ODES

d'

Horace

PANCKOUCKE

1872

Livre premier.

Ode : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38.

Livre deuxième.

Ode : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20.

Livre troisième.

Odes : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30.

Livre quatrième.

Odes : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.

LIVRE PREMIER

I

A MÉCÈNE

Ce morceau peut en être considéré comme le prologue : c'est une dédicace à Mécène. Le vers aselépiade entre seul dans cette ode.

Mécène, fils des rois, ô mon appui, mon bonheur et ma gloire! tu le sais, des mortels élancés sur un char rapide soulèvent la poussière des champs d'Olympie, et, de leur brûlante roue effleurant la borne qu'ils évitent, recueillent la noble palme qui les élève jusqu'aux dieux, dominateurs du monde. Ceux-ci, avides de captiver la faveur populaire, montent triomphants aux suprêmes honneurs; d'autres entassent, joyeux, dans leurs vastes greniers, les moissons de la féconde Libye. L'ami des champs cultive dans une douce paix la terre paternelle; et, dans son timide bonheur, tous les trésors d'Attale ne le contraindraient pas à franchir, même sur un vaisseau de Chypre, le plus faible détroit. Le marchand, effrayé de la lutte des flots icariens et des vents de l'Afrique, exalte le repos de la cité et le calme des champs mais bientôt, indocile au joug de la pauvreté, il dispose ses vaisseaux à braver la tempête. L'un remplit sa coupe d'un vieux et savoureux massique, se plaît à couler une partie de ses jours, mollement étendu, tantôt sous de verdoyants rameaux, tantôt près de la source d'une onde sacrée.
L'autre aime le tumulte des camps, le bruit des clairons, les rumeurs de Bellone, abhorrée des tendres mères. Le chasseur, oublieux de sa jeune épouse, endure le froid nocturne pour épier sa proie, ou, sur les traces de ses limiers fidèles, poursuit le cerf timide et le farouche sanglier qui rompit ses filets. Et moi, ceint du lierre, parure des doctes fronts, je me rapproche des dieux suprêmes. Sous la fraîche épaisseur des bois, témoin de la danse légère des Satyres et des Nymphes, déjà je me sépare du vulgaire ; puisse Euterpe ne point m'interdire la modulation de sa flûte, ni Polymnie me défendre d'accorder le luth de Lesbos!
Mais si Mécène daigne me compter parmi les fils de la lyre, j'élèverai ma tête radieuse jusqu'au plus haut des cieux.

II

A CÉSAR AUGUSTE.

Le poëte, dans cette belle ode, déplore comme une calamité publique le trépas de Jules César. Il attribue à cette mort, encore sans vengeance, les désastres de Rome. Il salue dans Octave le sauveur de la patrie, le vengeur et le digne héritier de César. Ce morceau semble avoir été écrit à l'époque même de l'assassinat du dictateur ; néannoins il ne le fut probablement que longtemps après ; car, comme l'a remarqué Lefèvre, Horace, lorsque César fut tué, était encore tribun des soldats dans l'armée de Brutus. Cette ode est du mètre saphique, ainsi nommé des trois premiers vers de chaque strophe. Le petit vers qui termine la strophe est le vers adonique

Assez longtemps le père des dieux a fait tomber sur la terre la neige et la grêle funeste; assez longtemps, de sa main étincelante, frappant les temples sacrés, il a rempli Rome de terreur.
Il a fait craindre aux nations le retour de ce siècle désastreux, où Pyrrha, déplorant des prodiges inconnus, vit Protée chasser devant lui ses troupeaux sur le sommet des montagnes, les poissons se suspendre au faîte des ormes, demeure habituelle de la colombe, et les daims épouvantés nager sur l'onde envahissante.
Nous avons vu le Tibre, ramenant avec violence du rivage étrusque ses flots jaunissants, aller renverser le tombeau du roi Numa, le temple de Vesta, et, se proclamant ainsi le vengeur d'Ilia, son épouse désolée, répandre sur sa rive gauche ses flots déchaînés sous la volonté de Jupiter. Ils apprendront que nos citoyens ont aiguisé contre eux-mêmes le fer qui devait frapper le Perse redoutable; ils apprendront nos guerres parricides, ces jeunes Romains trop peu nombreux, grâce aux fureurs de leurs pères. Quel dieu le peuple invoquera-t-il au secours de cet empire qui s'écroule? de quelle prière nos vierges saintes fatigueront-elles Vesta, sourde à leurs plaintes? qui chargeras-tu, Jupiter, d'expier nos crimes ? Viens,nous t'en supplions, Apollon, dieu des augures ; voile d'un nuage tes blanches épaules ! ou toi; si tu le préfères, riante Vénus, autour de qui voltigent les Jeux et l'Amour! Ou toi-même, père des Romains, si tu veux jeter encore un regard sur ce peuple, sur tes enfants oubliés, si nos longues fureurs t'ont rassasié, terrible Mars, toi que réjouissent le bruit des armes, l'éclat des casques, ou l'aspect du guerrier maure mesurant d'un regard enflammé son ennemi sanglant. Ou plutôt, dieu aux ailes rapides, fils de la bienfaisante Maïa, voudras-tu, quittant ta forme céleste pour les traits d'un jeune héros, être appelé parmi nous le vengeur de César? Diffère longtemps encore ton retour aux deux! prolonge avec joie ton séjour au sein du peuple de Quirinus ! et qu'un vent rapide ne t'emporte pas loin de nous, courroucé de nos fautes ! Préfère plutôt, au milieu de nous, de glorieux triomphes! Qu'il te soit doux d'être appelé ici le prince et le père de la patrie. Ne souffre pas que le coursier du Mède foule impunément la terre où règne César !

III

AU VAISSEAU QUI PORTAIT VIRGILE.

Cette ode se compose du vers glyçonique et de l'asclépiade, qui alternent. "Sic fratres Helenae"(v. 2). Castor et Pollux, devenus, après leur mort, la constellation des Gémeaux.

Que la déesse qui règne à Chypre, que les frères d'Hélène, astres lumineux, te dirigent; que le père des vents les enchaîne tous, excepté l'Yapix, et favorise ta course, ô vaisseau, qui nous dois Virgile ! Rends sain et sauf au rivage de l'Attique le dépôt qui t'est confié, et conserve, je t'en conjure, la moitié de moi-même. Il avait autour du coeur une cuirasse de chêne et un triple airain, celui qui, le premier, confia aux flots irrités une barque fragile, et ne craignit point le vent impétueux d'Afrique, luttant contre l'Aquilon, ni les funestes Hyades, ni la rage du Notus, le maître le plus puissant de l'Adriatique, dont il soulève ou calme à son gré les ondes. Quelle mort put-il craindre, celui qui, le premier, vit d'un oeil tranquille les monstres bondissants sur les flots, la mer gonflée par la tempête, et les rochers Acrocérauniens, fameux par tant de naufrages? En vain la prudence du ciel avait séparé les terres par l'Océan, barrière inviolable : nos vaisseaux impies franchissent les mers où devaient s'arrêter nos pas. Audacieuse à tout braver, la race humaine s'élance dans le crime et brise tout frein: l'audacieux fils de Japet, par un impie larcin, apporte aux mortels le feu du ciel. Du jour où cet élément fut ravi aux demeures éthérées, la pâle maigreur, l'essain meurtrier des fièvres brûlantes, couvrirent la Terre étonnée, et l'inévitable Mort, autrefois lointaine et tardive, précipita sa marche fatale. Dédale s'élance dans le vide de l'air sur des ailes refusées à l'homme ; l'infatigable Hercule force les barrières du Tartare. Rien n'est difficile aux mortels ; nous attaquons le ciel même dans notre démence, et nos crimes ne permettent pas à Jupiter irrité de déposer sa foudre vengeresse.

IV

A SESTIUS.

Les vers de ce morceau sont le grand archiloquien et l'ïambique de cinq mesures et demie.. "Non régna vint sortiere ialis" (v. 18). Les Romains, comme les Grecs, tiraient au sort un roi chargé de présider à leurs festins.

Le printemps renaît : à la brise rigoureuse succède le doux zéphyr ; le câble entraîne loin de la rive la barque que ne mouillaient plus les flots ; le troupeau ne regrette plus son étable, et le laboureur la chaleur de son foyer; le givre ne blanchit plus les prairies. La lune, à son lever, éclaire de nouveau les danses conduites par Cythérée. Réunies aux Grâces modestes, les Nymphes frappent en mesure la terre d'un pied léger, tandis que l'ardent Vulcain embrase de ses feux l'atelier du laborieux Cyclope. Voici le moment de couronner de myrte ou de fleurs nouvelles nos têtes parfumées ; voici le moment d'immoler à Faune, dans les forêts ombreuses, une brebis, ou un chevreau, s'il le préfère. La Mort heurte indifféremment à la cabane du pauvre et au palais des rois. 0 fortuné Sestius ! la brièveté de la vie ne nous permet pas de nous livrer à de longues espérances. Déjà t'environne cette nuit où la Fable a placé les Mânes et le misérable séjour de Pluton. Là, tu ne tireras plus aux dés la royauté des festins, et tes regards ne se reposeront plus sur ce jeune Lycidas, qui bientôt ne sera pas moins chéri des jeunes filles qu'il ne l'est aujourd'hui des,jeunes garçons.

V

A PIRRHA.

Horace adresse cette ode à l'une de ces courtisanes distinguées par leurs attraits et leurs talents, qui charmaient, alors la jeunesse romaine. Jamais amant trahi ne mit plus de grâce dans ses reproches et dans ses adieux. Les strophes de cette ode sont ainsi formées : les deux premiers vers sont l'asclépiade ; le troisième est composé d'un dactyle entre deux spondées; le dernier vers est le glyconique.

Quel est l'adolescent délicat qui, couché dans les touffes de roses, parfumé d'essences odoriférantes, te presse, Pyrrha, sous cette grotte délicieuse ? C'est pour lui que tu relèves ta blonde chevelure, que tu revêts ce négligé simple et élégant. Hélas! combien de fois il va pleurer et ta trahison et le changement de ses dieux ! avec quel étonnement il verra le spectacle nouveau des vagues irritées par les noirs autans ! lui qui, maintenant, jouit, dans sa crédulité, de tes paroles dorées ; lui qui t'espère toujours fidèle, toujours aimante, il ne sait pas que tu changes comme le souffle des vents. Malheur à ceux qu'a séduits ta candeur ! Pour moi, un tableau votif, suspendu aux lambris sacrés du temple du puissant dieu des mers, atteste que j'y ai déposé mes vêtements humides du naufrage.

VI

A AGRIPPA.

Horace s'excuse, sur sa faiblesse, de célébrer les louanges du gendre d'Auguste, Agrippa. C'est à Varius, dit-il, qu'une si noble tâche est réservée. Il ne nous reste de Varius que quelques fragments : ce poète se distingua dans l'épopée et la tragédie. Les strophes de cette ode sont formées de trois asclépiades et d'un glyconique.

C'est à Varius, l'aigle de la poésie lyrique, de célébrer ton courage, tes triomphes et les hauts faits de nos marins et de nos soldats, guidés par toi à la victoire. Pour moi, Agrippa, je ne saurais m'élever à de pareils sujets; je ne saurais chanter ni le courroux de l'inflexible Achille, ni les courses de l'artificieux Ulysse errant sur les mers, ni les crimes de la maison de Pélops : ma lyre est trop faible pour ces chants sublimes. Une juste défiance de mes forces, et la muse qui règle mon luth timide, me défendent de flétrir, par mes impuissants accords, la gloire du grand César et la tienne. Qui pourrait, en effet, chanter dignement Mars, couvert de sa tunique d'acier? Mérion, tout noir de la poussière troyenne? ou le fils de Tydée, l'égal des dieux par la protection de Pallas? Pour moi, la gaieté des festins, les joyeux combats des jeunes filles repoussant un amant d'une main sans colère, voilà les sujets de mes chants, soit que mon coeur soit libre, ou qu'il brûle, selon sa coutume, d'un amour éphémère et volage.

VII

A MUNATIUS PLANCUS.

Munatius Plancus, qui fût censeur et consul, fut d'abord un des partisans d'Antoine; mais il l'abandonna pour César. Il fut l'ami d'Horace, et possédait, comme lui, une maison de campagne à Tibur. Les vers de cette ode sont l'hexamètre et le fàlisque, qui alternent. " Et praeceps Anio" (v. 13). L'Anio, rivière qui se jette dans le Tibre, aujourd'hui le Tévéron.
"Teucer Salamina pairemque Quum fugeret" (v. 21, 22). Teucer, fils de Télamon, après le siège de Troie et la mort de son frère Ajax, revint à Salamine, d'où le chassa Télamon, désespéré de ne point revoir son autre fils. " Ambiguam tellure nova Salamina futùram" (v. 29). Teucer fonda dans l'île de Chypre une ville qu'il nomma Salamine.

D'autres vanteront la célèbre Rhodes, Mitylène, Éphèse, les murs de Corinthe, baignés par deux mers, Thèbes, Delphes, illustrées par Bacchus et par Apollon, ou les vallons de Tempe, gloire de la Thessalie. Il est des poètes dont l'unique soin est de célébrer d'un hymne perpétuel la ville de la chaste Pallas, et de placer sur leur front les rameaux tant de fois cueillis de l'olivier. D'autres, en l'honneur de Junon, chanteront Àrgos aux nombreux coursiers, ou la riche Mycènes. Pour.moi, ni l'austère Lacédémone, ni les chants fertiles de Larisse, n'ont autant frappé mon âme que la grotte de l'Albunée sonore, les cascades de l'Anio, les bois de Tibur, et ces frais vergers où serpente une onde si pure. Souvent le Notus chasse les nuages du ciel obscur, et il n'enfante pas toujours les pluies : ainsi, Plancus, si tu veux être sage, souviens-toi de mettre un terme à la tristesse, et de noyer dans un doux flacon les maux de la vie, soit que les camps te retiennent sous les aigles étincelantes, soit que tu vives sous les doux ombrages de ton Tibur. Teucer, fuyant Salamine et son père, ceignit, dit-on, d'une couronne de peuplier ses tempes humides de vin, et parla ainsi à ses tristes amis : « En quelque lieu que nous porte une fortune moins cruelle que mon père, nous irons, ô mes amis et mes compagnons ! ne désespérez de rien, sous la conduite de Teucer, sous les auspices de Teucer! Apollon, qui ne trompe jamais, nous a promis une nouvelle Salamine sur une terre nouvelle. O braves amis, qui avez souvent supporté avec moi de plus rudes épreuves, aujourd'hui chassez vos soucis par le vin! demain nous reprendrons notre course sur les vastes mers. »

VIII

A LYDIE.

Un petit vers, formé d'un dactyle et de deux trochées, alterne, dans jette ode, avec un grand vers saphiqûe à deux repos, que plusieurs iditeurs ont cru devoir couper.

Lydie, je t'en conjure au nom de tous les dieux, dis-moi pourquoi, par ton amour, précipiter Sybaris à sa perte? pourquoi fuit-il le champ de Mars, dont il brava tant de fois le soleil et la poussière ? Pourquoi ce jeune guerrier ne vient-il plus, avec ses compagnons, aux exercices de cavalerie? pourquoi ne dompte-t-il plus un coursier gaulois avec le mors à dents de loup? Pourquoi craint-il de toucher les ondes du Tibre jaunissant? pourquoi l'huile des athlètes lui inspire-t-elle plus d'effroi que le poison de la vipère? Déjà ses bras n'ont plus les marques livides de l'armure, il ne s'enorgueillit plus d'avoir lancé le disque ou le javelot au delà du but. Pourquoi est-il caché comme le fut autrefois le fils de Thétis, déesse des mers, peu de temps avant les funérailles lamentables de Troie, pour qu'un habillement viril ne l'exposât pas au carnage et aux fureurs des troupes troyennes?

IX

A THALIARQUE.

Thaliarque est un personnage inconnu. C'est un nom grec qui sîgnifîe le roi du festin. Cette ode est du mètre aicaïque. On appelle ainsi le mètre des strophes formées de deux vers alcaïques, d'un iambique de quatre mesures, et demie, et d'un archiloquien de quatre mesures. "Vides ut alla si et nive candidum Soracte" ( v. 1, 2). Le Soracte,montagne près de Rome, aujourd'hui monte San-Silvesiro, et par corruption monte Tristo.

Vois comme le Soracte est blanchi par la neige épaisse; déjà les forêts fatiguées ne peuvent plus supporter le poids des frimas, et les fleuves, saisis par l'âpre gelée, ont suspendu leurs cours. Désarme la froidure, cher Tharliarque, en prodiguant le bois à ton foyer, et que ton amphore Sabine te verse plus libéralement un vin de quatre années. Laisse aux dieux tout le reste : dès qu'ils auront enchaîné les vents qui se combattent sur l'onde écumante, ni les cyprès, ni les ormes antiques ne seront plus agités. Ce qui doit arriver demain, garde-toi de le chercher, et chaque jour que le destin t'accorde, mets-le bien à profit : ne méprise pas les tendres amours ni les danses, tandis que tu es jeune et que la vieillesse morose n'a pas abattu ta vigueur. Viens au champ de Mars, au Gymnase ; viens au. doux murmure des entretiens, où, sur le soir, t'appelle l'heure indiquée. Viens, attiré par ce rire charmant qui trahit ta maîtresse, cachée dans un réduit mystérieux, lui ravir ces gages d'amour, ornements de son bras ou de son doigt qui résiste à regret.

X

A MERCURE.

Cette ode parait avoir été traduite du grec. Porphyrion l'attribue à Alcée, et cette supposition est appuyée par le témoignage de Pausanias, qui cite un passage de l'ode du poète grec. Le mètre de ce morceau est le saphique.

Mercure, éloquent petit-fils d'Atlas, toi qui sus adoucir les moeurs sauvages des premiers hommes par ta parole et par les nobles exercices du corps, je te chanterai, messager du grand Jupiter et des dieux, inventeur de la lyre aux formes arrondies, habile aussi à dérober tout ce qui te plaît, par un joyeux larcin. Pour se faire rendre ses génisses que lui avait dérobées ta ruse, Apollon veut t'effrayer, faible enfant, de sa voix menaçante ; mais son carquois disparaît tout à coup, et il rit de ton adresse. C'est sous ta conduite que le riche Priam, abandonnant Ilion, échappe aux superbes Atrides, et traverse le camp fatal à sa patrie, malgré la clarté des feux thessaliens. C'est toi qui conduis les âmes pieuses a leur séjour fortuné, et de ta verge d'or tu diriges la troupe légère des Ombres, également chéri des dieux de l'Olympe et des divinités infernales.

XI

A LEUCONOÉ.

Ce petit morceau est composé de huit vers du même mètre; le grand asclépiade. . "Nec Babylonios Tentaris numéros" (v. 2, 3). Les calculs babyloriens. Le poète désigne par ces mots les supputations que faisaient les mciens astrologues avec des jetons, ou simplement avec leurs doigts

Leuconoé, ne recherche point, ce serait un malheur de le savoir, quelle fin les dieux nous ont réservée à toi ou à moi : n'interroge pas non plus les nombres magiques; il sera mieux, quoi qu'il arrive, de se soumettre, soit que Jupiter t'accorde encore plusieurs hivers, soit que celui qui, maintenant, fatigue la mer de Tyrrhène entre les rochers qui l'entourent, indique ta dernière année. Sois sage, filtre tes vins, et retranche les longs espoirs du court espace de la vie. Tandis que nous parlons, l'heure envieuse s'enfuit. Profite du jour présent, et fie-toi le moins possible au lendemain.

XII

A AUGUSTE.

Cette ode est consacrée à l'éloge d'Auguste. Dacier pense qu'elle fût composée quelque temps après la bataillé d'Actium; quand le sénat, qui venait de décréter l'apothéose d'Auguste, eut en même temps ordonné qu'on le célébrât dans les hymnes religieux. Ce morceau est du inètre saphiqûe.

Muse des héros, quel mortel, quel demi-dieu, vont célébrer les accords de ta lyre ou les fiers accents de ta trompette? quel nom sacré vont répéter les échos du Pinde, de l'Hélicon ou de l'Hémus ? l'Hémus, d'où les forêts émues se précipitaient pour suivre les chants d'Orphée, qui, fidèle aux doctes leçons de sa mère, arrêtait, par la puissance magique de ses accords, les fleuves dans leur course, le vent dans son vol rapide, et prêtait aux chênes même une oreille pour l'écouter? Payons d'abord le tribut accoutumé de nos hommages au Père de la nature, à l'arbitre souverain des hommes et des dieux, à celui qui règne sur la terre et sur les mers, et qui règle le cours des astres et des saisons. Rien de plus grand que lui, rien de pareil, rien qui en approche! Toutefois, la guerrière Pallas a mérité, après lui, les honneurs du second rang. Vous ne serez point oubliés dans mes chants, Bacchus, chaste Diane, la terreur des forêts; et toi, Apollon, dont la flèche redoutable n'a jamais manqué son but. Je veux chanter aussi le grand Alcide, les deux fils de Léda, Castor et Pollux, invincibles tous deux, l'un à la course des chevaux, et l'autre au pugilat. A peine leur étoile propice a brillé aux yeux du matelot, soudain la vague agitée cesse dé battre le rocher: les vents tombent, les nuages fuient ; et, dociles à la voix toute puissante de ces demi-dieux, les flots menaçants reprennent au sein des mers la place qu'ils leur assignent. Chanterai-je, après ces héros, Romulus ou le pacifique Numa? les faisceaux de l'orgueilleux Tarquin, ou l'héroïque trépas de Caton ? Non : plus agréables pour les Romains, et mieux inspirés, mes chants leur rediront Régulus, les deux Scaurus, ce Paul-Émile qui prodigue sa grande âme pour ne pas survivre au triomphe du Carthaginois. C'est à l'école sévère de la pauvreté, c'est à l'ombre du modeste foyer de leurs pères, que se formèrent e tFabricius et Curius à la longue et inculte chevelure et Camille le sauveur de la patrie.
La gloire des Marcellus revit et s'élève de jour en jour avec le jeune et digne rejeton de cette noble famille : l'astre des Jules se fait remarquer au milieu des corps célestes, comme la lune parmi les feux nocturnes qu'elle éclipse. Fils de Saturne ! père et protecteur des humains ! c'est à toi que les destins ont remis le soin de veiller sur César. Qu'il soit, après toi, le maître de l'univers, soit qu'il nous ramène, enchaîné à sa suite, le Parthe, déjà prêt à envahir nos frontières ; soit qu'il porte ses armes triomphantes chez les Sères et les Indiens, aux portes du jour. Qu'il fasse, sous tes auspices, régner et chérir ses lois ici-bas, tandis que l'Olympe tressaillera au bruit de ton char, et que ton bras lancera le foudre vengeur sur les bois sacrés que l'impiété a profanés.

XIII

A LYDIE.

Là plupart des commentateurs regardent cette petite pièce comme me imitation du grec. Le mètre est l'asclépiade et le glyçonique, qui alternent.

Lydie, quand tu loues la figure de rose de Télèphe, quand tu loues ses bras de neige, grands dieux! quelle bile acre bouillonne dans mon coeur embrasé ! Alors mon esprit, s'égare, mes joues pâlissent et rougissent tour à tour, la sueur en découle goutte à goutte et témoigne assez de quels feux lents je suis intérieurement consumé. Je suis enflammé de rage, soit que tes blanches épaules aient rapporté quelque marque honteuse des excès et dé l'ivresse d'une orgie, soit que ce jeune furieux ait imprimé sur tes lèvres la marque trop durable de ses dents. Non, Lydie, si tu veux me bien écouter, n'attends pas une constance éternelle du barbare dont les baisers déchirent ces lèvres charmantes que,Vénus humecta de la quintessence de son nectar. Heureux, trois fois heureux, et plus, les amants que lie une chaîne indissoluble, et dont la tendresse, à l'abri de cruels débats, ne sera rompue qu'à leur dernier jour !

XIV

AU VAISSEAU DE LA RÉPUBLIQUE

Quelques commentateurs ont pensé que ce morceau fut écrit lorsque Auguste et Antoine faisaient l'un contre l'autre de nouveaux préparatifs de guerre, vers l'an de Rome 721.
Le mètre est celui de l'ode V, à Pyrrha.

0 vaisseau chéri ! quoi, les flots t'entraînent encore au sein des mers! Que fais-tu?demeure au port. Ne vois-tu pas tes flancs dégarnis de rameurs, et ton mât mutilé par l'autan rapide? tes antennes gémissent; nef dépouillée de cordages, tu résistes à peine aux vagues impérieuses. Tes voiles ne sont plus entières; aucun dieu n'écoute ta voix suppliante; noble fille des forêts, du Pont, tu vanteras vainement ton origine et ton nom illustre. Les images divines dont ta poupe est colorée ne rassurent point ton timide nocher. Ah ! si tu ne veux être le jouet des vents, demeure. Naguère tu excitais mon inquiète sollicitude ; maintenant de douloureuses alarmes se mêlent encore à mes voeux. Ah! du moins, puisses-tu éviter les ondes que les Cyclades parsèment de scintillants rochers !

XV

NEREE PRÉDIT A PARIS LA RUINE DE TROIE.

Les strophes de cette ode sont composées de trois asclépiades et d'un glyçonique. « On reconnaît dans cette pièce, dit M. Tissot (Études sur Virgile, discours préliminaire), une inspiration donnée par Homère et les tragiques d'Athènes. L'Iliade repose sur le courroux d'Achille, l'ode sur la punition de Paris ; mais la guerre de Troie n'a pu entrer tout entière dans un vaste poëme ; Horace a trouvé le secret de la renfermer dans le cadre étroit d'une création lyrique. Avec quel art il force le sujet à obéir aux ordres du génie, et nous conduit de l'enlèvement d'Hélène à la ruine d'Ilion ! »

Le berger phrygien, trahissant l'hospitalité, entraînait Hélène sur ses vaisseaux, sortis des forêts de l'Ida, lorsque Nérée enchaîna dans un fatal repos les vents rapides, pour prédire au ravisseur ses affreux destins. ; « C'est sous un funeste auspice que tu conduis à Troie celle que viendra te redemander, avec ses nombreuses cohortes, la Grèce entière, qui a juré de briser tes noeuds et le trône antique de Priam. Hélas ! quels flots de sueur inondent les coursiers et les soldats ! que de funérailles tu prépares aux descendants de Dardanus ! Déjà Pallas prépare son casque, son égide, son char, sa fureur! En vain, fier de l'appui de Vénus, tu tresseras ta chevelure, et ta lyre efféminée partagera ses accords aux beautés avides de t'entendre ; en vain, sur ta couche criminelle, tu fuiras l'atteinte des lourds javelots et de la flèche Cretoise, en vain tu fuiras le fracas des armes et la poursuite impétueuse d'Ajax ; un jour cependant, mais trop tard, tu traîneras dans la poussière tes cheveux adultères. Ne vois-tu pas derrière toi le fils de Laërte, fléau de ta race ; ne vois-tu pas Nestor, le roi de Pylos? Déjà te poursuivent, bravant tous les dangers, Teucer de Salamine, et Sthenelus, habile à combattre, comme à guider un coursier. Tu connaîtras aussi Mérion, Voici l'implacable fils de Tydée, plus vaillant encore que son père, qui frémit à l'espoir de t'atteindre. Mais toi, comme le cerf, oubliant le pâturage, fuit le loup qu'il a vu de l'autre côté du vallon, tu fuiras tout haletant, tout éperdu. Ce n'est point là ce que tu avais promis à ton amante. La flotte immobile d'Achille courroucé reculera le jour fatal de Troie et des femmes phrygiennes. Mais il viendra le jour marqué par le ciel où le feu des Grecs brûlera les palais d'Ilion. »

XVI

A SON AMIE.
PALINODIE.

Le mot palinodie signifie rétractation, désaveu. Il paraît qu'Horace avait fait des vers injurieux à Tyndaris (selon d'autres, à la mère de celle-ci). Il se repent de son offense.
Le mètre du morceau est l'alcaïque
.

D'une mère si belle, fille plus belle encore, pour arrêter le cours de mes vers coupables, précipite les à ton gré, ou dans les flammes, ou dans la mer Adriatique. Bacchus, Cybèle, la Pythie dans son antre, ébranlent l'âme des prêtres qu'ils possèdent, avec moins du fureur; les boucliers retentissants des Corybantes font moins de fracas que la triste Colère. Elle brave le fer des Barbares, la mer et ses écueils, la flamme et sa furie, Jupiter même se précipitant avec le bruit de ses foudres redoutables. On dit que Prométhée fut forcé d'ajouter au limon, principe de notre être, une parcelle recueillie dans tous les autres animaux, et qu'il plaça dans notre coeur la violence du lion dans toute sa rage. De là ces colères qui frappèrent Thyeste d'une fin si terrible; elles sont la cause dernière qui fait tomber de fond en comble les cités les plus superbes, et qui imprime sur leurs remparts le soc ennemi d'une armée étrangère. Apaise ton courroux: dans la douce saison de la jeunesse, cette fièvre m'a aussi persécuté, et des vers trop prompts, reçurent mes fureurs. Aujourd'hui, je te demandé à échanger ces tristes moments contre de plus doux rapports, pourvu que, pardonnant, à mes injures rétractées, tu deviennes mon amie et me rendes ton coeur.

XVII

A TYNDARIS.

Cette ode semble une continuation de l'ode précédente. Elle est de la même mesure. Horace célèbre les délices de sa maison des champs dans le pays des Sabins.

Le Faune aux pieds légers échange souvent le séjour du mont Lycée contre celui de mon habitation à Lucrétile ; il y vient défendre mes chèvres des feux de l'été ou des vents pluvieux. Ces épouses d'un mari mal parfumé s'égarent alors sans crainte, et cherchent à travers les bois paisibles le thym et l'arbousier cachés sous le feuillage. Leurs chevreaux n'ont plus à craindre ni les vertes couleuvres, ni les loups belliqueux, dès que le dieu a fait retentir des doux sons de sa flûte les vallées et les roches polies où s'incline le mont Ustique. Tyndaris, les dieux me protègent, les dieux ont adopté mon culte et ma muse. C'est ici que l'abondance, riche de tous les biens des champs, s'épanchera tout entière pour toi de sa corne féconde. C'est ici que, dans une vallée écartée, tu éviteras les chaleurs brûlantes de la Canicule, et que, sur la lyre du poëte de Téos, tu chanteras Pénélope et la trompeuse Circé, toutes deux soupirant pour le même héros. Ici, tu rempliras, sous l'ombrage, nos coupes du vin innocent de Lesbos; ici, tu ne craindras pas que le fils de Sémélé amène avec Mars la confusion et les combats, ni que l'audacieux Cyrus, outrageant ta faiblesse, porte sur toi une main insolente, arrache la couronne fixée dans ta chevelure, et déchire ta robe virginale.

XVIII

A VARUS.

Selon Dacier, le personnage à qui est adressé ce morceau n'est point le Varus qui périt en Germanie avec trois légions, mais le poète Quinctilius Varus dont Horace déplore la mort dans l'ode xxiv de ce livre. Cette petite ode est une imitation d'une pièce d'Alcée sur le même sujet et du même mètre {le grand asclépia). " Non ego te, candide Bassareu" (v. 33 ). Bassareus, surnom de Sacchus, du mot hébreu batzar «vendanger. » "Invitum quatiam" (v. 22). Les anciens, dans les jours de fête, tiraient de leur place les statues des dieux, ce qui s'appelait commovere sacra. Dans les Bacchanales, on promenait avec les statues deBacclms des corbeilles couvertes de pampre et de lierre.

Varus, ne plante rien, avant la vigne sacrée, sur le sol fertile de Tibur et près des murs de Catilus; car Dieu n'a réservé que des maux à ceux qui ne boivent pas, et le vin seul met en fuite les soucis rongeurs. Quel homme, après avoir bu, s'est jamais plaint des fatigues de la guerre ou de la pauvreté? On ne songe alors qu'à te rendre grâces, Bacchus, père des plaisirs. et à toi, riante Cythérée ! Mais, pour ne point abuser des faveurs du dieu du vin, souvenons-nous de cette sanglante querelle des Centaures et des Lapithes, survenue pendant l'ivresse ; songeons au courroux de Bacchus contre les Thraces, lorsque le délire des orgies ne sépare plus à leurs yeux le mal que par une étroite limite. Dieu de la vérité, de la franchise, on ne me verra point, malgré toi ; soulever ta statue, ni traîner au grand jour ce que tu caches sous un mystérieux feuillage. Mais éloigne à jamais de moi tes cymbales bruyantes et terribles, et la trompe aiguë de Bérécynthe : à leur suite marche toujours l'Amour-propre aveugle, la Vanité, levant superbement sa tête vide ; et l'Indiscrétion, prodigue de ses secrets et plus transparente que le verre.

XIX

A GLYCÈRE.

L'ode est composée du vers glyçonique et de l'asclépiade, qui alternent.

La mère barbare de Cupidon, et le fils de Sémélé, et mes sens trop faciles aux voluptés, m'ordonnent de rendre mon coeur à des amours que je croyais finies. Je brûle à la vue de Glyçère, plus blanche, .plus brillante que le narbre de Paros. Je suis enflammé par ses dédains attrayants, et par les charmes de ce visage qu'il est trop dangereux d'avoir vu.
Vénus a quitté Chypre pour se jeter en moi tout entière; elle ne me permet plus de chanter ni les Scythes, ni les Parthes, fuyant sur leurs coursiers et toujours redoutables, ni rien d'étranger aux amours, enfants, apportez ici le lierre verdoyant; apportez la verveine et l'encens, et une coupe d'un vin de deux années : quand la victime sera immolée, Vénus sera peut-être moins inexorable.

XX

A MÉCÈNE.

Horace invite Mécène à venir, vider chez lui quelques flacons de vin sabin (vile Sabinum). Les vignes sabines étaient méprisées, et ce qu'elles produisaient était le Surène des Romains.
Cette petite ode est du mètre saphiqûe.

Tu boiras dans de modestes coupes un mauvais vin de Sabine que j'ai moi-même scellé dans les amphores grecques, le jour où les applaudissements qui t'accueillirent au théâtre, cher Mécène, illustre chevalier, ébranlèrent les rives du fleuve natal, et firent répéter tes louanges aux joyeux échos du mont Vatican. Chez toi, tu boiras le Cécube et les raisins foulés par les pressoirs de Calés; mais moi, jamais les vignes de Falerne ou les coteaux de Formie n'ont corrigé mon vin.

XXI

A DIANE ET A APOLLON.

Cette ode est une prière publique adressée aux dieux tutélaires de l'empire. Peut-être fut-elle composée l'an de Rome 725, pour être chantée aux premiers jeux Apollinaires ; à cette époque, Auguste reçut titre de prince, et songeait à porter la guerre chez les Parthes.
Le mètre est celui de l'ode v, à Pyrrha.

Jeunes filles, chantez Diane ! jeunes Romains, chantez Apollon à la longue chevelure, etLatone, tendrement aimée du grand Jupiter! Vous, jeunes filles, chantez la déesse qui se plaît aux bords des fleuves et sous l'ombrage des forêts, dont se couronne le frais Algide, ou sous les noirs feuillages de l'Érymanthe et du verdoyant Cragus. Vous, jeunes Romains, célébrez par d'égales louanges la vallée de Tempe, Délos, berceau du dieu, et le carquois qui orne son épaule, avec la lyre, présent fraternel. C'est lui qui détournera sur les Perses et les Bretons, loin du peuple romain et de César, la guerre, féconde en larmes, l'horrible famine et la peste : il accordera cette grâce à vos prières.

XXII

A ARISTIUS FUSCUS.

Aristius Fuscus, à qui Horace adresse ce morceau, était à la fois rhéteur, grammairien et poète. C'est, à lui pareillement que notre poëte adresse sa 10° épître du livre I. Aristius Fuscus comptait parmi les plus tendres amis d'Horace. Dans cette ode, Horace décrit le bonheur de l'homme innocent, qui a pour bouclier sa vertu, et qu'en tout lieu la Divinité protège.
Le mètre est le saphique.

Irréprochable dans sa vie, celui dont la main est pure de crime n'a besoin, cher Fuscus, ni de l'arc, ni des javelots du Maure, ni du carquois chargé de flèches empoisonnées, soît qu'il ait à franchir les Syrtes mouvantes, ou les rochers inhospitaliers du Caucase, soit qu'il erre dans les déserts que baignent les eaux si fameuses de l'Hydaspe. Je l'ai éprouvé moi-même. Un jour, égaré sans défiance dans la forêt de Sabine, loin des lieux fréquentés, occupé de chanter ma Lalagé, je vis tout à coup devant moi un loup qui prit la fuite, quoique je fusse sans armes. C'était un monstre prodigieux, tel que n'en voient jamais ni la guerrière Daunie, ni les sables de l'Afrique, cette aride patrie des lions. Placez-moi dans ces champs paresseux, où jamais l'haleine des vents d'été n'a ramené la verdure, à celte extrémité du monde qu'assiègent les frimas et la colère de Jupiter ; placez-moi dans ces plaines inhabitables qu'embrase le char trop voisin du Soleil : j'aimerai toujours Lalagé à la voix douce, Lalagé au doux sourire.

XXIII

A CHLOÉ.

Deux vers d'Anacréon, conservés par Athénée, et où il compare également une jeune fille à un faon séparé de sa mère, ont fait penser que la pièce entière était prise de ce poète. Mais ce n'est qu'une conjecture.
Le mètre de ce morceau est celui de l'ode v, à Pyrrha.

Tu m'évites, Chloé, semblable à un jeune faon qui cherche, à travers les monts escarpés, sa mère inquiète ; le vain bruit des Zéphyrs ou du feuillage le remplit d'effroi : Le printemps, à son retour, fait-il frémir les feuilles qui éclosent? le vert lézard agite-t-il les buissons? son coeur, ses genoux frémissent de crainte. Mais moi, comme un tigre féroce, ou comme un lion de Gétulie, t'ai-je poursuivie pour te déchirer? Chloé, quitte enfin ta mère, tu es dans la saison d'aimer.

XXIV

A VIRGILE.

Horace console Virgile de la mort du poëte Quinctilius Varus, son parent et son ami. Les strophes de cette ode sont composées de trois asclépiades et d'un ayconique.

Pleurons : pourquoi rougir et pourquoi nous contraindre ? pleurons une tête si chère. Inspire-moi des chants de deuil, ô Melpomène, à qui ton père a donné une voix mélodieuse et la lyre! C'en est donc fait ! Quintilius dort pour jamais enseveli dans la tombe. Honneur, incorruptible Bonne-Foi, soeur de la Justice, et toi, Vérité sans fard, quand trouverez-vous un mortel qui l'égale? Sa mort doit arracher des pleurs à tous les gens de bien, à toi surtout, ô Virgile ! Hélas ! en vain, dans ta confiance aux dieux qui ne te l'avaient pas accordé pour toujours, tu leur demandes Quintilius ! Quand, sur ta lyre harmonieuse, tu modulerais des sons plus touchants que les accords dont jadis Orphée attendrissait les arbres: non, jamais ïe souffle de la vie ne vient ranimer une ombre vaine, une fois que, la touchant de sa verge terrible, un dieu, inflexible aux prières qu'on lui fait pour changer les destinées, Mercure l'a poussée au milieu du noir troupeau. Sort cruel ! mais la résignation peut alléger les maux qu'on ne saurait guérir.

XXV

A LYDIE.

Horace se venge ici d'une courtisane qui l'a dédaigné ou trompé. Cette petite ode est du mètre saphique.

Tes fenêtres, bien jointes, ne sont plus frappées à coups redoublés par de jeunes insolents ; ils ne t'enlèvent plus ton sommeil ; ta porte aime son seuil, ta porte qui naguère roulait sans cesse sur ses gonds si faciles : tu entends moins et tu entendras moins encore ton amant, durant les longues nuits, répéter : « Lydie ! Lydie ! dors-tu ? » Devenue vieille, tu pleureras, à ton tour, les mépris orgueilleux des plus vils libertins; tu pleureras solitaire, dans ta petite rue, exposée au vent de Thrace, dont les fureurs redoublent à la nouvelle lune. Alors des désirs brûlants, tels que ceux qui rendent furieuses les mères des coursiers, dévoreront ton coeur ulcéré, et tu pousseras des gémissements, en voyant la jeunesse joyeuse se couronner de lierre et de myrte verdoyant, et abandonner les couronnes flétries aux ondes glacées de l'Hébre.

XXVI

A SA MUSE, SUR LAMIA.

Elius Lamia, à qui est consacrée cette ode, s'était distingué dans 1a guerre contre les Cantabres. Le mètre de ces stophes. est l'alcäiquè. " Quid Tiridatem terreat" (V..5)vTiridate se révolta contre Phratlus et s'empara du royaume des Parthes, l'an de Rome723. Cinq ans après, Phraate marcha contre lui avec le secours des Scythes. C'est peut-être à ce fait qu'Horace fait ici allusion. "Pimplea dulcis" (v. 9)! Pimplée était une fontaine de Thace consacrée aux Muses.

Chéri des muses, je laisse les vents orageux emporter loin de moi, sur les mers de Crète, la tristesse et les soucis. Peu m'importe quel tyran se fait craindre sous les régions glacées de l'Ourse, ou quelles terreurs assiègent Tiridate. O toi qui aimes les sources où l'on n'a pas puisé encore, Muse de Pimplée, tresse les plus brillantes fleurs, tresse une couronne pour mon cher Lamia! Sans tes doux accents, mes hommages seraient stériles. C'est à lui que tu dois consacrer des accords nouveaux ; c'est lui que tu dois célébrer avec tes soeurs sur le luth divin de Lesbos.

XXVII

A SES AMIS.

Le mètre de cette ode bachique est l'alcaïque. "Et cubito remanete presso" (V. 8).

Il n'appartient qu'aux Thraces de combattre avec les coupes nées pour la joie. Loin de nous cet usage barbare ! Que Bacchus n'ait pas à rougir d'une rixe sanglante ! Au milieu des vins et des flambeaux, quel hideux contraste forme le cimeterre du Méde ! Étouffez les clameurs impies, compagnons ! restez à table appuyés sur le coude. Vous voulez que, moi aussi, je prenne ma part de ce brûlant Falerne! Eh bien ! que d'abord le frère de Mégille d'Opuntia nous dise de quelle blessure il est frappé, de quelle flèche il est heureux de mourir ! — Il balance ! — Je ne boirai qu'à ce prix. Quelle que soit la beauté qui t'enchaîne, elle ne te brûle point de feux dont tu doives rougir, et tu ne peux pécher que par un amour honnête et pur. Quel que soit ton secret, allons, confie le à des oreilles discrètes.—Ah! malheureux, qu'entend s-je? dans quel abîme t'es-tu jeté? Tu méritais une flamme plus heureuse. Quelle magicienne, quel enchanteur, avec tous les philtres de la Thessalie, quel dieu pourra te délivrer? A peine Pégase lui-même pourrait-il t'arracher à la triple Chimère qui t'enlace de ses replis.

XXVIII

ARCHYTAS ET LE MATELOT.
LE MATELOT.

D'après la mythologie ancienne, les ombres des morts ne pouvaient pénétrer dans les Enfers, tant que le corps n'avait point reçut de sépulture. Horace suppose qu'un voyageur rencontre le cadavre d'Àrchiytas qui fut jeté; dit-on, par un naufrage sur les rives de la Calabre, il s'enil s'entretient avec l'ombre du philosophe. Ce morceau est composé du vers hexamètre et du falisque, qui alternent, " Panthoiden, iterum Orco Demissum, quamvis clypeo Trojan refixo tempora testatus, etc". {Y. 10-12); Pythagore prétendait avoir été Euphorbe, fils de Panthoüs. Il reconnût à Argos, dans le temple de Junon, le bouclier dont il s'armait, lorsque, sous les traits de ce héros il combattait au siége de Troie, il enleva du temple ce bouclier, qui montrait Comme un témoignage, de sa première vie. "Injecto ter pulvere curras"(V. 35). Les Romains avaient emprunté aux Grecs la coutume de jeter trois fois de la poussière sur les corps morts.D

Toi qui mesuras la mer et la terre, et le sable innombrable, Archytas, te voilà retenu près du rivage de Matinum, parce qu'on
te refuse le bienfait de quelques grains de poussière. De quoi te sert-il maintenant d'avoir pénétré jusqu'aux célestes demeures, et embrassé de ton génie l'univers immense ? Tu devais mourir.

ARCHYTAS.

Il est mort aussi, le père de Pélops, convive des dieux, et Tithon, enlevé dans les airs, et Minos, admis aux secrets de Jupiter. Il est aux enfers, le fils de Panthoüs, descendu une seconde fois aux sombres demeures, quoiqu'il attestât, par un bouclier détaché du temple de Junon, son existence aux temps troyens, et qu'il se vantât de n'avoir cédé que son corps au trépas ; il est mort : ce fut ( tu en conviens toi-même) un interprète sublime de la nature et de la vérité. Mais la même nuit nous attend tous, et il faut fouler une fois le sentier de la mort. Les uns meurent, donnés par les Furies en spectacle au terrible Mars ; la mer avide est le tombeau du nautonier ; les funérailles de la vieillesse et de l'enfance se pressent, se confondent; la cruelle Proserpine n'épargne aucune tête. Moi aussi, le vent du midi, compagnon rapide d'Orion à son coucher, m'a englouti dans les ondes illyriennes. Matelot, ne sois pas assez impitoyable pour refuser à mes os et à ma tête sans sépulture quelques grains de ce sable mouvant. En retour, que tous les orages préparés par l'Éurus aux flots d'Hespérie, tombent sur les forêts de Venuse, et qu'ils épargnent ta tête! Puissent l'équitable Jupiter, source de tout bonheur, et Neptune, gardien dé la ville sacrée de Tarente, verser sur tes jours de nombreux bienfaits! Ne craindras-tu point de commettre un crime qu'expieraient plus tard tes fils innocents? Peut-être toi-même auras-tu à subir un juste châtiment et de superbes-retours. Mes prières, si tu me délaisses, ne resteront point sans vengeance, et nulle expiation ne pourra racheter ta faute. Quoique tes moments te soient chers, je ne te demande qu'un court délai : jette trois fois sur moi un peu de poussière, et reprends ta course sur les flots.

XXIX

A ICCIUS.

On ignore quel fut ce Iccius.

Iccius. tu portes donc maintenant envie aux riches trésors de l'Arabe; tu prépares une guerre sanglante aux rois, encore indomptés, de Saba; tu forges des chaînes au Mède redoutable! Quelle est la jeune vierge étrangère qui, pleurant son fiancé, servira sous tes lois? Quel est le jeune enfant, élevé dans le luxe des cours, qui, les cheveux parfumés, se tiendra debout pour rèmplir ta coupe, habile, naguère, à diriger la flèche sérique sur l'arc paternel? Qui niera désormais que les ruisseaux, descendant des hautes montagnes, ne puissent remonter vers leurs sommets, et le Tibre refluer vers sa source, puisque tu aspires aujourd'hui à échanger contre des cuirasses d Ibérie ces nobles écrits de Panétius que tu avais rassemblés de toutes parts, et les leçons de l'école socratique, à qui tu promettais un sage?

XXX

A VÉNUS.

Cette petite invocation à Vénus; qui semble une imitation de quelque poëte grec, est du mètre saphique.

O Vénus, reine de Gnide et de Paphos, quitte l'île chérie de Chypre et transporte-toi dans la demeure élégante de Glycère ! elle t'invoque en prodiguant son encens. Amène-nous ton fils toujours brûlant, les Grâces sans ceinture, les Nymphes, Mercure et la déesse de la Jeunesse, qui, sans toi, est dénuée de charmes.

XXXI

A APOLLON.

Plusieurs commentateurs pensent qu'Horace composa cette ode pour célébrer la dédicace d'un autel qu'il élevait dans sa maison au dieu des vers ; selon d'autres (et de ce nombre est Dacier), il écrivit ce morceau l'occasion de la consécration du temple qu'Auguste éleva et dédia à Apollon, l'an de Rome 725, dans son palais du mont Palatin.
Le mètre de ce morceau est l'alcaïque.
"Quae Liris quieta Mordet aqua, taciturnus amnis".(V, 7, 8). Le Liris, fleuve très-lent, qui séparait le Latium de la Campagnie, aujourd'hui le Garigliano.

Que demande le poëte à Apollon, à qui l'on érige un temple? que lui demande-t-il en répandant de sa coupe le vin nouveau ? ce ne sont ni les riches moissons de la Sardaigue féconde, ni les magnifiques troupeaux de la brûlante Calabre, ni l'or ou l'ivoire indien, ni les champs que mord de son onde paisible le Liris, fleuve silencieux. Qu'ils fassent tomber sous leur serpe le raisin de Calés, ceux que la Fortune a favorisés de ses dons! qu'il épuise dans sa coupe d'or les vins échangés contre les parfums de Syrie, le riche marchand que les dieux protègent; puisque trois et quatre fois, chaque année, il affronte impunément la mer Atlantique! Pour moi, l'olive, la chicorée, la mauve légère, suffisent à mes festins.Accorder moi, fils de Latone, de jouir, sain de corps et d'esprit, du peu de bien que m'ont acquis mes travaux ; fais que ma vieillesse ne soit pas sans gloire et puisse encore toucher la lyre !

XXXII

A SA LYRE.

On me demande des chants... Si jamais, dans mes loisirs, je me suis joué avec toi sous l'ombrage, ô ma lyre, inspire-moi des chants latins qui puissent vivre une année et quelques autres encore ! Je t'invoque, toi qui dus tes premiers accords à ce citoyen de Lesbos qui, terrible dans la guerre, savait, au milieu des armes, ou lorsqu'il attachait au rivage humide sa barque battue par l'orage, chanter Bacchus, les Muses, Cythérée et l'enfant qui l'accompagne sans cesse, et Lycus aux yeux noirs, Lycus à la noire chevelure. O lyre, gloire d'Apollon, toi, chère aux banquets du grand Jupiter, douce consolatrice des chagrins de l'homme, réponds à la voix pieuse de ton poëte qui t'invoque.

XXXIII

A ALBIUS TIBULLE.

Cette ode est adressée au poëte Tibulle. Horace le console de l'infidélité d'une amante.
Les strophes sont composéesde trois asclépiades et d'un glyçonique.

Ne gémis plus, Àlbius, trop sensible au souvenir de cette cruelle Glycère; ne soupire plus d'élégies plaintives, parce qu'un plus jeune amant remporte sur toi dans son coeur infidèle !
Lycoris, au joli petit front, brûle pour Cyrus ; Cyrus est entraîné vers Pholoé, qui le repousse ; et l'on verra les chèvres s'unir aux loups de l'Àpulie, avant que Pholoé cède à un indigne amour. Ainsi l'ordonne Vénus, qui se plaît, dans ses jeux cruels, à enchaîner sous un joug d'airain les esprits les plus divers, les êtres les plus opposés. Moi-même, lorsqu'une femme plus digne de moi briguait mon amour, Myrtale l'affranchie me retint sous une chaîne que je chérissais; Myrtale, plus emportée que les flots de l'Adriatique qui creuse les golfes de la Calabre.

XXXIV

PALINODIE.

Le poète maudit les faux principes de la secte qu'il avait embrassée (celle d'Épicure). Dacier et Sanadon regardent ce morceau comme ironique : selon ces critiques, cette ode est une raillerie qu'adresse aux Stoïciens le joyeux disciple d'Épicure.
Le mètre est l'alcaïque

Moi qui n'honorais les dieux que par de faibles et rares offrandes, égaré par les leçons d'une folle sagesse, je suis obligé maintenant de tourner ma voile et de reprendre la route que j'avais abandonnée. Car j'ai vu Jupiter, qui, jusqu'à ce jour, ne lançait qu'à travers un ciel chargé de nuages sa foudre étincelante, pousser au milieu d'un ciel pur ses chevaux tonnants et son char rapide. A ce bruit, tout s'ébranle, et la terre insensible, et les fleuves errants, et le Styx, et l'horrible séjour du Ténare odieux, et les sommets de l'Atlas. Oui, le dieu peut élever ce qui est humble, abaisser ce qui est fort, faire briller ce qui est obscur. La Fortune, avec un bruyant éclat, dépouille violemment du diadème un front superbe, et court, joyeuse, le poser sur une autre tête.

XXXV

A LA FORTUNE D'ANTIUM.

Horace composa probablement cette ode à là Fortune, an de Rome 726, lorsque Auguste préparait deux expéditions, l'une contre la Grande-Bretagne, l'autre contre l'Arabie; mais de ces deux càmpagnes, la seconde n'eut lieu que quatre ans plus tard, et sans succès; et Augnste renonça entièrement à la première, qu'il devait diriger en personne.
Le mètre est l'alcaïque.

Déesse qui gouvernes la riante cité d'Antium, toi qui peux élever un mortel du rang le plus obscur, ou changer d'orgueilleux triomphes en funérailles ! C'est toi qu'assiège d'une inquiète prière le pauvre habitant des champs; c'est toi, maîtresse des mers, qu'invoque le nautonier qui, de sa carène bithynienne, fatigue les flots de Carpathie. C'est toi qu'implorent le Dace cruel, le Scythe errant, les villes, les nations, le fier habitant du Latium, les mères des rois barbares; c'est toi que craignent les tyrans couverts de pourpre !
Ils ont peur que, d'un pied injurieux, tu ne renverses leur superbe colonne, et qu'une multitude furieuse, appelant aux armes le citoyen paisible, ne brise leur puissance éphémère !
Devant toi marche toujours la cruelle Nécessité, portant dans sa main d'airain des clous énormes, des coins, le croc fatal et le plomb liquide, instruments de torture. On voit, près de toi, l'espérance, et la fidélité si rare, couverte d'un voile blanc, qui ne refuse pas d'accompagner le malheur, lorsque, quittant tes somptueux vêtements, tu abandonnes en ennemie la demeure de la puissance. Mais le perfide vulgaire et la courtisane parjure se retirent alors, avec tous les faux amis, qui se gardent bien de porter ton joug avec les malheureux, et qui s'enfuient quand il n'y a plus de Falerne au fond des coupes. Conserve-nous les jours de César, prêt à marcher contre les Bretons, aux extrémités du monde! conserve ce nouvel essaim de guerriers qui doivent porter l'effroi dans l'Orient et sur les bords de la mer Rouge ! Hélas ! bous rougissons de nos cicatrices, de nos crimes, de nos frères immolés! Age exécrable! devant quel forfait avons-nous reculé? quel brime nous reste-t-il à commettre? de quel objet sacré la crainte des dieux a-t-elle détourné lé bras de nos guerriers? quel autel ont-ils épargné? Oh ! puisses-tu reforger sur une enclume nouvelle nos glaives émoussés, et les tourner contre les Massagètes et les Arabes !

XXXVI

SUR LE RETOUR DE PLOTIUS NUMIDUS.

On n'a point de notions précises sur le personnage de Plotius Numidus dont Horace célèbre le retour avec l'accent d'une vive amitié; il est vraisemblable qu'il revenait de la guerre entreprise contre les Cantabres, l'an de Rome 730. Cette ode est composée du vers glyçonique et de l'asclépiade, qui alternent.

Que l'encens, les chants de la reconnaissance, le sang d'une victime nous acquittent envers les dieux protecteurs qui nous rendent Numidus. Il revient sain et sauf des extrémités de l'Hespérie. Le voilà qui prodigue ses embrassements à ses amis et surtout à son cher Lamia. Il se souvient qu'ils ont pris ensemble la robe virile. Que ce beau jour soit marqué parmi les jours heureux. De grandes coupes, des danses saliennes, point de repos que la bacchante Damalis défie Bassus, et que Bassus lui tienne tête. Des roses, des lis, de l'ache toujours verte pour orner la table du festin. Tous les yeux déjà remplis d'ivresse se tourneront vers Damalis, qui enlacera de ses bras son nouvel amant, comme le lierre amoureux ceint le tronc d'un chêne.

XXXVII

A SES AMIS.

Cette ode est du mètre alcaïque.
" Nunc Saliaribus Ornare pulvinar Deorum Tempus erat dapibus, sodales" (v. 2-4). Les Romains, pour célébrer quelque événement heureux, ordonnaient des prières publiques, et dressaient dans les temples des tables splendides. Ils plaçaient sur des carreaux appelés "pulvinaria" les statues des dieux, qu'ils invitaient à ces pompeux festins. Horace les nomme "Saliares dapes", parce que la magnificence que déployaient alors les prêtres saliens était passée en proverbe. "Mentemque lymphatam Mareotico" (v. 14). Le vin maréotique se recueillait près du marais "Mareotis", au dessous d'Alexandrie, en Egypte.

Maintenant il faut boire, amis ; maintenant il faut d'un pied libre frapper la terre; maintenant il faut charger de mets dignes des Saliens les tables consacrées aux festins des dieux. Avant ce jour, pouvions-nous sans rougir tirer le vieux Cécube du cellier paternel, tandis qu'éblouie par sa fortune, une reine assemblant une horde de vils guerriers rongés d'ulcères hideux, se préparait follement à régner sur les ruines du Capitole, et assistait en espoir aux funérailles de l'empire ? Mais sa fureur s'évanouit lorsqu'elle vit à peine un seul de ses vaisseaux échapper à l'incendie qui dévora sa flotte immense. L'effroi remplaça dans son coeur l'ivresse audacieuse dont l'avait enflammé le vin maréotique. Tel qu'un vorace épervier se précipite sur de faibles colombes, ou tel qu'un chasseur fond sur un lièvre timide à travers les champs neigeux de la Thessalie, César, excitant ses rameurs, s'élance des bords de l'Italie, triomphe, et charge de chaînes ce monstre fatal. Cependant, supérieure à son sexe, cette femme ambitionne le plus noble trépas; elle voit le glaive sans pâlir ; elle ne va point, se confiant à la vitesse des rames, s'ensevelir dans une retraite lointaine : d'un front serein, elle ose revoir son palais consterné : elle s'empare de hideux serpents, les presse, et fait couler dans ses veines un mortel venin. Fière d'une mort qu'elle-même a choisie, elle dérobe au vainqueur la gloire de traîner en triomphe une femme que le sort ne peut humilier.

XXXVIII

A SON JEUNE ESCLAVE.

Ces deux strophes sont du mètre saphiqûe. " Displicenf nexae philyra coronae" (v. 2). Les anciens, de l'écorce du tilleul, séparés en feuilles très minces, formaient des bandelettes dont ils liaient et entouraient leurs couronnes

Jeune esclave, je hais le faste des Perses ; je n'aime pas ces couronnes enlacées de l'écorce du tilleul. Dispense-toi de chercher en quel lieu tu trouveras la rose tardive. Trop jaloux de me plaire, n'ajoute rien au simple myrte. Le myrte sied bien à ton front, lorsque tu remplis ma coupe ; et au mien, lorsque je bois sous l'épais ombrage de la vigne.

LIVRE DEUXIÈME

I

A ASINIUS POLLION.

Les titres littéraires d'Asinius Pollion, à qui cette ode est adressée, sont des tragédies, une histoire des guerres civiles, des plaidoyers. Tous ces travaux sont perdus pour nous;mais il nous reste, en faveur des talents de Pollion, les témoignages d'Horace et de Virgile. Cet homme illustre ne joua pas un rôle moins important dans les événements politiques de son siècle : il fut d'abord partisan de César ; après sa mort, il resta étranger aux débats d'Antoine et d'Octave. Notre poëte, dans cette ode, invite Pollion à laisser reposer pour quelque temps la muse tragique et à se livrer entièrement à l'histoire dont il s'occupait alors, celle des guerres civiles, depuis le triumvirat de César, Crassus et Pompée.
Le mètre de l'ode est l'alcaïque.

Nos troubles civils nés sous le consulat de Metellus, les causes de la guerre, ses résultats coupables, ses vicissitudes, les jeux de la Fortune, les funestes amitiés des chefs, nos armes teintes d'un sang qui n'est pas encore expié, tel est le sujet plein de dangers et d'écueils que choisit ton courage : tu marches sur des feux recouverts d'une cendre trompeuse.
Que la muse sévère de la tragédie manque un instant à nos théâtres ! bientôt, quand tu auras tracé le tableau de nos grands événements, tu reprendras le cothurne de Cécrops et la noble tâche du poëte, ô Pollion, illustre appui de l'accusé gémissant, lumière du sénat dans ses conseils, toi que les trophées de Dalmatie ont couvert d'un immortel laurier. Déjà tu frappes nos oreilles du son menaçant de la trompette ; déjà résonnent les clairons ; déjà l'éclat des armes effraie le coursier qui veut fuir, et fait pâlir le guerrier. Déjà je crois entendre la voix de ces grands capitaines tout couverts d'une noble poussière ; je vois l'univers entier soumis, excepté l'âme inflexible de Caton. Junon et tous les dieux amis de l'Afrique s'étaient retirés, impuissants de cette terre qu'ils ne vengeaient pas; mais ils y ont ramené les petits-fils des vainqueurs pour les immoler en hécatombes à Jugurtha. Quelle terre ne s'est engraissée du sang latin? quel champ n'atteste par ses tombeaux nos combats sacrilèges, et la chute de l'Hespérie, qui a retenti jusque chez le Mède? Quel gouffre ou quels fleuves ont ignoré nos funestes guerres? quelle mer ne s'est pas rougie de nos carnages? quel rivage manque de nos cadavres ? Mais, ô Muse imprudente, n'abandonne pas tes modestes jeux, pour t'élever au ton plaintif du chantre de Céos ! Viens avec moi dans l'antre de Vénus, apprendre à tes cordes de plus légers accords !

II

A CRISPE SALLUSTE.

Malgré l'opinion du président de Brosses, qui soutient, sans preuves que cette ode est adressée à Salluste l'historien, nous nous rangeons à l'opinion de tous les commentateurs, qui voient dans le Sallnste dont il est ici question un petit-fils de la soeur de cet historien : c'était un courtisan qui jouissait de la faveur d'Auguste. Le mètre de l'ode est le saphique.
" Vivet extento Proculeius aevo" (v. 5). Ce Proculeius avait deux frères, qui perdirent leur fortune pendant les guerres civiles : Proculeius partagea ses biens avec eux. L'un de ces frères fut Licinius Muréna, à qui est adressée l'ode x de ce livre.

Quel éclat peut avoir l'argent, dis-moi, Crispe Salluste, toi l'ennemi des lingots enfouis sous la terre avare, s'il ne brille par le sage emploi qu'on en sait faire ? Il vivra dans un long avenir, ce Proculeius connu pour avoir eu un coeur paternel envers ses frères ; et son nom sera porté sur les ailes infatigables de la Renommée, quand il ne sera plus. Vous aurez un empire plus vaste, en maîtrisant vos désirs ambitieux, que si votre domination s'étendait de la Libye aux extrémités de l'Espagne, et que l'une et l'autre Carthage obéît à vous seul. -
Il enfle davantage, cruel envers lui-même, en cédant à sa soif, ce malheureux hydropique : pourra-t-il chasser l'ardeur qui le dévore, tant que le principe du mal n'aura pas abandonné ses veines, et qu'une lymphe indolente entretiendra la pâleur de son corps ? Au trône de Cyrus est remonté Phraate : malgré l'opinion du vulgaire, il est exclus du nombre des mortels fortunés par l'auguste vertu qui enseigne aux peuples à ne point se payer de mots vides de sens. Elle n'assure l'empire et le diadème, elle n'accorde une gloire véritable qu'à celui qui peut, sans y arrêter ses regards, voir étalés des monceaux d'or.

III

A DELLIUS.

On ne sait rien de positif sur le personnage de Dellius, à qui est cessé ce morceau, l'un des chefs-d'oeuvre d'Horace.
Le mètre est l'alcaïque.

Souviens-toi de conserver une âme toujours égale, inébranlable sous les coups du malheur, inaccessible à la folle ivresse qui suit la prospérité! car tu dois mourir, Dellius! soit que ta vie entière s'écoule dans la tristesse, soit que, toujours en fêtes, et mollement couché à l'écart sur un frais gazon, tu fasses couler à longs flots le plus vieux Falerne. Hâte-toi donc! dans ce lieu charmant, où le pin superbe et le pâle peuplier se plaisent à confondre l'ombre hospitalière de leurs rameaux, où l'onde fugitive lutte avec un doux murmure contre les obstacles qui arrêtent son cours, fais porter du vin, des parfums, et ces roses, hélas ! qui ont si peu de temps à vivre ! Profite du temps où ta fortune, ton âge, et le noir fuseau des trois Soeurs te le permettent encore. Il faudra les quitter, ces vastes domaines achetés à grands frais ; cette jolie maison des champs, dont le Tibre vient baigner les murs, il faudra la quitter ! et d'avides héritiers jouiront de tant de trésors, si péniblement accumulés !Riche ou pauvre, fils du puissant Inachus. ou du dernier des citoyens, sans autre abri que les cieux, tu n'en seras pas moins la victime de l'inexorable Pluton. Une loi commune nous pousse tous vers le même terme : agité par la main du Sort dans, l'urne redoutable, tôt ou tard le nom de chacun de nous en sortira, et la fatale barque nous conduira aux lieux de l'exil qui ne connaît point de retour.

IV

A XANTHIAS.

Ne rougis pas, Xanthias, de l'amour que t'a inspiré ta jeune esclave ! Briséis, au teint d'albâtre, n'a-t-elle point touché le coeur indomptable d'Achille ? Tecmesse, cette autre captive, n'a-t-elle point, séduit par sa beauté son maître Ajax, fils de Télamon? Agamemnon lui-même, au milieu de son triomphe, n'a-t-il pas brûlé pour une vierge prisonnière, lorsque les bataillons barbares furent tombés sous le Thessalien vainqueur, et que la chute d'Hector eut livré aux Grecs fatigués la conquête, alors facile, de Pergame? Que sait-on? peut-être la blonde Phyllis a-t-elle d'illustres parents dont tu seras fier d'être le gendre. Sans doute, elle est d'un sang royal, et pleure ses foyers trahis par ses dieux. Crois qu'elle n'est point d'un sang vil et coupable, la femme qui a conquis ton amour ; et qu'une amante d'une fidélité si rare, d'un désintéressement, si pur, ne doit pas avoir à rougir de sa mère. Je puis louer sans crime ses bras, son visage, sa jambe arrondie. Soupçonneras-tu un ami dont l'âge vient de compter son huitième lustre?

V

SUR LALAGÉ.

André Chénier a traduit ce morceau dans la première partie de son "Arcas et Palémon".
Le mètre est l'alcaïque.

Elle ne peut pas encore supporter le joug, y ployer sa tête, partager les travaux d'un compagnon, ni soutenir le choc amoureux du taureau pesant. Le coeur de ta génisse est tout entier aux verdoyants pâturages: elle n'a d'autres désirs que d'aller, tantôt se soustraire dans les ondes à la chaleur accablante, tantôt folâtrer avec ses jeunes compagnes au milieu des saules humides. Ne cueille pas la grappe encore verte; bientôt l'automne aux couleurs variées t'offrira ses noirs raisins teints de pourpre. Bientôt elle-même te recherchera : car le temps, qui fuit sans pitié, lui donnera les années qu'il t'aura enlevées. Bientôt, le front moins timide, elle demandera un époux, et elle sera adorée plus que ne le furent jamais et Chloris et la coquette Pholoé. Lalagé, aux blanches épaules, aura l'éclat de la lune brillante qui se réfléchit au sein des mers, ou de Gygès beau comme l'Amour, et qui, mêlé à un groupe de jeunes filles, par sa chevelure flottante et par la délicatesse de ses traits, abuserait les yeux les plus clairvoyants.

VI

A SEPTIME.

Septime était un chevalier romain, qui fut l'ami d'Horace et son compagnon d'armes. Le mètre de cette ode gracieuse est le saphique.
" Dulce pellitis ovious Galaesi Flumen "(v. 10, 111. Le Galésus ,aujourd'hui Galaso, rivière voisine de Tarente. Cette ville devint le jour d'une colonie de Lacédémoniens, que Phalante y conduisit. " Viridique certat Bacca Venafro" (v. 15, 16). Vénafre était une ville de Campanie, dont les olives étaient renommées.

Septime, toi qui me suivrais jusqu'à la lointaine Gadès chez le Cantabre indocile à porter notre joug, et jusqu'au milieu des Syrtes barbares, où bouillonnent sans cesse les flots de Mauritanie; puisse Tibur, cette ville fondée par une colonie d'Argiens, être la demeure de ma vieillesse! puissé-je y trouver le repos, après mes courses sur terre et sur mer, après la fatigue des camps ! Si la Parque cruelle me défend ce riant séjour, j'irai chercher le fleuve Galésus, cher aux brebis couvertes d'une riche toison ; j'irai vers ces campagnes où régna Phalante le Laconien. Ce coin de terre me sourit par-dessus tous les autres ; là je trouve un miel qui ne le cède point à celui du mont Hymette; le fruit de l'olivier le dispute à la verte olive de Vénafre ; Là se prolonge un doux printemps, et Jupiter n'impose aux champs qu'un tiède hiver ; et les coteaux d'Aulon, chers à Bacchus qui les enrichit de ses dons, n'ont rien à envier aux vignes de Falerne. Ce beau lieu, cette heureuse retraite, t'appellent avec moi, Septime! Là, tu arroseras ma cendre, chaude encore des larmes que tu dois à un ami.

VII

A POMPÉE VARUS.

Le poëte adresse cette ode à un ami, à un ancien compagnon d'armes, dans les bras duquel il se retrouve. Le mètre est l'alcaïque.
" Quis te redonavit Quiritem. (v. 3)?" — Quiritem: on sait que c'est le nom du citoyen romain hors des camps.

O toi, qui souvent crus toucher avec moi à ta dernière heure, lorsque nous suivions les drapeaux de Brutus, qui t'a rendu à la vie civile, aux dieux de la patrie, et au ciel de l'Italie, Pompée, le premier de tous mes amis, toi avec qui tant de fois j'ai abrégé, la soupe en main, la lenteur du jour, couronnant de fleurs mes cheveux tout brillants des parfums de la Syrie? Avec toi j'ai partagé la défaite de Philippes ; et, dans notre fuite rapide, j'oubliai, j'en rougis, mon bouclier en ce jour fatal où fut écraséle courage, où l'on vit le front des plus braves honteusemen toucher la poussière ! Mais le léger Mercure m'enleva tout tremblant dans un épais nuage à travers les ennemis ; tandis que l'onde orageuse, dans ses gouffres bouillonnants, t'entraînait de nouveau vers les combats. Offre donc à Jupiter le festin que tu lui dois; viens reposer sous mon laurier ton corps fatigué de tes longues guerres, et n'épargne point ces tonneaux qui te sont destinés. Remplis ces coupes si brillantes, du Massique qui fait tout oublier; fais couler les parfums de ces larges conques! Qui songe à nous tresser sans retard de fraîches couronnes d'ache ou de myrte? qui sera nommé par Vénus roi du festin? Je veux aujourd'hui n'être pas plus sage qu'un Thrace : il m'est doux de perdre la raison quand je retrouve un ami.

VIII

A BARINES.

Ce morceau, que les commentateurs regardent assez généralement comne imité du grec, est du mètre saphique.

Barines, si tu avais subi quelque châtiment de tes parjures; si une seule de tes dents eût été noircie, si un seul de tes ongles eût été déformé, je te croirais. Mais à peine ta perfidie t'a-t-elle engagée par de nouveaux serments, tu parais plus belle que jamais, et tu t'avances adorée de toute notre jeunesse. Il te réussit d'insulter à l'urne qui couvre les cendres d'une mère, aux astres silencieux de la nuit, au ciel et aux dieux suprêmes, exempts de la froide mort. Mais que dis-je ! Vénus elle-même en rit, et les Nymphes faciles, et Cupidon, qui aiguise sans cesse sur une pierre ensanglantée ses flèches brûlantes. Enfin c'est pour toi que grandissent, tous nos adolescents, ce sont de nouveaux esclaves à toi seule réservés ; et tes anciens amants, si souvent chassés, ne peuvent quitter le toit d'une maîtresse impie. Les mères te redoutent pour leurs fils, les vieillards économes te craignent, et les vierges nouvellement mariées tremblent, dans leur inquiétude, que ton souffle ne leur enlève leurs époux.

IX

A VALGIUS.

Valgius était un poëte latin dont il ne nous reste plus rien. Il fit des élégies, des idylles, des épigrammes. Horace, dans, ses Satires, le met au nombre des amis dont il ambitionne le suffrage. Horace veut ici consoler le poëte de la perte de son fils Mystes. Le mètre est l'alçcaïque. "Querceta Gargani" (v. 7). Le Gargane, nom d'une montagne d'Apulie. "Medumque flumen gentibus additum Victis" (v, 21, 22). Le fleuve de Médie, c'est l'Euphrate. "Gelonos exiguis equitare campis" (v, 23,24). Les Gelons, peuple voisin des Sarmates, et qui faisait partie des Scythes.

Les nuages ne versent point sans cesse la pluie sur les champs attristés; la mer Caspienne n'est point tourmentée par d'éternelles tempêtes ; et sur les plaines de l'Arménie, cher Valgius, ne pèse point toute l'année la glace immobile ; les chênes du Gargane ne sont point toujours battus par l'Aquilon, et l'orne ne pleure pas toujours son feuillage. Pour toi, tu poursuis d'éternels regrets Mystès que la mort t'a enlevé. Tes plaintes ne s'apaisent, ni quand se lève l'étoile de Venus, ni quand elle fuit devant le soleil rapide. Mais le vieux Nestor, qui vécut trois âges, ne pleura pas toujours l'aimable Antiloque ; le jeune Troïle fut-il pleuré toujours par ses parents, et par les Phrygiennes, ses soeurs désolées? Cesse donc ces plaintes peu dignes de ton courage ! Célèbre plutôt avec moi les nouveaux trophées de César Auguste, le Niphate glacé, et le fleuve de Médie, ajoutés à nos conquêtes, et roulant des flots moins superbes ; célèbre le Gélon retenant son coursier dans les étroites limites que lui prescrivent nos victoires.

X

A LICINIUS.

Cette ode s'adresse au frère de ce Proculeius dont Horace célèbre la générosité dans l'ode II de ce livre. Licinius; que la perte de tous ses biens, dans les guerres civiles, n'avait pu corriger de son ambition, ne suivit pas les sages conseils que notre poëte lui donne dans cette belle ode : il conspira contre Auguste, et subit la peine capitale. Cette ode est du mètre saphique.

Dans la traversée de la vie, cher Licinius, il ne faut ni braver toujours les périls de la pleine mer, ni, par une crainte excessive des tempêtes, serrer de trop près le rivage semé de perfides écueils. Celui qui chérit la médiocrité, plus précieuse que l'or, vit sans inquiétude et sans ambition; il n'habite ni sous un toit délabré qu'attriste la hideuse misère, ni sous des lambris fastueux dont on envie la magnificence. La cime élevée des pins est sans cesse battue par les vents ; les hautes tours sont, celles qui s'écroulent avec le plus de fracas ; et la foudre frappe le sommet des montagnes. L'âme préparée aux coups du sort, dans la bonne ou la mauvaise fortune, craint ou espère un changement ; Jupiter chasse et ramène tour à tour les sombres hivers. Si nous sommes mal aujourd'hui, peut-être serons-nous mieux demain; Apollon ne tient pas toujours tendu son arc terrible ; quelquefois, prenant sa lyre, il réveille la muse silencieuse. Montrez-vous ferme et courageux dans le malheur ; mais si le vent trop favorable vient avec force enfler vos voiles, soyez sage et hâtez-vous de les replier.

XI

A QUINCTIUS HIRPINUS.

Les commentateurs supposent que Qinctiuss Hirpinus, auquel Horace adressa également sa 16e épitre du livre 1er, avait des possessions dans plusieurs pays où l'on pouvait craindre des invasions, ,et s'inquiétait beaucoup pour ses propriétés. Horace cherche à le rassurer.
Cette ode est du mètre alcaïque.

Ne t'occupe pas. Quinctius, à prévoir ce que peuvent méditer le Cantahre belliqueux ou le Scythe, puisque l'Adriatique nous en sépare ; ne t'agite pas sans cesse pour les besoins d'une vie qui demande si peu ! Rapidement s'enfuient la jeunesse brillante et la beauté; la triste vieillesse arrive, chassant les amours folâtres et le sommeil facile. Les fleurs du printemps ne conservent pas toujours leur fraîcheur ; la lune voit souvent pâlir l'éclat de son disque lumineux. Pourquoi fatigues-tu par d'éternels soucis ton âme trop faible pour les supporter? Pourquoi ne viens-tu pas plutôt, couché comme moi nonchalamment sous ce haut platane ou sous ce pin, mêlant la rose odorante aux cheveux blancs, et le parfum de Syrie à la rose, boire le Falerne, tandis que nous le pouvons encore ? Bacchus dissipe les soucis rongeurs. Quel jeune esclave va rafraîchir ces amphores brûlantes en les plongeant dans ce ruisseau qui s'enfuit ? Qui arrachera pour nous la courtisane Lydé à sa mystérieuse demeure? Cours, enfant, qu'elle se hâte; qu'elle vienne avec sa lyre d'ivoire, les cheveux relevés par un simple noeud, à la manière des filles de Sparte !

XII

A MÉCÈNE.

Je pense avec Dacier que la Licymnie dont parle Horace dans cette ode n'est autre que l'épouse de Mécène, Terentia, dont le poëte déguisait le nom. Ilarait que Mécène avait engagé Horace à traiter de sujets sérieux et surtout à célébrer les triomphes d'Auguste. Horace s'excuse avec délicatesse. Les strophes de cette ode sont composées de trois asclépiades et d'un glyçonique.
" Et nimium mero Hylaeum" (v; 5, 6). Hylée, un des Centaures.
"Domitosque Herculea, manu Telluris Juvenes" (V. 6; 7). Dacier expliqué ce passage par une hypothèse ingénieuse; qui n'à rien d'invraisemblable : il croit qu'Horace veut faire allusion aux triomphes d'Octave, et qu'il désigne Antoine par l'ivrogne Hylée, et par les Géants qui osaient attaquer le ciel, Brutus et Cassius.

N'exige point, Mécène, que ma lyre, aux faibles accords, essaie de chanter les longues guerres de la superbe Numance, le terrible Annibal, la mer de Sicile, rouge du sang carthaginois; ou les cruels Lapithes, l'ivresse d'Hylée, et les géants, fils de la Terre, qui avaient fait trembler la demeure radieuse du vieux Saturne, domptés par la main d'Hercule.
Tu sauras mieux que moi, Mécène, dans ta noble prose, chanter les combats de César, et ces rois, naguère menaçants, conduits dans les rues de Rome, chargés de fer. Pour moi, ma muse m'ordonne de chanter la douce voix de Licymnie, ta souveraine, ses yeux pleins d'un si vif éclat, et votre coeur, si fidèle à vos mutuelles amours. Elle brille par sa légèreté dans nos danses, par son esprit dans nos jeux ; par sa grâce, lorsqu'aux fêtes de Diane, ses mains s'entrelacent aux mains de ses riantes compagnes. Voudrais-tu, dis-moi, contre tous les biens d'Achéménès, contre les richesses de la féconde Phrygie et tous les trésors de l'Arabe, échanger un seul des cheveux de Licymnie, lorsqu'elle tourne sa tête vers tes brûlantes caresses, ou que sa facile rigueur te refuse le baiser qu'elle voudrait plus que toi se voir ravir, et qu'une autrefois elle te ravira la première?

XIII

CONTRE UN ARBRE QUI, DANS SA CHUTE, AVAIT FAILLI L'ÉCRASER.

L'événement qui fait le sujet de cette ode, la chute d'un arbre qui faillit écraser, le poëte, parait avoir fait sur lui une impression profonde : il reviendra encore sur cet accident (livre II, ode XVII ; liv. III, ides IV et VIII).
Le mètre de cette ode est l'alcaïque. "Nec curat Orion Icones, Aut timidos agitare lyncas" (v. 39, 40). Le chasseur Orion avait voulu attenter à l'honneur de Diane. Horace suppose qu'il conserve aux Enfers le goût de la chasse.

Ce fut dans un jour néfaste qu'on te planta, arbre fatal : ce fut une main sacrilège qui te fit croître pour le malheur de la race future et l'opprobre du hameau. Sans doute il avait brisé la tête de son vieux père, et pendant la nuit arrosé ses foyers du sang de son hôte ; sans doute il avait manié les poisons de la Colchide, et conçu tout ce que l'esprit peut enfanter de forfaits, celui qui te plaça dans mon champ, arbre maudit, qui devais tomber un jour sur la tête de ton maître innocent ! L'homme ne peut jamais assez prévoir les dangers qu'il doit éviter. Le matelot carthaginois craint le Bosphore, et ne pense pas aux périls que lui garde ailleurs l'aveugle destin ; le soldat romain craint la flèche du Parthe et sa fuite rapide ; le Parthe redoute les chaînes et le bras robuste du Romain, mais, toujours une mort inattendue a frappé et frappera les humains. Que j'ai été près de voir le royaume de la sombre Proserpine, Éaque et son tribunal, les demeures écartées des âmes pieuses, et Sapho se plaignant sur les cordes éoliennes des jeunes filles de sa patrie ; et toi, Alcée, faisant répéter aux mâles accents de ta lyre d'or les dangers de la mer, les maux de l'exil, les maux des combats ! Les Ombres les écoutent toutes deux, et admirent ces chants dignes d'un religieux silence ; mais la foule épaisse du vulgaire prête une oreille plus avide aux récits des combats et des tyrans détrônés. Faut-il s'en étonner puisqu'àces chants divins, le monstre aux cent têtes, immobile, stupéfait, baisse ses noires oreilles ; puisque les serpents enlacés aux cheveux des Euménides tressaillent de ravissement? Prométhée et le père de Pélops trouvent dans ces doux accents l'oubli passager de leurs maux ; Orion lui-même ne songe plus à poursuivre les lions et les lynx timides.

XIV

A POSTUME.

On ne connaît point ce Postume dont Horace a immortalisé le nom par cette ode admirable.
Ce morceau est du mètre alcaïque.

Postume hélas ! cher Postume, les années fugitives s'écoulent, disparaissent; et nos prières ne peuvent retarder les rides de la vieillesse qui nous presse, et la mort que rien ne peut dompter. En vain, ami, chaque jour, par trois hécatombes, tu tenterais de fléchir l'implacable Pluton, qui enchaîne de ses tristes ondesTityus et le triple Géryon ; rois ou pauvres laboureurs, nous tous qui vivons sur cette terre, il nous faudra passer ce fleuve redoutable. En vain éviterons-nous le glaive sanglant de Mars et les flots de l'Adriatique qui se brisent en mugissant; en vain, pendant l'automne, chercherons-nous un abri contre le souffle empoisonné de l'Auster : il nous faudra visiter le noir Cocyte et ses ondes languissantes, et la coupable race de Danaüs, et Sisyphe fils d'Éole, condamné à un étemel labeur. Il te faudra quitter cette terre, ta maison, ton épouse chérie, et, de tous ces arbres que ta main cultive ; l'odieux cyprès est le seul qui suivra son maître d'un jour. Un héritier plus sage boira le Cécube que tu renfermes sous cent clefs; et sur tes marbres magnifiques, il fera ruisseler ce vin qu'envierait la table d'un pontife.

XV

CONTRE LE LUXE DE SON TEMPS.

Le poëte rappelle à ses concitoyens, dont il déplore le faste et le luxe, les beaux jours de Rome pauvre encore, et la noble indigence de leurs ancêtres.
L'ode est du mètre alcaïque.
" Extenta visentur Lucrino Stagna lacu" (v. 3; 4). Le lac Lucrin était situé dans la Campanie. Il a été comblé par un tremblement de terre.
"Nec fortuitum spernere cespitem Leges sinebant" (v. 17, 18). Je crois, comme Dacier, qu'il faut entendre par "fortuitum cespitem", le coin de terre qui échut à chaque citoyen dans le partage des terres conquises.

Déjà les édifices somptueux ne laissent plus qu'un faible espace au soc agriculteur. De tous côtés s'étendent des bassins plus spacieux, que le lac Lucrin ; le platane, orgueilleux de son célibat, remplace l'utile ormeau; les berceaux de myrte, la violette et mille touffes de fleurs, embaument de leurs doux parfums les lieux où naguère le fertile olivier enrichissait un autre maître. Les épais rameaux du laurier déroberont bientôt à la terre les ardents rayons qui la fécondent. Il n'en était pas ainsi sous l'empire des lois prescrites par Romulus, et révérées par nos sages et par l'austère Caton. Alors les fortunes privées étaient modiques, la fortune publique était immense : le citoyen n'élevait pas de vastes portiques où le ;ouffle du nord éternise la fraîcheur. Les lois ne souffraient point qu'un Romain dédaignât un gazon naturel ; elles faisaient orner les villes aux frais du public, et consacraient aux temples divins le narbre fastueux.

XVI

A GR0SPHUS.

On a pensé que le personnage auquel cette ode est adressée, était le même Pompeius Grosphus, dont parle Horace dans ses Epitres; mais ce n'est qu'une conjecture.
Le mètre de cette belle ode est le saphique.

C'est le repos que demande aux Immortels le matelot surpris au nilieu de la mer Egée, lorsque d'épais nuages ont caché la lune, et que les astres obscurcis ne peuvent plus servir de guide au pilote. C'est le repos que demandent et le Thrace furieux dans les combats, et le Mède paré de son carquois ; le repos, cher Grosphus, que les pierreries, la pourpre et l'or ne sauraient acheter. Non, les trésors des rois, les faisceaux consulaires ne peuvent chasser de l'âme les chagrins qui l'assiègent et les soucis qui voltigent sous les lambis dorés.
Heureux dans sa médiocrité, celui qui, sur sa table frugale, voit briller la salière de ses aïeux ; celui dont le paisible sommeil n'est troublé ni par la crainte ni par une fatale ambition !
Pourquoi, présomptueux que nous sommes, nous épuiser en de si longs projets dans une si courte vie? pourquoi chercher des terres échauffées par un autre soleil? En fuyant sa patrie, peut-on se fuir soi-même ? Le souci, compagnon du vice, monte avec nous sur les navires armés d'airain ; il suit les escadrons dans la plaine, plus léger que le daim, plus léger que l'Eurus qui chasse les nuages. Content du présent, que notre esprit évite de s'inquiéter de l'avenir ; que, par une douce gaieté, il tempère l'amertume de la vie : ici-bas il n'est point de parfait bonheur. Une mort prématurée enlève Achille couvert de gloire : une longue vieillesse mine le faible Tithon ; et le temps peut-être m'accordera ce qu'il t'aura refusé. Cent troupeaux, cent génisses de Sicile mugissent autour de toi ; pour toi hennit ce cheval digne de l'attelage d'un quadrige ; pour toi la laine est trempée deux fois dans la pourpre d'Afrique : mais quant à moi, j'ai reçu du destin des faveurs moins trompeuses, un petit champ, une étincelle de ce feu qui animait les Muses de la Grèce, et la force de mépriser les clameurs du vulgaire.

XVII

A MÉCÈNE MALADE.

On sait que Mécène était d'une faible santé; on sait aussi qu'il tenait singulièrement à la vie, et tourmentait souvent ses amis de ses plaintes. C'est dans un de ces moments où sans doute il croyait sa mort prochaine, qu'Horace le rassure et le console. L'ode est du mètre alcaïque.
" Ille dies utramque Ducet ruinam" (v. 8, 9)..Le ciel exauça ce voeu de l'amitié, et accomplit la prédiction touchante du poëte : le même mois vit mourir Mécène et son ami

Pourquoi me déchirer l'âme de tes plaintes? les dieux ne veulent pas plus que moi, Mécène, que tu me devances au tombeau, toi qui fais ma gloire et mon soutien. Ah ! si une mort prématurée t'enlevait, toi, la moitié de mon âme, que ferais-je sur la terre, privé de la plus chère partie de mon être, et me survivant à moi-même? Le même jour amènera notre mort commune. Ce n'est pas un serment perfide que je profère : nous irons, nous irons ensemble, en quelque lieu que tu me précèdes, compagnons prêts à faire le dernier voyage. Ni la Chimère au souffle de feu, ni Gyas aux cent mains, s'il se relevait, ne pourraient m'arracher d'auprès de toi : ainsi l'ont décidé les Parques et la Justice toute puissante. Soit que la Balance, ou le redoutable Scorpion, témoin funeste à l'heure fatale, ou le Capricorne, tyran des flots d'Hespérie, aient présidé à ma naissance, une merveilleuse alliance unit nos deux astres. Toi, l'éclat tutéîaire de Jupiter t'arracha à l'impie Saturne, et enchaîna les ailes de la Mort rapide, lorsque le peuple en foule fit retentir trois fois le théâtre de ses cris joyeux. Moi, un arbre tombé sur ma tête m'aurait enlevé à ton amitié, si le dieu Faune, gardien des favoris de Mercure, n'eût amorti le coup de sa main protectrice. N'oublie pas d'immoler les victimes, d'ériger le temple promis par tes voeux ! Moi, j'offre en sacrifice un modeste agneau.

XVIII

A UN RICHE AVARE.

Ni l'ivoire ni les lambris dorés ne brillent dans ma maison, et les poutres de l'Hymette n'y chargent pas des colonnes arrachées aux extrémités de l'Afrique. Héritier inconnu, je n'ai pas pris possession du palais d'Attale, et de nobles clientes ne tissent point pour moi des laines de Laconie. Une lyre, une verve assez heureuse, voilà mes biens ; et, malgré ma pauvreté, le riche me recherche. Je n'importune pas les dieux, et je ne fatigue point mon puissant ami de demandes ambitieuses : ma petite terre de Sabine suffit à mon bonheur. Le jour chasse le jour, les lunes se succèdent et s'évanouissent ; et toi, si près de la mort, tu fais tailler le marbre; oublieux de la tombe, tu élèves des palais. La terre que tu possèdes ne satisfait pas ton ambition, et tu travailles à envahir le rivage où la mer de Baïa vient se briser avec furie. Pourquoi sans cesse arracher les bornes du champ voisin? Pourquoi ta cupidité te fait-elle franchir les limites de tes clients ? Vois l'époux et l'épouse que tu chasses emporter leurs Pénates et leurs jeunes enfants couverts de haillons. Cependant pour toi, riche possesseur, il n'est pas de palais plus certain que l'inévitable demeure de l'avide Pluton. Que chercherais- tu au delà? La terre s'ouvre également pour le pauvre et les fils des rois ; le gardien incorruptible des enfers n'a point ramené sur l'autre bord l'ingénieux Prométhée, et il y retient aussi le superbe Tantale et son exécrable race : qu'on l'appelle ou qu'on le fuie, il vient délivrer le pauvre en unissant ses peines.

XIX

SUR BACCHUS.

Le mètre est l'alcaïque.
" Tectaque Penthei Disjecta non leni ruina" (v. 14, 15). Penthée, roi de Thèbes, qui avait outragé Bacchus, fut écrasé sous les ruines de son palais. " Thracis et exitium Lycurgi" (v. 16). Lycurgue, roi de Thrace, qui avait aussi offensé le dieu, devint furieux. Il se coupa lui-même l'extrémité des membres, égorgea son fils, et fut dévoré par des panthères.

Dans un antre écarté, j'ai vu Bacchus, croyez-moi, races futures, enseignant de nouveaux chants aux Nymphes avides de ses leçons! j'ai vu les Satyres aux pieds de chèvre, dressant leurs oreilles pointues ! Évoé ! mon coeur palpite encore d'une crainte récente; une joie confuse remplit mon sein, plein de Bacchus. Évoé! épargne-moi; Bacchus, épargne-moi ! dieu du thyrse redoutable! Tu m'as permis de chanter les Thyades indomptables, les sources du vin, les ruisseaux d'un lait abondant, le miel coulant, sans se tarir, du creux des arbres. Tu m'as permis de chanter la gloire de ton heureuse épouse, admise parmi les astres, et le palais de Penthée, couvrant la terre de son horrible ruine, et la mort du Thrace Lycurgue. Tu domptes les fleuves, tu domptes les mers lointaines; et, sur les monts solitaires, tout humide du jus de la vigne, tu enlaces dans les cheveux des Bacchantes les vipères qui pour toi n'ont point de dards. On t'a vu aussi, lorsque la cohorte impie des Géants se frayait un dangereux chemin jusqu'au royaume de ton père, empruntant au lion ses griffes redoutables et ses dents terribles, précipiter Rhétus du haut des airs. On disait cependant qu'ami de la danse, des jeux et de la gaieté, tu étais moins propre aux combats; mais tu te montres le dieu de la guerre aussi bien que le dieu de la paix. Cerbère lui-même, désarmé à l'aspect de ton front rayonnant de cornes d'or, caressa doucement la terre de sa queue; et, quand tu sortis de l'enfer, il lécha tes pieds de sa triple gueule.

XX

A MÉCÈNE.

Horace se promet l'immortalité.
L'ode est du mètre alcaïque.
" Non usitata, nec tenui ferar Penna biformis" (v. 1, 2). Horace veut faire entendre, par le mot "biformis", que sa métamorphose en cygne n'est pas achevée, et qu'il conserve encore quelque chose de l'homme. C'est dans la troisième strophe, bien remarquable par l'élégance et la propriété de l'expression, que le prodige s'achève. Dans la strophe suivante, tout est fini: et il se nomme alors "canorus ales".

Sur des ailes vigoureuses et que ne vit jamais l'oeil des hommes, je m'élancerai, poëte et dieu, dans les plaines de l'air; je ne resterai point sur la terre plus longtemps; et,plus grand que l'envie, j'abandonnerai le séjour des villes. Non, je ne mourrai pas, moi issu de pauvres parents, moi que tu appelles ton ami, Mécène ! je ne serai pas enchaîné par l'onde du Styx. Déjà sur mes jambes s'étend une peau plus dure ; le haut de mon corps prend la forme et la blancheur du cygne ; un léger plumage naît sur mes doigts et sur mes épaules.
Bientôt, plus rapide que le fils de Dédale, je visiterai, chantre ailé, les rivages du Bosphore aux flots gémissants, les Syrtes de Gétulie et les chants Hyperboréens. L'habitant de la Colchide, le Dace qui redoute la cohorte marse et veut cacher son effroi, les Gelons, aux confins du monde, connaîtront mes chants ; je les apprendrai à la docte Ibérie, au peuple qui boit les eaux du Rhône. Écarte de mes vaines funérailles les chants lugubres, le deuil stérile, de honteux gémissements ! retiens tes plaintes, et épargne moi les honneurs superflus du tombeau!

LIVRE TROISIÈME

I

Cette ode est du mètre alcaïque.
"Districtus ensis cui super impia Cervice pendet" (v. 17. 18). Le poëte fait allusion à ce Damoclès que Denys-le-Tyran fit asseoir à sa table. On lui serties mets les plus exquis; on l'entoure d'esclaves empressés ; une musique céleste se fait entendre ; tout à coup il lève la tête, et voit au-dessus de lui une épée nue suspendue par un fil. Denys voulait lui donner une idée de son propre bonheur.

Je hais le profane vulgaire, et je le chasse. Prêtez un silence favorable ! Prêtre des Muses, je vais chanter à nos vierges et aux jeunes Romains des vers qui n'ont pas encore été entendus. Devant les rois tremblent les peuples, troupeau docile et soumis; devant Jupiter, illustre par son triomphe sur les Géants, et qui ébranle le monde de son sourcil, tremblent à leur tour tous les rois. Que l'un voie s'étendre au loin ses plants d'arbrisseaux ; que celui-ci, fier de sa noblesse, descende au champ de Mars briguer les honneurs ; que tel autre les lui dispute par la vertu et la renommée; que celui-là marche, environnée de nombreux clients : la nécessite soumet à une égale loi le puissant et le faible ; dans la même urne s'agitent tous les noms. Pour celui qui voit l'épée nue suspendue sur sa tête impie, les mets exquis de la Sicile perdent leur douce saveur ; le chant des oiseaux et les accords de la lyre ne lui rendront pas le sommeil. Le sommeil, ami du pauvre laboureur, ne dédaigne point son humble demeure ; il aime une rive ombragée, une riante vallée où se berce le Zéphyr. L'homme qui borne ses voeux au nécessaire, n'a rien à redouter de la mer féconde en tempêtes, ni des coups orageux de l'Arcture à son coucher, ni du Chevreau qui se lève.Il ne déplore point des vignes battues par la grêle, un sol qui trompe son espoir, des arbres qui accusent les pluies abondantes, ou la brûlante ardeur du soleil, ouïes rigueurs de l'hiver. Les poissons sentent les flots se resserrer sous les môles étendus au loin. Là, de nombreux constructeurs, des milliers d'esclaves, entassent la pierre, sous les yeux du maître que la terre fatigue, mais partout où il s'élance, la crainte, la menace montent avec lui ; la noire inquiétude le suit sur sa trirème où brille l'airain, ou s'attache à la croupe de son coursier. Puisque les marbres de Phrygie, la pourpre plus éclatante que les astres, le doux Falerne, et les parfums de la Perse, ne peuvent apaiser les maux du riche ; pourquoi voudrais-je offrir aux yeux de l'envie un palais exhaussé de ces somptueux portiques, besoin nouveau de notre luxe? Pourquoi changerais-je mon vallon de Sabine contre des richesses si fécondes en tourments ?

II

A SES AMIS.

Ce qui distingue ce morceau, et lui imprime un caractère particulier , c'est qu'il forme un recueil de préceptes qu'Horace donne à la jeunesse romaine.
Le mètre est l'alcaïque.
" Qui Cereris sacrum Vulgarit arcanae" (v. 25, 26). Le culte de Cérès était secret, et les initiés à ses mystères ne devaient poiut les découvrir.

Amis, que le jeune Romain, endurci aux fatigues de la guerre, apprenne à supporter l'extrême pauvreté; que, la lance à la main, cavalier redoutable, il harcèle le Parthe belliqueux ; qu'il affronte les injures de l'air, et que sa jeunesse se passe au milieu des dangers! En l'apercevant du haut de ses remparts ennemis, que l'épouse du tyran qui nous résiste, que sa fille à la veille de l'hymen s'écrie avec douleur : "Hélas ! puisse mon royral époux, novice encore dans l'art des combats, éviter ce lion terrible, qu'une rage sanglante entraîne au milieu du carnage! " Il est doux, il est glorieux de mourir pour la patrie. La mort poursuit aussi le lâche qui la fuit, et n'épargne pas la jeunesse sans courage, qui tourne à ses coups un dos timide. La vertu ne connaît point de honteux refus, elle brille d'un éclat pur et solide, et ce n'est pas au gré d'un peuple capricieux qu'elle prend ou dépose les faisceaux. La vertu, ouvrant les cieux aux héros dignes de l'immortalité, s'élance par des chemins inconnus, et, dans sa fuite dédaigneuse, méprise cette fange terrestre où rampe le vulgaire. Il est aussi pour le fidèle silence une récompense assurée : je me garderais bien de rester sous le même toit, de monter sur le même esquif que le profane qui aurait révélé les mystères de Cérès. Jupiter outragé frappe souvent du même coup l'innocent et le coupable : rarement la Peine au pied boiteux manque d'atteindre le scélérat qui la fuit.

III

L'opinion la plus générale, et, selon nous, la plus judicieuse, est que cette ode fut composée à propos du projet manifesté d'abord par Jules César, et depuis, sans doute, par Auguste, de transporter à Troie le siège de l'empire; projet qui devait effrayer tous les Romains amis de leur patrie.
Le mètre de cette ode est l'alcaïque.

L'homme juste, l'homme inflexible dans ses principes, est sourd à la voix séditieuse d'un peuple égaré qui conseille le crime. En vain un tyran le menace de son regard farouche ; en vain l'Auster soulève contre lui les flots de l'Adriatique : la main puissante de Jupiter s'arme en vain de son tonnerre que l'univers s'écroule autour de lui ; ses débris le frapperont sans l'ébranler. C'est ainsi, c'est par cette héroïque fermeté, que Pollux et l'intrépide Hercule ont mérité l'honneur de briller aux demeures célestes, et qu'admis près d'eux au banquet des dieux, Auguste s'abreuve du divin nectar; c'est ainsi. Bacchus, que tu méritas d'être porté sur un char attelë de tigres impatients de leur joug ; c'est ainsi qu'entraîné par les coursiers du dieu Mars, le grand Romulus triompha de l'Àchéron, grâce à l'éloquent plaidoyer de Junon en sa faveur, dans l'assemblée des dieux. « Ilion ! Ilion ! un infâme adultère, né pour le malheur de son pays, et les attraits d'une perfide étrangère, l'ont réduit en cendres! Du moment où Laomédon osa frustrer les dieux du salaire convenu, Troie, son peuple et son roi, furent dévoués à ma vengeance, et à celle de la chaste Minerve. — Il n'étale plus sa pompe et sa mollesse, l'hôte trop fameux de l'adultère Lacédémonienne, et la race parjure de Priam n'a plus d'Hector à opposer aux Grecs victorieux. Elle est terminée enfin, cette guerre trop prolongée par nos fatales dissensions. « C'en est assez, je consens à sacrifier mon trop juste ressentiment, en faveur du dieu Mars; à lui pardonner ce fils, qu'une mère troyenne m'avait rendu si odieux. Que le brillant Olympe s'ouvre donc devant lui, j'y consens : qu'il vienne y boire le nectar, y prendre son rang parmi nous, pourvu qu'un long espace de mer mugisse entre Ilion et Rome ; que ses enfants portent leur exil et trouvent le bonheur partout ailleurs, pourvu que les troupeaux bondissent sur les tombeaux de Priam et de Paris, et que la lionne y cache impunément ses petits ; que le Capitole brille d'un éternel éclat, et que Rome donne des lois au Mède vaincu; que la terreur de son nom franchisse les mers qui séparent l'Europe de l'Afrique, et parvienne jusque dans les contrées que le Nil arrose et féconde de ses eaux. Qu'elle mette surtout plus de courage à dédaigner cet or que recèle la terre, et qui devait y rester à jamais enseveli, que d'industrie à l'asservir à des usages profanes et sacrilèges. Que ses armes victorieuses étendent ses conquêtes jusqu'aux bornes du monde, et son empire, des lieux qu'embrasent les feux du ciel, jusqu'à ceux que désole un hiver éternel. « Mais je ne présage ces glorieuses destinées aux braves enfants de Romulus qu'à une condition : que jamais une pitié mal entendue, et trop de confiance dans leurs forces, ne les porte à relever les murs proscrits de leur ville natale. Relevée sous de funestes auspices, Troie éprouverait bientôt un pareil destin : c'est moi qui dirigerais contre elle les phalanges victorieuses, moi, l'épouse et la soeur de Jupiter! En vain Apollon lui-même la ceindrait trois fois d'un mur d'airain : trois fois mes Grecs le renverseraient, et trois fois les veuves troyennes pleureraient leurs époux et leurs fils ravis à leur tendresse.... » Mais où s'égare ton vol, Muse téméraire? de pareils sujets conviennent-ils à une lyre badine? Cesse de profaner, en essayant de les rapporter, les entretiens des dieux, et d'attenter à leur majesté par la faiblesse de tes accords.

IV

A CALLIOPE.

Je crois que cette ode date de la première période de la vie d'Auguste, et que le but principal du poëte fut d'exhorter ce prince à des sentiments de clémence qui étaient alors loin de son coeur. Envisagée sous ce point de vue, cette ode me parait à la fois une grande preuve d'adresse et une belle action. Le mètre est l'alcaïque. "Nec Sicula Palinurus unda" (v. 28). Le cap de Palinure, promontoire de Lucanie, ainsi nommé de Palinure, pilote d'Énée. Horace faillit y périr à son retour en Italie, après la bataille de Philippes. " Delius et Patareus Apollo" (v. 64). Horace nomme Apollon Patareus, parce que ce dieu avait un temple célèbre à Patare, ville de Lycie.
" Incontinentis nec Tityi jecur" (v. 77). Horace donne à Titye l'épithète d'"incontinens", parce qu'il voulut attenter à l'honneur de Latone, et, selon d'autres, de Proserpine.

Descends du ciel, et fais entendre sur ta flûte, ô Calliope, reine des Muses, un chant de longue haleine. Si tu le préfères, n'emploie que ta voix brillante, ou marie tes accents aux cordes sonores et à la lyre d'Apollon ! L'entendez - vous? ou est-ce une aimable illusion qui me trompe? Oui, je crois l'entendre, je crois errer dans les bois sacrés, où la fraîcheur des ruisseaux se mêle à la douce haleine du zéphyr. Dans mon enfance, un jour que fatigué de mes jeux, je dormais sur ce coteau du Vultur qui s'étend hors de l'Apulie, ma terre natale, des colombes, messagères divines, vinrent me couvrir de feuillage nouveau Ce fut un prodige pour les habitants des hauteurs escarpées d'Acherontie, pour ceux qui peuplent les forets de Bantia et les fertiles vallons de Férente. « Voyez, disait-on, comme il dort sans craindre l'ours et la vipère! voyez comme il repose, couché sous cet amas de myrte et de laurier, cet enfant céleste qui doit son courage à la protection des dieux! » C'est sous vos auspices, Muses, que je m'élève sur les monts du pays sabin; c'est sous vos auspices que je dirige mes pas capricieux vers la fraîche Préneste, ou les collines de Tibur, ou les rivages fertiles de Baïes. C'est parce que j'aime vos sources pures, vos choeurs harmonieux, que j'ai échappé au désastre de Phiîlppes, à la chute d'un arbre maudit, et aux rochers de Palinure, battus par les flots de Sicile. Partout où vous serez avec moi, j'affronterai, pilote audacieux, le Bosphore en fureur : je m'élancerai, hardi voyageur, dans les sables brûlants du rivage assyrien ; Je visiterai sans péril le Breton si cruel pour ses hôtes, le Concanien qui boit avec délices le sang des coursiers, le Gélon armé du carquois, et le fleuve de Scythie. C'est vous qui charmez le grand César, lorsqu'il ramène dans !e sein de nos villes ses cohortes fatiguées des combats; lorsqu'il cherche à oublier ses travaux, c'est vous qui le délassez sous vos grottes riantes. C'est vous qui lui conseillez la clémence, et qui vous réjouissez de lui donner de si douces leçons. Nous savons comment il écrasa sous sa foudre vengeresse les impies Titans et leur sacrilège cohorte, ce dieu puissant qui gouverne seul, dans son équité, la terre immobile, la mer agitée, les villes, les royaumes sombres, les dieux et la foule immense des mortels. Ils avaient rempli Jupiter d'un profond effroi, ces enfants de la Terre, fiers de leur force, agitant leurs bras monstrueux, et s'efforeant d'entasser Pélion sur les sombres sommets de l'Olympe. Mais que pouvaient Typhée, le robuste Mimas, Porphyrion à la menaçante stature, Rhétus, Encelade lançant d'un bras audacieux les arbres déracinés? que pouvaient-ils, dans leur choc aveugle, contre l'égide retentissante de Pallas? Près d'elle se tenaient Vulcain, avide de carnage, la majestueuse Junon, et ce dieu dont l'épaule est toujours armée d'un carquois, ce dieu qui baigne ses cheveux flottants dans l'onde pure de Castalie, qui habite les bois de Lycie et la forêt qui le vit naître, Apollon, dieu de Patare et de Délos. La force sans prudence succombe sous son propre poids ; la force que la sagesse modère, s'accroît chaque jour par la protection des dieux : les dieux détestent le pouvoir qui ne médite que des forfaits. Je prends à témoin de mes paroles Gyas aux cent bras, et le trop fameux Orion, qui osa porter sur la chaste Diane une main sacrilège, et tomba sous les traits de la vierge divine. La terre pèse avec douleur sur ces monstres qu'elle enfanta ; elle pleure ses fils lancés par la foudre dans le noir Tartare : le feu rapide que vomit Encelade ne peut dévorer l'Etna qui l'écrase. Le vautour, vigilant gardien du crime, n'abandonne pas les entrailles de l'impudique Titye; et trois cents chaînes d'airain retiennent à jamais Pirithoüs, l'audacieux amant de Proserpine.

V.

Cette ode est un panégyrique de Régulus et de son héroïque dévouement. Horace célèbre en grand poëte un grand citoyen. Ce morceau fut composé, sans doute, lorsque les Parthes rendirent à Auguste les drapeaux enlevés à Crassus, c'est-à-dire l'an de Rome 733.
Le mètre de cette ode est l'alcaïque.
" Anciliorum, et nominis, et togae Oblitus" (v. 10, il). Le poëte parle ici des douze boucliers (ancilia) qui, disait-on, étaient tombés du ciel, et auxquels étaient attachées les destinées de l'empire romain.

Jupiter règne aux cieux, les éclats de son tonnerre nous l'annoncent: mais Auguste est le dieu de la terre, lui qui a soumis le fier Breton et le Perse redoutable. Quoi! le soldat de Crassus a formé de honteux liens et a pu vivre avec la femme étrangère! 0 sénat! quel changement fatal dans les moeurs ! Le Marse, l'Apulien , alliés aux familles ennemies, ont vieilli dans leurs champs ; ils ont oublié les ancilles, leur nom, la toge, l'éternelle Vesta, et ils obéissent à un roi mède, quand Rome et le Capitole sont encore debout ! Voilà ce que voulait prévenir la grande âme de Régulus, en s'opposant à des conditions déshonorantes, et en empêchant un exemple qui deviendrait fatal pour l'avenir, si on ne laissait périr une jeunesse captive, indigne de pitié. « Les enseignes, disait-il, les armes que nos lâches soldats ont rendues sans combattre, je les ai vues attachées en trophées aux murailles des temples carthaginois; j'ai vu des citoyens, des hommes nés libres, se laisser honteusement lier les mains derrière le dos. Les portes de Carthage sont ouvertes, et on cultive les champs que nos guerres avaient ravagés. Le soldat racheté par votre or reviendra-t-il plus courageux? Non : vous ajoutez le dommage à l'ignominie. Une fois teinte, la laine ne peut reprendre sa blancheur première; une fois banni, l'honneur ne daigne plus rentrer dans un coeur lâche. Quand la biche, échappée aux filets du chasseur osera combattre, il deviendra brave celui qui s'est livré à nos perfides ennemis; et, dans de nouveaux combats, il écrasera le Carthaginois, ce lâche qui, craignant la mort, a senti sans résister la courroie se serrer sur ses bras; celui qui, pour sauver sa vie au milieu de la guerre, a imploré la paix. 0 déshonneur ! ô superbe Carthage, plus grande encore par la ruine honteuse de l'Italie » On dit que ce héros se regardant comme un citoyen dégradé, repoussa les embrassements de sa chaste épouse et de ses jeunes enfants; il tint ses regards fixés sur la terre avec un mâle et farouche courage, jusqu'au moment où, par un héroïsme inouï, ses conseils entraînèrent le sénat chancelant : alors l'illustre exilé s'échappa du milieu de ses amis consternés. Il sait quelles tortures lui réservent ses bourreaux, et cependant il éloigne ses parents qui le retiennent, et le peuple qui veut s'opposer à son départ. On dirait qu'après avoir terminé les affaires de ses clients, et concilié leurs longs procès, il part pour sa campagne de Vénatre ou pour la cité de Tarente.

VI

AUX ROMAINS.

Horace reproche aux Romains leur impiété et le mépris qu'ils ont montré pour les dieux. C'est à cette cause qu'il attribue la défaite de Crassus, les guerres civiles, et tous les malheurs de Rome. Le mètre de cette ode, pleine de chaleur et de verve,est l'alcaïque.
" Jam bis Monaeses et Pacori manus" (v. 9). Monèse et Pacorus, généraux parthes, par qui fut défait Crassus. On sait que ce général était parti de Rome, pour sa funeste expédition, en manifestant un grand mépris pour les augures, et en refusant de les consulter. " Damnosa quid non imminuit dies" (v. 45)? Cette strophe est devenue célèbre par sa concision remarquable
.

Tu subiras, sans le mériter, le châtiment des crimes paternels, ô Romain ! tant que tu n'auras pas relevé les sanctuaires, les temples qui s'écroulent, et les statues des dieux que souille une noire fumée. C'est dans ta soumission aux dieux que ta puissance réside ; c'est là qu'il faut chercher les causes de ta grandeur ou de ta ruiné : les dieux méprisés ont déchaîné les maux sur la malheureuse Italie. Déjà deux fois les guerriers de Monèse et de Pacorus ont répoussé nos efforts, que désavouait le ciel; deux fois ils ont, avec orgueil, paré de nos dépouillés leurs étroits colliers. Livrée à la fureur des divisions, Rome à presque succombé sous les coups du Dace et de l'Éthiopien, qui la menaçaient, l'un de sa flotte, l'autre de ses flèches, plus redoutables encore. Notre sièclej fécond en crimes, a souillé d'abord les mariages, les générations, les familles; découlant de cette source, tous les maux se sont répandus sur le peuple et sur la patrie. La vierge à peine adolescente apprend avec joie les danses voluptueuses de l'Ionie ; elle y ploie ses membres dociles , et dès l'enfance rêve d'incestueuses amours. Bientôt, femme adultère, à la table même d'un époux, elle cherche de plus jeunes amants, et sans choix, dans les ténèbres, prodigue furtivement de scandaleux plaisirs. Mais son époux devient son complice; elle se lève en sa présence et à son ordre, pour suivre quelque vil agent d'infamie, ou le maître d'un navire ibérien, qui paie avec de l'or tant d'opprobre ! Ils n'étaient point nés de tels parents, ces jeunes Romains qui , rougirent les mers du sang carthaginois, qui domptèrent Pyrrhus, le grand Antiochus et le terrible Annibal. Mais c'était une mâle jeunesse, robustes enfants de soldats rustiques : habiles à remuer la terre avec le hoyau sabin, et dociles à la voix d'une mère rigide, ils rapportaient le bois coupé dans les forêts quand le soleil, allongeant l'ombre des montagnes, délivrait du joug les boeufs fatigués, et, fuyant sur son char, ramenait l'heure chérie du repos. Que n'altère point le cours désastreux du temps? Nos pères, moins vertueux que leurs aïeux, ont enfanté des fils plus coupables, qui donneront le jour à une race plus dépravée encore.

VII

A ASTÉRIE.

Le poëte cherche à consoler Astérie de la longue absence de Gygès, dont le vaisseau était retenu par les vents contraires dans un port de l'Epire.
Le mètre est celui de l'ode v du livre I, à Pyrrha.

Astérie, pourquoi pleurer Gygès, que les zéphyrs propices te rendront au retour du printemps, avec sa foi constante, et les richesses qu'il rapporte de la Bithynie? Poussé par les autans vers l'Épire, il a éprouvé les caprices de la constellation du Bélier; et, sans goûter aucun sommeil, il a passé de froides nuits, tout baigné de pleurs. Et cependant, un astucieux émissaire lui annonce que Chloé, qui l'a accueilli, soupire, qu'elle brûle des mêmes feux que toi : par mille artifices il cherche à le séduire. Il lui raconte qu'une épouse perfide a poussé le crédule Prétus par de fausses accusations, à hâter le trépas du trop chaste Bellérophon. Il lui raconte que Pelée fut sur le point d'être précipité dans le Tartare pour avoir, dans sa chasteté, repoussé la belle Hippolyte, reine de Magnésie. Enfin le trompeur lui cite maints exemples pour lui apprendre à faillir. C'est en vain : plus sourd que les rochers d'Icare, Gygès écoute, et n'est pas ébranlé. Mais toi, Astérie, prends garde que le voisin Énipéus ne te plaise plus qu'il ne convient; il est vrai que personne ne se montre, sur les gazons du champ de Mars, plus habile à maîtriser un coursier; que personne ne traverse plus rapidement à la nage les ondes du Tibre. Aux premières ombres de la nuit,ferme bien ta maison, et ne va pas, attirée par les soupirs de sa flûte, regarder dans la rue; et, quoique mille fois il t'appelle cruelle, demeure inexorable.

VIII

A MÉCÈNE.

Horace invite Mécène à partager sa table et à célébrer avec lui l'anniversaire du jour où la protection d'un dieu le préserva de la chute d'un arbre.
Le mètre est le saphiqûe.
"Martiis caelebs quid agam calendis" (v. 1). Les calendes de mars (matronalia) étaient un jour de fête pour les femmes seules; et les époux faisaient alors des voeux pour la vie de leurs épouses

Célibataire, m'appartient-il de célébrer lès calendes de mars? Que veulent donc ces fleurs, ces vases remplis d'encens, ce brasier placé sur le vert gazon? voilà ce que tu demandes, Mécène, mon savant ami, si versé dans les lettres grecques et latines. Apprends donc que j'avais promis à Bacchus un doux festin et un blanc chevreau, le jour où un arbre en tombant faillit m'écraser. Ce jour de fête, que l'année ramène, verra sauter la résine et le liège de cette vieille amphore qui, depuis le consulat de Tullus, boit la fumée de mon âtre.
Mécène, prends cent fois la coupe des mains de ton ami sauvé par les dieux; prolonge jusqu'au jour la vigilante clarté des flambeaux : loin de nous les cris et la colère ! Bannis toute inquiétude sur les destins deRome : Cotison et ses Daces sont écrasés; le Mède, acharné contre lui-même, se déchire, se détruit de ses propres mains. Notre vieil ennemi du rivage espagnol, le Cantabre, se soumet enfin et se courbe sous une tardive chaîné. Déjà le Scythe, l'arc détendu, songe à s'éloigner de nos frontières. Simple particulier, néglige un instant les intérêts de ce peuple qui te cause trop d'alarmes ; saisis avec joie les plaisirs de l'heure présente, et fais trêve pour un jour aux sévères travaux qui t'accablent.

IX

DIALOGUE ENTRE HORACE ET LYDIE.

Les vers de ce joli dialogue sont le glyçonique et le petit asclépiade, qui alternent.

HORACE.

Tant qu'à toi j'avais su plaire, et qu'aucun jeune amant préféré n'entourait de ses bras ton cou d'albâtre, je vivais plus heureux que le roi des Perses.

LYDIE.

Tant que tu n'as brûlé pour nulle autre que moi, et que Lydie ne fut point sacrifiée à Chloé, Lydie, partout célébrée, a vécu plus glorieuse qu'Ilié, mère des Romains.

HORACE.

Sur moi règne aujourd'hui Chloé, que la Thrace a vue naître, savante à mêler à son luth les doux accords de sa voix. Pour elle je ne craindrais pas de mourir, si les destins épargnaient sa précieuse vie !

LYDIE.

Il me brûle de feux qu'il partage, Calaïs, le fils d'Ornythius de Thurium. Pour lui je consentirais à mourir deux fois, si les destins épargnaient cet amant si chéri.

HORACE.

Eh quoi! si la Vénus de nos premières amours revenait, et ramenait nos coeurs désunis dans des liens indissolubles ; si l'on bannissait la blonde Chloé, et que ma porte s'ouvrît pour Lydie que j'ai repoussée?

LYDIE.

Quoiqu'il soit plus beau qu'un astre, mon Calaïs, et toi plus léger que le liège, plus prompt à t'irriter que les flots de l'Adriatique, vivre avec toi ferait mon bonheur, et mourir avec toi
comblerait mes voeux.

X

A LYCÉ.

Voici une des chansons connues chez les anciens sous le nom de paraclausithyron (mot grec qui signifie plainte devant une porte), et que les jeunes gens chantaient aux portes de leurs maîtresses. Il parait que cet usage subsiste encore en Grèce, car la 12e chanson romanesque du recueil de M. Fauriel présente la même intention (Chants populaires de la Grèce moderne, tome II, page 148). Il est remarquable que ce dernier morceau est terminé par un trait qui se retrouve dans Horace (livre I, ode XXIII, v. 9 et 10 ).
Les strophes de cette ode sont composées de trois asclépiades et d'un glyçonique.

Quand tu boirais les ondes les plus reculées du Tanaïs, quand tu aurais pour époux un Scythe cruel, non, Lycé, tu ne me verrais point, sans pleurer, étendu devant ton seuil inflexible, en proie aux fureurs de l'Aquilon, hôte terrible de ces climats ! Entends-tu comme cette porte s'agite avec fracas, comme ce bois qui ombrage et embellit ta demeure, mugit sous les efforts des vents? vois-tu comme Jupiter durcit ces neiges qui se glacent sous un ciel d'azur? Quitte un orgueil dont Vénus s'irrite; crains un juste retour du sort : ton père, fils de la Toscane, n'a pu enfanter une Pénélope, rebelle aux voeux de l'amour. Oh ! je t'en conjure, quoique rien ne puisse te toucher, ni les présents, ni les prières, ni la langueur de tes amants plus pâles que la violette, ni les infidélités de ton époux, épris d'une courtisane thessalienne ; quoique tu sois plus dure que le chêne, plus cruelle que les serpents de l'Afrique, épargne les malheureux qui te supplient ; épargne-moi : ce corps n'endurera pas toujours les injures de l'air, immobile devant ton seuil inhumain.

XI

A MERCURE.

Divin Mercure, par qui la pierre docile apprit à se mouvoir aux chants d'Amphion, et vous, lyre sacrée, lyre aux sept cordes harmonieuses, autrefois impuissante et muette, maintenant le charme des festins et des temples des dieux, venez et apprenez moi des chants qui captivent, l'oreille de la farouche Lydé. Telle qu'une cavale errant dans les vastes prairies, elle folâtre en liberté, trop jeune encore pour connaître l'amour; mais vous savez entraîner à votre suite les tigres et les forêts, vous savez arrêter les flots rapides des fleuves. Mercure, la douceur de tes chants dompta l'horrible gardien des portes infernales, ce Cerbère, dont la tête, comme celle des Furies, est hérissée de serpents, dont la triple langue distillé lesang et les poisons. Ixion lui-même et Titye sourient malgré eux à tes accords, et les Danaïdes émues, laissèrent un moment reposer leurs urnes infidèles. Que la cruelle Lydé apprenne le crime de ses filles barbares, et leur supplice ! qu'elle les voie penchées sur ces vases sans fond d'où l'eau s'échappe sans cesse ! qu'elle contemple le sort que les enfers eux-mêmes gardent aux coeurs implacables. Les impies (quel plus horrible forfait?), les impies purent plonger le poignard au coeur de leurs époux! Une seule, digne du flambeau nuptial, trompa son père parjure par un mensonge sublime, et mérita l'admiration de la postérité. « Lève-toi, dit-elle à son jeune époux, lève-toi, de peur qu'une main dont tu ne saurais te méfier ne te plonge dans un sommeil étemel ; trompe la fureur d'un beau-père et de mes barbares soeurs. Telle qne les lionnes acharnées sur de jeunes faons, chacune, hélas ! déchire en ce moment son époux. Pourrais-je être aussi cruelle? te frapper? te retenir? Non. Que mon père me charge de chaînes pour avoir épargné un époux malheureux ; qu'il m'exile au delà des mers, aux extrémités de la Numidie ! Fuis, va où te porteront et les vents et tes pas, pendant que la nuit et Vénus te favorisent; fuis sous un heureux auspice; n'oublie pas ton épouse, et, à ton retour, gravé nos malheurs sur mon tombeau.

XII

A NÉOBULÉ.

Que je plains la jeune beauté, privée des doux jeux de l'amour, et qui,redoutant sans cesse la voix menaçante d'un tuteur rigide, n'ose pas même verser sur ses peines le vin consolateur. L'enfant ailé de Cythère, charmante Neobulé, fait tomber les fuseaux de ta main. Le jeune et brillant Hebrus te force de laisser imparfaits les travaux de Minerve.
Il est vrai que toujours invincible dans les luttes du ceste et de la course, on le voit, l'épaule encore humectée de l'huile des athlètes, s'élancer dans les flots .du Tibre. Mieux que Bellérophon, il dompte un ardent coursier. Son trait inévitable frappe les troupes fugitives des cerfs; et le farouche sanglier se cache en vain sous les épais buissons pour se dérober à ses coups victorieux.

XIII

A LA FONTAINE DE BLANDUSIE.

Dans cette petite ode, pleine de fraîcheur et de grâce, Horace a chanté la fontaine d'où sortait le ruisseau qui arrosait sa campagne, dans le pays des Latins.
Les strophes de ce morceau sont ainsi formées : les deux premiers vers sont l'asclépiade; le troisième contient deux spondées séparés par un dactyle; le dernier vers est le glyçonique.

O Blandusie ! un doux tribut de vin et de fleurs est dû à ta source plus limpide que le cristal. Demain je te ferai don d'un chevreau. Sur son front s'élèvent des cornes naissantes ; non moins lascif que ceux de sa race, il se prépare à l'amour et aux combats. Mais en vain : bientôt il aura rougi de son sang les flots glacés qui baignent tes rives. Les feux dévorants de l'impitoyable canicule ne sauraient t'atteindre; ils ne sauraient altérer la fraîcheur délicieuse que tu offres aux taureaux fatigués du labourage, et aux troupeaux .errants. Et toi aussi, tu deviendras célèbre parmi les fontaines, dès que j'aurai chanté le chêne qui s'asseoit sur les rochers du fond desquels s'échappent en murmurant tes eaux jaillissantes.

XIV

SUR LE RETOUR D'AUGUSTE VAINQUEUR.

Auguste avait été dangereusement malade en Espagne, où il restait ;puis plusieurs années pour soumettre les Cantabres. Cette maladie rendit plus vive la joie que causa son retour, quand il revint à Rome aprèss avoir soumis l'Espagne aux armes romaines.
Le mètre est le saphiqûe.
" Et cadum Marsi memorem duelli, Spartacum si qua poutuit ... Fallere testa" (v. 18-20). L'an de Rome 663 commença la terre des Marses, qui se liguèrent contre les Romains avec la plupart des peuples de l'Italie. Deux ans après cette guerre, qui fut appelée guerre des alliés, s'alluma celle des gladiateurs, soulevés par Spartacus (bellum servile). Voyez FLORUS, liv. III, ch. 18 et 20.

Peuple romain, ce héros que tu comparais à Hercule, et qui, comme lui, cherchait des lauriers au prix de ses jours, César a quitté la rive espagnole; victorieux, il revient dans ses foyers. Que son épouse, qui met tout son bonheur à l'aimer, vienne à sa rencontre, après avoir rendu grâces aux justes dieux! Viens aussi, soeur de ce chef illustre, et vous, mères de nos vierges et de ces jeunes guerriers qu'il nous ramène ! venez, le front paré des bandelettes des suppliants ! Et vous, jeunes garçons, jeunes Romaines déjà soumises aux lois d'un époux, abstenez-vous de toute parole de sinistre présage ! Ce jour, qui est pour moi un vrai jour de fête, chassera loin de mon coeur les noirs soucis! Je ne craindrai ni le tumulte des combats ni le fer d'am meurtrier, tant que César tiendra l'empire de l'univers. Va, jeune esclave, cherche-moi des parfums, des couronnes,et une amphore de ce vin qui a vu la guerre des Marses, s'il en est échappé quelques flacons aux courses de Spartacus. Dis aussi à Nééra, cette habile chanteuse, qu'elle se hâte de relever par un simple noeud ses cheveux parfumés de myrrhe. Si son odieux portier t'oppose quelque obstacle, reviens sans retard. Mes cheveux blanchissants ont bien calmé mes esprits, naguère si avides de querelles et de violents débats. Je n'aurais point supporté un pareil refus, quand j'étais bouillant de jeunesse, lorsque Plancus était consul.

XV

A CHLORIS.

Horace engage la vieille Chloris à quitter la lyre pour les fuseaux, à renoncer au culte de Vénus. Ce petit morceau, dont la couleur grecque est encore très prononcée, est composé du vers glyçonique et du petit asçlépiade, qui alternent.

Épouse du pauvre Ibycus, mets enfin un terme à tes excès et à tes scandaleux amours! Lorsque pour toi la mort s'avance, cesse de jouer au milieu de nos vierges, et de mêler un nuage aux blanches étoiles ! Ce qui sied à Pholoé, ne te sied plus, Chloris ! Que ta fille brise les portés des jeunes Romains, pareille à la Bacchante excitée par le bruit des tymbales: éprise de Nothus, qu'elle se joue comme une chèvre lascive : son âge l'excuse. Mais toi, Chloris,ce qui te convient aujourd'hui, c'est la laine recueillie près de l'illustre Lucérie; ce sont les fuseaux, et non la lyre, ni la rose aux couleurs de pourpre, ni les joyeux festins où les tonneaux de vin vieux se vident jusqu'à la lie.

XVI

A MÉCÈNE.

Les strophes de cette ode sont composées de trois petits asclépiadès, d'un glyçonique.
" Concidit Auguris Argivi domus, ob lucrum" (v. 11, 12). Ambiaraus, devin et poëte d'Argos, fut englouti au siège de Thèbes, où avait d'abord refusé d'aller, parce qu'il savait que cette guerre lui irait fatale ; mais il céda aux conseils de son épouse Eriphyle, que Polnice avait séduite par le don d'un collier. " Diffidit urbium Portas vir Macedo" (v. 13, 14 ). Le poëte semble ippeler ce mot de Philippe, « qu'aucune ville n'était imprenable lorsqu'on pouvait y faire entrer un mulet chargé d'or. »

Une tour d'airain, des portes inébranlables, la garde fidèle de chiens vigilants suffisaient bien pour garantir la triste Danaé des tentatives nocturnes de ses amants, si Vénus et Jupiter ne se fussent joués d'Acrisius, gardien timide de la vierge prisonnière : au dieu métamorphosé en or, le chemin devait être sûr et facile. À travers les soldats l'or se fraie un passage ; et, plus puissant que la foudre, il perce les rochers. L'or causa la perte du devin d'Argos et détruisit sa famille. Les trésors ouvraient les portes des cités au roi de Macédoine et renversaient ses rivaux. Les trésors enchaînent jusqu'aux farouches marins. Les soucis suivent de prés une fortune croissante, et la soif des richesses ne fait qu'augmenter. Honneur de nos chevaliers, Mécène, c'est avec raison que j'ai toujours craint d'élever trop haut la tête et d'attirer les regards. Plus nous nous refusons, plus les dieux nous accordent ; transfuge du parti des riches, je m'empresse de le quitter, et, avec ma pauvreté, je gagne le camp de ceux qui ne désirent rien : plus glorieux du petit bien que je possède, que si je passais pour entasser dans mes greniers toutes les moissons que produisent les terres du laborieux Apulien, pauvre, hélas ! au milieu de tant de richesses. Un ruisseau d'une onde pure, un petit bois de quelques arpents, une moisson qui ne trompe pas mon attente, me rendent plus heureux que le dominateur de la fertile Afrique. Quoique ce ne soit pas pour moi que l'abeille de Calabre distille son miel, que dans les amphores de Formies vieillit un nectar délicieux, que les brebis dans les champs de la Gaule nourrissent leurs épaisses toisons, je ne connais point l'importune pauvreté; et si je désirais quelque chose, je n'aurais pas à craindre de toi un refus. Mais en bornant mes voeux, j'augmente plus mon revenu, que si je possédais le riche royaume d'Alyatte et les champs phrygiens. Tout manque à qui tout fait envie. Heureux le mortel à qui les dieux, d'une main économe, n'ont accordé que le nécessaire!

XVII

A ÉLIUS LAMIA.

Élius Lamia, à qui est adressée cette petite ode, était un des citoyens de Rome les plus considérés, tant pour sa naissance que pour son mérite.
L'ode est du mètre alcaïque.

Elius, toi dont la noblesse remonte au vieux Lamus (car ce fut lui, dit-on, qui transmit son nom aux premiers Lamia, et, s'il faut en croire nos fastes fidèles, votre race glorieuse tire son origine de ce chef qui régna sur les murs de Formies, et établi son empire sur le Liris, qui baigne les champs de Marica); demain, une tempête déchaînée par l'Eurus jonchera le bois de feuilles sans nombre et le rivage d'algues inutiles, ou bien la vieille corneille qui annonce la pluie m'aura fait un présage trompeur. Pendant que tu le peux, rassemble un bois sec dans ton foyer ; demain offre à ton dieu familier un vin pur et un porc de deux mois, au milieu de tes esclaves que tu affranchiras pour un jour de leurs travaux.

XVIII

AU DIEU FAUNE.

Cette ode est une prière à Faune, le Pan des Latins, dont la fète se célébrait en décembre, le jour des nones. On croyait que dans l'hiver, qui commence en Italie au mois de décembre, ce dieu quittait l'Italie pour aller en Arcadie, contrée de la Grèce qui lui était consacrée; et qu'au mois de février il abandonnait cette dernière région pour revenir en Italie.
Le mètre de cette petite invocation est le saphiqûe.

Faune, amant des nymphes qui fuient tes poursuites, visite en dieu clément mes enclos modestes et mes champs brûlés par le soleil ; sois favorable, en parlant, aux jeunes élèves de mes troupeaux ! Ne rejette pas ma prière, s'il est vrai qu'à la fin de chaque année un tendre chevreau tombe en ton honneur, si le vin coule avec largesse dans la coupe chère à Vénus ; si ton antique autel se voile sous les épaisses fumées de l'encens ! Tous les troupeaux se jouent dans les herbes de la prairie, quand revient ta fête avec les nones de décembre ; et tout le hameau se livre aux jeux dans la plaine, au milieu des boeufs libres du labourage. On voit alors le loup errer parmi les agneaux exempts de crainte; la forêt se dépouille sur ton passage de son agreste parure ; et trois fois, de son pied joyeux, le laboureur frappe cette terre, qu'il maudit en l'arrosant de ses sueurs.

XIX

A TÉLÈPHE.

Cette ode gracieuse a tous les caractères d'un impromptu de table. On ne sait rien de précis sur le personnage auquel elle s'adresse, et qu'Horace nous représente comme un jeune pédant, faisant de la science à table et de l'érudition le verre à la main.
Ce morceau est formé du vers glyçonique et de l'asclépiade, qu
alternent,
" Da noctis medias, da, puer, auguris Murenae" (v. 10, 11). Il s'agit ici de Licinius Murena, beau-frère de Mécène, qui venait d'être promu à la dignité d'augure
.

Tu nous dis quel intervalle de temps sépare Inachus et ce Codrus, mort si noblement pour sa patrie; tu nous parles des descendants d'Éaque; tu nous racontes les combats livrés sous les murs sacrés d'Ilion: mais ce que tu oublies de nous apprendre, c'est à quel prix nous aurons la tonne de vin de Chio, qui fera chauffer notre bain, chez quel hôte et à quelle heure nous braverons à table le froid qui souffle des montagnes de Péligne. Verse, enfant, pour la lune nouvelle! Hâte-toi! Verse maintenant pour la nuit, et pour l'augure Murena ! Trois fois ou neuf fois le vin se mêle sans danger au cristal des coupes; l'ami des neuf Muses, dans son délire, videra neuf fois la sienne; mais les Grâces, ennemies des querelles, défendent de dépasser jamais le nombre trois. Je veux aujourd'hui perdre la raison. Pourquoi les flûtes phrygiennes cessent-elles de retentir? pourquoi ce hautbois suspendu près de la lyre muette? Je hais les mains paresseuses. Enfant, répands des roses! Que l'envieux Lycus, que notre aimable voisine, son épouse, trop jeune pour lui, entendent nos folles clameurs ! Heureux Télèphe ! ta noire chevelure, tes yeux brillants comme l'astre du soir, ont embrasé d'amour la jeune Chloé; moi je brûle pour ma Glycère d'un feu qui me consume lentement.

XX

A PYRRHUS.

Les noms propres employés, dans cette ode, la nature du sujet, l'allégorie singulièrement prolongée à l'aide de laquelle il est traité, ont fait penser à M. Mitscherlich qu'elle est la traduction de quelque ode grecque que le temps a détruite.
Cette ode est du mètre saphiqûe,

Tu ne vois pas, Pyrrhus, à quel danger tu t'exposes, en ravissant ses petits à une lionne de Gétulie. Mais bientôt faiblira ton courage, et tu finiras une lutte inégale, quand tu verras ton ennemie, perçant la foule de tes défenseurs, te redemander le beau Néarque. Combat terrible, qui laissera au vainqueur cette précieuse conquête ! Pendant que tu tires de ton carquois tes flèches rapides, et qu'elle aiguise ses dents redoutables, on dit que le juge du combat foule avec dédain la palme sous ses pieds nus, et abandonne au souffle caressant du zéphyr ses épaules où flottent ses cheveux parfumés. Tel fut autrefois Nirée ou Ganymède enlevé aux humides sommets de l'Ida.

XXI

A SA BOUTEILLE.

Valerîus Messala Corvinus, dont il est question dans cette ode, était un citoyen justement célèbre. Il défendit la cause de la liberté sous Brutus, combattit à Philippes, et, après la mort de son général, offrit ses services à Antoine; mais il reconnut bientôt qu'il ne servait pas sa patrie en servant l'esclave de Cléopàtre; et, passant sous les drapeaux d'Octave, qui au moins ne déshonorait pas le nom romain, il contribua par sa valeur à la victoire d'Actium.
Le mètre du morceau est l'alcaïque.

Amphore respectable, née, comme moi sous le consulat de Manlius, soit que tu portes en ton sein les pleurs ou les ris, les querelles, les amours insensés, ou le facile sommeil, descends, Corvinus l'ordonne. Que nous importe le nom du consul sous lequel ton Massique a été recueilli? pour un aussi beau jour, tu es bien digne de paraître au milieu de nous. Nos coupes attendent le vin vieux que tu renfermes. Corvinus, tout imbu qu'il est des préceptes de Socrate, n'est pas encore assez sévère pour te négliger : ne sait-on pas d'ailleurs que la vertu du vieux Caton était souvent réchauffée par le vin? Au coeur le plus dur tu fais une douce violence ; ta joyeuse liqueur, rend indiscret le sage, et lui fait découvrir ses secrètes pensées. Dans les âmes inquiètes tu fais renaître l'espérance; au pauvre tremblant tu inspires la force et l'audace ; et avec toi, il brave la colère des rois et le glaive du soldat. Si la riante Cythérée et les Grâces inséparables daignent se joindre àBacchus, nous prolongerons nos plaisirs à la clarté des flambeaux, jusqu'à ce que le retour de Phébus ait chassé les astres de la nuit.

XXII

A DIANE.

Cette petite invocation à Diane est du mètre saphique.
" Quae laborantes utero puellas Ter vocata audis" (v. 2, 3). Diane, sous le nom de Lucine, et sous ceux de Ilithya, Genethyilis ou Genitalis, était la déesse qui présidait aux accouchements

Gardienne des montagnes et des bois, vierge puissante, qui, trois fois invoquée, exauces la jeune épouse dans les douleurs de l'enfantement, et l'arraches au trépas, déesse à triple forme, je te consacre ce pin qui domine ma maison des champs ; et, chaque année, tu me verras joyeux l'arroser en ton honneur du sang d'un jeune sanglier, dont le regard oblique médite une attaque imprévue.

XXIII

A PHIDYLÉ.

Cette ode est adressée à une habitante des champs. Quelques iuterprètes font de Phidylé la concierge de la maison de campagne de notre poëte, à cause de là signification grecque de ce mot.

Quand la lune renaît, bonne Phidylé, lève vers le ciel tes mains suppliantes; qu'un peu d'encens et de grain nouveau, que le sacriBce d'une truie avide, te rendent tes lares propices; et tu n'auras à redouter, ni pour ta vigne le souffle mortel de l'Africus, ni pour tes épis la nielle stérile, ni pour tes tendres élèves l'influence maligne de la saison des fruits. Le taureau qui paît sur l'Algide, au-dessous des frimas, parmi les yeuses et les chênes, ou qui grandit dans les pâturages albains pour être immolé, teindra de son sang la hache des pontifes. Mais toi, tu ne dois pas égorger des troupeaux pour tenter la faveur de ces humbles dieux que tu couronnes de romarin et de myrte fragile. Il suffît qu'une main pure touche l'autel ; ce n'est pas la magnificence de l'offrande qui fléchira les Pénates en courroux, et qui rendra plus agréables le sel pétillant et l'orge sacrée.

XXIV

CONTRE L'AVARICE.

Tout porte à croire que cette ode fut écrite pendant les guerres civiles. Horace dépeint à grands traits cette corruption de moeurs à laquelle il attribue, comme dans l'ode vi de ce livre, les malheurs et l'abaissement de la patrie.
Ce beau morceau est composé du vers glyçonique et de l'asclépiade qui alternent.
" Seu Graco jubeas trocho" (v. 57). Le trochus était un grand morceau de fer garni d'anneaux de métal. Les joueurs le laisaient rouler en le dirigeant avec une baguette de fer. Le bruit des anneaux avertissait les passants de s'écarter de la route que prenait le cercle.

Quand tes richesses surpasseraient les trésors encore intacts de l'Arabe et de l'Inde opulente ; quand tu envahirais de tes vastes constructions toute la mer de Tyrrhène et les flots d'Apulie; si la cruelle Nécessité enfonce dans ton front superbe ses clous de diamant, tu ne pourras dérober ton âme à la crainte, ni ta tête aux filets de la mort ! Plus heureux le Scythe sauvage, dont le grossier chariot traîne la demeure vagabonde! plus heureux le Gète aux moeurs rustiques! Pour eux une terre sans limites produit de libres moissons et tous les dons de Cérès. Ils ne cultivent qu'un an le même sol ; leur tâche accomplie, un successeur les remplace, qui suivra leur exemple. Là, une seconde épouse traite avec bonté des enfants qui n'ont plus de mère; là, une femme n'exerce point, fière de sa dot, un empire insolent sur son époux, et n'affiche point l'adultère. La plus riche dot, chez ces peuples, c'est la vertu des parents, c'est le respect craintif de l'alliance jurée, et la chaste horreur de la trahison. Là, l'infidélité est un crime, et la mort en est le prix. O qui que tu sois, dont la pensée généreuse veut mettre un terme à nos meurtres impies, à nos fureurs intestines, si tu veux que le titre de Père de la patrie soit gravé sur tes statues, ose réprimer la licence indomptée de nos moeurs: tu seras cher à nos descendants; car nous (peut-on l'avouer sans rougir?), nous haïssons la vertu vivante; a-telle cessé de frapper nos yeux, c'est alors seulement que notre basse envie la divinise. Mais à quoi bon de tristes plaintes, si le supplice n'extirpe pas le crime dans sa racine? Que feront de vaines lois, sans les moeurs ? Est-il un remède à tant de maux, quand on voit l'avidité du marchand braver les feux de la zone brûlante, et le souffle de Borée dans les contrées où il règne sur un sol de neige et de glace; quand l'adresse, du nautonièr triomphe de la fureur des flots; quand la pauvreté, qui n'est plus qu'un grand déshonneur, ordonne de tout faire, de tout souffrir, et quitte les sentiers trop difficiles de la vertu? Portons au Capitole, où nous appellent les cris de la foule qui nous applaudit d'avance, ces pierreries, ces diamants, cet or inutile, source de tous nos maux; ou précipitons dans la mer voisine ces trésors corrupteurs ! Si nous sommes pénétrés d'un vrai repentir, il faut anéantir les germes de nos honteuses passions, et retremper, par de plus rudes travaux, nos âmes énervées par le plaisir. Le jeune Romain, inhabile aux mâles exercices, ne sait se tenir sur un coursier, et redoute le noble plaisir de la chasse.Le cerceau rapide des Grecs, ou le dé proscrit par les lois, voilà les jeux où il excelle. Son père cependant, parjure à son ami, à son associé, à son hôte, le trompe, le dépouille, et amasse à la hâte une immense richesse pour son indigne héritier. Ses trésors, acquis par le crime, s'accroissent chaque jour; et pourtant je ne sais quoi manque à cette fortune qui ne comblera jamais ses voeux.

XXV

A BACCHUS.

Cette ode si courte ne paraît pas complète. Horace semble annoncer que, sous l'inspiration de Bacchus, il va célébrer Auguste; puis, après quelques préparations pompeuses et emphatiques, il s'arrête subitement. On peut, il nous semble, regarder ces vers comme l'introduction d'une ode en l'honneur d'Auguste, qui ne serait pas parvenue jusqu'à nous.
Le mètre est le même que celui de l'ode précédente.

Bacchus, où m'entraînes-tu, tout plein de ta divinité? dans quels bois, dans quelles cavernes, me transporte un enthousiasme inconnu? sous quels antres va-t-on m'enlendre célébrant la gloire immortelle du grand César, le plaçant parmi les astres et dans le conseil de Jupiter?Je dirai des chants merveilleux, nouveaux qui n'ont jamais été proférés par aucune bouche. Telle la Bacchante, s'évéillant tout à coup au sommet des monts voit avec stupeur au-dessous d'elle l'Hebre glacé, la Thrace blanchie par la neige, le Rhodope foulé par un pied barbare. Que j'aime à in'égarer sur ces rochers ! que j'admire ces bois solitaires! O dieu des Naïades et des Bacchantes, dont la main petit briser les chênes les plus élevés, mes accents n'auront rien de terrestre, rien d'humble, rien de mortel. C'est un doux péril. ô Bacchus, de suivre le dieu qui ceint d'un pampre vert son front céleste.

XXVI

A VÉNUS.

Cette petite ode est un adieu à Vénus, à qui le poëte demande cependant une dernière faveur, ce qui peut faire douter de la sincérité de l'adieu. M. Mitscherlich rappelle avec raison que, dans l'Anthologie grecque, on trouve beaucoup de morceaux du même ton.
Le mètre est l'alcaïque.

J'ai vécu naguère, sachant plaire aux belles, et j'ai combattu non sans gloire. Main tenant je consacre à Vénus, fille des mers , mes armes et ce luth qui a fini ses campagnes; je les suspends à sa gauche, au mur de son temple. Amis, posez ici ces brillants flambeaux, ces leviers, ces arcs si menaçants naguère pour les portes qui se fermaient à notre approche! O Déesse, qui gouvernes l'heureuse Chypre, et Memphis qui ne connût jamais les neiges dont se couvre la Thrace ; ô reine puissante, touche seulement de ton fouet divin l'orgueilleuse Chloé qui me brave !

XXVII

A GALATÉE.

Que l'impie emporte pour présages les cris répétés de l'oiseau sinistre, la rencontre d'une lice prête à metlre bas, d'une louve qui descend des champs lanuviniens, ou de la femelle d'un renard, suivie de ses petits : qu'obliquement lancé comme un trait, au travers de sa route, un serpent arrête tout à coup ses coursiers épouvantés. Pour moi, augure prévoyant, et justement alarmé pour ce que j'aime, ma prière invoquera, du côté de l'orient, le corbeau favorable, avant que l'oiseau précurseur de l'orage regagne ses marais fangeux. Quel que soit le séjour que tu préfères, ma Galatée, que le bonheur et le souvenir d'Horace t'y accompagnent; que la corneille vagabonde et le sinistre pivert n'arrêtent point tes pas!
Vois cependant de quels orages nous menace le coucher de l'Orion! Qui connaît mieux que moi les fureurs de l'Adriatique et la perfide sérénité de Iapyx? Que les femmes ; que les enfants de nos ennemis éprouvent seuls le courroux de l'Auster déchaîné sur les flots, et le mugissement des vagues, qui frappent le rivage à coups redoublés. Ainsi, lorsque la crédule Europe eut osé se confier au taureau séducteur, bientôt pâle et tremblante, son audace l'abandonna, à l'aspect des monstres marins qui bondissaient autour d'elle, et des nombreux écueils qui l'environnaient. Naguère encore, au milieu des prés et des fleurs, elle tressait la couronne vouée aux Nymphes; et maintenant, à la faveur d'une clarté douteuse, elle ne voit plus que la vaste étendue des cieux et des mers. À peine elle eut touché les bords de la Crète aux cent villes puissantes, « O mon père, s'écria-t-ellé, qu'ai-je-fait! J'ai donc abjuré le doux nom de fille, et un moment de délire a triomphé de ma tendresse pour toi ! D'où viens-je?... où suis-je?... Non, une seule mort est trop peu pour expier ma faute ! Veillé-je? et mon crime n'est-il qu'un rêve pénible, une vaine mais innocente illusion, échappée de la porte d'ivoire? fallait-il donc préférer une course lointaine, à travers les flots, au doux passe-temps de cueillir des fleurs nouvelles? Oh! que ne le livre-t-on à mon courroux, ce perfide taureau ! avec quel plaisir je plongerais le fer dans ses flancs, et briserais, les cornes du monstre qui m'a séduite un moment! Au mépris de la pudeur, j'ai abandonné le foyer paternel et j'hésite encore à mourir! O dieux ! s'il en est qui m'entendent, que ne suis-je errante et nue au milieu des lions? Avant que l'affreuse maigreur ait altéré mes trai ts et décharné d'avance leur proie, que ne suis-je, belle encore, exposée à la dent vorace des tigres? Fille indigne de lui, entends-tu les reproches d'un père absent? Que tardes-tu encore à mourir? ta ceinture ne t'a heureusement point quittée, et l'arbre voisin secondera ton désespoir. Préfères-tu la pointe de ces rochers ; veux-tu chercher une mort plus prompte au milieu de ces écueils; n'hésite pas plus longtemps : élance-toi avec la tempête, à moins que tu n'aimes mieux, digne sang des rois, tourner un fuseau servile, sous les lois d'une maîtresse étrangère. » Cependant Vénus, et son fils incliné sur son arc détendu, écoutaient en souriant malignement les plaintes d'Europe. Quand ils se furent assez longtemps joués de son erreur : « Calme, lui dit Vénus, calme ce grand courroux; cet odieux taureau va de lui-même livrer à ta colère ces armes que tu veux briser. Épouse sans le savoir, du puissant Jupiter, cesse de plaindre ton sort; familiarise-toi avec l'éclat de la haute fortune qui t'appelle : l'une des parts de l'univers s'honorera désormais de porter ton nom. »

XXV11I

A LYDÉ.

Horace est chez Lydé, qu'il exhorte à célébrer gaîment avec lui la fête de Neptune. Cette fête très brillante attirait à Rome un grand concours d'étrangers.
Cette petite ode est formée du vers glyçonique et de l'asclépiade, qui alternent.

Que ferai-je de préférence en ce jour consacré à Neptune? Allons, Lydé, hâte-toi de tirer le Cécube de sa prison! Emporte d'assnut le rempart où se réfugie ta sagesse! Tu vois le midi pencher vers son déclin ; et, comme si le jour s'arrêtait dans son vol, tu tardes à enlever du grenier l'amphore qui depuis le consulat de Bibulus attend un buveur! Nous chanterons tour à tour Neptune, et les vertes chevelures des Néréides. Toi, tu célébreras sur ta lyre recourbée Latone. et les flèches rapides de Diane. Nous saluerons de nos derniers accents la déesse qui règne à Cnide; sur les brillantes Cyclades, et qui visite Paphos sur son char attelé de cygnes. Nous donnerons aussi à la nuit les chants qui lui sont dus.

XXIX

A MÉCÈNE.

Les commentateurs allemands Nitsch et Wetzel, et d'après eux Stiévenart, citent au sujet de cette ode une lettre remarquable écrite de Leipsick en 1757, par un jeune étudiant à un de ses amis de l'université d'Iéna. Frédéric le Grand, passant par Leipsik, après ses revers, et au moment où il se préparait a tenter de nouveau le sort des armes sûr les frontières de la Saxe, voulut entendre une leçon du célèbre professeur Gottsched, et en fixa lui-même le sujet : c'était cette belle ode philosophique, la xxix du iii ème livre. Le jeune étudiant après une analyse animée de ce morceau, dont il décrit l'effet sur l'auditoire et sur le monarque trahi par la fortune, ajoute.: « Mais lorsque Gottsched fut arrivé à cette strophe :
"Laudo manentern : si celeres quatit
Pennas, resigna quae dédit, et mea
Virtute me involvo, probamque
Pauperierem sine dote quaero"
tous les yeux se tournèrent à l'instant sur Frédéric; et au souvenir d'un semblable, langage, sorti plusieurs fois de sa bouche, un murmure confus d'adimration et d'attentrissement s'éleva dans l'assemblée. Ce n'était plus Horace qu'on entendait ; le poëte des rois, des guerriers, des philosophes, avait disparu. Frédéric seul, roi poëte philosophé et guerrier, à la veille d'être impitoyablement écrasé par quatre armées, s'il est vaincu, semblait prononcer, à la face de l'Europe, ces magnanimes paroles. » |
Le mètre de cette ode est l'alcaïque.
" Et Arsulae Déclive contempleris arvum, et Telegoni juga parrcidae" (v. 6-8). Esula était une ville voisine de Tibur, sur le penchant d'une montagne. Les sommets du parricide Télégon désignent Tuscalum (aujourd'hui Frascati), que l'on dit avoir été fondé par Télégon, fils d'Ulysse et de Circé, qui tua son père sans le connaître. On prétend que Mécène avait fait, construire dans son palais une tour élevée d'où il pouvait découvrir, de Rome même, ce charmant paysage
.

Descendant des rois d'Étrurie, depuis longtemps je te réserve un vin délicieux : il t'attend dans son amphore vierge. J'ai aussi des roses, et des parfums pour tes cheveux. Point de retards importuns. Ne contemple pas toujours le frais Tibur, et les collines fertiles d'Ésula et les sommets du parricide Télégon. Quitte pour un instant les ennuis de l'opulence, et ce palais dont le faite s'élève jusqu'aux nues. Cesse d'admirer la fumée, le luxe et tout le bruit de cette Rome qui se dit heureuse ! Presque toujours un changement plaît à la richesse. Souvent un repas sans pourpre ni tapis, mais propre et simple, sous un toit pauvre, a déridé un front sourcilleux. Déjà le père d'Andromède cesse de cacher ses feux étincelants; déjà le violent Procyon, le Lion furieux lancent leurs flammes, et le soleil nous ramène les jours de sécheresse. Déjà le berger, fatigué avec son troupeau languissant, cherche l'ombre, le ruisseau, et les buissons du sauvage Sylvain. La rive silencieuse appelle en vain l'haleine vagabonde des vents. Toi, cependant, tu médites les lois que l'Etat réclame; gardien vigilant de Rome, tu redoutes les projets futurs des Sères, des Bactriens que gouverna Çyrus, et des habitants du Tanaïs que la discorde déchire. Les dieux prudents ont couvert d'une épaisse nuit les événements de l'avenir; ils se rient du mortel dont l'oeil inquiet veut pénétrer ces ténèbres. Songe seulement à régler le présent avec sagesse: le reste ressemble au cours de ce fleuve qui tantôt, renfermé dans son lit, coule paisible vers la mer Tyrrhénienne ; tantôt, lorsqu'un affreux déluge irrite ses ondes tranquilles, roule dans ses vagues les pierres qu'il a rongées, les arbres qu'il déracine, les troupeaux et les maisons qu'il entraîne au milieu des mugissements de la montagne et de la forêt voisine. Celui-là vit heureux et maître de lui, qui chaque soir peut se dire : J'ai vécu! Que demain Jupiter couvre le ciel d'un obscur nuage, ou qu'il l'éclaire d'un soleil pur, qu'importe?il n'a point de pouvoir sur le passé; il ne pourra changer ni détruire ce que l'heure fugitive a entraîné. La Fortune, qui se plaît dans ses cruels caprices, dans ses jeux opiniâtres et insolents, promène au hasard ses faveurs incerlaines, clémente aujourd'hui pour moi, demain pour un autre. Si elle m'est fidèle, je la remercie. Si elle agite ses ailes rapides, je lui rends ce qu'elle m'a donné, je m'enveloppe de ma vertu, et j'épouse, sans dot, une honnête pauvreté. M'appartient-il, si le mât de mon navire mugit sous les vents africains, de descendre à de honteuses prières, et d'obtenir par mes voeux que mes vins de Chypre et ma pourpre tyrienne n'augmentent pas les trésors de la mer avare? Non : mais un frêle esquif, une barque à deux rames m'offre son secours; et, à travers les flots tumultueux de la mer Egée, un vent favorable et les deux frères d'Hélène me poussent joyeux au rivage.

XXX

Je l'ai achevé, ce monument plus indestructible que le bronze, plus grand que les pyramides des rois. L'onde rongeuse, l'Aquilon furieux, la course du temps, le choc du torrent des siècles, ne pourront l'ébranler. Tout entier je ne mourrai pas! La plus noble partie de moi-même triomphera de la Parque ; et, tant qu'auprès du pontife la vestale silencieuse montera au Capitole, ma gloire, toujours nouvelle, grandira sans cesse. Sur les bords de l'impétueux Aufîde, dans les champs arides où Daunus, s'élevant de son humble fortune, gouverna des peuples agrestes, on dira que, le premier, j'unis au rhythme italien la lyre mélodieuse des Grecs. Muse, pare-toi d'un juste orgueil, et viens en souriant ceindre mon front de la couronne immortelle.

LIVRE QUATRIÈME

I

A VÉNUS.

On croit généralement que le Paulus Maximus dont il est ici question, et dont Horace loue dans cette ode les biïllantes qualités, était de la famille Fabia, et qu'il fut consul l'an de Rorne 743. Le morceau gracieux est formé du vers glyçonique et de l'asclépiade, qui alternent.

Pourquoi, Vénus, après un long repos, me déclarer de nouveau la guerre? Épargne-moi, je t'en supplie! Je ne suis plus ce que j'étais sous le règne de l'aimable Cynare.
Mère cruelle des tendres Amours, cesse d'asservir un coeur que dix lustres ont rendu rebelle à tes douces lois. Va plutôt où t'appellent les carressantes prières de la jeunesse. Si tu cherches un coeur fait pour tes flammes, transporte-toi, sur l'aile de tes cygnes éclatants, dans la demeure de Paulus Maximus. Noble, plein de grâce, toujours prêt à défendre l'accusé tremblant, orné des talents les plus divers, il portera au loin la gloire de tes drapeaux ; et quand, par ton secours, il aura triomphé des opulentes largesses d'un rival, il t'érigera, près du lac d'Albe, une statue de marbre sous un temple de citronnier. Là tu t'enivreras du plus doux encens, et les sons de la lyre, de la flûte phrygienne et du hautbois, uniront leurs accords pour te charmer. Là, deux fois le jour, de jeunes garçons, célébrant ta divinité avec de tendres vierges, frapperont trois ibis la terre de leurs pieds d'albâtre, à la manière des Saliens. Pour moi, ni les attraits d'une femme, ni les grâces de la jeunesse, ni le crédule espoir d'un amour mutuel, ne peuvent désormais toucher mon âme. Je ne sais plus lutter la coupe en main, ni couronner mon front de fleurs nouvelles. Mais pourquoi, Ligurinus, pourquoi une larme coule-t-elle furtive le long de mes joues? Pourquoi ce silence embarrassé qui enchaîne tout à coup mes lèvres naguère éloquentes? La nuit, dans mes songes, c'est toi que je tiens captif entre mes bras ; c'est toi dont je poursuis la fuite rapide sur les gazons du champ de Mars; c'est toi, cruel, que j'essaie d'atteindre à travers les flots agiles !

II

A JULES ANTOINE.

On a observé avec raison qu'il y avait beaucoup de rapporté entre le plan de cette ode et celui de l'ode XII du livre II, "Nolis longua ferae". Dans toutes deux, le poëte célèbre les louanges d'Auguste, tout en se croyant trop faible pour entreprendre une pareille tâche. Jules Antoine, à qui est adressée cette ode, et que le poëte juge plus digne que lui de chanter les victoires de César, n'était pas sans mérite littéraire ; il avait composé un poëme épique intitulé "Diomède". Il était fils d'Antoine le triumvir.
L'ode est du mètre saphique.

Celui qui cherche à égaler Pindare, s'appuie sur des ailes de cire, pareilles à celles de Dédale, et donnera son nom au cristal des mers. Comme un torrent qui se précipite de la montagne, lorsque, grossi par les orages, il a franchi ses rives accoutumées ; le divin . Pindare, de sa source profonde, jaillit et s'élance avec majesté. Que sur sa tête repose le laurier d'Apollon, soit que, dans ses audacieux dithyrambes, il déroule des mots nouveaux, et s'emporte en des nombres dégagés de toutes lois ; soit qu'il chante les Immortels, soit qu'il chante les rois, enfants des dieux, ces héros qui, par un juste trépas, étouffèrent les Centaures et les flammes de l'effroyable Chimère ; soit qu'il célèbre l'athlète ou le coursier victorieux que la palme d'Élide ramène couverts d'une gloire éternelle, et qu'il les enrichisse d'un présent bien préférable à cent statues ; soit enfin qu'il déplore un jeune époux ravi à son épouse désolée, et, qu'élevant jusqu'aux cieux sa force, son courage, ses moeurs pures, il le dérobe au noir Léthé. Lorsque le cygne de Dircé plane vers les régions célestes, un souffle puissant l'élève et le soutient ; mais pour moi, cher Antoine, semblable à l'abeille du mont Matinus, qui va butiner laborieusement sur le thym odoriférant, j'erre dans les bois et près des ruisseaux qui arrosent Tibur; et là, faible poète, je forge péniblement mes vers. Mais c'est à vous qu'il appartient de chanter César sur un ton plus élevé, lorsque, le front ombragé d'un laurier bien conquis, il traîne sur la colline sacrée les fiers Sicambres. Les destins nous ont donné César, et jamais la bonté des dieux n'a fait et ne fera à la terre un plus grand ni un meilleur présent, lors même qu'ils nous ramèneraient les siècles de l'âge d'or. Vos chants rediront ces jours de joie et de fêtes publiques, où Rome entière célébrait le retour de son vaillant empereur, où le forum était fermé à tout procès. Si ma voix est digne d'être entendue, je la joindrai à vos accords, et je m'écrierai : Jour glorieux, jour heureux et mémorable qui nous as rendu César ! Pendant sa marche pompeuse, Rome et moi, nous répéterons mille fois : Gloire, gloire à son triomphe! et nous prodiguerons l'encens aux Immortels qui ont exaucé nos voeux. Vous immolerez dix taureaux et autant de génisses: pour moi, j'offrirai un jeune taureau qui, séparé de sa mère, grandit en d'épais pâturages. Son front offre l'image du croissant lumineux de la lune à son troisième lever : il est marqué d'une tache aussi blanche que la neige, et le reste de son corps est de couleur fauve.

lll

A MELPOMÈNE.

Melpomène, celui que distingue ton regard propice à l'instant même où il naît à la douce lumière de la vie, ne cherche point le triomphe des jeux Isthmiques ; il ne brille point dans les combats du ceste, il n'excite point ses coursiers à faire voler un char aux plaines d'Achaïe; il n'ombrage point son front victorieux desrameaux de Délos; il ne traîne point enchaînés, au Capitole, des rois encore gonflés d'une menaçante fureur ; mais la fraîche épaisseur des bois, les prés fertiles où serpentent les ruisseaux de Tibur, inspirent ses douces rêveries ; c'est là qu'il s'illustre par ses chants éoliens. Aussi la reine des cités me juge digne de siéger parmi l'aimable élite des poètes : déjà la dent de l'Envie se lasse de me déchirer. Muse sacrée ! tu modules les sons, fiers et suaves de ma lyre d'or, et ta puissance divine prêterait même le chant du cygne aux hôtes, muets des flots ! Melpomène, tu me verses tes bienfaits, tu m'accordes l'honneur d'être désigné du doigt comme le premier possesseur d'une lyre que nul Romain n'avait touchée avant moi. Je te dois ma vie et ma gloire! et s'il est vrai que je plaise, ô Muse, je plais par toi !

IV

SUR LES VICTOIRES DE DRUSUS NERON.

Claudius Drusus Néron, frère puîné de Tibère, adopté comme lui pa r Auguste, après le mariage de l'empereur avec Livie, mère de ce même prince, était doué, dit Velleius Paterculus, de toutes les vertus que donne la nature et que l'éducation développe. Il n'avait que vingt- trois ans, lorsqu'il remporta sur les Rhétiens et les Vindéliciens, peuplades belliqueuses des Alpes, les victoires qu'Horace célèbre dans cette ode. Ces peuples, qui avaient fait une irruption en Italie, furent défaits et rendus tributaires de Rome. Cependant la soumission des Rhétiens ne fut définitive qu'un an après. Claudius Drusus Néron descendait, du côté paternel, de Claudius Scipion, vainqueur d'Asdrubal, et l'un des sauveurs de l'Italie. Horace, dans ce morceau, célèbre à la fois l'aïeul et le descendant.
Le mètre de cette ode est l'alcaïque.
1. "Testis Metaurum flumcn" (v. 38 ). Le Métaure, fleuve sur les bords duquel se livra la bataille que perdit Annibal.

Tel le ministre ailé de la foudre, ravisseur du blond Ganymède, et, pour prix de sa fidélité, devenu le roi des habitants de l'air, par l'ordre du roi des dieux : faible autrefois, et ignorant les travaux, sa jeune ardeur, sa fougue héréditaire l'avaient chassé du lit paternel ; les zéphyrs du printemps, sous un ciel sans nuages, secondèrent son premier et timide essor; bientôt on le vit, d'un élan rapide, fondre sur le bercail ; bientôt les serpents luttèrent en vain contre l'ennemi terrible que la soif du sang et des combats précipitait sur eux; tel aussi, dans de riants pâturages, on voit le lionceau quitter les mamelles fauves de sa mère, pour essayer sur la jeune chèvre errante sa dent naissante et déjà meurtrière ; tel, sur les Alpes Rhétiques, apparut aux Vindéliciens le jeune guerrier Drusus. D'où vient que ces peuples, par un usage antique, arment leurs bras de la hache de l'amazone? je l'ignore; et quel mortel peut tout connaître? Mais, fières de tant de conquêtes et de triomphes, ces cohortes sauvages, la prudence d'un jeune homme les a vaincues ; elles ont enfin appris ce que peuvent une âme forte, un esprit que la sagesse, dans son sanctuaire, a nourri d'austères leçons ; elles ont senti la puissance de l'âme d'Auguste, et de ce paternel amour qui forma le coeur des jeunes Nérons. Le brave est fils du brave. Les taureaux et les coursiers héritent de la vigueur de leurs pères. Jamais faible colombe dut-elle le jour à l'aigle farouche? L'éducation développe cette puissance innée. Le culte du bien donne de la vigueur à l'âme. Que la vie, s'écoule sans vertu, cette haute naissance va se flétrir Rome, ce que tu dois aux Nérons, tout l'atteste, et le fleuve Métaure, et la défaite d'Asdrubal; et ce beau jour qui le prernier dissipa l'épais nuage de calamités qui pesait sur le Latium! Heureux jour! brillante aurore de nos triomphes renaissants! On avait vu le féroce Africain se précipiter à travers les cités d'Italie : violent comme la flamme errante sous les torches, ou comme l'Eurus qui parcourt les ondes siciliennes, plus rapide que le coursier ! Mais, dès ce moment, la jeunesse romaine grandit au milieu des nouveaux succès de nos armes ; ces statues des dieux, abattues par la fureur sacrilège des Carthaginois, on les revit debout dans nos temples. Enfin, le perfide Annibal s'écria : « Pourquoi chercher ceux que nous ne pouvons vaincre, nous, cerfs timides, proie assurée de ces loups dévorants? Les tromper et les fuir, c'est pour nous le plus beau triomphe ! Race indestructible et sacrée, rejeton vigoureux né des cendres de Troie, longtemps jouet des flots tyrrhéniens, cette Rome qui jeta sur les rives de l'Ausonie ses enfants avec ses vieillards ; c'est le vieux chêne des fécondes forêts de l'Algide : en vain son noir feuillage tombe sous le tranchant des haches pesantes; elle s'accroît de ses pertes, elle renaît de son sang ; le fer qui la frappe ajoute à sa vie! Moins indomptable, l'Hydre recueillait ses débris épars, et s'élançait grandie contre Alcide, furieux de ne pas vaincre; moins terribles étaient les monstres domptés sur les champs de Colchos ou de Thèbes Echionienne. Plongez-la dans l'abîme, elle va reparaître plus belle ; luttez, elle abattra devant elle son vainqueur tout entier, et les tristes épouses parleront longtemps de sa gloire et de ses combats ! Non, je n'enverrai plus à Carthage des messages d'orgueil et de triomphe : il est perdu, perdu à jamais, l'espoir de notre fortune! le nom carthaginois périt; Asdrubal n'est plus! » Il n'est rien que ne puisse accomplir la main des Nérons ! le regard favorable de Jupiter les protège! A travers les hasards des combats, leur sagacité vigilante triomphe de tous les dangers.

V

A AUGUSTE.

Auguste était absent de Rome depuis trois ans ; il était alors dans les Gaules : cette province, exposée aux excursions des Germains, avait besoin d'être pacifiée. Les consuls avaient fait des voeux publics pour le retour de l'empereur, dont l'absence se prolongeait contre l'avis du peuple.
Les strophes de cette ode sont, composées de trois petits asclépiades d'un glyçonique.

Toi qu'a fait naître la clémence des dieux, généreux défenseur du peuple romain, ton absence s'est trop prolongée! Tu avais promis un prompt retour à l'auguste assemblée du sénat : reviens au milieu de nous ! Excellent prince, rends la lumière à ta patrie ! Pareil au printemps, dès que ton visage a brillé sur le peuple, le jour s'écoule plus gracieux, le soleil rayonne plus éclatant. Telle on voit la mère du jeune marin que le Notus, de sa jalouse haleine, retient depuis plus d'un an au delà des flots de la mer Carpathienne, et loin de sa douce famille; elle l'appelle de ses voeux, de ses prières, consulte tous les présages, et ne peut détourner sa vue des sinuosités de la rive : ainsi la patrie, frappée de regrets fidèles, redemande César aux dieux. Grâce à toi, le boeuf parcourt en paix les prairies ; Cérès et la douce Abondance fécondent nos champs, les navires volent sur les mers pacifiées ; l'Honneur s'alarme même d'un soupçon. Aucun adultère ne profane nos chastes familles; les lois et les moeurs ont étouffé de scandaleux désordres ; la mère montre avec orgueil dans son enfant les traits d'un époux ; le Châtiment suit le Crime et sait l'atteindre. Qui craindrait encore le Parthe, ou le Scythe glacé, ou les enfants de la sauvage Germanie, tant que César est debout? qui redouterait la guerre de la féroce Ibérie? Chacun passe ses journées dans ses collines, et marie sa vigne à l'ormeau solitaire; puis, joyeux, il retourne à sa coupe, et te convie à son festin comme une divinité tutélaire. Il te prodigue les prières ; il verse en ton honneur des flots de vin, et mêle ton nom à celui de ses dieux domestiques, comme la Grèce célèbre la mémoire de Castor et du grand Hercule. Oh! puisses-tu, grand prince, donner à l'Italie de longs jours de fête ! C'est ce que nous disons chaque jour avant le repas du matin ; c'est ce que répètent nos lèvres humides de vin, quand le soleil se cache dans l'Océan.

VI

HYMNE A APOLLON ET A DIANE.

Divin Apollon, ils ont éprouvé ta vengeance, les fils de l'arrogante Niobéi. Ils ont senti ta colère, et le ravisseur Titye, et le héros thessalien, déjà presque vainqueur de la superbe Troie ! Plus grand que tous les guerriers, mais faible devant toi, en vain, fils de la reine des mers, il ébranlait, avide de combats, les tours de Pergame, sous les coups de sa lance redoutable. Comme un pin tombé sous la hache mordante, comme un cyprès battu par l'Eurus, il couvrit au loin la terre de sa chute, et posa sa tète sur la poussière troyenne. Ce n'est pas lui qu'on aurait vu, s'enfermant dans un cheval imposteur offert à Pallas, surprendre les Troyens livrés à de fatales fêtes, et la cour de Priam au milieu des plaisirs et des danses. Mais à la clarté du jour, terrible aux captifs, impitoyable, il aurait livré aux flammes des Grecs l'enfant au berceau et l'enfant caché dans les entrailles de sa mère, si, vaincu par tes prières et par la voix de l'aimable Vénus, le père des dieux n'eût accordé aux destins d'Énée d'autres murs élevés sous de moins funestes auspices. Toi qui enseignas d'harmonieux accords à Thalie, Phébus, qui baignes ta chevelure dans les eaux du Xanthe, dieu protecteur de nos cités, soutiens la gloire des Muses latines ! C'est Phébus qui m'a donné le génie ; c'est lui qui m'a donné l'art des vers et le nom glorieux de poëte. 0 les premières d'entre nos vierges, jeunes garçons, issus des plus nobles familles, brillant cortège de la déesse de Délos, dont la fîèche arrête dans leur fuite le cerf rapide et le lynx, observez le rhythme lesbien et les mouvements de mon doigt qui vous dirige ! célébrez par des hymnes, consacrez le fils de Latone, et la déesse des nuits dont le disque, en s'accroissant, féconde nos moissons, et dans son mouvement rapide entraîne les mois fugitifs. Bientôt, jeune épouse, tu diras : moi aussi, dans ces jours de fête que ramenait un siècle écoulé, j'ai fait entendre un chant aimé des dieux, docile aux leçons du poëte Horace.

VII

A MANLIUS TORQUATUS.

Manlius Torquatus, à qui est adressée cette ode, était le fils ou le petit-fils de ce consul dont parle Horace dans l'ode xxi du livre iii| " O nata mecum, consule Manlio !"
Ce morceau est composé de deux vers qui alternent régulièrement, l'hexamètre et un petit vers formé de deux dactyles et d'une syllabique longue.

Les neiges ont disparu; déjà les gazons renaissent dans les campagnes ; les forêts reprennent leurs vertes chevelures; la terre a changé de saison, et les fleuves décroissants semblent fuir leurs rives. Une des Grâces a osé, toute nue, former des danses avec les Nymphes et ses deux soeurs. N'espère rien de durable : les saisons et les heures, qui nous enlèvent nos jours, te le disent sans cesse. Les zéphyrs viennent adoucir la froidure, l'été chasse le printemps, l'été disparaîtra dès que l'automne, chargé de fruits, aura répandu ses dons, et bientôt après vont accourir les froids engourdissants. Du moins, les saisons rapides retrouvent dans les cieux leur renouvellement ; pour nous, dès que nous sommes descendus où reposent le pieux Énée, Tullus, Ancus, nous ne sommes plus qu'ombre et poussière. Qui sait même si les dieux suprêmes ajouteront un second jour aux moments de cette journée? Il n'échappera aux mains avides de l'héritier, que ce qu'aura donné ta libéralité. Cher Torquatus, dès que tu ne seras plus et que Minos aura prononcé ton pompeux arrêt, ni ta naissance, ni ton éloquence, ni tes vertus, ne pourront te ramener parmi nous. Diane n'a pu ravir aux ténèbres infernales le pudique Hippolyte; Thésée n'a pu rompre les chaînes qui dans les enfers retiennent son cher Pirithoüs.

VIII

A MARTIUS CENSORINUS.

L Martius Censorinus fut consul de Rome l'an 715, et son fils Caïus à qui ce morceau est adressé, l'an de Rome 746. On a cru voir dans le 17e vers de cette ode," Non incendia Carthaginis impiae", un anachronisme. Carthage, a-t-on dit, ne fut point brûlée par Publius Scipion l'Africain. Ne peut-on penser qu'Horace, en parlant de l'incendie de Carthage, a permis à là poésie d'attribuer au premier Scipion un événement qui fut en effet le résultat de ses victoires ?
II n'entre dans cette ode qu'une, espèce de vers, l'asclépiade

Oui. Censonnus, je donnerais avec joie à mes amis des coupes, des bronzes précieux ; je leur donnerais ces trépieds, récompense du courage chez les Grecs, et tu n'aurais pas les moins riches de mes présents, si le sort m'avait prodigué ces chefs-d'oeuvre enfantés par un Parrhasius, par un Scopas, dont le génie savait animer le marbre ou la toile pour exprimer les traits d'un mortel ou ceux d'un dieu. Mais je n'ai point ces trésors des arts, et ni ta fortune ni ton coeur ne te laissent à désirer de pareilles offrandes. Tu chéris les vers ; je puis te donner des vers, je puis aussi chanter la valeur d'un tel présent. Ni les marbres décorés d'inscriptions publiques, qui rendent l'âme et la vie aux héros qui ne sont plus ; ni la fuite précipitée d'Annibal et ses menaces rejetées sur Carthage; ni l'incendie de cette sacrilège cité, ne célèbrent avec plus d'éclat que les Muses d'Italie le héros qui sut conquérir dans l'Afrique domptée un si glorieux surnom. Non, si les livres se taisent, tu n'obtiendras point la récompense de tes belles actions. Que serait Romulus, le fils de Mars et d'Ilia, si un silence envieux eût dérobé la gloire de ses hauts faits? Ravi aux abîmes du Styx, Éaque devient immortel dans les îles Heureuses, grâce à l'empire du génie et à la faveur toute-puissante des poètes. Les Muses arrachent au trépas l'homme digne de la gloire ; elles lui ouvrent les délices du ciel. C'est ainsi que l'infatigable Hercule siège au banquet, si désiré, de Jupiter ; c'est ainsi que l'astre éclatant des fils de Tyndare sauve du fond de l'abîme les vaisseaux battus par les vagues; c'est ainsi que Bacchus, le front couronne de pampres verts, reçoit nos voeux dans le ciel, et les exauce.

IX

A LOLLIUS.

Ne croyez pas qu'ils meurent jamais, ces vers que je compose, moi qui suis né près des cascades bruyantes de l'Aufide, moi qui, par un art nouveau dans mon pays, module des chants faits pour être accompagnés par les accords dela lyre. Si le poête de Méonie, si le grand Homère est assis au premier rang, Pindare n'est point oublié; on connaît Simonide de Cos, et les vers majestueux de Stésichore, et ceux qui rendaient Alcée redoutable. Les aimables badinages d'Anacréon ne sont point détruits par le temps ; l'amour respire encore avec tous ses feux dans les tendres sons du luth passionné de Sapho. La beauté de Sparte, Hélène, n'est pas la seule qui ait brûlé d'une flamme adultère, qui ait été séduite par une chevelure artistement arrangée, par de riches vêtements, par un faste royal et un cortège magnifique. D'autres, avant Teucer, se sont servis de l'arc de Crète pour lancer des flèches ; Ilion a soutenu plus d'un siège ; plus d'un brave Idoménée, plus d'un Sthénélus, ont livré des combats dignes d'être chantés par les Muses. D'autres vaillants Hectors, d'autres généreux Déiphobes ont reçu de cruelles blessures pour la défense de leurs enfants et de leurs pudiques épouses. Beaucoup de héros ont vécu avant Agamemnon ; mais ils sont morts et oubliés pour jamais, privés de regrets et de gloire, parce qu'il leur a manqué, pour les chanter, un poète inspiré par les dieux. La vertu active, mais dont on ne parle pas, l'emporte de bien peu sur l'oisiveté qu'on ignore. Non, cher Lollius, je ne souffrirai point que mon silence vous prive des éloges que vous méritez, et qu'un oubli jaloux dévore vos nombreux et nobles travaux. J'admire en vous la prudence qui prévoit les événements, une âme forte, toujours la même dans les jours sereins et dans les temps orageux; la justice qui punit la fraude, fille de l'avarice, le désintéressement s'abstenant de la richesse qui attire tout après soi. Le consul enfin, non pas d'une seule année, mais de toutes les occasions ou, juge non moins intègre qu'éclairé, il préféra l'honnête à l'utile, repoussa dédaigneusement les dons offerts par les coupables, et, s'armant d'un vertueux courage, resta vainqueur de la troupe obstinée des vices ennemis. Il ne faut pas appeler heureux celui qui possède de grandes richesses ; ce nom convient mieux à l'homme qui sait user avec sagesse des présents du ciel et souffrir, sans se plaindre, la pauvreté dure; à celui qui craint moins de mourir que de perdre l'honneur par une mauvaise action : ce mortel généreux n'hésitera pas à donner sa vie, s'il le faut, pour ses amis et pour sa chère patrie.

X

A LIGURINUS.

Cruel enfant, que Vénus a doué de si puissants attraits, quand un duvet que tu ne redoutes pas encore viendra remplacer la première fleur de ta jeunesse; quand cette blonde chevelure, qui maintenant flotte sur tes épaules, sera tombée ; quand cet incarnat plus vermeil que la rose aura disparu pour faire place à une barbe épaisse, alors toutes les fois que dans une glace tu verras cette métamorphose, tu t'écrieras : « Hélas! que ne pensais-je autrefois comme aujourd'hui, ou que ne puis-je recouvrer ma beauté première ! »

XI

A PHYLLIS.

Cette petite ode, qui n'est qu'un billet, une invitation, est du mêtre saphique.
"Idus tibi sunt agendae, Qui dies mensem Veneris marinae Finit aprilem" (v. 14-16). Les ides, ainsi nommées du vieux verbe toscan "iduare, « diviser, » parce qu'elles partageaient le mois, en deux parties égales, étaient toujours le 15 des mois de mars, mai, juillet, octobre, le 13 des autres mois. Les Latins nommaient le mois d'avril le mois de Vénus, parce que la terre commence alors à ouvrir son sein et à venir propre à la végétation. D'ailleurs, la grande fête de Vénus commencait le 1er de ce mois. Les ides d'avril étaient le jour anniversaire de la naissance de Mécène.

Je possède une amphore d'un vin d'Albe qui a dépassé sa neuvième année; j'ai dans mon jardin, Phyllis, de l'ache pour tresser des couronnes; j'ai du lierre en abondance pour nouer ta chevelure et t'embellir. L'argenterie brille dans ma demeure; mon autel, entouré de la verveine simple, appelle le sang de l'agneau que j'y dois immoler. Chacun se hâte et s'empresse; çà et là courent les jeunes filles, mêlées aux jeunes garçons; la flamme pétillante élève au-dessus de mon toit les tourbillons d'une noire fumée. Pour que tu saches à quelle fête je te convie, apprends que tu dois célébrer avec moi les ides d'avril; ce jour, qui partage le mois cher à Venus, fille des mers, m'est, à bon droit, solennel et plus sacré peut-être que mon jour natal, puisque c'est par lui que Mécène, mon noble Mécène, commence à compter ses nombreuses années. Le jeune Télèphe, pour qui tu soupires, et que les dieux n'ont pas fait pour toi, est au pouvoir, d'une femme opulente et voluptueuse, qui le tient enchaîné dans de doux liens. Phaéthon, foudroyé, est une terrible leçon pour les espérances trop ambitieuses. Pégase, ce cheval ailé, s'indignantde porter Bellérophon, cavalier terrestre, est encore un puissant exemple. Qu'il t'apprenne à ne chercher que des biens à ta portée, à regarder comme un crime toute espérance immodérée, à fuir toute alliance inégale. O mes dernières amours (car: après toi, je ne veux brûler pour nulle autre femme), apprends des airs que me répétera ta voix chérie! Le chant sait endormir les noirs soucis.

XII

A. P.VIRGILE.

Cortège du printemps, les vents de la Thrace enflent déjà les voiles sur les mers qu'ils apaisent; déjà l'hiver cesse d'engourdir les campagnes, et les fleuves de gronder sous les frimas amoncelés. La mère lamentable d'Itys forme son nid en gémissant : oiseau malheureux et opprobre éternel de la maison de Cécrops, pour son affreuse vengeance de l'attentat d'un roi barbare. Couchés sur le tendre gazon, les pasteurs des brebis florissantes marient leurs chansons aux accords de la flûte, et ravissent le dieu protecteur des troupeaux et des sombres montagnes de l'Arcadie. Voici la saison qui allume la soif; si tu désires t'abreuver du jus que Bacchus fait couler des coteaux de Cales, Virgile, client de l'élite de la jeunesse romaine,il faut que pour mon vin tu me donnes de tes parfums. La moindre fiole de tes parfums fera sortir un des tonneaux qui dorment à présent dans les greniers de Sulpicius, et qui renferment en leur sein des trésors d'espérance: et des charmes pour dissiper les soucis amers. Es-tu avide de ces plaisirs? accours, vole, mais n'oublie pas à quelle condition. Je ne prétends pas t'enluminer avec mes flacons sans obtenir rien de toi, comme le possesseur d'un palais opulent. Point de retard, trêve aux soins intéressés. Songe, tandis qu'il en est temps encore, aux flammes du bûcher ; entremêle aux graves occupations quelques instants de folie : il est bon de perdre quelquefois la raison.

XIII

A LYCÉ.

Les dieux, Lycé, ont entendu mes voeux ; les dieux m'ont entendu, Lycé ! te voilà vieille, et cependant tu veux paraître belle encore ; on te voit folâtrer comme une vierge, boire sans pudeur, et, d'une voix chevrotante, échauffée par le vin, tu appelles l'Amour, sourd à tes prières : il repose sur les joues vermeilles de l'ardente Chias, si habile à faire résonner les cordes de la lyre. L'Amour est sans pitié : il délaisse, dans son vol, les chênes que le temps a dépouillés de leur parure ; il te fuit, parce que tes dents n'ont plus de blancheur, parce que tes joues sont sillonnées de rides honteuses, parce que la neige couvre ton front. Non, Lycé, ni la pourpre de Cos, ni ces pierreries qui te sont si chères, ne te rendront ces jours que le temps rapide a ensevelis dans nos fastes. Hélas! où est ta beauté? où sont tes fraîches couleurs? où est cette noble démarche? Qu'as-tu fait de cette autre Lycé qui ne respirait que l'amour, qui m'avait ravi à moi-même; qui, par sa beauté, sa grâce piquante, occupait dans mon coeur la première place après Cynare? Mais les destins, qui n'ont accordé à Cynare qu'une courte carrière, devaient longtemps conserver Lycé, et égaler ses jours à ceux de la corneille centenaire! Ils ont voulu offrir en spectacle à l'ardente jeunesse, et livrer à ses rires insultants un flambeau éteint qui tombe en cendres.

XIV

A AUGUSTE.

Cette ode a pour objet l'éloge d'Auguste et celui de ses deux fils adoptifs, Tibère et Drusus. Le poëte, qui a déjà célébré les victoires , dans l'ode iv de ce livre, s'arrête particulièrement dans celle-ci aux louanges du premier, qui acheva l'oeuvre de Drusus. Les Rhétiens, peuple plus redoutable que les Vindéliciens, domptés par Drusus, ne furent complètement défaits et subjugués que par Tibère, une année après la première victoire, vers l'an de Rome 738. Cette ode est donc postérieure d'un an à l'ode iv.
Le mètre est l'alcaïque.
" Nam tibi, quo die Portus Alexandrea supplex" (v. 34, 35). Le jour même où Tibère domptait les Rhétiens, Auguste, quinze années auparavant, entrait vainqueur dans Alexandrie.

Par quels honneurs, par quels hommages, ô César Auguste, l'amour du sénat et des citoyens s'efforcera-t-il de consacrer, dans nos monuments et dans nos fastes fidèles, l'immortel souvenir de tes vertus? O le plus grand des princes que le soleil éclaire sur l'immensité du monde habitable, le Vindélicien, qui ignorait encore le joug de Rome, vient d'apprendre ce que peuvent tes armes ! Avec tes soldats, Drusus a plus d'une fois renversé le Genaune, cette nation toujours agitée, et le Brenne impétueux, et ces citadelles assises sur les sommets formidables des Alpes. Mais bientôt l'aîné des Nérons engage, sous de favorables auspices, un plus terrible combat, et défait le farouche Rhétien. Quel spectacle offrait sa valeur ! de quels coups terribles, sur le champ du carnage, il frappait ces nobles poitrines, dévouées à un libre trépas! Tel l'Auster agite les flots indomptés, quand le choeur des Pléiades perce les nuages; tel Tibère poursuivait sans relâche les bataillons ennemis: tel il lançait au milieu des feux son coursier frémissant. Ainsi que l'Aufide, qui baigne le royaume de Daunus l'Àpulien, roule en mugissant, quand son onde se courrouce et menace d'un horrible déluge les moissons naissantes; ainsi, le fils des Claudes, de son choc terrible, écrasa les Barbares, moissonna leurs rangs de fer, depuis le premier jusqu'au dernier, et couvrit la terre de leurs morts, sans que l'aigle romaine eût à gémir de sa victoire!
Tu lui avais donné tes soldats, ton génie et tes dieux! Le jour même où Alexandrie suppliante t'ouvrit ses portes et ses palais déserts, la Fortune, encore prospère après trois lustres écoulés, te ramena de nouveaux triomphes, et, accomplissant ordres, t'accorda ce qu'il te restait de gloire à désirer. Le Cantabre, jusqu'alors indompté, le Mède, l'Indien, le Scythe errant, admirent ton génie, ô dieu tutélaire de l'Italie, et de Rome la maîtresse du monde ! Le Nil, qui cache la source de ses ondes ; l'Ister, le Tigre rapide, l'Océan peuplé de monstres, qui baigne en grondant les rivages lointains du Breton; le Gaulois, qui ne pâlit point devant la mort; l'enfant de la féroce Ibérie, tous reconnaissent ta loi, et le Sicambre, avide de carnage, dépose ses armes et t'adore.

XV

ÉLOGE D'AUGUSTE.

Le mètre de cette ode, qui est postérieure de plusieurs années à la prédente, est l'alcaïque.

le voulais chanter les combats et les villes soumises : Phélime me frappa de sa lyre; il me défendit d'exposer mes faibles voix sur la mer Tyrrhénienne. Ton règne, ô César, a ramené l'abondance dans nos campagnes; il a rendu à notre Jupiter ces drapeaux arrachés amples orgueilleux des Parthes ; il a fermé le sanctuaire de Janus, dont l'autel n'est plus livré au dieu des combats; il a imposé de vastes bornes à la licence effrénée, banni le vice, et rappelé ces antiqnes vertus qui ont fait grandir le nom latin, croître l'Italie en puissance, et porté la gloire et la majesté de l'empire depuis les vages de l'Occident jusqu'aux lieux où le soleil se lève. Tant que César sera le gardien de l'État, ni les fureurs civiles, ni la violence, ne troubleront la paix publique : il enchaînera la colèree aveugle qui forge le glaive et souffle la haine entre les malheureuses cités. Ni les peuples qui boivent les eaux profondes du Danube, ni les êtes, ni les Sères, ni les Perses infidèles, ni les enfants duTanaïs, enfreindront les décrets de César. Et nous, dans toutes nos fêtes, et chaque jour, au milieu des sons du joyeux Bacchus, entourés de nos enfants et de nos femmes, après avoir d'abord invoqué les dieux, nous marierons nos ébats aux flûtes lydiennes, et nous célébrerons, à l'exemple de nos pères, les héros illustres, Pergame, Anchise, et la noble postérité deVénus, notre protectrice.

FIN DE L'OUVRAGE

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