C'est ma demeure et ma patrie (1).
MÉNECHME I. — Qu'entends-je? que dis-tu?
MÉNECHME II. — L'exacte vérité.
MESSÉNION (montrant Ménechme I). — Ah! celui-ci, parbleu, je le reconnais : c'est mon maître. C'est de lui que je suis esclave, mais je croyais l'être de celui-ci (montrant son maître). (A Ménechme I) Je l'ai pris pour toi, et je l'ai fait bien enrager aussi. (A Ménechme II) Je te prie de me pardonner, si en te parlant je t'ai dit quelque sottise : je ne savais pas.

1. « Satis erat urbem uel patriam dicere, sed insequitur accu-rate quod ille dixit Siculum se Syracusanum esse, aliter Merc. 653. » (Léo.).

MÉNECHME II. — Tu es fou, ça m'en a tout l'air. Tu ne te rappelles pas que nous avons débarqué ensemble aujourd'hui?
MESSÉNION (avec étonnemenl). — Oui, c'est juste, en vérité. C'est toi qui es mon maître. (A Ménechme I) Cherche un autre esclave. (A son maître) Bonjour, mon maître. (A Ménechme I) Bonsoir, toi. (Il retourne auprès de son maître) Voici Ménechme, c'est moi qui le dis.
MÉNECHME I (avec force). — Et moi, je dis que c'est moi.
MÉNECHME II. — Qu'est-ce que cette comédie? Ménechme, toi?
MÉNECHME I. — Oui, moi, le dis-je, Ménechme, fils de Moschus.
MÉNECHME II (sceptique). — Toi, tu es le fils de mon père?
MÉNECHME I. — Non pas du tien, jeune homme, mais du mien. Le tien, je ne te le dispute pas, je ne veux pas te le prendre.
MESSÉNION (à part). — 0 dieux immortels! Qu'entrevois-je? Faites que se réalise cette espérance inespérée! Si je ne me trompe, voilà les deux frères jumeaux : même pays, même père, à ce qu'ils disent l'un et l'autre. Prenons notre maître à part. (Il appelle) Ménechme!
LES DEUX MÉNECHMES (en même temps). — Que veux-tu ?
MESSÉNION. — Pas les deux à la fois. Mais lequel de vous deux a débarqué avec moi?
MÉNECHME I. —- Ce n'est pas moi.
MÉNECHME II. — C'est moi.
MESSÉNION. — C'est donc à toi que je veux parler. Viens par ici.
MÉNECHME II (s'approchant de Messénion qui l'entraîne un peu à l'écart). — Voilà qui est fait. Qu'y a-t-il?
MESSÉNION. — Ou bien cet homme manigance quelque intrigue, ou bien c'est ton frère jumeau; car jamais je n'ai vu deux personnes se ressembler davantage. Deux gouttes d'eau ou deux gouttes de lait, tu peux m'en croire, ne se ressemblent pas autant que vous deux (1). Et puis, il dit qu'il a même patrie, même père. Le mieux est d'aller le trouver et de l'interroger.
MÉNECHME II. — Parbleu, oui! ton conseil est bon et je t'en remercie. Poursuis ton enquête, je t'en supplie, par Hercule! Si tu découvres que c'est mon frère, tu es libre.
MESSÉNION. — J'espère y arriver.
MÉNECHME II. — Et moi, je l'espère de même. (Ils reviennent sur le devant de la scène).
MESSÉNION (à Ménechme I). — Un mot. Tu disais, je crois, que tu t'appelais Ménechme?
MÉNECHME I. — Oui, certainement.
MESSÉNION (montrant son maître). — Lui aussi, il a pour nom Ménechme. Tu es né en Sicile, à Syracuse, dis-tu : il y est né aussi. Ton père s'appelait Moschus, n'est-ce pas? Le sien aussi. (S'adressant aux deux frères) Maintenant, vous pouvez tous les deux me prêter attention : c'est dans votre intérêt (2).
MÉNECHME I. — Je te dois trop pour ne pas consentir à tout ce que tu peux me demander. J'ai beau être un homme libre; je suis prêt à te servir comme si tu m'avais acquis à prix d'argent.

1. Le latin dit plus simplement " L'eau ne ressemble pas davantage à l'eau, ni le lait, au lait". La comparaison, proverbiale, revient souvent dans la conversation, le caractère populaire en est attesté par l'emploi de la forme lacté, à laquelle la langue littéraire préfère lac.
2. Les vers 1099-1110 prolongent la scène de la reconnaissance sans grand intérêt. Aussi Goete a-t-il supposé qu'ils faisaient partie d'une autre recension de la pièce et propose-t-il de les supprimer (Rhein. Mus. 35, 481). Mais ils conviennent assez bien à l'esprit de cautèle des Romains.


MESSÉNION. — J'ai bon espoir que vous retrouverez chacun votre frère jumeau, né d'une même mère et d'un même père, le même jour.
MÉNECHME I. — C'est merveilleux! Puisses-tu tenir ta promesse!
MESSÉNION. — Je le puis. Mais maintenant, allez-y; répondez l'un et l'autre à mes questions.
MÉNECHME I. — A ton aise, interroge : je répondrai, sans rien dissimuler de ce que je peux savoir.
MESSÉNION. — Tu t'appelles bien Ménechme?
MÉNECHME I. — Oui, sans doute.
MESSÉNION. — Toi aussi?
MÉNECHME II. — Oui.
MESSÉNION. — Ton père était bien Moschus, n'est-ce pas?
MÉNECHME I. —— Oui.
MÉNECHME II. — Et à moi aussi.
MESSÉNION. — Tu es bien de Syracuse?
MÉNECHME I. — Certainement.
MESSÉNION. — Et toi?
MÉNECHME II. — Je n'ai pas à dire le contraire.
MESSÉNION. — C'est parfait. Jusqu'ici tous les indices concordent. Attention, je continue. (A Ménechme I) Quels sont, dis-moi, les plus anciens souvenirs que tu aies gardés de ta patrie?
MÉNECIIME I. — Celui du jour où j'accompagnai mon père à la foire de Tarente puis du moment où je m'égarai dans la foule, et où quelqu'un m'emmena de cette ville.
MÉNECHME II. — 0 tout-puissant Jupiter, sois mon sauveur!
MESSÉNION. — Qu'as-tu à crier? Veux-tu te taire. (A Ménechme I) Quel âge avais-tu quand ton père t'emmena?
MÉNECHME I. — Sept ans, mes dents de lait commençaient à tomber. Et depuis, je n'ai jamais plus revu mon père.
MESSÉNION. — Dis-moi : combien étiez-vous de fils dans votre famille?
MÉNECHME I. — Autant qu'il m'en souvient, deux.
MESSÉNION. — Lequel était l'aîné, toi ou l'autre!»
MÉNECHME I. Nous avions même âge tous deux.
MESSÉNION (feignant de ne pas comprendre). — Comment cela se peut-il?
MÉNECHME I. — Nous étions jumeaux.
MÉNECHME II. — Les dieux me protègent!
MESSÉNION. — Si tu interromps, je n'ai plus qu'à me taire.
MÉNECHME II (vivement). — Non, c'est moi qui me tais.
MESSÉNION (à Ménechme I). — Dis-moi : vous n'aviez qu'un seul nom pour vous deux?
MÉNECHME I. — Non pas. Je m'appelais Ménechme, comme aujourd'hui encore; quant à mon frère, il se nommait Sosiclès.
MÉNECHME II. — Plus de doute, c'est lui! je ne peux me retenir plus longtemps de l'embrasser. (Se jetant dans les bras de Ménechme I) Mon frère, mon cher frère jumeau, salut : je suis Sosiclès.
MÉNECHME I. — Comment se fait-il que tu aies pris par la suite le nom de Ménechme?
MÉNECHME II. — Lorsque la nouvelle nous fut parvenue que tu (étais perdu pour nous) (1), et que notre père était mort, notre grand-père me fit changer de nom, et me donna celui qui était le tien.
MÉNECHME I. — Je t'en crois sur parole. Mais encore une question.
MÉNECHME II. — Pose.

1. Le texte semble ici présenter une lacune d'un vers.

MÉNECHME I. — Quel était le nom de notre mère?
MÉNECHME II. — Teuximarque.
MÉNECHME I. — C'est bien cela. 0 frère inespéré, salut! toi que je revois après tant d'années!
MÉNECHME II. — Salut, mon cher frère! toi que j'ai cherché au prix de tant de peines et de fatigues, que j'ai de joie à t'avoir trouvé!
MESSÉNION (à Ménechme II). — C'est donc cela que la belle d'en face t'appelait du nom de ton frère! Elle te prenait pour lui, sûrement, quand elle t'a invité à dîner.
MÉNECHME I. — En effet, parbleu! je lui avais dit de me préparer aujourd'hui à dîner, en cachette de ma femme, à qui j'avais tantôt dérobé cette mante pour la donner à cette autre.
MENECHME II. — Tu veux parler, mon frère, de cette mante que j'ai là?
MÉNECHME I. — Elle-même. Comment est-elle venue entre tes mains?
MÉNECHME II. — La belle qui m'a emmené dîner chez elle voulait absolument que je la lui eusse, donnée. J'ai mangé magnifiquement, j'ai bien bu, avec la fille attablée à mon côté; et j'ai emporté en outre la mante et le bijou.
MÉNECHME I. — Je suis très heureux, ma foi, que tu aies, à cause de moi, profité de cette aubaine. En t'invitant chez elle, c'est moi qu'elle croyait inviter.
MBSSÉNION (à Ménechme l). — Vois-tu quelque empêchement à ce que je sois affranchi, comme tu l'avais dit?
MÉNECHME I. — II a raison, sa demande est trop juste, mon frère : fais cela pour moi.
MÉNECHME II (à Messénion, en lui touchant la joue), — Sois libre.
MÉNECHME I. — Je suis très heureux de te savoir libre, Messénion.

MESSÉNION. — Mais il me faut de meilleurs auspices, pour me garantir à tout jamais ma liberté.

MÉNECHME II (à son frère). — Puisque l'événement comble nos vœux, retournons ensemble dans notre pays?
MÉNECHME I. — Comme tu voudras, mon cher frère. Je ferai ici une vente aux enchères de tous mes biens, sans en rien garder. En attendant, entrons chez moi, veux-tu?
MÉNECHME II. — Volontiers.
MESSÉNION (à Ménechme I). — Savez-vous ce que j'ai à vous demander?

MÉNECHME I. — Quoi donc?
MESSÉNION. — De me donner l'emploi de crieur.
MÉNECHME I. — Tu l'auras.
MESSÉNION. — Hé bien! veux-tu que j'annonce la vente tout de suite? Pour quand?
MÉNECHME I. — Dans sept jours.
MESSÉNION (au public). — La vente de Ménechme aura lieu dans sept jours, le matin. On vendra les esclaves, le mobilier, les terres, la maison. Tous les objets vendus, à quelque prix que ce soit, seront payés comptant. On vendra jusqu'à sa femme, si elle trouve acquéreur. Mais, je crois bien, de toute la vente c'est à peine s'il retirera cinquante as (1). Maintenant, spectateurs, bonne santé, et ne nous ménagez pas vos bravos.

1. Texte très incertain. D'autres lisent au lieu de "quinquagesis aes", l'adverbe "quinquagesies" et traduisent " Mais de toute la vente il aura peine à retirer cinq millions de sesterces" ce qui serait une exagération ironique. L'authenticité du vers est du reste contestée.

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