Bérénice
Bérénice: + 28 ; + ?
Elle naquit sous le règne de Tibère. Elle était princesse juive et avait séduit un empereur romain. Voilà dans un résumé extrême ce qu’on peut dire d’elle. Voyons plus en détails.
On lui donna un prénom grec, elle était l’arrière petite fille d’Hérode le Grand et la fille du roi Agrippa I ce qui laisse à penser qu’elle avait un caractère particulièrement bien forgé, elle qui vécut son enfance dans ce milieu où la ruse, la violence et la dissimulation se côtoyait journellement dans cette ambiance de cour royale orientale.
Tout au long de sa vie, elle fut ambitieuse, pleine de volonté, n’étant pas étouffée par les scrupules, le tout servi par une grande beauté. Par son ascendance, elle était beaucoup plus iduméenne (race qui descend d’Esau et que les Juifs considéraient comme païenne) que juive. Durant sa prime enfance, elle se retrouva à Antioche où son père, avant d’être roi, s’était réfugié auprès du légat L. Pomponius Flaccus, de là vient peut être son amour et sa connaissance profonde de la civilisation romaine. Puis son père eut les faveurs de l’empereur Claude, il en fit un roi juif en reconstituant les états d’Hérode le Grand.
Elle avait treize ans quand elle se maria pour la première fois ou la seconde fois, on ne sait pas. Peut-être fut-elle fiancée ou épouse du neveu de Philon d’Alexandrie ? En tout état de cause, on sait qu’elle épousa son oncle, le frère de son père, il se nommait Hérode et était roi de Chalcis, une toute petite principauté (voir carte, en haut, à coté de Damas).
Elle sera un pion sur l’échiquier de la politique orientale et ainsi apprendra tout l’art de la diplomatie. Son père mourut à 53 ans, prit soudainement de violentes douleurs abdominales, sans doute une crise d’appendicite aigue. Au décès de ce père, tout le territoire juif qui lui avait été concédé fut remis directement sous la tutelle de Rome avec un procurateur (Cuspius Fadus) à sa tête (fin 44 après J.C.). Elle se retrouva dans le tout petit royaume de Chaldis, celui de son mari. De ce dernier, elle eut deux fils qu’elle prénomma : Bérénicien et Hyrcam. Son oncle-mari, Hérode, va mourir alors qu’elle n’a que 19 ans. Son royaume (Chalcis) qui dépendait du bon vouloir de Rome fut alors attribué par l’empereur Claude à Agrippa II, neveu du roi défunt et aussi frère aîné de Bérénice.
On dit qu’elle commit l’inceste avec lui ; c’est vrai qu’elle sera toujours à ses cotés comme une épouse aurait pu le faire ; Flavius Josephe le dit, Juvénal s’en fit l’écho. Elle en fit son jouet, leur relation durera 30 ans.
La principauté de Chalcis fut supprimée et en échange Agrippa II reçut un royaume juif reconstitué qui était, grosso modo, celui de son père en un peu plus grand ; Bérénice qui va toujours le seconder a 24 ans.
Elle se remaria entre 55 et 59 après J.C. Son second mari fut un dénommé Polemon, roi de trois petits territoires : le Bosphore Cimmérien, le Pont et la Cilicie. Leur mariage fut éphémère. Elle retourna à Césarée de Philippes, auprès de son frère.
Elle fut mêlée de loin au christianisme puisqu’elle approcha l’apôtre Paul alors prisonnier des Romains.
Les historiens pensent que c’est en l’an 60 après J.C. qu’Agrippa et Bérénice rencontrèrent celui qui allait devenir Saint Paul. Le procurateur de Judée, Festus, le fit comparaître devant eux pour tenter de régler un problème religieux typiquement juif mais qui prit une autre dimension, Paul ayant fait appel à l’empereur pour le juger comme sa citoyenneté romaine lui en laissait le choix.
« Quelques jours plus tard, le roi Agrippa et Bérénice arrivèrent à Césarée et vinrent saluer Festus.
Comme leur séjour se prolongeait, Festus exposa au roi l'affaire de Paul : " Il y a ici, dit-il, un homme que Félix a laissé en captivité. Pendant que j'étais à Jérusalem, les grands prêtres et les anciens des Juifs ont porté plainte à son sujet, demandant sa condamnation… Agrippa dit à Festus : " Je voudrais, moi aussi, entendre cet homme. " - " Demain, dit-il, tu l'entendras… Le lendemain donc, Agrippa et Bérénice vinrent en grande pompe et se rendirent à la salle d'audience, entourés des tribuns et des notabilités de la ville. Sur l'ordre de Festus, on amena Paul. » Actes des Apôtres, 25, 1 et suivants. Bible de Jérusalem.
« Là-dessus le roi se leva, ainsi que le gouverneur, Bérénice et ceux qui étaient assis avec eux…En se retirant, ils parlaient entre eux : " Cet homme, disaient-ils, n'a rien fait qui mérite la mort ni les chaînes. "… Agrippa, lui, dit à Festus : " On aurait pu relâcher cet homme s'il n'en avait appelé à César. " Actes des Apôtres, 26, 1 et suivants. Bible de Jérusalem.
Et en 61 après J.C., arriva Gessius Florus comme nouveau procurateur. De nombreux historiens en font le responsable de la révolte des juifs qui conduisit à la prise et à la destruction de Jérusalem par Titus. On se trouvait face à un être veule, sanguinaire et intéressé par l’argent. En 66 après J.C., en particulier, il vint à Jérusalem et sous un prétexte futile met la ville à feu et à sang. Bérénice, au péril de sa vie, intervint
« A ce moment, le roi Agrippa était parti pour Alexandrie, où il allait féliciter Alexandre, que Néron, l'honorant de sa confiance, avait envoyé gouverner l'Égypte. Sa sœur Bérénice, qui se trouvait à Jérusalem, voyait avec une vive douleur les excès féroces des soldats : à plusieurs reprises elle envoya les commandants de sa cavalerie et ses gardes du corps à, Florus pour le prier d'arrêter le carnage…Bien plus, la rage des soldats se déchaîna même contre elle : non seulement ils outragèrent et tuèrent sous ses yeux leurs captifs, mais ils l'auraient immolée elle-même si elle ne s'était hâtée de se réfugier dans le palais royal » Flavius Josephe, Guerre des Juifs, II, 1.
pour essayer de le calmer et écrivit au légat de Syrie, son supérieur, pour éviter un bain de sang ; il semblerait qu’elle ait voulu à ce moment occuper une place de premier plan dans son pays. De fait, Agrippa et elle exercèrent un pouvoir certain à Jérusalem sans porter un quelconque titre royal sur la Judée.
--->Tableau de Sir Alma Tadema.
Mais une révolte générale éclata brutalement, des Romains furent massacrés, Néron envoya Vespasien avec son fils Titus pour écraser cette rébellion. On va retrouver Agrippa et Bérénice aux cotés du général romain. Son fils aîné va voir la princesse juive et va l’aimer ; cette histoire d’amour va durer 12 ans.
Leur première rencontre du avoir lieu à Ptolémaïs, en 67 après J.C. Vespasien y avait concentré ses troupes dont faisait partie l’armée amenée par Agrippa. Titus avait alors 26 ans, elle : 38. En 67 après J.C., Vespasien et son armée passèrent vingt jours de repos à Césarée de Philippes, invités par Agrippa et Bérénice, il n’est nul besoin de dire que Titus était là. Et, en une sorte de contre partie, des villes comme Tibériade, Tarichée, Gamala etc… qui étaient dans la mouvance d’Agrippa mais qui s’étaient jointes à la révolte furent soumises très rapidement.
Entre temps Vespasien avait été appelé à la tête de l’Empire, il laissa son fils Titus pour mater la Palestine. Une fois Jérusalem anéantie, il va s’empresser de rejoindre Bérénice dans sa capitale. Ensuite, il va entreprendre une tournée triomphale dans l’Orient romain, Agrippa et Bérénice furent du voyage. Soupçonné de vouloir être roi de cette partie du monde, il va vite rentrer à Rome auprès de son père. « Ces démonstrations firent soupçonner qu'il voulait abandonner son père, et se créer un empire en Orient. Il confirma ces soupçons lorsqu'il vint à Alexandrie, et qu'en consacrant à Memphis le boeuf Apis, il mit le diadème sur sa tête. C'était une antique cérémonie de la religion égyptienne; mais on l'accompagna d'interprétations malveillantes. Titus se hâta donc de revenir en Italie. Il aborda à Régium, puis à Pouzzoles sur un bâtiment de transport; ensuite il accourut rapidement à Rome, et, voyant son père surpris de son arrivée, il lui dit, comme pour confondre les bruits qu'on avait hasardés sur son compte: "Me voici, mon père, me voici." » Suétone, Titus, 5.
En 75 après J.C., elle vint à Rome rejoindre son amant mais toujours avec son frère. Elle va vivre avec Titus au vu et au su de tout le monde ; et ainsi va se créer un scandale qui durera quatre ans. Pourquoi un scandale ? Pas pour une question de morale mais parce qu’un Romain ne pouvait s’unir à une barbare (personne née en dehors de la ville de Rome). Furent ils mariés ? Les avis sont partagés ; Dion Cassius dit qu’elle était sa concubine, Suétone aussi : « …éperdument épris de Bérénice, à laquelle, disait-on, il avait promis le mariage. » Suétone, Titus, 7.
Aurélius Victor, lui, parle d’épouse (uxor) : « Ainsi, après avoir admis à souper le consulaire Cécina, Titus le fit étrangler presqu'à la sortie de la salle du festin, parce qu'il le soupçonnait d'avoir déshonoré son épouse Bérénice. » Epitomé, X
---> Tableau de Sir Alma Tadema.
pour ensuite reparler d’elle comme d’une concubine : « …malgré l'espoir que Bérénice avait de l'épouser… » Epitomé, X.
Finalement elle fut renvoyée de Rome lorsqu’il monta sur le trône impérial succédant à son père : « …il lui ordonna de retourner dans sa patrie… » Aurélius Victor, Epitomé, X.
« Il renvoya Bérénice malgré lui et malgré elle. » Suétone, Titus, 7.
Selon Dion Cassius, elle serait revenue, pleine d’espoir, lorsque son amant avait été intronisé, cela laisse supposer qu’elle aurait été renvoyée une première fois avant que Titus n’accède à l’Empire. Elle ne le reverra jamais plus.
Qu’advint-il d’elle ? Nul ne le sait. On n’entendit plus parler de la reine Bérénice. Certains dirent qu’elle mourut l’année de l’éruption du Vésuve.
Elle fut une « princesse juive orthodoxe…amoureuse peut-être, calculatrice assurément, un être complexe s’il en fut…demeurant dans la pénombre où se morfondent les personnages historiques de second plan. » Emile Mireaux, « La Reine Bérénice ».
Pour les Français, elle n’est qu’une héroïne de Racine, Corneille aussi écrivit une pièce sur son histoire d’amour.