MARTIAL

ÉPIGRAMMES

TRAD'UCTfON PAR MM.V.VERGER, N. A.DUBOIS ET J.MANGEART

GARNIER FRERES, LIBRAIRES-ÉDITEURS

1864

Livre 8, Livre 9, Livre 10, Livre 11, Livre 12, Livre 13, Livre 14.

 

LIVRE VIII

A L'EMPEREUR DOMITIEN AUGUSTE, GERMANIQUE, DACIQUE V. MARTIAL, SALUT.

Prince, mes ouvrages, qui vous doivent leur réputation, autant dire la vie, sont tous placés sous votre protection ; et c'est, je pense, ce qui fait qu'ils sont lus. Celui-ci cependant, qui forme le huitième livre de mon recueil, est plus riche que les autres du récit de vos vertus. Il a donc coûté moins de travail à mon esprit, que secondait l’abondance de la matière. Toutefois je me suis efforcé d'y jeter de la variété par le mélange de quelques plaisanteries, afin que votre céleste modestie ne trouvât pas dans chaque vers des louanges plus capables de vous fatiguer que d'épuiser mon admiration. En outre, quoique de très graves personnages et des hommes du plus haut rang semblent avoir pris à tâche d'imiter, dans les épigrammes qu'ils ont faites, le langage licencieux de la farce, je n'ai pourtant pas permis à celles-ci de s'exprimer aussi librement que leurs aînées. La majesté de votre nom sacré se trouvant associée à la plus grande et la meilleure partie de ce livre, il n'oubliera pas que ce n'est qu'après avoir été purifié par des ablutions, religieuses qu'il est permis de s'approcher des temples. Et afin que ceux qui me liront sachent combien je suis résolu à tenir ma promesse, j'ai voulu la consigner en tête de mon livre dans une très courte épigramme.

I. - A SON LIVRE.

Avant d'entrer dans le palais où séjourne le prince, à l'ombre des lauriers, apprends, mon livre, à. devenir respectueux et pudique en ton langage. Vénus, porte ailleurs ta nudité : cette oeuvre n'est point de ton domaine ; et toi, Pallas, que César honore, viens à mon aide.

II. - A JANUS.

Le père, le créateur des Fastes, Janus, en voyant naguère le vainqueur de l'Ister, pensa n'avoir pas assez de son double visage, et souhaita de posséder un plus grand nombre d'yeux ; et, parlant de tout ce qu'il avait de langues, il promit au maître de la terre, au dieu de l'empire, une vieillesse quadruple de celle du vieillard de Pylos. Ajoutes-y encore la tienne, vénérable Janus ; nous t'en conjurons.

III. - A SA MUSE.

C'était bien assez de cinq, et c'est trop assurément de six ou sept livres. Pourquoi donc, ma Muse, te livrer encore à de nouveaux jeux : Sache te modérer et en finir : déjà la renommée ne peut plus rien ajouter à notre gloire ; notre recueil est dans toutes les mains. Lorsque le temps aura fait crouler le monument de Messala, lorsque les marbres orgueilleux de Licinius seront réduits en poussière, on me lira encore, et plus d'un étranger emportera mes vers dans sa patrie. Je finissais de parler, quand l'une des neuf soeurs, la chevelure et la robe imprégnées de parfums, me répondit : "Peux-tu bien, ingrat, abandonner ton charmant badinage ? Trouveras-tu, dis-moi, un meilleur emploi de tes loisirs ? Serait-ce que tu voudrais échanger le brodequin contre le tragique cothurne, ou bien chanter la guerre et ses fureurs en hexamètres ronflants, pour avoir l'avantage d'être déclamé d'une voix enrouée par un pédant boursouflé, et pour faire la désolation de quelque fille déjà grande ou de quelque pauvre écolier ? Laisse un pareil genre à ces écrivains graves et sombres, que leur lampe voit se consumer en veilles : continue de répandre dans tes livres les agréments du sel romain ; que ton siècle s'y reconnaisse et y trouve l'image de ses moeurs. Qu'importe que tes chants semblent s'échapper d'un simple chalumeau, si ce chalumeau l'emporte sur les trompettes de tant d'autres ?"

IV. - A CÉSAR DOMITIEN, OU, SELON D'AUTRES, À CÉSAR LE GERMANIQUE.

Voyez, dans les temples du Latium, cette assemblée du monde entier former et acquitter des voeux en l'honneur de son maître chéri ! Mais, je me trompe, ô Germanique, cette fête n'est pas seulement une fête célébrée par les hommes ; ce sont les dieux eux-mêmes qui la célèbrent aujourd'hui.

V. - A MACER.

A force de donner des anneaux aux jeunes filles, Macer, tu as fini par n'avoir plus d'anneau.

VI. - CONTRE EUCTUS.

Rien de plus insupportable que les vases originaux du vieil Euctus : je préfère les vases fabriqués de terre de Sagonte. Pendant qu'il raconte, cet impitoyable bavard, la noble antiquité de sa vaisselle d'argent, son vin a le temps de s'éventer. "Ces gobelets, vous dit-il, ont figuré sur la table de Laomédon ; ce fut pour les posséder qu'Apollon éleva aux sons de sa lyre les murs de Troie. Le terrible Rhécus se battit pour cette coupe avec les Lapithes : vous voyez le dommage qu'elle a éprouvé dans le combat : Ces deux vases passent pour avoir appartenu au vieux Nestor ; voyez comme la colombe qui les orne a été usée par le pouce du roi de Pylos. Voici la tasse où le fils d'Éacus fit verser si largement et avec tant d'empressement ses vins à ses amis. Dans cette patère la belle Didon, porta la santé de Bytias, lors du souper qu'elle donna au héros phrygien." Et quand vous aurez beaucoup admiré toutes ces antiques ciselures, il vous faudra boire dans la coupe du vieux Priam un vin jeune comme Astyanax.

VII. CONTRE CINNA.

Est-ce la plaider, est-ce faire preuve d'éloquence, Cinna, que de lâcher neuf paroles en dix heures ? Mais voilà, que, tu demandes à grands cris quatre clepsydres : qu'il te faut de temps, Cinna, pour ne rien dire !

VIII. A JANUS SUR LE RETOUR DE CÉSAR.

Si heureux que tu sois, Janus, d'ouvrir la carrière aux fugitives années, de marquer par ton visage la durée et le renouvellement des siècles, de recevoir notre premier encens et nos premiers voeux, de voir à tes pieds la pourpre et toutes les grandeurs ; ce qui te flatte le plus, c'est de voir, dans le mois qui t'est consacré, la cité reine du Latium saluer le retour de son dieu.

IX. - A QUINTUS SUR HYLAS.

Hylas le chassieux voulait dernièrement, Quintus, te payer les trois quarts de sa dette ; devenu borgne, il n'en veut plus donner que la moitié. Hâte-toi de profiter d'une occasion si fugitive. S'il devient aveugle, Hylas ne te payera rien du tout.

X. - SUR BASSUS.

Bassus vient d'acheter mille sesterces une robe d'étoffe de Tyr de la plus belle couleur : il a fait un marché d'or. Mais pourquoi ? dis-tu. Pourquoi ? c'est qu'il ne paye pas.

XI. - A CÉSAR DOMITIEN.

Déjà le Rhin sait ton retour dans ta capitale ; car les acclamations de ton peuple retentissent jusqu'à lui. Les nations sarmates, les peuples de l'Ister et les Gètes ont aussi entendu avec effroi ces nouveaux témoignages d'allégresse. Tandis que dans l'enceinte sacrée du Cirque nos joyeux applaudissements t'exprimaient notre respect, personne ne s'est aperçu que les chevaux ont fourni quatre courses. Non, jamais aucun prince, César, ne fut autant que toi chéri de Rome ; voulût-elle t'aimer davantage, elle ne le pourrait pas.

XII. - A PRISCUS.

Vous me demandez pourquoi je ne veux pas d'une femme riche ? c'est que je veux être le mari de ma femme. Une femme, Priscus, doit être inférieure à son mari ; sans cela, il n'y aurait pas d'égalité entre eux.

XIII. - A GARGILIANUS.

C'est un fou, disais-tu : je l'ai acheté vingt mille sesterces. Rends-moi mon argent, Gargilianus ; c'est un sage.

XIV. - CONTRE UN AMI SANS HUMANITÉ.

Pour garantir tes vergers venus de la Cilicie des frimas qui les menacent, pour que le vent n'ait pas de prise sur ces arbres encore tendres, on a opposé à la bise des barrières transparentes à travers lesquelles pénètrent un soleil pur et une lumière toujours bienfaisante. Quant à moi, l'on m'a donné une chambre qui n'a pas une fenêtre entière pour la clore, et dans laquelle Borée lui-même ne voudrait pas habiter. C'est ainsi que tu loges, cruel, un ancien ami ? mieux vaudrait pour moi l'hospitalité d'un de tes arbres.

XV. - A DOMITIEN.

Tandis qu'on célèbre les nouvelles victoires remportées dans la Pannonie, tandis que dans tous les temples on offre des sacrifices pour le retour de notre Jupiter, le peuple, les chevaliers reconnaissants, le sénat, offrent à l'envi leur encens, et pour la troisième fois les largesses du vainqueur enrichissent les villes du Latium. Ces modestes triomphes, Rome aussi se les rappellera ; et ces lauriers, gages de la paix, ne le céderont pas aux premiers ; le pieux dévouement de tes peuples t'en est un sûr garant. La première vertu d'un prince est de connaître ses sujets.

XVI. - CONTRE CIPERUS.

Après avoir été longtemps boulanger, tu plaides maintenant, Ciperus, pour gagner deux cent mille sesterces. Mais, en attendant, tu dépenses force argent et tu empruntes sans cesse. Tu n'as pas cessé d'être boulanger, Ciperus ; tu fais encore du pain et encore de la farine.

XVII. A SEXTUS.

J'ai plaidé ta cause au prix convenu de deux mille sesterces, Sextus : combien m'en as-tu envoyé ? - Mille. - Et pourquoi ? Tu as fort mal plaidé et, de plus, tu as perdu ma cause. Raison de plus pour me bien payer, Sextus ; car tu dois me payer ma honte.

XVIII. A CIRINUS.

Si tu publiais tes épigrammes, Cirinius, on te lirait avec tout autant, peut-être même avec plus de plaisir que moi. Mais tel est l'empire qu'a sur toi notre vieille amitié, que ma gloire t'est plus chère que la tienne propre. Ainsi Virgile s'interdit les chants du poète de Vénuse, quoiqu'il pût aspirer à la palme du genre lyrique ; ainsi, encore, il céda à Varius les honneurs de la scène romaine, quand il pouvait, mieux que lui, faire parler la muse, tragique. Beaucoup d'amis donneront de l'or, des richesses, des terres ; mais bien peu seront disposés à céder le laurier du génie. .

XIX. SUR CINNA.

Cinna veut paraître pauvre ; il est pauvre en effet.

XX. A VARUS.

Faire deux cents vers par jour, Varus, et, comme toi, ne les réciter à personne, c'est être fou et sage.

XXI. A LUCIFER, SUR LE RETOUR DE CÉSAR.

Étoile de Vénus, rends-nous le jour : pourquoi retarder nos plaisirs ? César va venir ; étoile de Vénus, rends-nous le jour, Rome t'en supplie. Viendrais-tu sûr le chariot pesant du tranquille Bootès, aujourd'hui que tes feux sont si lents à paraître ? Ne pouvais-tu emprunter à l'attelage du fils de Léda le coursier Cyllare ? Castor lui-même, en cette occasion, ne te l'eut pas refusé. Pourquoi retenir ainsi Phébus impatient ? Déjà Xanthus et Ethon demandent leur frein : la bienfaisante mère de Memnon est éveillée. Cependant les étoiles tardives brillent d'un éclat pareil au jour le plus pur, et la lune aspire au bonheur de voir le maître de l'Ausonie. N'importe, César, viens même pendant la nuit ; les astres peuvent rester, s'ils veulent ; quand tu reviens, le jour ne saurait manquer au peuple.

XXII. CONTRE GALLICUS.

Tu m'invites à manger un sanglier, Gallicus, et tu me sers un porc. Si tu me trompes, Gallicus, je veux être un métis !

XXIII. A RUSTICUS.

Tu m'accuses de cruauté et de goinfrerie, Rusticus, parce que je bats mon cuisinier pour un souper manqué ? Si tu ne trouves pas qu'il y ait eu là de quoi le fouetter, quand, selon toi, faudra-t-il donc battre un cuisinier ?

XXIV. A CESAR DOMITIEN.

S'il m'arrive, dans un placet bien timide et bien humble, de te faire quelque demande, et si cette demande n'a rien d'indiscret, daigne, César, me l'accorder. Si tu refuses, ne trouve pas, mauvais du moins que je t'aie imploré : jamais encens ni prières ne déplurent à Jupiter. L'artiste qui transforme en images sacrées l'or et le marbre ne fait pas les dieux ; celui-là les fait, qui les prie.

XXV. CONTRE OPPIANUS.

Tu ne m'as vu qu'une fois malade, Oppianus : moi, je te verrai bien souvent dans cet état.

XXVI. A CÉSAR DOMITIEN.

Le chasseur des rives du Gange, qui fuit pâle et tremblant sur un cheval d'Hyrcanie, ne vit jamais dans les champs de l'Aurore un nombre de tigres égal à celui que ta capitale a vu depuis quelque temps, ô Germanique. Rome ne suffisait plus à compter ses plaisirs. L'arène qu'elle te doit a fait oublier les triomphes que vit l’Érythrée, la pompe et les richesses du dieu conquérant. Bacchus, en effet, se contentait de deux tigres, lorsqu'il traînait les Indiens captifs enchaînés à son char.

XXVII. A GAURUS.

Celui qui te fait des cadeaux, Gaurus, à toi riche et vieux, te dit, si tu n'es pas un sot et si tu sais l'entendre : "Meurs."

XXVIII. SUR UNE ROBE QUE LUI AVAIT DONNÉE PARTHENIUS.

Charmant cadeau d'un éloquent ami, toge, dis-moi de quel troupeau tu veux être la gloire et l'honneur ? Ont-ils fleuri pour toi ces prés de l'Apulie, situés près de la ville du Lacédémonien Phalante, et que le Galèse féconde de ses eaux empruntées à la Calabre ? Le Bétis, qui abreuve le bétail de l'Ibère, a-t-il lavé ta laine sur le dos des brebis de l'Hespérie, ou bien cette laine a-t-elle compté le nombre des embouchures du Timave, où venait s'abreuver Cyllare avant d'être parmi les astres ? Le poison d'Amyclée n'était pas fait pour te prêter ses couleurs ; la teinture de Milet n'était pas non plus digne de ta toison. Tu l'emportes en blancheur sur les lis, sur la fleur du troène fraîchement éclose, et sur l'ivoire de la colline de Tibur. Devant toi doivent s'humilier le cygne de l'Eurotas, les colombes de Paphos et les perles arrachées aux profondeurs de l'Érythrée. Mais pour être aussi pur que la neige encore vierge, un si beau présent ne l'est-pas plus que Parthenius de qui il vient. Je ne lui préférerais pas ces brillantes étoffes tissées à Babylone, et que l'aiguille de Sémiramis a semées de broderies. Je serais moins glorieux de posséder l'or d'Athamas, quand tu me donnerais, Phryxus, cette riche toison d'Éolie. Mais combien on rira. de voir cette robe somptueuse accouplée à mon vieux manteau déchiré !

XXIX. SUR LES DISTIQUES.

Celui qui écrit un distique, vise, je pense, à plaire par la brièveté. A, quoi bon, je vous prie, cette brièveté, s'il en fait un volume ?

XXX. SUR UNE REPRESENTATION DE SCEVOLA.

Le spectacle que vous offre aujourd'hui l'amphithéâtre de César représente un des faits les plus glorieux qui aient signalé le siècle de Brutus. Voyez comme cette main courageuse serre la flamme, jouit de son supplice et domine le feu étonné de son impuissance ! Mucius se contemple lui-même, chérit la perte de sa main qui se repaît à plaisir du sacrifice qu'il accomplit. Si on n'eût enlevé violemment le brasier instrument de son supplice, il allait livrer sa main gauche à la flamme vaincue par tant de courage. Après ce trait d'héroïsme, je ne cherche pas à savoir ce qu'il a fait auparavant ; c'est assez d'avoir vu cette main.

XXXI. CONTRE DENTON.

Je ne sais quel ridicule aveu tu fais sur ton compte, Denton, lorsque tu viens, marié, réclamer les droits de père. Cesse donc de fatiguer de tes requêtes le maître de l'empire, quitte Rome et retourne dans ton pays où tu n'as que trop tardé à te rendre. Car, après être resté si longtemps loin de ton épouse abandonnée, au lieu de trois enfants que tu demandes, tu pourras bien en trouver quatre.

XXXII. SUR LA COLOMBE D'ARETULLA.

Du haut des airs une douce colombe vint se poser mollement sur le sein d'Aretulla. C'eût été un simple jeu du hasard, si la colombe ne fût restée là, refusant de fuir, quand elle le pouvait. S'il est permis à la piété d'une soeur d'en tirer un favorable augure, si ses voeux peuvent fléchir le maître du monde, cette colombe est peut-être la messagère qui vient des côtes de Sardaigne t'annoncer le retour d'un frère exilé.

XXXIII. LA FIOLE DE PAULLUS.

Tu m'envoies, Paulus, une feuille de ta couronne prétorienne, et tu lui donnes le nom de fiole. C'est quelque lame d'or appliquée naguère sur une décoration de théâtre, et lavée au moyen d'une solution de safran. Ou ne serait-ce pas plutôt (oui, c'est cela) une raclure de ton bois de lit, qu'un de tes esclaves a enlevée adroitement avec son ongle ? De loin le vol d'un moucheron agit sur elle ; l'aile du plus petit papillon suffit à la mettre en mouvement ; la vapeur du moindre lumignon la fait voltiger, et, si doucement qu'on verse, une goutte de vin suffit pour la briser. C'est d'un pareil enduit que les plus misérables clients recouvrent la datte qu'ils apportent avec une mince pièce de monnaie aux calendes de janvier. Le flexible colocase a des filaments moins légers ; les lis, que fait tomber un soleil trop ardent, ont plus de consistance ; la toile que parcourt la mobile araignée est moins frêle, et les fils qui soutiennent le ver à soie sont moins déliés. Plus épaisse est la craie qu'étend sur ses joues la vieille Fabulla ; plus épaisse est la bulle que soulève une eau agitée. La vessie dont se servent les femmes du Latium pour retenir les tresses de leurs cheveux, l'écume batave dont elles font usage pour les teindre, ont plus de corps. C'est d'une pellicule semblable qu'était revêtue la pulpe de l'oeuf de Léda ; telles sont les menues bandelettes qu'on applique sur le front en forme de croissant. Qu'avais-tu besoin de choisit une fiole, quand tu pouvais m'envoyer soit une ligule, soit une cuiller ? Mais c'est encore demander trop ; quand tu pouvais m'envoyer une coquille de limaçon, quand enfin tu pouvais, Paulus, ne me rien envoyer.

XXXIV. CONTRE UN HABLEUR.

Tu te vantes de posséder un vase original de Mys : il est d'autant plus original, qu'il a été fait sans toi.

XXXV. CONTRE UN MAUVAIS MÉNAGE.

Quand vous vous ressemblez si bien, quand votre vie est la même, méchant mari, méchante femme, je m'étonne de ne pas vous voir d'accord.

XXXVI. A CÉSAR DOMITIEN.

Tu peux bien rire, César, des Pyramides et de leurs merveilles ; la barbare Memphis a cessé de vanter ces monuments de l'orgueil oriental. Que sont ces lourdes masses auprès de ton palais impérial ? Le jour ne voit rien de plus magnifique dans l'univers. On dirait les sept montagnes de Rome s'élevant les unes sur les autres ; moins haut fut le Thessalique Pélion, monté sur Ossa. Ton palais est si haut placé dans les airs, que son faîte brillant, confondu au milieu de la splendeur des astres, voit la foudre éclater au-dessous de lui. Phébus l'éclaire en secret de ses feux, avant que Circé ait seulement entrevu le visage de son père. Sans doute, César, ce palais dont le sommet touche au ciel est égal au ciel même ; mais il est moins grand que son maître.

XXXVII. A POLYCHARMUS.

Parce que tu as rendu à Caïetanus son billet, crois-tu donc, Polycharmus, lui avoir fait cadeau de cent mille sesterces ? Mais il me les devait, dis-tu. Garde le billet, Polycharmus, et prête à Caïetanus deux mille sesterces.

XXXVIII. A MELIOR.

Celui qu'on voit s'épuiser en bons offices auprès d'un homme capable de reconnaissance cherche peut-être à le séduire, ou demande du retour. Mais donner à celui qui n'est plus, persévérer au delà du trépas et du tombeau, est-ce chercher autre chose qu'un soulagement à sa douleur ? Être bon ou vouloir le paraître sont deux choses différentes. Tu es bon, Melior, toi qui par de pieux hommages t'efforces sans cesse de préserver de l'oubli le nom de. Blésus qui n'est plus ; toi qui, pour fêter son jour natal, prodigues ton or aux scribes restés fidèles à sa mémoire, et ne donnes tout cela que pour en faire honneur à Blésus. Ce tribut que tu payeras longtemps pendant le reste de ta vie, tu le recueilleras-toi-même dans la tombe.

XXXIX. A DOMITIEN.

Avant ce jour, il n'existait point d'enceinte faite pour contenir la table des Césars et ses mets rivaux de l'ambroisie. Ici, Germanique, tu peux savourer dignement le nectar sacré et tendre ta coupe à Ganymède. Ne te presse pas, je t'en conjure, de devenir l'hôte du dieu du tonnerre, et toi, Jupiter, si tu es pressé, viens toi-même.

XL. A PRIAPE.

Ce n'est point un jardin ni une vigne féconde qu'il s'agit de garder, Priape, mais ce simple bosquet, qui t'a donné l'être, et qui te le rendrait au besoin ; je te recommande d'en éloigner les voleurs et d'en conserver le bois pour le foyer du maître. S'il venait à lui manquer, songe que toi-même tu es de bois.

XLI. A FAUSTINUS.

Athenagoras est si triste, qu'il a oublié de m'envoyer les présents qu'il a coutume de m'envoyer à la mi-décembre. Je verrai bien, Faustinus, si Athenagoras est triste ; mais, à coup sûr, Athenagoras m'a rendu triste.

XLII. A MATHON.

Si l'appât d'une plus riche sportule ne t'a pas attiré chez quelque heureux du siècle, comme c'est l'usage, tu pourras, Mathon, te baigner cent fois avec le prix de la mienne.

XLIII. CONTRE FABIUS ET CHRESTILLA.

Fabius enterre ses femmes, Chrestilla ses maris ; chacun d'eux secoue la torche funéraire sur le lit nuptial. O Vénus ! mets aux prises ces deux vainqueurs, la même fin les attend, et Libitine les frappera du même coup l'un et l'autre.

XLIV. A TITULLUS.

Titullus, je te le conseille, jouis de la vie ; il est déjà bien tard : quand tu aurais commencé sous la férule, ce serait tard encore. Mais loin de là, malheureux Titullus, tu es vieux, et tu ne vis pas encore. Courtisan assidu, il n'est pas de porte à laquelle tu ne frappes. Dès le matin, inondé de sueur et la face humide des baisers de toute la ville, tu as déjà parcouru les trois forum, que les chevaliers n'y sont pas encore ; sans cesse on te voit rôder autour du temple de Mars et du colosse d'Auguste, aux troisième et cinquième décuries. Prends, amasse, emporte, possède ; il te faudra quitter tout cela. De quelque éclat que brille ton coffre-fort encombré d'écus, quelque chargé que soit ton livre d'échéance, ton héritier jurera que tu ne lui as rien laissé ; et tandis que s'élèvera ton bûcher à force de papyrus, sur le grabat, sur la pierre même où reposera tort corps, l'orgueilleux baisera tes eunuques en pleurs ; et ton fils désolé, que tu le veuilles ou non, couchera dès la première nuit avec ton esclave favori.

XLV. A FLACCUS, SUR LE RETOUR DE PRISCUS TERENTIUS.

Enfin Terentius, revenu des champs qui environnent l'Etna, est rendu à mes voeux : qu'une perle blanche, ô Flaccus, marque ce jour fortuné. Cette amphore qu'après cent consulats les années ont réduite, qu'un tissu de lin, la dégageant de tout limon, lui rende son éclat. Quand passerai-je à table une aussi délicieuse nuit ? Quand ce vin généreux viendra-t-.il aussi à propos chauffer mes sens ? Ce sera, Flaccus, lorsque ton retour de Chypre, où règne Cythérée, m'en fournira l'occasion.

XLVI. AU JEUNE CESTUS.

Que de candeur en toi que de naïveté dans ta charmante figure, jeune Cestus ! toi dont la chasteté l'emporte sur, celle d'Hippolyte même. Diane voudrait t'avoir à sa suite, Doris, nager à tes côtés ; Cybèle trouverait en toi toutes les grâces de son Atys : tu serais digne de succéder à Ganymède dans le lit de Jupiter ; mais ta résistance ne lui laisserait prendre que des baisers. Heureuse l'épouse qui fera le tourment d'un époux si tendre ! Heureuse la vierge qui la première te révélera que tu es un homme ?

LVII. CONTRE UN HOMME QUI SE FAISAIT LA BARBE DE PLUSIEURS MANIÈRES A LA FOIS.

Une partie de ta mâchoire est taillée, une autre rasée, la troisième épilée : qui croirait que tu n'as qu'une tête ?

XLVIII. SUR LE MANTEAU DE CRISPINUS.

Crispinus ne sait à qui il a confié son manteau de pourpre, pendant qu'il faisait sa toilette et mettait sa toge. Quel qu'en soit le détenteur, qu'il rende, on l'en supplie, aux épaules de Crispinus leur parure. Ce n'est pas Crispinus qui réclame, c'est le manteau lui-même. Un vêtement imprégné de pourpre ne va pas à tout le monde : une pareille couleur est faite pour la seule opulence. Si le larcin vous plaît, si vous courez après un gain honteux, pour qu'il vous soit plus facile d'en imposer, prenez la toge.

XLIX. SUR ASPER.

Asper aime une belle femme ; mais il est aveugle. Cela étant, Asper aime plus qu'il ne voit.

L. A CÉSAR DOMITIEN.

Autant est célèbre le festin qui suivit la défaite des Géants, autant fut admirée par tous les habitants de l'Olympe cette nuit où Jupiter, mêlé aux dieux subalternes, permit bonnement aux Faunes de lui demander à boire ; autant a d'éclat, César, le banquet qui fête tes victoires. Notre allégresse réjouit les dieux mêmes. Chevaliers, peuple, sénateurs, tous mangent aujourd'hui avec toi, et Rome savoure avec son maître des mets qui égalent l'ambroisie. Tu avais promis beaucoup ; combien tu donnes davantage ! On annonçait une sportule ; nous avons un festin.

LI. SUR LA FIOLE D'INSTANTIUS RUFUS.

Qui a ciselé cette fiole ? Est-elle l'ouvrage de l'habile Mys ou de Myron ? Dois-je y reconnaître la main de Mentor, ou bien la tienne, Polyclète ? Nulle tache n'en ternit l'éclat, et son métal ne redoute pas l'épreuve du feu. L'ambre pur rayonne d'un jaune moins éclatant que son or, et la ciselure d'argent qui l'embellit efface la blancheur de l'ivoire. L'art ne le cède en rien à la matière : c'est ainsi que la lune embrasse les contours de la terre quand elle brille de toute sa clarté. On y voit un chevreau couvert de la toison du bélier qui emporta le Thébain Phryxus ; monture que la soeur du petit-fils d'Éole eût certes préférée. Le tondeur cinyphien eût respecté ce chevreau ; et toi-même, Bacchus, tu l'eusses laissé brouter ta vigne. Sur le dos de l'animal est assis, les ailes déployées, un Amour d'or, qui tire délicatement du lotus les plus doux sons. Ainsi le dauphin, enchanté de porter le Lesbien Arion, traversa la mer paisible sous son harmonieux fardeau. Cette riche fiole, ce ne sera pas la main du commun de mes esclaves, mais la tienne, Cestus, qui me l'emplira d'un nectar digne de moi. Cestus, l'honneur de ma table, verse du vin de Sétia : l'enfant ailé, le chevreau, semblent demander à boire. Que les lettres formant le nom d'Instantius Rufus fixent le nombre des rasades ; car c'est de lui que j'ai reçu ce précieux cadeau. Si Téléthusa survient, et qu'elle m'apporte le plaisir qu'elle m'a promis, je saluerai ma maîtresse d'autant de rasades qu'il y a de lettres dans le nom Rufus. Si elle tarde, j'irai jusqu'à sept ; si elle me manque de parole, pour étouffer mon chagrin, je boirai les deux noms.

LII. A CEDITIANUS.

Mon jeune barbier, ce garçon plus habile en son art que ne le fut Thalamus, ce barbier de Néron à qui étaient échues toutes les barbes des Drusus, je l'ai prêté un jour à Rufus, qui voulait être rasé par lui. Soumis à la censure du miroir, 1e malheureux enfant fut obligé de revenir tant de fois sur les menus poils, de polir si minutieusement la peau de notre homme, de tailler, de rogner si longtemps, et à tant de reprises, ses cheveux, que la barbe lui avait poussé à lui-même quand il rentra chez moi.

LIII. CONTRE CATULLA.

O la plus belle, mais la plus vile aussi de toutes les créatures qui ont jamais existé ou qui existent aujourd'hui ! Catulla, que je voudrais te voir ou moins belle ou plus chaste !

LIV. A CÉSAR DOMITIEN.

Quelque grande que soit ta munificence, et dût-elle encore s'accroître, ô César ! toi qui vainquis tant de généraux, et sais si bien te vaincre toi-même, le peuple, au lieu de t'aimer à cause de tes bienfaits, aime tes bienfaits à cause de toi.

LV. AU MEME, SUR UN LION

Terribles sont les rugissements qui se font entendre dans les déserts de la Massylie, lorsque des milliers de lions en fureur s'agitent dans la forêt, et que le berger africain, pâle d'effroi, rappelle à l'étable ses taureaux épouvantés et ses brebis défaillantes ; non moins terribles sont les rugissements qui naguère ont retenti dans l'arène de la capitale de l’Ausonie. Qui n'aurait cru entendre une troupe tout entière ? Cependant c'était un seul lion, mais si formidable, que les lions eux-mêmes eussent tremblé devant lui, et que la Numidie aux riches marbres lui eût décerné la couronne. Qu'elle était noble sa tête, et qu'il était imposant son aspect, lorsque les touffes dorées de sa crinière retombaient en se courbant sur son cou ! Quel puissant épieu il a fallu pour percer sa large poitrine ! quelle joie il a dû ressentir d'un aussi honorable trépas ! O Libye ! qui a pu envoyer à tes forêts ce bel et si glorieux hôte ? Venait-il des monts consacrés à Cybèle ? ou plutôt, Germanique, ne serait-ce pas ton frère ou ton père lui-même qui te l'aurait envoyé de l'astre d'Hercule ?

LVI. A FLACCUS.

Quoique le temps passé le cède au nôtre, quoique la puissance de Rome ait encore grandi sous le prince qui la régit, tu t'étonnes que nous n'ayons pas un génie égal à celui du divin Virgile, et qu'il ne se trouve personne pour chanter d'aussi glorieux combats. Viennent des Mécènes, Flaccus; et les Virgiles ne nous manqueront pas : tes campagnes même en produiront. Tityre avait perdu quelques arpents de terre voisins de la pauvre Crémone ; désolé, il pleurait les troupeaux qu'on lui avait ravis. Le chevalier toscan sourit à l'infortuné, écarta l'indigence et lui commanda de fuir aussitôt : "Accepte ces richesses et sois le plus grand des poètes, lui dit-il ; et même je te permets d'aimer mon Alexis.".A souper, ce bel enfant versait à son maître, d'une main aussi blanche que l'albâtre, le noir Falerne, et lui présentait la coupe après l'avoir effleurée de ses lèvres de rose dont l'aspect eût excité les désirs de Jupiter même. La grosse Galatée, Thestylis aux joues rouges et brûlées par le soleil, sortirent de la mémoire du poète étonné ; et soudain l'Italie, les combats, un héros, se révélèrent à cet homme qui, dans son inexpérience, ne savait naguère que pleurer sur un moucheron. Parlerai-je des Varus, des Marsus ? Citerai-je les noms difficiles à compter, tant ils sont nombreux, des poètes que la faveur a enrichis ? Serai-je donc un Virgile, si vous me prodiguez les bienfaits d'un Mécène ? Je ne serai pas un Virgile, mais un Marsus.

LVII. SUR PICENS.

Il restait trois dents à Picens ; un jour qu'il était assis sur son futur tombeau, il les cracha toutes trois, et, recueillant dans un pan de son manteau ces derniers débris de sa bouche dégarnie, il les enfouit au sein de la terre. Plus tard son héritier peut se dispenser de recueillir ses os ; Picens s'est d'avance rendu lui-même cet office.

LVIII. CONTRE ARTÉMIDORE.

En te voyant, Artémidore, porter un surtout aussi gras et aussi épais, je puis bien, à bon droit, t'appeler porte-saie.

LIX. CONTRE UN VOLEUR QUI ÉTAIT BORGNE.

Vous voyez cet homme qui se contente d'un oeil et qui, sous son front déprimé, montre, à la place de l'autre, une cavité chassieuse ? Eh bien ! cet homme, ne le méprisez pas, c'est le plus grand voleur de la terre : Autolycus n'avait pas la main plus subtile. S'il vous arrive de l'avoir pour convive, ne le perdez pas de vue : c'est là qu'il triomphe ; là mon borgne y voit des deux yeux. Les valets ont beau faire, les gobelets et les cuillers y passent, et plus d'une serviette disparaît sous sa robe. Personne ne sait mieux ramasser un manteau qui a glissé des épaules d'un convive, et souvent il se trouve couvert de deux surtouts. Le coquin ne rougit pas de voler à l'esclave endormi sa lampe tout allumée. S'il n'a pu rien attraper, il circonvient d'une façon traîtresse l'esclave préposé à la garde des sandales, et finit par se voler, quoi ? les siennes.

LX. CONTRE CLAUDIA.

Tu égalerais en hauteur le colosse palatin, Claudia, si tu avais un pied et demi de moins.

LXI. A SÉVÈRE, AU SUJET DE CARINUS.

Carinus sèche d'envie, crève de dépit, tempête, pleure et cherche partout des branches assez élevées pour s'y pendre. Ce n'est point parce qu'on me chante et me lit en tous lieux ; ce n'est point parce que mes livres, roulés sur le cèdre et ornés d'ombilics, sont dans les mains de toutes les nations auxquelles Rome commande ; c'est uniquement parce que je possède hors de la ville une campagne pour l'été, et que je m'y fais conduire par des mules qui ne sont plus de louage comme celles dont je me servais jadis. O Sévère ! quel mal souhaiterai-je à cet envieux ? Eh bien ! je lui souhaite qu'il ait aussi des mules et une maison aux portes de la ville.

LXII. SUR PICENS.

Picens écrit des épigrammes sur le revers de ses pages, et il se plaint qu'elles soient à l'envers du bon sens.

LXIII. SUR AULUS.

Aulus aime Thestyle ; il ne brûle pas moins pour Alexis ; peut-être aime-t-il aussi mon Hyacinthe. Doutez-vous qu'il n'aime les poètes, ce bon Aulus, puisqu'il aime autant ce qui les charme.

LXIV. CONTRE CLYTUS.

Pour demander, pour exiger quelque cadeau, tu nais, Clytus, jusqu'à huit fois par an ; il n'y a guère, je crois, que trois ou quatre calendes qui ne ramènent pas l'anniversaire de ta naissance. Quoique ton visage soit plus lisse que les cailloux qui brillent sur le rivage, polis par la vague ; quoique ta chevelure soit plus noire que la mûre près de tomber ; quoique tu l'emportes en délicatesse moelleuse sur le duvet ou sur le lait fraîchement caillé ; et quoique ton sein rebondi ait tous les attraits du sein vierge qu'une jeune fille réserve à son époux ; Clytus, tu ne m'en sembles pas moins vieux. Qui croira, en effet, que Priam et Nestor aient jamais vu autant de fois revenir leur jour natal ? Aie donc à la fin un peu de pudeur, et fais trêve à tes extorsions ; car si tu continues à te moquer ainsi de nous, et qu'il te plaise de naître plusieurs fois chaque année, je finirai par croire, Clytus, que tu n'es pas né une seule fois.

LXV. A DOMITIEN.

Au même lieu où brille aujourd'hui avec tant d'éclat un temple élevé au Retour de la Fortune, était jadis une place fortunée : c'est là que s'arrêta César quand il revint du Nord, beau de la poussière du champ de bataille, et le visage rayonnant de gloire ; c'est là que, vêtue de blanc et le front ceint de lauriers, Rome salua son maître de la main et de la voix. La haute importance de ce lieu est attestée par d'autres hommages encore. Voyez cet arc triomphal consacré aux victoires remportées sur nos ennemis ; voyez ces deux chars auxquels sont attelés plusieurs éléphants ; la statue d'or du prince guide cet immense attelage. Cette porte, ô Germanique, est digne de tes triomphes. C'est une entrée comme il en fallait une à la ville de Mars.

LXVI. SUR LE CONSULAT DE SILIUS.

Muses, au nom de notre cher Silius, offrez de l'encens et des victimes à notre auguste maître ! Par son ordre, les faisceaux viennent retrouver Silius, dont le fils est consul ; et la maison du poète, cette maison chérie des Muses, retentit de nouveau des coups de la noble verge. O César ! ô toi, notre premier, notre unique appui ! un désir reste encore à Silius, au milieu de tant de bonheur, celui de voir un troisième consul dans sa famille. Quoique Janus pacifique ait trois fois enregistré les noms de Pompée et d'Agrippa, qui reçurent cet honneur suprême, l'un du sénat, l'autre de son beau-père, Silius aime mieux compter ainsi ses consulats dans la personne de ses fils.

LXVII. CONTRE CECILIANUS.

Ton esclave ne t'a pas encore annoncé la cinquième heure, et déjà tu arrives pour dîner avec moi, Cécilianus. A peine la voix enrouée de la justice a-t-elle congédié les plaideurs ; dans l'arène des jeux Floraux bondissent encore les animaux. Vite, Calliste, cours, et appelle les esclaves avant qu'ils se soient baignés ; qu'on dresse les lits ; prends séance, Cécilianus. Tu demandes de l'eau chaude ; l'eau froide n'est pas seulement arrivée ; la cuisine est fermée ; pas un brin de bois au foyer pour la réchauffer. Que n'es-tu venu dès le matin ? pourquoi avoir attendu jusqu'à la cinquième heure ? Tu es venu trop tard, Cécilianus, pour déjeuner.

LXVIII. - A ENTELLUS.

Celui qui a vu les vergers du roi de Corcyre leur préférerait, Entellus, ta maison de campagne. Pour que tes raisins ne soient point brûlés par les frimas jaloux, pour que le froid et ses glaces ne détruisent pas les dons de Bacchus, les grappes y sont abritées sous une pierre transparente, et le fruit est à couvert, sans être pour cela caché aux regards. Ainsi le corps d'une femme brille à travers le tissu de soie, ainsi les cailloux peuvent être comptés au fond d'une eau limpide. Que ne permet pas la nature au génie ? L'hiver, malgré sa stérilité, est contraint de donner les produits de l'automne.

LXIX. CONTRE VACERRA.

Tu n'as d'admiration, Vacerra, que pour les anciens, et d'éloges que pour les poètes morts. Je t'en demande bien pardon, Vacerra, mais l'avantage de te plaire n'est pas si grand, qu'on veuille l'acheter au prix de la mort.

LXX. SUR NERVA.

Autant le paisible Nerva fait peu de bruit, autant il en pourrait faire par son éloquence ; mais la timidité paralyse ses forces et son génie. Lui qui pourrait s'abreuver à longs traits de l'onde sacrée du Permesse, il a préféré n'y porter que les lèvres. Content de ceindre son front, cher aux Piérides, de la plus chétive couronne, il ferme ses voiles au vent de la renommée. Cependant il suffit d'avoir lu les vers du docte Néron, pour savoir que Nerva est le Tibulle de notre âge.

LXXI. CONTRE POSTUMIANUS.

Il y a dix ans, Postumianus, que tu m'envoyas, au mois de décembre, quatre livres d'argent. L'année suivante, malgré mon espoir d'être mieux traité (car les présents doivent en rester au même point ou augmenter) je reçus deux livres, plus ou moins. La troisième et la quatrième, ce fut pis encore ; à la cinquième j'étais réduit à la livre Septitienne. Mais voilà qui est mieux : pour la sixième année, il fallut me contenter d'une écuelle de huit onces ; la septième me valut une demi-livre juste d'argent dans une hémine. Pour la huitième il me vint une ligule de moins de deux onces ; pour la neuvième enfin j'ai reçu fine cuiller ayant tout au plus le poids d'une aiguille. Je ne vois pas ce que tu pourrais m'envoyer pour la dixième année, Postumianus ; reviens-en donc aux quatre livres.

LXXII . A SON LIVRE.

La pourpre n'a pas encore décoré tes pages, la rude morsure de la pierre ponce ne t'a pas encore donné le poli, cher petit livre ; et déjà tu t'empresses de suivre Artanus, quand la belle Narbonne, patrie du docte Votienus, le rappelle à ses devoirs de juge et aux faisceaux annuels. Il est deux choses que tu dois désirer avec une égale ardeur : un séjour comme Narbonne et un ami comme Artanus. O mon livre, que je voudrais être à ta place !

LXXIII. A INSTANTIUS.

Instantius, toi dont la sincérité est sans égale, dont la candeur naïve ne peut être surpassée, si tu veux donner de l'énergie et de l'âme à ma Muse ; si tu veux des chefs-d'oeuvre, fais que je puisse être amoureux : Voluptueux Properce, Cynthie te rendit poète ; la belle. Lycoris inspira Gallus ; c'est à la belle Némésis que le mélodieux Tibulle doit sa renommée ; et toi, docte Catulle, n'est-ce pas Lesbie qui t'a dicté tes vers ? Et moi aussi, Pelignis et Mantoue me reconnaîtront poète, le jour où j'aurai trouvé une Corinne ou un Alexis.

LXXIV. CONTRE UN MAUVAIS MÉDECIN.

Oculiste naguère, te voilà gladiateur : tu fais, étant gladiateur, ce que tu fis oculiste.

LXXV. SUR UN GAULOIS DE LANGRES.

Un Langrois nouvellement débarqué, en regagnant fort tard dans la nuit, par les rues Tecta et Flaminia, les pénates qu'il avait loués, se démit le talon en se heurtant le pied, et tomba tout de son long par terre. Que faire ? comment se relever ? c'était un colosse, et le petit esclave qui le suivait, le seul qu'il possédât, était tellement chétif, qu'il pouvait à peine porter le léger manteau de son maître. Le hasard vint le secourir et l'aider dans son malheur. Quatre porteurs funéraires vinrent à passer, chargés d'un de ces misérables cadavres comme le bûcher des pauvres en reçoit par milliers ; le faible compagnon du Gaulois les supplie d'un ton piteux de se débarrasser comme ils pourront de leur mort ; aussitôt l'échange se fait : ils placent avec effort l'énorme et lourde masse sur leur étroite civière. Celui-là, Lucanus, me parait être le seul auquel on puisse appliquer avec raison le titre de Gaulois mort.

LXXVI. CONTRE GALLICUS.

Dis-moi, Marcus, dis-moi, de grâce, la vérité ; je n'aurai pas de plus grand plaisir que de l'entendre : telle est la prière dont tu m'étourdis, Gallicus, toutes les fois que tu lis tes ouvrages ou que tu plaides au barreau pour quelque client. Il est dur pour moi de te refuser ce que tu me demandes : mais veux-tu que je te dise la plus vraie de toutes les vérités ? c'est, Gallicus, que tu n'aimes pas à entendre la vérité.

LXXVII. A SON AMI LIBER.

Liber, objet de la tendre sollicitude de tes amis, toi qui mériterais de vivre dans d'éternelles délices ; si tu veux faire sagement, continue de parfumer la brillante chevelure avec l'amome d'Assyrie, de ceindre ton front de guirlandes de fleurs. Qu'un vieux Falerne noircisse le cristal transparent de ta coupe, et que ton lit s'échauffe aux douces caresses de l'amour. Quand on a ainsi vécu, fût-on arrêté au milieu de sa carrière, on a vécu plus longtemps que la nature ne nous a donné de vivre.

LXXVIII. SUR LES JEUX DE STELLA.

Les jeux que le vainqueur des géants eut voulu qu'on célébrât pour lui-même, ces jeux que l'Inde eût voulu offrir à Bacchus après sa conquête, Stella nous les a donnés à l'occasion des victoires remportées sur le Nord. O comble de la modestie ! ô noble dévouement ! Stella croit avoir fait trop peu. Ni l'or que l'Hermus roule dans ses flots troublés, ni celui que le Tage entraîne avec bruit à travers les campagnes de l'Hespérie, ne suffisent à sa générosité. Chaque jour amène de nouveaux dons ; ses libéralités n'ont point de terme ; point de trésors qui soient refusés à l'avidité du peuple. Tantôt une pluie subite de pièces de monnaie vient exciter sa joie ; tantôt de larges jetons lui donnent droit à des animaux qu'il a vus dans l'arène ; tantôt enfin des oiseaux, n'ayant pas figuré dans les jeux, viennent avec joie chercher un refuge dans le sein du maître que le hasard leur procure, ce qui les empêche d'être mis en pièces. Compterai-je les chars ? rappellerai-je les trente prix décernés aux vainqueurs, et que les deux consuls ne distribuent que rarement ? Mais, César, ce qui met le comble à la gloire de cette journée, c'est que tu sois toi-même témoin de ton triomphe.

LXXIX. CONTRE FABULLA.

Tu n'as pour amies que des vieilles femmes ou des laides plus horribles encore que les vieilles. Toujours en leur compagnie, tu les traînes avec toi aux festins, sous les portiques, au théâtre. C'est ainsi que tu parais belle, Fabulla ; c'est ainsi que tu parais jeune.

LXXX. A DOMITIEN.

Tu nous rends, César, les merveilles de tes augustes aïeux ; tu ne laisses pas périr la gloire des siècles passés. Les spectacles du vieux Latium reparaissent dans l'amphithéâtre, et le courage y combat avec des armes moins dangereuses. Sous tes auspices aussi, nos temples ont recouvré leur splendeur première, et, grâce aux hommages rendus à Jupiter, la sacrée cabane est aujourd'hui le séjour d'un dieu. C'est ainsi, grand prince, qu'en élevant de nouveaux temples, tu restaures les anciens, et que tu nous fais jouir à la fois du présent et du passé.

LXXXI. SUR GELLIA.

Ce n'est point par les saints mystères de la déesse de Dindyme, ce n'est point par le boeuf cher à la génisse des bords du Nil, ce n'est point par aucun de nos dieux ou déesses que jure Gellia, mais par ses bijoux. Elle les caresse, elle les baise, elle les appelle ses frères, ses soeurs, elle les aime plus ardemment que ses deux enfants. Elle affirme que si, par quelque accident, elle avait le malheur de les perdre, elle ne leur survivrait pas d'une heure. Ah ! Papirianus, le beau coup à faire pour la main subtile d'Annéus Serenus !

LXXXII. A DOMITIEN.

Que la foule te présente de plaintives requêtes ; nous qui n'offrons à notre maître que de petits vers, nous savons que sa divinité peut s'occuper à la fois des affaires et des Muses ; nous savons aussi, grand prince, que les couronnes du poète ne sont pas sans prix à tes yeux. César, sois notre appui ; nous sommes ta plus douce gloire, le premier objet de ta sollicitude, tes délices les plus chères. Le chêne et le laurier d'Apollon ne conviennent pas seuls à ton front ; de notre lierre nous devons te tresser une couronne civique.

LIVRE IX

I. - A AVITUS

Poète aux sublimes inspirations, qui vainement t'efforces de rester inconnu, à qui l'on rendra, tardivement justice après le trépas, Avitus, inscris cette courte épigramme sous mon portrait placé par toi en si illustre compagnie : "Mon mérite égale celui de tout autre dans le genre frivole ; tu peux bien ne pas m'admirer, lecteur ; mais tu m'aimes, j'en suis persuadé. Que de plus grands génies s'élèvent à de plus nobles chants ; moi qui n'ai su parler qu'un humble langage, il me suffit de me voir revenir souvent dans vos mains."  

MARTIAL A SON CHER TURANIUS

Turanius, mon très cher frère, salut. L'épigramme détachée des pages de ce livre a été adressée à l'illustre Stertinius, qui a voulu placer mon portrait dans sa bibliothèque. J'ai cru devoir t'en avertir, afin que tu saches qui j'ai désigné sous le nom d'Avitus. Adieu ; prépare-toi à me recevoir.

II. - SUR LE TEMPLE DE LA MAISON FLAVIENNE

Tant que Janus donnera son nom aux hivers, Domitien aux automnes, Auguste aux étés ; tant qu'au grand jour des calendes germaniques se rattachera le souvenir éclatant de la conquête du Rhin ; tant que subsistera sur la roche Tarpéienne le temple du souverain des dieux ; tant que nos riches matrones imploreront la divinité bienfaisante de Julia et lui offriront leur encens ; la gloire de la maison Flavienne continuera de briller à l'égal du soleil, des astres et de la splendeur romaine. Tout monument élevé par un bras invincible est le ciel même.

III. - CONTRE LUPUS

Si tu es pauvre avec tes amis, Lupus, tu ne l'es point pour ta maîtresse, et ta mentule, du moins, n'a pas à se plaindre de toi. On voit cette impudique créature s'engraisser d'un pain délicat, servi sous la forme du bijou féminin, tandis qu'un pain noir est l'aliment de tes convives. Pour elle, coule le vin de Setia, chaud à brûler la neige; et nous, il nous faut boire le liquide trouble et empoisonné que le Corse verse dans ses tonneaux. L'héritage de tes pères ne suffit pas pour payer une de tes nuits, encore pas tout entière, et ton ami abandonné laboure des terres qui ne sont pas les siennes. Ta concubine est tout étincelante de pierreries arrachées à l'Érythrée ; et, pendant que tu la caresses, on conduit ton client en prison. Il ne te coûte pas de donner à cette belle une litière traînée par huit esclaves, et le corps de ton ami sera jeté nu dans une bière. Va maintenant, Cybèle, châtrer de misérables débauchés ; voilà une mentule qui mérite bien autrement que ton couteau s'exerce sur elle.

IV. - A DOMITIEN

Si tu venais à redemander, César, tout ce que te doivent le ciel et les dieux, si tu te présentais en créancier ; quel que fût le montant des enchères dans l'Olympe, les dieux fussent-ils obligés de vendre tout ce qu'ils ont ; Atlas ferait banqueroute, et le maître des dieux serait à peine en état de te donner douze pour cent. Le moyen en effet de te payer le temple du Capitole et les jeux du mont Tarpéien ? Le moyen pour l'épouse du maître du tonnerre de te rendre le prix de ses deux temples ? Je ne dis rien de Pallas : tes intérêts sont les siens. Parlerai-je d'Alcide, de Phébus et des enfants de la Laconie si chers l'un à l'autre ? Citerai-je le temple des Flaviens dont s'est enrichi l'Olympe latin ? Il faut, Auguste, te résigner à attendre et à patienter ; car les coffres de Jupiter ne sont pas assez riches pour te payer.

V. - CONTRE ESCHYLUS

Lorsqu'on peut baiser Galla pour deux pièces d'or et lui faire mieux encore en doublant la somme pourquoi, Eschylus ; lui donnes-tu dix pièces d'or ? Elle ne prend pas si cher, même pour prêter sa bouche : que fait-elle donc? elle est discrète.

VI. - CONTRE PAULLA

Tu veux épouser Priscus ; je ne m'en étonne pas, Paulla : c'est fort sage à toi. Priscus ne veut pas t'épouser ; c'est fort sage à lui.

VII. - A DOMITIEN

Illustre vainqueur du Rhin, père suprême de l'univers, prince aux pudiques vertus, les villes éclatent en actions de grâces : désormais elles auront des habitants ; on enfantera sans crime. Le jeune garçon, que mutilait l'art infâme d'un avide courtier, n'aura plus à gémir sur la perte de sa virilité. On ne voit plus la mère indigente vendre au vil entremetteur son enfant voué à la prostitution. La pudeur, qui avant toi n'existait plus même au lit conjugal, a commencé, par tes soins, à pénétrer jusque dans les mauvais lieux. 

VIII - CONTRE AFER

Voilà cinq jours, Afer, depuis ton retour de Libye, que je cherche à te dire bonjour, et cinq fois on m'a répondu : "il est en affaire, ou il dort." C'en est trop, Afer : tu ne veux pas que je te dise bonjour, eh bien ! bonsoir !

IX. - A DOMITIEN

Comme si c'était une légère offense pour notre sexe de livrer nos enfants mâles à la lubricité du premier venu, le berceau était passé dans le domaine des trafiquants de débauche, et l'enfant, arraché du sein de sa mère, semblait par ses vagissements réclamer le prix de sa souillure. Des corps à peine formés subissaient un abominable supplice. Le père de l'Ausonie n'a pu supporter de pareilles monstruosités ; il a tendu naguère une main secourable à la faible adolescence, et n'a plus permis qu'un libertinage barbare condamnât l'âge viril à la stérilité. Chéri déjà des adultes, des jeunes gens et des vieillards, maintenant, César, c'est aux enfants à t'aimer.

X. - A BITHYNICUS

Fabius, à qui tu donnais annuellement six mille sesterces, si je m'en souviens bien, ne t'a rien légué, Bithynicus. Garde-toi de t'en plaindre : il n'a laissé à personne plus qu'à toi ; ce sont six mille sesterces de rente qu'il t'a légués.

XI. - CONTRE CANTHARUS

Quoique soupant volontiers chez autrui, tu déblatères, tu médis, tu menaces, Cantharus. Crois-moi, fais trêve à ces fureurs : on ne peut être à la fois libre et gourmand.

XII. - SUR L'EARINUS DE DOMITIEN

O nom qui pris naissance parmi les violettes et les roses, nom qui est celui de la plus belle saison de l'année, qui respires les parfums de l'Hybla et des fleurs de l'Attique, qui exhale l'odeur du nid où repose le roi des airs; nom plus doux que le nectar des dieux, qui ferais envie à l'enfant chéri de Cybèle et à celui qui remplit la coupe du maître du tonnerre ; nom auquel répondent Vénus et l'Amour, quand il vient à retentir dans le palais impérial ; nom plein de noblesses, de suavité et de délicatesse; je voulais te faire entrer dans un vers élégant, mais une syllabe rebelle s'y oppose. Il est des poètes qui disent Earinon ; mais ce sont des Grecs, à qui tout est permis et qui peuvent scander ces mots Ares, Ares, comme ils veulent. Quant à nous, nos Muses sont plus sévères, et nous ne pouvons prendre de telles licences.

 XIII. - SUR LE MÊME

On m'appellerait Oporinus, si l'automne m'eût donné mon nom ; Chimerinus, si je l'eusse reçu de l'hiver rigoureux ; Therinus, si l'été en eût fait les frais : comment désigne-t-on celui qui doit son nom au printemps ?  

XIV. - SUR LE MÊME

Tu portes un nom qui désigne l'aimable saison de l'année, ce printemps, si court pendant lequel les abeilles de l'Attique butinent les fleurs ; un nom digne d'être écrit avec une flèche de l'amour, et que Vénus se plaît à tracer avec son aiguille ; un nom qui mériterait d'être figuré avec des perles de l'Érythrée, avec la précieuse pierre que broie la main des Héliades ; un nom fait pour être dessiné dans les cieux par les ailes de la grue ; un nom enfin qui seul est digne du palais de César.

XV. - CONTRE UN COUREUR DE SOUPERS

Cet homme que tes soupers, que ta table, ont rendu ton ami, le crois-tu un modèle de solide amitié ? Ce qu'il aime, c'est le sanglier, le surmulet, les tétines de truie, les huitres, et non pas toi. Si l'on soupait aussi bien chez moi, il serait mon ami. 

XVI. - SUR CHLOÉ

Sur chacun des tombeaux, des sept maris qu'elle a enterrés, la fameuse Chloé a écrit que ces tombeaux étaient son ouvrage : peut-on, être plus naïf ?

XVII. - SUR LA CHEVELURE D'EARINUS

Ce miroir, conseiller de la beauté, cette soyeuse chevelure, ont été consacrés au dieu de Pergame par cet enfant, le plus gracieux ornement de la cour de son maître, et dont le nom désigne la saison du printemps. Heureuse la contrée qui est jugée digne d'un pareil présent ! Les cheveux de Ganymède ne lui seraient pas plus chers.

XVIII. - A ESCULAPE SUR CETTE MÊME CHEVELURE

Vénérable petit-fils de Latone; toi qui, par des plantes salutaires désarmes les Parques et suspends le cours rapide de leurs fuseaux ; du sein de la capitale de l’Éatium, un de tes enfants t'envoie en hommage ses cheveux admirés de son maître. A cette offrande il a joint ce miroir brillant qui reproduisait fidèlement les grâces de son visage. Conserve-lui, en retour, le charme de la jeunesse, afin qu'avec ses cheveux courts il ne soit pas moins beau qu'avec sa longue chevelure.

XIX. - A CÉSAR DOMITIEN

Je possède, César, un petit bien de campagne ; puissé-je le posséder longtemps sous ton règne ! et j'ai de plus une maisonnette à la ville. Mais c'est à grand-peine qu'une pompe recourbée apporte à mon jardin altéré l'eau d'une étroite vallée ; et ma maison à sec gémit de ne pas jouir de la moindre rosée, lorsque tout près se fait entendre le murmure de la fontaine Martia. Auguste, l'eau dont, tu auras gratifié mes pénates deviendra pour moi l'eau de Castalie ou la pluie de Jupiter.

XX. - CONTRE SABELLUS

Tu as consacré, Sabellus, trois cents vers à l'éloge des bains de Ponticus chez qui l'on soupe si bien. Ce que tu convoites, Sabellus, ce n'est pas un bain, mais un souper.

XXI. - A DOMITIEN

Ce temple ouvert à tout le monde, ce temple partout revêtu de marbre et d'or, repose sur un sol témoin de l'enfance du maître de l'empire. Heureux le sol qui entendit ses nobles vagissements, qui soutint et vit se traîner ses mains enfantines ! Là s'élevait cette maison digne de tant de respects, qui eut la gloire de donner à la terre ce que Rhodes et la pieuse Crète ont donné aux cieux. Les Curètes protégèrent du bruit de leurs armes la naissance de Jupiter, si tant est que ce fussent des armes que portaient ces Phrygiens mutilés. Mais toi, César, c'est le père des dieux lui-même qui t'a protégé ; au lieu du javelot et du bouclier, c'est la foudre et l'égide qui te défendaient.

XXII. - A AUCTUS

Artémidore possède un jeune esclave, mais il a vendu sa terre. En échange de son jeune esclave, Calliodore possède une terre. Lequel des deux, Auctus, a fait la meilleure affaire ? Artémidore est pour l'amour; Calliodore pour le labour.

XXIII. - A PASTOR

Tu te figures peut-être, Pastor, que je désire la richesse pour des motifs semblables à ceux qui animent le vulgaire et la foule aux grossiers appétits ; que je voudrais user mes hoyaux sur le sol de Setia, entendre une légion d'esclaves traîner ses fers sur les champs de la Toscane, voir chez moi cent tables de Mauritanie avec des supports d'ivoire libyen, et posséder des lits surchargés de brillantes lames d'or ; que j'aimerais à ne presser sous mes lèvres que de grands vases de cristal, à teindre la neige avec mon noir Falerne, à faire suer le Syrien, vêtu de laine de Canuse, sous le poids de mes brancards, à faire escorter ma litière d'une multitude de clients de bonne maison, à exciter mes convives pris de vin par la vue d'un jeune esclave que je ne changerais pas même pour Ganymède, à exposer mes vêtements de pourpre aux éclaboussures d'une mule crottée, enfin à conduire avec la baguette un coursier venu de la Massylie. Rien de tout cela, j'en atteste le ciel et les dieux. Que prétends-tu donc ? Donner, mon cher Pastor, et bâtir.

XXIV. - A CABUS

O toi sur la tête duquel on a vu briller l'or virginal, dis-moi, Carus, ce que tu as fais de ce don glorieux de Pallas ? - Tu vois cette image de marbre, où resplendissent les traits du maître de l'empire ; eh bien ! ma couronne est allée d'elle-même se placer sur son front. Le chêne sacré peut désormais porter envie à l'olivier du mont Alban, puisque celui-ci a eu l'honneur de ceindre le premier le front invincible de César.

XXV. - AU MÊME

Quel est l'artiste qui, en reproduisant les traits de César, a vaincu par le marbre du Latium l'ivoire de Phidias ? Tels sont les traits, tel est le visage de Jupiter dans sa majestueuse sérénité. Tel est ce dieu, lorsque dans un ciel pur il fait gronder son tonnerre. Non seulement, Carus, Pallas t'a donné la couronne ; mais tu lui dois aussi l'image du maître que tu révères.

XXVI. - CONTRE AFER

S'il m'arrive de regarder ton Hyllus quand il me verse à boire, tu me lances aussitôt, Afer, un coup d'œil inquiet. Est-ce un crime, je te le demande, est-ce un crime de regarder cet aimable serviteur ? On regarde bien le soleil, les astres, les temples et les dieux. Détournerai-je la tête, me cacherai-je les yeux et le visage, comme si c'était la Gorgone qui me tendît la coupe ? Alcide était d'humeur farouche, mais il souffrait qu'on regardât Hylas.  Mercure n'a-t-il pas la permission de jouer avec Ganymède ? Si tu ne veux pas, Afer, que tes convives regardent tes esclaves ; n'invite chez toi que des Phinées et des OEdipes.

XXVII. -SUR NERVA

Autant vaudrait, Cosmus, te donner en présent le pâle glaucium, que d'oser adresser des vers à l'éloquent Nerva ; autant vaudrait porter des violettes et de blancs troènes à l'habitant des champs de Paestum, du miel de la Corse aux abeilles de l'Hybla. Cependant il n'est pas de pauvre petite muse qui n'ait des grâces à elle ; l'humble olive est recherchée même après le loup marin. Ne sois pas surpris, Nerva, que ma muse, à qui son insuffisance n'est que trop connue, appréhende ton jugement. On dit que Néron lui-même redoutait ton oreille, lorsque, dans sa jeunesse, il te lisait ses œuvres badines.

XXVIII. - CONTRE CHRESTUS

Chrestus, avec tes testicules épilés, ta mentule pareille au cou, d'un vautour, ta tête plus lisse que le derrière d'un mignon, tes jambes dénuées de poils, tes lèvres sur lesquelles tu promènes sans cesse la pince, tu oses copier le langage des Curius, des Camille, des Quinctius, des Numa, des Ancus, et de tout ce que nous connaissons de personnages à grandes barbes ; tu éclates en gros mots menaçants ; tu fais la guerre aux théâtres et au siècle. S'il se présente alors quelque jeune impudique, fier d'avoir échappé à son pédagogue, et dont la turbulente mentule ait été récemment débouclée, vite tu lui fais signe ; et j'ai honte de dire, Chrestus, ce que fait alors ta langue de Caton.

XXIX. - ÉPITAPHE DE LATINUS

Je suis ce Latinus, l'honneur de la scène, la gloire des jeux publics, que vous avez tant aimé et applaudi ; ce Latinus que Caton eût voulu voir, en présence duquel se fût déridée la gravité des Curius et des Fabricius. Ma vie ne s'est point ressentie des habitudes du théâtre, et, je n'appartins à la scène que par mon art. Sans mœurs, je n'aurais pu plaire à notre maître ; c'est un dieu dont l'œil voit jusqu'au fond des consciences. Peu m'importe qu'on m'appelle le parasite d'Apollon, pourvu que Rome sache que je suis le serviteur de son Jupiter.

XXX. - ÉPITAPHE DE PHILÉNIS

Après avoir vécu des siècles comme Nestor, te voilà donc, Philénis, transportée  sur les rives du royaume infernal ? Tu ne comptais pas encore autant d'années que la Sibylle de Cumes, car elle est morte plus vieille que toi de trois mois. Ah ! quelle langue est réduite au silence ! Moins bruyantes sont mille de ces cages où l'on expose en vente les esclaves, moins bruyante la foule des adorateurs de Sérapis, la troupe d'écoliers aux cheveux frisés qui courent, dès le matin chez leur maître, moins assourdissants les cris qu'une troupe de grues fait retentir sur les rives du Strymon. Qui évoquera maintenant la lune à l'aide du rhombe thessalien ? Quelle entremetteuse saura aussi bien négocier les rencontres amoureuses ? Que la terre te soit légère, qu'une mince couche de sable recouvre ton corps, pour que les chiens puisent déterrer tes os.

XXXI. - SUR LA PIÉTÉ CONJUGALE DE NIGRINA

Antistius a péri sur les rives inhospitalières de la Cappadoce : ô terre souillée d'un crime déplorable ! Nigrina, rapportant dans les plis de sa robe les restes de son époux chéri, se plaignait de n'avoir pas plus de chemin à faire ; et lorsque ta tombe, à laquelle elle porte envie, a reçu l'urne sacrée, il lui sembla qu'elle perdait une seconde fois son mari.

XXXII. - SUR LE VOEU DE VELIUS

A l'époque où Velius accompagnait César dans son expédition contre le Nord, pour assurer la victoire à son maître, il fit vœu de sacrifier à Mars cet oiseau. La lune n'avait pas encore parcouru huit fois sa carrière, que le dieu réclamait l'accomplissement de ce vœu. Soudain l'oie s'empressa de voler vers l'autel, et, modeste victime, tomba sur le brasier sacré. Vous voyez ces huit pièces d'argent suspendues à son bec entr'ouvert ! Elles étaient auparavant cachées dans ses entrailles. Une victime qui prodigue pour toi l'argent au lieu de son sang, nous fait voir, ô César, que le fer aujourd'hui ne nous est plus nécessaire. 

XXXIII. - UNE MAÎTRESSE COMME IL M'EN FAUT UNE

Je veux une maîtresse facile, de celles qui courent avec le palliolum ; une maîtresse qui ait été mise à l'épreuve par mon jeune esclave ; une maîtresse qu'on ait tout entière pour deux deniers ; une maîtresse enfin qui suffise seule à trois galants à la fois. La beauté qui demande de l'or et qui fait de belles phrases, je l'abandonne à la mentule de l'épais Burdigalus.

XXXIV. - A FLACCUS

Quand tu entendras, Flaccus, des applaudissements dans un bain, sois sûr que la mentule de Morion se trouve là.

XXXV. - SUR LE TEMPLE DE LA FAMILLE FLAVIENNE

Jupiter ne put s'empêcher de rire du tombeau mensonger qui lui fut élevé sur l'Ida, quand il aperçut le temple dédié par César à la famille Flavia. Bientôt après, au milieu des épanchements de table, comme il passait à son fils Mars sa coupe, qu'il avait maintes fois vidée : Vous, dit-il en regardant Phébus et sa chaste sœur, qui étaient en compagnie d'Alcide et du fidèle Mercure, vous, qui m'avez élevé ce monument en Crète, voyez combien il y a plus de profit à être le père de César.

XXXVI. - CONTRE PHILOMUSUS

Tu as un sûr moyen de te faire inviter à souper, Philomusus, c'est d'inventer force nouvelles et de les débiter comme vraies. Tu sais ce qu'a décidé, dans son conseil, le roi des Parthes, Pacorus ; tu sais le compte de l'armée du Rhin et de celle de la Sarmatie ; tu es au fait des ordres qu'a transmis par écrit le chef des Daces ; le laurier de la victoire n'est pas encore aux mains du général, que déjà tu l'as vu ; le ciel d'Égypte ne verse pas une fois ses eaux sur les noirs peuples de Syène, que tu n'en sois informé ; le nombre des vaisseaux sortis des ports de la Libye ne t'est jamais inconnu ; tu sais d'avance quelle tête César couronnera de l'olivier, et à quel vainqueur le père des dieux destine la guirlande triomphale. Épargne-toi ces inventions, Philomusus : tu souperas aujourd'hui chez moi, à condition que tu ne me contes pas de nouvelles.

XXXVII. - ENTRETIEN DE JUPITER ET DE GANYMÈDE AU SUJET D'EARINUS ET DES AUTRES MIGNONS DE DOMITIEN

Quand il vit le jeune enfant, gloire de l'Ausonie, déposer naguère sa chevelure, le mignon phrygien, connu pour faire les délices de l'autre Jupiter, dit à son maître : "Souverain du monde, permets à ton esclave adolescent de faire ce que César vient de permettre au sien. Déjà le premier duvet dont se couvre mon menton se cache sous mes longs cheveux, et Junon, pour se moquer de moi, m'appelle un homme. " - "Enfant chéri, lui réplique le père des dieux, ce n'est pas moi, mais la force des choses même, qui s'oppose à tes vœux. Notre bien-aimé César a mille serviteurs comme toi, et c'est à grand-peine que son vaste palais contient cette troupe céleste ; mais si le sacrifice de ta chevelure te donne l'air d'un homme, quel autre me versera le nectar ?"  

XXXVIII. - CONTRE GALLA

Pendant que tu es chez toi, Galla, on s'occupe de ta parure dans la rue Suburra, où l'on est en train de friser les cheveux qui suppléent à ceux que tu n'as plus ; tu ôtes chaque soir tes dents comme ta robe ; tes attraits reposent dans cent boites diverses, et ton visage ne couche pas avec, toi ;  tu t'avises pourtant de m'agacer avec le sourcil qu'on t'apporte le matin ; et tu oses montrer sans rougir ces secrets appas que les années ont blanchis, et que tu peux déjà compter au nombre de tes aïeux. Quoi qu'il en soit, tu me promets monts et merveilles ; mais ma mentule fait la sourde oreille ; et, toute borgne qu'elle est, elle te voit.

XXXIX. - A AGATHINUS

Agile Agathinus, quoique tu fasses un jeu des tours de force les plus difficiles, tu ne saurais pourtant laisser tomber ce bouclier. Il te suit malgré toi, et, à travers les airs, revient sans cesse se replacer ou sur ton pied, ou sur ton dos, ou sur tes fesses, ou sur ton doigt. En vain une pluie de safran a-t-elle rendu la scène glissante, en vain l'impétuosité du vent emporte-t-elle les toiles qui résistent, le bouclier se promène sur tes membres qui le reçoivent sans s'émouvoir, et ni le vent ni la pluie ne te font obstacle. Quelques efforts que tu fisses pour faillir, tu n'y parviendrais pas ; si tu laissais tomber ton bouclier, ce ne serait que par un tour d'adresse.

XL. - SUR LE JOUR DE NAISSANCE DE CÉSONIA

Ce jour est le premier qui se leva pour le dieu tonnant du mont Palatin, et Cybèle eût désiré qu'il fût jadis témoin de la naissance de Jupiter. C'est à la même époque que naquit, pour mon bien-aimé Rufus, la vertueuse Césonia. Il n'est pas de jeune fille qui doive plus à sa mère. Son mari se réjouit en pensant que, doublement favorisé dans l'accomplissement de ses vœux, il a deux motifs pour aimer ce jour. 

XLI. - SUR DIODORE ET SUR LE VOEU DE PHILÉNIS SON ÉPOUSE

Diodore, ayant quitté Pharos pour venir recevoir à Rome la couronne de chêne, Philénis fit vœu, pour le retour de son époux, de se faire lécher par une jeune fille bien innocente, telle que les aiment les chastes Sabines. Une affreuse tempête ayant mis son vaisseau en pièces, Diodore, submergé et presque englouti par les flots, se sauva pourtant à la nage, grâce à ce vœu. O mari trop lent et trop paresseux ! Si ma belle eût prononcé, du rivage, un pareil vœu, comme je me serais hâté de revenir !

XLII. - CONTRE PONTICUS

Ponticus, parce que tu ne pratiques pas les exercices amoureux, que tu fais de ta main, qui te sert de maîtresse, l'instrument de tes plaisirs, tu ne crois pas mal faire ? Sache donc que c'est un crime abominable, un crime tel que tu n'en peux concevoir l'énormité. Horace, d'un seul coup, a donné la vie à  trois héros, et, d'un seul coup aussi, Mars a rendu la chaste Ilia, mère de deux enfants. C'en était fait de nous tous si chacun d'eux, se suffisant à lui-même, eût demandé à ses mains de sales et honteuses jouissances. Crois-en la nature elle-même, qui te crie : "Ce que tu gaspilles avec tes doigts, Ponticus, c'est un homme. "

XLIII. - PRIERE À APOLLON EN FAVEUR DE SON AMI STELLA

Puisses-tu, Apollon, dans les champs Myriniens, jouir à jamais de tes antiques cygnes ! Que les doctes sœurs  s'empressent à te servir ! que les oracles de Delphes ne trompent jamais personne ! que ta divinité soit toujours honorée et chérie dans le palais des princes ! Et fais que César, prompt à exaucer ma prière, accorde à Stella les douze faisceaux ! Heureux alors et engagé envers toi par un vœu sacré, j'irai immoler, au pied de tes rustiques autels, un jeune taureau aux cornes dorées. Que tardes-tu, Phébus ? La victime est déjà née.

XLIV. - SUR UNE STATUE D'HERCULE

Ce dieu si grand, malgré l'exiguïté de son image d'airain, ce dieu qui est assis sur ce marbre dont il adoucit la rudesse avec sa peau de lion ; qui, le visage tourné vers les astres, regarde le ciel qu'il a porté ; qui serre de sa main gauche une massue, et de sa droite une coupe de vin ; ce dieu n'est point une célébrité de nos jours, une gloire de nos contrées : ce fut un noble présent, chef-d'œuvre de Lysippe. Jadis il figura sur la table du tyran de Pella, sitôt enseveli sous la terre qu'il avait conquise. Annibal enfant l'avait adjuré sur les autels de la Libye, et c'est lui qui ordonna au farouche Sylla de déposer le pouvoir suprême. Indigné de l'orgueilleux despotisme qui règne dans les cours, Hercule se fait un plaisir d'habiter aujourd'hui la demeure d'un simple citoyen, et, comme il alla jadis s'asseoir à la table du paisible Molorchus, il veut être de même le dieu du savant Vindex. 

XLV. - SUR LA MÊME STATUE

Dernièrement je demandais à l'Alcide de Vindex quel était l'habile artiste qui l'avait fait. Il se prit à rire (c'est assez son habitude), et, avec un léger mouvement de tête, il me dit : « Poète, ne sais-tu pas le grec ? Regarde mon piédestal et tu y verras un nom. » Lysippe, ai-je lu ; je pensais y lire Phidias.

XLVI - A MARCELLINUS

Tu vas porter tes armes, Marcellinus, vers les climats hyperboréens, et braver les astres paresseux du ciel de la Gétie. Tes yeux verront de près le roc de Prométhée, et ce mont illustré par tant de récits. Lorsque tu contempleras ces rochers ébranlés par les cris sans fin du vieillard, tu diras : "Ils étaient moins durs que lui." Et tu pourras encore ajouter : "Celui qui a pu souffrir de pareils tourments pouvait aussi former le genre humain." 

XLVII. - CONTRE GELLIUS

Gellius bâtit sans cesse : aujourd'hui il pose une porte, demain il achète une serrure, puis il s'occupe d'y adapter une clef. Ses fenêtres, il les place, les déplace, et les refait ensuite. Il n'y a rien que Gellius ne fasse, pourvu qu'il bâtisse ; et cela afin de pouvoir dire à un ami qui lui demande de l'argent, ce seul mot : "Je bâtis. "

XLVIII. - CONTRE PANNICUS

Tu parles de Démocrite, de Zénon, de l'énigmatique Platon, et de tous ceux qu'on représente avec des figures hérissées de barbe, comme si tu étais le successeur et l'héritier de Pythagore ; et cependant une barbe non moins longue ombrage ton menton. Mais ce membre, si lent à s'émouvoir chez un vieux bouc, et si laid chez les hommes velus, tes fesses ramollies aiment cependant à en sentir la dureté. Toi, qui connais si bien l'origine et les doctrines des différentes sectes, dis-moi, Pannicus, à quel dogme appartient ce goût-là.

XLIX. - CONTRE GARRICUS

Tu m'as juré par tes dieux et par ta tête, Garricus, que je serais héritier d'un quart de ton bien ; je l'ai cru (doute-t-on jamais de ce qu'on désire ?), et je me suis entretenu dans cet espoir en t'offrant de continuels présents. Je t'ai envoyé entre autres un sanglier de la forêt de Laurente, et si gros, qu'on l'eût pris pour celui de Calydon. Soudain tu as convié peuple et sénateurs, et nos gourmets ont encore dans la bouche le goût de mon sanglier. Et moi (qui le croirait ?) je n'ai pas même eu la dernière place à table, on ne m'a pas même envoyé une côtelette ou un bout de queue. Le moyen, Garricus, de compter sur ton quart, quand tu ne m'as même pas offert une once de mon sanglier.

L. - SUR UNE TOGE QUE LUI AVAIT DONNÉE PARTHENIUS

La voilà cette toge que j'ai si souvent chantée dans mes vers ; dont mes lecteurs savent l'histoire et qu'ils aiment. Jadis, ô présent mémorable, elle me fut donnée par le poète Parthenius.  Elle rehaussait ma qualité de chevalier, quand sa laine, neuve encore, brillait de tout son lustre, quand elle était digne, par sa jeunesse, du nom de son donateur. Vieille maintenant, au point qu'un gueux, transi de froid, n'en voudrait pas, on pourrait à bon droit l'appeler une robe de neige. O longue suite des jours, ô années, que ne détruisez-vous pas ! Cette toge n'est plus celle de Parthenius, c'est la mienne.

LI. - CONTRE GAURUS

Tu prétends que je suis un petit génie, Gaurus, parce que je fais des ouvrages qui plaisent par leur brièveté ; je te l'accorde ; mais toi, qui racontes en vingt livres les combats de Priam, tu es un grand homme. Moi, je peins au naturel le mignon de Brutus et Lagon ; toi, grand homme, tu fais un géant d'argile.

LII. - SUR LUCANUS ET TULLUS

Ce que tu demandais constamment aux dieux, en dépit de ton frère, tu l'as obtenu, Lucanus : tu es mort avant lui. Mais lui te porte envie ; car, bien qu'il fût le plus jeune, il voulait aller le premier visiter les bords du Styx : maintenant que tu habites l'Élysée et ses riants bocages, pour la première fois tu désires de rester séparé de ton frère ; et si l'un des deux gémeaux vient à descendre du séjour brillant des astres, tu conseilles à Castor de ne point venir remplacer Pollux.

LIII. - A QUINTUS OVIDIUS

Crois-moi, Quintus, j'aime (car tu le mérites) les calendes d'avril, époque de ta naissance, autant que celles de mars, époque de la mienne. O jours heureux tous deux et dignes d'être notés parmi les meilleurs ! L'un m'a donné la vie, l'autre un ami.  C'est à tes calendes, Quintus, que je dois le plus. 

LIV.-- AU MÊME 

Je voulais, Quintus, te faire un petit présent pour ton jour de naissance ; tu m'en empêches ; c'est de la tyrannie. Il faut t'obéir ; mais, pour que nous soyons tous deux servis à souhait n'oublie pas, Quintus, qu'en me donnant quelque chose, tu feras plaisir à tous deux.

LV. - A SON COUSIN

Si j'avais à ma disposition les grives que le Picenum engraisse de ses olives ; s'il m'était permis de tendre mes filets dans les bois, de la Sabine ; s'il suffisait d'allonger mon roseau pour amener une proie légère, ou d'apprêter mes gluaux pour que maint oiseau vînt s'y prendre, je t'enverrais le cadeau consacré par l'usage pour fêter un parent qui m'est cher de préférence même à mon frère et à mon aïeul : mais nos campagnes n'entendent que le maigre étourneau, les plaintes du pinson, et le chant aigu du passereau qui fête le printemps. Ici le laboureur répond au salut de la pie, là-bas on voit le milan ravisseur s'enlever pour monter au faîte des airs. Je me borne donc à t'offrir les chétifs produits de ma basse-cour ; si tu ne les repousses pas, je te traiterai souvent en parent.

LVI. - A FLACCUS

En ce jour, fête des parents, et où se donnent tant d'oiseaux, tandis que je prépare des grives pour Stella et pour toi, Flaccus, je vois accourir chez moi une foule d'importuns qui se disent chacun mon meilleur ami. Je voudrais être agréable à deux personnes ; il serait imprudent de fâcher les autres ; faire des cadeaux à tous est par trop onéreux. Eh bien ! le seul moyen de contenter tout le monde, je le prendrai : je ne donnerai, Flaccus, de grives ni à Stella ni à toi. 

LVII - SUR SPENDOPHORUS

Spendophorus, l'écuyer de César, part pour la Libye. Prépare Cupidon, prépare pour cet enfant les traits dont tu perces les cœurs des jeunes garçons et des tendres jeunes filles ; que sa main délicate, cependant, soit armée d'une lance légère : quant à la cuirasse, au bouclier et au casque, garde-les pour toi. Pour qu’il se batte avec plus d'avantage, il faut qu'il se présente nu. Parthenopéus échappa aux atteintes du javelot, du glaive et de la flèche, tant que sa tête resta découverte. Quiconque sera blessé par Spendophorus mourra d'amour. Heureux ceux à qui est réservé un destin si doux ! Hâte-toi de revenir pendant que tu es encore dans l'adolescence, pendant que ton visage a tout son charme et toute sa fraîcheur. Que ce soit Rome, et non la Libye, qui te voie devenir homme !

LVIII. - CONTRE HEDYLUS

Il n'est rien de si usé que la casaque d'Hedylus ; les anses des vieux vases de Corinthe, la jambe desséchée par dix ans de fers, le cou écorché d'une mule morte à la peine, les saillies de la voie Flaminienne, le galet qui brille sur le rivage, le hoyau que le Toscan a poli en fouillant sa vigne, la toge déteinte dont on recouvre un gueux après sa mort, la roue fatiguée du chariot lentement conduit par le muletier, le flanc dépouillé du bison frotté contre les murs de l'étable, la plus vieille dent du farouche sanglier, tout cela n'en approche pas. Hedylus a pourtant, et il n'oserait le nier, quelque chose de plus usé que sa casaque c'est son derrière.

LIX. - A LA NYMPHE DE SABINUS

Reine d'une onde sacrée, Nymphe à qui la pieuse munificence de Sabinus a consacré un temple aussi gracieux que solide ; puisse la montueuse Ombrie continuer d'honorer tes sources, et ta chère Sarsine ne lui préférer jamais les eaux de Baies ! Reçois avec bonté le don de mes écrits ; ils sont jaloux de ton suffrage ; tu deviendras pour ma muse la fontaine de Pégase. Celui qui fait hommage de ses vers aux temples des Nymphes indique lui-même ce qu'on doit faire de ses ouvrages.

LX. - CONTRE MAMURRA

Après s'être longtemps et beaucoup promené dans le vaste enclos où, toute rayonnante d'or, Rome étale ses richesses, Mamurra passe en revue les jeunes esclaves et les dévore des yeux ; non pas ceux qui sont exposés sur le devant des boutiques, mais ceux qui sont tenus en réserve dans des loges soigneusement cachées, et que ne voient ni le peuple ni les gens de ma sorte. Rassasié de ce spectacle, il ouvre un buffet, découvre une table ronde, puis demande un beau meuble d'ivoire qu'on a placé tout en haut, et, après avoir pris quatre fois la mesure d'un lit à six places incrusté d'écaille, il se désole de ce qu'il n'est pas assez grand pour sa table de citronnier. Il consulte son nez, pour s'assurer si ces vases sentent l'airain de Corinthe ; et on l'entend, ô Polyclète, critiquer tes statues ! Tout en se plaignant qu'on ait gâté des cristaux en y mêlant un peu de verre, il a désigné et mis de côté dix cassolettes à myrrhe. Il marchande des corbeilles antiques, et, s'il s'en trouve, des coupes du célèbre Mentor ; il compte les émeraudes qui ornent un vase d'or, sans négliger ces magnifiques perles qui résonnent aux blanches oreilles de nos belles, cherche sur chaque tablette de véritables sardoines, et met un prix aux jaspes les plus gros. Enfin lorsque, vers la onzième heure, la fatigue le force à se retirer, il achète deux gobelets qu'il paye un as, et il les emporte. 

LXI. - ENVOI D'UNE COURONNE DE ROSES A SABINUS

Soit que tu viennes de Paestum ou de la campagne de Tibur ; soit que l'incarnat de tes roses ait brillé sur la terre de Tusculum, ou qu'une villageoise t'ait cueillie dans les jardins de Préneste ; soit que tu aies fait la gloire des plaines de la Campanie ; pour que tu paraisses plus belle à notre ami Sabinus, couronne, laisse-lui croire que tu as poussé sur mes rosiers de Nomentum.

LXII. - SUR LE PLATANE DE CÉSAR

Dans les champs Tartessiens, aux lieux où l'opulente Cordoue aime à voir couler paisiblement le Bétis ; aux lieux où, revêtues toutes vivantes d'une couche d'or, les toisons des troupeaux de l'Hespérie brillent des feux de ce métal, il est un palais connu de tout le monde, au sein duquel s'élève le platane de César, ce platane qui de ses épais ombrages couvre tous les édifices qui l'entourent. Planté par l'heureuse main de cet hôte invincible, c'est encore grâce à elle qu'il a commencé de croître : on dirait que cette espèce de forêt reconnaît son créateur et son maître, tant sa verdure est belle, tant ses rameaux s'élancent vers les cieux. Souvent les Faunes, animés par le vin, ont folâtré le soir à l'ombre de ses rameaux, et les sons de leur flûte ont troublé le silence du palais ; souvent la Dryade, fuyant à travers la solitude des champs les poursuites nocturnes de Pan, est venue chercher un refuge sous son rustique feuillage ; souvent enfin les lares qu'elle abrite ont exhalé l'odeur des libations de Bacchus, et ses ombrages ont dû au vin répandu sur le sol de pousser avec plus de vigueur. Souvent le gazon se joncha de couronnes de roses, et nul ne put dire le lendemain qu'il les y eût déposées. Arbre chéri des dieux, arbre du grand César, ne redoute ni la hache ni la flamme sacrilège. Tu peux prétendre à la gloire d'un feuillage éternel ; car ce ne sont pas des mains pompéiennes qui t'ont planté.

LXIII. - SUR PHILÉNIS

Si Philénis porte nuit et jour des vêtements de pourpre, ne croyez pas que ce soit par ambition ou par orgueil ; c'est l'odeur qu'elle en aime, non la couleur.

LXIV. - CONTRE PHÉBUS

Tous les débauchés t'invitent à souper chez eux, Phébus ; celui qui vit de sa mentule n'est pas, je pense, un homme pur.

LXV. - SUR UNE STATUE DE CÉSAR DOMITIEN

César, après avoir daigné descendre jusqu'à prendre la figure du grand Hercule, fonde un temple nouveau sur la voie Latine, dans le lieu où le voyageur qui va visiter le bois sacré de Diane s'aperçoit qu'il est à huit bornes de la ville reine du monde. Cet Alcide, qu'on honorait auparavant par des offrandes et par des flots de sang, est aujourd'hui forcé de s'incliner devant un autre Alcide plus grand que lui. A celui-ci les uns demandent des richesses, les autres des honneurs ; à l'autre on peut, en toute sécurité, adresser des vœux plus modestes. 

LXVI. - A HERCULE AU SUJET DE LA MÊME STATUE

Alcide, toi que le Jupiter latin doit enfin reconnaître, depuis que tu t'es approprié la noble figure du dieu César, si tu avais possédé ce port et ces traits, lorsque tant de monstres redoutables tombèrent sous tes coups, les peuples ne t'eussent pas vu obéir en esclave au tyran de l'Argolide, et subir sa cruelle domination. Eurysthée, au contraire, eût reçu ta loi, et le fourbe Lichas ne t'eût pas apporté le perfide présent de Nessus. Affranchi des rigueurs du bûcher de l'Oeta, tu fusses monté sain et sauf aux cieux où règne ton père ; tu n'aurais point, dans la Lydie, tourné le fuseau d'une maîtresse orgueilleuse ; tu n'aurais vu ni le Styx ni le chien qui garde les enfers. Aujourd'hui, Junon t'est propice, et ton Hébé te chérit ; aujourd'hui, si la Nymphe qui causa tes pleurs te voyait, elle te rendrait ton Hylas.

LXVII. - A FABULLUS

A quoi bon, Fabullus, lorsque tu possèdes une femme jeune, belle et vertueuse, solliciter les droits de père de trois enfants ? Ce que tu demandes avec tant d'instances à notre maître, à notre dieu, tu l'obtiendras de toi-même, si tu sais être homme.

LXVIII. - CONTRE ESCHYLUS

J'ai possédé toute la nuit une piquante jeune fille qui n'a pas son égale en fait d'espiègleries. Las de mille ébats amoureux, je lui propose de faire le petit garçon ; sans se faire prier, au premier mot, elle accepte. Bientôt après, moitié riant, moitié rougissant, je lui ai demandé quelque chose de pis ; sans hésiter, la libertine me l'a promis : cependant elle est sortie pure de mes mains. Elle ne sortira pas ainsi des tiennes, Eschylus, mais, si tu veux de ce trésor, il faut y mettre le prix.

LXIX. - CONTRE UN MAÎTRE D'ÉCOLE

Qu'avons-nous à démêler avec toi, coquin de maître d'école, tête odieuse aux jeunes garçons et aux petites filles ? Le coq, à la crête altière n'a pas encore chanté, que déjà ta détestable voix et ton fouet nous étourdissent. L'airain ne résonne pas avec plus de fracas sur l'enclume du forgeron qui met en selle la statue d'un avocat ; moins bruyantes sont, dans le grand Amphithéâtre, les clameurs frénétiques des partisans d'un gladiateur victorieux. Tes voisins ne te demandent pas de les laisser dormir toute la nuit ; car c'est peu de chose que quelques heures de veille, mais veiller sans cesse est un supplice. Renvoie tes écoliers. Veux-tu, bavard maudit, que l'on te donne pour te taire autant que tu reçois pour brailler ?

LXX. - CONTRE POLYCHARMUS

Quand tu besognes une femme, Polycharmus, aussitôt la chose faite, tu cours vider ton ventre. Quand on te besogne, que fais-tu, Polycharmus?

LXXI. - CONTRE CÉCILIANUS

O temps ! ô mœurs ! s'écriait jadis Cicéron, lorsque Catilina tramait ses complots sacrilèges, lorsque le gendre et le beau-père se livraient d'affreux combats, et que la terre désolée était inondée du sang des guerres civiles. Pourquoi répéter aujourd'hui : O temps ! ô mœurs ! Qu'y a-t-il qui te fâche, Cécilianus ? Nulle part on ne voit nos chefs se déchirer, nulle part le fer exercer ses fureurs ; nous jouissons d'une paix pleine de sécurité et de tout le bonheur possible. Ce ne sont pas nos mœurs qui déshonorent ces temps dont tu te plains ; ce sont les tiennes, Cécilianus.

LXXII. - SUR UN LION ET UN BÉLIER

C'est chose admirable que l'attachement qui unit ce lion, orgueil des monts Massyliens, et ce bélier. Voyez comme ils habitent la même loge, comme ils mangent ensemble les mêmes aliments ! Ils dédaignent les produits des forêts et les doux pâturages : une simple brebis sert à assouvir leur commune faim. Qu'ont fait de si méritoire la terreur de Némée, le ravisseur d'Hellé, pour briller dans le ciel au rang des constellations ? Si les bêtes fauves, si les bêtes à laine peuvent mériter de prendre place parmi les astres, c'est ce bélier, c'est ce lion, qu'il faudrait choisir.

LXXIII. - A LIBER

Liber, toi dont le front a ceint la couronne d'Amyclée, dont la main romaine frappe des coups dignes de la Grèce, lorsque tu m'envoies à diner dans un panier bien fermé, pourquoi ne joins-tu pas au tout une bouteille ? Si tu faisais des présents dignes du nom que tu portes, tu n'ignores pas, je pense, ce que tu aurais à me donner.

LXXIV. - CONTRE UN SAVETIER

Toi qui passais ta vie à allonger de vieux cuirs avec tes dents, et à mordre des semelles usées et pourries par la boue, tu possèdes aujourd'hui, grâce à tes extorsions, le domaine de Préneste, qui appartenait à ton patron, domaine dont le moindre recoin est trop beau pour toi. Exalté par les brûlantes vapeurs du Falerne, tu brises les cristaux, et tes désirs cuisants s'adressent au Ganymède de ton maître. Et moi, mes sots parents m'ont fait étudier les lettres ! Qu'avais-je besoin des grammairiens et des rhéteurs ? Brise ta plume légère, déchire tes livres, ô ma Muse, puisqu'un soulier peut donner tout cela à un savetier !

LXXV. - SUR LE PORTRAIT DE CAMONUS

La peinture ne nous a transmis que les premiers traits de Camonus, alors qu'il était au berceau. Son père n'a pas permis qu'il fût représenté à la fleur de l'âge, tant il craignait, dans sa tendresse, la vue d'un visage muet.

LXXVI. - SUR LE BAIN DE TUCCA

Tucca n'a pas construit son bain en pierre de taille, ni en moellons de bâtisse, ni avec cette brique cuite dont Sémiramis se servit pour élever la vaste enceinte de Babylone ; mais avec la dépouille des forêts, avec des pins assemblés, afin qu'il pût, au besoin, se servir de ce bain en guise de navire. De plus, il a élevé, dans sa magnificence, des thermes somptueux, pour lesquels ont été réunies toutes les espèces de marbres : ceux de Carystos, ceux des carrières de Synnas, ceux de Numidie, et ceux que l'Eurotas a baignés de ses eaux limpides ; mais il y manque du bois : Tucca, place ton bain sous les thermes.

LXXVII. - SUR LE PORTRAIT DE CAMONUS

Ce portrait est celui de mon cher Camonus. Tel il était dans son enfance, et voilà ses premiers traits. Vingt années avaient développé l'homme ; déjà un léger duvet se plaisait à orner ses joues, que le rasoir avait déjà effleurées. Jalouse de tant de charmes, une des trois Parques coupa la trame de sa vie, et une urne funéraire porta sa cendre à son père absent. Je n'ai pas voulu que la peinture fût seule à parler de cet aimable enfant ; mes vers donneront plus de vie et de durée à son image.

LXXVIII. - SUR LE FESTIN DE PRISCUS

Priscus, dans des pages éloquentes, discute sur ce qui constitue le meilleur festin. Tantôt gracieux, tantôt sublime, il parle toujours savamment. Vous demandez quel est le meilleur festin ?  c'est celui où il n'y a pas de joueur de flûte.

LXXIX. - A PICENTINUS

Après avoir enterré sept maris, Galla est devenue ta femme Picentinus : Galla, la chose est claire, veut aller rejoindre ses maris.

LXXX. - A DOMITIEN

Naguère Rome détestait les serviteurs de ses princes, leurs grands officiers, et l'orgueil des courtisans : maintenant, Auguste, on a tant d'amour pour ceux qui t'entourent, que la première pensée de chacun n'est plus pour sa maison. Telle est leur douceur, leur déférence pour tous, leur bonté, leur modestie, qu'on peut dire des personnes attachées à César (comme il arrive toujours dans une cour puissante), qu'elles n'ont plus d'autre caractère que celui de leur maître. 

LXXXI. - SUR GELLIUS

Pressé par la misère et par la faim, Gellius a épousé une femme vieille et riche : maintenant Gellius mange et besogne.

LXXXII. - A AUCTUS

Ceux qui lisent et entendent lire mes ouvrages, les trouvent bons, Auctus ; mais certain poète leur refuse ce mérite. Je m'en soucie fort peu ; j'aime mieux que les mets servis sur ma table aient l'approbation de mes convives que celle des cuisiniers.

LXXXIII. - CONTRE MUNNA

Un astrologue avait prédit que tu mourrais vite, Munna, et je ne crois pas qu'il t'ait trompé ; car, dans la crainte de rien laisser après toi, tu as épuisé en prodigalités l'héritage de tes pères : deux millions de sesterces ont passé en moins d'un an. Dis-moi, Munna, n'est-ce pas là mourir vite? 

LXXXIV. - A CÉSAR DOMITIEN

Si, à l'aspect des merveilles de ton amphithéâtre, qui surpasse toutes les munificences des anciens maîtres de Rome, les yeux sont forcés de reconnaître qu'ils te doivent beaucoup, César, les oreilles te doivent plus encore, puisque ceux qui figuraient jadis comme acteurs sont aujourd'hui spectateurs muets.

LXXXV. - A NORBANUS 

Norbanus, tandis que ta pieuse fidélité défendait César notre maitre contre de sacrilèges fureurs, assis à l'ombre des bocages chers aux Muses, et fier de cultiver ton amitié, je me livrais paisiblement aux jeux de la poésie. Un Rhétien te disait mes vers au fond de la Vindélicie, et l'Ourse apprenait ainsi à connaître mon nom. O combien de fois, te rappelant ton ancien ami, tu t'es dit : c'est bien lui, c'est bien mon poète ! Ces poésies, que le lecteur, pendant six ans, n'a offertes qu'en détail à ton oreille, l'auteur t'en offre aujourd'hui le recueil.

LXXXVI. - SUR PAULLUS

Lorsque notre ami Paullus est souffrant, ce n'est pas lui, Atilius, mais ses convives, qu'il condamne à l'abstinence. Ce mal subit n'est qu'une comédie, Paullus ; c'est ma sportule qui est morte.

LXXXVIL - SUR LA MORT DE SEVERUS SILIUS

Tandis que Silius, dont l'éloquence brille dans plus d'un genre, se désolait de la fin prématurée de son cher Severus, je mêlais mes regrets à ceux des Muses et d'Apollon. Moi aussi j'ai pleuré mon Linus, disait Apollon ; et, se tournant vers sa sœur Calliope, qui était près de lui : "Toi-même, lui dit-il, ton cœur a, comme le mien, sa blessure. " Vois le dieu qu'on adore au Capitole, vois celui qui règne au mont Palatin ; Lachésis, dans sa coupable audace, a frappé au cœur l'un et l'autre Jupiter. Quand on voit, les dieux soumis comme nous aux dures lois du destin, comment peut-on les accuser d'injustice ? 

LXXXVIII. - A LUPERCUS

C'est au moment où j'ai vidé sept grands verres d'Opimianus, et laissé ma parole avec ma raison au fond d'un pot de quatre cyathes, que tu m'apportes je ne sais quelles tablettes, en me disant : Je viens d'affranchir Nasta (le jeune esclave qui me vient de mon père) ; signe. Mieux vaudra demain, Lupercus je réserve aujourd'hui mon cachet pour la bouteille.

LXXXIX. - A RUFUS

Quand tu cherchais à gagner mes bonnes grâces tu m'envoyais force présents ; depuis que tu les as gagnées, Rufus, tu ne m'envoies plus rien. Pour me retenir, il faut me faire des présents ; sinon le sanglier mal nourri s'échappera de sa loge.

XC. - A STELLA

C'est trop de cruauté, Stella, de forcer ton convive à faire des vers ; car c'est lui permettre d'en faire de mauvais. 

XCI. - A FLACCUS

Couché sur un gazon émaillé de fleurs, près d'un ruisseau qui, dans sa course vagabonde, roule ses cailloux d'une rive à l'autre ; libre des fâcheux, le front ceint d'une couronne de roses, savoure à ton aise un vin rafraîchi par la glace, jouis du bonheur de posséder à toi seul un joli garçon, et d'exciter les désirs d'une vierge pudique ; mais, je te le conseille et je t'en conjure, Flaccus, défie-toi des chaleurs excessives de la perfide Chypre, lorsque l'aire retentira du bruit des moissons broyées, et que le Lion secouera sa redoutable crinière. Et toi, déesse de Paphos, rends-nous, rends sain et sauf à nos vœux ce jeune homme. Et puissent les calendes de mars t'être toujours consacrées ! Puissent, avec l'encens, le vin et les victimes, de nombreux gâteaux t'être offerts sur tes blancs autels ! 

XCII. - FLATTERIE ADRESSÉE A DOMITIEN

Si l'on venait m'inviter en même temps à souper aux deux Olympes, ici avec César, et là-haut avec Jupiter, le ciel fût-il plus près, et le palais impérial plus loin, voici la réponse que j'enverrais aux dieux : "Cherchez un convive qui préfère être le convive de votre Jupiter ; mon Jupiter, à moi, me retient ici-bas."

XCIII. - A CONDYLUS

Condylus, tu ne sais quels sont les ennuis d'un maître et les avantages d'un serviteur, toi qui gémis de rester si longtemps dans la servitude. La plus misérable natte t'assure un sommeil paisible, et Caïus couche sur la plume sans pouvoir fermer l'oeil. Dès le point du jour, Caïus va saluer en tremblant une multitude de maîtres ; toi, Condylus, tu ne salues pas même le tien. "Caïus, rends-moi ce que tu me dois," crient Phébus d'un côté et Cinnamus de l'autre ; personne, Condylus, ne t'en dit autant. Tu as peur des corrections ; mais Caïus est rongé par la goutte aux pieds et aux mains, et il aimerait mieux recevoir mille coups de fouet. Tu ne vomis pas le matin, tu ne prostitues pas ta langue à de honteux offices ; n'aimes-tu pas mieux être toi-même que d'être trois fois Caïus ?

XCIV. - A CALOCISSUS

Jeune esclave, pourquoi cesses-tu de verser l'immortel Falerne ? Puise au plus vieux tonneau, et, remplis six fois ma coupe. Maintenant sais-tu, Calocissus, pour quel dieu je te presse de verser six cyathes ? Pour César. Que dix couronnes de roses soient préparées pour nos têtes, autant qu'a de lettres le nom de celui qui éleva un temple à son auguste race. Après cela, donne-moi deux fois cinq baisers, autant qu'il faut de lettres pour former le surnom que notre dieu rapporta des régions du Nord.

XCV. - SUR HIPPOCRATE

Hippocrate m'a donné une potion d'herbe de Saintonge, le misérable ! et il me demande en échange du vin miellé. Tu ne fus pas aussi sot, à ce que je crois, Glaucus, lorsque pour de l'airain tu donnas de l'or. Il veut du doux pour de l'amer, il l'aura ; mais à condition de le boire avec de l'ellébore.

XCVI. - SUR ATHENAGORAS

Athénagoras était Alfius ; il est devenu Olfius en se mariant. Crois-tu, Callistrate, que ce nom d'Athénagoras soit un vrai nom ? je veux mourir si je sais ce que c'est qu'Athénagoras. Mais, Callistrate, je crois dire un nom véritable. Alors ce n'est pas moi qui me trompe, c'est votre Athénagoras.

XCVII. - SUR HERODE

Le médecin Hérode vola le gobelet d'un de ses malades ; pris sur le fait : "Imbécile, dit-il, pourquoi veux-tu boire ?"

XCVIII. - A JULIUS

Certain personnage crève de jalousie, mon cher Julius, de ce que Rome lit mes vers, il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que partout on me signale du doigt, il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que deux Césars m'ont reconnu les droits d'un père de trois enfants, il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que j'ai une charmante maison de campagne aux portes de la ville et un pied-à-terre à la ville, il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que je suis chéri de mes amis et de ce qu'on m'invite souvent à souper, il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce qu'on m'aime et m'applaudit. Puisse-t-il crever celui qui crève de jalousie !

XCIX. - A Q. OVIDE

Le produit des vendanges n'a pas été nul partout, Ovide ; on a mis à profit les grandes pluies. Coranus a fait cent amphores d'eau. 

C. - A ATTICUS SUR MARCUS ANTONIUS

Si j'en dois croire sa lettre flatteuse, Marcus Antonius aime mes vers, cher Atticus ; Marcus, dont la savante Toulouse s'honorera toujours, et qui naquit au sein du calme, fils de la paix. Toi qui peux supporter les frais d'une longue route, pars, mon livre, gage d'une amitié qui résiste à l'absence. Tu ne vaudrais pas grand chose, je l'avoue, si tu étais acheté, mais, ce qui te donne du prix, c'est d'être un présent de l'auteur. Il est bien différent, crois-moi, de boire d'une eau courante, ou d'une eau qui dort dans un lac immobile.

CI. - CONTRE BASSUS

Tu veux, Bassus, que, pour un repas de trois deniers, je vienne dès le matin, vêtu de ma toge, me morfondre dans ton antichambre ; et qu'ensuite, attaché à tes côtés, ou précédant ta chaise, je t'accompagne chez dix ou douze veuves. Ma pauvre toge est usée sans doute, elle est bien misérable, bien sale et bien rapetassée ; telle qu'elle est cependant, je n'en aurais pas, Bassus, une pareille pour trois deniers.

CII. - FLATTERIES ADRESSÉES A DOMITIEN

Voie Appienne, que consacre la présence de César sous la figure d'Hercule, ô toi ! de toutes les voies de l'Ausonie la première, si tu veux connaître les exploits de l'ancien Alcide, écoute-moi : Il soumit la Libye, enleva les Pommes d'or, dénoua la ceinture de l'Amazone, que protégeait le bouclier scythe; unit la dépouille du Sanglier d'Arcadie à celle du Lion de Némée ; délivra les forêts de la Biche aux pieds d'airain, et les airs des oiseaux de Stymphale ; revint des bords du Styx avec Cerbère enchaîné ; mit un terme à la fécondité de l'Hydre, qui renaissait de la mort ; fit baigner dans les eaux de la Toscane les bœufs de l'Hespérie. Voilà pour le moins grand des deux Alcides. Apprends maintenant ce qu'a fait le plus grand, celui qu'on adore à six milles d'Albe : Il a purgé le palais impérial d'un pouvoir détesté ; il a voué ses premières armes au Jupiter qui le protégeait ; bientôt, maître du pouvoir, il le résigna, se contentant de la troisième place dans cet univers qui lui appartenait. Trois fois franchissant l'Ister, il a dompté le perfide Sarmate ; et trois fois dans les neiges de la Gétie il a plongé son coursier baigné de sueur. Quoiqu'il ait bien des fois refusé les honneurs du triomphe, vainqueur, il a rapporté un nom glorieux des contrées hyperboréennes. Les dieux lui doivent des temples, les peuples la régénération de leurs mœurs, le glaive le repos dont il jouit, sa famille la place qu'elle occupe parmi les astres, les cieux de nouvelles splendeurs, et Jupiter un surcroît de couronnes. C'est trop peu de la divinité d'Hercule pour de si grandes actions ; c'est au Jupiter du Capitole à emprunter les traits de César.

CIII. - A PHEBUS

Tu m'as rendu, Phébus, un billet de quatre cent mille sesterces ; mieux eût valu m'en prêter cent autres. Cherche quelque autre auprès de qui tu puisses te vanter d'un aussi mince service ; ce que je ne puis te payer, Phébus, est à moi.

CIV. - SUR DES FRERES JUMEAUX

Quelle est la nouvelle Léda qui t'a donné deux serviteurs aussi semblables ? quelle est la Lacédémonienne dont un nouveau cygne a surpris la nudité ? Pollux a donné ses traits à Ilerius, et Castor  à Asillus ; et sur le visage de tous deux brille la beauté de la sœur de Tyndare. Si tant de charmes eussent paru dans Amyclée, quand de moindres avantages causèrent la défaite de deux déesses, tu fusses restée dans ton palais, Hélène, et Pâris fût revenu en Phrygie avec ces deux Ganymèdes.

LIVRE X

I. - CE LIVRE AU LECTEUR

Si je te semble trop gros, si ma longueur t'effraye, il est un moyen de me rendre plus court : ne lis que quelques morceaux. Trois ou quatre petites pièces composent chacune de mes pages ; tu peux me raccourcir à ton gré.

II. - AU MÊME

J'ai fait ce livre avec trop de hâte pour n'être pas obligé de le revoir. A côté de quelques pièces déjà connues de toi, mais récemment polies par la lime, tu en trouveras un grand nombre de nouvelles : sois favorable aux unes et aux autres, cher lecteur, toi, qui fais toute ma richesse, toi que Rome m'a donné en me disant : "Je ne puis te faire un plus beau présent ; par lui tu échapperas à la mortelle influence du Léthé, et la plus noble partie de toi-même te survivra. Le figuier sauvage fend les marbres de Messala, et l'insolent muletier se rit des chevaux châtrés de Crispus. Mais quant aux écrits, le destin ni les siècles ne peuvent rien contre eux ; et ce sont les seuls monuments qui ne sauraient mourir."

III. - A PRISCUS

Certain poète anonyme colporte des propos de valets, d'ignobles méchancetés, des turpitudes dignes de la bouche d'un baladin ; et ces infamies dont un courtier de pots cassés ne donnerait pas la valeur d'une allumette, il prend à tâche de me les attribuer. Penses-tu, Priscus, que le perroquet cherche à imiter le cri de la caille, et que Canus veuille jouer de la cornemuse ? Le ciel préserve mes livres de devoir leur succès à des noirceurs, eux que la Renommée porte sur ses blanches ailes ! Pourquoi donc aspirerais-je à une célébrité de mauvais aloi, quand il m'est démontré que le silence ne coûte rien ?

IV. - A MAMURRA

Oedipe, le noir Thyeste, Médée et Scylla, tel est le continuel sujet de tes lectures : pourquoi ne lire que des récits fabuleux ? Que te fait l'enlèvement d'Hylas ? que te font Parthénopé et Atys ? quel profit tireras-tu du sommeil d'Endymion, de l'aventure d'Icare qui perdit ses ailes, et de l'aversion qu'eut Hermaphrodite pour une onde amoureuse ? A quoi te serviront tous ces jeux d'une imagination frivole ? Lis plutôt ce livre, qui peint la vie humaine et qui te fera dire : ceci me regarde. Tu n'y trouveras pas des Centaures, des Gorgones, des Harpyes : c'est l'homme qu'on sent partout dans ces pages. Mais tu ne veux, Mamurra, ni étudier tes mœurs, ni te connaître toi-même : lis donc les Causes de Callimaque.

V. - CONTRE UN POETE MEDISANT

Loin de nous le détracteur des matrones et des grands, celui qui outrage de ses vers sacrilèges les personnes qu'il doit respecter ! Puisse-t-il errer en vagabond sur nos ponts et le long de nos rues montueuses ! Puisse-t-il, le dernier des mendiants, solliciter d'une voix enrouée quelques bouchées de ce mauvais pain qu'on destine aux chiens ! Que décembre, ses pluies et ses frimas soient pour lui sans fin, et que, réfugié dans un trou, il souffre les rigoureux excès de l'hiver. Qu'il appelle bienheureux, qu'il proclame dignes d'envie ceux que l'on porte au tombeau, et lorsqu'après une longue attente sera venue sa dernière heure, qu'il entende les chiens se disputer son corps, et qu'il soit forcé de secouer son manteau pour chasser les oiseaux de proie ; que la mort ne termine pas ses souffrances, mais que tantôt déchiré par le fouet de l'inflexible Eaque, tantôt pressé par le rocher toujours roulant de Sisyphe, tantôt haletant de soif au milieu des eaux du vieillard indiscret, il épuise tout ce que les poètes ont inventé de tourments ; et lorsque les Furies viendront le contraindre à dire la vérité, que, trahi par sa conscience, il s'écrie "C'est moi qui ai fait ces vers."

VI. - SUR L'ARRIVEE DE CESAR TRAJAN

Heureux ceux à qui il a été donné de voir ce grand capitaine rayonnant de l'éclat des astres du nord ? Quand viendra ce jour où le champ de Mars, les arbres couverts de spectateurs et les fenêtres brillantes de jeunes beautés lui feront fête à son passage ? Quand viendra-t-il ce moment de délicieuse attente, où une longue traînée de poussière nous annoncera César, où Rome tout entière se pressera sur la voie Flaminienne ? Et vous, quand vous verra-t-on à la suite des chevaliers, escadrons maures vêtus de la tunique égyptienne ? Quand enfin le peuple s'écriera-t-il d'une seule voix : "Il arrive ! " ?

VII. - AU RHIN, SUR L'ARRIVEE DE TRAJAN

O Rhin, père des Nymphes et de toutes les rivières qu'alimentent les neiges du septentrion, puisses-tu rouler toujours une onde liquide et ne pas être sillonné par la roue barbare d'un insolent bouvier ! puisses-tu toujours, riche de tes affluents, continuer de couler entre deux rives romaines ! Mais le Tibre, ton maître, te conjure de rendre enfin Trajan à ses peuples et à Rome.

VIII. - SUR PAULLA

Paulla veut que je l'épouse ; moi, je ne veux pas : elle est trop vieille, ou plutôt elle ne l'est pas assez.

IX. - SUR LUI-MÊME

Je suis ce Martial connu de tous les peuples du monde par mes hendécasyllabes, où la malice abonde, sans méchanceté toutefois : pourquoi me porter envie ? Je ne suis pas plus connu que Caballus Andrémon.

X. - CONTRE PAULLUS

Lorsqu'on te voit, Paullus, toi que précèdent, à l'ouverture de l'année, les faisceaux couronnés de laurier, assiéger le matin de tes hommages mille portes diverses, qu'ai-je à faire ? Que deviendrai-je en ce cas, Paullus, moi qui suis perdu dans la foule compacte des enfants de Numa ? saluerai-je des noms de maître et de roi un grand dont je voudrais obtenir un regard, quand tu le fais aussi, toi, et avec cent fois plus d'humilité ? Me mettrai-je à suivre une litière ou une chaise ? Tu ne crains pas de te mêler aux porteurs et de disputer aux autres la première place dans la boue. Me lèverai-je pour applaudir un poète qui lit des vers, quand tu restes debout, les mains tendues vers l'auteur ? Que reste-t-il à faire à un pauvre hère qui ne peut pas même être client ? Nos modestes toges sont éclipsées par la pourpre de vos vêtements.

XI - CONTRE CALLIODORE

Tu nous parles sans cesse de Thésée, de Pirithoüs, et tu te crois, Calliodore, l'égal de Pylade. Que je meure, si tu es digne de présenter le pot de chambre à Pylade, ou de garder les pourceaux de Pirithoüs ! "Cependant, nous dis-tu, j'ai donné à mon ami cinq mille sesterces et une toge (quel cadeau !) qui avait été lavée trois ou quatre fois au plus." Sans doute Oreste n'a jamais rien donné à Pylade ; mais celui qui donne, si souvent que ce soit, refuse plus souvent encore.

XII. - A DOMITIUS

Les peuples de l'Émilie, Verceil si chère à Apollon, les plaines arrosées par le fleuve témoin de la chute de Phaéton, vont te posséder, Domitius. Que je meure, si je ne te vois partir avec plaisir, quoique sans toi aucun jour ne me puisse être agréable ! Mais ce que je désire par-dessus tout, c'est que, loin de la ville, tu puisses, au moins pendant une moisson, soulager ton cou fatigué par le joug des affaires. Pars ; je t'en conjure, et aspire par tous les pores les feux du soleil. Que tu seras beau pendant ce voyage ! Quand tu reviendras, tes amis, qui auront conservé leur blancheur, auront peine à te reconnaître ; ils pâliront tous auprès de tes joues halées. Mais cette couleur brune que t'aura donnée la route, Rome te l'enlèvera bien vite, lors même que tu reviendrais aussi noir qu'un Éthiopien.

XIII. - A TUCCA

Tandis qu'un chariot transporte tes esclaves efféminés, que des cavaliers libyens se couvrent pour toi de sueur et de poussière, que des lits somptueux s'élèvent autour de tes nombreux bassins, rivaux de ceux de Baies, et dont les eaux se blanchissent du mélange de tes parfums, tandis que ton vin de Sétia menace de faire éclater le cristal qui le contient, que Vénus ne dort pas sur une plume plus moelleuse que celle de tes coussins, tu te morfonds la nuit à la porte d'une courtisane altière, et cette porte, sourde hélas ! se mouille de tes larmes ; tes soupirs entretiennent dans ton sein oppressé une continuelle ardeur. Veux-tu que je te dise, Tucca, d'où te vient tant de malheur ? De trop de bonheur.

XIV. - CONTRE CRISPUS

Tu prétends, Crispus, que tu ne le cèdes à aucun de mes amis ; mais que fais-tu, je te prie, pour le prouver ? Lorsque je t'ai demandé de me prêter cinq cents sesterces, tu me les as refusés, quoique ton coffre-fort fût trop petit pour contenir tous tes écus. Quand m'as-tu donné une mesure de fèves ou de blé, toi qui as des terres et des fermiers sur les bords du Nil ? M'as-tu jamais, pendant les froids de l'hiver, fait présent de la plus petite toge ? Quand t'est-il arrivé de m'offrir une demi-livre d'argent ? Je ne vois rien, Crispus, que je puisse croire un témoignage de ton amitié, si ce n'est l'habitude que tu as de péter devant moi.

XV. - SUR APER

Aper a percé d'une flèche le cœur de sa riche épouse ; mais c'était en jouant ; Aper est un habile joueur.

XVI. - CONTRE CAIUS

Si promettre sans tenir est, Caïus, ce que tu appelles donner, je veux te vaincre en munificence et en générosité. Reçois donc en présent tout ce que l'Asturien extrait des mines de la Galice, tout l'or que roule l'onde opulente du Tage, tout ce que le noir Indien arrache aux algues de l'Érythrée, tous les parfums que le phénix amasse dans son nid, tout ce que l'industrieuse Tyr prépare dans ses cuves d'airain ; tous les trésors du monde reçois-les de la même manière que tu donnes.

XVII. - A SA MUSE, AU SUJET DE MACER

Vainement, ma muse, tu cherches à frustrer Macer de la redevance des Saturnales ; impossible : il l'exige. Ce n'est pas de la haute poésie, ce ne sont pas des vers élégiaques qu'il demande : il se plaint, au contraire, de ce que j'ai dit adieu aux bagatelles. Mais la lecture des livres de géométrie prend tout le temps de Macer. Voie Appienne, que deviendras-tu, si Macer se met à me lire ?

XVIII. SUR MARIUS

Marius n'invite personne à souper, ne fait de cadeau à personne, ne répond pour personne, ne veut prêter à personne : le motif, c'est qu'il n'a rien ; cependant, il ne manque pas de gens qui cultivent son amitié stérile. Ah ! Rome, que de sottes gens dans tes murs !

XIX. ENVOI DE SON LIVRE A PLINE LE JEUNE

O ma muse, va porter à l'éloquent Pline ce livre, qui n'est ni assez savant ni assez grave pour lui, mais qui n'est cependant pas dépourvu de toute élégance. On a bientôt franchi la montée de Suburra. Quand tu seras au bout, tu apercevras soudain Orphée sur le faîte humide et glissant d'un théâtre, puis des animaux en admiration devant lui, et le royal oiseau qui apporta Ganymède au dieu du tonnerre. Là aussi se trouve la petite maison de ton ami Pédon, sur le fronton de laquelle on voit un aigle de moindre grandeur. Mais ne va pas, comme une indiscrète, frapper à contretemps à la porte de ce séjour de l'éloquence. Le maître y consacre toutes ses journées à des travaux sérieux, jaloux qu'il est de charmer les oreilles des centumvirs par des écrits que les siècles et la postérité puissent comparer aux chefs-d'œuvre d'Arpinum. Aie soin de ne te présenter que le soir, aux lanternes : l'heure qui te convient est celle où l'orgie règne, où la rose couronne les fronts, où les cheveux sont humides de parfums : alors les plus rigides Catons peuvent me lire.

XX. - A MANIUS

Si le Salon me ramène à travers la Celtibérie dans le pays qui produit l'or ; si je suis empressé de revoir la montagne où s'élève le toit incliné qui m'a vu naître, c'est à cause de toi, Manius : car tu me fus cher dès l'âge de l'innocence ; ton amitié fit le charme de ma jeunesse, et personne, dans l'Ibérie, ne possède et ne mérite à un aussi haut degré que toi mon affection. Avec toi, je ne craindrais pas d'habiter les cabanes des noirs enfants de la Gétulie, les huttes où s'enferment les Scythes. Si tu partages mes sentiments, si ton dévouement égale le mien, Rome sera partout où nous serons ensemble.

XXI. - A SEXTUS

Quel plaisir as-tu, Sextus, à écrire des choses que Modestus et Claranus même ont peine à comprendre. C'est Apollon en personne qu'il te faudrait pour lecteur. Selon toi, Cinna était un plus grand génie que Virgile. Puisses-tu recevoir le même éloge ! Je veux bien que mes écrits plaisent aux grammairiens, mais à condition de n'avoir pas besoin de leurs commentaires.

XXII. - CONTRE PHILÉNIS

Tu me demandes, Philénis, pourquoi j'ai souvent un emplâtre au menton, pourquoi la céruse blanchit, mes lèvres ? Que t'importe ? je n'ai pas envie de te baiser.

XXIII. - SUR MARCUS ANTONIUS

L'heureux Antonius Primus compte quinze olympiades passées dans de tranquilles loisirs ; il reporte sa pensée vers les jours, les années qu'il a paisiblement traversés. Si proche qu'il en soit, il ne craint pas les eaux du Léthé. Il n'est pas un moment de sa vie dont le souvenir lui soit importun ; il n'en est pas un qu'il n'aime à se rappeler. Ainsi l'homme de bien agrandit son existence ; c'est vivre une seconde fois que de pouvoir jouir de sa vie passée.

XXIV. - AUX CALENDES DE MARS

Calendes de mars qui m'avez vu naître, plus douces à mon cœur que toutes les autres calendes, où je reçois des présents, même des jeunes filles, j'offre pour la cinquante-septième fois sur vos autels mes libations et mon encens. Ajoutez, je vous prie, à ce nombre (si toutefois ce vœu doit avoir un bon effet) deux fois neuf ans, afin que, sans être trop alourdi par la vieillesse, et après avoir ainsi parcouru les trois âges de la vie, je descende dans les bosquets du royaume de Proserpine. Après cette vie de Nestor, je ne demande pas un jour de plus.

XXV. - SUR MUCIUS

Ce Mucius que tu vis, une de ces dernières matinées, dans l'arène, poser sa main sur un brasier ardent, s'il t'a paru patient, héroïque, insensible, c'est que tu as des sentiments dignes de la populace d'Abdère ; car, lorsqu'on dit à un homme, en lui montrant la tunique soufrée : "Brûle ta main," il y a plus de courage à s'écrier : "Je n'en ferai rien."

XXVI. - SUR LA MORT DE VARUS

Varus, toi qui portas avec tant de distinction le sarment du centurion à travers les villes d'Égypte, qui commandas si honorablement à cent guerriers ; toi dont les peuples de l'Ausonie se promettaient en vain le retour, ton ombre repose étrangère aujourd'hui sur la terre où régna Lagus. Il ne m'a pas été permis d'arroser de mes larmes tes froides reliques, ni de jeter de l'encens sur ton bûcher funèbre ; mais je puis immortaliser ton nom par des vers qui ne périront point. Nil perfide, peux-tu nous enlever aussi cette consolation ?

XXVII. - À DIODORUS

Au jour de ta naissance, Diodorus, le sénat vient s'asseoir à ta table, qu'entourent aussi un grand nombre de chevaliers, et ta sportule ne te coûte pas moins de trente écus ; cependant, Diodorus, personne ne se doute que tu es né.

XXVIII. - A JANUS

Père des années, heureux créateur de ce monde brillant, toi à qui s'adressent nos premiers vœux et nos premières prières, tu n'habitais autrefois qu'un temple étroit, ouvert de toutes parts, et qui servait de passage à Rome tout entière. Aujourd'hui la munificence de César vient de te doter d'une enceinte, et tu comptes autour de toi autant de places que tu as de visages. Puisses-tu, divin protecteur, en reconnaissance de tant de bienfaits, tenir à jamais fermées tes portes de fer !

XXIX. - A SEXTILIANUS

Le plat que tu m'envoyais d'ordinaire en présent à l'époque des Saturnales, tu l'as envoyé, Sextilianus, à ta maîtresse. Du prix de la toge que tu me donnais aux calendes de mars, tu as acheté pour elle une robe vert-poireau. C'est ainsi que tu as trouvé moyen d'avoir des maîtresses gratis ; c'est ainsi, Sextilianus, que tu fais l'amour à mes dépens.

XXX. - SUR LA CÔTE DE FORMIES SÉJOUR D'APOLLINARIS

Charmants rivages de la douce Formies, vous qu'Apollinaris préfère à tout autre séjour, quand il fuit les ennuis de Rome, et veut se délasser de ses pénibles occupations, l'aimable Tibur, patrie de sa chaste épouse, les retraites de Tusculum et d'Algide, Préneste et Antium même ont moins de charmes que vous à ses yeux. Ni l'enchanteresse Circé, ni Caiette que fondèrent les enfants de Dardanus ; ni Marica, ni Liris, ni Salmacis, que baigne l'eau du lac Lucrin, n'excitent ses regrets. En ces lieux un zéphyr caressant ride la surface de la mer, dont les flots ne dorment jamais ; et cette onde paisible, pour peu qu'elle soit aidée du souffle de la brise, pousse au rivage la nacelle aux brillantes couleurs. Un frais agréable y pénètre, semblable à celui que se procure une jeune fille incommodée par la chaleur, en agitant la pourpre de son vêtement. La ligne ne va pas chercher bien loin sa proie ; lancée de la chambre, du lit même, elle ramène le poisson qu'on aperçoit au fond de l'eau. Si parfois Nérée souffre de l'influence d'Éole, la table, sûre de son approvisionnement, se rit de la tempête : dans le réservoir s'engraissent le turbot et le loup-marin ; la délicate murène cherche en nageant son maître ; le nomenclateur appelle à lui le mulet, qui le reconnaît, et à sa voix aussi accourent les vieux barbeaux. Mais quand Rome permet-elle à Apollinaris de jouir de ces délices ? combien de jours de l'année laisse-t-elle pour Formies à celui que des affaires importantes enchaînent à la ville ? Heureux gardiens, heureux fermiers ! Ces biens préparés pour vos maîtres, c'est vous qui en jouissez.

XXXI. CONTRE CALLIODORE

Tu vendis hier un esclave treize cents écus, afin de bien souper une fois dans ta vie, Calliodore ; et, cependant tu as mal soupé. Un barbeau de quatre livres, que tu achetas, a été la pièce capitale, la gloire de ton repas. Il me prend envie de m'écrier : "Misérable, ce n'est pas un poisson, c'est un homme, oui un homme, que tu dévores."

XXXII. - A CEDITIANUS, SUR LE PORTRAIT DE M. ANTONIUS

Tu me demandes, Céditianus, quelle est la personne que représente ce portrait décoré de roses et de violettes ? Tel était Marcus Antonius Primus dans la force de l'âge. Dans ces traits le vieillard retrouve ceux de sa jeunesse. Plaise aux dieux que l'art pût reproduire de même les vertus et les qualités du cœur ! Il n'y aurait pas au monde un plus beau portrait.

XXXIII. - A MUNATIUS GALLUS

Plus simple que les anciens Sabins, plus vertueux que le vieillard de Cécrops, fasse Vénus pudique, ô Munatius, que l'union indissoluble de ta fille consolide ton séjour dans l'illustre maison de son beau-père ! Cela t'est bien dû pour avoir démenti, comme tu le fais, la calomnie qui m'attribue des vers pleins de fiel et de méchanceté, et pour avoir soutenu qu'un poète tant soit peu lu n'écrit pas de pareilles choses. Voici la loi que je me suis imposée dans mes livres : épargner les personnes et attaquer les vices.

XXXIV. - A CÉSAR TRAJAN

Que les dieux, ô Trajan, t'accordent tout ce que tu mérites, et qu'ils t'assurent à jamais la possession de ce qu'ils t'ont donné ; tu rends au patron les droits dont on l'a dépouillé : il ne sera plus traité comme un proscrit par ses affranchis. Tu es digne de conserver aux citoyens leurs, prérogatives ; le cas échéant, tu prouveras aussitôt que je dis la vérité.

XXXV. - ELOGE DE SULPICIA

Jeunes filles, qui ne voulez plaire qu'à un seul homme, lisez toutes Sulpicia. Lisez Sulpicia, vous tous maris qui ne voulez plaire qu'à une seule femme. Elle ne donne pas pour vraies les fureurs de l'héroïne, elle, de Colchos, ne raconte pas l'horrible festin de Thyeste. Elle ne croit ni à Scylla ni à Byblis ; mais elle enseigne l'amour pudique, l'amour vertueux, ses jeux, ses délices et son badinage. Quiconque saura apprécier ses vers conviendra qu'aucun poète ne fut à la fois plus malin et plus chaste. Tels ont été, je me le figure, les jeux aimables d'Égérie dans la grotte humide de Numa. Si tu l'avais eue pour condisciple ou pour maîtresse, tu serais, Sapho, plus docte et plus retenue. D'ailleurs, si l'inflexible Phaon vous avait vues toutes deux en même temps, son amour eût été pour Sulpicia ; mais en vain : car elle ne consentirait à devenir ni l'épouse du dieu du tonnerre, ni l'amante de Bacchus ou d'Apollon, si Calenus venait à lui être ravi.

XXXVI. - CONTRE MUNNA

Tout ce que rassemblent de plus détestable les laboratoires enfumés de Marseille ; toute cette piquette en tonneau, à qui le feu a donné de l'âge, c'est toi qui l'envoies, Munna : tu expédies à tes malheureux amis à travers les mers, et par d'interminables chemins, les poisons les plus malfaisants ; le tout coûte aussi cher qu'une pièce de Falerne ou de cet excellent Setia. Si, depuis longtemps, on ne t'a pas vu venir à Rome, c'est, j'en suis assuré, de peur d'y boire de ton vin.

XXXVII. - A MATERNUS

Intègre observateur du droit et de la justice, toi dont la bouche toujours véridique est l'oracle du barreau romain, Maternus, as-tu quelque message à confier à ton compatriote, à ton vieil ami, pour la côte de Galice? Penses-tu qu'il vaille mieux pêcher sur le rivage Laurentin de hideuses grenouilles ou de chétives ablettes, que de rejeter au milieu de ses rochers le mulet captif qui a paru peser moins de trois livres? Manger au dernier service la fade palourde ou des moules dans leurs minces coquilles, que des huîtres qui ne le cèdent en rien à celles de Baïes, et dont les valets même (tant elles sont nombreuses! ) peuvent se gorger à discrétion? Là-bas, vous pousserez à grands cris dans vos filets le renard puant, et cette sale proie déchirera vos chiens de ses morsures. Ici, mes filets, qui tout à l'heure ont été retirés de l'eau chargés de poisson, vont arrêter les lièvres au passage. Au moment où je parle, voici votre pêcheur qui revient avec sa nasse vide, et votre chasseur qui s'avance tout fier d'avoir pris un blaireau. Ce sont les marchés de Rome qui seuls approvisionnent les bords de la mer : as-tu quelque message pour la côte de Galice?

XXXVIII. - A CALENUS

Oh ! qu'elles ont été délicieuses pour toi, Calenus, les quinze années de mariage que les dieux t'ont accordées, et que tu as passées avec ta chère Sulpicia ! Nuits, heures fortunées, qui toutes furent marquées des plus précieuses pierres du rivage indien ! Quels doux combats, quelles luttes animées n'ont-ils pas vus, ce lit heureux et cette lampe remplie des parfums de Nicéros ? Tu n'as vécu que trois lustres, Calenus, voilà toute ta carrière ; car tu ne comptes de jours que ceux où tu fus époux. Si Atropos, cédant enfin à tes prières, voulait te rendre un seul de ces mêmes jours, tu le priserais davantage que la vie quatre fois répétée du vieillard de Pylos.

XXXIX. - CONTRE LESBIA

Pourquoi jurer, Lesbia, que tu es née sous le consulat de Brutus ? tu mens : tu es, née sous le roi Numa. Mais non, ce n'est pas encore la vérité : car, à voir ta décrépitude, on dirait que tu es l'argile même façonnée par Prométhée.

XL. - A LUPUS, AU SUJET DE POLLA

Comme on me répétait sans cesse que ma Polla me trompait en secret avec un libertin, je les ai surpris, Lupus : c'était bien pis qu'un libertin.

XLI. - CONTRE PROCULEIA

Au renouvellement du mois de Janus, tu abandonnes ton vieux mari, Proculéia, et tu lui signifies que tu veux te séparer de biens. Qu'est-il arrivé ? je te prie. D'où vient ce mécontentement subit ? tu ne veux pas me répondre ? eh bien ! je parlerai. Il était préteur, et la présidence des jeux mégalésiens devait lui coûter cent mille sesterces, en mettant vos largesses au plus bas. La fête du peuple en eût coûté vingt mille. Ce n'est point une séparation que tu as voulue, Proculéia, c'est une économie.

XLIII. - A PHILEROS.

Voilà la septième femme que tu enterres dans ton champ, il n'est personne, Philéros, à qui son champ rapporte davantage.

XLIV. - A Q. OVIDIUS.

Tu pars, Quintus Ovidius, tu vas visiter les Bretons de la Calédonie, le vert empire de Téthys et le vieil Océan. Tu quittes donc les collines de Numa et tes loisirs de Nomentum ? ni ton habitation champêtre ni ton foyer ne retiennent ta vieillesse ? Tu ajournes tes jouissances ; mais Atropos n'ajourne pas sa tache, et toutes tes heures sont comptées. Tu auras rendu service à un ami qui t'est cher (et qui ne t'en louerait ?); tu auras prouvé que la vie a moins de prix à tes yeux que la fidélité. Mais reviens dans la Sabine pour n'en plus sortir, et compte-toi une bonne fois au nombre de tes amis.

XLV. - CONTRE UN LECTEUR DIFFICILE.

Si mes écrits ont quelque chose de naïf et d'aimable, si mes vers bienveillants retentissent de quelque éloge, tu les trouves grossiers, et tu aimes mieux ronger la côte d'un sanglier de Laurentum que d'en savourer le filet que nous t'offrons. Bois du Vatican, si le vinaigre te plaît ; notre vin n'est pas fait pour ton estomac.

XLVI. - CONTRE MATHON

Tu veux être un beau parleur, Mathon : parle quelquefois bien, quelquefois ni bien ni mal, quelquefois mal.

XLVII. - A JULES MARTIAL

Voici, mon cher Martial, les éléments de la vie heureuse : une fortune acquise sans peine et par héritage ; un champ qui rapporte ; un foyer qui toujours brûle ; point de procès ; peu d'affaires ; la tranquillité de l'esprit ; un corps suffisamment vigoureux ; une bonne santé ; une simplicité bien entendue ; des amis qui soient nos égaux ; des relations agréables ; une table sans faste ; des nuits sans ivresse et libres d'inquiétude ; un lit où il y ait place pour la joie et pour la pudeur ; un sommeil qui abrège les ténèbres ; se contenter d'être ce que l'on est, et ne rien désirer de plus ; attendre son dernier jour sans crainte comme sans impatience.

XLVIII. - PREPARATIFS D’UN FESTIN FAIT PAR LE POETE

La troupe consacrée à la génisse de Phares annonce la huitième heure, et la garde armée de javelots revient et rentre au quartier. Cette heure fait descendre les bains à une chaleur tempérée ; car celle qui précède exhale des vapeurs excessives, et l'ardeur immodérée des bains de Néron échauffe la sixième. Stella, Népos, Nanius, Céréalis, Flaccus ; accourez tous ! Ma table est à sept places ; nous sommes six, et nous attendons Lupus. Ma fermière vient de m'apporter des mauves laxatives et quelques autres produits de mon jardin. On y remarque la petite laitue et le poireau facile à couper ; et la menthe flatueuse n'y fait pas faute, non plus que l'herbe qui porte à l'amour. Des tranches d'œufs entoureront un plat d'anguilles bardées de rue, et vous aurez aussi des tétines de truie arrosées de saumure de thon. Ceci toutefois n'est que pour ouvrir l'appétit ; un chevreau soustrait à la dent cruelle du loup formera, à lui seul, un service. Puis viendront des ragoûts qui n'auront pas besoin du couteau du découpeur ; des fèves, régal des artisans, et des choux nains. Il y aura encore un poulet et un jambon qui a déjà figuré dans trois soupers. Pour le dessert, je vous donnerai des fruits doux, sans compter une bouteille de vin de Nomentum bien clair, qui fut remplie sous le second consulat de Frontinus. Ajoutez à cela des plaisanteries sans fiel, une liberté dont on n'aura pas à se repentir le lendemain, et pas un mot qui ne puisse se répéter. Mes convives pourront, à leur aise, parler de Prasinus et de Venétus : nos rasades ne compromettront personne.

XLIX. - CONTRE COTTA

Tandis que tu bois dans des coupes d'améthyste, tandis que tu avales à longs traits la liqueur vermeille d'Opimius, tu me verses du vin nouveau de la Sabine, et tu me demandes, Cotta, si je le veux dans une coupe d'or. Qui voudrait boire dans une coupe d'or un vin aussi vil que le plomb ?

L. - SUR SCORPUS

Que la Victoire désolée brise ses palmes iduméennes ! Faveur, frappe d'une main impitoyable ta poitrine nue ! que l'Honneur prenne le deuil ! ô Gloire, dans ta douleur, abandonne aux flammes dévorantes les couronnes qui parent ta chevelure ! O forfait ! tu meurs, Scorpus, dans la fleur de l’âge, et déjà tu vas atteler les noirs chevaux des enfers. Tu dépassais jadis avec rapidité les bornes du cirque ; pourquoi faut-il que tu franchisses avec la même vitesse les bornes de ta vie ?

LI. - A FAUSTINUS

Déjà l'astre du Taureau Tyrien laisse derrière soi le Bélier de Phryxus, et l'hiver fuit devant les Gémeaux. La campagne est riante, et la terre, ainsi que les arbres, reprend son vêtement. L'adultère athénienne pleure lthys, que vit naître le mont lsmare. Les beaux jours, Faustinus ! la belle Ravenne que Rome t'a fait perdre ! Le beau soleil ! les doux loisirs ! qu'ils ont de charmes ces bois, ces fontaines, ces rivages au sable humide ; mais raffermi, cet Anxur tout brillant du voisinage de l'onde azurée, et ce lit d'où la vue plane d'un côté sur les barques du fleuve, de l'autre sur les vaisseaux de la mer. Tu n'y trouveras pourtant ni le théâtre de Marcellus, ni celui de Pompée, ni ces triples bains, ni ces quatre forums, ni le temple superbe du Jupiter Capitolin, ni ces autres temples qui semblent toucher au séjour de leurs dieux. Las de toutes ces belles choses, combien de fois ne te sera-t-il pas arrivé de dire à Quirinus : "Garde pour toi ce qui est à toi, et laisse-moi jouir de ce qui est à moi !"

LII. - SUR UN EUNUQUE

Un jour que Numa voyait l'eunuque Thélis en toge : "C'est, dit-il, une adultère qui subit sa condamnation."

LIII. - EPITAPHE DE SCORPUS

Je suis ce Scorpus, la gloire du Cirque aux mille voix, qui fut, ô Rome, l'objet de tes applaudissements et fit un instant tes délices. La Parque jalouse, quand elle me ravit au bout de trois fois neuf ans, pensa, en comptant mes victoires, que j'étais déjà vieux.

LIV. - CONTRE OLUS

Tes mets sont excellents, Olus ; mais tu fais servir les plats couverts : quelle sottise ! A ce prix, je puis aussi avoir une bonne table.

LV. - CONTRE MARULLA

Après avoir longtemps pesé et mesuré avec la main une mentule qui se présente la tête haute, Marulla l'évalue en livres, en scrupules et en sextules ; puis, l'œuvre finie, lorsque, fatigué de ses exercices, le membre retombe, semblable à une courroie qui se détend, Marulla vous dit de combien il est devenu plus léger. Ce n'est pas une main qu'a cette femme, c'est une balance.

LVI. - CONTRE GALLUS

Tu me demandes, Gallus, de te sacrifier toutes mes journées, et de faire trois ou quatre fois par jour le voyage de ton mont Aventin. Cascellius arrache ou guérit une dent qui fait mal ; tu brûles, Higinus, les poils qui incommodent la vue ; Fannius relève, sans la couper, la luette relâchée ; Éros efface les stigmates des esclaves ; Hermès passe pour le Podalire de ceux qui ont des hernies ; apprends-moi, Gallus, quel est celui qui guérit les éreintés.

LVII. - A SEXTUS

Ton usage était de m'envoyer une livre d'argent ; à présent tu m'envoies une demi-livre... de poivre ! Sextus, je n'achète pas le poivre si cher.

LVIII. - A FRONTINUS

Tant que j'habitai les retraites paisibles d'Anxur voisine de la mer, Baïes moins éloignée, et ta maison assise sur le rivage, et ces bois, que, pendant les plus ardentes chaleurs du Cancer, respectent les impitoyables cigales ; près de ces lacs semblables à des fleuves, je pouvais avec toi, Frontinus, fêter les doctes filles de Pierus. Maintenant Rome pèse sur nous et nous écrase : ici puis-je avoir un jour à moi ? Ballottée par les flots de cette immense cité, ma vie se consume en de stériles fatigues, réduit que je suis à vivre du mince revenu d'un champ voisin de la ville et à habiter près de toi, vénérable Quirinus, mes modestes pénates. Mais il n'est pas le seul qui aime, celui qui assiège nuit et jour le seuil d'un patron : de telles pertes de temps ne vont pas à un poète. Moi aussi j'aime, j'en atteste et le culte sacré que je rends aux Muses, et tous les dieux ; mais je n'aime pas en officieux.

LIX. - CONTRE UN LECTEUR DIFFICILE

Si le sujet que je traite remplit toute une page, tu passes outre : ce ne sont pas les meilleures, ce sont les plus courtes pièces qui te plaisent. Si on te sert un souper somptueux et composé de toutes sortes de mets, tu ne te sens de goût que pour les friandises. Je n’aime pas un lecteur si délicat ; ce qu'il me faut, c'en est un qui ne puisse se rassasier sans pain.

LX. - SUR MUNNA

Munna sollicite de César le droit de trois disciples, lui qui est habitué à n'en avoir que deux.

LXI. - EPITAPHE D'EROTION

Ici repose Érotion, cette ombre qu'un crime du destin nous a ravie dans son sixième hiver. O toi, qui que tu sois, qui deviendras possesseur après moi de ce modeste champ, rends à ses tendres mânes les honneurs annuels qui leur sont dus. Ainsi puisse ta maison être éternelle, ta famille jouir d'une santé constante, et cette pierre être la seule ici sur laquelle on vienne pleurer !

LXII. - À UN MAÎTRE D'ÉCOLE

Maître d'école, laisse un peu de repos à cette naïve jeunesse ; et puisses-tu, pour récompense, voir accourir à tes leçons beaucoup d'élèves à la longue chevelure, et avoir toute l'affection de cet auditoire assis autour de ta table ! Que nul maître de calcul, qu'aucun sténographe ne soit jamais pressé par un cercle plus nombreux ! Pur et serein, le jour brûle de tous les feux du Lion, et l'ardent juillet mûrit nos moissons jaunissantes. Ces courroies découpées dans un cuir de Scythie, ces lanières qui ont déchiré le dos du Célénien Marsyas, ces tristes férules, sceptres des pédants, laisse-les reposer, laisse-les dormir jusqu'aux ides d'octobre ; si les enfants se portent bien l'été, ils en savent assez.

LXIII. - EPITAPHE D'UNE NOBLE MATRONE

Passant, le marbre dont tu lis l'inscription est petit à la vérité, mais il ne le cède ni au monument de Mausole ni aux Pyramides mêmes. Deux fois j'ai vu Rome célébrer les jeux Térentiens, et jusqu'au dernier instant, ma vie a toujours été heureuse. Junon m'a donné cinq fils et autant de filles : tous ont pu me fermer les yeux. Par un privilège rarement accordé au lit conjugal, mes pudiques appas n'ont jamais connu qu'un seul homme.

LXIV. - A POLLA

Polla, ma reine, si mes livres te tombent sous la main, ne regarde pas mon badinage d'un œil trop sévère. Ton poète favori, celui qui fit la gloire de notre Hélicon, quand sur la trompette épique il chanta nos guerres sanglantes, n'a pas rougi de dire dans ces vers libertins : "Cotta, qu'ai-je à faire ici, sinon le rôle d'un Ganymède ?"

LXV. - CONTRE CARMENION

Carménion, quand tu te vantes d'être citoyen de Corinthe, et que personne ne conteste, pourquoi m'appeler ton frère, moi qui suis fils de Celtibérien et né sur les bords du Tage ? Avons-nous quelque ressemblance dans le visage ? Ta chevelure soyeuse flotte gracieusement sur tes épaules ; moi j'ai les cheveux rudes d'un Espagnol. Chaque jour tu te fais épiler, moi j'ai les jambes et les joues hérissées de poils. Tu grasseyes ; ta voix est languissante ; une jeune fille parle plus haut que moi. L'aigle ne diffère pas plus de la colombe, le daim timide du terrible lion. Cesse donc, Carménion, de m'appeler ton frère, si tu ne veux pas que je t'appelle ma sœur.

LXVI. - SUR THEOPOMPE

Dis-moi, Théopompe, quel est le barbare, l'insolent qui t'a forcé à prendre les fonctions de cuisinier ? Qui peut souffrir que la noire cuisine barbouille un pareil visage, salisse cette chevelure de ses vapeurs graisseuses ? Qui trouvera-t-on qui soit plus digne de présenter la coupe ou le vase de cristal ? Quelle main, en le versant, donnera plus de saveur au Falerne ? Si des échansons aussi beaux peuvent être transformés en cuisiniers, Jupiter fera le sien de Ganymède.

LXVII. - ÉPITAPHE D'UNE VIEILLE

La fille de Pyrrha, la marâtre de Nestor, celle à qui, dans sa jeunesse, Niobé vit des cheveux blancs, celle que le vieux Laërte appelait son aïeule, Priam sa nourrice, Thyeste sa belle-mère, cette vieille qui a survécu à toutes les corneilles, Plotia, en un mot, éprouve encore au fond du tombeau, auprès du chauve Mélanthion, d'amoureuses démangeaisons.

LXVIII. CONTRE LELIA

Quoique tu ne sois née ni à Éphèse, ni à Rhodes, ni à Mitylène, mais dans un faubourg de Rome ; quoique ta mère, qui jamais ne se débarbouille, ait vu le jour chez les Étrusques au teint basané, et que ton rustre de père soit originaire de la campagne d'Aricie, tu emploies, à tout propos, Lélia, ces douces expressions : Dzôê kai psuchê, ma vie ! mon âme ! O pudeur ! Qui ? toi la concitoyenne d'Hersilie et d'Égérie ! Le lit seul doit entendre de pareils mots, et encore le lit qu'une maîtresse a préparé pour son lascif amant. Tu veux savoir comment tu t'y prendrais en pareil cas, si tu étais une chaste matrone : mais tes caresses en seront-elles plus douces ? Va, Lélia, quand tu parviendrais à savoir Corinthe par cœur, tu ne serais jamais complètement une Laïs.

LXIX. - SUR POLLA

Tu donnes des surveillants à ton mari, Polla, et tu n'en veux pas pour toi-même. Voilà ce qui s'appelle, Polla, prendre pour femme un mari.

LXX. - A POTITUS

Tu m'accuses de paresse, docte Potitus, parce que je produis à peine un livre par an ; tu devrais bien plutôt t'étonner de ce que j'en produis un, quand il m'arrive si souvent de perdre des journées entières. Tantôt ce sont des amis qui viennent, le soir, me rendre la visite que je leur ai faite le matin. Je les félicite, sans jamais recevoir d'eux pareille félicitation. Tantôt c'est ma signature qu'il me faut aller donner sur la colline consacrée à Diane : aujourd'hui c'est la première, demain c'est la cinquième heure qui me réclame. Puis c'est un consul qui me retient, ou bien un préteur, quand ce n'est pas une procession qui revient ; sans compter un poète qu'il faut souvent entendre toute la journée. D'ailleurs, peut-on se refuser à recevoir un avocat, un rhéteur ou un grammairien qui viennent vous consulter ? Après la sixième heure, harassé de fatigue, il me faut aller au bain, et, de là, manger mes cent quadrants. Au milieu de tout cela, Potitus, où trouver le temps de faire un livre ?

LXXI. - SUR RABIRIUS

O toi qui souhaites à tes parents une vie longue et heureuse, tu liras avec plaisir le peu de mots gravés sur ce marbre : "Ces ombres chéries, Rabirius les a confiées à la terre ; il n'est point de vieillards qui aient accompli plus heureusement leurs destinées. Une nuit sans douleur a terminé les douze lustres de leur union ; un même bûcher a suffi à deux funérailles." Cependant Rabirius se désole comme si ses père et mère lui eussent été enlevés à la fleur de l’âge. Non, rien n'est plus injuste que de tels pleurs.

LXXII. - VERS EN L'HONNEUR DE TRAJAN

Misérables flatteurs, en vain vous vous présentez devant moi avec vos lèvres flétries par l'habitude du mensonge : je n'ai plus à chanter un maître ni un dieu ; il n'y a plus place pour vous dans la cité. Allez trouver au loin les Parthes asservis, allez baiser lâchement et comme de vils suppliants les sandales de leurs rois bariolés. II n'y a point ici de maître, mais un empereur, un sénateur le plus juste de tous, qui a ramené du fond du Styx, où elle s'était réfugiée, la Vérité au front sans parure. O Rome ! si tu es sage, garde-toi de tenir, sous un pareil prince, le langage d'autrefois !

LXXIII. - À MARCUS

Une lettre m'annonce un gage précieux de l'attachement d'un éloquent ami : l'austère vêtement de l'Ausonie, une toge m'est envoyée par lui. Cette toge, Fabricius n'eût peut-être pas voulu la porter ; mais Apicius assurément, et Mécène, ce chevalier dévoué à la cause de César, ne l'eussent pas dédaignée. Envoyée par tout autre, elle eût été de moindre prix à mes yeux : pour qu'une victime soit agréable aux dieux, il ne suffit pas qu'elle soit immolée par le premier venu. C'est toi, Marcus, qui me l'envoies : si je pouvais ne pas chérir le présent même que tu m'offres, il me faudrait y aimer le nom de Marcus qui est aussi le mien. Mais ce qui vaut mieux que le présent, et ce qui est plus agréable que le nom même, ce sont les bontés et le suffrage d'un savant tel que toi.

LXXIV. - A ROME

Rome, grâce pour un complimenteur épuisé, pour un client harassé ! combien de temps, adulateur banal, me faudra-t-il courir toute la journée, au milieu de tout ce que tu renfermes de complaisants et de pauvres hères, pour attraper ma sportule de cent quadrants ? Scorpus peut bien gagner en une heure quinze sacs de beaux écus d'or ; quant à moi, pour prix de mes ouvrages (que valent-ils en effet ?), je ne voudrais pas des campagnes de l'Apulie ; l'Hybla même ne me tenterait pas, non plus que le Nil aux belles moissons, ni les vignes fameuses qui des hauteurs de Sétia dominent sur les marais Pontins. "Eh ! que voulez-vous ? " me dit-on. Dormir.

LXXV. - SUR GALLA

Autrefois Galla me demandait vingt mille sesterces, et, je dois en convenir, ce n'était pas trop. Un an s'écoule : "Tu m'en donneras dix mille, me dit-elle." Cette demande me parut moins discrète que la première. Comme six mois après elle était tombée à deux mille, je lui en offris mille, et j'essuyai un refus. Deux ou trois calendes s'étaient à peine écoulées, qu'elle vint se proposer pour quatre petites pièces d'or ; je refusai à mon tour : elle réduisit ses prétentions à cent sesterces ; la somme me parut encore trop forte. Une maigre sportule de cent quadrants me fut adjugée ; elle s'en contentait : "Non, dis-je, je l'ai promise à mon mignon. " Pouvait-elle descendre encore plus bas ? Oui. Galla s'offre aujourd'hui pour rien, et je n'en veux pas davantage.

LXXVI. - SUR MEVIUS

O Fortune ! cela te semble-t-il juste ? Un citoyen qui n'est ni Syrien, ni Parthe, ni de ces chevaliers issus d'esclaves cappadociens, mais faisant partie des enfants de Rémus, soumis aux lois de Numa, aimable, honnête, vertueux, bon ami, versé dans l'une et l'autre langue, et n'ayant qu'un seul défaut, mais bien grand, celui d'être poète, Mévius gèle sous un capuchon brun, tandis que le muletier Incitatus se pavane sous sa pourpre !

LXXVII. - SUR LE MEDECIN CARUS

Jamais Carus n'a rien fait de pis, Maximus que de mourir de la fièvre : la fièvre aussi a bien mal fait. La cruelle ! la méchante ! que ne se bornait-elle à être fièvre-quarte ! Elle aurait dû se conserver pour son médecin.

LXXVIII. - A MACER

Tu pars, Macer, pour le rivage de Salone : avec toi partent la loyauté, si rare de nos jours, et l'amour du bien, en compagnie de l'incorruptible honneur. Le magistrat intègre revient toujours plus pauvre qu'auparavant. Cultivateur fortuné d'une terre qui produit l'or, le Dalmate verra son gouverneur s'en retourner les mains vides, fera des vœux pour qu'il reste encore, et le suivra à son départ en versant des larmes de reconnaissance. Pour moi, Macer, je vais porter les regrets que me cause ton absence, chez les Celtes et les farouches Ibères. Mais quels que soient les écrits que ma plume composera près du Tage à l'onde poissonneuse ; chaque page rappellera le nom de Macer. Ce sera un moyen de me faire lire avec les anciens poètes ; puisses-tu ne pas m'en préférer un grand nombre, et ne placer au-dessus de moi que le seul Catulle !

LXXIX. - SUR TORQUATUS ET OTACILIUS

Torquatus possède une habitation magnifique à quatre bornes de Rome : vite Otacilius achète une petite maison de campagne à la même distance de la ville. Torquatus fait construire des bains qui éblouissent par la richesse de leur marbre diversement nuancé : Otacilius établit chez lui une simple baignoire. Torquatus fait planter dans son domaine un bois de lauriers : Otacilius sème cent châtaigniers. Sous le consulat de Torquatus, Otacilius devint syndic de son quartier ; et le pauvre homme se croyait aussi un grand personnage. Jadis un bœuf par sa grosseur, fit crever une chétive grenouille ; gare que Torquatus ne fasse de même crever Otacilius !

LXXX. - SUR EROS

Éros pleure toutes les fois qu'il voit des coupes myrrhines jaspées, de jeunes esclaves, ou quelque beau meuble de citronnier ; il soupire du fond de son cœur, parce que sa pauvreté ne lui permet pas d'acheter et d'emporter chez lui tout l'étalage. Que de gens l'ont comme Éros, mais sans que leur œil se mouille ! Que de gens rient de ses larmes, qui en ont autant sur le cœur !

LXXXI. - SUR PHYLLIS

Deux galants étaient venus de bon matin chez Phyllis pour la caresser, c'était à qui l'aurait nue le premier ; Phyllis promit de leur donner satisfaction à tous deux, et elle tint parole l'un eut le devant, l'autre le derrière,

LXXXII. - A GALLUS

Si la peine que je me donnerai peut t'être de quelque profit, je prendrai ma toge dès le matin ou même à minuit ; je braverai pour toi les sifflements de l'Aquilon malfaisant, j'endurerai la pluie, je m'exposerai à la neige. Mais si mes ennuis, si les tourments que je m'impose ne te rendent pas plus riche d'un quadrant, prends pitié ; de grâce de ma lassitude : épargne-moi, Gallus, ces vaines démarches qui ne te servent de rien, et qui me font tant de mal.

LXXXIII. - A MARINUS

Tu rassembles avec soin, Marinus, tes cheveux clairsemés ; et des touffes qui te restent sur les tempes tu couvres le champ dévasté de ton crâne luisant. Mais bientôt le souffle du vent leur fait rebrousser chemin, et, revenus à leur place, ils ne forment plus que deux boucles qui se déroulent de chaque côté. On dirait l'Herméros de Cydas entre Spendophore et Télesphore. Veux-tu confesser tout naïvement ta vieillesse ? eh bien, pour paraître toujours le même, livre au ciseau du barbier le reste de ta chevelure. Il n'y a rien de laid comme un chauve qui a des cheveux.

LXXXIV. - A CEDITIANUS, AU SUJET D'AFER

Tu t'étonnes de ce qu'Afer ne veut pas aller dormir. Eh ! ne vois-tu pas avec quelle femme il couche ?

LXXXV. - SUR LE BATELIER LADON

Ladon, le batelier du Tibre, se sentant vieux, fit l'acquisition d'un domaine sur les bords de son fleuve chéri ; mais ce domaine était souvent, envahi par les eaux tumultueuses du Tibre débordé, et, en hiver, à la place d'un champ, on ne voyait plus qu'un lac. Que fait-Ladon ? il remplit de pierres une barque hors de service, abandonnée sur la rive, et s'en fait une digue contre les flots. Cela suffit pour les contenir ; et qui l'aurait jamais cru ? une barque perdue fit le salut de son maître.

LXXXVI. - SUR LAURUS

Jamais amant ne brûla pour une nouvelle maîtresse d'une aussi vive ardeur que Laurus pour le jeu de balle. Mais s'il fut le joueur par excellence, tant que fleurit sa jeunesse, à présent qu'il a cessé de jouer, il est la première balle du jeu.

LXXXVII. - SUR LE JOUR DE NAISSANCE DE RESTITUTUS

Debout ! que Rome, par de pieux hommages, célèbre les calendes d'octobre, anniversaire de l'éloquent Restitutus. Silence ! qu'on n'entende plus que nos vœux ! Nous fêtons son jour de naissance ; trêve aux procès ! Loin d'ici la cire du client besogneux ; que les tablettes à trois feuillets, que les tapis écourtés, misérables cadeaux, attendent les folies du froid décembre. Laissons les heureux du siècle lutter de munificence. Que le gros négociant du portique d'Agrippa vienne avec les riches étoffes de la ville de Cadmus. Que le client accusé de s'être battu dans une nuit d'ivresse envoie pour honoraires à son avocat ses robes de festin. Une jeune fille déshonorée a-t-elle eu raison de son séducteur ? qu'elle apporte, mais elle-même, de véritables sardoines. Que le vieil admirateur des temps antiques te gratifie de quelque vase ciselé de la main de Phidias. Que le chasseur te donne un lièvre, le fermier un chevreau, le pêcheur le butin qu'il a prélevé sur la mer. Si chacun se met à t'envoyer du sien, que penses-tu, Restitutus, que doive t'envoyer le poète ?

LXXXVIII. - A COTTA

Toujours empressé à porter le sac des préteurs, tu te charges aussi de leurs tablettes : tu es un homme officieux, Cotta.

LXXXIX. - SUR UNE STATUE DE JUNON

Polyclète, cette Junon, ton ouvrage, cette Junon, la gloire de ton heureux ciseau, et que Phidias lui-même eût été jaloux de produire, brille de tant d'attraits, que celui qui sur l'Ida fut juge des trois déesses, d'accord avec elles, n'eût pas hésité à lui donner la pomme. Si Jupiter n'avait autant d'amour pour sa Junon, il eût bien pu, Polyclète, s'éprendre de la tienne.

XC. - CONTRE LIGELLA

A quoi bon, Ligella, épiler tes vieux appas ? À quoi bon tourmenter les cendres de ce bûcher éteint ? De tels soins vont aux jeunes filles ; mais toi, tu n'as même plus d'âge. Ce que tu fais, Ligella, pourrait être permis à l'épouse d'Hector, mais jamais à sa mère. D'ailleurs, tu te trompes si tu comptes pour quelque chose encore ce qui ne peut plus tenter aucun homme. Cesse donc, Ligella, s'il te reste un peu de pudeur, d'arracher le poil au lion qui n'est plus.

XCI. - SUR ALMON

Almon n'a chez lui que des eunuques ; lui-même ne peut rien, et il se plaint de ce que Polla ne lui donne pas d'enfant.

XCII. - A MARIUS

Marius, que l'antique Atina se glorifie de compter parmi ses concitoyens, toi qui toujours recherchas et souvent partageas avec moi les douceurs de la retraite, je te recommande ces pins jumeaux, l'honneur du bois natal, ces yeuses chéries des Faunes, ces autels que la main demi-savante de mon fermier a élevés au dieu du tonnerre et au sauvage Sylvain, et que l'on a souvent teints du sang d'un agneau ou d'un chevreau. Je te recommande aussi la vierge-déesse, souveraine de ce temple révéré, et l'hôte de cette chaste sœur, Mars, patron du mois où je naquis ; et ce bois de lauriers consacré à la tendre Flore, qui s'y réfugia pour échapper aux poursuites de Priape. Toutes ces divinités protectrices de mon petit domaine, soit que tu leur immoles des victimes, soit que tu leur offres de l'encens, ne manque pas de leur dire : "En quelque lieu que soit notre Martial, quoique absent, sa main s'unit à la mienne dans ce sacrifice : considérez-le comme présent, et accordez à tous deux ce qu'un seul vous demande."

XCIII. - A CLEMENS

Clémens, si tu as le bonheur de voir avant moi les côtes Euganéennes, la cité où vécut Hélicaon, et ces campagnes qu'animent tant de coteaux couverts de pampres, porte à Sabina, que vit naître Atesta, ces chants inédits encore, mais que j'ai enveloppés tout à l'heure d'une couverture de pourpre. Comme on aime les roses fraîchement cueillies, ainsi on recherche le livre que n'a sali le contact d'aucun menton.

XCIV. - ENVOI DE FRUITS

Un dragon de Massylie ne défend pas mon verger, je n'ai pas en mon pouvoir le royal jardin d'Alcinoüs ; mais les arbres de mon domaine de Nomentum poussent en sûreté, et leurs fruits vulgaires ne craignent pas les voleurs. Reçois donc ceux-ci que l'automne a pris soin de dorer, et qui sont nés pour moi au milieu de la rue de Suburra.

XCV. - A GALLA

Ton mari et ton amant, Galla, t'ont renvoyé ton enfant ; c'est avouer clairement qu'ils n'ont rien fait pour te rendre mère.

XCVI. - A AVITUS

Tu t'étonnes, Avitus, de m'entendre souvent parler des pays étrangers, moi qui ai vieilli dans Rome ; de me voir altéré des eaux du Tage aux sables d'or, de celles du Salon qui m'a vu naître ; de m'entendre regretter mes rustiques pénates et l'humble cabane où je ne manquais de rien. C'est que j'aime les lieux où peu de chose rend heureux, où l'on est riche avec un mince avoir. Ici, il faut nourrir la terre ; là, c'est elle qui me nourrit. Ici, le foyer à peine tiédi ne réchauffe personne : là, il brille d'une immense lumière. Ici la faim coûte cher, le marché est ruineux ; là il suffit des produits de mon champ pour couvrir ma table. Ici on use dans un été quatre toges et plus ; là une seule me dure quatre automnes. Va donc faire ta cour aux grands, lorsqu'un coin de terre peut te procurer, Avitus, tout ce que refuse un ami !

XCVII. - SUR NUMA

Le bûcher entouré de feuilles de papyrus n'attend plus que la flamme ; l'épouse désolée a préparé la myrrhe et la cannelle ; la fosse, le lit, l'embaumeur sont prêts ; Numa m'a institué son héritier : et il guérit !

XCVIII. - CONTRE PUBLIUS

Quand tu me fais verser le Cécube par un jeune garçon plus gracieux que le mignon phrygien, et plus élégant dans sa parure que ta fille, ta femme, ta sœur et ta mère, tu veux que je regarde ton vêtement négligé, ton vieux meuble de citronnier et ses pieds d'ivoire ! Si tu crains de m'inspirer des soupçons, quand je soupe chez toi, prends-moi, pour remplir les coupes, quelques rustres grossiers, à la tête rasée, sortant de la foule ou de leur misérable village, malpropres, grossiers, rabougris, fils de quelque porcher à l'odeur de bouc. Ton embarras te perdra, Publius : tu ne peux avoir des mœurs chastes et de pareils échansons.

XCIX. - SUR UN PORTRAIT DE SOCRATE

Si ce portrait de Socrate était celui d'un Romain, ce serait Julius Rufus quand il joue les Satyres.

C. - CONTRE UN PLAGIAIRE

Imbécile ! pourquoi mêler tes vers avec les miens ? Qu'as-tu à faire, misérable ! avec mon livre qui accuse ta sottise ? Pourquoi vouloir accoupler le renard avec le lion, et faire passer une chouette pour un aigle ? Quand tu posséderais un des pieds de Lada, insensé ! tu ne saurais courir avec une jambe de bois.

CI. - SUR CAPITOLINUS

Si le vieux Galba, que la faveur d'Auguste rendit si heureux, pouvait revenir des champs de l'Élysée, celui qui entendrait Capitolinus et Galba lutter de plaisanteries, dirait avec raison à Galba : Tais-toi, grosse bête !

CII. - SUR PHILENUS

Tu me demandes, Avitus, comment Philénus a pu devenir père, lui qui jamais ne fit rien pour l'être ? Gaditanus te le dira, lui qui n'a jamais rien écrit, et qui cependant est poète.

CIII. - A SES COMPATRIOTES DE BILBILIS

O mes compatriotes, vous que la ville impériale de Bilbilis, qu'entourent les eaux du rapide Salon, a vus naître sur sa montagne escarpée, la renommée de votre poète ne vous donne-t-elle pas quelque joie ? Car je suis l'honneur, l'ornement et la gloire de votre pays. Vérone ne doit pas plus à l'aimable Catulle, et elle ne serait pas moins flattée de m'avoir donné lé jour. Trente-quatre étés se sont écoulés depuis que sans moi vous offrez à Cérès vos rustiques gâteaux. Pendant que j'habitais ainsi les murs de la magnifique Rome, le séjour de l'Italie a changé la couleur de mes cheveux. Si vous êtes disposés à me faire bon accueil, je viens parmi vous ; si vos murs me repoussent, je serai bien vite reparti.

CIV. - A SON LIVRE

Va, mon livre, accompagne Flaccus dans sa longue mais heureuse navigation ; favorisé par les vents, gagne, sans que rien t'arrête, l'Espagne jusqu'à Tarragone. Là un char t'emportera dans sa course rapide, et, au bout de cinq jours environ, tu verras la haute Bilbilis et notre cher Salon. Tu me demandes mes commissions. Les voici ; salue, aussitôt après ton arrivée, un petit nombre de vieux amis que je n'ai pas vus depuis trente-quatre hivers, et recommande à notre bon Flaccus de me procurer, à un prix raisonnable, une retraite agréable et commode, propre à favoriser la paresse de ton père. Voilà tout : déjà le patron impérieux appelle et s'impatiente ; un bon vent ouvre le port : adieu ! cher petit livre ; tu sais, je pense, qu'un navire n'attend pas pour un seul passager.

LIVRE XI

I. - A SON LIVRE.

Où vas-tu, mon livre ? où vas-tu, désoeuvré, dans tes habits de fête ? Est-ce chez Parthenius ? - Oui. - Mais tu reviendras sans avoir été ouvert. Il ne lit pas de livres ; il ne lit que des placets ; il ne s'occupe pas des Muses, ou, s'il le faisait, ce serait pour son propre compte. Des lecteurs plus vulgaires te conviendraient-ils ? Dirige-toi vers le portique de Quirinus, tout près d'ici : celui de Pompée, celui d'Europe, ou du héros qui le premier guida un navire à travers les flots, n'abritent pas un plus grand nombre d'oisifs. Il se trouvera bien deux ou trois d'entre eux pour feuilleter ces niaiseries, pâture des mites ; toutefois, ce ne sera qu'après que les paris et les conversations sur Scorpus et Incitatus auront cessé, de guerre lasse.

II. - AUX LECTEURS.

Gens au sourcil farouche, Catons au front sévère et renfrogné, rigides héritiers des rustiques vertus de Fabricius, masques prétentieux, régulateurs de la morale ; vous enfin qui n'êtes rien de ce que nous sommes dans les ténèbres, hors d'ici ! mes vers sont un appel aux Saturnales. Cet appel n'a rien qui les gêne où qui les effraye, puisque c'est toi qui règnes, Nerva. Lecteurs difficiles, apprenez par coeur les vers rocailleux de Sanctra ; je n'ai rien de commun avec vous : ce livre est mon livre.

III. - SUR SES OUVRAGES.

Ce n'est pas seulement aux oisifs de la ville et aux oreilles inoccupées que s'adressent mes écrits ; ils sont lus aussi par l'austère centurion qui combat au milieu des glaces de la Gétie. Les Bretons eux-mêmes chantent, dit-on, mes vers. Mais à quoi bon ? ma bourse ne s'en ressent pas. Et pourtant, moi aussi je pourrais publier des pages immortelles, moi aussi je pourrais tirer de la trompette de Clio des chants guerriers, si les dieux propices rendaient à la terre un Auguste, si Rome me donnait un Mécène !

IV. - INVOCATION AUX DIEUX EN FAVEUR DE TRAJAN.

Autels sacrés, Lares de la Phrygie, que l'héritier d'Ilion aima mieux arracher aux flammes que les richesses de Laomédon ; Jupiter, dont l'or vient pour la première fois d'éterniser l'image ; toi sa soeur, toi sa fille, qui à lui seul as dû ta naissance ; Janus, toi qui déjà trois fois as inscrit le nom de Nerva dans les Fastes consulaires, je vous le demande en grâce, unissez-vous pour conserver notre chef, pour conserver le sénat ; faites que celui-ci se règle sur les moeurs du prince, et que le prince ne prenne modèle que sur lui-même.

V. - A LA LOUANGE DE NERVA.

Il y a chez toi, César, un respect du droit et de la justice, qui te place à côté de Numa : mais Numa était pauvre. C'est chose difficile de défendre tes moeurs des séductions de la richesse, et de rester un Numa après avoir vaincu tant de Crésus. Si nos ancêtres, ces illustres personnages, pouvaient revenir sur terre, et quitter les bocages de l'Élysée, l'invincible Camille te sacrifierait même la liberté ; Fabricius accepterait de l'or de ta main ; Brutus aimerait à t'avoir pour maître ; le sanguinaire Sylla déposerait le pouvoir suprême pour te le céder ; Pompée te chérirait, d'accord avec César, rendu à la vie privée ; Crassus te ferait l'abandon de toutes ses richesses ; Caton lui-même, s'il pouvait quitter le noir séjour du dieu des enfers, Caton deviendrait partisan de César.

VI. - A ROME.

Pendant les jours gras, ces jours consacrés à Saturne, où le dé règne sans contrôle, il m'est permis, je pense, ô Rome ! d'égayer par quelques joyeux vers tes habitants coiffés du bonnet. Tu ris ! c'est me mettre à l'aise et me donner toute liberté. Loin de nous, pâles soucis ! disons tout ce qui nous passe par la tête, et chassons toute pensée morose. Verse, esclave, mais jusqu'à la moitié de nos coupes seulement, comme faisait Pythagoras quand il servait Néron ; verse, Dindyme, et verse souvent : sans Bacchus, je ne suis bon à rien ; quand j'ai bu, je vaux quinze poètes à moi seul. A présent, donne-moi des baisers comme les aimait Catulle ; s'ils égalent en nombre ceux qu'il a célébrés, je te donnerai le moineau de Catulle.

VII. - CONTRE PAULLA.

Maintenant, Paulla, tu ne diras plus à ton sot de mari, quand tu voudras aller au loin rejoindre ton amant : "César m'a donné l'ordre de me rendre ce matin à Albanum ; César m'appelle à Circéi." La ruse n'est plus de saison. Sous le règne de Nerva, il faut se faire Pénélope ; mais le tempérament et la force de l'habitude s'y opposent. Que feras-tu, malheureuse ? feindras-tu qu'une de tes amies est malade ? non, car ton époux va s'attacher à tes pas : il te suivra chez ton frère, chez ta mère, chez ton père. Eh bien ! quelle ruse ton génie inventif te suggère-t-il ? Toute autre catin que toi se dirait hystérique et résolue de prendre les eaux de Sinuesse. Ah ! que tu as bien plus de malice ! toutes les fois que tu veux aller faire l'amour, tu le dis à ton mari.

VIII. - SUR LES BAISERS DE SON MIGNON.

L'odeur que répandent les essences dont se parfume un pédéraste étranger ; celle qu'exhale, avant de tomber, le safran incliné sur sa tige ; celle qui s'élève d'une caisse où des fruits mûrissent pour l'hiver ; celle qu'on respire au printemps dans un parterre de fleurs; celle du cabinet de toilette de l'impératrice ; celle que donne le succin échauffé parla main d'une jeune vierge ; celle qu'on sent quand on approche, non trop près toutefois, d'une amphore brisée où a vieilli le noir Falerne ; celle des jardins où butinent les abeilles de Sicile ; celle des vases d'albâtre de Cosmus, des autels des dieux, de 1a couronne qu'un riche vient de laisser tomber de sa tête... mais à quoi bon nommer une à une toutes ces odeurs ? aucune d'elles n'est suffisante : mêlez le tout, et vous aurez une idée de ce qu'ont de parfums les baisers de mon jeune esclave à son réveil... Tu veux savoir son nom ? Je ne te dirai que ses baisers. En dépit de tes serments, Fabinus, tu es trop curieux.

IX. - SUR UN PORTRAIT DE MENTOR.

Dans cette image couronnée de la feuille consacrée à Jupiter, respire l'honneur du cothurne romain, Memor, que, l'art d'Apelles a fait revivre.

X. - -SUR TURNUS.

Turnus a employé son grand génie à composer des satires. Pourquoi n'a-t-il pas suivi le genre de Memor ? c'était son frère.

XI. - A SON ESCLAVE.

Esclave, enlève ces gobelets, ces vases fabriqués sous le climat brûlant de l'Égypte ; et, d'une main ferme, donne-moi ces coupes qu'ont usées les lèvres de nos pères, et auxquelles n'a jamais touché un échanson efféminé. Que nos tables reprennent leur ancienne dignité. Il n'appartient qu'à toi de boire dans la pierre précieuse, Sardanapale, à toi qui mutiles un Mentor pour en faire un pot de chambre à ta maîtresse.

XII. - CONTRE ZOILE.

On peut bien, Zoïle, te donner, si l'on veut, le droit de sept enfants ; mais te donner un père, une mère, cela ne se peut.

XIII. - EPITAPHE DU MIME PARIS.

Toi qui suis la voie Flaminienne, passant, ne manque pas de t'arrêter devant cette noble tombe. Avec Paris sont ensevelis sous ce marbre les délices de Rome, la fine plaisanterie des bords du Nil, l'art et la grâce, la folie et la volupté, l'honneur et les regrets du théâtre romain, toutes les joies de Vénus et de l'Amour.

XIV. - SUR COLONUS.

Héritiers du petit Colonus, gardez-vous de l'enterrer ! car la terre, si peu qu'il y en ait, sera trop lourde pour lui.

XV. - SUR SON LIVRE.

Il est plusieurs de mes livres que pourraient lire la femme de Caton et les farouches Sabines. Mais celui-ci, que d'un bout à l'autre je veux consacrer à la gaieté, sera le plus libertin de tous. Vous le verrez, trempé de vin, ne pas rougir d'être barbouillé des essences de Cosmus. Folâtre avec les garçons, amoureux avec les jeunes filles, il parlera sans détour de l'instrument qui nous fait naître, celui que le vertueux Numa appelait la mentule. Rappelle-toi pourtant, Apollinaris, que ceci est de la poésie de Saturnales, et non le tableau de mes moeurs.

XVI. - A SES LECTEURS.

Si tu te piques de gravité, tu peux bien, lecteur, t'en aller où il te plaira : ces pages sont faites pour les oisifs de Rome. Car la poésie du dieu de Lampsaque les égaye, et dans ma main résonne l'airain qui retentit aux champs de Tartesse. Combien de fois l'aiguillon de l'amour, excitant ton ardeur, soulèvera ta robe, fusses-tu plus sévère que Curius et Fabricius ! Et toi aussi, jeune fillette, fusses-tu née à Padoue, tu ne liras pas sans chatouillement les drôleries et les gaillardises de ce volume. Lucrèce a rejeté mon livre en rougissant ; c'est que Brutus était là. Retire-toi, Brutus, elle va le reprendre.

XVII. - A SABINUS.

Toutes les pages de mon livre ne sont pas faites pour la nuit ; tu en trouveras, Sabinus, qui se peuvent lire le matin.

XVIII. - CONTRE LUPUS.

Tu m'as donné, Lupus, une campagne aux portes de Rome mais j'en ai une, plus grande sur ma fenêtre ! Et tu oses bien appeler cela une campagne ! la belle campagne, où le bosquet de Diane est représenté par une touffe de rues que couvrirait l'aile d'une cigale, qu'une fourmi rongerait en un jour, que couronnerait une feuille de rose encore fermée ; où l'on ne trouve pas plus de gazon que de feuilles de costus ou de poivre vert ; où serait à l'étroit un concombre ; où ne tiendrait pas un serpent. A peine ce jardin pourrait-il nourrir une chenille ; un moucheron y mourrait de faim, eût-il dévoré la saussaie ; une taupe suffirait à y faire les fossés et le labour. Impossible au champignon de s'y développer, à la figue d'y sourire, à la violette d'ouvrir sa fleur. Un rat en ravagerait les frontières, et causerait au jardinier autant de peur que le sanglier de Calydon. Procné, en voltigeant, en enlèverait dans ses pattes toute la paille pour le nid de ses petits ; et Priape, quand il laisserait à la porte sa faux et son autre attribut, n'y logerait pas la moitié de sa divinité. La moisson tout entière ne remplirait pas le fond d'une cuiller, et la récolte devin trouverait place dans une noix enduite de poix. Tu t'es trompé, Lupus, toutefois d'une syllabe seulement ; tu m'as donné un praedium (jardin), j'aurais préféré un prandium (dîner).

XIX. - CONTRE GALLA.

Tu me demandes, Galla, pourquoi je ne veux pas t'épouser ? C'est que tu es puriste, et que ma mentule fait souvent des solécismes.

XX. - A UN LECTEUR SÉVÈRE.

Envieux, toi qui lis de mauvaise humeur certains mots latins, lis en pâlissant d'effroi ce sixain égrillard de César Auguste : "Parce qu'Antoine besogne Glaphyre, Fulvie me condamne à lui en faire autant. Mais si je besogne Fulvie, faudra-t-il sacrifier à Manius, s'il m'en prie à son tour ? Non pas, si j'ai bien ma raison. « Ou l'amour ou la guerre, » me crie-t-elle ! « Ah ! plutôt perdre la vie que ma mentule ! Sonnez, trompettes. » Tu absous la gaillardise de mes écrits, Auguste, quand tu parles avec cette naïveté toute romaine.

XXI. - CONTRE LYDIE.

Lydie est aussi large que le derrière d'un cheval de bronze, que le cerceau rapide aux phalanges d'airain retentissantes ; que le cercle à travers lequel le sauteur cent fois s'élance sans en toucher les bords ; qu'un vieux soulier qui a croupi dans la boue ; que les filets à mailles écartées, qu'on dresse pour prendre les grives vagabondes ; que les toiles flottantes du théâtre de Pompée ; que le bracelet qui a glissé du bras d'un libertin amaigri par la phthisie ; qu'un matelas vide de sa laine ; que les vieilles braies d'un pauvre Breton ; que le sale gosier d'un butor de Ravennes. On dit que j'ai besogné Lydie dans une piscine d'eau de mer : c'est plutôt la piscine que j'ai besognée.

XXII. - CONTRE UN PEDERASTE DOUBLEMENT VIL.

Que de tes rudes baisers tu écorches le visage blanc et moelleux de Galesus, que tu couches côte à côte avec un Ganymède tout nu, c'en est déjà beaucoup trop, au dire de tout le monde. Tu devrais donc t'en tenir là, et leur épargner tout au moins les sales sollicitations de ta main libertine. Cette main fait plus de mal à ces enfants qu'aucun des excès de ta mentule ; elle hâte, elle précipite l'époque de leur virilité. De là chez eux cette odeur d'aisselles, ces poils trop précoces, cette barbe qui fait l'étonnement de leur mère, et le peu de plaisir qu'on éprouve à les voir en plein jour au bain. La nature a donné aux mâles deux parties : l'une pour le service des filles, l'autre pour le service des hommes ; contente-toi de celle qui t'appartient.

XXIII. - CONTRE SILA.

Sila est prête à m'épouser, n'importe à quel prix ; mais à aucun prix je ne veux épouser Sila. Comme elle insistait pourtant : "Eh bien, lui dis-je, tu me donneras une dot d'un million ; peut-on être moins exigeant ? Quoique ton mari, je serai dispensé de toute besogne dès la première nuit, et il me sera permis de faire lit à part. Je caresserai ma maîtresse sans que tu y mettes jamais obstacle ; et quand je te demanderai ta servante, il faudra me l'envoyer. Nos jeunes esclaves, soit le mien, soit le tien, pourront en ta présence me baiser amoureusement. A table, tu te tiendras assez loin de moi pour que nos vêtements ne se touchent pas. Tu m'embrasseras, mais rarement, et seulement alors que tu y seras invitée ; encore ne faut-il pas des baisers d'épouse, mais des baisers de grand-mère. Si tu peux te résigner à tout cela, si aucune de ces conditions ne te l'ait peur, tu trouveras, Sila, quelqu'un qui voudra t'épouser."

XXIV. - A LABULLUS.

Pendant que je m'attache à tes pas, que je te reconduis chez toi, que je prête l'oreille à tes causeries, et que je m'extasie sur tout ce que tu dis et fais, combien de vers auraient pu naître, Labullus ! C'est donc peu de chose à tes yeux, de faire périr des ouvrages que Rome se plaît à lire, que l'étranger recherche, que le chevalier ne dédaigne pas, que le sénateur conserve, que le jurisconsulte exalte, et que le poète déchire à belles dents ? Et pourtant y a-t-il de la loyauté à le faire, Labullus ? Qui pourrait voir de sang-froid le nombre de mes livres diminuer pour augmenter le nombre de tes clients ? Depuis près de trente jours, à peine ai-je écrit une page : voilà ce qui arrive au poète qui ne sait pas souper chez lui.

XXV. - CONTRE LINUS.

Cette effrontée libertine, si intimement connue de tant de jeunes filles, la mentule de Linus est tombée pour ne plus se relever : gare à sa langue !

XXVI. - AU JEUNE TELESPHORUS.

O toi, le charme de mes loisirs, le plus doux objet de mes soins, Telesphorus, dont les caresses m'ont fait goûter des délices inconnues ! enfant, donne-moi tes baisers parfumés de vieux Falerne, et passe-moi la coupe après l'avoir effleurée de tes lèvres. Si, après cela, tu m'accordes les véritables jouissances de l'amour, je pourrai défier Jupiter d'être plus heureux avec Ganymède.

XXVII. - A FLACCUS.

Il faut que tu sois de fer, Flaccus, pour ne pas être démonté par une maîtresse qui te demande six tasses de saumure, deux tranches de thon, ou un petit lézard d'eau ; qui ne s'estime pas au delà d'une grappe de raisin ; qui avale en un clin d'oeil un hareng servi sur un plat de terre rouge par une grosse réjouie de servante ; qui, lorsqu'elle a mis toute honte de côté, se hasarde à implorer cinq toisons de laine brute pour se faire un cotillon. Quant à moi, je veux une maîtresse qui me demande une livre des plus riches parfums, ou bien une paire d'émeraudes ou de sardoines ; à qui il faille les plus belles soieries de la rue de Toscane, et qui demande cent pièces d'or comme si c'était du cuivre. Là-dessus, te figures-tu que je sois homme à donner toutes ces choses à une femme ? Non, sans doute ; mais je veux que ma maîtresse soit digne de les recevoir.

XXVIII. - SUR UN NÉPHRÉTIQUE, FRÉNÉTIQUE EN MÊME TEMPS.

Un néphrétique a poursuivi de son poignard le médecin Hylas, et il l'a pourfendu : il me semble, Auctus, que ce malade ne se portait pas si mal.

XXIX. - A PHYLLIS.

Quand ta vieille main, Phyllis , travaille à ranimer ma vigueur languissante, tes doigts m'assassinent. Quand tu m'appelles "ton rat, tes yeux," dix heures de ces gentillesses ne parviendraient pas à me réconforter. Tu ne te connais pas en douceurs: dis-moi : "Je te donnerai cent mille sesterces, je te donnerai des terres, en culture sur le coteau de Sétia ; prends ce vin, cette maison, ces esclaves, cette vaisselle d'or, ces meubles. " Voilà des mots, Phyllis, qui me chatouilleront mieux que ta main.

XXX. - CONTRE ZOILE.

Tu prétends; Zoïle, que la bouche des avocats et des poètes sent mauvais ; elle sent bien plus mauvais la bouche d'un suceur éhonté.

XXXI. - CONTRE. CÉCILIUS.

Cécilius, l'Atrée des citrouilles, les déchire et les coupe en mille pièces, comme Thyeste faisait de ses enfants. Il en offre aux entrées, au premier, au second, au troisième service. Il en fait son dessert, il en fait des gâteaux, les plus fades du monde, il en fait des pâtisseries de toutes sortes, et des dattes comme on en voit au théâtre. Elles sortent de sa cuisine sous forme de hachis, de lentilles ou de fèves. Elles imitent les champignons, les saucisses, la queue du thon, et jusqu'aux petits anchois. L'habileté de son maître d'hôtel se déploie tout entière pour assaisonner ces mets avec de la feuille de rue. C'est ainsi que Cécilius remplit ses jattes, ses plats, ses écuelles et ses bassins, et il croit avoir fait merveille, avoir fait une chose charmante, quand, pour un si grand nombre de mets, il n'a dépensé qu'un as.

XXXII. - CONTRE NESTOR.

Tu n'as pas une toge, pas un foyer, pas un lit infecté de punaises, pas une pauvre vieille natte de jonc ; tu n'as ni esclave jeune ou vieux, ni servante, ni enfant, ni clef, ni serrure, ni chien, ni tasse pour boire. Cependant tu veux à toute force te faire passer pour pauvre, et tu cherches à prendre place parmi le peuple. Tu mens, Nestor, en te disant pauvre, tu te fais trop d'honneur : la pauvreté n'est pas de ne rien posséder.

XXXIII. - SUR PRASINUS, (COCHER DE LA FACTION VERTE DU CIROUE).

Depuis la mort de Néron, Prasinus a souvent remporté la palme, et plus d'un prix a couronné ses succès. Oseras-tu encore dire, maligne Envie, que tu as cédé à Néron? Aujourd'hui, ce n'est pas Néron, c'est Prasinus qui est le vainqueur.

XXXIV. - SUR APER.

Aper vient d'acheter une maison, mais une maison telle qu'une chouette même ne voudrait pas, tant elle est vieille et noire, habiter cette baraque ! Près de lui Maro possède une charmante villa. Aper sera mal logé, mais il soupera bien.

XXXV. - A FABULLUS.

Tu invites trois cents personnes dont pas une ne m'est connue, et tu t'étonnes que je ne me rende pas à ton invitation ; tu t'en plains, tu me cherches querelle. Fabullus, je n'aime pas à souper seul.

XXXVI. - SUR CAIUS PROCULUS.

Caïus Julius a fait de ce jour un des plus heureux de ma vie. Quelle joie ! le voici rendu à mes voeux. J'ai bien fait de désespérer, comme si les trois Soeurs eussent rompu le fil de ses jours : on se réjouit moins, quand on n'a pas eu de pareilles craintes. Hypnus, qu'attends-tu, paresseux ? verse-nous de cet immortel Falerne : de tels voeux demandent à être scellés avec un vin vieux. Vidons tour à tour cinq, six et huit coupes, afin de fêter les trois noms de Caïus, de Julius, et de Proculus.

XXXVII. - CONTRE ZOILE

Zoïle, pourquoi employer toute une livre d'or pour monter cette pierre ? pourquoi enterrer ainsi cette malheureuse sardoine ? Un pareil anneau pouvait naguère convenir à tes jambes, mais il est trop lourd pour tes doigts.

XXXVIII. - SUR UN MULETIER QUI ETAIT SOURD.

Un muletier vient d'être vendu vingt mille sesterces : tu t'étonnes d'un si haut prix, Aulus ? il était sourd.

XXXIX. - CONTRE CHARIDEMUS.

Tu m'as bercé jadis, Charidemus ; tu as été le gardien, le compagnon assidu de mon enfance. Maintenant ma barbe, tombant sous le rasoir, noircit la serviette, et ma belle se plaint des piqûres que lui font mes lèvres. Malgré tout, je n'ai pas grandi pour toi. Notre fermier t'a en horreur ; l'intendant et toute la maison avec lui ont peur de toi. Tu ne me passes ni le jeu ni l'amour ; sans me permettre quoi que ce soit, tu te permets tout. Ce ne sont de ta part que reproches, espionnages, plaintes et soupirs ; à peine, dans ta colère, peux-tu retenir ta férule. S'il m'arrive parfois de me vêtir de pourpre, ou de parfumer ma chevelure : "Ton père, me cries-tu, ne fit jamais pareille chose." Tu comptes, d'un air renfrogné, les coups que je bois, comme s'il s'agissait du vin de ta cave. Laisse-moi en repos, je te prie : je ne puis souffrir qu'un affranchi tranche du Caton. Ma maîtresse te dira que je suis un homme.

XL. - SUR LUPERCUS.

Lupercus aime la belle Glycère ; seul il la possède, seul il lui commande. Comme il se plaignait piteusement de ne pas l'avoir caressée de tout le mois, Elien lui en demanda la cause : "C'est, répondit-il, qu'elle a mal aux dents."

XLI. - SUR AMYNTAS.

Tandis que le berger Amyntas, trop occupé de son troupeau, se félicite de voir l'embonpoint et d'entendre vanter la beauté de ses élèves, voilà que sous son poids ont cédé, en se courbant, les branches de l'arbre qui le portait, et que, dans sa chute il a suivi sa récolte de glands. Le père n'a pas voulu que cet arbre survécût à la perte cruelle de son fils : il a condamné ce bois malfaisant à lui servir de bûcher. Lygdus, laisse ton voisin Iolas se glorifier de la graisse de ses porcs, et contente-toi d'avoir le compte de ton troupeau.

XLII. - CONTRE CECILIANUS.

Tu me demandes des épigrammes piquantes, et tu ne me proposes que des sujets insignifiants : comment veux-tu que je fasse, Cécilianus ? Tu prétends obtenir du miel de l'Hybla et de l'Hymette, et tu donnes à l'abeille attique du thym de Corse.

XLIII. - CONTRE SA FEMME.

Tu m'accables de reproches, ma femme, parce que tu m'as surpris avec mon mignon, et tu te prévaux de ce que, toi aussi, tu as un derrière. Combien de fois Junon n'en a-t-elle pas dit autant à son voluptueux époux ! Le maître du tonnerre n'en couche pas moins avec l'aimable Ganymède. Le héros de Tirynthe débandait son arc pour caresser Hylas ; et penses-tu que Mégara n'eût pas de fesses ? La fuite de Daphné désespérait Apollon ; cependant le berger d'Oebalie lui fit oublier sa flamme. Quoique Briséis tournât complaisamment le dos à Achille, celui-ci préférait la main douce d'un jeune garçon sans barbe. Cesse donc d'appliquer des noms masculins à quoi que ce soit de ta personne, et persuade-toi bien que, par derrière comme par devant, tu n'es qu'une femme.

XLIV. - A UN VIEILLARD QUI AVAIT PERDU FEMME ET ENFANTS.

Toi qui n'as ni femme ni enfants ; qui es riche, qui es né sous le consulat de Brutus, te figures-tu avoir de vrais amis ? Sans doute il en est de vrais, et tu en avais, alors que tu étais jeune et pauvre. Quant aux nouveaux, tout ce qu'ils désirent, c'est ta mort.

XLV. - CONTRE CANTHARUS.

Toutes les fois qu'attiré par les charmes d'un jeune garçon ou d'une jeune fille, tu as franchi le seuil d'une cellule que son enseigne t'a signalée, tu ne te contentes pas du secret que t'assurent la porte, le rideau et la serrure ; tu pousses encore plus loin tes précautions. As-tu soupçon de la moindre fente, d'un trou à y passer une aiguille, vite tu les fais boucher. On n'a pas une pudeur si délicate et si inquiète, Cantharus, quand on se borne aux procédés ordinaire.

XLVI. - CONTRE MEVIUS.

Ta mentule, Mévius, ne se dresse plus qu'en rêve, et ton jet, si énergique jadis, ne dépasse plus tes pieds. En vain ta main s'épuise-t-elle à secouer ce membre flétri, nul effort ne peut lui rendre la vie et lui faire lever la tête. Pourquoi donc fatiguer de tes ridicules poursuites les devants et les derrières ? Adresse-toi plus haut : c'est là qu'une vieille mentule trouve le moyen de revivre.

XLVII. - CONTRE BLATTARA.

Pourquoi Blattara évite-t-il les bains où les femmes aiment à se réunir ? Pour ne pas besogner. Pourquoi ne le voit-on jamais se promener à l'ombre du portique de Pompée, ou se diriger vers le temple de la fille d'Inachus ? Pour ne pas besogner. Pourquoi baigne-t-il dans l'eau froide son corps tout gras de l'onction lacédémonienne? Pour ne pas besogner. Pourquoi Blattara, qui fuit avec tant de soin le contact ordinaire des femmes, ne craint-il pas de leur prostituer sa langue ? Pour ne pas besogner.

XLVIII. - SUR SILIUS ITALICUS.

Silius honore d'un culte pieux le tombeau du grand Virgile et possède la campagne de l'éloquent Cicéron. Virgile et Cicéron n'eussent point choisi d'autres héritiers, celui-ci de son domaine, l'autre de son tombeau.

XLIX. - SUR SILIUS.

II n'y avait plus qu'un pauvre hère, tout seul, qui veillât sur les cendres abandonnées et honorât le saint nom de Virgile. Silius s'est dévoué à cette ombre chérie, et un grand poète a été vengé par un poète non moins grand.

L. - CONTRE PHYLLIS.

Il n'est pas une heure du jour, Phyllis, où tu ne mettes à contribution mon amour extravagant, tant est grande ton adresse à butiner ! Aujourd'hui ta friponne de servante déplore la perte d'un miroir, ou bien c'est une bague qui a glissé de ton doigt, un pendant d'oreille qui s'est détaché ; un autre jour, des soies de contrebande sont une occasion excellente dont il faut profiter ; tantôt il faut remplir de parfums nouveaux ta cassolette vide ; tantôt on me demande une amphore noircie par le long séjour du Falerne, pour faire expier tes insomnies à une babillarde de sorcière ; tantôt il me faut acheter un loup monstrueux, ou un mulet de deux livres, parce qu'une amie opulente t'a demandé à souper. Pour ton honneur, Phyllis, montre enfin un peu de conscience et d'équité : je ne te refuse rien ; ne me refuse rien non plus.

LI. - SUR TITIUS

Il n'y a point de différence pour la grandeur entre la colonne qui pend entre les jambes de Titius, et celle qu'honorent les jeunes filles de Lampsaque. Titius, sans avoir près de lui personne qui le gêne, se baigne seul dans ses vastes thermes, et cependant il s'y trouve à l'étroit.

LII. - A JULIUS CEREALIS.

J'ai à t'offrir, Julius Cerealis, un joli souper ; viens, si tu n'as pas d'invitation meilleure. Tout sera prêt à la huitième heure, comme chez toi : nous nous baignerons ensemble ; tu sais que je touche aux bains de Stephanus. D'abord viendra la laitue, dont le ventre aime la vertu laxative, et le porreau découpé en filets ; puis le thon et le cordyle plus gros que l'anchois, tous deux garnis d'une couche d'oeufs et de feuilles de rue. D'autres oeufs cuits sous la cendre te seront encore servis, ainsi que du fromage de Vélabre durci au feu, et des olives qui ont senti le froid du Picenum : voilà pour les hors-d'oeuvre. Veux-tu connaître le reste ? Que je mentirais bien pour t'attirer plus sûrement ! Tu auras des poissons, des coquillages, des tétines de truie, de la volaille et des oiseaux aquatiques, de ces mets que Stella ne place que rarement sur sa table. Je te promets plus encore, je ne te ferai point de lecture ; c'est toi au contraire qui me liras ta Guerre des Géants, ou tes Poésies champêtres dignes de l'immortel Virgile.

LIII. - SUR CLAUDIA RUFINA.

Claudia, quoique née en Bretagne, a toute l'âme des filles de Latium. Que de beauté dans sa personne ! Les femmes de l'Italie peuvent la prendre pour une Romaine, celles de l'Attique pour une Athénienne. Dieux, qui, dans votre bonté, avez permis qu'elle rendit père son respectable époux et qu'elle pût espérer des gendres et des brus, faites qu'elle n'ait jamais qu'un seul époux, et qu'elle conserve toujours ses trois enfants.

LIV. - CONTRE ZOILE.

Zoïle, vil coquin, rends bien vite ces parfums, cette cannelle, cette myrrhe qui exhale encore une odeur de funérailles, cet encens disputé à la flamme du bûcher, et ce cinname que tu as dérobé sur un lit funèbre. Ce sont tes pieds qui ont donné à tes coupables mains d'aussi belles leçons. Je ne m'étonne pas que de fugitif tu sois devenu voleur.

LV. - A URBICUS, AU SUJET DE LUPUS.

Urbicus, bien que Lupus t'engage à devenir père, ne t'y fie pas : il n'y a rien au monde qu'il désire moins. Un grand moyen de séduction, c'est de paraître vouloir ce qu'on ne veut pas. Il désire ardemment que tu ne fasses pas ce qu'il te prie de faire. Que Cosconia, ton épouse, se dise grosse, tu verras soudain mon Lupus devenir plus pâle qu'une femme en couches.Cependant; si tu veux avoir l'air de suivre les conseils d'un ami, dispose en mourant les choses de telle façon qu'il puisse croire que tu as été père.

LVI - CONTRE CHÉREMON.

Lorsque tu fais ainsi l'éloge de la mort, c'est, stoïque Chéremon, pour me faire admirer et priser bien haut ta force d'âme. Cette philosophie, tu la dois à ta cruche dont l'anse est brisée, à ton foyer, que n'égaye pas la plus petite étincelle, à ta natte de paille, vrai nid à punaises, à ton misérable grabat, à ta toge écourtée, qui te sert la nuit comme le jour. O l'homme magnanime, qui sait se priver de la lie d'un vin tourné en vinaigre, d'un peu de paille et d'un morceau de pain noir ! Mais qu'il te vienne un matelas gonflé de laine de Langres, un lit qu'enveloppe de toutes parts la pourpre, et pour compagnon de tes nuits un des jeunes esclaves qui, lorsqu'ils versent le Cécube, allument par leur bouche de rose les désirs des convives : ah ! comme tu désirerais alors de vivre trois fois l'âge de Nestor, de ne pas perdre un seul instant de cette vie délicieuse ! Il est bien facile de mépriser la vie, quand on est dans le besoin : le véritable courage est de savoir être pauvre.

LVII. - A SEVERUS.

Tu t'étonnes, docte Severus, de ce que j'adresse, moi chétif, des vers au docte Severus ; tu t'étonnes de ce que je t'invite à souper. Jupiter se nourrit d'ambroisie et vit de nectar ; et pourtant nous lui offrons des entrailles sanglantes et du vin. Toi que les dieux ont comblé de tous les biens, si tu te mets à refuser tout ce que tu as, qu'accepteras-tu donc?

LVIII. - CONTRE TELESPHORUS.

Quand tu vois, Telesphorus, mes désirs se manifester et se produire en signes non équivoques, tu me demandes l'impossible ; tu te figures alors que je ne saurais te rien refuser, et si je n'appuie mes promesses d'un serment, tu retires ces fesses qui te donnent tant d'empire sur moi. Qu'aurais-je à faire, si l'esclave qui me rase, son rasoir sur ma gorge, me demandait sa liberté et mes trésors ? Je lui promettrais tout : car, en pareille circonstance, ce ne serait plus à un barbier, c'est à un voleur que j'aurais affaire; et la peur est bien impérieuse. Mais lorsque le rasoir serait rentré dans son étui, je romprais bras et jambes au barbier. Quant à toi, je ne te ferai rien; mais pour te punir de ton insatiable avarice, après que j'aurai lavé mes mains, ma mentule t'ordonnera de la lécher.

LIX. - SUR CHARNUS.

Charinus porte six bagues à chacun de ses doigts ; il ne les quitte pas plus la nuit qu'il ne les quitte au bain : vous me demandez pourquoi ? c'est, voyez-vous, qu'il n'a pas d'écrin.

LX. - SUR CHIONÉ ET PHLOGIS.

Vous demandez laquelle est la plus propre à l'amour, de Phlogis ou de Chioné ? Chioné est plus belle ; mais Phlogis a plus d'ardeur : sa fougue rendrait la vigueur à la flasque mentule de Priam, et ferait oublier sa vieillesse au vieillard de Pylos. Elle a une ardeur que chacun voudrait trouver à sa maîtresse, que Criton pourrait guérir, mais non Hygie. Chioné, au contraire, n'a pas de coeur à l'ouvrage, n'a pas un seul mot pour vous exciter : on dirait qu'elle n'est pas là, ou qu'elle est de marbre. Dieu puissants ! si un pareil miracle était en vôtre pouvoir, si vous daigniez m'accorder une faveur si précieuse, je vous prierais de donner à Phlogis les appas de Chioné, et à Chioné l'ardeur de Phlogis.

LXI. - SUR MANNEIUS.

Mari par la langue, vil complaisant par la bouche, plus sale que les coureuses de remparts, Manneius, à l'aspect de qui toute entremetteuse de Suburra ferme la porte de son bouge, pour défendre ses beautés nues ; Manneius, dont les baisers cherchent le milieu de préférence ; Manneius, qui sondait jusqu'en leurs dernières profondeurs les entrailles d'une mère et annonçait à coup sûr si c'était un garçon ou une fille qu'elle portait dans son sein ; Manneius (réjouis-t'en, nature féminine, car tu n'as plus rien à démêler avec lui) ne peut plus faire manoeuvrer sa langue libertine : car, tandis qu'immobile et plongé au fond d'une vulve enflée de luxure, il explore les vagissements intérieurs de l'enfant qui se forme, une maladie honteuse a paralysé cette langue insatiable ; de telle sorte, qu'il ne lui est plus possible à présent d'être pur ni impur.

LXII. - SUR LESBIE.

Lesbie jure qu'on ne l'a jamais besognée gratis ; Lesbie a raison ; car elle paye pour être besognée.

LXIII. - CONTRE PHILOMUSUS.

Je ne me baigne pas de fois que tu ne me regardes, Philomusus, et tu me demandes, après cela, pourquoi je suis entouré de jeunes esclaves à l'a peau lisse et aux belles proportions. Je te répondrai sans détours. C'est, Philomusus, qu'ils exploitent les curieux.

LXIV. - CONTRE FAUSTUS.

Je ne sais, Faustus, ce que tu écris à toutes nos belles : ce que je sais bien, c'est qu'aucune d'elles ne t'écrit.

LXV. - CONTRE JUSTINUS.

Six cents personnes sont invitées à souper chez toi, Justinus, pour fêter l'anniversaire de ta naissance. Jadis, je m'en souviens, j'étais du nombre, et je n'étais pas le dernier ; pourtant j'occupais une place qui n'excitait l'envie de personne. Mais demain, les honneurs de ta table seront pour moi. Aujourd'hui tu es né pour six cents personnes; demain tu le seras pour moi seul.

LXVI. - CONTRE VACERRA.

Délateur, calomniateur, pipeur, entremetteur, suceur et maître d'escrime, comment se fait-il, Vacerra, qu'étant tout cela tu n'aies pas le sou?

LVII. - CONTRE MARON.

Tu ne veux rien me donner de ton vivant, et tu me promets tout après ta mort : si tu as le sens commun, Maron, tu sais ce que je désire.

LXVIII. - A MATHON.

Tu demandes bien peu aux grands, et pourtant ils te le refusent. Que ne demandes-tu beaucoup, Mathon ? tu aurais moins à rougir.

LXIX. - ÉPITAPHE DE LA CHIENNE LYDIA.

Dressée à la chasse par, les maîtres des jeux, terrible dans la forêt, douce à la maison, je m'appelais Lydia. Fidèle à Dexter, mon maître, il ne m'eût pas donnée pour la chienne d'Érigone, ni même pour le chien crétois, qui, après avoir suivi Céphale, fut mis, après sa mort, au rang des astres, à côté de la messagère du jour. Ce n'est pas l'âge qui m'a tuée, et je n'ai pas, comme le chien d'Ulysse, langui dans une inutile vieillesse ; je meurs sous la dent foudroyante d'un sanglier écumant, égal en force à ceux de Calydon et d'Érymanthe. Bien que plongée sitôt dans les ténèbres infernales, je ne m'en plains pas ; je ne pouvais mourir d'une plus belle mort.

LXX. - CONTRE TUCCA.

Peux-tu vendre, Tucca, ces esclaves que tu as achetés cent mille sesterces? peux-tu bien résister aux pleurs de ceux qui furent jadis tes maîtres ? Leurs caresses, leurs discours, leurs plaintes naïves, et leurs cous, qui portent l'empreinte de ta dent, ne sauraient-ils donc t'émouvoir ? O forfait ! leur devant, leur derrière sont livrés aux regards, et leurs mentules, formées par tes mains, sont l'objet d'une inspection attentive. Si tu aimes tant l'argent comptant, vends ta vaisselle, vends tes meubles, vends tes vases à parfums, tes champs et ta maison ; vends tes vieux serviteurs; vends le domaine de tes pères ; vends tout enfin, malheureux, plutôt que de vendre ces jeunes esclaves. Les acheter fut un acte de prodigue et de dissipateur ; mais c'en est un plus grand que de les vendre.

LXXI. - SUR LEDA.

Léda déclare à son vieux mari qu'elle est hystérique, et se plaint d'avoir absolument besoin de se faire besogner. Pleurant et gémissant, elle proteste qu'elle n'achètera pas aussi cher sa guérison, et jure qu'elle aime mieux mourir que d'en venir là. Son mari la conjure de vivre et de ne pas renoncer à ses belles années ; il va même jusqu'à lui permettre de demander à d'autres ce qu'il ne peut plus faire lui-même. Soudain arrivent les médecins et disparaissent les matrones ; elle entre en danse. ô le fâcheux remède !

LXXII. - SUR MATA.

Nata appelle mignonne la mentule de son amant, auprès duquel Priape n'est qu'un eunuque.

LXXIII. - CONTRE LYGDUS.

Tu jures sans cesse, Lygdus, que tu te rendras à mon appel ; et tu vas jusqu'à m'indiquer l'heure et le lieu. Lorsque, consumé de désir, j'ai langui dans une longue et vaine attente, je suis forcé d'appeler ma main à mon aide. Aussi pourquoi ai-je eu l'idée de te prier, trompeur qui le mérites si peu ? Va, Lygdus, va porter l'ombrelle de ta maîtresse borgne.

LXXIV. - SUR BACCARA.

Le Grec Baccara a mis son pauvre cas entre les mains d'un médecin, son rival : Baccara va devenir eunuque.

LXXV. - CONTRE CÉLIA.

Ton esclave, Célia, ne se baigne avec toi que bouclé : pourquoi cela, je te prie ? il n'est ni chanteur, ni joueur de flûte. C'est afin de ne pas voir sa mentule, je suppose. Mais alors pourquoi te baigner avec tout le monde ? Sommes-nous donc des eunuques ? Si tu ne veux pas qu'on te croie jalouse de ton esclave, Célia, lâche-lui la boucle.

LXXVI. - A PETUS.

Tu veux, Pétus, que je te paye dix sesterces, parce que Bucco t'en a fait perdre deux cents. Ne me punis pas, je te prie, d'une faute qui n'est pas la mienne. Si tu peux perdre deux cents sesterces, perds-en dix.

LXXVIL - CONTRE VACERRA.

Vacerra passe tout son temps et se tient, tout le jour au petit endroit : ce n'est pas pour y vider son ventre, c'est pour se préparer à l'emplir.

LXXVIII. - A VICTOR QUI SE MARIAIT.

Jouis, Victor, des embrassements d'une femme, et que ta jeune mentule commence l'apprentissage d'une besogne qui lui est inconnue. Déjà l'on prépare le voile couleur de flamme de ta fiancée ; on instruit la jeune fille de ses nouveaux devoirs ; elle va couper la chevelure de tes jeunes esclaves. Une fois seulement, effrayée du trait dont son avide époux va la percer, elle le laissera égarer ses coups par derrière. Mais sa nourrice et sa mère te défendront de le faire davantage ; elles te diront : "C'est à une jeune épouse et, non à un jeune garçon que tu as affaire." Ah ! que tu vas avoir de mal et de fatigue, si le bijou féminin est resté chose étrangère pour toi. Confie-toi donc, novice, aux leçons de quelque professe de Suburra. Elle t'apprendra à être homme : une vierge n'est pas un bon maître.

LXXIX. A PETUS.

Parce que je ne suis arrivé qu'en dix heures à la première borne, tu m'accuses de lenteur et de paresse. La faute n'en est ni à la route ni à moi ; elle est tout entière à toi, Pétus, qui m'as envoyé tes mules.

LXXXVII. - A CHARIDEMUS.

Tu étais riche jadis ; mais alors tu étais pédéraste, et, pendant longtemps, tu ne connus aucune femme. Maintenant, Charidemus, tu cours après les vieilles : ô pouvoir merveilleux de l'indigence ! elle t'a fait rentrer dans les voies de la nature.

LXXXVIII. - SUR CHARISIANUS.

Charisianus assure, Lupus, que, depuis plusieurs jours, il ne peut plus se livrer à la pédérastie. Ses amis lui en demandant la raison : « C'est, dit-il, que j'ai le ventre relâché. »

LXXXIX - A POLLA.

Pourquoi, Polla, m'envoyer des couronnes si fraîches ? j'aimerais, mieux les roses que tu aurais fanées.

XC. - CONTRE CHRESTILLUS.

Ennemi déclaré des vers qui coulent avec facilité, tu n'aimes que ceux qui se heurtent dans des sentiers âpres et rocailleux. Pour tes oreilles, aucun vers d'Homère ne vaut : Luceilei columella heic situ Metrophan est. Tu te pâmes d'admiration à ces mots de terrai frugiferai, comme à tous ceux qu'ont vomis Accius. et Pacuvius. Tu veux, Chrestillus, que j'imite ces vieux poètes si chers à ton coeur. Je veux mourir, si tu comprends toute la douceur du mot mentula !

XCI. - EPITAPHE DE CANACE.

Ci-git l'Éolienne Canacé, enfant dont la septième année fut la dernière. O crime ! ô forfait ! passant, pourquoi te presser de verser des pleurs ? Il ne s'agit pas ici de gémir sur la brièveté de la vie. Le genre de sa mort est plus triste que sa mort même. Un horrible fléau a détruit son visage, et s'est fixé sur sa bouche délicate ; l'impitoyable maladie a dévoré le siège même des baisers, et le noir bûcher n'a pas reçu ses lèvres entières. Si le trépas devait fondre sur elle d'une aile si rapide, que ne prenait-il un autre chemin ? Mais la mort s'est hâtée de fermer ce passage à sa douce voix, de peur que sa langue ne parvînt à fléchir les inexorables déesses.

XCII. - CONTRE ZOILE.

C'est mentir, Zoïle, que de t'appeler vicieux. Tu n'es pas un homme vicieux, Zoïle : tu es le vice même.

XCIII. - SUR THEODORUS.

La flamme a détruit les pénates du poète Théodorus : et vous, Muses, et toi, Phébus, vous l'avez souffert ? O crime ! ô forfait abominable ! ô injustice des dieux ! la maison a brûlé, et le maître n'a pas brûlé avec elle

XCIV. - CONTRE UN RIVAL CIRCONCIS.

Sèche de jalousie, déchire en tous lieux mes écrits, je te le pardonne, poète circoncis, tu as tes raisons. Je me soucie peu que tu critiques mes vers tout en les pillant ; poète circoncis, tu as encore tes raisons. Mais ce qui me fait mal, poète circoncis, c'est que toi, qui naquis dans les murs mêmes de Solyme, tu te permettes de caresser mon jeune esclave. Tu as beau nier le fait, et jurer par les temples du dieu du tonnerre, je ne te crois pas; circoncis, jure par Anchialus.

XCV. - A FLACCUS.

Toutes les fois que tu reçois les baisers de ces ignobles suceurs, il me semble, Flaccus, te voir plonger ta tête dans une baignoire publique.

XCVI. - A UN GERMAIN.

Ce n'est pas le Rhin, c'est la source de Mars qui jaillit ici, Germain : pourquoi donc repousser cet enfant, l'empêcher de se désaltérer à ce riche bassin ? Barbare, l'eau des vainqueurs ne doit point étancher la soif d'un captif, à l'exclusion d'un citoyen.

XCVII. - CONTRE THELESILLA.

Je puis le faire quatre fois dans une nuit ; mais que je meure, Thelesilla, si avec toi je puis le faire une fois en quatre ans !

XCVIII. - A BASSUS.

Il n'y a pas moyen, Bassus, d'échapper aux donneurs de baisers. Ils vous pressent, vous arrêtent, vous poursuivent, se jettent à votre rencontre, ici comme là, partout, en tout lieu. Il n'est point d'ulcère malin, de pustule bien luisante, de mentagre, de sales dartres, de lèvres barbouillées de cérat, de roupie condensée au bout du nez, qui vous en garantissent. Que vous ayez chaud, que vous ayez froid, que vous vous réserviez pour le baiser nuptial, vous n'en serez pas moins baisé. Le capuchon dont votre tête est enveloppée, les peaux et les rideaux de votre litière, le soin avec lequel vous la fermez ; rien n'y fait. Il n'est petite fente à travers laquelle ne passe un donneur de baisers. N'espérez pas que le Consulat, le Tribunat, l'effroi des faisceaux ou la verge imposante du licteur à la voix criarde fassent fuir un donneur de baisers. Que vous siégiez sur un tribunal, ou bien que vous rendiez la justice du haut d'une chaise curule, un donneur de baisers escaladera l'un et l'autre ; il vous baisera tremblant de fièvre et pleurant ; il vous baisera bâillant et vous baignant ; il vous baisera même chiant : contre un pareil fléau il n'y a qu'un remède, c'est de vous faire un ami que vous soyez décidé à ne pas baiser.

XCIX. - CONTRE LESBIE.

Je l'ai souvent remarqué, malheureuse Lesbie, lorsque tu te lèves de ta chaise. Les vêtements ne font qu'un avec ton derrière. Tu as beau faire effort à droite et à gauche pour les en détacher, ce n'est qu'après bien des larmes et des gémissements que tu les arraches à grand'peine : tant ils sont adhérents à tes fesses, tant ils se trouvent engagés dans le détroit de ces nouvelles Symplégades. Veux-tu remédier à cette vilaine incommodité ? en voici le moyen : Lesbie, il ne faut ni te lever ni t'asseoir.

C. - A FLACCUS.

Je ne veux pas, Flaccus, d'une maîtresse efflanquée, à qui mes bagues servent de bracelets ; qui me ratisse de ses fesses décharnées et me poignarde de ses genoux ; dont l'échine soit une scie, et le derrière un épieu ; mais je ne veux pas davantage d'une maîtresse qui pèse un millier : j'aime la chair, et non la graisse.

CI. - A FLACCUS.

Comment as-tu fait, Flaccus, pour apercevoir cette imperceptible Thaïs ? vraiment, Flaccus, tu sais voir ce qui n'existe pas.

CII. CONTRE LYDIE.

On ne m'a pas trompé, Lydie, quand on m'a vanté, non pas ton beau visage, mais ta belle carnation. Cela est vrai, surtout lorsque tu gardes le silence, lorsque tu restes immobile et muette, comme ferait une figure de cire ou un tableau. Mais si tu viens à parler, c'en est fait de ta belle carnation ; il n’est personne à qui sa langue nuise plus qu'à toi. Prends garde que l'édile ne t'entende et ne te voie ! Toutes les fois qu'une statue parle, c'est un prodige.

CIII. A SOPHRONIUS.

Il y a tant de candeur dans ton âme et sur ta figure, Sophronius, que je suis tout étonné que tu aies pu devenir père.

CIV. - A SA FEMME.

Sors d'ici, ma femme, ou conforme-toi à mes goûts : je ne suis point un Curius, un Numa, un Tatius. J'aime ces nuits qu'on passe à vider joyeusement des bouteilles ; toi, tu quittes tristement la table, aussitôt que tu as avalé ton pot d'eau. Il te faut les ténèbres, à toi : moi, j'aime à folâtrer à la lueur d'une lampe et à voir clair quand je pratique l'amoureux déduit. Des fichus, des tuniques, des vêtements épais t'enveloppent de toutes parts ; pour moi une belle n'est jamais assez nue. Je chéris ces baisers imités des douces colombes ; les tiens ressemblent à ceux que tu donnes le matin à ta grand-mère. Chez toi, jamais un mouvement, jamais un mot, jamais une main complaisante pour animer la besogne. On dirait que tu prépares l'encens et le vin du sacrifice. Les esclaves phrygiens s'amusaient solitairement derrière la porte, quand l’'épouse d'Hector chevauchait son mari ; et même quand Ulysse ronflait, la pudique Pénélope ne manquait jamais d'avoir la main à l'endroit sensible. Tu ne me permets pas de changer de route ; Cornélie cependant le permettait à Gracchus, Julie à Pompée, et Porcie à Brutus. Avant que le jeune Dardanien ne versât le nectar au maître des dieux, Junon servait de Ganymède à Jupiter. Si tu te complais dans ta sévérité, tu peux bien être une Lucrèce pendant tout le jour ; mais, la nuit, c'est une Laïs qu'il me faut.

UV. - A GARRICUS.

Jadis ton cadeau était d'une livre d'argent, Garricus ; il est maintenant d'un quart. Ah ! Garricus, va au moins jusqu'à la demi-livre.

CVI. - A ALBIUS MAXIMUS.

Albius Maximus, si tu as un moment de loisir, lis seulement ceci ; car tu es occupé, et tu n'es pas trop laborieux. Eh quoi ! tu passes même ces quatre vers ? tu fais bien.

CVII. - A SEPTICIANUS.

Tu me rends mon livre, Septicianus, comme si tu l'avais déroulé jusqu'au bout et lu jusqu'au dernier mot. Tu n'en as rien passé ; j'en suis persuadé, je le sais, je m'en réjouis; c'est bien vrai. C'est ainsi que j’ai moi-même lu tes cinq livres.

CVIII. - AU LECTEUR.

Quoique tu doives être rassasié d'un livre aussi long, lecteur, tu me demandes encore quelques petits distiques : mais Lupus me réclame ses intérêts, et mes jeunes esclaves leurs gages. Allons, lecteur, paye : tu te tais, et feins de ne pas entendre. Adieu.

LIVRE XII

MARTIAL A SON AMI PRISCUS, SALUT.

Je sais que j'ai à me justifier de mes trois ans de paresse opiniâtre. Elle ne trouverait pas son excuse dans ces occupations de la ville, qui n'aboutissent, bien souvent, qu'à nous rendre plutôt à charge qu'utiles à nos amis; moins encore est-elle excusable dans cette solitude de province, qui, si je ne me livre à une étude sans relâche, ne présente ni une consolation à mon âme ni une excuse à ma retraite. Écoute donc mes raisons. La première et la plus décisive, c'est que je cherche vainement ici ces oreilles délicates que je trouvais à Rome, et que j'y suis comme si je plaidais au milieu d'un Forum étranger. S'il y a, en effet, quelque chose qui plaise dans mes livres, je le dois à mes auditeurs. Cette pénétration de jugement, cette fécondité de génie, ces bibliothèques, ces théâtres, ces réunions où l'on ne sent de l'étude que ses plaisirs, tous ces avantages enfin que leur abondance même me fit quitter, leur absence aujourd'hui fait que je les regrette. Ajoute à cela la malveillance grossière et la stupide jalousie des provinciaux ; un ou deux malintentionnés, ce qui est beaucoup dans un si petit endroit, en présence desquels il est bien difficile de garder tous les jours sa bonne humeur. Ne t'étonne donc pas que l'indignation m'ait fait abandonner ce que je pratiquais avec tant de plaisir. Pour n'avoir cependant rien à refuser à ta demande, quand tu arriveras de Rome (et ce n'est point m'acquitter envers toi que de m'en tenir à ce qui m'est possible), je me suis fait une obligation de ce qui autrefois était pour moi un bonheur, et j'ai passé quelques jours à l'étude, afin d'offrir à mon meilleur ami mon hommage de bienvenue. Je te prie donc de vouloir bien examiner et peser mûrement ces vers, qui près de toi seul ne courent point de dangers ; et, ce qui te sera bien difficile, juge ces bagatelles sans trop de complaisance, de crainte que, si tu l'ordonnes, je n'envoie à Rome un livre, non pas écrit en Espagne, mais espagnol.

I. - AU MÊME

Pendant que les filets sont pliés, que les chiens n'aboient plus, que la forêt ne retentit plus du bruit que font les chasseurs sur la trace du sanglier, tu pourras, Priscus, accorder à ce petit livre un peu de tes loisirs. Nous ne sommes pas en été, et l'heure que tu me donneras ne sera pas perdue tout entière.

II. - A SES VERS

Mes vers, vous qui jadis alliez à Pyrgos, allez maintenant dans la rue Sacrée : il n'y fait plus de poussière.

III. - A SON LIVRE

Toi qui naguère allais de Rome chez les autres peuples, maintenant, ô mon livre, c'est de chez eux que tu vas à Rome : pars donc des bords du Tage au sable d'or, des rives sévères du Salo, et de cette terre puissante où repose la cendre de mes aïeux. Pourtant, tu ne passeras pas pour un nouveau venu ni pour un étranger dans l'illustre ville de Remus, où tu comptes déjà tant de frères. Va ; tu en as le droit, présente-toi aux portes vénérables de ce temple qui vient d'être rendu au chœur sacré des Muses, ou, si tu l'aimes mieux, gagne d'abord la rue de Suburre. C'est là qu'est le palais du consul, mon ami, de l'illustre Stella, qui couronne ses pénates du laurier, de l'éloquence, et dont la soif ardente s'étanche à la fontaine de Castalie. Là en effet, cette fontaine répand avec orgueil son cristal transparent ; et souvent, dit-on, les neuf Sœurs sont venues s'y désaltérer. C'est par lui que le peuple, les sénateurs et les chevaliers te liront ; lui-même ne te lira point sans verser quelques larmes. Pourquoi réclames-tu un titre ? Qu'on lise seulement deux ou trois vers, et chacun s'écriera : Livre, tu es bien l'enfant de Martial.

IV. - A PRISCUS

Ce que Mécène, le chevalier issu des rois, fut pour Horace, pour Varius et pour le grand Virgile, tous les peuples sauront que tu le fus pour moi, Priscus Terentius. La renommée le publiera partout, et mes vers l'apprendront aux siècles les plus reculés. Tu donnes l'élan à mon génie ; le mérite qu'on m'accorde, je te le dois; et je te dois aussi le noble loisir dont je jouis.

V. - A CÉSAR

Mon dixième et mon onzième livre étaient trop longs ; j'en ai resserré la texture : ainsi restreint, l'ouvrage a peu d'étendue. Quant au surplus, ceux-là pourront le lire, à qui tu as procuré le loisir et la sécurité. Toi, César, lis ceux-ci ; peut-être, ensuite, liras-tu les autres.

VI. - ÉLOGE DE NERVA

Les dieux ont accordé à l'Ausonie Nerva, le plus clément des princes : aujourd'hui le commerce des Muses est affranchi de toute entrave. L'équité confiante, la clémence au visage riant, la puissance tutélaire sont de retour : loin de nous a fui la terreur. Rome, ton peuple et les nations soumises à ton empire ne forment pour toi qu'un vœu : c'est que tu aies toujours de pareils princes, et que tu conserves longtemps celui-ci ! Courage donc, Nerva ! exerce cet esprit supérieur, déploie cette pureté de mœurs dont Numa s'enorgueillirait, et qui aurait souri à Caton lui-même. Tu peux, oui, tu peux aujourd'hui faire des largesses, accorder des grâces, agrandir les petits patrimoines, et donner au-delà même de ce que tu dois à la bonté des dieux. Mais que dis-je ? N'as-tu pas, sous un prince cruel, quand partout triomphaient les méchants, osé seul être bon ?

VII. - SUR LIGEIA

Si Ligeia compte autant d'années qu'elle a de cheveux sur la tête, elle a trois ans.

VIII. - ÉLOGE DE TRAJAN

Rome, déesse des nations et du monde, Rome que rien n'égale, dont rien même n'approche, tressaillit de joie à l'avènement de Trajan. Se flattant de le voir régner pendant de longues années, et voyant réunis, dans son illustre chef, le courage, la jeunesse et l'ardeur martiale, elle s'écria fièrement : "Princes des Parthes, chefs des Sères, Thraces, Sarmates, Gètes et Bretons, je puis vous montrer un César ; approchez."

IX. - A CÉSAR

Palma gouverne notre chère Ibérie, ô le plus clément des Césars ! ses douces lois assurent à ces provinces étrangères la paix la plus heureuse. Reçois donc nos joyeuses actions de grâces pour un si grand bienfait : tu nous as envoyé un second toi-même.

X. - SUR AFRICANUS

Africanus a force millions, et pourtant il court après les héritages. La fortune donne trop à beaucoup de gens, jamais assez à personne.

XI. - IL ENVOIE SON LIVRE A PARTHENIUS

Muse, va saluer Parthenius, ton ami et le mien. Quel poète boit à plus longs traits aux sources d'Aonie ? Quelle lyre résonne avec plus d'éclat dans les antres de Pimplée ? Quel poète fut jamais plus aimé d'Apollon ? Si par hasard, ce que j'ose à peine espérer, il a quelque loisir, prie-le de présenter lui-même mes vers au prince. Qu'il recommande ce timide et court opuscule par ces mots seulement : « Ta chère Rome le lit. »

XII. - CONTRE POSTHUMUS

Point de promesses que tu ne fasses, quand tu as bu toute la nuit ; le matin, tu n'en tiens aucune ; bois le matin, Posthumus.

XIII. - A AUCTUS

Auctus, c'est pour les riches une espèce de gain que la colère : il en coûte moins cher de se fâcher que de donner.

XIV. - A PRISCUS

Crois-moi, Priscus, use plus sobrement du rapide coursier, et ne mets pas autant d'ardeur à poursuivre des lièvres. Le gibier a été souvent vengé des attaques du chasseur : celui-ci, emporté par la fougue du cheval, parfois en est tombé, pour n'y plus remonter. La plaine aussi a ses dangers et ses pièges, quoiqu'elle n'ait ni fossés, ni éminences, ni rochers. Le spectacle de ces dangers, assez de gens te l'offriront, qui, s'ils y périssent, ne seront pas tant regrettés. S'il te faut de nobles périls, allons (le courage y est plus sûr) chasser les sangliers de Toscane. Qu'ont de si attrayant ces courses hasardeuses ? Le cavalier, Priscus, y périt plus souvent que le lièvre.

XV. - COMPLIMENT

Tout ce que renfermait de richesses le palais des Césars est offert à nos dieux et livré à nos regards. Jupiter admire l'éclat des émeraudes de Scythie enchâssées dans leurs cercles d'or. Il considère avec étonnement ces magnificences orgueilleuses des rois et ce luxe onéreux aux peuples. Ces coupes, elles sont dignes du maître du tonnerre ; ces coupes, il leur faudrait l’échanson phrygien. Jupiter et tous les Romains sont heureux aujourd'hui ; mais naguère, je rougis, oui, je rougis de l'avouer, Jupiter était pauvre avec tous les Romains.

XVI. - CONTRE LABIENUS

Tu as, Labienus, vendu trois de tes champs : tu as, Labienus, acheté trois mignons : tu fais, Labienus, l'amour à tes trois champs.

XVII. - CONTRE LENTINUS

La fièvre, Lentinus, t'obsède depuis bien longtemps ; et tu demandes en gémissant pourquoi elle se montre si tenace. Elle va en litière avec toi ; avec toi elle va aux bains : elle mange des champignons, des huîtres, de la tétine et du sanglier ; souvent elle s'enivre de Sétia ou de Falerne ; elle ne boit le Cécube qu'à la glace ; elle ne couche que sur la rose et l'amomum ; elle ne dort que sur la plume et la pourpre. Entourée de tant de délices, si bien traitée chez toi, voudrais-tu qu'elle allât de préférence chez Dama ?

XVIII. - A JUVÉNAL

Pendant que tu bats peut-être en tous sens, Juvénal, la bruyante rue de Suburre, ou que tu gravis la colline où Diane a son temple ; pendant que, trempé de sueur, sans autre vent que celui de ta robe, tu cours de palais en palais ; pendant que tu vas et reviens du grand au petit Célius ; moi, après tant d'années, j'ai enfin revu ma patrie : Bilbilis m'a reçu et m'a fait campagnard ; Bilbilis, orgueilleuse de son or et de son fer. Ici je cultive à mon aise, et sans trop de travail, les champs de Botrode et de Platée, noms grossiers de la Celtibérie. Je jouis d'un sommeil profond, opiniâtre, qui souvent se prolonge au-delà de la troisième heure, et je répare ici les fatigues de mes veilles pendant trente années. La toge est inconnue en ces lieux ; mais, à ma demande, on me donne l'habit jeté tout près de moi sur ma chaise cassée. Je me lève ; le feu m'attend ; magnifique foyer, construit aux frais des chênes de la forêt voisine, et flanqué d'une foule de marmites par la fermière. Arrive le chasseur, mais tel que tu voudrais en avoir un au plus profond d'un bois. De jeunes garçons font le service ; le métayer, imberbe encore, distribue leur tâche aux esclaves ; et me prie de lui permettre de couper sa chevelure. Voilà comme j'aime à vivre ; voilà comme je veux mourir.

XIX. - SUR EMILIUS

Émilius, aux bains, se gorge de laitues, d'œufs et de lézards de mer ; et il assure, après cela, qu'il ne dîne jamais en ville.

XX. - A FABULLUS

Tu demandes, Fabullus, pourquoi Thémison n'a point de femme ? Il a une sœur.

XXI. - A MARCELLA

Qui croirait, Marcella, que tu habites sur les rives sauvages du Salo ? Qui même te croirait Espagnole ? Il y a en toi quelque chose de si exquis, de si délicat ! Que Rome t'entende une fois seulement, elle te dira née au sein de ses palais. Tu ne trouveras d'égale ni au milieu du quartier de Suburre ni près du mont Capitolin. On ne verra point de mère étrangère répondre au sourire d'une fille qui mérite plus que toi d'être Romaine. Tu me rends plus facile à supporter la privation de la capitale du monde : seule, tu es Rome pour moi.

XXII. - SUR PLILENIS

Veux-tu, Fabullus, qu'en deux mots je te dise combien Philénis est affreuse avec son œil borgne ? Ecoute : Philénis aurait meilleure grâce à être aveugle.

XXIII. - CONTRE LELIA

Tes dents et tes cheveux, tu les as achetés, et tu ne rougis point de t'en parer. Mais comment feras-tu pour ton œil, Lélia ? On n'en vend point.

XXIV. - A JUVENCUS, SUR UN CHARIOT COUVERT

Que j'aime la discrète structure de ce chariot couvert, présent du docte Élianus, et préférable cent fois au char et à la litière ! Là, Juvencus, tu pourras librement me dire tout ce qui te viendra à l'idée. Devant nous, point de noir conducteur de chevaux libyens, point de coureur étroitement sanglé, pas même un muletier, mais seulement deux bidets qui ne diront rien. Oh ! si Avitus était des nôtres, Avitus, le seul tiers dont je ne craindrais pas les oreilles, que nous passerions bien ainsi toute notre journée !

XXV. - CONTRE THELESINUS.

Quand Je veux t'emprunter sans gage, "Je n'ai point d'argent," me dis-tu. Si mon champ vient répondre pour moi, tu en as. Ce que tu refuses, Thelesinus, à moi ton ancien ami, tu l'accordes aux sillons et aux arbres de mes champs. Te voilà aujourd'hui poursuivi par Carus devant les tribunaux : que mon champ soit ton avocat. On te bannit de Rome : que mon champ soit ton compagnon d'exil.

XXVI. - CONTRE UN AMI AVARE

Lorsque toi, sénateur, tu vas chaque matin frapper à soixante portes diverses, tu ne vois en moi qu'un chevalier paresseux, parce que je n'ai pas, au point du jour, parcouru la ville en tous sens, et que je ne rentre pas chez moi fatigué et sali de mille baisers. Ton but à toi est de placer un nom nouveau dans nos fastes consulaires, et d'aller gouverner la Numidie ou la Cappadoce ; mais moi, qui devrais, dis-tu, interrompre mon sommeil au milieu de son cours pour aller dès le matin piétiner dans la boue, qu'ai-je à attendre ? Si ma sandale brisée laisse mon pied à nu, si un orage soudain m'inonde d'un torrent de pluie, j'ai beau appeler à grands cris, pas un esclave pour changer mes habits trempés. Un des tiens, s'approchant de mon oreille glacée, me dit : "Létorius vous invite à souper avec lui." Quoi ! ma faim n'est-elle pas au-dessus de vingt pièces d'argent ? Ce qui me vaut un souper te procure une province. Nous faisons le même métier, et notre récompense n'est pas la même.

XXVII. - CONTRE SENIA

Tu prétends, Senia, que des voleurs ont joui de toi. Mais les voleurs s'en défendent comme d'un mauvais cas.

XXVIII. - CONTRE CINNA

Je vide, moi, deux cyathes seulement : toi, Cinna, tu en bois onze ; et tu te plains qu'on ne nous serve pas le même vin.

XXIX. - SUR LE VOLEUR HERMOGENE

Hermogène est, à mon avis, Ponticus, un aussi grand voleur de linge que Massa le fut de pièces d'argent. Tu auras beau observer sa main droite, tenir sa gauche dans la tienne, il trouvera moyen de prendre ta serviette. Ainsi le cerf attire par son aspiration le serpent glacé ; ainsi l'on voit Iris absorber les vapeurs prêtes à se résoudre en pluie. Dernièrement, pendant qu'on demandait grâce de la vie pour Myrinus blessé, Hermogène escamota quatre serviettes. Une autre fois, le préteur allait donner avec la sienne le signal des jeux : Hermogène venait de la dérober au préteur. Dans un souper où devait se trouver le fripon, personne n'avait apporté de serviette : Hermogène emporta la nappe. A défaut de nappe, Hermogène dégarnit les lits ou détache les pieds des tables. Le théâtre fût-il comme une fournaise sous les rayons enflammés du soleil, on ôte les rideaux aussitôt qu'Hermogène paraît. Les mariniers tremblants s'empressent de ferler les voiles dès qu'ils voient Hermogène sur le port. Sous leur robe de lin, les prêtres rasé d'Isis ne frappent plus leurs sistres, mais s'enfuient, quand parmi les adorateurs se présente Hermogène. Hermogène jamais n'apporta de serviette dans un souper ; mais il en rapporta toujours.

XXX. - SUR APER

Aper est sobre et ne boit pas : que m'importe ? ces qualités, je les prise dans mon esclave, non dans mon ami.

XXXI. - SUR LES JARDINS DE MARCELLA, SA FEMME

Ce bois, ces fontaines, ces treillis où la vigne entretient un frais ombrage, ce ruisseau qui promène une eau vive, ces prairies, ces rosiers aussi beaux que ceux de Pestum, qui fleurissent deux fois l'année, ces légumes qui verdissent en janvier et ne gèlent jamais, ces viviers où nage emprisonnée l'anguille domestique, cette blanche tour que peuplent des colombes non moins blanches, j'ai reçu tout cela de mon épouse : ces domaines ,ce petit empire, c'est Marcella qui me les a donnés, après sept lustres d'absence. Si Nausicaa me cédait les jardins d'Alcinoüs, je pourrais dire au père de Nausicaa : Je préfère les miens. 

XXXII. - CONTRE VACERRA

O honte des calendes de juillet ! j'ai vu, oui, Vacerra, j'ai vu ton mobilier. Tu devais deux ans de loyer ; et l'on n'avait point voulu le retenir en payement. Trois personnes suffisaient à l'emporter : ta femme, cette rousse aux sept cheveux ; ta sœur, cette grande efflanquée ; puis ta vieille mère à tête chauve : j'ai cru voir passer sous mes yeux les trois Furies échappées du Tartare. Toi, piteuse victime du froid et de la faim, plus sec et plus pâle qu'un vieux rameau de buis, Irus de ton siècle. Tu venais après elles : on eût dit une émigration de la colline d'Aricie. C'était d'abord un grabat, à trois pieds, une table qui n'en avait que deux, une lampe et un gobelet de corne, un pot de chambre dont les fêlures avaient fait un arrosoir. Venait ensuite, hissée sur la tête d'une de ces femmes, une moitié d'amphore portant un réchaud, et dont l'odeur infecte semblait une émanation de quelques restes de harengs pourris. Ajoutez à cela un quartier de fromage de Toulouse, un noir chapelet de pouliot vieux de quatre ans au moins, un autre aussi d'aulx et d'oignons, puis un vieux pot rempli d'une immonde résine appartenant à ta mère, et servant à l'épilation des Vénus de remparts. Pourquoi chercher un logement à la campagne et tromper nos bons villageois, quand tu peux, Vacerra, en trouver un gratis ? Le luxe de ton mobilier convient au coin d'un pont.

XXXIII. – SUR LABIENUS

Labienus, afin d'acheter des mignons, a vendu ses jardins. Labienus n'a plus rien maintenant qu'un verger de figuiers.

XXXIV. - A JULES

Voilà, si je ne me trompe, Jules, trente-quatre ans que nous passons dans la société l'un de l'autre, non sans quelques alternatives de douceur et d'amertume. Les moments de plaisir, il est vrai, ont été plus nombreux ; et si nous faisions le calcul des jours de peine ou de bonheur, nous trouverions plus de pierres blanches que de noires. Si tu veux t'épargner quelques regrets, te soustraire aux chagrins qui rongent l'âme, ne vis avec personne dans une trop grande intimité. Tu auras moins de jouissances, mais aussi moins de peines.

XXXV. - A CALLISTRATE

Pour me témoigner, Callistrate, combien tu es franc avec moi, tu conviens que tu as souvent servi de giton. Tu n'es pas, Callistrate, aussi franc que tu veux le paraître : car quiconque avoue de telles choses en dissimule beaucoup d'autres.

XXXVI . - A LABULLUS

Donner à un ami trois ou quatre pièces d'argent, une toge sous laquelle il grelotte, un surtout écourté, faire sonner dans sa main quelques écus d'or qui le feront vivre deux mois, c'est quelque chose, sans doute, Labullus ; mais de ce que toi seul le fais, il ne s'ensuit aucunement que tu sois un homme bienfaisant. - Quoi donc? - Tu es, à dire vrai, le meilleur des méchants. Rends-moi les anciens Pisons, les Sénèques, les Memmius, les Crispus, et dès lors tu seras le dernier des gens de bien. Veux-tu te faire gloire d'être un excellent coureur ? Devance Tigris et le léger Passerinus. Il n'y a point de gloire à vaincre un baudet à la course.

XXXVII. - CONTRE UN MOQUEUR

Tu tiens trop à passer pour avoir un grand nez ; je veux bien qu'on ait un grand nez, mais non un polype.

XXXVIII.- A CANDIDUS

Ce fat, si connu de toute la ville, qu'on voit nuit et jour dans la litière des femmes ; que tout le monde reconnaît à sa luisante chevelure, à ses parfums, à sa pourpre brillante, à ses traits délicats, à sa large poitrine, à ses jambes sans poil, et qui s'attache sans cesse à ta femme, tu n'as point à le craindre, Candidus ; il ne besogne pas les femmes.

XXXIX. - CONTRE SABELLUS

Je te hais, Sabellus, parce que tu es un bel homme. C'est bien peu de chose qu'un bel homme et que Sabellus : encore aimé-je mieux un bel homme que Sabellus. Puisses-tu, beau Sabellus, en sécher de dépit !

XL. - CONTRE PONTILIANUS

Mens-tu ? Je te crois. Lis-tu de méchants vers? je te loue. Chantes-tu ? Je chante. Bois-tu, Pontilianus ? Je bois. Laisses-tu échapper un vent ? J'ai l'air de ne pas m'en apercevoir. Veux-tu jouer aux échecs ? Je perds. Il n'y a qu'une chose que tu fasses sans moi, et je n'en parle point. Je ne reçois pourtant de toi aucun service. A ma mort, me dis-tu, je te traiterai bien. Je ne veux rien ; mais meurs bien vite.

XLI. - CONTRE TUCCA

Ce n'est pas assez pour toi d'être un gourmand ; tu tiens encore, Tucca, à être proclamé tel et à le paraître.

XLII. - SUR CALLISTRATE ET AFER

Le barbu Callistrate vient de se marier au vigoureux Afer, suivant la loi qui unit ordinairement la femme à son époux. On porta devant eux des torches allumées : le voile nuptial fut placé sur leur tête : tes hymnes, Thalassus, ne manquèrent pas à la solennité : on convint même de la dot. Rome, n'en est-ce point assez pour toi? Attends-tu maintenant des fruits d'un tel hymen ?

XLIII. - CONTRE SABELLUS

Ils sont d'un style trop relevé pour des scènes de débauché, les vers que tu m'as lus, Sabellus. On n'en trouve point de pareils chez les filles de Didyme, ni dans les livres voluptueux d'Éléphantis. Il s'agit ici de plaisirs monstrueux d'un nouveau genre ; on y voit ce que peut oser le libertin le plus roué ; ce que font en cachette les plus vils impudiques ; comment ils s'accouplent par cinq ou plus, jusqu'à former une chaîne ; jusqu'où peut aller la licence, quand les lumières sont éteintes. Pour tant de cynisme, tant d'éloquence était du luxe.

XLIV. - A M. UNICUS

Unicus, toi qui m'es lié de si près et par le sang et par la conformité de nos goûts, tu fais des vers qui ne le cèdent qu'à ceux de ton frère ; tu n'es pas après lui par le cœur, et tu es avant lui par la tendresse. Lesbie eût pu t'aimer autant que son cher Catulle, et après Ovide c'est toi que la douce Corinne eût chéri. Les zéphyrs souffleraient dans tes voiles, si tu voulais gagner la pleine mer, mais tu n'aimes que le rivage, et par là tu te rapproches encore de ton frère.

XLV. - A PHEBUS

En te voyant, Phébus, couvrir d'une calotte de peau de bouc ta tête chauve et tes tempes dégarnies, quelqu'un a dit de toi plaisamment que tu avais la tête bien chaussée.

XLVI. - A CLASSICUS

Les vers de Lupercus et de Gallus trouvent des acheteurs : va dire maintenant que ces poètes n'ont pas le sens commun.

XLVII. - CONTRE UN HOMME D'HUMEUR INÉGALE

Maussade, bienveillant, aimable, atrabilaire, tu es à la fois tout cela : aussi ne puis-je vivre avec toi ni sans toi.

XLVIII. - CONTRE UN AMPHITRYON FASTUEUX

Si tu me sers des champignons, du sanglier, comme choses communes, sans croire que ces mets soient l'objet de tous mes vœux, j'accepte. Mais si tu me trouves en cela fort heureux, si tu prétends que pour quelques huîtres de Lucrin je te laisse mon héritage, bonsoir. Ton souper est splendide, j'en conviens, très splendide ; mais demain, aujourd'hui, dans une minute, qu'en restera-t-il ? Où il aura passé, demande-le à la fétide éponge de ce sale bâton ; demande-le au premier chien venu ou au vase placé au coin de la rue. Rougets, lièvres, tétines, tout cela a la même fin ; tout cela, aussi, vous donne un teint couleur de soufre et d'affreuses douleurs aux jambes. A ce, prix, je ne voudrais point des repas du mont Albain ni des festins du Capitole et des pontifes: à ce prix, le nectar de Jupiter ne serait pour moi que du vinaigre ou de la liqueur traîtresse des cuves du Vatican. Cherche d'autres convives qui se laissent prendre aux séductions de tes festins splendides. Quant à moi, qu'un ami m'invite sans façon à partager son pot au feu, voilà le repas qui me plaît, voilà celui que je puis rendre.

XLIX. - AU PEDAGOGUE LINUS

Pédagogue d'une troupe d'enfants à la longue chevelure, Linus, toi, que la riche Postumia nomme le maître de ses biens, toi à qui elle confie ses bijoux, son or, ses vins, ses plus beaux favoris, puisses-tu, pour prix de ta constance et de ta foi, être toujours son préféré ! Prends pitié, je t'en prie, de la malheureuse passion qui me transporte, et surveille un peu moins les objets que mon cœur brûle de posséder, et que, nuit et jour, j'aspire à presser sur mon sein : car ils sont beaux, blancs comme neige, exactement pareils, véritables jumeaux, de riche taille ; ce n'est pas des enfants que je parle, mais des diamants.

L. - CONTRE LE PROPRIETAIRE D'UN RICHE DOMAINE

Bosquets de lauriers, avenues de platanes, cyprès aériens, vastes salles de bains, tu possèdes cela tout seul. Pour toi s'élancent dans les airs cent colonnes qui soutiennent tes portiques ; tu foules d'un pied superbe la mosaïque étincelante ; tes rapides coursiers dévorent l'hippodrome poudreux ; partout, chez toi, murmurent des ruisseaux et des cascades ; chez toi l'on voit s'ouvrir d'immenses galeries ; mais d'endroit pour manger, mais d'endroit pour dormir point. Que tu es bien installé pour n'être pas logé !

LI. - SUR FABULLUS

Tu t'étonnes, Aulus, que notre ami Fabullus soit si souvent trompé : l'honnête homme est toujours novice.

LI I. - A SEMPRONIA

Poète habitué aux lauriers des Muses, aussi bien qu'avocat chéri des accusés, ici, oui, Sempronia, ici repose ton Rufus ; et sa cendre brûle encore pour toi du même feu. L'histoire de vos amours fait l'entretien de l'Élysée, et ton enlèvement laisse dans la stupeur la fille même de Tyndare. Tu es au-dessus d'elle par ton retour et ta résolution de fuir un ravisseur : Hélène, redemandée par son époux, refusa de le suivre. Ménélas n'entend point sans rire le récit de ces nouveaux amours d'Ilion ; et ton enlèvement absout le Phrygien Pâris. Quand, un jour, tu seras reçue dans ce délicieux asile réservé aux âmes pieuses, nulle ombre, sur les bords du Styx, ne sera plus connue que toi. Loin de haïr les belles enlevées, Proserpine les aime, et cette aventure ne peut manquer de te la rendre favorable.

LIII. - CONTRE UN AVARE

Quoique peu de citoyens ou de pères de famille possèdent autant d'or et d'argent que toi, tu ne donnes jamais rien ; toujours couché sur ton trésor, tu le défends comme jadis le dragon chanté par les poètes gardait, dit-on, le bois mystérieux de la Scythie. A t'en croire, car c'est toi-même qui le proclames, la cause de cette avarice inouïe, c'est ton fils. Oh ! cherche ailleurs des imbéciles et des sots crédules pour te moquer d'eux. Ce fils dont tu te pares n'est autre chose que ton avarice.

LIV. - CONTRE ZOILE

Avec tes cheveux roux, ton visage livide, ton pied-bot, ton œil louche, tu fais des merveilles, si tu es honnête homme.

LV. - A DES COURTISANES

Vouloir, jeunes beautés, que vous vous donniez gratis, serait le comble de la sottise et de l'impertinence. Non, ne vous donnez point gratis ; mais accordez gratis des baisers. Eh bien, Églé s'y refuse : l'avare ! Elle vend les siens. A quelque prix qu'elle les mette qu'est-ce qu'un baiser peut valoir ? Les siens, elle les fait payer bien cher. Il faut à ses baisers ou une livre de parfums de Cosmus ou huit pièces de la monnaie nouvelle, pour qu'ils ne soient point froids et secs, pour que ses lèvres ne restent point étroitement fermées. Dans un cas cependant, mais c'est le seul, elle est généreuse. Églé ne donne point un seul baiser gratis ; mais lécher gratis, Églé ne le refuse pas.

LVI. - CONTRE POLYCHARME

Chaque année, Polycharme, tu fais dix maladies ou plus : ce n'est point toi, c'est nous qui en souffrons. Car chaque fois que tu quittes le lit, tu exiges de tes amis les dons qu'on offre aux convalescents. Un peu de pudeur, Polycharme : sois donc malade une fois.

LVII. - A SPARSUS

Tu demandes pourquoi je vais si souvent à ma modeste villa, à cette humble campagne de l'aride pays de Nomentum. C'est qu'à Rome, Sparsus, l'homme pauvre ne peut ni penser ni dormir. Comment vivre, dis-moi, avec les maîtres d'école le matin, les boulangers la nuit, et le marteau des chaudronniers pendant tout le jour ? Ici, c'est un changeur qui s'amuse à faire sonner sur son sale comptoir des pièces marquées au coin de Néron ; là, un batteur de chanvre dont le fléau luisant brise à coups redoublés sur la pierre le lin que nous fournit l'Espagne. A chaque instant du jour, vous entendez crier ou les prêtres fanatiques de Bellone ou le naufragé babillard qui porte avec lui sa tirelire ou le Juif instruit par sa mère à mendier ou le chassieux débitant d'allumettes. Qui compterait les heures perdues à Rome pour le sommeil, pourrait compter facilement le nombre des mains qui frappent sur des bassins de cuivre pour ensorceler la lune. Toi, Sparsus, tu ignores, ces choses-là ; et comment pourrais-tu les savoir, voluptueux possesseur du domaine de Petilius, dont la plate-forme domine orgueilleusement les collines qui l'entourent. Tu as la campagne au centre de la ville et des vignes au milieu de Rome ! Les coteaux de Falerne n'étalent pas, en automne, plus de richesses que les tiens. Sans sortir de chez toi, tu peux faire des courses en char. Au fond de ton palais, tu jouis d'un sommeil que rien ne trouble, d'un repos que nul bruit n'interrompt : le jour n'y entre qu'autant que tu le veux. Moi, au contraire, les éclats de rire des passants me réveillent : Rome entière est à mon chevet. Quand le dégoût me prend et que je veux dormir, je cours à la campagne.

LVIII. - A ALAUDA

Ta femme t'appelle coureur de servantes ; elle-même court les porteurs de litières : l'un vaut l'autre, Alauda.

LIX. - SUR LES FAISEURS IMPORTUNS

Rome te donne, après quinze ans d'absence, plus de baisers que Catulle n'en reçut jamais de Lesbie. Tous tes voisins te baisent : ton fermier, aux aisselles velues, imprime sur ta face un baiser qui sent le bouc. Puis vient le tisserand, puis le foulon, puis le cordonnier, dont la bouche sent le cuir ; puis un autre baiseur au menton peuplé de vermine ; puis un louche, puis un chassieux, puis une bouche qui suce, puis une autre qui vient de lécher. Tu n'as pas gagné gros à revenir.

LX. - A SON JOUR NATAL

Fils aîné de Mars, jour heureux où je vis pour la première fois l'Aurore aux doigts de rose et le disque brillant du dieu des astres, si tu regrettes que je te fête à la campagne, et sur un autel de gazon, moi qui te fêtais jusqu'ici dans la capitale du Latium, permets-moi d'être libre pendant tes calendes ; et de vouloir jouir de la vie le jour où je suis né. Craindre, dans un pareil jour, que l'eau chaude ne manque à Sabellus, que le vin ne soit pas assez clarifié pour Alauda ; se tourmenter pour passer à la chausse le Cécube encore trouble ; ne faire qu'aller et venir autour des tables ; recevoir ses convives les uns après les autres ; être obligé de se lever pendant tout le repas ; fouler de ses pieds nus les marbres glacés de la salle, c'en est trop ! N'y a-t-il pas folie à subir volontairement une sujétion que l'on refuserait, si un maître, et un roi voulaient l'imposer.

LXI. - SUR LIGURRA

Tu as peur de mes vers, Ligurra ; tu crains, que je ne fasse contre toi quelque épigramme aussi courte que vive, et tu veux faire croire que ta crainte est fondée ; mais c'est en vain, pourtant, qu'à la fois tu le crains et le désires. Le lion de Libye rugit contre un taureau et n'inquiète point un papillon. Cherche, crois-moi, si tu veux qu'on lise ton nom, cherche dans quelque taverne enfumée un de ces poètes qui tracent au charbon ou à la craie, sur les murs d'un privé, des vers lus par les gens qui viennent se soulager. Un front comme le tien est indigne de mon stigmate.

LXII. - A SATURNE, POUR PRISCUS TERENTIUS

Grand roi de l'univers antique et du premier âge du monde, âge de paix et de sécurité pour l'homme, où il ne connaissait ni les fatigues du travail ni les éclats de la foudre, qui n'avait point encore de crimes à punir ; où la terre, sans qu'on l'entrouvrît jusqu'aux abîmes infernaux, prodiguait d'elle-même ses richesses ; partage notre joie, et ne refuse point d'assister à la fête que nous offrons à Priscus : ta présence est ici nécessaire. Si, après une absence de six hivers, il revoit aujourd'hui sa patrie, c'est toi, ô le meilleur des pères, qui le ramènes de la ville où régna le pacifique Numa. Rome t'offrit-elle jamais un sacrifice plus pompeux que celui-ci ? Vois-tu quelle munificence préside à cette fête ; de combien de trésors ces tables sont couvertes en ton honneur ? Et pour que ces offrandes, ô Saturne, te soient plus agréables, et aient encore plus de prix pour toi, c'est un père, c'est un homme frugal qui célèbre ainsi tes solennités. Puisse toujours, divinité puissante, ta fête de décembre être aussi belle ! Puissent de pareils jours revenir souvent pour Priscus !

LXIII. - A CORDOUE

Cordoue, ville plus délicieuse que la fertile Vénafre, non moins riche en oliviers que l'Istrie ; toi dont les brebis l'emportent en blancheur sur celles du Galèse, et n'empruntent point au murex ou au sang un éclat mensonger, mais doivent leur vive teinte à la nature seule ; rappelle, je te prie, un de tes poètes à la pudeur, et dis-lui qu'il cesse de s'attribuer mes vers. Passe encore s'il était bon poète, et que je pusse, au besoin, rendre aux siens le même honneur. Mais non ; c'est un célibataire qui séduit ma femme, sans que je puisse user de représailles ; c'est un aveugle qui ne peut perdre la lumière qu'il ravit. Rien n'est pire qu'un voleur dénué de tout ; rien n'est plus en sûreté qu'un mauvais poète.

LXIV. SUR CINNA

D'un adolescent qui éclipsait, par la fraîcheur de son visage et par sa blonde chevelure, le teint de rose des plus beaux esclaves, Cinna a fait son cuisinier : Cinna aime les morceaux friands.

LXV. - SUR PHYLLIS

La belle Phyllis m'avait, pendant toute une nuit, prodigué largement des faveurs de toute espèce. Comme je songeais, le matin, à lui donner, soit une livre de parfums de Cosinus ou de Nicéros, soit une bonne quantité de laine de Bétique, soit enfin dix pièces d'or frappées au coin de César, Phyllis me saute au cou, imprime sur ma bouche un baiser aussi long que celui des colombes amoureuses, et se met à me demander une amphore de vin.

LXVI. - A AMENUS

La maison qui t'a coûté cent mille sesterces, tu voudrais t'en défaire, même à un plus bas prix. Mais, pour en imposer à l'acquéreur par une ruse infâme, tu caches, Aménus, les défauts de l'édifice sous le luxe des ornements. Tu as là des lits où brillent la plus fine écaille, des meubles précieux en citronnier de Mauritanie, des tables en marbre de Delphes couvertes d'or et d'argent ; tout autour, de jeunes esclaves que je m'estimerais heureux d'avoir pour maîtres. Tu cries, après cela : "Deux cent mille sesterces ! pas un sou de moins !" Meublée comme elle est, Aménus, c'est la donner pour rien.

LXVII. - POUR LE JOUR NATAL DE VIRGILE

Ides de mai, vous avez vu naître Mercure. Les ides du mois d'août ramènent l'anniversaire de Diane. La naissance de Virgile a consacré les ides d'octobre. Fêtez longtemps les ides de Mercure et de Diane, vous tous qui célébrez les ides de Virgile !

LXVIII. - AUX CLIENTS

Client matinal, toi qui m'as chassé de Rome, fréquente, si cela te plaît, ses palais fastueux. Je ne suis point avocat ; les ennuis de la chicane ne sont pas mon affaire ; mais, déjà vieux, ami de la paresse et des Muses, mon plaisir est dans le repos et le sommeil, que je ne trouve point au milieu du fracas de Rome. J'y retourne pourtant, s'il faut ici veiller de même.

LXIX. - A PAULLUS

Comme s'il s'agissait de tableaux et de vases antiques, tu n'as d'amis, Paullus, que pour en faire parade.

LXX. - SUR APER

Lorsque, naguère encore, le linge d'Aper était porté au bain par un esclave aux jambes torses ; lorsqu'une vieille femme borgne s'asseyait sur sa méchante toge pour la garder, et que le baigneur hernieux lui donnait à peine une goutte d'huile, les buveurs trouvaient dans Aper le censeur le plus âpre et le plus rigoureux. Voyait-il un chevalier boire en sortant du bain, il criait qu'on brisât les coupes et qu'on renversât le Falerne. Mais depuis qu'un vieil oncle lui a légué trois cent mille sesterces, il ne revient plus du bain sans être ivre. Voyez ce que peuvent sur un homme la vaisselle ciselée et cinq esclaves à la belle chevelure ! Alors qu'il était pauvre, Aper n'avait jamais soif.

LXXI. - A LYGDUS

Il n'est rien aujourd'hui, Lygdus, que tu ne me refuses. Autrefois cependant, Lygdus, tu ne me refusais rien.

LXXII. - A PANNICUS

Acquéreur de quelques arpents situés près des tombeaux gaulois, propriétaire d'une maisonnette mal bâtie et mal couverte, aujourd'hui, Pannicus, tu abandonnes le barreau, ton véritable patrimoine, et les profits assez minces, mais sûrs, que te donnait ta vieille robe. Autrefois, praticien, tu vendais du froment, du millet, de l'orge, des fèves ; aujourd'hui cultivateur, tu en achètes.

LXXIII. - A CATULLE

Tu me jures, Catulle, que tu m'as fait ton héritier : je ne le croirai pas, Catulle, que je n'aie lu ton testament.

LXXIV. - A FLACCUS

L'Égypte, je le sais, t'envoie des coupes de cristal : accepte cependant ces vases du cirque de Flaminius. Qui est le plus hardi, ou de ces vases ou de ceux qui te les offrent ? Tout communs qu'ils sont, pourtant, ils ont un double mérite : ils ne tentent point les voleurs, et ne craignent pas l'eau trop chaude. De plus, les esclaves les voient, sans crainte d'accidents, aux mains des convives. Un avantage encore, et qui n'est pas à dédaigner, c'est que tu pourras t'en servir dans les toasts où il faut briser sa coupe.

LXXV. - SUR SES MIGNONS

Polytimus se plaît avec les jeunes filles : Hymnus ne convient qu'à regret qu'il est garçon ; Secundus a les fesses nourries de gland ; Dindymus est lascif, tout en feignant de ne pas l'être ; Amphion pouvait être fille. Voilà ceux, mon ami, dont les douces faveurs, les dédains et les caprices sont pour moi préférables à une dot d'un million de sesterces.

LXXVI. - SUR UN LABOUREUR

L'amphore de vin coûte vingt as, et le boisseau de blé quatre : ivrogne et sujet aux indigestions, ce laboureur n'a rien.

LXXVII - SUR ETHON

Un jour que, dans l'attitude la plus humble et la plus respectueuse, il adressait ses vœux à Jupiter, Éthon fit un pet au milieu du Capitole. Les assistants en rirent à l'envi : mais le père des dieux, offensé, condamna le coupable à ne pas souper hors de chez lui trois jours durant. Depuis cette aventure, le malheureux Éthon, quand il songe à venir au Capitole, se rend d'abord aux privés de Patrocle, et lâche dix, vingt pets. Mais, en dépit de ces précautions, il a soin de serrer les fesses pour saluer Jupiter.

LXXVIII. -. SUR LE MÊME

Un histrion bien repu fit un pet devant la statue de Jupiter. Ce dieu, pour le punir, le condamna à vivre désormais à ses propres dépens.

LXXIX. - A BITHYNICUS

Je n'ai rien écrit contre toi, Bithynicus : tu ne veux point me croire, et tu exiges un serment : je préfère payer l'amende.

LXXX. - A ATTICILLA

Je t'ai fait cent cadeaux que tu m'as demandés ; je t'ai même donné plus que tu ne m'as demandé ; tu me demandes chaque jour une faveur nouvelle : Atticilla, celui-là suce, qui ne sait rien refuser.

LXXXI. - SUR CALLISTRATE

Afin de ne point louer ceux qui le méritent, Callistrate loue tout le monde. Mais qui peut être bon, pour qui personne n'est méchant ?

LXXXII. - SUR UMBER

A l'entrée de l'hiver, pendant les fêtes de Saturne, Umber, pauvre alors, m'envoyait en présent une alicula (petite toge). Il m'envoie aujourd'hui une alica (mesure de froment) : c'est qu'aujourd'hui Umber est riche.

LXXXIII. - SUR MENOGENE

Dans les thermes, autour des bains, il n'y a pas moyen d'échapper à Ménogène, de quelque adresse que l'on use. Il prendra des deux mains la balle encore chaude, et te la passera, pour que tu lui tiennes compte de ses complaisances. Il ramassera même, pour te le rapporter, le ballon tout sali de poussière ; et cela, il le fera après s'être lavé et chaussé. Prends-tu du linge : il te dira qu'il est plus blanc que neige, fût-il plus sale que les langes d'un enfant. Si tu passes le peigne dans tes quelques cheveux, Achille n'avait point, dira-t-il, une plus belle chevelure. Ce n'est pas tout : il t'apportera la cruche où fume un vin épais et trouble, et il essuiera la sueur qui coule de ton front. Il ne cessera point de tout louer et de tout admirer, que tu ne lui aies dit, ennuyé de tant, de prévenances : Viens souper avec moi.

LXXXIV. - SUR FABIANUS

Le moqueur Fabianus, ce fléau des hernies, des descentes et des hydrocèles, qui naguère faisait sur ces maladies plus d'épigrammes que deux Catulles à la fois, Fabianus eut le malheur de se voir nu aux thermes de Néron, et dès lors il se tut.

LXXXV. - A POLYTIMUS

Je n'avais point voulu, Polylimus, couper ta chevelure ; mais je suis bien aise d'avoir enfin cédé à tes instances. Une fois tes cheveux coupés, tu brilles d'une telle blancheur, que, nouveau Pélops, une épouse te croirait tout d'ivoire.

LXXXVI. - CONTRE FABULLUS

Les pédérastes ont, dis-tu, l'haleine forte : si la chose est comme tu le dis, Fabullus, que doivent sentir, dis-moi, ceux qui lèchent ?

LXXXVII. - CONTRE UN HOMME USE

Tu as trente mignons et autant de jeunes filles ; mais tu n'as qu'une seule mentule, encore ne peut-elle lever la tête. Que feras-tu ?

LXXXVIlI. - SUR COTTA

Deux fois nous avons vu Cotta se plaindre d'avoir perdu sa chaussure par la négligence de l'unique valet qui lui sert de cortège. Mais, en homme fin et rusé, il a imaginé un moyen de n'être plus exposé à la même infortune : c'est d'aller souper en ville pieds nus.

LXXXIX. - SUR TONGILIANUS

Tongilianus a du nez, je le sais, je n'en disconviens pas ; mais c'est tout ce qu'il a.

XC. - A CHARINUS

Si ta tête, Charinus, est tout enveloppée de laine, ce ne sont point tes oreilles, mais les cheveux, qui sont malades.

XCI. - SUR MARON

Maron a fait un vœu à haute voix pour un de ses amis en proie aux ardeurs déchirantes d'une fièvre demi-tierce. Il a promis, si le malade échappait aux ondes du Styx, d'immoler au grand Jupiter une victime digne de lui. Les médecins répondirent de la guérison : Maron fait, maintenant des vœux pour ne point acquitter son premier vœu.

XCII. - CONTRE MAGULLA

Puisque le même lit est pour ton mari et toi, Magulla, le théâtre commun de vos débauches, dis-moi pourquoi vous n'auriez pas le même échanson ? Tu soupires ! Je comprends : tu crains le breuvage.

XCIII. - A PRISCUS.

Souvent tu me demandes, Priscus, ce que je serais, si tout d'un coup je devenais riche et puissant. Penses-tu que l'on puisse prévoir ses sentiments à venir ? Que serais-tu, dis-moi, si tu devenais lion ?

XCIV. - SUR FABULLA

Fabulla a trouvé moyen de baiser son amant en présence de son mari : elle a un petit fou, qu'elle couvre de ses baisers humides. Le galant le prend aussitôt, puis le remet tout imbibé des siens à sa maîtresse, qui rit du stratagème. Le plus fou, n'est-ce pas le mari ?

XCV. - CONTRE TUCCA

Je préparais une épopée ; tu en commenças une : je te cédai la place, pour que mes vers ne fussent pas rivaux des tiens. Ma muse alors chaussa le cothurne tragique : la tienne s'affubla du long manteau. J'eus recours à la lyre du poète de la Calabre : toi, tu saisis le luth par une ambition nouvelle. J'aborde la satire ; tu veux être un Lucilius. Je m'en tiens aux soupirs de l'élégie, tu te prends aussitôt à soupirer. Pour dernière ressource, je fais des épigrammes, et tu m'envies déjà ma renommée. Choisis : de quoi ne veux-tu point ? Il y aurait de l'impudeur à tout, vouloir. S'il est quelque chose dont tu ne veuilles pas, Tucca, laisse-le-moi.

XCVI. - A RUFUS

Les écrits de Musée ne le cèdent point en licence aux livres sybaritiques. Les pages en sont imprégnées du sel de l'obscénité. Lis-les, Instantius Rufus ; mais que ta maîtresse soit près de toi, de peur que ta main libertine n'usurpe les droits de l'hymen, et ne fasse de toi un mari sans femme.

XCVII. - CONTRE UNE JALOUSE

Quand la conduite et la fidélité de ton mari te sont connues ; quand aucune autre femme n'occupe et n'aspire à occuper ta couche nuptiale, pourquoi, comme s'il s'agissait de maîtresses, jalouses-tu sottement de jeunes esclaves qui ne donnent jamais qu'un plaisir court et fugitif ? Encore est-il facile de prouver qu'ils te sont plus utiles qu'à ton mari : grâce à eux, en effet, il n'a point d'autre femme que toi. Ils lui donnent ce qu'épouse tu ne veux point donner. - Mais je le donne aussi, dis-tu, pour fixer son amour. - Ce n'est point la même chose : J'aime la figue savoureuse de Chio, et non celle de Marisque. Et pour que tu n'ignores pas ce que j'entends par la figue de Chio, celle de Marisque est la tienne. Une femme, une épouse doit savoir où finissent ses droits : laisse aux mignons leur part ; use de la tienne.

XCVIII. - CONTRE BASSUS

Quand tu as pour épouse une femme jeune, riche, noble, instruite et vertueuse, telle enfin que la désirerait le plus exigeant des maris, tu t'escrimes, Bassus, sur de jeunes blondins que tu t'es procurés avec sa dot ; de sorte que ta mentule, qui lui a coûté tant de milliers de sesterces, lui revient épuisée et hors de service. Ni les plus tendres paroles ni les plus douces étreintes ne peuvent la ranimer. Un peu de pudeur enfin ou allons en justice. Ta mentule n'est plus à toi, Bassus, tu l'as vendue.

XCIX. - AU FLEUVE BETIS

Bétis, toi dont le front est couronné d'oliviers, dont les limpides eaux donnent aux toisons l'éclat de l'or ; toi qu'aiment à l'envi Bromius et Pallas ; toi pour qui Neptune a ouvert des chemins sur toutes les mers, reçois favorablement sur tes rivages Instantius, et que cette année soit pour les peuples semblable à la précédente ! Il n'ignore pas le fardeau qu'on s'impose en succédant à Macer : mesurer l'étendue de ses devoirs, c'est être capable de les remplir.

C. - CONTRE UN EFFRONTÉ

Tu as, dis-tu, la bouche de ton grand-père, le nez de ton oncle, les deux yeux de ton père, et les gestes de ta mère : puisqu'il n'est pas une partie de ton corps qui ne rappelle tes ancêtres, de qui as-tu le front, dis-moi !

CI. - A MATTUS

Si, quand tu frappes à ma porte, je fais dire que je n'y suis pas, sais-tu, Mattus, ce que cela signifie ? que je dors pour toi.

CIL - A MILON

Encens, poivre, habits, argenterie, manteaux et pierres précieuses, voilà, Milon, ce que tu nous vends chaque jour. Une fois payées, l'acheteur emporte avec lui ses emplettes. L'article le plus avantageux de ton fonds, c'est ta femme : car vendue et revendue, elle ne fait point faute à celui qui la vend : jamais on ne l'emporte.

LIVRE XIII

PRÉSENTS DE BIENVENUE

I. - AU LECTEUR

Pour que les jeunes thons ne manquent point de robes ni les olives de manteaux, pour que la sale mite n'ait point à craindre la faim, Muses, abandonnez-leur encore ce papyrus d'Égypte qui me fait perdre mon temps : la saison des frimas et de l'ivresse demande des saillies nouvelles. Mon humble dé ne se mesure pas avec le fier osselet, et je n'agite pas dans mon cornet les as avec les six. Mes amusements, à moi, mon cornet, ce sont ces tablettes. C'est un jeu où l'on ne peut ni perdre ni gagner.

II. - CONTRE UN DETRACTEUR

Quand tu serais tout nez, quand tu aurais un nez tel qu'Atlas n'eût point consenti à le porter, fusses-tu même capable de railler Latinus, tu ne saurais dire de ces bagatelles plus de mal que je n'en ai dit moi-même. A quoi bon user ta dent contre un autre ? C'est de la chair qu'il te faut, si tu veux te rassasier : assez de gens sont engoués d'eux-mêmes ; réserve ton venin pour eux. Je n'ignore pas, moi, que mon ouvrage est peu de chose. Mais c'en sera toujours assez si tu l'écoutes avec bonne foi, si tu ne l'accueilles pas avec le front sévère du matin.

III. - AU LECTEUR

Toute la foule des présents, renfermée dans ce petit volume, te coûtera quatre pièces d'argent. - Quatre ! c'est trop. - Peut-être l'auras-tu pour deux, et le libraire Tryphon y gagnera encore. Tu pourras envoyer à tes hôtes mes distiques en guise de cadeaux si tu es aussi pauvre en espèces que moi. Un titre, placé en tête de chaque pièce, désigne ce qui en fait l'objet : passe outre, s'il en est qui ne soient pas de ton goût.

IV. - L'ENCENS

Pour que le Germanique ne commande à la cour céleste que le plus tard possible, et qu'il règne longtemps sur la terre, présente à Jupiter un encens pieux.

V. - LE POIVRE

Lorsque tu reçois en présent un bec-figue au croupion tendre et rebondi, saupoudre le de poivre, si tu veux bien faire.

VI. - LA FROMENTEE

Je t'envoie, moi, de la liqueur de froment ; le riche pourra te donner du vin miellé ; s'il ne veut pas t'en envoyer, achètes-en.

VII. - LA FEVE AVEC SA COSSE

Si la fève, avec sa cosse pâle, écume pour toi dans un pot de terre rouge, tu peux souvent te refuser, à l'invitation des riches.

VIII. - LA FARINE

Remplis tes cruches plébéiennes de farine bouillie de Clusium, pour y boire ensuite, quand elles seront vides, un vin qu'elles rendront excellent.

IX. - LA LENTILLE

Reçois cette lentille, présent du Nil et de Péluse. Plus commune que le froment, elle est plus chère que la fève.

X. - LA FLEUR DE FARINE DE FROMENT

Tu ne pourras nombrer les qualités et les usages de la fleur de farine : à combien d'usages n'est-elle pas employée par le boulanger et le pâtissier !

XI. - L'ORGE

Muletier, tu ne donnerais point cette orge à tes discrètes mules ; prends-la pourtant : mais c'est à l'hôtelier, et non à toi, que je la donne.

XII. - LE FROMENT

Prends trois cents mesures de froment de Libye, pour que ton champ du faubourg ne reste pas stérile.

XIII. - LES BETTES

Pour donner un peu de saveur aux fades bettes, ce mets des artisans, que de fois le cuisinier demandera du vin et du poivre !

XIV. - LA LAITUE

C'était par la laitue que nos aïeux terminaient leurs repas. Dis-moi, pourquoi est-ce par elle que nous ouvrons les nôtres ?

XV. - BOIS A BRÛLER

Si tu as tes domaines près de Nomentum, crois-moi, cultivateur, n'oublie pas de porter du bois à ta campagne.

XVI. - LES RAVES

Ces raves qui aiment le froid de l'hiver, je te les donne. Elles font dans le ciel les délices de Romulus.

XVII - LES TENDRONS DE CHOU

De peur que la pâleur de ces tendrons de chou ne te répugne, rends-les verts avec de l'eau nitrée.

XVIII. - LES POIREAUX QUI SE TONDENT

Les fibres du poireau de Tarente sentent très fort : lorsque tu en auras mangé, ne donne de baisers qu'à lèvres closes.

XIX. - LES POIREAUX A TÊTES

Les forêts d'Aricie nous envoient les meilleurs poireaux : voyez la verdure de leurs tiges à côté de la blancheur de leurs têtes.

XX. - LES NAVETS

Le territoire d'Amiterne nous fait croître en ses jardins fertiles. Grâce à nous; tu pourras ne plus manger autant de navets ronds de Nursia.

XXI. - LES ASPERGES

L'épine délicate qui croit sur le littoral de Ravenne n'est pas plus agréable que les asperges sauvages.

XXII. - LE DURACIN

Quoique raisin, je suis inutile à Bacchus, n'étant pas fait pour être bu. Ne me bois pas, je serai pour toi du nectar.

XXIII. - LA FIGUE DE CHIO

La figue de Chio, semblable au vin vieux de Sétie, porte avec elle son vin et son sel.

XXIV. - LES COINGS

Si l'on te sert des coings saturés du miel de l'Attique, tu peux les appeler mélimèles (pommes de paradis).

XXV. - LES POMMES DE PAN

Nous sommes les fruits de Cybèle. Passant, éloigne-toi, si tu ne veux pas que nous tombions sur ta tête.

XXVI. LES CORMES

Nous sommes des cormes, propres à raffermir les ventres relâchés : nous convenons mieux à ton enfant qu'à toi.

XXVII. - LE FRUIT DU DATTIER

Aux calendes de janvier, on offre la datte dorée; encore n'est-ce souvent que le présent du pauvre.

XXVIII. - LES COCTANES

Ces fruits cachés dans une corbeille de jonc, ce sont des coctanes : plus grosses, ce seraient des figues.

XXIX. - LES PRUNES DE DAMAS

Ces prunes étrangères, que leur vieillesse a ridées et flétries, prends-les : elles ont la vertu de soulager le ventre en le relâchant.

XXX. - LE FROMAGE DE LUNA

Ce fromage en forme de lune est de Luna, en Étrurie ; il fournira mille fois à dîner à tes esclaves.

XXXI. - LE FROMAGE VESTIN

Veux-tu, sans viande, déjeuner frugalement ? Prends ce fromage qui te vient des troupeaux vestins.

XXXII. - LE FROMAGE DE VÉLABRE

Toute espèce de feu ou de fumée ne convient point à ce fromage : il ne doit son bon goût qu'à la fumée du Vélabre dont il fut imbibé.

XXXIII. - LES FROMAGES DE TREBULE

Nous sommes de Trébule ; également recommandables, soit que l'on nous passe à une flamme légère, soit qu'on nous macère dans l'eau.

XXXIV. - LES BULBES

Si ta femme est vieille, si tes membres ont perdu toute rigueur, tu ne peux rien faire de mieux que de te rassasier de bulbes.

XXXV. - LA SAUCISSE

Saucisse de la Lucanie, fille d'une truie du Picénum, je suis pour la blanche bouillie un encadrement délicieux.

XXXVI. - LES OLIVES

 Ces olives, soustraites aux pressoirs du Picénum, commencent le repas et le terminent.

XXXVII. - LES CITRONS

Ces citrons viennent des jardins de Corcyre ou de ceux que gardait le dragon massylien.

XXXVIII. - LE LAIT CAILLE

Ce lait de chèvre fut trait par le berger, avant que les chevreaux n'eussent tété leurs mères.

XXXIX. - LES CHEVREAUX

Que cet animal pétulant, et nuisible à la vigne encore tendre, soit puni du mal qu'à peine né il fit à Bacchus.

XL. - LES OEUFS

Quand le jaune de l'œuf nage au milieu du blanc, délaye le dans le garum du scombre d'Hespérie.

XLI. - LE COCHON DE LAIT

Qu'on me serve, quand il tète encore, le nourrisson d'une truie paresseuse, et que le riche se régale du sanglier d'Étolie.

XLII. - GRENADES ET JUJUBES

Ces grenades et ces jujubes ne viennent point de la Libye : je te les envoie de mon jardin de Nomentum.

XLIII. - MÊME SUJET

Je t'envoie des grenades de mon jardin des champs, et des jujubes nés chez moi : qu'as-tu besoin de celles de la Libye ?

XLIV. - LA TETINE

Tu croirais plutôt boire que manger cette tétine, tant le lait jaillit frais et abondant de ces mamelles rebondies !

XLV. - LES POULETS

Si j'avais des oiseaux de Libye ou du Phase, je t'en enverrais ; pour le moment, contente-toi de ceux de ma basse-cour.

XLVI. - LES PECHES

Trop tôt mûries sur l'arbre maternel, nous n'étions qu'un fruit sans valeur : maintenant, sur un arbre adoptif, nous sommes des pêches délicieuses.

XLVII. LES PAINS DU PICENUM

Le pain du Picénum, trempé dans le lait, s'enfle comme l'éponge imbibée d'eau.

XLVIII. - LES CHAMPIGNONS

Envoyer de l'argent, de l'or, un manteau, une toge, c'est facile : mais envoyer des champignons, voilà le difficile.

XLIX. - LE BEC-FIGUE

Puisque je me nourris et de figues et de raisin, pourquoi n'est-ce pas plutôt le raisin qui m'a donné mon nom ?

L . - LES TRUFFES

Nous autres tubercules qui entrouvrons le sein nourricier de la terre attendrie, nous sommes, après les champignons, le premier de ses fruits.

LI. - LA COURONNE DE GRIVES

Tu aimes peut-être une couronne de roses ou de feuilles de nard : ce qui me plaît, à moi, c'est une couronne de grives.Fais-toi servir un canard tout entier; mais comme il n'a de friand que la cervelle et la poitrine, renvoie le reste au cuisinier.

LII. - LE TOURTEREAU

Tant qu'on me servira un gras tourtereau, la laitue et les coquillages auront tort : je n'y veux point perdre ma faim.

LIII. - LE JAMBON

Qu'il me vienne un jambon du pays des Cerrétans ou des Ménapiens, je laisse les délicats se gorger du filet.

LV. - LE FILET DE PORC

Il est tout frais : allons, vite appelle tes amis à le manger ; je ne me soucie point d'un filet de porc qu'on a laissé vieillir.

LVI. - LA VULVE

Peut-être aimes-tu mieux la vulve d'une truie vierge : je préfère, moi, celle d'une truie pleine.

LVII. - LA COLOCASE

Tu dédaigneras ce légume filandreux du Nil, quand il te faudra arracher avec les dents et avec les mains ses importuns filaments.

LVIII. - LE FOIE D'OIE

Vois, combien ce foie d'oie est plus gros que l'oie même la plus grosse. Tu diras, avec stupéfaction : " D'où vient donc celui-ci ?"

LIX. - LES LOIRS

Je passe tout l'hiver à dormir, et je ne suis jamais si gras que lorsque le sommeil est mon seul aliment.

LX. - LE LAPIN

Le lapin se plaît dans les souterrains qu'il a su se creuser ; c'est lui qui nous apprit l'usage des mines dans la guerre.

LXI. - LES GELINOTTES

Le premier et le plus exquis des oiseaux de table, c'est, dit-on, la gélinotte d'Ionie.

LXII. - LA POULARDE

Il faut à la poularde, pour engraisser facilement, de la farine et de l'obscurité : la gourmandise est inventive.

LXIII. - LE CHAPON

De crainte qu'épuisé par le coït le coq ne devienne trop maigre, on le chaponne : il n'est plus alors pour moi qu'un prêtre de Cybèle.

LXIV. - LE MEME

La poule se laisse en vain aller aux caresses d'un époux impuissant ; mieux vaudrait pour lui qu'il fût l'oiseau de Cybèle.

LXV. - LA PERDRIX

Cet oiseau paraît rarement sur les tables de l'Ausonie ; il n'y a que les riches qui puissent souvent te le servir.

LXVI. - LES PIGEONS

Ne porte point une dent sacrilège sur les tendres colombes, si tu es initié aux mystères de la déesse de Cnide.

LXVII. - LE RAMIER A COLLIER

Les ramiers à collier émoussent et refroidissent les organes de l'amour : ne mange pas de cet oiseau, si tu veux goûter les plaisirs de Vénus.

LXVIII. - LE LORIOT

Le loriot se prend aux gluaux et au filet, alors que commence à grossir le raisin encore vert.

LXIX. - LES MARTRES

Jamais l'Ombrie ne nous donna de martres pannoniennes : Pudens, qui en possède, préfère les envoyer en présent à son maître.

LXX. - LE PAON

Tu l'admires quand il déploie son éventail de pierreries, et tu ne crains pas, cruel, de le livrer à ton impitoyable cuisinier ?

LXXI. - LE PHENICOPTERE

Je dois mon nom à mes plumes couleur de pourpre : ma langue est pour les plus gourmands un morceau délicat ; que serait-ce, si elle pouvait parler !

LXXII. - LE FAISAN

Je fus apporté pour la première fois par un navire d'Argos. Je n'avais, jusque-là, rien connu que le Phase.

LXXIII. - LES POULES DE NUMIDIE

Tout repu qu'il était d'oies romaines, jamais le barbare Annibal ne mangea en Italie d'oiseaux de son pays.

LXXIV. - L'OIE

C'est grâce à cet oiseau que fut sauvé, sur le mont Tarpéien, le temple du maître de la foudre. Tu t'en étonnes ? Ce temple n'était point encore l'œuvre d'un dieu.

LXXV. - LES GRUES

Tu dérangeras le triangle, et le delta ne sera plus entier au sein des airs, si tu en ôtes un seul des oiseaux de Palamède.

LXXVI. - LA BECASSE

Que je sois bécasse ou perdrix, qu'importe, si je suis un mets aussi friand ? La perdrix est plus chère : voilà ce qui la rend plus délicate.

LYXVII. - LE CYGNE

Sa langue, prête à se glacer, fait entendre de doux accords au moment où il est lui-même le chantre de sa mort.

LXXVIII. - LES PORPHYRIONS

Un si petit oiseau porte le nom d'un grand géant ? Oui, c'est le nom de Porphyrion de la faction verte.

LXXIX. - LE SURMULET

Ce surmulet respire encore, mais difficilement, dans l'eau de mer où on l'a apporté. Il va mourir, dis-tu. Jette-le dans l'eau vive : il y retrouvera ses forces.

LXXX. - LA MURÈNE

La grosse murène, qui nage au fond des mers de la Sicile, ne peut s'y replonger, quand une fois le soleil a brûlé sa peau.

LXXXI. - LE TURBOT

Quelque large que soit le plat qui porte ce turbot, le turbot est encore plus large que le plat.

LXXXII. - L'HUITRE

J'arrive bien saturée de l'eau du lac Lucrin, près de Baïes : maintenant j'ai une soif immodérée du précieux garum.

LXXXIII. - LES SQUILLES

Aimées du paisible Liris, que protègent les bois de Marica, nous nageons par troupes nombreuses dans ses eaux.

LXXXIV. - LE SCARE

Ce scare, qui arrive de la mer gros et gras, n'a de bon que ses intestins ; le reste est d'une saveur bien médiocre.

LXXXV. - LE CORACIN

Coracin, c'est toi qu'on se dispute avant tout dans les marchés du Nil ; les gourmets d'Alexandrie n'estiment rien à l’égal de toi.

LXXXVI. - L'OURSIN

Quoique l'oursin blesse les doigts par les piquants de sa coquille, une fois hors de son enveloppe, c'est un mets des plus délicats.

LXXXVII - LES MUREX

Il ne te suffit pas, ingrat, de porter des habits teints de notre sang ; il faut encore que tu nous manges.

LXXXVIII. - LE GOUJON

Chez les Vénètes, quelle que soit la splendeur d'un festin, on le commence, ordinairement par le goujon.

LXXXIX. - LE LOUP DE MER

Le loup délicat se plaît à l’embouchure du Timave, où il se repaît d'eau douce et d'eau salée.

XC - LA DORADE

Les dorades n'ont pas toutes le même mérite et le même prix : les plus estimées sont celles qui s'engraissent des huîtres du Lucrin.

XCI. - L'ESTURGEON

Envoyez l'esturgeon aux tables des Césars ; un présent si rare ne doit orner que les festins des dieux.

XCII - LE LIEVRE

Parmi les oiseaux le premier rang appartient, selon moi, à la grive ; parmi les quadrupèdes, au lièvre.

XCIII. - LE SANGLIER

Tel était le terrible sanglier qui succomba dans le pays de Diomède sous un javelot étolien.

XCIV. - LES DAIMS

Les défenses du sanglier le font craindre : le bois du cerf le protège ; quant à nous, faibles daims, que sommes-nous, sinon une facile proie ?

XCV. - L'ORYX

Tu n'es pas, aux combats du matin, la dernière des bêtes fauves, cruel oryx ; que de chiens, par toi déchirés, en sont la preuve.

XCVI. - LE CERF

Du cerf que dompta Cyparisse ou de celui de Silvia, lequel ressemblait plus à celui-ci ?

XCVII. - LE LALISION

Quand l'onagre est tout jeune, et qu'il ne se nourrit que du lait de sa mère, on l'appelle lalision : ce nom de son enfance, il ne le garde pas longtemps.

XCVIII. - LE CHEVREUIL

Offre à ton enfant ce gentil chevreuil que le peuple aime à pourchasser dans l'arène en agitant ses vêtements.

XCIX. - LE CHAMOIS

Tu verras le chamois suspendu au sommet d'une roche escarpée. Tu te figures qu'il va tomber. Pas du tout : de là-haut il nargue tes chiens.

C. - L'ONAGRE

Voici le brillant onagre : il faut quitter la chasse de l'éléphant érythréen ; allons, enlevez les filets.

CI. L'HUILE DE VENAFRE

Ce liquide odorant, tu le dois à l'olive de Vénafre, en Campanie. Toutes les fois que tu en fais usage, on le sent bien.

CII. - LE GARUM DES ALLIES

Ce précieux garum, c'est le premier sang d'un scombre respirant encore ; accepte ce don qui doit t'être cher.

CIII. - LA SAUMURE

Je suis fille du thon d'Antipolis : si je l'étais du scombre, je ne t'aurais pas été envoyée.

CIV. - LE MIEL ATTIQUE

L'abeille de l'Hymette t'envoie cet excellent nectar butiné par elle dans les bois consacrés à Pallas.

CV. - LE MIEL DE SICILE

Quand tu feras goûter ce miel des coteaux de l'Hybla en Sicile, tu pourras, sans scrupule, dire qu'il vient du pays de Cécrops.

CVI. - LE VIN CUIT

Les vignes de la Crète, où régna Minos, t'envoient cette liqueur : c'est le vin miellé du pauvre.

CVII. - LE VIN POISSE

Ce vin poissé est le produit des fameuses vignes de Vienne : n'en doute pas ; c'est Romulus lui-même qui me l'a envoyé.

CVIII. - LE VIN MIELLE

Miel attique ; tu épaissis ce nectar de Falerne : c'est à Ganymède que revient l'honneur de le verser.

CIX. - LE VIN D'ALBE

Cette douce liqueur est sortie des celliers de César ; elle vient de la vigne qui se plaît sur le mont Iule.

CX. - LE VIN DE SORRENTE

Si tu bois du vin de Sorrente, ne cherche ni vases murrhins ni coupes d'or : bois-le dans l'argile même qui l'apporte.

CXI. - LE VIN DE FALERNE

Ce Massique vient des pressoirs de Sinuesse : tu demandes sous quel consul ils ont été scellé ? Il n'y en avait pas encore.

CXII. - LE VIN DE SETIA

Suspendue au-dessus des marais Pontins qu'elle domine, la petite ville de Sétia nous envoie ses vieux tonneaux.

CXIII. - LE VIN DE FONDI

L'automne fortuné d'Opimius a produit ce vin de Fondi : le consul l'a exprimé de la grappe et en a bu lui-même.

CXlV. - LE TRIFOLIN

Né sur le territoire de Trifolin, je ne suis pas, je l'avoue, des premiers crus ; je réclame pourtant la septième place.

CXV. - LE CECUBE

Le généreux Cécube mûrit entre Fondi et le golfe d'Amyclée. La vigne qui le donne croît et verdit au milieu des marais.

CXVI. - LE VIN DE SIGNIE

Bois du vin de Signie qui resserre le ventre ; mais si tu ne veux pas être trop resserré, bois en avec modération.

CXVII. - LE MAMERTIN

Si l'on te fait cadeau d'une amphore de Mamertin dont la vieillesse égale celle de Nestor, tu pourras lui donner tel nom que tu voudras.

CXVIII. - LE VIN DE TARRAGONE

Ce vin de Tarragone, qui ne le cède qu'à ceux de Campanie, rivalise avec ceux de Toscane.

CXIX. - LE VIN DE NOMENTUM

Ce sont mes vignes de Nomentum qui te donnent ce vin : si tu es l'ami de Quintus, tu en boiras de meilleur.

CXX. - LE VIN DE SPOLETE

Si le vin de Spolète a vieilli en bouteilles, tu le préféreras au Falerne nouveau.

CXXI. - LE VIN DE PELIGNUM

Les vignerons péligniens t'envoient le vin trouble des Marses : n'en bois point ; laisse-le à ton affranchi.

CXXII. - LE VINAIGRE

Ne dédaigne pas cette amphore de vinaigre du Nil ; il valait moins, ce vinaigre, quand il était vin.

CXXIII. - LE VIN DE MARSEILLE

Puisque ta sportule t'attire des centaines de clients, tu peux les régaler de tes vins enfumés de Marseille.

CXXIV. - LE VIN DE CERE

Que Népos te fasse servir du vin de Céré, tu le croiras du Sétia. Il ne le donne point à tout le monde : il le boit en trio d'amis.

CXXV. LE VIN DE TARENTE

Aulone est renommée pour ses laines et ses vignobles. A toi ses riches toisons ; à moi ses vins fameux.

CXXVI. - LES PARFUMS

Ne laisse ni parfums ni vins à ton héritier ; ne lui laisse que ton argent ; use pour toi de tout le reste.

CXXVII. - LA COURONNE DE ROSES

L'hiver te donne, César, des couronnes hâtives. Autrefois la rose était la fleur du printemps ; aujourd'hui elle est la tienne.

LIVRE XIV

ÉTRENNES

I. - AU LECTEUR

Tandis que chevaliers et sénateurs se parent de la robe des festins, que notre Jupiter se coiffe du bonnet, que l'esclave, dès qu'il voit les eaux près de se couvrir de glace, agite son cornet et ses dés sans craindre d'être vu par l'édile, reçois ces lots divers, partage du riche et du pauvre : que chacun fasse son présent à ses convives. -Ce sont des bagatelles; des riens, moins que cela peut-être. - Qui l'ignore ou qui nie une vérité si palpable ? Mais que faire de mieux dans ces journées d'ivresse que le fils de Saturne à consacrées à son père en échange du ciel ? Veux-tu que je raconte les guerres de Thèbes et de Troie ou bien les crimes de Mycènes ? - Joue aux noix, me dis-tu. - Je ne veux pas perdre mes noix. Partout où tu voudras, lecteur, tu peux finir ce petit livre. Deux vers contiennent en entier chaque sujet.

II. - AU MÊME

Si tu me demandes pourquoi chacun de mes distiques a son titre : c'est pour que tu puisses, si tu l'aimes mieux, ne lire que les titres.

III. - TABLETTES DE CITRONNIER

Si nous n'étions du bois taillé en minces feuilles, nous serions dignes d'être supportées par l'ivoire de Libye.

IV. - TABLETTES A CINQ FEUILLES

Le palais fortuné de l'empereur fume du sang de jeunes taureaux, quand des tablettes à cinq feuilles confèrent à César de nouveaux honneurs.

V. - TABLETTES D'IVOIRE

De peur que la teinte lugubre de la cire ne fatigue ta vue affaiblie, reçois ces tablettes d'ivoire, dont la blancheur fait ressortir les lettres noires qu'on y trace.

VI. - TABLETTES A TROIS FEUILLES

Ces tablettes à trois feuilles ne te paraîtront pas un cadeau sans valeur, quand elles t'apprendront la prochaine visite de ta maîtresse.

VII. - TABLETTES DE PARCHEMIN

Suppose qu'elles sont de cire, ces tablettes, bien qu'on les appelle parchemin : tu les effaceras, quand tu voudras substituer une nouvelle empreinte à la première.

VIII. - TABLETTES VITELLIENNES

Avant même de les avoir lues, la jeune fille sait ce que désirent ces tablettes vitelliennes.

IX. - LES MÊMES

En nous voyant d'un si petit volume, tu nous crois adressées à une maîtresse. Erreur ! Ce n'est pas un rendez-vous, c'est de l'argent que nous demandons.

X. - LE GRAND PAPIER

Tu aurais tort de regarder comme un mince cadeau ce papier blanc que te donne un poète.

XI. - PAPIER A LETTRES

Que ce papier s'adresse à un homme qu'on connaît à peine ou à l'ami le plus intime, il les appelle également : mon cher.

XII. - COFFRETS D'IVOIRE

L'or seul mérite de remplir ces coffrets d'ivoire. L'argent doit se contenter de simples coffrets de bois.

XIII. - COFFRETS DE BOIS

S'il reste au fond de ce coffret quelque monnaie, elle est à toi. S'il ne s'y trouve rien, prend le coffret lui-même.

XIV. - LES OSSELETS D'IVOIRE

Lorsque chacun d’eux t'amènera un point différent, tu conviendras que je t'ai fait là un beau cadeau.

XV. - LES DES

Peu nous importe d'être inférieurs en nombre aux osselets, pourvu que ce soit avec nous que l'on joue plus gros jeu.

XVI. - LE CORNET

Tel fripon sait avec la main amener les dés qu'il lui plaît, qui, s'il les fait passer par moi, n'a plus que des vœux à former.

XVII. - LA TABLE DE JEU

Ici l'on joue aux dés, et le point le plus fort est douze ; là c'est aux échecs, et le pion cerné par deux autres est un pion perdu.

XVIII. - LES NOIX

Le jeu des noix est peu de chose ; il ne semble pas dangereux ; toutefois, il fut souvent fatal aux fesses des enfants.

XIX. - L'ECRITOIRE

Quand tu auras reçu cette écritoire, ne manque pas de la garnir de plumes. Je t'ai donné le principal ; à toi d'y joindre l'accessoire.

XX. - LES ECHECS

Si tu aimes les pièges et les combats du jeu d'échecs, ces pions de verre seront tes ennemis et tes soldats.

XXI. - L'ETUI A METTRE LES STYLETS

Accepte cet étui garni de ses stylets de fer : si tu le donnes à ton enfant, ce ne sera pas un mince cadeau.

XXII. - LE CURE-DENT

Le meilleur cure-dent est une pointe de lentisque ; mais à défaut de ce bois, tu peux te servir d'une plume.

XXIII. - LE CURE-OREILLE

Si des picotements importuns te déchirent l'oreille, nous te donnons des armes contre ces fatigantes démangeaisons.

XXIV. - L'AIGUILLE D'OR

De peur que tes cheveux, imbibés de parfums, ne tachent tes légers tissus de soie, relèves-en les boucles et fixe-les avec cette aiguille.

XXV. - UN PEIGNE POUR UNE FEMME CHAUVE

A quoi bon pour ta tête sans cheveux ce peigne aux mille dents ?

XXVI. - LE SAVON

Une écume caustique rougit la chevelure des Teutons : à l'aide du savon, tes cheveux peuvent devenir plus beaux que ceux de ces captifs.

XXVII. - LES BOULES DE MATTIACUM

Si tu veux, vieille décrépite, changer la couleur de tes cheveux ; prends ces boules de Mattiacum. Mais à quoi bon ? Tu n'as pas un cheveu.

XXVIII. - L'OMBRELLE

Accepte cette ombrelle qui te garantira des rayons d'un soleil trop ardent : quelque vent qu'il fasse, elle te tiendra lieu de voiles.

XXIX. - LA COIFFURE A GRANDS BORDS

Je n'irai plus sans cet abri au théâtre de Pompée : car le vent, plus d'une fois, y rend les voiles inutiles.

XXX. - ARMES DE CHASSE

Ces armes arrêteront le sanglier ; elles attendront le lion, elles perceront l'ours, pourvu, qu'elles soient maniées par un bras vigoureux.

XXXI. - LE COUTEAU DE CHASSE

Si, par un coup de boutoir, le sanglier vient à te désarmer de ton épieu, tu pourras, avec cette arme plus courte, l'attaquer de plus près.

XXXII. - LE CEINTURON

Ce ceinturon est un ornement militaire ; c'est l'insigne honorable du guerrier ; un tribun serait fier de le porter.

XXXIII. - LE POIGNARD

Cette lame, que sillonnent des veines ondulées, a frémi quand on l'a trempée, tout en feu, dans l'onde glacée du Salon.

XXXIV. - L'EPEE DEVENUE FAUX

La paix que l'empereur assure au monde m'a courbée pour des travaux paisibles. Je sers au laboureur, après avoir servi au guerrier.

XXXV. - LA PETITE HACHE

Dans une vente forcée, faite par des créanciers, cette petite hache a été achetée quatre cent mille sesterces.

XXXVI. - LA TROUSSE DE BARBIER

Ces instruments te serviront, celui-ci, à tailler tes cheveux ; celui-là, à te faire les ongles ; cet autre, à te raser.

XXXVII. - LE PORTE-FEUILLE

Si tu ne tiens étroitement serrés les papiers que tu me confies, j'y laisserai pénétrer les mites et les teignes dévorantes.

XXXVIII. - LES PAQUETS DE ROSEAUX A ECRIRE

Les roseaux de la terre de Memphis servent à l'écriture ; emploie, pour couvrir tes toits, ceux des autres marais.

XXXIX. - LA LAMPE DE NUIT

Je suis la confidente de tes plaisirs nocturnes ; fais tout ce que tu voudras, je n'en dirai rien.

XL. - LA CHANDELLE

Tu as reçu du sort cette humble servante de la lampe : elle met en fuite les ténèbres et produit la sécurité.

XLI. - LA LAMPE A PLUSIEURS BECS

J'éclaire de mes feux toutes les tables du festin ; et, malgré le nombre de mes becs, je ne suis pourtant qu'une seule lampe.

XLII. - LA BOUGIE

Cette bougie te prêtera sa lumière nocturne, car on a dérobé la lampe à ton esclave.

XLIII. - LE CANDELABRE CORINTHIEN

Je dois mon nom à l'antique chandelle. Nos pères économes ignoraient encore l'usage de l'huile et des lampes.

XLIV. - LE CHANDELIER DE BOIS

Tu vois qu'il est de bois : si tu ne fais attention à la flamme, ce chandelier se changera pour toi en une vaste lampe.

XLV. - LA BALLE DES PAYSANS

Cette balle, gonflée de plumes et difficile à manier, est moins tendue que le ballon, et moins serrée que la balle ordinaire.

XLVI. - LA PAUME TRIGONALE

Si tu sais me lancer adroitement vers la gauche, je suis à toi; sinon, maladroit paysan, rends-moi à mes joueurs.

XLVII - LE BALLON

Loin d'ici, jeunes gens ! Votre âge est trop ardent ; c'est aux enfants, c'est aux vieillards que convient le jeu du ballon.

XLVIII. - LES HARPASTES

Voilà ces harpastes que l'adroit gaillard sait enlever sur l'arène poudreuse ; c'est pour ce vain amusement qu'il allonge si fort les muscles de son cou.

XLIX. - LES MASSES DE PLOMB

A quoi bon épuiser les forces de tes bras sous cette masse ridicule : mieux vaut le travail de la vigne ; c'est plus digne d'un homme.

L. - LA CALOTTE

Pour que ta chevelure brillante et parfumée ne soit pas souillée d'une immonde pommade, tu pourras la cacher sous cette calotte.

LI. - LES BROSSES A BAIN

Ces brosses recourbées, à manche de fer, nous viennent de Pergame. Si tu t'en frottes bien le corps, ton linge n'aura pas si souvent besoin du dégraisseur.

LII. - LA CORNE A L'HUILE

Alors que naguère un jeune taureau me portait à son front, tu me prendrais aujourd'hui pour une corne de rhinocéros.

LIII. - LA CORNE DE RHINOCÉROS

Ce rhinocéros, naguère en spectacle au milieu de l'arène impériale, et pour qui le taureau n'était qu'un mannequin, sera pour toi ce qu'était le taureau pour lui.

LIV. - LES CASTAGNETTES

Si l'enfant d'un de tes esclaves se jette à ton cou en pleurant, que sa petite main agite ces castagnettes sonores.

LV. - LE FOUET

Rien ne te servira d'en frapper à coups redoublés un cheval, s'il est de la faction rouge ; tu n'obtiendras rien de lui.

LVI - LA POUDRE DENTIFRICE

Qu'y a-t-il de commun entre nous deux ? C'est à la jeune fille à recourir à moi. Je n'ai point l'habitude de polir les dents achetées.

LVII. - LE MYROBALAN

Ce nom, que l'on ne trouve ni dans Homère ni dans Virgile, est composé des mots PARFUM (mæron) et GLAND (b‹lanow).

LVIII. - L'APHRONITRE

Es-tu, dans ton ignorance, étranger à la langue grecque? Je m’appelle écume de nitre. Es-tu Grec ? Je suis l’aphronitre.

LIX. - LES BAUMES

Ce qui me plaît à moi, ce sont les baumes, dignes parfums des hommes ! Vous, belles, exhalez les délicieuses odeurs de Cosmus.

LX. - LA FARINE DE FEVES

Tu apprécieras ce cadeau, utile aux ventres ridés, si tu vas en plein jour aux bains de Stephanus.

LXI. - LA LANTERNE DE CORNE

La lumière qui brille en sûreté dans mon sein diaphane sert de guide par ses rayons dorés.

LXII - LA LANTERNE DE VESSIE

Pour n'être point de corne, en suis-je plus obscure ? Et les passants soupçonnent-ils que je ne suis qu'une vessie ?

LXIII. - LA FLÛTE DE ROSEAUX

Je ne suis, il est vrai, qu'un mélange de cire et de roseaux : pourquoi en rire ? La première flûte était faite comme moi.

LXIV. - LES FLÛTES

Au milieu de l'ivresse des festins, la joueuse fait résonner de ses lèvres avinées tantôt deux flûtes à la fois, et tantôt une seule.

LXV. - LES SANDALES

Si tu veux chausser tes sandales, et que ton esclave soit absent, ton pied se servira lui-même.

LXVI. - LE FICHU

Il faudrait à ta gorge la peau entière d'un taureau : elle ne saurait tenir sous ce fichu.

LXVII. - L'EMOUCHOIR DE PLUMES DE PAON

Ces plumes, qui garantissent tes mets des mouches importunes, étaient naguère la magnifique queue du plus beau des oiseaux.

LXVIII. - LE BISCUIT DE RHODES

Quand tu auras à punir ton esclave, ne lui brise pas les dents à coups de poing : donne-lui à manger du biscuit que t'envoie la célèbre Rhodes.

LXIX. - UN PRIAPE DE PATE

Si tu veux te rassasier, tu peux manger ce Priape : lui rongeasses-tu même les testicules, tu n'en resteras pas moins pur.

LXX. - LE PORC

Il te fera passer de bonnes Saturnales, ce porc nourri de glands parmi les sangliers écumants.

LXXI. - L'EMOUCHOIR DE QUEUE DE BOEUF

Si tes vêtements sont salis par la poussière, sers-toi de cette queue pour les battre légèrement.

LXXII. - LE SAUCISSON

Ce saucisson que je t'ai envoyé au milieu de l'hiver m'avait été envoyé, à moi, avant les Saturnales.

LXXIII. - LE PERROQUET

J'apprendrai de vous d'autres mots ; je n'ai appris que de moi-même à dire : César, salut !

LXXIV. - LE CORBEAU

Corbeau adulateur, pourquoi passes-tu pour suceur ? Jamais mentule n'entra dans ton bec.

LXXV. - LE ROSSIGNOL

Philomèle pleure l'attentat de l'incestueux Térée ; et la parole, qu'elle perdit jeune fille, elle la retrouve oiseau.

LXXVI. - LA PIE

Pie babillarde, je te salue, mon maître, d'une voix très distincte : si tu ne me voyais, tu ne me prendrais pas pour un oiseau.

LXXVII. - LA CAGE D'IVOIRE

Si tu as un oiseau pareil à celui que pleurait Lesbie, l'amante de Catulle, tu peux le loger dans cette cage.

LXXVIII. - LE DROGUIER

Reçois, en présent ce dépôt de la science médicale, ce droguier d'ivoire, qu'envierait Pactius.

LXXIX. LES ETRIVIERES

Jouez en toute liberté ; mais bornez-vous à jouer, esclaves libertins. Ces étrivières vont rester sous clef pendant cinq jours.

LXXX. - LES FERULES

Aussi maudites des enfants qu'appréciées des maîtres, nous sommes, grâce à Prométhée, devenues un bois fameux.

LXXXI. - LA BESACE

Cette besace demande à ne pas porter le dîner d'un philosophe mendiant, et à ne pas servir d'oreiller à un cynique qui n'a pour vêtement que sa barbe.

LXXXII. - LES BALAIS

Le palmier, dont ces balais sont formés, prouve qu'ils eurent du prix : mais désormais les esclaves qui desservent les laisseront en repos.

LXXXIII. - LE GRATTOIR

Ce grattoir, fait en forme de main, préservera tes épaules des morsures importunés de la puce ou de tout autre insecte plus dégoûtant encore.

LXXXIV. - LE GARDE-MAIN

Le frottement de ta toge ou de ton manteau aurait bientôt usé tes livres, si cette planche de sapin n'était là pour leur assurer une longue durée.

LXXXV.- LIT ONDE EN QUEUE DE PAON

Ces lits doivent leur nom au plumage brillant dont se couvrit Argus, devenu l’oiseau de Junon.

LXXXVI. - LA SELLE

Chasseur, couvre de cette selle les flancs du coursier rapide : en le montant à poil, on risque ordinairement de s'écorcher le derrière.

LXXXVII - LE LIT DE TABLE

Reçois ce lit garni d'écaille et arrondi en demi-lune ; il est de huit places : viennent les amis.

LXXXVIII. - LA TABLE A COLLATION

Si tu me crois garnie de l'écaille femelle d'une tortue de terre, tu te trompes : la mienne est mâle, et vient d'une tortue de mer.

LXXXIX. - LA TABLE DE CITRONNIER

Reçois ce précieux cadeau des forêts de l'Atlas : son pesant d'or ne vaudrait pas autant.

XC.- LA TABLE D'ERABLE

Je ne suis pas veinée, c'est vrai ; je ne suis pas fille des bois de la Mauritanie ; mais je me suis trouvée aux festins les plus somptueux.

XCI.- LES DENTS D'ELEPHANT

Ces dents ont enlevé de lourds taureaux, et tu demandes si elles pourront soutenir des tables de citronnier libyen ?

XCII. - LA MESURE DE CINQ PIEDS

Cette règle de chêne, marquée de petits traits, et terminée en pointe aiguë, trahit assez souvent la fraude de l'entrepreneur.

XCIII. - LES VASES ANTIQUES

Ces vases ne sont point modernes, et la gloire n'en est pas à nos ciseleurs. Mentor les fit, et Mentor y but le premier.

XCIV. - LES TASSES

Ciselé par un travail hardi pour l'usage du peuple, le verre dont nous sommes formées ne craint pas l'eau bouillante.

XCV. - LA COUPE D'OR CISELEE

Tout éclatante que je suis de l'or de la Galice, chez moi, pourtant, le travail l'emporte sur la matière : car je suis l'œuvre de Mys.

XCVI. - LES TASSES DE VATINIUS

Reçois cette vile coupe, qui fut à l'usage du savetier Vatinius, quoique son long nez en dépassât les bords.

XCVII. - LES PLATS DE VERMEIL

Ne va pas profaner ces grands plats de vermeil, en y servant un maigre surmulet : le plus petit qu'ils recevront doit peser deux livres au moins.

XCVIII. - LA VAISSELLE D'ARETIUM

Ne dédaigne pas tant, crois-moi, ces vases d'Aretium : ce genre de vaisselle était le luxe de Porsenna.

XCIX. - LE BASSIN

Je suis barbare et viens du fond de la Bretagne ; mais Rome, aujourd'hui, aime mieux m'appeler indigène.

C. - LA CRUCHE DE PANACIE

Pour peu que tu connaisses la patrie du docte Catulle, tu a bu des vins de Rhétie renfermés dans mes flancs.

CI. - LE PLAT AUX CHAMPIGNONS

Je dois aux champignons le nom glorieux que je porte ; et pourtant, j'en ai honte, je sers à des tendrons de choux.

CII. - LES COUPES DE SORRENTE

Daigne agréer ces coupes : elles ne sont point formées d'une argile grossière ; la roue industrieuse les a façonnées à Sorrente.

CIII. - LES PASSOIRES A LA NEIGE

Dompte dans notre neige le feu de tes vins de Sétie ; quant aux vins inférieurs, des passoires de lin te suffiront.

CIV. - LE SAC A NEIGE

Le lin dont je suis fait sait clarifier la neige ; l'eau ne sort pas plus froide de ta passoire.

CV. - LES AIGUIÈRES

Que l'eau froide ne manque pas ! Tu en auras à souhait de la chaude. Mais ne sois point un buveur capricieux et difficile.

CVI. - LE POT D'ARGILE

A toi ce pot de terre rouge à l'anse recourbée : c'est dans un pot semblable que le stoïcien Fronton buvait son eau glacée.

CVII. - LES FLACONS

C'est nous que Bacchus, nous que les Satyres chérissent : c'est nous qui enivrons le tigre et l'instruisons à lécher les pieds de son maître.

CVIII. - LES COUPES DE SAGONTE

Prends ces coupes, dont le maniement ni la garde ne sauraient inquiéter ton esclave : elles sont faites avec l'argile de Sagonte.

CIX. - LES COUPES ORNÉES DE PIERRERIES

Vois combien d'émeraudes étincellent sur cette coupe d'or ! Que de doigts n'a-t-elle pas dépouillés !

CX. - LE FLACON A BOIRE

Si tu as soif de parfums, buveur sybarite, bois dans ce brillant flacon qui porte le nom de Cosmus.

CXI. - LES COUPES DE CRISTAL

La crainte même de les casser fait que l'on casse ces cristaux : trop d'assurance et trop de précaution sont également nuisibles.

CXII. - VERRE EN FORME DE NUAGE

Un nuage envoyé par Jupiter te verserait de l'eau dans la coupe : celui-ci te versera du vin.

CXIII. - LES VASES MURRHINS

Si tu bois un vin chaleureux, le vase murrhin convient à l'ardent Falerne, et lui donne encore un meilleur goût.

CXIV. - LA JATTE CUMEENNE

La chaste Sibylle de Cumes vous offre cette jatte de terre rouge de son pays.

CXV. - LES COUPES DE VERRE

Admire le génie de l'ouvrier du Nil : à force de vouloir ajouter à son œuvre, que de fois il l'a perdue !

CXVI. - LA CARAFE D'EAU A LA NEIGE

Tu ne bois d'autre vin que celui de Spolète ou des Marses : à quoi bon alors le luxe de cette eau glacée après qu'elle a bouilli ?

CXVII. - L'EAU DE NEIGE

Boire, non pas de la neige, mais de l'eau que la neige a glacée, c'est une invention de notre soif ingénieuse.

CXVIII. - MEME SUJET

Esclave, ne mêle point à l'eau de neige les vins enfumés de Marseille : car l'eau te coûterait plus cher que le vin.

CXIX. - LE POT DE CHAMBRE

Combien de fois, quand l'esclave n'accourait pas assez vite au craquement des doigts de mon maître, sa couche n'a-t-elle pas été ma rivale !

CXX. - LA LIGULE D'ARGENT

Bien que chevaliers et sénateurs m'appellent ligule, d'ineptes grammairiens m'appellent lingule.

CXXI - LE COQUETIER

Je sers pour les coquillages, mais aussi pour les œufs. Apprends-moi donc pourquoi je dois mon nom aux seuls coquillages.

CXXII. - LES ANNEAUX

Nous étions bien souvent autrefois ; nous sommes bien rarement aujourd'hui un don de l'amitié : heureux qui a pour client un chevalier de sa façon !

CXXIII. - LE BAGUIER

Souvent un anneau trop lourd s'échappe de ton doigt parfumé : confie-le-moi, il ne se perdra pas.

CXXIV. - LA TOGE

Si Rome, dont les enfants portent la toge, est maîtresse du monde, elle le doit à celui qui ouvrit les cieux à son illustre père.

CXXV. - MÊME SUJET

Si tu sais, client matineux, interrompre sans peine ton sommeil, tu auras souvent la sportule, mais ta toge s'usera.

CXXVI. - L'ENDROMIDE

Ce présent du pauvre n'est pas à l'usage du pauvre : je renvoie, au lieu d'une cape, une endromide.

CXXVII. - LE DRAP FONCÉ DE CANUSE

La couleur de ce drap de Canuse ressemble à celle du moût trouble ; accepte avec joie ce présent : il ne vieillira pas de sitôt.

CXXVIII. - LA CASAQUE GAULOISE

La Gaule t'envoie pour vêtement une casaque de Saintonge ; ornée d'un capuchon : naguère on en affublait les singes.

CXXIX. - LE DRAP ROUX DE CANUSE

Rome préfère le drap brun, la Gaule le drap roux ; cette dernière couleur plaît aux enfants et aux soldats.

CXXX. - LA CASAQUE DE CUIR

Quelle que soit la sérénité du ciel, quand tu te mets en route, n'oublie jamais d'emporter avec toi ta casaque de cuir, utile abri contre une pluie soudaine.

CXXXI. - LES LACERNES DE COULEUR ÉCARLATE

Si tu es pour la faction verte ou pour la bleue, pourquoi te vêtir d'écarlate ? Prends garde de passer pour un transfuge.

CXXXII. - LE BONNET

Je voudrais, si je le pouvais, t'envoyer un habillement complet : je ne puis, aujourd'hui songer qu'à ta coiffure.

CXXXIII. - LES LACERNES DE LA BETIQUE

Ma laine n'a point pris dans les cuves d'airain une teinte menteuse. Qu'on aime la couleur de la pourpre de Tyr, bien ; moi, je ne dois la mienne qu'à la brebis qui m'a portée.

CXXXIV. - LE FICHU

Fichu, comprime le sein naissant de ma maîtresse, afin qu'elle n'en ait jamais plus que ma main n'en pourrait prendre et contenir.

CXXXV. - LES ROBES DE FESTIN

Ni le barreau ni les procès ne sont connus de nous il faut, pour nous porter, être assis sur des lits brodés.

CXXXVI. - LE SURTOUT

Dans le temps des frimas, le drap ras convient peu : mes longs poils réchaufferont votre robe.

CXXXVII. - LES LACERNES BLANCHES

On nous recommande pour les spectacles de l'amphithéâtre, par-dessus une toge trop ouverte au froid.

CXXXVIII. - LE TAPIS A PELUCHE OU NAPPE DE TABLE

Ce tapis à peluche mérite de couvrir ta table de citronnier; quant à nos tables rondes et communes, les plats peuvent y laisser leur empreinte.

CXXXIX. - LES CAPUCHONS LIBURNIENS

Tu n'as pas su, maladroit, nous unir à des lacernes assorties : tu les as mises blanches, tu les retireras verdâtres.

CXL. - LES CHAUSSONS DE CILICIE

Ce n'est point de la laine, c'est la barbe infecte d'un bouc, qui forme leur tissu : une telle chaussure siéra bien à ton pied.

CXLI. - LA SYNTHÈSE

Pendant les cinq jours de repos accordés à la toge, tu pourras à ton gré revêtir la synthèse.

CXLII. - LE CAMAIL

Si je viens par hasard te lire un de mes ouvrages, mets ce camail autour de tes oreilles.

CXLIII. - LES TUNIQUES DE PADOUE

Comme il entre plusieurs toisons dans le triple tissu des tuniques de Padoue, la scie seule peut couper ces épaisses étoffes.

CXLIV. - L'ÉPONGE

Le sort t'assigne cette éponge ; tu pourras t'en servir pour nettoyer ta table, lorsque, d'abord légère, elle se gonflera de l'eau qu'elle aura bu.

CXLV. - LE MANTEAU A LONGS POILS

Je suis d'une telle blancheur, et mes poils sont si beaux, qu'au fort même de l'été tu me porterais avec plaisir.

CXLVI. - L'OREILLER

Ceins ta tête de feuilles de nard, ton oreiller sentira bon. La plume en gardera l'odeur, quand ta tête l'aura perdue.

CXLVII. - LES COUVERTURES A LONGS POILS

Ton lit de pourpre a beau être recouvert de brillantes fourrures, à quoi bon, si ta vieille épouse est de glace ?

CXLVIII. - LES COURTEPOINTES

De peur que ta couverture ne laisse à nu la moitié de ton lit, nous venons, unies comme deux sœurs, le couvrir tout entier.

CXLIX. - LE MOUCHOIR DE COU

Je n'aime pas les grosses mamelles : donne-moi à quelque jeune beauté, afin que mon tissu caresse son sein de neige.

CL. - LA ROBE DE CHAMBRE BRODÉE

C'est Memphis qui te fait ce présent : la navette du Nil a vaincu ici l'aiguille de Babylone.

CLI. - LA CEINTURE

Je suis maintenant assez longue ; mais si quelque doux fardeau vient t'arrondir le ventre, je deviendrai trop courte pour toi.

CLII. - LE TAPIS CARRÉ

Le pays du docte Catulle t'enverra des courtepointes : quant à moi, je viens du pays d'Hélicaon.

CLIII. - LE TABLIER

Que le riche te donne une tunique : je puis, moi te couvrir par devant. Si j'étais opulent, je remplirais pour toi ce double office.

CLIV. - LES LAINES DE COULEUR D'AMÉTHYSTE

Ivre du sang du murex de Sidon, je ne vois pas pourquoi l'on m'appelle une laine sobre.

CLV. - LES LAINES BLANCHES

L'Apulie se recommande par les toisons du premier ordre, Parme par celles du second, et Altinum par celles du troisième.

CLVI. - LES LAINES DE TYR

Un berger m'offrit à la belle Lacédémonienne, sa maîtresse. Moins noble était la pourpre dont se parait Léda, la mère de celle-ci.

CLVII. - LES LAINES DE POLLENTIA

Ce pays produit des laines et des vases dont l'aspect est également sombre et lugubre.

CLVIII. - MÊME SUJET

Cette laine est triste, il est vrai ; mais elle sied aux esclaves à tête rasée, et du second ordre, qui servent à table.

CLIX. - LA BOURRE DE LEUCONIUM

La plume, sous le poids de ton corps, te laisse-t-elle sentir de trop près la sangle, pends cette bourre tondue sur les étoffes de Leuconium.

CLX. - LA BOURRE DU CIRQUE

On appelle bourre du Cirque le jonc de nos marais : au pauvre elle tient lieu de la bourre de Leuconium.

CLXI. - LA PLUME

Tu pourras te reposer de tes fatigues sur cette plume, moelleux duvet du cygne d'Amyclée.

CLXII. - LE FOIN

Renfle ton pauvre lit de ce foin dérobé à la mule : la pâle inquiétude n'approche point d'un lit si dur.

CLXIII. - LA CLOCHETTE

Laisse là ton ballon ; la clochette des bains a sonné : tu continues ? C'est vouloir ne rentrer chez toi qu'après un bain d'eau froide.

CLXIV. - LE DISQUE

Quand le disque pesant de Sparte vole étincelant dans la lice, enfants, éloignez-vous : qu'il ne soit fatal qu'une fois.

CLXV. - LA LYRE

C'est elle qui fit rendre Eurydice à son divin époux : mais il la reperdit bientôt par sa défiance et par son impatient amour.

CLXVI. - LA MÊME

Elle fut bien souvent repoussée du théâtre de Pompée, cette lyre qui se faisait suivre des forêts et qui attirait les bêtes fauves.

CLXVII. - L'ARCHET

Pour préserver tes doigts des ampoules que produisent les cordes sonores, que les plectres bruyants décorent ta lyre docile.

CLXVIII. - LE TROCHUS (CERCEAU)

En me le donnant garni d'un anneau, tu me fais un présent utile : le cerceau sera pour les enfants, et la garniture pour moi.

CLXIX. - LE MEME

Pourquoi cet anneau babillard se promène-t-il çà et là dans le cerceau roulant ? C'est pour avertir les passants de lui faire place.

CLXX. - STATUE DE LA VICTOIRE

Ce n'est point un hasard aveugle qui l'assigne à celui que le Rhin décora du nom de Germanique ; esclave, verse dix coupes de Falerne.

CLXXI. - LE JEUNE ESCLAVE DE BRUTUS

Un si petit cachet n'est pas sans gloire : il représente le jeune esclave qu'aimait Brutus.

CLXXII. - LE CORINTHIEN SAUROCTONE

Ne tue pas d'une flèche, malicieux enfant, ce lézard qui rampe vers toi : ce n'est qu'entre tes doigts qu'il veut mourir.

CLXXIII. - TABLEAU REPRESENTANT HYACINTHE

Cet enfant qui détourne ses yeux mourants du disque meurtrier, c'est Hyacinthe, sujet de remords et de pleurs pour Apollon.

CLXXIV. - L'HERMAPHRODITE DE MARBRE

Entré mâle dans cette fontaine, il en sortit mâle et femelle, semblable en un seul point à son père et par tout le reste à sa mère.

CLXXV. - TABLEAU DE DANAE

Pourquoi, roi de l'Olympe, payer à Danaé ce que tu reçus gratis de Léda ?

CLXXVI. - LE MASQUE GERMAIN

Le potier me donna le visage d'un Batave aux cheveux roux : si je ne suis pour toi qu'un objet de risée, je suis la terreur des enfants.

CLXXVII. - L'HERCULE EN AIRAIN DE CORINTHE

Enfant, il écrase deux serpents sans les voir. L'hydre pouvait déjà craindre ses jeunes mains.

CLXXVIII - L'HERCULE EN TERRE CUITE

Je suis fragile ; mais, je t'en avertis, ne me dédaigne pas : Hercule n'a pas honte de porter mon nom.

CLXXIX. - LA MINERVE D'ARGENT

Dis-moi, vierge intrépide, pourquoi, avec ce casque et cette lance, tu ne portes point ton égide ? C'est qu'elle est portée par César.

CLXXX. - LE TABLEAU D'EUROPE

Puissant maître des dieux, il valait mieux te changer en taureau, quand Io fut génisse.

CLXXXI. - LE LEANDRE DE MARBRE

L'audacieux Léandre s'écriait au sein des eaux soulevées par la tempête : « Flots, ne me noyez qu'à mon retour ! »

CLXXXII. - LA FIGURE D'ARGILE D'UN BOSSU

Prométhée était ivre, sans doute, alors qu'il façonna ce monstre : il le pétrit, en se jouant, avec de la fange des Saturnales.

CLXXXIII. - LA BATRACHOMYOMACHIE D’HOMERE.

Lis le poème des Grenouilles du chantre de la Méonie, et apprends à dérider ton front à la lecture de mes bagatelles.

CLXXXIV. - UN HOMERE SUR PARCHEMIN

L'Iliade et le poème de cet Ulysse si fatal à l'empire de Priam sont tous deux renfermés dans les plis nombreux de ce parchemin.

CLXXXV. - LE MOUCHERON DE VIRGILE

Reçois, ô studieux ami, le Moucheron de l'éloquent Virgile. Ne quitte pas le badinage en ces jours de plaisir, pour entonner l'Arma virumque.

CLXXXVI. - UN VIRGILE SUR PARCHEMIN

Ce petit parchemin contient l'ouvrage complet du grand Virgile, et la première page t'offre son portrait.

CLXXXVII. - LA THAIS DE MENANDRE

C'est elle qui se joua d'abord de l'amour des jeunes gens ; c'est elle, et non pas Glycère, qui fut la vraie maîtresse du poète.

CLXXXVIII. - UN CICERON SUR PARCHEMIN

Si ce parchemin t'accompagne, songe que Cicéron te suffira pour les plus longs voyages.

CLXXXIX. - PROPERCE

Cynthie, chantée par le jeune et éloquent Properce, lui dut sa renommée ; mais Properce lui dut la sienne.

CXC. - UN TITE-LIVE SUR PARCHEMIN

Dans ces petits vélins est contenu le grand Tite-Live, que ma bibliothèque ne peut contenir tout entier.

CXCI. - SALLUSTE

Ce Crispus, à en croire les savants, sera le premier des historiens de Rome.

CXCII - LES MÉTAMORPHOSES D'OVIDE SUR PARCHEMIN

Cette masse de parchemins contient quinze livres des poésies d'Ovide.

CXCIII. – TIBULLE

La folâtre Némésis consuma des feux de l'amour Tibulle, son amant, qui se plut à n'être rien dans sa propre maison.

CXCIV. - LUCAIN

Certaines gens disent que je ne suis pas poète ; mais le libraire qui me vend n'est pas de cet avis.

CXCV. - CATULLE

La grande Vérone doit tout autant à son Catulle que la petite Mantoue à son Virgile.

CXCVI. - L'EAU CHAUDE ET L'EAU FROIDE

Ces vers te font connaître les divers bains d'eau chaude. Quant au papier lui-même, il mérite bien qu'on l'y envoie nager.

CXCVII. - LES PETITES MULES

Assis sur ces petites mules, on ne craint pas de tomber : assis par terre, on serait peut-être plus haut.

CXCVIII. - LA PETITE CHIENNE GAULOISE

Si tu voulais savoir toutes les gentillesses de cette petite chienne, une page entière ne me suffirait pas pour te les raconter.

CXCIX. - LE CHEVAL DES ASTURIES

Ce petit cheval, qui va l'amble avec tant de rapidité, nous vient des Asturies aux mines d'or.

CC. - LE CHIEN DE CHASSE

C'est pour son maître, et non pour lui, que chasse cet ardent limier, qui va te rapporter entre ses dents, un lièvre sans le meurtrir.

CCI. - LE LUTTEUR

Celui que j'aime, ce n'est pas le vainqueur, mais celui qui sait succomber et qui combat encore.

CCII. - LE SINGE

Habile à éviter les bâtons qu'on me lance, si j'avais une queue, je serais un cercopithèque.

CCIII. - LA JEUNE FILLE DE GADES

Son corps, mollement balancé, se prête à un si doux frémissement et à des poses si lascives, qu'Hippolyte lui-même, en la voyant, eût porté la main à sa mentule pour se donner du plaisir.

CCIV. - LES CYMBALES

Ces instruments d'airain qui servent à pleurer les amours de Cybèle et d'Atys, le prêtre de cette déesse les vend assez souvent quand il a faim.

CCV. - LE MIGNON

Qu'on me donne un mignon qui doive la douceur de sa peau à sa jeunesse et non à la pierre-ponce ; dès lors, auprès de lui, pas une belle qui soit capable de me plaire.

CCVI. - LA CEINTURE

Esclave, noue à ton cou ce ceste encore tout chaud des feux de Vénus.

CCVII. - LE MÊME

Reçois ce ceste tout imprégné encore du nectar de Cythère : par lui les feux de l'amour ont passé jusque dans le sein de Jupiter.

CCVIII. - LE TACHYGRAPHE

Les paroles ont beau courir, la main vole plus vite encore. La langue n'a pas achevé, que la plume a déjà fini.

CCIX. - LA COQUILLE

Polis avec une coquille de mer l'écorce qui nous vient d'Égypte, et le roseau y glissera facilement.

CCX. - LE FOU

Sa folie n'est point mensongère : l'artifice et la feinte n'y sont pour rien. Celui-là est, sage en effet, qui n'est pas plus sage qu'il ne faut.

CCXI. - LA TÊTE DE BÉLIER

Tu as coupé le cou à ce tendre bélier : est-ce là ce que méritait celui qui te fournit tant de fois tes vêtements ?

CCXII. - LE NAIN

Si tu n'aperçois que sa tête, tu croiras voir Hector : s'il est debout, tu croiras voir Astyanax.

CCXIII. - LA PARME

Souvent vaincue, et rarement victorieuse, elle n'est pour toi qu'une parme, elle serait pour un nain un bouclier.

CCXIV. - LES JEUNES COMÉDIENS

Pas un enfant dans cette troupe qui puisse jouer le rôle de Misoumène ; mais pas un qui ne puisse jouer celui de Dis exapatôn.

CCXV. - L'INFIBULATION

Dis-moi franchement pourquoi cette boucle aux comédiens et aux joueurs de lyre ? Pour mettre leurs faveurs à plus haut prix.

CCXVI. - L’EPERVIER

Jadis chasseur d'oiseaux, il n'est plus maintenant que le valet de l'oiseleur. Il prend toujours des oiseaux ; seulement il regrette que ce ne soit plus pour son compte.

CCXVII. - LE MAITRE D'HOTEL

Dis combien tu as de convives, et ce que tu veux dépenser ; n'ajoute pas un mot de plus : ton dîner est servi.

CCXVIII. - LA PIPEE

Ce n'est pas seulement par des roseaux enduits de glu, mais encore par le chant, qu'on trompe l'oiseau, alors qu'une main silencieuse fait monter jusqu'à lui le perfide roseau.

CCXIX. - LE COEUR DE BOEUF

Pauvre avocat, puisque les vers que tu composes ne te rapportent pas un sou, reçois ce cœur, pareil au tien.

CCXX. - LE CUISINIER

L'art seul ne suffit pas au cuisinier : je ne veux pas que l'on commande à mon palais ; le cuisinier doit n'avoir d'autre goût que celui de son maître.

CCXXI. - LE GRIL ET LA BROCHE

Fais cuire dans son jus, sur le gril recourbé, la petite griblette ; mais que le sanglier écumeux rôtisse à une longue broche.

CCXXII. - LE CONFISEUR

Cette main ingénieuse te crée des friandises sous mille formes différentes : c'est pour elle seule que travaille l'abeille économe.

CCXXIII. - LES DEJEUNERS

Levez-vous ! Déjà le pâtissier vend aux enfants leurs déjeuners : on entend résonner de toutes parts le chant du coq porte-crête dont la voix vous annonce le jour.

 FIN DE L'OUVRAGE

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