Forum Boarium

Forum Boarium:

ou marché au bétail.

Il se situait au pied du Capitole et de l'Aventin, à une centaine de mètres du Circus Maximus. Là était le port de Rome (Portus Tiberius) où les navires accostaient au niveau du Pont Aemilius.

Il y avait, à Rome, autant de marchés que de catégories d'objets vendus : on connaît l'existence de marchés aux porcs, aux grains, aux chandelles, aux épices.

---> Maquette de A. Caron, plan d'ensemble de Rome, on voit le Forum Boarium au centre de l'image.

---> idem mais plan plus rapproché.

La situation du Forum Boarium entre le Tibre et le Forum en faisait un lieu de passage fréquenté, plusieurs voies venant du Nord et du Sud y aboutissait, le pont Sublicus et plus tard le pont Aemilius unissaient en cet endroit les deux rives du Tibre, avant la construction de ces ponts, la jonction se faisait par le biais d'un gué, ainsi la région transtibérine a toujours rejoint la Ville.

Les cortèges triomphaux qui se rendaient du Champ de Mars au Forum le traversaient. Les corporations des marchands de boeufs et des banquiers élevèrent un petit monument à la gloire de Septime Sévère en 204 après J.C.Le premier combat de gladiateurs y eut lieu en 264 avant J.C. Ovide en parle en ces termes :

" Il est une place célèbre qui tient aux ponts et au grand Cirque; le boeuf qu'on y voit lui a donné son nom. C'est là qu'en ce jour même Servius, dit-on, de ses mains qui portaient le sceptre, consacra un temple à Matuta, mère vénérable. " Ovide, Fastes, VI, 477.

Le bœuf qui a disparu depuis longtemps dont parle Ovide serait une statue de bronze que l'on attribuerait au sculpteur grec Myron et que l'on pensait avoir été ramenée d'Egypte.

L'affluence en ces lieux et l'antiquité des souvenirs qui s'y rattachaient en faisait un centre vénéré, partout s'élevaient des temples dont quelques uns subsistent encore et sont parmi les mieux conservés et les plus anciens de Rome.

Temple d'Hercule Victor : (dit aussi de Mater Matura), petit temple rond que l'on a longtemps pris pour un temple de Vesta mais en fait il s'agit d'un temple consacré à Hercule Victor datant du Vème siècle avant J.C. fondé par un marchand. Les parois sont en blocs de marbre ce qui est rare à Rome où l'on employait des revêtements de plaques de marbre. Vingt colonnes cernent la cella. Il fut brûlé plusieurs fois et reconstruit en 174 avant J.C. par le consul Tiberius Sempronius Gracchus qui y plaça en souvenir de ses victoires une carte de la Sardaigne. Son état de conservation est du au fait qu'il fut transformé en une église (Santa Maria del Sole).

Temple de Portunus (dieu des ports) ou de la Fortune Virile : sa construction est de la fin du IIème siècle avant J.C. Son entrée est à l'inverse du Forum Boarium, c'est-à-dire qu'elle lui tourne le dos. Celui que l'on peut voir aujourd'hui date de 75 avant J.C. mais d'autres ont existé avant lui et ont été détruits par divers incendies. C'était une chapelle consacrée à la corporation des bateliers. Sa préservation est certainement du au fait qu'il fut transformé en église en 872 (Santa Maria Egiziaca), il fut donné en 1571 par Pie V aux arméniens qui lui donnèrent son nom. La cella était précédée d'un portique ayant quatre colonnes sur la façade, deux sur le coté. Ces six colonnes sont en travertin, huit décorent la cella.

La Bocca della Verita :

Sous le porche de l'église Santa Maria in Cosmedin a été déposée une pierre circulaire d'origine romaine qui fut soit une pierre d'égout soit peut-être une meule, la légende voulait qu'elle recouvre un trésor. Un visage grimaçant y était grossièrement figuré, la bouche était un trou percé au centre de la pierre. Ce trou a donné naissance à une légende : quand quelqu'un voulait démontrer péremptoirement la véracité d'une assertion, il y plaçait sa main et le trou se refermait dessus s'il mentait.

Arc de Janus : ou Janus Quadrifons. Il servait de carrefour où passaient quatre voies sous ses quatre arches (d'où son nom : Janus = dieu des portes, quadrifons = quatre voies).

Il a sans doute été construit au IV ème siècle après J.C. par Constance II, il fut élevé avec des pierres prises dans d'autres monuments, il fut construit au dessus de la Cloaca Maxima et marquait la jonction entre le Forum Boarium et le Vélabre. On ne sait guère quel put en être l'usage, il servait peut-être de bourse. Il fut transformé au Moyen Age en château fort par la famille Frangipani.

Il y avait en particulier un endroit sacré appelé Doliola où il était défendu de cracher. C'était là qu'avaient été déposés, racontait la légende, des reliques du roi Numa, on assurait également que les ustensiles servant aux vestales y avaient été cachés lors de l'entrée dans la ville des Gaulois.

On a découvert, il y a quelques années, au dessous du pavé antique des couloirs bordés de réduits, des banquettes occupent un des cotés de chacune de ces cellules, elles semblent dater de la période républicaine et furent peut-être des prisons où on enterrait vivantes les victimes humaines. On y pratique aussi le seul sacrifice humain connu de l'ère romaine (certains historiens parlent de trois, en -218, -216 et -113) :

" …on invita les décemvirs à aller consulter les Livres, et l'on envoya à Delphes Quintus Fabius Pictor demander à l'oracle par quelles prières, quelles supplications, les Romains pouvaient apaiser les dieux, et quelle serait la fin de si grands désastres. Cependant, sur l'indication des livres du Destin, on fit plusieurs sacrifices extraordinaires : entre autres, un Gaulois et une Gauloise, un Grec et une Grecque furent enterrés vivants au marché aux boeufs, dans un endroit clos de pierres, arrosé déjà auparavant du sang de victimes humaines, cérémonie religieuse bien peu romaine. " Tie-Live, XXII, 57, traduction sur le site de Philippe Remacle

On pourrait parler de Carthaginois (la seconde guerre punique battait son plein, Hannibal menacait Rome) alors qu'ils sont absents. Pourquoi Plutarque place-t-il à une autre date (-114) ce que Tite Live écrit. Beaucoup de questions non résolues ; des historiens ont été amenés à penser que ces sacrifices furent faits pour expier des crimes de Vestales, mais, en fait, aucune explication ne peut être fournie.

On y trouve aussi un quartier qui se nommait Busta Gallica car les Gaulois morts pendant l'assaut du Capitole y avaient été incinérés. Dans les premiers temps de Rome, on y vit le culte de la Pudicitia plebeia, réservé aux femmes de la plèbe. Tite- Live en conte l'origine :

"Ce qui rendit ces prières remarquables, ce fut, dans la chapelle de la Pudeur patricienne, située au marché aux boeufs, près du temple rond d'Hercule, une querelle qui s'éleva entre les matrones. Virginie, fille d'Aulus, patricienne mariée à un plébéien, le consul Lucius Volumnius, fut écartée par les matrones, parce qu'elle s'était mésalliée, de leur cérémonie religieuse. De là une brève altercation, qui, par suite de l'irascibilité féminine, aboutit à une lutte ardente. Virginie se glorifiant justement d'être entrée dans le temple de la Pudeur patricienne comme étant patricienne et pudique, mariée à un seul homme, à qui on l'avait conduite vierge, et de n'avoir pas à se repentir de son mari, de ses charges ni de ses exploits. Un acte éclatant de sa part ajouta encore à ces fières paroles : dans la rue Longue, où elle habitait, elle prit, sur une partie de sa maison, la place nécessaire à une petite chapelle, y établit un autel, et, après s'être plainte aux matrones plébéiennes, qu'elle avait convoquées, de l'outrage des patriciennes, leur dit : "Cet autel, je le dédie à la Pudeur plébéienne, et je vous exhorte, comme les hommes de cette cité rivalisent de courage, à rivaliser de pudeur entre matrones, et à vous efforcer de faire dire que cet autel est honoré, s'il se peut, plus saintement que l'autre, et par des femmes plus chastes." Cet autel fut honoré suivant les mêmes rites que le premier : aucune femme autre que les matrones d'une pudeur éprouvée, et n'ayant eu qu'un seul mari, n'eut le droit d'y sacrifier. Ce culte fut ensuite prostitué à des femmes impures, - et non seulement à des matrones, mais à des femmes de toute classe, - et il finit par tomber dans l'oubli." X, 23.

---> Forum Boarium vu du Tibre, ouverture de la Cloaca Maxima, dessin de Giovanni Battista Piranesi, milieu du XVIIIème siècle.

TEXTE COMPLEMENTAIRE :

Les origines du Forum Boarium.

Texte de A. Piganiol.

Mélanges de l'école française de Rome, Année 1909, Volume 29, Numéro 1

Repris par le Ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, Direction de l'enseignement supérieur. Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

II est admis que la Rome de Servius Tullius — j'entends la Rome fortifiée par les murs dits Serviens s'étendait jusqu'au Tibre. De l'angle Sud-Ouest du Capitole, le rempart courait droit vers le fleuve, un peu au midi de S. Nicola in Carcere ; en cette région, il était percé de la porte Carmentale et peut-être aussi des portes Triomphale et Flumentane. Du côté opposé, au pied de l'Aventin, une courte muraille, percer de la porte Trigemina fermait l'étroit passage entre le Tibre et la montagne. De la porte Carmentale à la porte Trigemina, le Forum Boarium était compris tout entier à l'intérieur de l'enceinte.

Je voudrais éprouver une hypothèse différente. Je suppose que les murs de Servius joignent le Capitole à l'Aventin, en décrivant, à distante du Tibre, une ligne brisée dont le sommet coïncide approximativement avec le Janus quadrifons. La porte Carmentale vient se placer au Sud du Capitole, immédiatement à l'extrémité du vicus Jugarius qui conduit au Forum. La porte Trigemina n'est plus entre le Tibre et l'Aventin mais entre l'Aventin et Sainte-Marie in Cosmedin. Le Forum Boarium est situé presque tout entier hors les murs. Il faut chercher si cette hypothèse explique les textes et les fouilles mieux que celle qui aujourd'hui reçue en doctrine.

Cette théorie à laquelle une étude indépendante m'a conduit, a été défendue déjà en 1830 par Bunsen, en 1845 par Urlichs: c'est Becker qui alors l'a combattue. A cette belle bataille ne manquèrent ni les injures bouffonnes ni les traits admirables de science. Et pourtant dans les livres actuels de topographie, c'est à peine si vous en saisissez l'écho. Je voudrais ranimer la théorie que Becker semble avoir tuée.

Avant d'entrer dans le détail des arguments, je dois répondre à deux objections préjudicielles, d'ailleurs contradictoires. On peut m'opposer en effet: 1° que les textes garantissent que Rome, entre le Capitole et l'Aventin n'a jamais été fortifiée ; 2° que les fouilles ont retrouvé le tracé des murs dans cette même région et qu'au lieu de s'écarter du fleuve, ils le serrent étroitement.

La première objection est très forte. Il est incontestable que, pour Tite-Live et Denys d'Halicarnasse. Rome a toujours été sans défense du côté du Tibre. Lorsqu'ils racontent la légende d'Horatius Coclès, pour expliquer la conduite de leur héros, ils indiquent l'un et l'autre, en termes exprès, que Rome, vers le Tibre, était une ville ouverte: l'ennemi maître du pont Sublicius pénétrait sans obstacle au cœur de Rome

Devons-nous les croire aveuglément ? Dès leur temps, les murs Serviens avaient disparu sous le flot des maisons. Denys avoue qu'on en reconnaît à grand peine le tracé, bien qu'il en subsiste de nom­breux pans intacts. Or, si ces murs étaient depuis longtemps sacrifiés, c'est principalement au Forum Boarium qu'ils avaient dû souffrir : là, au carrefour des vallées, au voisinage du port, s'ouvre la place la plus tumultueuse, la plus affairée de Rome celeberrima area (1).

Le mur qui faisait entrave à cette activité dut être entamé de bonne heure.

(1) Ovide, Fastes, VI, 477.

  Les murs de Servius, du coté du Tibre, devaient être très difficiles à trouver; or, dans cette région, nos auteurs n'ont peut-être pas pensé à les chercher, précisément parce qu'ils croyaient à la légende d'Horatius Coclés. Pour eux, cette légende prouvait que les murs du roi Servius ne couvraient pas le Tibre. Ils ne devaient pas voir que la légende plus savante qu'eux, démontrait qu'au début de la République l'enceinte de Servius n'existait pas.

La seconde objection pourrait être celle de M. Lanciani. « II n'est pas une portion de l'enceinte de Servius, écrit-il, dont le tracé soit plus certain et les restes mieux conservés que celle des bords du Tibre ». Mais je ne crois pas que cette objection plus soit décisive. Si je puis établir que l'enceinte de Servius courait à distance du fleuve, les murailles qui le bordent ne seront plus les fonda­tions d'un rempart, mais on y reconnaîtra les ruines du quai.

A priori, il semble impossible que Rome n'ait pas été fortifiée du côté du Tibre. La violence du courant, dit Jordan la protégeait assez ; l'histoire du Forum Boarium prouve au contraire, comme nous verrons, qu'on y abordait aisément. Puis, si vraiment le Tibre était une défense suffisante ; pourquoi les Romains auraient-ils for­tifié la pente de l'Aventin du côté du fleuve ? II devait suffire d'un court rempart à l'entée de la plaine du Testaccio. Le fait que le mur de Servius courrait sur la hauteur de Sainte Sabine prouve que la Rome Servienne ne s'est pas contentée du fossé du Tibre. — Il me semble vraisemblable aussi que les murs ne bordaient pas le fleuve : à une époque reculée, c'eut été bâtir en plein marais et, d'autre part, les inondations auraient perpétuellement compromis la solidité du rempart. Ajoutez enfin que de bonne heure les mar­chands étrangers débarquèrent dans cette sorte de golfe que forme ici la rive du Tibre, ils y séjournaient sous la protection de leurs dieux. Cette foule devait être suspecte ; l'accueillir au cœur de la place eût paru fou.

Les deux temples d'Hercule.

Laissons de coté le temple d'Hercule dit Pompéien, temple de petite gloire, et qu'on ne saurait confondre avec les monuments qui vont nous occuper, bien qu'il soit situé dans leur voisinage immédiat, prés du Grand Cirque. Il existait à Rome, au pied de l'Aventin deux sanctuaires d'Hercule dont la gloire traditionnelle éclipsait tous les autres. Parmi les textes qui concernent ces deux temples, sans toujours les distinguer clairement, tachons maintenant de faire un tri.

Le premier sanctuaire est l'autel qu'Hercule à lui même s'est dédié. Une terminologie scrupuleuse ne permet pas de dire qu'il est sur le Forum Boarium mais seulement auprès de ce Forum. C'est l' ara maxima. Bâtie après la mort de Cacus et pour célébrer la victoire d'Hercule, il est naturel qu'elle s'érige non loin du champ de bataille.

Or, comme on sait, Cacus habitait au pied de l'Aventin, l'endroit appelé les Salines, où plus tard fut situé la Porta Trigemina. Il est donc naturel de supposer que le sanctuaire d'Hercule «  ad portam Trigemina, cité par Macrobe en première ligne, est identique à l'Ara Maxima. Et nous en pouvons encore préciser l'emplacement à l'aide du texte de Servius qui nous apprend que de son temps l'Ara Maxima se voit « en avant des portes du Grand Cirque  ». 

A l'origine, l'Ara Maxima existait seule : le temple est une création postérieure : un texte de Servius du moins l'affirme. Tandis que l'Ara est une fondation du héros lui-même, le temple est une œuvre humaine, bien respectable encore, puisqu'Evandre l'a consacré. C'est l' aedes rotonda Herculis située en plein Forum Boarium. Tandis que l'Ara n'était qu'un lieu saint, sans décor, d'une simplicité dont Denys s'étonnait, le temple rond fit de bonne heure appel aux ressources des artistes : parmi les primitifs de la peinture romaine, Pline cite Pacuvius à qui l'on devait la décoration du temple d'Hercule au Forum Boarium : plus archaïque était encore la statue, offerte par Evandre que ce même temple abritait.

Comme j'ai dû l'avouer déjà, les textes ne sont pas toujours si précis. Il vaut mieux dire que l'Ara Maxima est située «près» du Forum Boarium : cela n'empêche pas Ovide de la mettre sur ce Forum. L'origine des deux sanctuaires n'est pas non plus distinguée aussi clairement que je l'ai voulu: selon Virgile, par exem­ple, l'Ara Maxima est une fondation privée des Potitii et des Pinarii.

Malgré ces difficultés, il me semble que le groupement de texte que j'ai proposé est le plus naturel. En serrant de près les textes, vous serez emmenés presque nécessairement à distinguer

1) L' Ara Maxima « voisine du Forum Boarium, près de la porte Trigemina, en avant des portes du cirque » ;

2) Le temple rond au milieu du Forum Boarium.

--- Temple d'Hercule

Or, cet arrangement si simple, personne ne l'adopte. La porte Trigemina est trop loin du cirque, selon l'hypothèse aujourd'hui courante, pour qu'on puisse admettre que l'Ara Maxima soit située simultanément près de cette porte et près du cirque. Aussi passe-t-on presqu'entièrement sous silence le sanctuaire de la porte Trigemina, dont l'existence est attestée tant par le texte de Macrobe que par la mention d'un calendrier (1).

(1) Calendrier d'Amiternum : 12 aout.Cal.d'Allifae : 12 août et 13 août.

  De ce temple là, qui est l'un des deux temples fameux, on ne sait rien dire. Et en revanche, le temple du Forum Boarium, on le divise en deux temples voisins, Ara Maxima et temple rond. Bref, les anciens nous attestent qu'il existait deux sanctuaires : celui de la Porta Trigemina , les modernes le passent sous silence ; et celui du Forum Boarium, ils le dédoublent.

--- Porte Trigemina

A quelle condition échapperez-vous à cet embarras ? A condi­tion de placer la porte Trigemina près du Grand Cirque, à con­dition de tracer le mur Servien de l'Aventin vers le Nord-Est en passant par Sainte Marie in Cosmedin.

Cette solution demeure précaire tant que les fouilles ne l'ont pas confirmée. Profitons du moins des quelques données que nous possédons pour tâcher de fixer sur le terrain l'emplacement de deux temples. Ces données sont les suivantes : nous connaissons

1) un temple rond situé en l'ace de Sainte Marie in Cosmedin;

2) de grandes substructions de tuf dans les fondations de cette dernière église;

3) grâce à des témoignages du XVI" siècle, un temple rond qui s'élevait entre Sainte Marie in Cosmedin et le Grand Cirque.

Du premier temple rond ( S. Maria del Sol ) je ne dirai rien. Les fondations en sont très anciennes. La restauration qui lui a donné son aspect actuel date vraisemblablement du I' ; siècle de l'Empire.

Les ruines découvertes lors des travaux de Sainte Marie in Cosmedin exigent plus d'attention. Elles comprennent deux parties principales : l'une est un portique de très basse époque, situé du coté de la place Bocca della Verità et dans lequel s'installa l'é­glise primitive: l'autre, correspondant au choeur de l'église actuelle, est un important massif de blocs de tuf rouge très exactement ap­pareillés. Le portique s'adossait à un grand mur de briques qui le séparait de la construction de tuf': en un seul point de ce mur est un pan de tuf que l'on rattache habituellement sans preuve cer­taine, me semble-t-il, aux substructions antiques du choeur. Ce pan de tuf pourrait être le seul reste d'une muraille qui aurait primitivement occupé la place du mur de briques.

Sur la destination du premier édifice, les topographes s'accordent : il s'agit sans doute d'une construction annexe de la Statio Annonae qui, au bas empire, était fixée précisément dans cette région. Mais, sur le second, les opinions varient. Ses restes actuels ne donnent qu'une médiocre idée de son importance antique : le Liber Pontificalis nous apprend que, sous le pape Hadrien, il fallut détruire un immense édifice de tuf, situé au chevet de la diaconie primitive et qui menaçait de s'écrouler sur elle. Selon M. Lanciani, nous avons là les ruines du temple de Cérès, qui était bâti tout près des carceres du Cirque. Selon M. Hülsen, il s'agit du temple d'Hercule Pompéien dont l'existence nous est attestée en cette région, « ad circum Maximum ».

Mais pourquoi ces savants n'ont ils pas envisagé l'hypothèse qu'il put s'agir des ruines de l'Ara Maxima ? L'emplacement convient excellemment : les ruines sont situées « post ianuas Circi Maximi » comme veut Servius : elles sont séparées de la grande place libre du Forum Boarium par le mur auquel s'adossait le portique de la Statio Annonae et où il faut voir comme je tâcherai de l'établir une survivance du tracé du mur Servien : elles sont donc, comme veut Denys, «  près de Forum Boarium », mais non sur la place elle-même: la parte Trigemina trouve sa place naturelle dans la partie du mur intermédiaire entre l'Aventin et Sainte Marie in Cosmedin ; les ruines considérées sont donc bien « ad portam Trigemina » comme veut Macrobe : enfin, comme le mur a du être entamé de bonne heure de part et d'autre de l'Ara, celle ci s'est trouvée comme annexée par les envahissements du Forum Boarium et Ovide a pu se permettre de dire qu'elle était située sur ce Forum.

Bref, tout conspire à rendre cette hypothèse vraisemblable : du moins elle vaut tout autant, me semble-t-il, que les deux autres. Les choses vont-elles aussi bien si vous installez sur ces ruines le temple de Cérès ? Non, car un texte indique qu'il était plus prés de l'Aventin. Ou du temple d'Hercule Pompéien ? Peut-être car de ce temple vous ne savez rien, sinon qu'il était comme une infinité d'autres temples, «ad circum Maximum » : pourtant il est peu vraisemblable qu'à l'époque de Pompée, des architectes aient encore bâti exclusivement en tuf : dés la fin du II' siècle avant J. C. le travertin était employé. Enfin, comme nous le verrons bientôt, les inscriptions trouvées au XVI ème siècle près de Sainte Marie in Cosmedin concernent les cérémonies annuellement accomplies à l'Ara Maxima.

Je vois donc des raisons d'appeler ces ruines l'Ara Maxima : je ne vois pas de raison décisive de préférer un autre nom.

Portus Tiberinus.

Toute une série de textes anciens situent l'activité commerciale de Rome, la vie du port, extra portam Trigeminam. Comme les topographes placent la porte Trigemina entre l'Aventin et le Tibre, il s'ensuit que le port de Rome est rejeté au pied de l'Aventin et, comme ici l'espace manque pour le trafic, jusqu'à la plaine du Testaccio. Or, d'autres témoignages nous garantissent au contraire que le port de Rome était primitivement situé au Forum Boarium. A cette contradiction on n'échappera qu'en déplaçant la porte Trigemina.

Voici les textes qui fixent le port de Rome hors de la porte Trigemina. En 193, les Aemilii, édiles, “porticum unam extra portam Trigeminam , emporio ad Tiberim adjecto, ... perduxerunt” (Liv., XXXV. 12). En 192, les édiles curules, M. Tuccius et P. Junius Brutus, bâtissent dans le même région un autre portique : « porticum extra portam Trigeminam inter lignarios fecerunt (Liv.,XXXV, 41, I 0 ). En 179, ce sont les grands travaux du censeur M. Fulvius Flaccus; il mit en adjudication «portum et pilas pontis in Tiberim, quibus pilis fornices post aliquot annos P. Scipio Africanus et L. Mummius censores locaverunt imponendos. . . . et forum et porticum extra portam Trigeminam et aliam post Spei ad Tiberim (et ad) aedem Apollinis Medici » (Liv., XL, 51,6). Enfin, ce sont en 174 les travaux des, censeurs Q. Fulvius Flaccus et A. Postumius Albinus : «extra portam Trigeminam emporium lapide staverunt stipitibusque saepserunt et porticum Aemiliam reficiendam curarunt, grandibusque adscensum ab Tiberi in emporium fecerunt. Et extraeadem portam in Aventinum poticum silice straverunt… » (Liv., XLI, 27, 8.)

De ces textes, il résulte qu'au II ème siècle, la région située hors de la porte Trigemina fut l'objet de nombreux travaux destinés à mieux satisfaire aux besoins du commerce. Sur ce point il ne peut subsister aucun doute; les portiques bâtis hors de la porte sont dits situés au voisinage de l'imporium, du port, parmi les lignarii. Déjà, tout au début du II" siècle, le parasite qui meurt de faim se plaint d'être obligé d'aller demander de l'ouvrage « extra portam Trigemina» (1). Là devaient se rendre les ouvriers sans métier, cette plèbe mendiante qui ne voulait pas s'astreindre à un travail ré­gulier.

Or, il est certain qu'à cette même époque, au II" siècle, le port de Rome est situé au Forum Boarium. Le temple de Portunus, dit Varron, fut bâti « in portu Tiberino » (2). Et les calendriers nous apprennent que la fête de Portunus se célébrait «  ad pontem Aemilium » .

(1) Plaut. Captiv. I, 1, 21.

(2) Selon Mommsen, le portus Tiberinus dont il est question dans Varron serait Ostie.

D'autre part, nous avons vu qu'en 179 M . Fulviiis Flaccus mit en adjudication «portum et pilas pontis in Tiberim », en même temps qu'un portique hors de la porte Trigemina. Or ce pont, dont les arches ne furent construites que plus tard, en 142, par les censeurs P. Scipio Africanus et L. Mummius, est le pons Aemilius , le premier pont de pierre de Rome,et, selon toute vraisemblance, il était situé à l'emplacement du Ponte Rotto actuel. Puisque le port de Rome est au forum Boarium, emporium aussi doit en être voi­sin: les portiques bâtis , extra portam Trigemina en relation avec l'emporium ne peuvent plus être rejetés sous l'Aventin.

De la porte Trigemina, il semble sur que plusieurs portiques divergeaient. Celui que bâtit les Aemilii en 193 est adjacent à l'emporium : il est donc identique à la porta Aemilia qui fut restaurée en 174. Or, en 1711, M . Fulvius avait bâti un autre portique hors de cette même porte. Direz vous qu'ils étaient bout à bout ? L'objection semble écartée par le texte de Tite-Live (XLI, 27, 8 ) cité plus haut. Lu sans préjugé, il indique que les censeurs travaillèrent à deux portiques, qui partaient l'un et l'autre de la porte Trigemina : le premier se dirigeait vers l'emporium, le second vers l'Aventin (in Aventinum). Je ne sais comment interpréter ces textes si la porte Trigemina est située entre l'Aventin et le Tibre : dans cet étroit passage il faut installer l'emporium, et, de la porte, faire diverger des portiques. Je ne sais pas non plus si on pourra donner à l'expression «  in Aventinum » un sens bien satisfaisant : pour que le portique puisse être dirigé vers l'Aventin, il faut, semble-t-il que la porte Trigemina ne touche pas la colline. Dans l'hypothèse que je défends, ces difficultés s'évanouissent. De la porte Trigemina, placée au voisinage de Sainte Marie in Cosmedin, il y a place pour tous les portiques qu'on voudra, l'un peut-être vers le Nord en avant du grand Cirque, un autre vers le temple rond d'Hercule en bordure de l'emporium, un autre, au Sud, vers l'Aventin. Le portique de basse époque dont les travaux de Sainte Marie in Cosmedin ont révélé l'existence, adossé, je crois, au mur de

Ser­vius, occupe peut-être l'emplacement d'une de ces constructions archaïque.

Pour achever cette démonstration, je voudrais présenter enfin des textes qui, moins précis, suffirait portant à suggérer que le port de Rome dut être, dès l'origine, dans la région que j'indique.

L'étude de M. Merlin sur l'Aventin a acquis un résultat de grand prix. Il a été prouvé que les plébéiens de l'Aventin furent surtout, à l'origine, des marchands étrangers, les concession des terres de l'Aventin à la plèbe ( lex Icilia de Aventino publicando de 456) coïncide avec une période de cherté des vivres où l'Etat avait besoin du concours des marchands (1). Comme j'aurais plus tard l'occasion d'en faire la remarque, ce n'est pas un hasard si cette région est si hospitalière aux dieux étrangers. C'est que le commerce obligeait les marchands à séjourner soit près de la porte Capène, là où aboutissait la route de Campanie, soit au voisinage du port, près du Cirque, où l'on célébrait, selon le rite Grec, le culte de Cérès et près du temple de Mercure. A l'origine, ce n'est pas du coté du Testaccio, c'est du côte de la vallée du Cirque que les marchands se pressent et c'est le Forum Boarium le champ de foire. Le texte de Tite-Live relatif à l'occupation de l'Aventin, dit qu'Ancus Martius donna des terres aux Latins « ad Murciae   »:

(1) « L'Aventin dans l'Antiquité » p. 87 sq.

  cet évènement n'est peut-être que l'anticipation mythique d'un événement très postérieur : mais il marque bien que l'Aventin à l'origine regarde le Palatin et non l'immense plaine du bas du Tibre.

C'est dans cette région de Rome que s'est fixée au Bas Empire la Statio annonae : nous avons vu plus haut que le portique re­trouvé, à Sainte Marie in Cosmedin devait en dépendre. En s'instal­lant ici, l'annone, je crois, a repris un domaine que déjà la République lui réservait. Du moins il est certain que le temple de Mercure, situé dans la vallée du Grand Cirque, est en relation avec le service de l'annone, puisqu'il nous est dit que ce service, en l'an 495, rentrait dans les attributions du magistrat qui dédia le temple Plus éloquent encore est l'histoire de Minucius, auquel Tite Live donne le titre de praefectus annonae ; il distribua gratuitement la farine confisquée après la mort de Sp. Maclius, et le peuple reconnaissant lui érigea une statue (ou quelque autre mo­nument) extra portam Trigemina .

Le service de l'annone, sous la République , était donc centra­lisé au voisinage du port et de la porte Trigemina : c'est seulement, à partir de Claude que le portique voisin du Forum Holitorium, « porticus Minucia » fut affecté à cette administration ; mais il est possible que des magasins ou des bureaux aient été conservés au voisinage de la place della Bocca della Verità ce qui expliquerait que l'époque de Constantin eût repris la tradition républicaine. La dédicace à Constantin de FI. Crepercius Madalianus v. c. praef. ann. Cum jure glad. trouvée au milieu de la place ne devait pas être bien loin de la statue de Minucius, à supposer que celle-ci eût tant duré.

On voudrait rejeter entre l'Aventin et le Tibre toutes les cons­tructions fondées au II' siècle hors de la porte Trigemina. Or nous avons la preuve que la région située au pied de l'Aventin était alors presque déserte. Là s'étendait le lucus Stimulae , théâtre des Bacchanales (Ovid., Fast., VI,503). La nuit, les matrones possédées par le dieu couraient jusqu'au Tibre et y plongeaient, leurs torches (Liv., XXXIX, 12. 4). Il est impossible d'imaginer que ces mystères aient été célébrés au voisinage immédiat de l'emporium et du port.

En résumé, la place « extra portam Trigeminam » où s'espacent les portiques destinés à la commodité des marchands, voisine du portus Tiberinus, du pons Aemilius, de l'emporium, cette place est le Forum Boarium. Entre les murs de Servius et le Tibre, là est le centre de la vie commerciale; c'est là que l'Etat établit à l'origine le service de l'annone.

Je dois indiquer une dernière hypothèse. Si le temple rond d'Hercule est S. Maria, del Sole, il convient de dédier à Portunus S. Maria Egiziaca. Il y est bien à sa vraie place, au débouché du pons Aemilius. Avant de nous éloigner du Tibre pour gagner le Vélabre, jetons un dernier regard sur la rive : à gauche, en face de l'île Tibérine, nous avons le navale inferius : puis vient le temple ionique de Portunus, à l'entrée du pont: puis, le temple rond d'Hercule; puis, la place où devait être l'emporium , décorée sans doute d'un sanctuaire d'Apollo Caelispex. Le bas-relief de l'arc de Bénévent où M. Domaszewski a reconnu le port du Tibre figure pré­cisément, sur le rivage, parmi la foule des negociatores et dans l'ordre où nous les avons rencontrés, les trois dieux du Forum Boarium : Portunus, Hercule et Apollon.

Les Temples de la Fortune et de Mater Matuta.

Voici comment raisonnent les historiens partisans de la thèse que je combats. En l'an 213 un grand incendie dévasta le quartier Ouest de Rome : il ruina simultanément le temple de la Spes , d'une part, les temples de la Fortune et de Mater Matuta, de l'autre (1).

(1) Liv. XXIV ,47, 15. XXV, 7, 1.

  Or, la Spes était adorée au Forum Holitorium, et l'on retrouve les ruines de son temple sous l'église S. Nicola in Carcere : ce temple est dit par Tite-Live «extra portam Carmentalem». Au con­traire, les deux temples de la Fortune et de Mater Matuta sont situés sur le Forum Boarium et dit encore Tite -Live. «intra portam». D onc le mur de Servius Tullius séparait le forum Holitorium, au Nord, du Forum Boarium, au Sud : et la porte Carmentale permettait l'accès de l'un à l'autre.

Ces mêmes savants ajoutent que les temples de la Fortune et de la Mater Matuta , que les textes citent souvent ensemble, de­vaient être rapprochés en effet : ils furent dédiés le même jour, brûlèrent ensemble : L. Stertinius bâtit, en avant de ces deux tem­ples, deux arcs qui semblent symétriques. Comme on a donné à Portunus l'église S. Maria del Sole, on est libre d'offrir soit à la Fortune soit à Mater Matuta le temple ionique du Ponte Rotto et l'on imagine que l'autre déesse occupait, un peu à l'Est, un sanctuaire parallèle.

--- Temple de Mater Matuta

La thèse si fortement soutenue, serait certes incontestable si on avait raison de comprendre comme le font MM. Wissowa et Hulsen le texte d'Ovide suivant ( fastes , II. 55 ):

- Principio mensis, Phrygiae contermina Matri,

Sospita delubris dicitur aneta novis.

Il s'agit, disent ces savants, du temple de Juno Sospita au Forum Holitorium voisine du temple de la Mater Matuta. Or, le temple de Juno Sospita était immédiatement au Sud du temple de la Spes ; il n'est autre que le temple dorique dont un observe encore les ruines près de S. Nicola in Carcere. Si vraiment Sospita et Mater Matuta ont deux temples qui se touchent, il faut bien installer Mater Matuta, immédiatement au Sud de Sospita : on ne peut la placer à l'Est car cet espace est celui du Forum Holitorium lui-même. Mais il n'est pas permis d'interpréter ainsi le texte d'Ovide: le temple de Mater Phrygia est le temple de Cybèle au Palatin: il est vrai que Juno Sospita, sur le Palatin, nous est inconnue : mais c'est que le temple d'Ovide, son temple avait disparu ( Fastes , II, 57.) Le texte d'Ovide ne peut donc pas être invoqué ici : il n'in­téresse pas le Forum Boarium.

Malgré la grande pénurie de textes, il me semble qu'on peut rendre vraisemblables les thèses suivantes:

1. Le temple de la Fortune était situé plus près du Vélabre que du Tibre . Lors de l'incendie de 213, l'incendie gagne l'Aequimelium et le vicus Iugarius, puis les temples de la Fortune et de Mater Matuta puis la porte Carmentale et le Forum Holitorium (1).

Donc ces deux temples se trouvaient vers l'extrémité du vicus Iugarius, au pied du Capitole.

D'autre part la Noticia Regiorum XI énumère, dans l'ordre sui­vant :Velabrum, Fortunium, areum divi Constantini.

II semble donc imprudent de placer ces deux temples de la Fortune et de Mater Matuta aux bords du Tibre. Ils n'étaient pas éloignés sans doute de la place S. Maria della Conzolazione.

2. Le pons Sublicius est situé hors de la porte Carmentale. Lors de leur expédition contre Véies, les Fabii sortirent de Rome par la porte Carmentale (Liv., II, 49.) .

(1) Live, XXIV, 47, 15.

  Comme l'a prouvé M. Rieter, ils allaient tenter de fonder un établissement sur la rive étrusque du Tibre, en face de Fidènes. Ils ne pouvaient franchir le Tibre qu'au pont Sublicius. Si l'un place la porte Carmentale, comme tous les topographes contemporains, entre le Capitole et le Tibre, on est obligé d'avouer que le texte de Tit Live est incompréhensible.

3. Le Forum Boarium s'étendait , en effet, jusqu'à la vallée comprise entre le Capitole et le Palatin. J' aimerais mieux donner du Forum Boarium cette définition : on appelle Forum Boarium l'espace compris entre les murs de Servius (selon le tracé que j'adopte) et le Tibre. Cela n'est pas permis puisque les temples de la Fortune et de Mater Matuta sont à la fois in Foro Boario et intra portam Carmentalem.

Voici comment j'expliquerais cette anomalie. La région basse qui s'étend au pied du Capitole, du Palatin et de l'Aventin constitue une unité naturelle. Je suis frappé de voir que le nom légendaire de Cacus se retrouve aux points les plus éloignés de ce vaste espace: ce sont les Scalae Caci du Palatin, limite de la Roma Quadrata. L'antre de Cacus à l'Aventin et enfin l'atrium Cac. , que nous avons l'étonnement de rencontrer dans la noticiaregionum , VIII (Forum Magnum) au voisinage du vicus iugarius. Pour cette raison, je ne serais pas éloigné de croire que ce nom fut primitivement plutôt celui d'une région de Rome que d'un personnage héroïque. Cacus, c'est le Forum Boarium : « Qui Cacus habitavi locum cui Salinae nomen est » ; «  Iuxta Forum Boarium quem Cacum dicunt ».

Le problème est donc de savoir à la suite de quelle évolution le nom de Forum Boarium s'est trouvée appliqué à tonte la région naturelle, domaine de Cacus. Je ne sais si le texte de Tite-Live (XL.51, 6.) ne nous conserve pas le souvenir de la création officielle du Forum Boarium : Fulvius Flaccus créa « et forum et porticum extra portam Trigeminam ». Puis le nom aura gagné tout l'espace compris entre les murs et le Tibre ; puis, quand les murs tombèrent, le pomerium avec ses temples. Ainsi l'unité de la région de Cacus aurait été reconstituée sous le nom de Forum Boarium.

Les portes occidentales du mur de Servius.

Je prends le mur au dernier point de l'Aventin où on l'a re­connu, dans le jardin de Sainte Sabine . Prolongez la direction ainsi obtenue et vous rejoignez la via di Sabina que vous pouvez suivre tout droit, jusqu'au point où un brusque coude la jette vers la via della Marmorata. La via di S. Sabina peut correspondre à l'ancien tracé du rempart: elle courait peut-être sur le pomerium.

Prolongez encore la même direction et vous venez couper en deux Sainte Marie in Cosmedin, séparant le portique de la Statio Annonae , à gauche, de l'Ara Maxma , à droite. Or, il est très vrai­semblable que le mur passait en ce point : de bonne heure des por­tiques ont dû s'y adosser, dont le portique retrouvé à Sainte Marie est une survivance : et j'ai déjà marqué comment l'Ara Maxima, située hors de l'espace de Forum Boarium en est pourtant sûre­ment voisine.

Examinons ce trait du mur plus en détail. J'admettrais volon­tiers qu'il n'était pas parfaitement rectiligne finie, mais qu'il avait dû, pour englober dans l'enceinte de la ville l'Ara Maxima, faire une légère inflexion vers l'Ouest. Ce serait le moyen de faire rentrer dans ce tracé le mur percé d'une porte, en appareil Servien, que M. Borsari a découvert en 1885 : ce mur était perpendiculaire au fleuve : il y avait peut-être en ce point un décrochement. En met­tant bout à bout les feuilles 28 et 36 de la Forma Urbis de M. Lanciani, où sont indiquées les découvertes de 1885, vous reconnaitrez qu e la solution proposée est admissible. Je ne crois pas cependant que la porte découverte par M. Borsari soit la porte Trigemina elle-même. La porte qu'il décrit s'ouvre en effet du coté du passage étroit qui subsiste entre le Tibre et l'Aventin : et ce n'est pas là, je l'ai montré, qu'il faut chercher la grande place « extra portam Trigeminam». D'autre part, elle avait été condamnée, à une époque assez ancienne, car un mur d'appareil réticulé la bouchait : au contraire, la Porta Trigemina était encore utilisée au temps où fut compilée la Notitia Regionum. Le nom de cette porte m'est inconnue.

Quant à la porta Trigemina , ainsi nommée probablement à cause de ses trois arcades, je la place entre le mur découvert par M. Borsari et Sainte Mari in Cosmedin.

Pour justifier cette hypothèse, un argument est bien tentant. L'aqua Appia, conduite à Rome par le grand censeur App. Claudius Caecus, passait sous S. Gregorio, traversait sur un aqueduc la vallée voisine de la porte Capène, courait au pied de Saint Sabas, puis, traversant en tunnel l'Aventin, débouchait à la porte Trigemina, : «  Incipit distribui Appia imo Publicii clivo ad portam Trigemina . Or l'anonyme d'Einsiedeln s'exprime ainsi: «in sinistra ecclesia Graecorum. Ibi est aqua subtus montem Aventinum currens ». Et MM. Lanciani et Hülsen se trouvent cette fois d'ac­cord pour reconnaître qu'il ne peut s'agir que de l'Appia. Je conclurais volontiers : puisque l'Appia aboutit près de Sainte Marie in Cosmedin, c'est donc que la porta Trigemina était voisine de cette église.

Mais, si vous examinez les plans de Rome antérieur au XVI ème siècle, vous vous apercevez que l'eau qui coule près de Sainte Marie est celle d'une longue rivière qui pénètre dans l'enceinte de Rome à la porte Metrovia et traverse la vallée du Grand Cirque de bout en bout. On l'appelle aujourd'hui Marrana di S. Giovanni, mais elle gardait alors encore son vrai nom d' Aqua Craba ; elle for­mait le grand marais dans le Cirque Maxime : le plan du Cod. Laur. montre qu'on la traversait près de Sainte Marie in Cosmedin, sur un pont de deux arches appelé pons Novus . D e quelle époque date ce tracé de la rivière ? Je ne puis l'établir. Il me semble pourtant vraisemblable que dans le récit de l'Anonyme, il s'agit de ce canal plutôt que du réservoir de 1'aqua Appia.

Pour déterminer l'emplacement de la porte Trigemina, un seul document nous reste: le récit de la fuite de C. Gracchus. Il s'était retranché sur l'Aventin au temple de Diane ; ses ennemis, conduits par D. Brutus, s'engagent dans le clivus Publicius et vont atta­quer le temple. Gracchus, voyant ses partisans vaincus, s'enfuit vers le temple de la Lune. Il saute par la fenêtre et se foule le pied ; pourtant il a encore la force de gagner la porte Trigemina , de traverser le Tibre au pont Sublicius et finalement atteint le lucus Furrinae du Janicule, où la mort l'attend . Il n'est pas aisé de se représenter ces divers épisodes.

Le clivus Publicius n'est pas, je crois, la rue qui monte di­rectement à S. Sabina : celle-ci correspond au tracé du mur de Servius. Le clivus dut être une création indépendante : il est l'œuvre des édiles curules Publicii de l'an 230. Je le place, comme M. Hulsen, sur la pente Nord-Est de l'Aventin, traversant la vigne des Sœurs de Saint Vincent de Paul.

L'emplacement du temple de Minerve , qui n'est connu que par un fragment du plan de marbre, ne peut être précisé. Du temple de la Lune voici ce que l'on sait : une porte arrachée par la tempête an temple de la Lune vint se coller contre le mur postérieur du temple de Cérès. Et Appien semble dire que la foudre, en l'an 84, frappa simultanément les deux temples de la Lune et de Cérès. Or, le temple de Cérès était situé près du Cirque Maxime et vers le bas du clivus Publicius. Tout ce que nous savons du temple de la Lune , c'est donc qu'il était situé du coté de la vallée du Grand Cirque.

Essayez maintenant de vous représenter la course de Gracchus. Selon M. Hülsen le temple de la Lune était situé tout à fait au Nord de l'Aventin, à l'angle des deux versants, si bien que Gracchus, s'étant jeté par la fenêtre, atteint les bords du Tibre, hors de la ville. P uis il rentre par la porte Trigemina sur le Forum Boarium et gagne le pont. Je ne sais si ce récit paraîtra satisfai­sant : aucun texte ne permet d'affirmer que le temple de la Lune dominait le Tibre. Puis, comment penser que Gracchus, ayant réussi à sortir de Rome, ait osé s'y rejeter volontairement ? Voici, pour moi, comment les choses ont pu se passer. Du temple de Diane, Gracchus se rabat sur le temple de la Lune. De là il se jette sur la pente qui descend vers Sainte Marie in Cosmedin, parallèlement au mur de Servius, tout près de la via di S. Sabina : il arrive non loin du temple de Cérès, et sort alors de Rome par la porte Trigemina, située prés de l'Ara Maxima. Ses amis qui avaient suivi sa fuite périlleuse firent front à la porte Trigemina : il est probable que les ennemis de Gracchus, s'étant aperçus de la manoeuvre avaient redescendu le clivus ; après avoir ferraillé près de la porte, on engagea à l'entrée du pont une nouvelle bataille. Puis les amis de Gracchus ne pouvaient plus rien pour lui.

---> Plan, avec l'emplacement de la porte Trigemina, vue par A. Caron.

Site : http://www.maquettes-historiques.net/page4.html

Cette interprétation est aussi conjecturale que l'on voudra. Il semble seulement que, si la porta Trigemina, est près de Sainte Marie, on voit mieux les événements s'arranger que si elle est sous l'Aventin.

Le monument élevé en l'honneur de L. Minucius Augurinus était situé comme je l'ai exposé, sur la place, en avant de la porte Trigemina. Un texte de Festus nous apprend qu'il existait une porta Minutia, ainsi nommée d'après le sacellum Minutii qui en était voisin. Les topographes s'en sont montrés embarrassés : et en effet entre 1'Aventin et le Tibre, c'est tout juste s'il y a place pour la porte Trigemina : il n'est pas facile d'y loger une autre porte. Ainsi les uns ont refusés de la considérer comme une porte de l'enceinte Servienne : et d'autres ont supposés que porta Minutia était un autre nom de la porta Trigemina. Dans l'hypothèse que je défends, on dispose de plus d'espace et l'on peut distinguer les deux portes. S'il est vrai, comme le pense M. Pais que la porte Minutia emprunte son nom à Hercule, il sera naturel de la placer au voisinage de l'Ara Maxima.

Passé l'Ara Maxima, je suppose que le mur de Servius continuait à courir dans la même direction, vers le Nord Est, en avant des portes du Cirque. Dans cette région devaient être percées les Douze Portes.

Pline (H.N. III, 66) se référant peut-être à un document officiel datant de la censure de Vespasien, présente les données statistiques suivantes :

1- la longueur du circuit des moenia : il spécifie qu'il considère la ville des XIV régions :

2- le total d'une série de mesures radiales. «mensura currente a milliario in capite Romani Fori statuto ad singulas portas quae sunt hodie numero XXXVII, ita ut XII semel numerentur praetereanturque ex veteribus septem, quae esse deseriunt»

3- le total d'une série de mesures analogues mais cette fois «ad extram . . . tectorum cum castris praetoriis » et en suivant le parcours des rues, non plus en mesurant à vol d'oiseau.

Le texte cité semble clair - : il y avait à Rome douze portes que Pline ne compte que pour une et qui étaient situées à la limite de l'enceinte.

Or la Notitia Regionum , XI, signale les “ duodecim portas ” précisement dans la région du Grand Cirque et non loin de la Porta Trigemina.

De ce texte, Bunsen avait rapproché un passage de Varron « in circo primum unde mittuntur equi, nunc dicuntur carceres, Naevius oppidum appellat Carceres dicti, quod coercentur equi…Quod a nuri parte pinnis turribusque carceres olim fuerunt, scripsit poeta :

dictator ubi currum insidit,

pervehitur usque ad oppidum ».

Et Bunsen a conclu que le Grand Cirque se terminait exactement au mur de Servius et que les Douze Portes , percées dans l'enceinte, se trouvaient en même temps celles des carceres.

Voici les objections qu'on a faites à ce système :

1- le texte de Varron est incertain. Les manuscrits portent : « a muris partem ». Becker préfère la restitution «a Murcia partem ». Mais la restitution de Becker dénature le texte et le rend incompréhensible.  

2- A l'époque où Pline écrivait, le Cirque n'avait pas encore XII carceres . C' est une affirmation de Becker, sans preuves.

3- La critique la plus redoutable est celle de M. Hülsen. Pline, observe-t-il, donne le périmètre de la Rome des XIV Régions :

Comment admettre qu'immédiatement après, il donne des mesures qui concerneraient la Rome de Servius ? Sous Vespasien les portes de Servius n'avaient plus d'intérêt pour les statisticiens officiels : dans la Notifia , ou certes il ne s'agit pas d'une Rome archéologique, vous retrouverez le nombre de 37 portes que Pline donne comme total : il s'agit donc bien de la « plus grande Rome » : enfin nous ne connaissons que 16 noms de portes Serviennes : nous voilà loin du chiffre de 37. La force de ces objections est diminuée par les remarques suivantes :

a- Pline donne le périmètre de la Rome d'Auguste : puis il considère les distances du centre aux portes, puis les distances du centre à la limite des maisons. Il est probable que l'une de ces deux dernières mesures est calculée en fonction des limites de la Rome impériale ; mais est-il évident que ce soit la première ? Celle ci pourrait se rapporter à la Rome de Servius : la seconde concernerait la Rome impériale.

b- La connaissance des murs de Servius n'était pas absolument indifférente même aux savants officiels: les milles des voies consulaires furent toujours comptés à partir des portes Serviennes. C'est le long de ces murs qu'Auguste distribua les stations des vigiles.

c- Si le nombre de 37 portes se trouve être le même dans Pline et dans la Notitia , cela semble prouver que ce chiffre concerne une Rome morte, qui ne se transforme plus, celle de Servius.

d- Si nous ne connaissons que 16 noms de portes Serviennes, ce peut être faute d'une tradition plus complète. Au demeurant, on peut sensiblement augmenter ce chiffre. Dans la région que j'étudie, je pourrais ajouter la Porta Minutia , la Porta Catularia , les XII Portes (comptées pour une), la Porta Triumphalis , la Porta Navalis et la Porta Fenestella.

Mais surtout la théorie de M. Hülsen a le tort de ne pas pouvoir expliquer le texte des 12 Portes, qui est considéré par ce savant comme locus desperatus. Elle n'explique pas non plus le chiffre donné par Pline comme total des mesures radiales : 20.765 pas. S'il s'agissait, comme veut M. Hülsen de mesures prises jusqu'à la limite de la Rome de l'an 73, on devrait trouver sûrement un total de plus de 37.000 pas. M. Hülsen pense donc que le chiffre des manuscrits est erroné et il propose une correction. Bref, pour comprendre le passage en question, M. Hülsen est obligé de s'écarter en deux points essentiels du texte du manuscrit. Au contraire, dans l'hypothèse de Bunsen, le texte des XII Portes s'explique admirablement : et le chiffre indiqué par Pline comme total des mesures radiales est vraisemblable.

La question des XII portes est étroitement liée à celle de la Porta Triumphalis .

Il n'est pas sur qu'une porte de l'enceinte de Rome ait reçu le nom de Triomphale. Voici pourtant les textes qui permettent de le supposer. Le Sénat décida que le cortège funéraire d'Auguste passerait par la porte Triomphale (1) ; il y avait donc une porte

spé­ciale de ce nom. Ajoutez qu'à Préneste et à Pouzzoles se rencontre, une porta Triomphalis : ces cités ont dû imiter Rome.

(1) Tac,. Ann.I, 8. Suét., Aug., 100. Dio Cas. LVI, 42.

  Enfin selon le Scholiaste de Suétone. «Porta Triomphalis media fuisse videtur inter portam Flamentanam et Catulariam ». Admettons que la porte Triomphale ait été une porte de la ville et voyons si d'autres indices confirment cette conjecture. Selon Bunsen la porta Triumphalis était la porte centrale du Grand Cirque. En effet, observe-t-il, quand Néron revint des Jeux Olympiques, il voulut entrer dans Rome comme il avait fait à Naples et Antium par la brèche. Or Suétone décrit cet épisode dans les termes suivants : Néron entre à Naples «disiecta parte muri, ut mos hieronicarum est: simili modo Antium inde Albanum inde Romam : sed et Romam eo curru quo Augustus olim triumphaverat ... Dehine, diruto circi maximi aren, per Velabrum forumque Palatium et Apollinem petit ».

Tandis que Suétone dit que Néron fit démolir une arcade du Grand Cirque, Dion Cassius parle des portes mêmes de la ville. Donc la porte du cirque coïncide avec la porte de l'enceinte : et voilà la Porte Triomphale.

--- Le Grand Cirque avec au loin les carceres et au premier plan la « Porta Triumphalis ».

Comment la Porte Triomphale s'intercale-t-elle parmi les XII Portae, c'est ce qu'on ne peut déterminer. Il n'est pas impossible que Caracalla ait bouleversé toute cette ordonnance. Sous son règne, «  ianuae circi ampliatae sunt » (Chronogr. De 354 in Chron. Min. I, 147). Les carceres furent peut-être transportés plus à l'ouest. La plate-forme de maçonnerie découverte par M. Bigot serait, dans cette hypothèse, le soubassement des carceres primitifs rasés au début du III ème siècle.

La thèse de Bunsen s'accorde bien avec une série d'indications qui nous sont parvenues concernant les cortèges solennels de l'ancienne Rome. Nous avons vu le texte de Naevius :

dictator ubi currum insidit

pervehitur usque ad oppidum.

L'oppidum est identique, selon Varron, au mur des carceres. Ce texte semble indiquer que le dictateur, lorsqu'il a pris le pouvoir, entre à Rome par le Grand Cirque. Le parcours du Cirque était un épisode nécessaire de toutes les grandes processions. S'il ne s'agit, pas d'un triomphe, le cortège part du Forum, prend le vicus Tuscus et gagne le Cirque en passant devant le Lupercal. De même la pompe triomphale ne pouvait nulle part mieux s'étaler que dans le Cirque : César y célébra son triomphe sur les Gaulois car c'est sans nul doute dans le trajet du Cirque au Capitole qu'un essieu de son char se brisa près du temple de la Félicitas dans le Vélabre. D'autres part, il ne faut pas supposer que le cortège, entré, par un bout du Cirque, sortait par l'autre bout : comme la pompa qui précédait les jeux, il devait doubler les bornes. A cet égard, il faut signaler ces curieuses inscriptions de Baïes et de Rome, concernant des porticus triomphi et qui indiquent la longueur totale que l'on parcourt «itu et reditu » , si l'on va et si l'on revient un certain nombre de fois d'un bout à l'autre du portique. Le Cirque Maxime était une sorte de porticus triumphi.

Nous n'avons pas, il est vrai de preuve décisive. Une étude ré­cente a montré que le cortège du triomphe n'était pas astreint à suivre une route traditionnelle : par exemple, Horace se représente le triomphe d'Auguste descendant la Voie Sacrée  ; l'arc triomphal de Titus, dont l'Anonyme d'Einsieldeln a conservé l'inscrip­tion, était à l'extrémité méridionale du Grand Cirque : celui de Domitien près de l'Ara Fortunae Reducis, à la porte Capène.

Pourtant ce peuvent être là des dérogations à un usage ancien. La Porte Triomphale , chez un peuple qui se détournait des vieux usages, a pu perdre son prestige. Mais elle avait peut-être tout de même des titres : il est vrai que le cortège tiomphale n'y passait pas toujours, mais peut-être aurait-il dû y passer.

Le triomphe dont nous avons le récit le plus détaille est celui de Vespasien et de Titus, décrit par Josèphe. Les princes avaient passé la nuit au temple d'Isis. Au point du jour, couronnés de laurier et vêtus de pourpre, ils se rendent au portique d'Octavie où ils écoutent les hommages du Sénat et les acclamations de l'armée. Puis Vespasien se rend à la Porte Triomphale. Le cortège passa par le cirque Flaminien et le Grand Cirque.

Il est impossible de donner une explication satisfaisant de ce récit. Du portique d'Octavie, dit Josèphe, Vespasien est revenu sur ses pas pour gagner la porte Triomphale : comme il dut traverser ensuite le cirque Flaminien, la Porte Triomphale doit se trouver au Champ de Mars. Et ainsi ce texte semble témoigner contre la thèse de Bunsen. Mais, d'autre part, ce texte prouve, d'une façon irrécusable, qu'il existait une porte de Rome officiellement appelée Porte Triomphale « parce que l'usage veut que les cortèges triomphaux y passent toujours ». Il ne s'agit certes pas d'un arc de triomphe d'occasion : et les dieux voisins de la porte, auxquels les empereurs adressent leurs hommages, semblent, comme de droit, présider au triomphe. Cette Porte Triomphale ne peut être qu'une porte de l'enceinte de Rome. Celle même sous laquelle passèrent les funérailles d'Auguste : elle ne peut pas être au Champ de Mars.

Il n'est donc pas du tout sur que Josèphe soit ici d'une exactitude parfaite. Son récit prouve qu'il a vu l'empereur le matin au portique d'Octavie, avec la couronne de laurier et le vêtement de soie teint de pourpre mais sans les ornements triomphaux : il l'a vu assis sur la chaise curule au milieu du tumulte des accla­mations, puis, dans le grand silence, il entendit sa prière solennelle. Plus tard, il l'a sûrement vu encore, avec ses fils, traverser l'un des cirques, à la suite du défilé éblouissant, dans l'appareil du triomphe. Mais, dans l'intervalle ? Il a bien fallu que Josèphe s'en rapporta à ses voisins : étranger dans Rome, il a pu mal comprendre. Au portique d'Octavie, l'empereur a congédié les soldats, qui ont dû refluer vers le Champ de Mars. Dans la cohue, Josèphe ne s'est peut-être pas rendu compte que l'Empereur, descendant vers le Forum Boarium allait revêtir les ornements triomphaux près de la Porte Triomphale et du temple d'Hercule. Car nous savons que l'Hercule du Forum Boarium jouait un grand rôle dans les triomphes, il portait lui-même le surnom de Triumphalis et on le revêtait, comme le général victorieux, des ornements triomphaux. Notez aussi que son temple (S. Maria del Sole) est précisément situé dans l'axe du Grand Cirque et, par suite, de la Porte Triomphale présumée. Vespasien aurait donc pu, mais ce n'est qu'une conjecture, revenir ensuite, ayant satisfait à un formalisme traditionnel, jusqu'au Cirque Flaminien où, pendant ce temps, s'était organisé le défilé.

En résumé, il semble que les triomphateurs ne se sont pas toujours astreints à entrer dans Rome par la même porte. De cette difficulté, Mme Morpugo donne une solution élégante : il ne faut pas dire que le triomphe passait nécessairement par la Porte Triomphale  : mais là où passe le triomphe, là on érige une porte triomphale. La Porta Triomphalis n'existe point, mais des portes triomphales, tant qu'il vous plaira. Et pourtant, je me permets de n'être pas persuadé : la Porta Triumphalis , il me semble que c'est celle où l'on fait passer le cortège funèbre d'Auguste, où Vespasien et Titus vinrent prendre les ornements triomphaux et adorer Hercule Triomphale.

Depuis l'Aventin, en traversant Sainte Marie in Cosmedin, en passant parallèlement au mur du Cirque, nous avons fait suivre à notre muraille Servienne une direction rectiligne. Que cette orien­tation était bien en effet l'orientation primitive de ce quartier de Rome, c'est ce que les fouilles ont attesté. C'est seulement après le grand incendie de 213 que l'on rebâtit, semble-t-il, sur un plan différent. Les édifices du Forum Boarium s'alignent désormais, non plus sur la direction du rempart mais sur celle du Tibre.

La ligne présumée de ce rempart aboutit au Janus quadrifrons, voisin de Saint Georges en Vélabre. Je serais disposé à admettre que, précisément en ce point, elle se repliait vers le Nord pour gagner le Capitole. Ainsi s'expliquerait pourquoi un monument insigne décore ici le Forum Boarium. On s'expliquerait même pourquoi l'angle rentrant du mur Servien avait son sommet en ce lien là : c'est que le Janus Quadrifrons est situé à l'endroit le plus bas de la vallée qui sépare le Capitole du Palatin : il est bâti au-dessus de la Cloaca Maxima, qui vraisemblablement est une ancienne rivière, le Spinon, voûtée et transformée en égout. C'est naturellement dans la basse vallée du Spinon que les marais, qui primitivement occupait le Vélabre, ont dû le plus longtemps séjourner : c'est donc bien là que le mur de Rome devait s écarter le plus du Tibre.

Bunsen a supposé que la porta Flumentana occupait l'emplacement du Janus Quadrifrons. Un bras du Tibre, disait-on, y coulait autrefois. Longtemps encore ce quartier demeura exposé aux inondations. Les maisons situées hors de la Porta Flumentana ne pouvaient pas être dites, à proprement parler, situées hors de la ville.

Entre le Janus Quadrifrons et le Capitole, il ne semble pas possible de trouver un point de repère qui permette de fixer le tracé du mur Servien.

Là se trouvait peut-être la Porta Navalis , en correspondance avec le navele inferius . Le rempart devait passer à peu de distance des temples de la Fortune et Mater Matuta. Près de la Fortune était la porte dite Fenestella . Même il est permis de se demander si les deux fornices de L, Stertinius « in foro Boario ante Fortunae aedem et Matris Matutae», en 196 av. J.C., ne perçaient pas le mur de Servius : nous aurions là un exemple de démantèlement. Le mur dut être percé d'innombrables arcades (les trois arcades de la porte Trigemina, les Douze Portes, ces deux fornices), pour satisfaire aux exigences croissantes du commerce, avant de tomber sans doute par pans entiers. Enfin, à peu de distance du temple de la Fortune , nous rejoignons le vicus Iugarius à l'extrémité duquel se trouvait la Porte Carmentale dont l'emplacement précis est inconnu.

J'ai essayé de rejeter en discussion un problème de topographie que l'accord des savants semblait tenir pour résolu. Je sais qu'aucun des arguments que j'ai présentés n'emporte la certitude : depuis si longtemps que Rome est passionnément étudiée, d'autres ont dit déjà toutes les choses certaines ; pour trouver à parler encore d'un sujet qui tient à coeur. Il faut nous aventurer aux conjectures : et la Rome que nous bâtissons sur les nuages est comme une cité des oiseaux.

Pourtant ce n'est pas une recherche tout illusoire. Si vraiment le mur de Servius suivait le tracé que j'indique, le texte fameux de Tacite (Ann., XII , 24 ) (2) concernant le pomerium de Rome s'éclaire un peu. Le sillon sacré fut tracé par Romulus de manière à em­brasser dans l'enceinte l'autel d Hercule, «ut magnam Herculis aram amplecteretur». Tradition absurde , observe M. Pais, au point de vue religieux, car le culte grec d'Hercule n'a pas, à Rome, une telle antiquité, au point de vue militaire, car on ne choisit pas de bâtir une enceinte au fond d'une vallée (1). Mais, ce qui doit être faux du pomerium de Romulus, semble vrai du pomerium de Servius. Du Janus Quadrifrons à l'Aventin, le mur est tracé de telle sorte qu'il vient longer exactement l'Ara Maxima. En reprenant le texte de Tacite, passé l'Ara Maxima, le pomerium court dans le Grand Cirque : «inde certis spatiis interiecti lapides per ima montis Palatii ». La ligne des cippes commence à l'Ara Maxima. Or, quand on bâtit les murs de Servius, l'Aventin fut laissé hors du pomerium. Il y avait donc un point à partir duquel le mur et le pomerium divergeaient. N'est il pas vraisemblable que ce point est précisément l'Ara Maxima et ne s'explique-t-on pas à présent pourquoi la ligne des cippes y commence ?

Si le Forum Boarium mérite tant d attention c'est que ce fut le port de Rome. A une époque lointaine, qu'on ne peut estimer, c'est là que débarquèrent les Grecs parmi les barbares ; l'histoire n'en parle pas, mais le poète sait quelle fut l'émotion du peuple d'Evandre, l'Enéïde la mémoire de cet émerveillement. Avec les marchands abordent les dieux : pareil au serpent d'Esculape, la culture grecque s'insinue au cœur de Rome.

(1) Pais, « Ancient Legends »

(2) « Le sillon tracé pour désigner l'enceinte de la place partait du marché aux boeufs, où nous voyons un taureau d'airain (à cause de la charrue traînée par cet animal), et ce sillon embrassait le grand autel d'Hercule. Ensuite, des pierres placées de distance en distance, en suivant le pied du mont Palatin, allaient d'abord à l'autel de Consus , puis aux anciennes Curies, enfin au petit temple des Lares et au forum Romanum. » Traduction de texte de Tacite.

Dans ce décor merveilleux d'une si grande histoire, on s'attarde trop volontiers. Il n'est guère d'étude plus nécessaire, écrit De Rossi, ni qui plaise davantage : «  piena d'utilità e diletto ». C'est pourquoi, l'on me pardonnera si j'ai voulu, après tant d'autres, deviner le secret de Sainte Marie in Cosmedin et rendre aux beaux temples qui l'accompagnent le prestige de leurs noms.

André Piganiol

 

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