Plaute

Pseudolus

Traduction de J. Naudet

Publié par PANCKOUCRE

1837

 

AVANT-PROPOS DE PSEUDOLUS.

Caton s'écrie, dans le «  Dialogue sur la Vieillesse » « Que Plaute aimait son «  Pseudolus » ! qu'il aimait son «  Truculentus » ! Caton était-il en effet dans la confidence de Plaute? Cicéron aurait-il pu certifier l'authenticité du mot de Caton, et la préférence don­née à ces deux comédies par l'auteur sur ses autres ouvrages? Quand le fait serait historique, il ne faudrait pas encore quoique nous ne fussions pas de l'avis de Plaute lui-même, ajouter cet exemple aux exemples nombreux des prédilections malheureuses de poètes et de pères pour leurs enfants disgraciés; car ces deux productions, si elles ne se rangent pas parmi les plus ingénieuses de Plaute, y doivent tenir cependant un rang distingué. Je pren­drai le mot de Caton pour ce qu'il est réellement, pour une fiction, et Cicéron aura exprimé son propre jugement, celui du public latin.

Alors se vérifie l'observation que nous avons déjà faite plu­sieurs fois sur les connaissances, sur le goût des Romains relati­vement à la composition et aux sujets dramatiques ; combien peu ils appréciaient, ou remarquaient même, l'art de motiver les pé­ripéties, et de ne laisser rien d'incomplet dans le dénoûment, rien d'inachevé, ou d'insuffisamment expliqué dans le cours de l'action ; combien ils sacrifiaient volontiers, ou même à leur insu, le mérite de l'ensemble, pourvu que l'effet comique des scènes les divertît. Le vieux Simon, qui se déclare d'abord si courroucé, si sévère, si défiant, n'accepte-t-il pas trop aisément à la fin une transaction avec Pseudolus? Et Pseudolus, qui s'était engagé à duper le prostitueur, à duper le vieillard, ne nous frustre-t-il pas d'une des intrigues promises, grâce à la complaisance de celui des deux ennemis qui semblait le plus difficile à vaincre, parce qu'il était averti, et auquel Pseudolus avait lancé le défi le plus propre à piquer la curiosité du spectateur ? Le complot contre le prostitueur est habilement conçu, et surtout fort gaiement exécuté : c'en était assez pour les Romains ; les modernes auraient demandé pourquoi le vieux Simon change tout à coup ses dispositions hostiles en une simple gageure et avoue sa partie perdue lorsque le prostitueur seul a succombé.

Voilà donc les sujets toujours représentés, toujours applaudisà Rome et dans la Grèce,1e fonds, l'âme de la comédie ancienne,
de la comédie, cette image de la réalité, çe miroir de la vie humaine, au dire de Cicéron, une guerre de ruse et de fourberie contre u n marchand de courtisanes ou des triomphes insolentes de courtisanes maîtresses d'elles-mêmes ; toujours le tableau de la perversité, de l'avarice, de la perfidie, dans le trafic privilégié et patenté du vice et de la débauche; toujours la société des lieux de prostitution.
Ici, quoique Pseudolus donne son nom à la comédie, quoiqu'il demeure victorieux et maître du champ de bataille, ce n'est pas
lui qui est le héros de la fable. C'est Ballion le prostitueur, Ballion le vaincu, qui fait le principal personnage : ce rôle était celui du coryphée de la troupe, celui que le fameux Roscius affectionnait entre tous les autres et dans lequel enlevait tous les suffrages. Ballion était le prostitueur par excellence ; il était devenu le modèle et le type du genre, son nom était passé en proverbe. Il se rencontre dans les comédies de Plante plus de fripons que d'honnêtes gens, plus d'insensés que de sages, plus d'êtres vicieux que de personnes intègres et pures. Tel est le génie de la muse comique. C'est dans la malignité de l'espèce humaine que la malignité de Thalie a puisé ses inspirations ; le public est un
maître qu'elle sert selon ses goûts, et dont elle subit même les caprices. On ne rit pas d'un modèle de vertu, on l'admire. Mais on se lasse d'admirer ; on ne se lasse pas de s'égayer d'un ridicule ou d'un vice.

Une femme, de beaucoup d'esprit, auteur de plusieurs romans célèbres, répondit un jour à un ami qui lui reprochait d'accumuler trop d'infortunes sur ses héros : «Que voulez-vous ? est-ce qu'on peut faire une page avec le bonheur? » Un auteur co­mique serait fondé aussi à dire«Est-ce qu'on peut faire une comédie avec la perfection de la raison et de la vertu? » Une raison médiocre, une vertu ordinaire toucheraient peu les spectateurs. Il faut qu'elles soutiennent de rudes épreuves, des com­bats pénibles, des atteintes douloureuses. Mais, alors les ris, les jeux, la gaîté s'enfuient de la scène, et Thalie, sans y penser, prend le masque de Melpomène pour le sien. Les larmes ne lui vont pas, elle grimace quand elle pleure et comment attendrir sans faire couler des larmes ? comment intéresser vivement à la vertu sans attendrir?

Dans le dernier siècle on vit naître, d'une alliance monstrueuse, un être bâtard, le comique larmoyant. Son nom forme de ces deux mots étonnés de se trouver accouplés, suffit pour signaler la fausseté, de sa bizarre nature. Assurément il n'est pas de la fa­mille de Molière. Molière a bien compris qu'un spectacle co­mique vivait seulement de ridicule et de gaîté, et ne demandait d'autre aliment que les folies et les travers des hommes. Il nous montre toujours, des fous d'ambition, des fous d'amour, des fous d'avarice, des fous de préjugés, quelques médians, mais en moins grand nombre, et toujours dans des positions plaisantes, dont l'effet tempère l'indignation et l'horreur qu'excite une méchan­ceté profonde.

Les gens raisonnables ne figurent dans les pièces de Molière qu'au second plan; on aime à les voir et à les entendre comme objets de comparaison, comme auxiliaires habiles à rectifier les erreurs, à réparer ou empêcher les bévues, à confondre les im­postures. Mais ils doivent leur succès à leur discrétion : s'ils avaient la prétention de paraître trop souvent et trop longtemps, ils refroidiraient la scène ; ils font mieux de la livrer aux fous et aux médians, pour que les fous et les médians se livrent à notre dérision.

Le Molière latin a suivi une méthode pareille, mais avec moins de génie et de fécondité. La peinture des extravagances, des ri­dicules , des passions outrées ou mauvaises peut devenir fasti­dieuse, si elle n'étale pas assez d'originaux divers, si elle ne leur prête pas assez de masques différera. Il ne suffit pas de varier l'intrigue, il faut encore varier les personnages.

Cependant n'imputons pas trop sévèrement à Plaute et aux poètes comiques de l'antiquité, un défaut qui résultait nécessai­rement de l'état de la société, ou, pour mieux dire, de l'absence complète d'habitudes sociales dans la vie privée. Cet intermé­diaire entre la solitude domestique et le tumulte de la place publique, le commerce du monde, les réunions de personnes des deux sexes, de familles différentes, d'états différents, assemblées, pour le plaisir de converser décemment ensemble, n'avaient point lieu en ce temps; on n'en avait pas d'idée. Le Romain était père de famille dans son intérieur, soldat dans le camp, citoyen dans le Forum ; s'il voulait être quelque chose d'analogue à ce que nous appelons homme du monde, homme de plaisir, et il le voulait généralement, journellement, il cherchait ses distractions dans le libertinage et l'ivrognerie; ses salons étaient les mauvais lieux: et, comme le dit un personnage de Plaute (1) la maison du prostitueur devenait le rendez-vous de tous, du plébéien et du cheva­lier, de l'honnête homme et du fripon tout ensemble. La comé­die dut se ressentir de cette uniformité de l'existence commune, surtout quand elle s'abstint de toucher à la politique, et se ren­ferma dans une philosophie générale, qui n'eut à observer désor­mais que la partie clandestine des mœurs, et non pas la société proprement dite; elle était privée ainsi de la ressource de ces mille nuances de caractères, de ces diversités d'esprits et de ma­nières, que produisent le contraste des professions et l'influence des femmes dans les cités modernes; alors toutes les variétés individuelles allaient se perdre dans cette ignorance universelle, profonde de la sociabilité polie, et dans cette perpétuelle monotonie de l'unique opposition de l'homme libre à l'esclave, du citoyen à l'homme séparé de la cité.

1. Le Carthaginois, v. 83o-834.

PERSONNAGES

PSEUDOLUS, esclave de Simon , suivant de Calidore.

CALI DORE, fils de Simon, amant de Phénicie.

BALLION, prostitueur.

QUATRE ESCLAVES de Ballion.

SIMON, père de Calidore.

CALLIPHON, vieillard, ami de Simon.

HARPAX, valet de militaire.

CHARIN, jeune homme, ami de Calidore.

UN ESCLAVE de la maison du prostitueur.

UN CUISINIER.

SINGE, agent d'intrigue.

PHÉNICIE, maîtresse de Calidore, personnage muet.

 

ARGUMENT ACROSTICHE ATTRIBUÉ A PRISCIUS LE GRAMMAIRIEN.

Un militaire donne quinze mines comptant au prostitueur, et lui remet une empreinte de son cachet, qui doit servir de signe de reconnaissance à l'homme qui apportera la pareille avec le reste de l'argent pour emmener Phénicie. A peine le valet du militaire est-il ar­rivé, Pseudolus lui escroque sa lettre, en se faisant, passer pour Syrus, esclave de Baillion : le drôle sauve ainsi son jeune maître. Car le prostitueur livre la fille à Singe, complice de Pseudolus. Vient ensuite le véritable Harpax; le mystère se découvre, et le père paie la somme qu'il avait gagée.

AUTRE ARGUMENT QUI SE TROUVE DANS LE PALIMPESTE DE M. ANG. MAI .

Le jeune Calidore se mourait d'amour pour la cour­tisane Phénicie, mais l'argent lui manquait. Elle fut achetée vingt mines par un militaire, qui en paya quinze sur-le-champ, et qui partit, laissant chez le prostitueur la courtisane, et en même temps un signe de reconnais­sance, afin que, sur la présentation d'un pareil, le reste de l a somme payé, on emmenât la belle qui lui appar­tenait. Bientôt arrive pour la chercher un valet du militaire. L'esclave de Calidore, Pseudolus, l'attaque adroitement en se faisant passer pour l'intendant du prostitueur. Il lui dérobe le signe de reconnaissance, et le donne à un messager supposé, avec cinq mines qu'on lui a prêtées. Le faux soudard trompe le prostitueur ; Calidore devient possesseur de son amie, et Pseudolus d'une cruche de vin.

PROLOGUE,

«Accordez-moi votre faveur aujourd'hui , j'apporte ici du bon. En effet, on doit offrir aux bons de bonnes choses, c'est tout juste, comme des mauvaises aux mé­ dians, pour qu'il arrive mal aux médians et bien aux bons, les médians sont ennemis des bons, c'est ce qui f ait qu'ils sont médians ; les bons sont ennemis des mé­dians c'est ce qui fait qu'ils sont bons. Aussi êtes-vous, bons, Romains , parce que les médians vous furent tou­ jours odieux: vos lois et vos légions n'ont pas cessé de les poursuivre et d'avoir bon succès. Que votre bonté ne se démente pas aujourd'hui , écoutez bonnement cette bonne troupe comique, prête à donner du bon à un bon public. Les oreilles, les yeux, l'esprit auront de quoi se repaître amplement. Si quelqu'un vient au théâtre avec la faim ou la soif, il n'aura qu'à se tenir bien éveillé, le rire ni les aliments ne l'incommoderont pas; pendant que les bons vivants riront, les affamés se mordront les lè­vres. Si vous faites bien, vous qui n'avez pas dîné, vous nous laisserez, vous vous en irez d'ici. Vous dont la panse est garnie, faites station, ou mieux, prenez séance, et soyez attentifs. Je ne vous annoncerai ni le sujet ni le titre de la pièce; Pseudolus fera très bien cette affaire. J'en ai dit assez, plus j'y pense et plus j'y repense. Où l'aimable gaîté, les ris, les jeux, le vin et l'ivresse doi­ vent régner avec les grâces, la beauté, la joie et les plai­sirs, chercher autre chose, c'est vouloir chercher son malheur. Bannissez donc en ce jour les noirs soucis, il est heure de loisir; (ou sinon), il faut allonger les reins et lever le siège; une grande comédie de Plaute vient occuper la scène.

Acte 1

Scène 1

PSEUDOLUS, CALID0RE .

PSEUDOLUS.

Si ton silence, mon maître, pouvait m' apprendre quel chagrin te tourmente si cruellement, je me ferais un plaisir d'épargner une peine à deux personnes à la fois, à moi celle de te questionner, à toi celle de me répondre. Mais puisque la chose n'est pas possible, il faut de toute nécessité que je te presse de questions: réponds-moi : Qu'as-tu depuis quelques jours pour être si désolé en tenant sans cesse à la main ces tablettes, que tu ar­ roses de tes pleurs, sans mettre personne dans ta confidence? Parle, afin que je ne l'ignore plus, et que je sois aussi savant que toi.

CALI DORE, soupirant

Je suis malheureux, bien malheureux, Pseudolus.

PSEUDOLUS.

Que Jupiter t'en préserve!

CALIDORE.

Cette affaire-ci n'est point du ressort de Jupiter : c'est sous l'empire de Vénus que je souffre la torture, et non par la volonté de Jupiter.

PSEUDOLUS.

Puis-je savoir de quoi il s'agit? Autrefois t u me pre­nais pour le confident le plus intime de tes pensées.

CALIDORE.

Je suis toujours dans les mêmes sentiments.

PSEUDOLUS.

Dis-moi ce que tu as; je t'aiderai ou d'argent comp­tant, ou d'action, ou de bon conseil.

CALIDORE, lui présentant les tablettes.

Prends ces tablettes, lis, tu te feras toi-même le récit de la douleur et des peines qui me consument.

PSEUDOLUS.

Je vais t'obéir. ( Apres avoir regardé l'écriture) Mais qu'est-ce que c'est que cela, je te prie ?

CALIDORE,

Quoi?

PSEUDO.LUS.

À ce qu'il me semble, ces lettres veulent avoir de la progéniture, elles grimpent les unes sur les autres.

CALIDORE, avec indignation.

Plaisante-moi, mauvais plaisant.

PSEUDOLUS.

Je crois, par Pollux, qu'à moins d'avoir une Sibylle pour déchiffrer cela, personne n'y comprendra goutte.

CALIDORE.

Pourquoi traiter si brutalement ces tablettes char­ mantes, ces charmants caractères qu'une main char­mante a tracés?

PSEUDOLUS.

Par Hercule, est-ce que les poules ont aussi des mains, je te prie? car c'est une poule qui a écrit cette missive.

CALIDORE.

Tu m 'assommes. Lis, ou rends les tablettes.

PSEUDOLUS.

Non, je lirai, et tout. Attention.

CALIDORE.

Ai-je l'esprit présent?

PSEUDOLUS.

Eh bien, somme-le de comparoir.

CALIDORE.

Non, ce n'est pas moi qui lui ferai sommation; de­mande-le plutôt à ces tablettes, c'est là qu'il réside, et non dans mon sein.

PSEUDOLUS, regardant l'écrit.

Je vois ta bonne amie, Calidore.

CALIDORE.

Où est-elle, je te prie?

PSEUDOLUS.

La voici couchée sur ces tablettes ; elle est tout au long sur la cire.

CALIDORE.

Que les dieux et les déesses fassent de toi et de toute ta personne....

PSEUDOLUS.

Un heureux, par ma foi.

CALIDORE

Comme l'herbe née pendant le solstice, j'ai fleuri un moment; à p eine florissant, soudain je meurs.

PSEUDOLUS

Tais-toi pendant que je lis ces tablettes.

CALIDORE

Eh bien lis donc.

PSEUDOLUS, lisant

« Phenicie à Calidore, son amant. Cette cire close sous ce fil, ces lignes interprètes de ma pensée, te sa­luent de ma part et te demandent salut pour moi, pour ton amante éplorée qui sent défaillir son âme, son esprit, son cœur.»

CALIDORE

O désespoir ! je ne puis trouver le moyen, Pseudolus , de lui rendre son salut.

PSEUDOLUS.

Et comment veux- tu le rendre?

CALIDORE.

En argent.

PSEUDOLUS, montrant les tablettes.

Elle te le donne sur bois et tu le lui rendrais en argent! Prends-y garde ! tu ne fais pas là de bonnes affaires.

CALIDORE.

Lis toujours : ces tablettes t'apprendront quel besoin d'argent me presse.

PSEUDOLUS, reprenant la lecture.

« Chère âme, le prostitueur m'a vendue vingt mines à un militaire macédonien pour aller en pays étranger. Le militaire est parti, mais en donnant d'avance quinze mines; il n'en reste plus que cinq à payer et il a laissé une empreinte de son cachet, où son portrait est gravé pour que la pareille servît de pièce de crédit à l'homme qui la présenterait en venant me chercher de sa part. Le jour est fixé aux prochaines Dionysiaques. »

CALIDORE.

Et c'est demain ! Je suis sur le bord de l'abîme, si tu ne viens à mon secours.

PSEUDOLUS, avec un flegme affecté.

Laisse-moi achever.

CALIDORE.

Achève, car il me semble que je m'entretiens ainsi avec elle. Lis, c'est pour moi un breuvage mêlé de dou­ ceur et d'amertume.

PSEUDOLUS, reprenant la lecture.

«Voilà que nos plaisirs, nos désirs, nos entretiens, avec les ris, les jeux, la causerie, le suave baiser, et les intimes étreintes d'un couple amoureux, et les tendres morsurettes imprimées sur des lèvres caressantes, et les frémissements d'un sein mollement pressé, tout est dé­ truit; plus de voluptés; on nous sépare, on nous ar­ rache l'un à l'autre, si nous ne trouvons toi en moi, moi en toi, un appui salutaire. J'ai voulu te faire sa­voir tout ce que je savais. Je verrai maintenant si tu m'aimes, ou si ton amour n'est qu'une feinte. Adieu. »

C ALIDORE, avec un profond soupir.

Que cette lettre est attendrissante, Pseudolus!

PSEUDOLUS, d'un ton ironiquement douloureux.

Ah! déchirante!

CALIDORE.

Pourquoi ne pleures-tu pas ?

PSEUDOLUS.

J'ai des yeux de roc: impossible d'en tirer une larme; j'ai beau les prier.

CALIDORE.

Comment cela ?

PSEUDOLUS.

Notre famille a toujours été la famille aux yeux secs.

CALIDORE.

Est-ce que tu ne veux pas m'aider un peu ?

PSEUDOLUS.

Que puis-je faire pour toi?

CALIDORE.

Hélas!

PSEUDOLUS.

Des hélas, par Hercule? ne t'en fais pas faute, j'en ai à ton service,

CALIDORE.

Que je suis malheureux, Pseudolus! je ne trouve nulle part d'argent à emprunter.

PSEUDOLUS.

Hélas !

CALIDORE.

Je n'ai pas un seul denier à la maison.

PSEUDOLUS.

Hélas!

CALIDORE.

Demain elle m'est ravie.

PSEUDOLUS.

Hélas!

CALIDORE.

Est-ce ainsi que tu viens à mon aide?

PSEUDOLUS.

Je te donne ce que j'ai. Car de cette monnaie-là, j'en ai un trésor inépuisable au logis.

CALIDORE.

C'est fini de moi aujourd'hui. Ne peux-tu pas me prêter une drachme seulement, que je te rendrai de­ main?

PSEUDOLUS.

Ce serait tout au plus, je crois, par Hercule, quand je me mettrais en gage moi-même. Mais que veux-tu faire d'une drachme ?

CALIDORE.

J'achèterai une corde.

PSEUDOLUS.

À quel usage?

CALIDORE.

Pour me pendre. Oui, j'y suis résolu, avant la nuit je serai descendu dans la nuit éternelle.

PSEUDOLUS.

Et qui est-ce qui me paiera la drachme, si je te la prête? Est-ce que tu veux te pendre tout exprès pour me voler l'argent que je t'aurai prêté ?

CALIDORE, désespéré.

Non, je ne peux plus vivre si je la perds, si on me l'enlève.

PSEUDOLUS.

Pourquoi pleures-tu, coucou? tu ne mourras pas.

CALIDORE

Comment ne pleurerais-je pas quand je n'ai pas un scrupule d'argent vaillant, pas une obole à espérer au monde?

PSEUDOLUS

Autant que je peux comprendre le langage de cette lettre, à moins que tu ne pleures des larmes d'argent, toutes tes larmes ne prouveront rien à ta belle et ne feront pas plus que, si tu jetais de l'eau dans un crible. Mais n'aie pas peur, je ne t'abandonnerai pas. J'espère aujourd'hui par mes bons soins ou avec le secours de cette main (montrant sa main gauche ), trouver quelque part un renfort d'argent pour tes amours. Où le pren drai-je? où? je n'en sais rien. Mais nous l'aurons, mon sourcil qui tressaille me le dit.

CALIDORE

Pourvu qne l'événement réponde à tes paroles!

PSEUDOLUS, se redressant avec fierté.

Tu sais bien, par Hercule, quand je remue l'intérieur de mon temple, si je fais tapage.

CALIDORE

En toi est tout l'espoir de ma vie.

PSEUDOLUS

Seras-tu content si aujourd'hui même, je t'assure la possession de ta belle, ou te procure vingt mines?

CALIDORE.

Sans doute (avec un ton d'incrédulité) si tu y par­viens.

PSEUDOLUS

Demande-moi vingt mines, pour t'apprendre que j'ai le pouvoir de faire ce que je promets. Demande, par Hercule, je t'en prie. Il me tarde de m'engager à les donner.

CALIDORE.

Me donneras, aujourd'hui, vingt mines?

PSEUDOLUS, prenant un air d'importance.

Je les donnerai; ne m'importune pas davantage. Et je t'avertis, ne va pas le nier ensuite, que j'attraperai ton père, si je ne peux pas attraper un autre.

CALIDORE

Que les dieux te protègent! Mais si c'est possible, en bon fils, je te prie de ne pas épargner non plus ma mère.

PSEUDOLUS

Pour ce qui est de ton affaire tu peux dormir sur l'un et l'autre œil.

CALIDORE

L'un et l'autre œil ? ou l' une et l'autre oreille?

PSEUDOLUS

Le premier est moins commun. ( Prenant le ton des proclamations) Maintenant, afin qu'on n'en puisse pré­texter ignorance, j'en donne avis à tous, en présence des citoyens, en pleine assemblée ; j'avertis le public, et tous mes amis, et mes connaissances, de se défier de moi aujourd'hui, et de ne pas m'en croire.

CALIDORE

St! tais-toi, par Hercule, je te prie.

PSEUDOLUS.

Qu'est qui arrive?

CALIDORE

J'entends craquer la porte du prostitueur.

PSEUDOLUS

Que sont-ce plutôt ses jambes!

CALIDORE

C'est lui-même qui sort le traître.

Scène 2

BALLION, QUATRE ESCLAVES, PSEUDOLUS, CALIDORE. (Pseudolus, et Calidore se tiennent à l'écart.)

BALLION aux esclaves

Allons, venez, approchez, vauriens trop chèrement nourris ; trop chèrement acheté, dont pas un n'aurait jamais l'idée de bien faire, et de qui je ne peux tirer aucun service, qu'en m'y prenant de la sorte ( il les bat). Je n'ai pas vu d'ânes comme ces animaux-là, tant ils ont les côtes endurcies aux coups. Qu'on les batte, on leur fait moins de mal qu'à soi-même. Telle est leur nature c'est la mort aux étrivières. Toutes leurs pensées se réduisent à ceci : profiter de l'occasion et piller, filouter, agripper, emporter, boire, manger, s'enfuir; voilà toute leur besogne. On aimerait mieux laisser des loups dans une bergerie, que de pareils gardiens à la maison. Et cependant, regardez leur mine, on les prendrait pour d'assez bons serviteurs. Mais à l'œu vre, comme ils trom pent! Or çà, si vous n'écoutez tous l'ordre que je vous signifie, si vous ne bannissez de votre cœur et de vos
yeux le sommeil et la paresse, je vous arrangerai les reins d'importance; ils seront plus chamarrés de dessins et de couleurs que les tentures campaniennes et que la pourpre à ramages des tapis d'Alexendrie. Ne vous avais-je pas fait la leçon hier? N'avais- pas distribué les emplois? Mais vous êtes de si mauvais sujets , de tels f ainéants, une si misérable engeance, qu'il faut vous avertir de votre devoir à coups de fouet. Ainsi vous le voulez, s oyez donc assez durs pour triompher de ceci ( montrant un fouet de cuir) et de moi. Regardez-les un peu, comme ils ont l' esprit ailleurs. Attention! qu'on m'écoute;prêtez l'oreille à mes discours , race patibulaire. Non, par Pollux, v otre cuir ne surpassera pas en dureté le cuir de mon fouet. (Il frappe) Hein ! hein ! Le sentez vous ? Tenez, voilà comment on en donne aux serviteurs désobéissants. Allons rangez-vous devant moi et soyez tout oreilles pour m'entendre . ( s'adressant à l'un d'eux) Toi qui as la cruche, apporte de l'eau, et remplis le chaudron vitement.( A un autre ) toi, avec ta hache, tu auras la charge de fendeur de bois.

L'ESCLAVE, montrant sa hache.

Mais elle est tout usée.

BALLION.

Sers-t'en comme elle est. Est-ce que vous ne l'êtes pas tous aussi vous autres par les coups? je ne renonce pas, pour cela à votre service. ( A un autre) Je te recom­mande, toi de rapproprier la maison; tu auras assez, d'occupation, dépêche, va-t'en. (A un autre) Toi, tu auras l'intendance de la salle à manger: nettoie l'argente­rie, et range-la sur les buffets. Ayez soin qu'à mon retour du forum je trouve tout apprêté, balayé, arrosé, essuyé, étalé, accommodé, cuit à point. C'est aujourd'hui mon anniversaire, vous devez tous célébrer ma fête. ( A l'es­clave marmiton) Tu auras soin de mettre dans l'eau un jambon, un filet, des ris de porc, une tétine. Tu m'en­tends? je veux traiter magnifiquement de grands per­sonnages, pour qu'ils me croient à mon aise. ( A tous) Allez, empressez-vous d'exécuter mes ordres. Qu'il n'y ait point de retard quand le cuisinier viendra. Je vais au marché acheter les poissons les plus exquis. ( A un es­clave qui porte la bourse sur son épaule) Marche de­vant, petit garçon, il faut prendre garde aux filous qui pourraient faire une trouée à la bourse. Mais attends, j'ai quelques ordres à donner encore à la maison, j'al­lais l'oublier. (il appelle ses courtisanes) Écoutez, jeunes filles : je vous notifie mes volontés. Vous, les belles élégantes, toujours attifées, choyées, dorlotées, vous qu'on renomme pour faire les délices des grands personnages, c'est aujourd'hui que je vous mettrai à l'épreuve, et que je connaîtrai celle qui s'inquiète de son état à venir, de sa subsistance, de ses intérêts, celle qui ne songe qu'à dormir; je verrai qui doit devenir mon affranchie, qui je dois vendre comme servante. Tâchez que les présents m'arrivent en abondance aujourd'hui de la part de vos amants; car si mes provisions de toute l'année ne sont amassées en ce jour, demain je vous ex­pose aux caprices des passants. Vous savez que c'est aujourd'hui mon anniversaire; viennent donc ceux qui vous, aiment comme leurs propres yeux, qui vous appel­lent : « Ma vie, mes délices, mon bouchon, mon tétet mignon, mon miel. » Faites en sorte que leur troupe se présente à ma porte armée de cadeaux. A quoi me sert de vous entretenir de robes, de bijoux, de tout ce qui vous est nécessaire? Que me revient-il de votre industrie, coquines, sinon des ennuis? Vous n'aimez que le vin ; aussi vous vous arrosez le gosier, tandis que je suis à sec. ( Après une pause) Le mieux est que j'ap­pelle chacune par son nom, pour qu'il n'y en ait pas parmi vous qui puisse prétexter ignorance. Soyez donc toutes attentives. C'est à toi d'abord que je m'adresse, Hédylie, la bonne amie de ces marchands de blé qui en ont tous chez eux des amas gros comme des montagnes. Il faut, s'il te plaît, qu'on m'apporte aujourd'hui du blé pour me nourrir moi et ma maison cette année, que j'en regorge, et que, dans les discours de la ville, mon nom soit changé, et qu'on m'appelle au lieu de Ballion, le roi Jason.

CALIDORE, bas à Pseudolus.

L'entends-tu discourir, le pendard? Est-il fier ! que t'en semble?

PSEUDOLUS.

Oui, et fièrement scélérat. Mais silence, et fais at­tention.

BALLION.

Toi, Eschrodore, qui as pour amants les dignes émules des prostitueurs, les bouchers qui s'enrichis­sent comme nous par le mensonge et la fraude, écoute : Si je n'ai aujourd'hui trois immenses crocs garnis, char­gés de viande, tu sais comme les fils de Jupiter atta­chèrent Circé à un taureau furieux, je t'enchaînerai au croc tout de même. Cela vaudra bien le taureau.

PSEUDOLUS, bas à Calidore.

Je me sens bouillir de colère en l'entendant parler. Comment la jeunesse athénienne souffre-t-elle qu'un être pareil habite cette ville? Où sont, où se cachent nos gars dans la vigueur de l'âge, nos amoureux qui hantent les prostitueurs? Que ne s'assemblent, que ne conspirent-ils pour délivrer la cité de ce fléau? Mais, que je suis bête ! je ne sais ce que je dis. Comment au­raient-ils ce courage, quand leur amour les asservit à ces scélérats et rend leurs volontés impuissantes : contre eux?

CALIDORE

Ah! tais-toi.

PSEUDOLUS

Qu'est ce ?

CALIDORE.

Ton bavardage m'importune et me nuit en couvrant ta voix.

PSEUDOLUS

Je me tais

CALIDORE

Il vaudrait bien mieux le faire que de le dire.

BALLION

Xystile, attention, toi dont les amants possèdent d'énormes quantités d'huile! S'ils ne m'en font pas une large part promptement, je te mettrai à l'étroit dans ta cham­bre, et l'on t'y donnera un lit sur lequel tu ne dormiras pas d'un bon somme, mais où tu lasseras... tu comprends ce que je veux dire. Comment, infâme, lorsque tu as des amants si bien fournis d'huile, tu ne procures pas à un seul de tes camarades de quoi rendre sa chevelure plus luisante, ni à moi de quoi graisser mes ragoûts? Mais, je le sais, l'huile ne te tente pas; c'est le vin qui te domine. Laisse faire, je solderai tous nos comptes à la fois, drôlesse, si tu ne me donnes pleine satisfaction au­ jourd'hui. Et toi, qui es toujours au moment de me compter le prix de ta liberté, mais qui ne sais que promettre, sans savoir jamais tenir ta promesse, Phénicie, c'est à toi que je parle, délices de nos gens les plus hup pés. Si aujourd'hui les domaines de tes amoureux ne me fournissent de provisions de toute espèce, demain, Phénicie tu retourneras dans ta chambre avec une teinture phénicienne sur ta peau. (Les courtisanes rentrent.)

Scène 3

CALIDORE, PSEUDOLUS, BALLION.

(les deux premiers s'entretiennent à part d'abord, sans être aperçut par Ballion)

CALIDORE

Entend-tu, Pseudolus, ce qu'il dit ?

PSEUDOLUS.

Oui, je l'entends, mon maître, et je n'en perds pas un mot.

CALIDORE. .

Quel présent me conseilles-tu de lui offrir, pour qu'il ne fasse pas de ma maîtresse une prostituée?

PSEUDOLUS.

Que ce soin ne t'inquiète pas ; aie l'esprit sans nuage : je m'occuperai de cette affaire pour toi et pour moi. Il y a longtemps que moi et lui nous nous voulons du bien réciproquement ; nous sommes d'anciens amis. Je lui en­verrai aujourd'hui, pour son anniversaire, un très mau­vais présent qui ne se fera pas attendre.

CALIDORE.

Que faut-il faire?

PSEUDOLUS avec impatience.

Si tu pouvais t'occuper d'autre chose?

CALI DORE , avec un long soupir

Ah !

PSEUDOLUS, ennuyé.

Bah!

CALIDORE.

Je suis au supplice.

PSEUDOLUS.

Affermis ton âme.

CALIDORE.

Je ne puis.

PSEUDOLUS.

Fais en sorte de le pouvoir.

CALIDORE

Comment puis-je maîtriser ma passion?

PSEUDOLUS.

Il faut songer à l'utile plutôt que de te passionner inutilement dans une circonstance critique.

CALIDORE.

Vaines remontrances! il n'y a pas de plaisir pour un amant, s'il n'extravague.

PSEUDOLUS, en colère.

Tu le veux?

CALIDORE, lui prenant la main .

O mon cher Pseudolus, permets-moi de n'avoir pas le sens commun.

PSEUDOLUS, brusquement

Laisse-moi, je te prie. Va, je te permets tout, pourvu que je m'en aille.

CALI DORE.

Demeure, demeure : je serai ce que tu voudras que je sois.

PSEUDOLUS.

Te voilà plus sage.

BALLION .

Le jour fuit, Je m'amuse. ( A son jeune esclave) Marche devant, garçon.

CALIDORE, à Pseudolus.

Hé bien! il s'en va. Est-ce que tu ne le rappelles pas?

PSEUDOLUS.

Pourquoi te presser? doucement.

CALIDORE.

Il ne faut pas attendre qu'il soit parti.

BALLION, au jeune esclave.

Eh peste ! pourquoi marches-tu si doucement, garçon ?

PSEUDOLUS, courant après Ballion, qui s'éloigne toujours sans regarder.

Hé! roi de la fête d'aujourd'hui; roi de la fête d'au­jourd'hui, holà! C'est à toi que je m'adresse, roi de la fête d'aujourd'hui ; reviens sur tes pas, regarde-nous. Quoique nous te dérangions de tes affaires, demeure; il y a ici des gens qui veulent te parler.

BALLION, sans se retourner.

Qu'est-ce? quel est l'importun qui m'arrête quand j'ai affaire?

CALIDORE, marchant à sa suite.

Un homme qui fut ton bienfaiteur.

BALLION, toujours sans se retourner.

Mort est celui qui fut; vivant celui qui est.

PSEUDOLUS.

Que tu es fier !

BALLION toujours de même.

Que tu es ennuyeux ! (il continue de s'éloigner. )

CALIDORE à Pseudolus.

Retiens-le; cours après lui.

BALLION, à son esclave,

Marche, petit.

PSEUDOLUS, s'avançant pour lui barrer le passage.

Allons de ce coté à sa rencontre.

BALLION, se sentant retenu, et commençant à se retourner.

Que Jupiter t'extermine, qui que tu sois !

PSEUDOLUS, prenant un ton équivoque pour lui renvoyer l'impréca­ tion, en paraissant lui demander audience.

Et toi, dis.

BALLION, sur le même ton.

Et vous deux, je vous le dis. (A son esclave, en pre­nant une autre direction) Viens de ce côté, petit.

PSEUDOLUS.

Ne peut-on avoir un moment d'entretien avec toi?

BALLION.

Je ne veux pas.

PSEUDOLUS

Mais si c'est une chose qui t'intéresse

BALLION

Veux-tu me laisser vivre, ou non, je t'en prie? ( il s'en va ).

PSEUDOLUS, (l'arrêtant)

Ah! Demeure un peu.

BALLION

Laisse moi.

CALIDORE (le prenant d'un autre coté)

Ballion, écoute.

BALLION

Je suis sourd, tu n'as que des sornettesà dire, certainement

CALIDORE

Je t'ai donné tant que j'ai eu quelque chose

BALLION

Je ne réclame pas ce que tu m'as donné.

CALIDORE

Je te donnerai quand je serai en fonds.

BAILLON

Elle est à toi, quand tu auras de l'argent.

CALIDORE

Hélas! hélas! que j'ai perdu follement tout ce que j'ai porté chez toi, tout ce que je t'ai donné!

BAILLON, ( se détournant toujours avec dédain).

Ton argent est défunt et tu as recours à présent aux paroles. Sottise; que de revenir sur le passé.

PSEUDOLUS.

Reconnais l'homme qui te parle.

BALLION.

Il y a longtemps que je sais ce qu'il a été : c'est à lui de savoir ce qu'il est à présent. (A son esclave) Marche, petit.

PSEUDOLUS.

Te plaît-il au moins de tourner un seul regard vers nous? il y aura profit pour toi.

BALLION.

A cette condition je regarde. Car au milieu d'un sa­ crifice au grand Jupiter, dans le moment même où je tiendrais les entrailles de la victime pour les poser sur l'autel, si l' on venait m'offrir quelque chose à gagner, je déserterais incontinent la cérémonie.

PSEUDOLUS, (à part).

Il n'y a pas de religion qui tienne avec lui; que se­rait-ce du reste? Ce qu'on doit le plus révérer, les dieux mêmes, il s'en moque.

BALLION, à part, (montrant Pseudolus).

Je vais causer avec lui. (Haut) Salut profond au plus méchant serviteur qui soit dans Athènes.

PSEUDOLUS.

Que les dieux te protègent, comme nous le désirons, lui et moi; ou autrement, selon tes mérites, qu'ils ne t'accordent jamais ni protection ni faveur.

BALLION.

Comment t'en va, Calidore ?

CALIDORE.

Comme un amant dans une cruelle détresse.

BALLION

Je compatirais, si je pouvais nourrir mes gens avec de la compassion.

PSEUDOLUS.

Là ! là ! nous savons quel homme tu es, sans que tu le dises. Mais sais-tu ce que nous te voulons ?

BALLION.

A peu près,par Pollux, du mal.

PSEUDOLUS.

Et cela, et autre chose encore dont nous désirons t'en treténir; donne-nous audience un moment, je te prie.

BALLION

J'écoute mais abrège ta requête, car j'ai affaire.

PSEUDOLUS, (montrant Calidore).

Il est honteux, après t'avoir promis vingt mines pour sa maîtresse, et pris terme pour le paiement, de n'avoir pas encore payé.

BALLION

La honte se supporte plus facilement que le mal. Il est honteux de n'avoir pas payé; je suis malheureux de n'avoir pas reçu.

PSEUDOLUS.

Il paiera, il se procurera de quoi. Attends quelques jours seulement; car il a peur que tu ne la vendes pour te venger.

BALLION.

Il a eu moyen, depuis longtemps, de me payer, s'il avait voulu.

CALIDORE.

Et si je n'avais rien ?

BALLION

Et tu étais amoureux? II fallait trouver à emprunter, aller chez l'usurier, proposer un petit intérêt, voler ton père.

PSEUDOLUS

Voler son père, effronté! Il n'y a pas de danger que tu donnes un bon conseil.

BALLION

Cela ne regarde pas les prostitueurs.

CALIDORE

Puis-je voler mon père, un vieillard si vigilant? et quand je le pourrais, la piété filiale me l'interdit.

BALLION.

Eh bien donc, couche avec la piété filiale au lieu de Phénicie. Mais puisque la piété filiale, à ce que je vois, passe chez toi avant l'amour, est-ce que tu rencontres partout des pères? n'y a-t-il personne à qui tu puisses demander de te prêter?

CALIDORE.

Prêter ! le mot même n'existe plus.

BALLION.

En effet, dis donc, par Hercule. Nos gens, qui se sont repus et engraissés à tenir table sur la place, en poursuivant toujours leurs rentrées sans jamais rendre à personne, ont appris aux dépents des autres à n'être pas confiants .

CALIDORE.

Que je suis malheureux! je ne peux trouver nulle part un denier vaillant. O misère! ainsi je meurs à la fois d'amour et de disette d'argent.

BALLION.

Achète de l'huile à longue échéance, par Hercule, et vends-la au comptant, tu pourras mettre deux cents mines dans ta bourse.

CALIDORE.

O désespoir! la loi des vingt-cinq ans est ma mort: tout le monde a peur de faire crédit.

BALLION.

La même loi me retient, j'ai peur de me hasarder.

PSEUDOLUSs.

Te hasarder! Dis donc, est-ce que tu n'as pas assez gagné avec lui?

BALLION

Il n'y a de véritable amoureux que celui qui donne continuellement, qui donne toujours. Dès qu'il n'a plus, qu'il cesse d'aimer.

CALIDORE.

'Tu n'as donc nulle pitié de moi?

BALLION

Il y a chez toi trop de vide, tes paroles ne résonnent pas. Quant à moi, je voudrais te voir vivant et content,

PSEUDOLUS.

Oh ! oh! est-ce qu'il est mort ?

BALLION

Quel qu'il soit, avec les discours qu'il me tient, il est mort pour moi. ( A Calidore) Le prostitueur, selon qu'il lui plaît, rend la vie aux amoureux. Il faut venir toujours chez moi avec des larmes d'argent; car, en ce moment, pour ce qui est de tes lamentations sur ta détresse, c'est comme si tu voulais attendrir une marâtre.

PSEUDOLUS.

Ah ça! est-ce que son père t'a pris pour femme?

BALLION.

Les dieux m'en préservent !

PSEUDOLUS.

Rends-toi à nos prières, Ballion. Je suis son garant, si tu as peur de l'avoir pour débiteur. Avant trois jours, je tirerai, n'importe d'où, de la terre ou de la mer, l'ar­gent qu'il te faut.

BALLION.

Que j'accepte ta garantie?

PSEUDOLUS.

Pourquoi pas?

BALLION.

Accepter ta garantie, par Pollux! autant vaudrait at­tacher avec des tripes d'agneau un chien qui a l'habi­tude de fuir.

CALIDORE.

Peux-tu récompenser si mal mes bienfaits?

BALLION, s'apprêtant à sortir.

Qu'y a-t-il encore pour ton service?

CALIDORE.

Que du moins tu attendes six jours, que tu ne la vendes pas, que tu ne réduises pas un amant au dés­espoir.

BALLION, d'un ton de persiflage.

Sois tranquille; j'attendrai même six mois.

CALIDORE,

Bien, bien ; que tu es aimable !

BALLION.

Ce n'est rien; veux-tu que j'augmente ta joie?

CALIDORE, avec empressement.

Voyons.

BALLION.

Je ne veux plus vendre Phénicie.

CALIDORE, surpris et satisfait.

Tu ne veux plus !

BALLION.

Non, vraiment, par Hercule!

CALIDORE.

Pseudolus, va chercher les petites victimes, les grandes victimes, amène le victimaire, que je sacrifie à ce Jupiter, mon dieu suprême. Oui, il est mon Jupiter, cent fois préférable à Jupiter même.

BALLION.

Non, point, de grandes victimes; il suffit, pour me rendre propice, d'une offrande d'agneaux.

CALIDORE.

Cours donc; qu'attends-tu ? va chercher des agneaux : tu entends ce que dit Jupiter ?

PSEUDOLUS, comme prêt à partir.

Je serai ici dans un moment ; mais il faut que je coure d'abord à la porte Metia.

CALIDORE.

Pourquoi?

PSEUDOLUS.

J'en ramènerai deux victimaires munis de clochettes, avec deux troupeaux de houssines d'orme, pour toucher ton Jupiter par, un sacrifice dont il ait tout son soûl et ensuite, au gibet le Jupiter prostitueur.

BALLION

Ma mort serait contraire à tes intérêts.

PSEUDOLUS.

Et comment ?

BALLION

Je ne te le cacherai pas : tant que je serai en vie, tu ne seras jamais un bon sujet.

PSEUDOLUS

Ma mort serait contraire aussià tes intérêts.

BALLION

Le voici : c'est que si jetais mort, il n'aurait pas dans Athènes un drôle pire que toi.

CALIDORE, à Ballion

Réponds-moi sérieusement, par Hercule, comme je te le demande : tu ne veux plus vendre ma maîtresse Phénicie?

BALLION.

Non, par Hercule, Je ne le veux plus, certainement car elle est vendue.

CALIDORE, confondu.

Comment?

BALLION, d'un air moqueur.

Sans ses nippes mais avec tout ce qu'elle contient.

CALIDORE

Tu as vendu ma maîtresse ?

BALLION.

Oui vraiment, vingt mines....

CALIDORE,

Vingt mines?

BALLION.

Ou si tu aimes mieux, quatre fois cinq mines, à un militaire macédonien, et j'en ai reçu déjà quinze.

CALIDORE.

Qu'entends-je?

BALLION.

Que de ta maîtresse j'ai fait de l'argent.

CALIDORE.

Et pourquoi l'as-tu osé?

BALLION.

Il m'a plu ainsi, elle m'appartenait,

CALIDORE.

Holà, Pseudolus, apporte une épée.

PSEUDOLUS.

Une épée! pourquoi faire?

CALIDORE.

Pour le tuer, et moi aussi.

PSEUDOLUS.

Tu n'as qu'à te tuer tout seul; lui, la faim le tuera quelque jour.

CALIDORE, à Ballion.

Dis-moi, le plus perfide de tous les hommes que nourrit la terre, ne m'avais-tu pas juré de ne la vendre à personne qu'à moi ?

BALLION, d'un air goguenard.

J'en conviens.

CALIDORE

Et en termes exprès ?

BALLION, avec une intention équivoque.

Oui, bien exprès.

CALIDORE

Tu as violé ton serment, scélérat!

BALLION.

Mais j'ai emboursé l 'argent. Avec ma scélératesse, j'ai de l 'argent chez moi à ma disposition; toi, avec les vertus de ta race, tu n'as pas une obole.

CALIDORE

Pseudolus, mets-toi de l'autre côté, accablons le d'invectives.

PSEUDOLUS

Volontiers ; je ne serai jamais aussi pressé de courir chez le préteur qui devra m'affranchir.

CALIDORE

N'épargne pas les injures.

PSEUDOLUS, à Ballion.

Je vais te déchirer par mes discours, infâme!

BALLION, avec une impassibilité moqueuse.

C'est juste.

PSEUDOLUS.

Scélérat! Tu dis vrai.

PSEUDOLUS.

Grenier d'étrivières !

BALLION.

Oui-dà!

CALIDORE.

Pilleur de sépultures.

BALLION.

Certainement.

CALIDORE.

Pendard.

BALLION.

C'est très bien.

CALIDORE.

Complice de toute fraude.

BALLION.

Je me reconnais là.

PSEUDOLUS.

Parricide.

BALLION, à Pseudolus.

A ton tour, courage.

PSEUDOLUS.

Sacrilège.

BALLION.

Je le confesse.

CALIDORE.

Parjure.

BALLION.

Vous êtes des oracles d'histoire ancienne.

CALIDORE.

Ennemi des lois.

BALLION

 

Hardi!

CALIDORE

Fléau de la jeunesse.

BALLION

Courage!

CALIDORE

Voleur.

BALLION

A merveille!

CALIDORE

 

Echappé des fers.

BALLION

Vivat !

CALIDORE

Escroc public.

BALLION

C'est bien cela.

PSEUDOLUS.

Fripon.

CALIDORE

Prostitueur impur.

PSEUDOLUS

Fange

BALLION

La belle chanson !

CALIDORE.

Tu as frappé ton père et ta mère.

BALLION.

Et je les ai tués même, pour ne pas les nourrir. Quel mal y-a-t-il?

PSEUDOLUS, à Calidore.

Nos paroles tombent comme l'eau dans un tonneau percé ; nous nous donnons une peine inutile.

BALLION.

Avez-vous encore quelque chose à dire?

CALIDORE.

Tu n'as pas de honte ?

BALLION.

D'avoir trouvé un amoureux à sec, comme toi, qui vaut autant qu'une noix vide ? Mais malgré tous vos propos contre moi, si le militaire ne m'apporte pas l'argent qu'il me doit, aujourd'hui terme du paiement, s'il ne se présente pas, je pense que je pourrai faire mon métier.

CALIDORE.

Et que feras-tu?

BALLION.

Si tu apportes de l'argent, je consens à perdre tout crédit chez l'autre. C'est là mon métier. Si j'avais le temps, je prolongerais l'entretien ; mais sans argent me prier de compatir à ta peine, c'est parler en vain. Voilà mon dernier mot, afin que tu avises en conséquence à ce que tu dois faire.

CALIDORE.

Tu t'en vas ?

BALLION.

Je suis accablé d'affaires en ce moment.

PSEUDOLUS, à part en regardant Ballion d'un air de menace,

Et tout à l'heure un peu plus, (Ballion sort.) Je le tiens, si les dieux, et les déesses ne m'abandonnent pas tous. Je veux le désosser, comme un cuisinier désosse une lamproie. (Haut) Maintenant, Calidore, j'ai besoin que tu me secondes.

CALIDORE.

Qu'ordonnes-tu ?

PSEUDOLUS, montrant la maison du v ieux Simon.

Mon dessein est d'assiéger aujourd'hui cette place, et de la prendre. Il me faut pour m'aider un homme fin, habile, adroit, retors; capable d'exécuter parfaitement mes ordres, et qui ne dorme pas tout éveillé.

CALIDORE.

Apprends-moi les projets.

PSEUDOLUS.

Tu les sauras quand il en sera temps. Je ne veux pas répéter les choses; les comédies sont assez longues sans cela.

CALIDORE.

Tu as bien raison, c'est très juste.

PSEUDOLUS.

Dépêche, amène-moi ton homme. On a beaucoup d'amis; il y'en a peu sur qui l'on puisse compter.

CALIDORE.

Je le sais.

PSEUDOLUS.

Fais donc ton choix en conséquence. Trouve dans ce grand nombre, l'homme unique, l'homme sûr.

CALIDORE.

Il sera ici dans un moment.

PSEUDOLUS.

Veux-tu bien t'en aller? tes discours sont des retardements. Calidore s'en va.

Scène 4

PSEUDOLUS, seul.

Il est parti, te voilà seul, Pseudolus. Que comptes-tu faire après les magnifiques promesses dont tu as été libéral envers ton jeune maître ? Voyons les effets. Tu n'as rien de prêt, pas l'ombre d'un dessein arrêté, pas la moindre obole.... Que faire? je n'en sais rien encore.... Tu ignores même par quel bout tu dois commencer, et à quel point te fixer pour achever ta trame. Eh bien ! comme le poète, quand il prend ses tablettes, cherche ce qui n'existe nulle part au monde, et trouve cependant, et
donne une apparence de vérité à ce qui n'est que mensonge; je serai poète aussi, moi; les vingt mines qui, pour moi, n'existent point au monde, sortiront de mon invention. Il y a longtemps que j'avais promis de les
lui donner. J'ai voulu lancer mon trait contre le vieillard ; mais je ne sais comment cela s'est fait, il a pressenti le coup Il faut enfermer ma voix et mes paroles ; je vois venir mon maître Simon avec Calliphon son voisin. Je tirerai aujourd'hui vingt mines de ce vieux sépulcre, pour les donner à mon jeune maître. Retirons-nous ici afin d'épier leur conversation. (Il se met à l'écart, du côté opposé au chemin par où les deux vieillards, arrivent du forum.)

Scène 5

SIMON, CALLIPHON, PSEUDOLUS

SIMON, en colère.

Si l'on créait aujourd'hui dans la ville d'Athènes un dictateur des libertins et des dissipateurs, personne, que je crois, ne serait préféré à mon fils. Voyez! il n'est bruit partout que de lui, et de son projet d'affranchir sa maîtresse, et de ses efforts pour avoir l'argent nécessaire. On est venu me le dire : mais je m'en étais douté déjà depuis longtemps ; j'ai le nez fin. Je ne faisais sem­blant de rien.

PSEUDOLUS, à part.

On lui a dénoncé son fils. Mes plans sont détruits; notre affaire est au croc. Pas moyen d'approcher de la place où je voulais prendre un renfort d'argent. Les che­mins sont coupés; il a eu vent de la chose. Plus de butin pour qui voulait butiner.

CALLIPHON.

Ceux qui aiment à dire du mal d'autrui et ceux qui les écoutent, si j'avais le pouvoir, seraient pendus tous, les médisants par la langue, les auditeurs par les oreilles. Car ce rapport qu'on vient te faire sur ton fils qui vou­drait t'attraper de l'argent pour ses amours, ce n'est peut-être qu'un mensonge. Supposons que ce soit vrai; à voir les mœurs d'à présent, qu'a-t-il fait de si étrange, de si extraordinaire, d'être amoureux à l'âge qu'il a, et de vouloir affranchir celle qu'il aime?

PSEUDOLUS, à part.

Gentil vieillard !

SIMON.

Et moi, à l'âge que j'ai, je veux l'en empêcher.

CALLIPHON.

Tu le voudrais en vain. Ou tu ne devais pas en faire autant toi-même dans ta jeunesse. Il faut qu'un père n'ait rien à se reprocher, s'il exige que son fils soit en­core plus irréprochable qu'il ne le fut lui-même. Com­bien tu en as fait! que de profusions ! que de fredaines! il y en aurait pour distribuer à tout le peuple, et part pour chacun. Et tu es étonné que le fils marche sur les traces du père?

PSEUDOLUSs, haut.

O Jupiter ! pourquoi les hommes raisonnables sont-ils si rares ? Voilà comme un père doit être pour son fils.

SIMON.

Qui est-ce que j'entends? ( Après avoir regardé der­rière lui) C'est mon coquin de Pseudolus; maître fri­pon, qui me corrompt mon fils. Voilà son guide, son précepteur : j'ai grande envie de le mettre à la torture.

CALLIPHON, bas à Simon.

Tu n'es pas sage de montrer ainsi de la colère : il vaut bien mieux l'amadouer par de douces paroles, et s'enquérir si les récits qu'on a faits de ton fils sont vrais ou faux. Un bon esprit dans les mauvaises affaires di­minue le mal de moitié.

SIMON.

Je suivrai ton conseil. (Il s'approche de Pseudolus.)

PSEUDOLUS, à part.

On vient à toi, Pseudolus. Prépare ta faconde pour tenir tête au vieillard. (Haut) Salut d'abord à mon maître, c'est juste. Ensuite, s'il en reste, salut pour les voisins.

SIMON.

Bon jour. Qu'est-ce qu'on fait ici ?

PSEUDOLUS, se dressant sur la hanche.

On se tient comme tu vois.

SIMON.

Regarde sa posture, Calliphon. Quel héros!

CALLIPHON, d'un ton bienveillant.

Il se pose bien, et avec un air d'assurance, à ce que je puis voir.

PSEUDOLUS.

Il sied à un serviteur innocent , exempt de reproche, d'être fier surtout en présence de son maître.

CALLIPHON, avec une douceur insinuante.

Il y a une chose que nous voulons te demander, et sur laquelle il nous est venu certains propos, certains renseignements, mais comme dans un nuage.

SIMON.

Si tu l'écoutes, il te prouvera que ce n'est pas à un Pseudolus, mais à un Socrate que tu parles.

PSEDDOLUS, avec un semblant d'indignation concentrée.

Sans doute ; il y a longtemps que tu m'apprécies mal, je le sais. Je m'aperçois que tu n'as pas grande confiance en moi. Tu veux que je sois un fripon, cela ne m'empê­chera pas d'être un honnête homme.

SIMON.

Tiens-nous vacants, s'il te plaît, les appartements de tes oreilles, pour que mes paroles aillent s'y loger comme je le veux.

PSEUDOLUS.

Allons, dit tout ce que tu voudras, quoique j'aie une dent contre toi.

SIMON.

Toi, une dent contre moi ? un esclave contre son maître!

PSEUDOLUS.

Cela t'étonnes ?

SIMON, ironiquement.

Je dois, à t'entendre, redouter ton courroux, et t u t'apprêtes à me fustiger comme je te fustige d'ordinaire.

CALLIPHON.

A ton avis ? Par Pollux, il a, selon moi, raison d'être fâché de la méfiance que tu lui témoignes.

SIMON.

Oui, je le veux bien, qu'il se fâche.... Je veillerai à ce qu'il ne fasse pas de mal. ( A Pseudolus) Ah çà, et ce que je voulais te demander?

PSEUDOLUS

Demande tout ce qu'il te plaira. Pour ce qui est à ma connaissance, tu peux dire que tu l'apprendras comme de l'oracle de Delphes.

SIMON

Sois donc attentif, et souviens-toi de ta promesse. Dis-moi sais-tu; que mon fils arme une joueuse de flûte ?

PSEUDOLUS

Certamente

  SIMON

Et qu'il veut l'affranchir ?

PSEUDOLUS

Anche certamente

SIMON

Est-il vrai que tu apprêtes tes intrigues et tes fines ruses pour m'escroquer vingt mines?

PSEUDOLUS

Moi, escroquer à toi?

SIMON

Oui, pour donner à mon fils de quoi affranchir sa maîtresse.

PSEUDOLUS

Il faut confesser encore cela. Certamente, certamente.

CALLIPHON

Il le confesse !

SIMON

Calliphon, quand je te le disais ?

CALLIPHON.

Oui.

SIMON.

Pourquoi, dès que tu l'as su, m'en as-tu fait mystère? pourquoi ne l'ai-je pas appris?

PSEUDOLUS.

Je vais m'expliquer : c'est que je ne voulais pas don­ ner le mauvais exemple d'un esclave dénonçant son maî­tre à son maître.

SIM ON.

Ne devrait-on pas le faire traîner par le cou au moulin ?

CALLIPHON .

Est-il coupable, Simon?

SIMON.

Très coupable.

PSEUDOLUS.

Ne te donne pas la peine, Calliphon, je connais bien mon affaire. Mes fautes ne regardent que moi. (A Si­ mon) Écoute-moi maintenant : tu demandes pourquoi je t'ai laissé ignorer les amours de ton fils? Je savais que le moulin m'attendait si j'avais parlé.

SIMON.

Et tu ne savais pas que de mon côté il t'attendait aussi pour avoir gardé le silence?

PSEUDOLUS.

Si.

SIMON.

Pourquoi ne m as-tu rien dit?

PSEUDOLUS.

Parce que, de sa part, le mal me talonnait; de la tienne, il était plus éloigné : pour l'un il n'y avait point de remise, pour l'autre j'avais un peu de répit.

SIMON.

Que ferez-vous maintenant? car il n'y a pas moyen de me voler mon argent, surtout quand je vous ai de­vinés. Je signifierai à tout le monde qu'on ne vous prête pas un denier.

PSEUDOLUS.

Jamais, par Pollux, de ton vivant, je n'irai prier per­sonne. C'est toi, par Hercule, qui me donneras de l'ar­gent ; c'est de loi que j'en aurai.

SIMON.

Tu en auras de moi?

PSEUDOLUS.

Très décidément

SIMON.

Arrache-moi un œil, par Hercule, si je t'en donne.

PSEUDOLUS.

Tu m'en donneras. Je t'avertis de prendre garde à moi.

SIMON.

Certes, si tu peux m'en attraper, tu feras, par Pollux, un grand et merveilleux exploit.

PSEUDOLUS.

Je le ferai

SIMON.

Si tu ne le fais pas ?

PSEUDOLUS.

Donne-moi les étrivières. Mais à ton tour, si je réussis?

SIMON

Que Jupiter soit témoin de ma promesse, tu auras pleine et entière impunité.

PSEUDOLUS

Souviens-t'en.

SIMON

Je ne saurais pas me tenir en garde quand je suis averti?

PSEUDOLUS.

Je t'avertis de te bien garder, Garde toi bien, je te le recommande. Entends- tu? prends garde. Oui, de tes propres mains tu me donneras l'argent aujourd'hui.

CALLIPHON

Quel homme admirable, par Pollux, s'il tient parole!

PSEUDOLUS, à Calliphon

Emmène-moi en servitude chez toi, si j'y manque.

SIMON

Tu as trop d'obligeance et de bonté. (Ironiquement) En effet, il n'est plus à moi.

PSEUDOLUS, à Calliphon

Veux-tu que je, te dise quelque chose qui vous étonnera davantage?

CALLIPHON.

Je suis curieux de l'apprendre, par Hercule. Je t'é coute avec plaisir.

SIMON.

Parle donc, j'ai assez de plaisir à écouter tes discours.

PSEUDOLUS, à Simon

Avant de livrer ce combat contre toi, j'en livrerai un autre, glorieux, mémorable.

SIMON

Contre qui?

PSEUDOLUS

Tu sais le prostitueur, ici ton voisin. L e maître de la joueuse de flûte que ton fils aime éperdument ? A jourd'hui, par mes intrigues et mes subtiles fourberies, je lui soufflerai d'une jolie manière.

SIMON

Que dis-tu là ?

PSEUDOLUS

J'aurai rempli ce soir l'un et l'autre engagement.

SIMON

Si tu fais ces grands coups comme tu l'annonces tu seras plus vaillant que le roi Agathocle.  Mais si tu échoues; ne serai-je pas en droit de t'enfermer sur le champ au moulin?

PSEUDOLUS

Non pas pour un seul jour, par Hercule, mais pour tous les jours, tant qu'il en viendra, Mais, si je réussis, me donneras tu l'argent pour payer le prostitueur, à l'instant, sans te faire prier?

CALLIPHON

Sa préposition est de toute justice, dis lui donc oui.

SIMON, à Calliphon

Sais-tu la pensée qui me vient à l'esprit ? Si ils sont tous les deux d'intelligence, Calliphon ? s'ils ont tramé ce complot, les rusés, pour m'escroquer mon argent?

PSEUDOLUS.

Y aurait-il un homme plus audacieux que moi, si j'o­sais faire un pareil trait? Bien mieux, Simon, si nous complotons ensemble, si nous nous sommes jamais en­tendus à ce sujet, s'il y a jamais eu la moindre conven­tion pour cela entre nous, je veux que, comme on grif­fonne des tablettes avec un poinçon, tu me fasses griffonner tout le corps avec des plumes d'ormeau.

SIMON.

Allons, ordonne, quand tu voudras, l'ouverture des jeux.

PSEUDOLUS.

Sacrifie-moi cette journée, Calliphon, je t'en prie, et renonce à toute occupation.

CALLIPHON

Cependant, je m'étais arrangé dès hier pour aller à la campagne.

PSEUDOLUS.

Change à présent tes arrangements d'hier.

CALLIPHON.

Oui, à cause de toi, je ne partirai pas, c'est décidé. L'envie me prend d'être spectateur de tes jeux, Pseudolus; (montrant Simon) et si je le vois refuser de te donner l'argent, comme il l'a dit, je ne le souffrirai pas: je paierai plutôt moi-même.

SIMON.

Je ne me rétracterai pas.

PSEUDOLUS, à Simon.

En effet, par Pollux, si tu fais faux bond, tu seras poursuivi de fortes et opiniâtres clameurs. Allons, trans portez-vous sans tarder à la maison, et laisse le champ libre à mes tromperies; c 'est leur tour.

SIMON.

Soit, nous t'obéirons

PSEUDOLUS

Mais je désire que tu ne t'absentes pas de la maison.

SIMON

J 'aurai encore cette complaisance.

CALLIPHON

Moi, je vais au forum, je serai ici dans un moment.

SIMON.

Reviens tout de suite. ( les deux vieillards se retirent chacun de leur coté )

PSEUDOLUS, seul, aux spectateurs.

J 'ai le soupçon que vous me soupçonnez en cet in stant de ne promettre monts et merveilles que pour vous amuser jusqu'à ce que j'arrive à la fin de la pièce n'étant pas capable de faire ce que j 'avais promis; je tiendrai parole. Il y a aussi, que je sache, une autre chose certaine, c'est que je ne sais pas encore comment je ferai mais l'affaire se fera, voilà tout. Quand on se présente sur la scène dans une situation nouvelle, il faut y apporter de nouvelles inventions. Si o n ne le peut pas, qu'on cède la place à qui le p eut. Je veux me retirer quelques moments chez n ous pour ras sembler dans ma tête la cohorte de mes fourberies. Pen­ dant ce temps, le joueur de flûte vous divertira.

(il sort)

Acte II

Scène 1

PSEUDOLUS, seul, sortant de che z Simon.

O Jupiter! comme toutes mes opérations succèdent heureusement, à ravir! point de crainte, point d'hési­tation : mon plan est arrêté dans mon esprit. C'est une bêtise, en effet, de commettre une grande entreprise à un cœur timide. Les choses sont ce qu'on les fait, elles ont l'importance qu'on leur donne. Je me suis préparé double, triple renfort de ruses, d'impostures, et animé par la vertu de mes perfidies, qu'on le sache bien, fort de mes talents, de mon malin génie, de mon astuce, je saurai, quelque combat que j'aie à livrer, remporter une victoire facile, enlever facilement la dépouille de mes ennemis, grâce à mes fourberies. Commençons par l'ennemi commun de vous tous et de moi, ce Ballion que mes balistes entameront de la belle manière. Re­gardez-moi faire seulement. Je me propose d'investir cette place et de la prendre aujourd'hui même; j'y vais conduire mes légions; si je l'emporte, les affaires de mes concitoyens auront un succès facile. Ensuite, je bloquerai cette vieille forteresse avec mes troupes ( il montre la demeure de Simon), c'est alors que moi et mes confédérés nous nous chargerons, nous nous gorgerons de butin ; j'enverrai la terreur et la fuite à mes ennemis, pour leur apprendre qui je suis, quel sang coule dans mes veines. Je suis né pour me distinguer par de grands exploits, qui laissent derrière moi une longue et brillante renommée. Mais quel est l'homme que j'aperçois? quel est cet inconnu que le hasard me présente ? je suis curieux de savoir ce qu'il cherche, avec son coutelas. Que vient-il faire? mettons-nous en em­buscade.

Scène 2

HARPAX en habit de voyageur; PSEUDOLUS.

HARPAX, regardant autour de lui pour reconnaître les lieux.

Voilà l'endroit, le quartier que mon maître le mili­taire m'a indiqué, si je m'en rapporte au témoignage de mes yeux. Il m'a dit que la septième maison en en­trant dans la ville, est celle du prostitueur, auquel il m'a chargé de porter cet argent avec le signe de recon­naissance. Je voudrais bien rencontrer quelqu'un ici qui me montrât le logis du prostitueur Ballion.

PSEUDOLUS, à part, se parlant à lui-même.

Chut ! paix! paix ! je le tiens, si je ne suis pas abandonné des dieux et des hommes. Il me faut un nouveau stratagème pour la circonstance nouvelle, imprévue, qui s'est offerte. Avisons d'abord à celle-ci: je renonce à tout ce que j'avais déjà mis en train. Par Pollux, j'en ferai tâter comme il faut à ce belliqueux messager pour sa venue.

HARPAX.

Frappons, afin qu'on vienne me parler. ( il s'appro­che de la maison de Ballion.)

PSEUDOLUS, allant à sa rencontre.

Qui que tu sois, je ne veux pas te laisser frapper longtemps car je suis sorti tout exprès pour intercéder en faveur de cette porte ; elle est dans ma clientèle.

HARPAX.

Est-ce toi qui es Ballion ?

PSEUDOLUS.

Non, mais tu vois en moi son Sous-Ballion.

HARPAX.

Quelle espèce de nom est-ce-là?

PSEUDOLUS.

Je suis le dépensier, l'administrateur des vivres.

HARPAX.

Comme qui dirait l'intendant?

PSEUDOLUS.

Bah ! l'intendant est sous mes ordres.

HARPAX.

Alors, es-tu en servitude, ou libre ?

PSEUDOLUS.

Quant à présent, je sers encore.

HARPAX.

Il y paraît, et tu ne parais guère digne de la li­berté.

PSEUDOLUS.

Tu devrais te regarder, avant de dire aux autres des injures.

HARPAX, à part.

Il m'a l'air d'un fripon.

PSEUDOLUS, à part.

Les dieux me protègent, me favorisent: ce sot est l'enclume sur laquelle je forgerai aujourd'hui bien des ruses.

HARPAX, à part.

Qu'est-ce qu'il se dit là tout seul ?

PSEUDOLUS, haut.

Parle-moi, l'ami.

HARPAX.

Qu'est ce?

PSEUDOLUS.

Es-tu, ou n'es-tu pas au militaire macédonien, qui nous a dernièrement acheté une femme? et qui a donné quinze mines à compte au prostitueur mon maître? et qui en doit encore cinq?

HARPAX.

Oui, je suis son esclave. Mais d'où me connais-tu par hasard ? où m'as-tu vu ? où m'as -tu parlé ? Car c'est pour la première fois aujourd'hui que je viens dans Athènes, et c'est la première fois que mes yeux t'aper­çoivent.

PSEUDOLUS.

J'ai deviné à ta mine que tu venais de sa part. En effet, jadis en partant il avait fixé ce jour-ci pour terme du paiement, et il n'a pas encore payé.

HARPAX.

Il ne se fera pas attendre.

PSEUDOLUS.

Est-ce que tu apportes l'argent?

HARPAX.

Oui, sans doute.

PSEUDOLUS.

Que tardes-tu à me le donner?

HARPAX.

Que je le donne à toi?

PSEUDOLUS.

Oui, par Hercule, à moi, qui suis l'homme d'affaires, le caissier de mon maître Ballion, moi, qui fais la re­cette et la dépense, et qui paye à qui il doit.

HARPAX.

Quand tu serais, par Hercule, le trésorier du grand Jupiter, je ne te confierais pas une obole.

PSEUDOLUS, tendant toujours la main.

Paye promptement, ce sera une affaire conclue.

HARPAX, montrant sa bourse.

J'aime mieux la garder recluse ici.

PSEUDOLUS.

Malheur à toi ! tu es bien venu d'affronter mon honneur! comme si l'on ne m'en confiait pas tous les jours six cents fois autant sans témoins.

HARPAX.

Il se peut que d'autres soient dans ces dispositions, sans que tu aies ma confiance.

PSEUDOLUS.

C'est-à-dire que je veux te voler ton argent?

HARPAX.

C'est toi-même qui le dis; prends que je le soupçonne. Mais comment t'appelles-tu?

PSEUDOLUS, à part.

Le prostitueur a un esclave nommé Syrus, je me ferai passer pour lui. (Haut) On me nomme Syrus.

HARPAX, d'un air de mépris et de défiance..

Syrus?

PSEUDOLUS.

C'est mon nom.

HARPAX.

Nous bavardons trop longtemps. Si ton maître est à la maison, pourquoi ne le fais-tu pas venir, pour que je m'acquitte de ma commission, quelque soit le nom que tu portes ?

PSEUDOLUS.

S'il y était, je l'appellerais; mais si tu veux me donner l'argent, ton paiement sera plus sûr que si tu l'avais fait en ses mains.

HARPAX.

Sais-tu ce qui en est ? mon maître ma chargé de ren­dre, et non de perdre cet argent. Tu as la fièvre, j'en suis certain, parce que tu ne peux pas mettre la griffe dessus. Je ne confierai à personne une obole si ce n'est à Ballion lui-même.

PSEUDOLUS

Mais il est en affaire ; on le juge au tribunal

HARPAX

Que les dieux lui procurent un bon succès. Quand je croirai pouvoir le trouver à la maison, je revendrai.
Prends cette lettre de reconnaissance convenu et remet la lui, elle contient le signe de reconnaissance convenu entre lui et le militaire pour qu'on me livre la femme.

PSEUDOLUS.

Oui je sais; le militaire a dit que, quand, on viendrait nous remettre l'argent avec son portait sur un cachet nous lui enverrions la femme avec son messager. Il nous a laissé une empreinte pareille.

HARPAX

Tu sais tous les détails.

PSEUDOLUS

Comment ne les saurais-je pas ?

HARPAX

Donne donc la lettre à ton maître.

PSEUDOLUS

Je le veux bien. Mais comment t'appelles-tu?

HARPAX

Harpax.

PSEUDOLUS

Arrière,Harpax ! Tu ne me reviens pas, par Hercule, je ne te ferai pas entrer chez nous, de peur que tu ne happes quelque chose.

HARPAX

J'ai coutume d'enlever l'ennemi vivant du champ de bataille; c'est de là que vient mon nom.

PSEUDOLUS

Par Pollux, je crois plutôt que tu enlèves le mobi­lier des maisons.

HARPAX.

Pas du tout. Mais sais-tu le service que je te de­mande, Syrus?

PSEUDOLUS.

Quand tu l'auras dit, je le saurai.

HARPAX

Je loge hors de la ville, à la troisième maison, chez une grosse vieille boiteuse, ronde comme une tonne.

PSEUDOLUS

Eh bien, qu'est-ce que tu veux?

HARPAX.

Que tu viennes m'avertir quand ton maître sera de retour.

PSEUDOLUS.

Comme tu voudras, très bien.

HARPAX.

Je suis arrivé fatigué de la route, je veux me rafraî­chir.

PSEUDOLUS.

Tu as raison, j'approuve ton idée; mais ne va pas me faire courir après toi, quand j'irai te chercher.

HARPAX.

Non, non ; dès que j'aurai mangé un morceau, je m'occuperai de dormir.

PSEUDOLUS.

Ce sera bien fait.

HARPAX , prenant congé.

Je ne puis rien pour toi ?

PSEUDOLUS.

Si non de t'aller coucher.

HARPAX.

J'y vais.

PSEUDOLUS, en le persiflant.

Écoute, Harpax. Recommande qu'on te couvre comme il faut en attendant; si tu peux suer, tu t'en trouveras bien. (Harpax sort.)

Scène 3

PSEUDOLUS, seul.

Dieux immortels ! cet homme m'a sauvé par sa venue ; il arrive tout exprès pour me tirer d'embarras et me remettre sur la voie, sans qu'il m'en coûte rien pour son voyage. L'Opportunité elle-même ne pourrait m'offrir une rencontre plus opportune que cet opportun message qu'il m'a remis: c'est une corne d'abondance qui me tombe du ciel pour y prendre tout ce qu'il me plaira. C'est un trésor de ruses, un trésor de tromperie, un trésor d'intrigue, un trésor d'argent, un trésor au fond duquel est la maîtresse de mon maître. Comme je vais avoir la tête haute et le cœur content! Déjà toutes mes machinations pour dérober la belle au prostitueur étaient préparées, disposées, ordonnées dans ma tête, comme je l'avais entendu ; j'avais tous mes plans arrêtés pour l'exécution : mais voici qui change tout, ma foi. Que cent des plus habiles unissent leurs conseils, la déesse Fortune à elle seule est plus habile qu'eux tous. C'est bien vrai, selon qu'on a la fortune pour soi, on est un homme supérieur et tout le monde admire, après, votre pru­ dence. Le succès règle nos opinions ; qui réussit, est pro­clamé sage ; qui échoue, passe pour un sot. Sots que nous sommes ! quelle erreur est la nôtre sans nous en douter, quand nous souhaitons ardemment que quelque chose nous arrive! comme si nous connaissions-ce qu'il y a de plus avantageux pour nous. Nous lâchons le certain pour courir après l'incertain. Qu'en résulte-t-il ? au mi­lieu de nos labeurs et de nos douleurs, la mort vient furtivement nous surprendre. Mais c'est assez de philo­ sophie : je bavarde trop longtemps et trop longuement. Dieux immortels ! on devrait payer au poids de l'orichalque le mensonge que je viens d'imaginer tout à l'heure impromptu, quand je me suis donné pour l'es­clave du prostitueur. Avec cette lettre je ferai trois du­pes, mon maître, le prostitueur, et celui qui me l'a remise. Vivat ! à bon chat bon rat. Mais voici encore une autre rencontre que je désirais : c'est Calidore ; il amène avec lui quelqu'un que je ne connais pas.

(Il se poste pour écouter hors de la vue des deux jeunes gens.)

Scène 4

CALIDORE, C HARIN, PSEUDOLUS

CALIDORE.

Je t'ai tout raconté, plaisirs et peines. Tu connais ma passion, tu connais mon affliction, tu connais ma dé­tresse.

CHARIN.

Je sais tout. Apprends-moi seulement ce que tu veux que je fasse.

CALIDORE.

Je t'ai dit, entr'autres choses, ce qui concerne le portrait, afin que tu saches......

CHARIN.

Je sais tout, te dis-je. Fais-moi connaître seulement c e que je puis faire pour toi.

CALIDORE.

Pseudolus m'a commandé de lui amener un homme d'exécution, un ami.

CHARIN.

Tu suis bien ses instructions; car tu amènes un ami tout dévoué. Mais ce Pseudolus m'est inconnu.

CALI DORE.

C'est un mortel parfait, mon homme de ressource : il m'a promis de faire tout ce que je t'ai dit.

PSEUDOLUS , à part, un peu haut.

Je vais lui adresser la parole sur un ton grandiose.

CALIDORE

Quelle voix se fait entendre?

PSEUDOLUS avec emphase

Salut ! salut ! salut ! c'est toi, toi, seigneur, que je demande, c'est toi monarque de Pseudolus, c'est toi que je cherche p our l'offrir trois fois, en trois dons, sous trois formes, une triple joie, un triple triomphe, trois fois mérité par un triple artifice, remporté par trois ennemis par fraude et par malice, par ruse et par imposture, et je t'apporte le tout dans ce petit rouleau cac heté. ( il lui présente le message d'Harpax )

CALIDORE, à Charin, montrant Pseudolus,

Voici l'homme.

CHARIN.

Quelle emphase tragique, le bourreau !

CALIDORE à PSEUDOLUS qui s'est arrêté d'un air fier.

Avance en même temps que je m'approche.

PSEUDOLUS, présentât la lettre.

Tends hardiment la main pour recevoir ton salut.

CALIDORE.

De quel nom dois-je t'appeler, Pseudolus? Mon es­poir? ou mon père?

PSEUDOLUS

L'un et l'autre à la fois.

CALIDORE

Salut à ce double titre, salut. Mais qu'y a-t-il de fait ?

PSEUDOLUS, d'un air de fanfaron.

Est-ce que tu crains ?

CALIDORE.

Voici quelqu'un que je t'apporte.

PSEUDOLUS.

Que tu m'apportes ! oh ! oh !

CALID0RE.

Que je t'amène, je voulais dire,

PSEUDOLUS.

Qui est-ce?

CALIDORE.

Charin.

PSEUDOLUS.

Bravo ? carum augarium,

CHARIN.

Allons, tu peux en toute confiance quoi qu'il faille, me donner tes ordres,

PSEUDOLUS, faisant le capable.

Je te suis obligé, ne le dérange pas; je ne veux pas que nous te soyons importuns.

CHARIN.

Vous, importuns à moi ? c'est ce discours qui m'im­portune.

PSEUDOLUS d'un air de confidence.

Alors, reste donc.

CHARIN

Qu'est-ce qu'il y a ?

PSEUDOLUS.

J'ai intercepté tout à l'heure cette lettre, et le signe de reconnaissance qu'elle renferme.

CHARIN.

Le signe de reconnaissance ? lequel ?

PSEUDOLUS.

Celui qu'envoyait le militaire. Et l'esclave qui l'ap­portait avec cinq mines d'argent, (à Calidore) et qui ve­nait chercher ta maîtresse, vient d'avoir la face bar­bouillée de ma façon.

CALIDORE.

Comment?

PSEUDOLUS.

C'est pour les spectateurs que se joue la comédie; ils savent ce qui s'est passé, ils y étaient; je vous le con­terai plus tard.

CALIDORE.

Que ferons-nous maintenant?

PSEUDOLUS.

Tu embrasseras ta maîtresse aujourd'hui libre.

CALIDORE, ivre de joie.

Moi!

PSEUDOLUS.

Toi-même.

CALIDORE, plus transporté.

Moi!

PSEUDOLUS.

Toi en personne, te dis-je, si le ciel me prête vie. Mais il faut me trouver un homme promptement...

CHARIN.

De quelle figure?

PSEUDOLUS.

Malin, rusé, qui, une fois en train, ait le talent de mener la besogne comme il faut; et qu'on n'ait pas beaucoup vu ici.

CHARIN

S'il est esclave, cela fait il chose?

PSEUDOLUS.

Au contraire, je l'aime beaucoup mieux qu'un homme libre.

CHARIN.

Je crois pouvoir te procurer un garçon malin et ha­bile, qui arrive de Caryste, envoyé par mon père. II n'a pas encore mis le pied hors de la maison et il entra hier dans Athènes pour la première fois.

PSEUDOLUS.

C'est ce qu'il me faut. Mais j'ai besoin d'emprunter cinq mines, que je rendrai aujourd'hui ; car son père me doit (Montrant Calidore).

CHARIN.

Je te les donnerai , ne cherche pas ailleurs.

PSEUDOLUS.

Quel mortel secourable ! J'ai besoin encore d'une chlamyde avec un coutelas et un chapeau de voyage.

CHARIN.

Je peux te les prêter.

PSEUDOLUS.

Dieux immortels ! ce n'est pas Charin que je t'appellerai; tu es pour moi la Fortune. Mais l'esclave qui est venu de Caryste, sent-il son fin matois ?

CHARIN.

Il sent le bouc sous les aisselles.

PSEUDOLUS.

Il fera bien de porter une tunique à manches. A-t-il quelque sel dans l'esprit ?

CHARIN.

Et du plus salé.

PSEUDOLUS.

Et de la douceur?au besoin, en trouve-t-il aussi dans son fonds?

CHARIN.

Tu le demandes? ce n'est alors que vin à la myrrhe, vin cuit, vin de liqueur, hydromel, miel de toute sorte. Il a essayé même pendant un temps de tenir dans son esprit un débit de boissons chaudes.

PSEUDOLUS.

À ravir ! excellent! Charin, tu me bats à mon propre jeu. Mais quel est le nom de l'esclave?

CHARIN.

Singe.

PSEUDOLUS.

Il sait faire des tours, quand les affaires tournent mal ?

CHARIN.

Plus rapidement que le sabot qui roule.

PSEUDOLUS.

Et il a la langue bien pendue?

CHARIN.

Pendable pour toutes sortes de méfaits.

PSEUDOLUS.

Et quand il est pris en flagrant délit?

CHARIS.

C'est une anguille pour échapper des mains.

PSEUDOLUS.

Ses idées sont donc bien ordonnées?

CHARIN.

Une ordonnance n'est pas en meilleur ordre.

PSEUDOLUS.

C'est un héros, d'après l'éloge que tu fais de lui.

CHARIN

Bah! si tu savais! Il ne t'aura pas plus tôt vu, qu'il t'expliquera d'avance tout ce que tu lui veux. Mais quel est ton dessein ?

PSEUDOLUS.

Le voici : quand j'aurai costumé notre homme, j'en ferai l'esclave supposé du militaire. Il présentera ce signe de reconnaissance au prostitueur, et il emmènera Phénicie. Tu sais toute la chose. Du reste, pour les dé­tails d'exécution, c'est à lui que je les dirai.

CALIDORE, à Charin.

Qu'attendons nous ici maintenant?

PSEUDOLUS.

Amène moi vite l'homme habillé complètement avec tout l'attirail, chez le banquier Eschine, Hâtez-vous.

CHARIN.

Nous y serons avant toi.

PSEUDOLUS.

Parlez donc promptement. (Ils sortent.) Tout ce que j'avais dans l'esprit d'incertitude et de doute jusqu'à
cette heure, se dissipe, s'éclaircit à présent; rien n'ar rête plus la marche de mes pensées. En bataille, toutes
mes légions; avançons étendards déployés, sous d'heureux auspices, avec de fortunés présages; tout succède,
à mes vœux. Je suis assuré maintenant de déconfire l'ennemi. Je vais au forum, et je donnerai à Singe mes
instructions sur ce qu'il doit faire, pour qu'il ne bron che pas , et qu'il mène habilement la fourberie. Bientôt,
j'espère, nous aurons pris d'assaut la citadelle de prostitution. (il sort )

Acte III

Scène 1

UN JEUNE ESCLAVE, seul, sortant de chez Ballion.

L'esclave que les dieux condamnent à servir un pros titueur, s'ils l'affligent au par-dessus d'une laide figure, est certes, autant que je puis comprendre, une bien triste, une bien malheureuse victime de leur colère. C'est là pourtant le service qui m'est échu, service où je suis escorté de toutes les misères petites et grandes. Je ne peux pas trouver le moindre galant à qui je plaise, pour m'entretenir enfin un peu plus proprement. C'est aujourd'hui l'anniversaire de la naissance du prosti tueur; il nous a menacés tous, depuis le premier jus­qu'au dernier, si quelqu'un manquait à lui offrir un présent en ce jour, de le faire périr demain par le plus cruel supplice. Je ne sais, par Hercule, comment me tirer de là. Je ne puis faire ce que font d'ordinaire ceux qui le peuvent, et si je ne porte pas aujourd'hui mon tri­but, au prostitueur, demain, pauvre malheureux, il fau­dra que j'avale une vendange de foulon..,. Hélas ! je suis bien jeune pour en passer par-là. Et que j'ai peur de mon maître! je tremble! Si quelqu'un, par Pollux, me mettait dans la main de quoi la rendre moins légère, quoiqu'on dise que cela fait beaucoup crier, il me semble qu'à toute force je saurais me tenir la bouche fermée. Mais il faut renfermer mes paroles et ma voix; j'aper­çois mon maître qui revient à la maison; il amène un cuisinier.

Scène 2

BALLION, LE CUISINIER avec sa suite, L'ESCLAVE.

BALLION.

Quand on dit la place aux cuisiniers, on dit une bê­tise; ce n'est pas la place aux cuisiniers, c'est la place aux voleurs. Si je m'étais engagé par serment à trouver un mauvais garnement de cuisinier, je n'aurais pas pu choisir mieux que le drôle que j'amène, babillard , van­tard, impertinent, bon à rien, et que Pluton n'a pas reçu encore dans ses domaines, seulement pour qu'il eût quel­qu'un sur la terre qui fît la cuisine aux morts ; ( montrant le cuisinier) il n'y a que lui pour apprêter des mets de leur goût.

LE CUISINIER.

Si tu pensais que je ne vaux pas mieux que tu dis, pourquoi me prenais-tu?

BALLION.

Faute d'autre ; il n'y en avait pas. Mais pourquoi res­tais-tu sur la place, toi, si tu es le cuisinier par excel­lence?

LE CUISINIER.

Je vais te le dire : c'est par l'avarice des hommes, que ma cuisine est devenue moins en vogue ; ce n'est pas manque de talent.

BALLION.

Comment cela?

LE CUISINIER.

Tu le sauras; quand ils viennent choisir un cuisinier, aucun ne demande le plus cher et aussi le meilleur. Ils préfèrent le pire à vil prix. Voilà pourquoi je faisais sentinelle aujourd'hui seul sur la place. Les gâtesauce se donnent pour une drachme. Moi, on ne peut pas m'avoir et me faire lever à moins d'un double. C'est que je ne fais pas un souper comme les autres cuisiniers, qui vous servent tout un pré dans leurs ragoûts, comme s'ils avaient des bœufs à régaler. Ce sont des amas de fourrage, des herbes accommodées avec d'autres herbes, et farcies de coriandre, de fenouil, d'ail, de persil; à quoi ils ajoutent de l'oseille, des choux, de la poirée, des blettes, en y délayant une livre de laser, et mêlant avec le tout de la moutarde pilée, affreux poison, qui ne se laisse pas piler sans faire pleurer les yeux des pileurs. Qu'ils gardent leur cuisine pour eux, les traîtres! Ce ne sont pas des assaisonnements qu'ils mettent dans ce qu'ils assaisonnent, mais des harpies qui rongent les entrailles des convives tout vivants. Et puis, qu'on s'étonne qu'ici la vie soit si courte, quand les hommes introduisent dans leur estomac des herbages de cette nature, qui font frémir seulement de les nommer; jugez quand on les mange. Les bêtes ne les mangent pas, et on les fait manger aux hommes.

BALLION.

Et t oi? tu emploies des assaisonnements divins, qui ont la vertu de prolonger la vie , puisque tu blâmes les autres ?

LE CUISINIER.

Tu peux l'assurer sans crainte. On a pour deux cents ans à vivre, si l'on fait un usage fréquent des plats de ma façon. Quand j'ai jeté dans les casseroles du cici lindre, ou du sipolindre, ou de la macis, ou de la sancaptis, elles se mettent d'elles-mêmes à bouillir. Voila pour assaisonner le gibier neptunien. Quant aux ani­maux terrestres, je les accommode avec du cicimandre, de l'happalopside ou de la cataractrie.

BALLION.

Que Jupiter et tous les dieux te confondent avec tes assaisonnements et tous tes mensonges.

LE CUISINIER.

Laisse-moi te dire, s'il te plaît.

BALLION.

Dis, et va te faire pendre.

LE CUISINIER.

Quand les casseroles bouillent, je les ouvre toutes, l'odeur qui en sort, s'envole vers le ciel à toutes jambes : c'est elle qui fournit au souper de Jupiter tous les jours.

BALLION.

L'odeur à toutes jambes !

LE CUISINIER.

Je me suis trompé, c'est une inadvertance

BALLION.

Eh bien ?

LE CUISINIER.

Je voulais dire à tire d'ailes.

BALLION.

Quand on ne te prend pas pour faire la cuisine, de quoi Jupiter soupe-t-il ?

LE CUISINIER.

Il va se coucher sans souper.

BALLION.

La peste du maraud! Crois-tu m'engager ainsi à te payer un didrachme?

LE CUISINIER.

J'en conviens, je suis un cuisinier très cher mais l'ouvrage est en proportion du prix. On voit comme je travaille, dans les maisons où l'on m'emploie.

BALLION.

Oui, pour voler.

LE CUISINIER.

Est-ce que tu prétends trouver un cuisinier qui n'ait pas les griffes d'un milan ou d'un aigle ?

BALLION.

Est-ce que tu prétends aller cuisiner quelque part sans qu'on te tienne les griffes serrées pendant que t u travailles ? (A un esclave) Toi qui es de la maison, je t'ordonne de mettre sans tarder, en lieu de sûreté tout ce qu'il y a chez nous ; d'avoir ses yeux dans tes yeux, de regarder où il regardera, d'aller où il ira sans le quitter. S'il avance la main, que ta main en même temps s'avance; s'il prend quelque chose qui soit à lui, laisse-le prendre; si ce qu'il touche est à nous, tiens-en un bout de ton côté ; s'il marche,marche; s'il rester place,reste là; s'il s'accroupit, que tes reins suivent son mouvement. J'attacherai à chacun de ses élèves un surveillant pareil

LE CUISINIER, prenant de plus en plus l'air capable

Sois tranquille, va.

BALLION

Apprends-moi, je te prie, comment je puis l'être, quand je t'introduis chez moi?

LE CUISINIER.

C'est que j'égaierai aujourd'hui Médée, qui fricassa jadis le bonhomme Pélias, et fit si bien avec ses drogues et ses poisons, que de vieux elle le rendit jouvenceau tout derechef. Je te rajeunirai de même.

BALLI ON.

Oh ! oh! est-ce que tu es empoisonneur aussi?

LE CUISINIER.

Au contraire, par Pollux, conservateur de la santé des hommes. ( il va pour entrer chez Ballion.)

BALLI ON, l'arrêtant.

Un moment ; combien me demanderas-tu pour, m'apprendre une seule recette de cuisine?

LE CUISINIER.

Laquelle?

BALLION.

La surveillance nécessaire pour empêcher de me voler.

LE CUISINIER.

Si tu as confiance, un didrachme; sinon, tu n'en es pas quitte pour une mine. Mais sont-ce tes amis ou tes ennemis que tu veux traiter aujourd'hui ?

BALLlON.

Par Pollux, mes amis, apparemment

LE CUISINIER

Tu devrais inviter tes ennemis plutôt que les amis car je ferai à tes convives un tel festin, si bien assai­sonné, si délicieux, qu'on ne pourra pas goûter un seul mets, sans se manger les doigts.

BALLION.

Avant de servir sur table, je t'en prie, goûte toi- même d'abord tes sauces , et donnes-en à tes élèves, pour que vous vous mangiez vos doigts crochus.

LE CUISINIER.

Tu ne crois pas peut-être ce que je te dis?

BALLION .

Ne m'assomme pas ; tu m'étourdis les oreilles, c'est ennuyeux. Voici ma demeure, entre, et fais ta cuisine promptement.

LE CUISINIER .

Tu n'as qu'à te mettre à table, et à faire placer tes convives. Le souper est déjà trop cuit. ( il sort avec sa suite.)

BALLION, montrant un des suivantsqui prend des airs comme son chef.

Voyez, s'il vous plaît, la digne race! Cet apprenti lèche-plat est déjà un franc coquin aussi. Je ne sais, ma foi, où je dois avoir l'œil d'abord, avec tous ces voleurs dans, ma maison, ( montrant le logis de Pseudolus) et le corsaire qui croise tout prêt. Mon voisin, le père de Calidore, que j'ai rencontré tout à l'heure au forum, m'a recommandé très instamment de me défier de son esclave Pseudolus, de me tenir en défense car il rodera toute la journée pour me souffler, s'il est possible, Phénicie. On m'a dit qu'il s'était engagé très positivementà l'enlever de chez moi à force de ruses. Je rentre, j 'ordonnerai à mes gens de ne pas écouter Pseudolus, quoi qu'il dise. (il sort)

Acte IV

Scène 1

PSEUDOLUS, plus tard SINGE en valet de militaire.

PSEUDOLUS, parlant sans s'apercevoir que Singe ne le suit pas.

Si jamais les dieux immortels ont secouru et protégé, quelques humains, c'est bien moi et Calidore. Certes, ils veulent nous sauver et perdre le prostitueur, puis­qu'ils ont créé pour moi tout exprès un auxiliaire tel que toi, si habile et si madré. ( Regardant derrière lui) Mais où est-il? suis-je bête, de jaser ainsi tout seul vis-à-vis de moi-même? il m'en a donné à garder, par Hercule, je le pense. Traitant de coquin à coquin, j'ai mal pris mes précautions. Je suis perdu, par Pollux, s'il a levé le pied, et je n'en viendrai pas à mes fins. (Singe arrive ). Mais c'est lui, je l'aperçois, cette statue du bois dont on fait les houssines. Quelle démarche superbe! Ah çà, je te cherchais de tous mes yeux ; j'avais grand'peur que tu n'eusses déserté.

SINGE.

J'aurais fait mon métier, je l'avoue.

PSEUDOLUS.

Où t'es-tu arrêté?

SINGE, d'un ton fanfaron.

Où il m'a plu.

PSEUDOLUS.

Je le savais d'avance.

SINGE, de même.

Pourquoi me le demander, puisque tu le sais?

PSEUDOLUS.

Il faut que je te donne une leçon.

SINGE, redoublant d'arrogance.

Tu as plus besoin d'en recevoir que de m'en donner.

PSEUDOLUS.

Tu fais bien l'insolent, à la fin.

SINGE, d'un ton naturel:

Si je n'avais pas d'insolence, est-ce qu'on me pren­drait pour un homme de milice?

PSEUDOLUS.

Je veux que l'affaire, commencée....

SINGE, reprenant son aircapable et arrogant.

Est-ce que tu me vois des distractions?

PSEUDOLUS.

Marche donc vite.

SINGE, d'un air goguenard.

Pas du tout, à mon aise.

PSEUDOLUS.

Nous l'avons belle, pendant que l'autre dort. Il faut que tu le préviennes, et que tu te présentes le premier.

SINGE.

Pourquoi te presser? du calme; ne crains rien, Veuille Jupiter qu'il se montre ici en même temps, quel qu'il soit, ce messager du militaire. Non, par Pollux, il ne sera pas Harpax mieux que moi. Sois en pleine sécurité; j'expédierai ton affaire à souhait. Par mes ruses et mes impostures, je jetterai un si grand effroi dans l'âme du soudard voyageur, qu'il conviendra lui-même qu'il n'est pas lui, et que c'est moi qui suis ce qu'il est.

PSEUDOLUS.

Est-ce possible? comment?

SINGE.

Tu m'assommes avec tes questions.

PSEUDOLUS.

Il me charme. Que Jupiter nous conserve tes ruses et tes mensonges.

SINGE.

À moi plutôt. Mais regarde, ce costume me va-t-il bien?

PSEUDOLUS.

A ravir.

SINGE.

A la bonne h eure.

PSEUDOLUS.

Que les dieux immortels te donnent autant de bien que tu peux t'en souhaiter. Car si je t'en souhaitais au­ tant que tu en mérites, ce serait moins que rien. Je ne vis jamais de plus malin drôle, plus prompt à malfaire.

SINGE, d'un air moqueur.

C'est toi qui me loues ainsi?

PSEUDOLUS.

Je me tais. Mais quelle récompense te décernerai-je, si tu conduis sagement l'entreprise ?

SINGE.

Si tu pouvais te taire? les mieux appris désapprennent quand on veut leur apprendre ce qu'ils ont appris de reste. Je possède toute l'affaire ; elle est arrangée dans ma tête ; j'ai ruminé profondément nos fourberies.

PSEUDOLUS.

Le brave garçon !

SINGE.

Pas plus que toi.

PSEUDOLUS.

Prends garde de t'embârrasser.

SINGE.

Veux-tu te taire?

PSEUDOLUS.

Je jure par les dieux qui me protègent....

SINGE.

Ils s'en garderont bien car tu ne vas débiter que des mensonges.

PSEUDOLUS.

Je jure, Singe, que je t'aime, que je te redoute, que je t'honore pour ta perfidie.

SINGE.

Je suis expert à donner aux autres de cette marchandise là. Tu ne saurais m'y prendre avec tes cajoleries.

PSEUDOLUS.

Et que je te régalerai joliment aujourd'hui quand tu auras consommé ton œuvre.

SINGE, riant d'un air d'incrédulité.

Ah! ah! Hi !hi!

PSEUDOLUS.

Joli festin, parfums, vins, mets exquis entre les ra­ sades. Tu auras aussi une fille charmante qui te prodi­guera baisers sur baisers.

SINGE, avec ironie.

Ton régal est magnifique.

PSEUDOLUS.

Réussis, et tu m'en feras encore plus compliment.

SINGE.

Si je ne réussis pas, bourreau ! ( il prononce ce mot de manière à laisser dans le doute s'il fait une simple exclamation ou s'il s'adresse à Pseudolus ) que la torture soit mon régal. Mais dépêche-toi de m'enseigner la maison du prostitueur.

PSEUDOLUS, montrant la maison.

La voici, c'est là troisième;

SINGE

Tais-toi, je vois la porte qui, s'entrebâille.

PSEUDOLUS

Elle a mal au cœur, je crois.

SINGE

Comment ?

PSEUDOLUS

C'est, par Pollux, qu elle vomit le prostitueur.

SINGE, apercevant Ballion.

Est-ce lui?

PSEUDOLUS

Lui-même.

SINGE..

Voilà une piètre marchandise.

PSEUDOLUS.

Regarde un peu, il ne va pas droit devant lui, il a la marche oblique d'une écrevisse.

Scène 2

BALLION, PSEUDOLUS, SINGE.

BALLION, sans voir les autres.

Il n'est pas si fripon que je croyais, ce cuisinier; il n'a rien agrippé encore qu'un cyathe et une coupe.

PSEUDOLUS, bas à Singe.

Ah ça, voici l'occasion , voici le moment.

SINGE, bas à Pseudolus..

Je suis de ton avis.

PSEODOLUS, de même.

Embarque-toi adroitement ; moi , je me tiendrai ici aux aguets.

SINGE, haut, en s'avançant et feignant de chercher.

J'ai bien retenu les indications, c'est la sixième tra­verse en entrant dans la ville; voici la rue où il m'a commandé de prendre un gîte. Mais combien m'a-t-il dit qu'il y avait de maisons à passer? je n'en sais plus rien,

BALLION, à part.

Quel est cet homme en chlamyde? d'où vient-il? que cherche-t-il? Il m'a l'air d'un étranger ; sa mine m'est inconnue.

SINGE, feignant d'apercevoir Ballion seulement alors.

Mais voici quelqu'un qui me tirera de peine, et me rendra plus savant.

BALLION.

Il vient tout droit de mon côté. D'où sort cet homme ?

SINGE

Hé! toi, que je rencontre là , l'homme à la barbe de bouc, apprends-moi ce que je désire.

BALLION

Eh ! mais, tu ne commences pas par saluer?

SINGE

Je n'ai pas de salut à jeter à la tête.

BALLION

Par Pollux , je t'en offre autant.

PSEUDOLUS, à part

Pour commencer ils n'ont rien à se reprocher.

SINGE

Ne connais-tu pas un certain homme dans cette traverse, je te prie?

BALLION

Je connais moi.

SINGE

Il n'y a pas beaucoup de gens qui te ressemblent. Car on en trouverait à peine dix dans le forum se connaissant eux-mêmes.

PSEUDOLUS, toujours à part

Je suis des bons; il se met à philosopher,

SINGE.

Celui que je cherche est un drôle, ennemi des lois, impie, menteur, pervers.

BALLION, à part.

C'est moi qu'il cherche: il dit là tous mes surnoms; il ne lui reste plus que mon nom à dire. ( Haut) C om­ ment ton homme s'appelle-t-il ?

SINGE.

C'est le prostitueur Ballion.

BALLION, à part,

N'ai-je pas deviné? ( Haut) C'est moi -même, l'ami, qui suis l'homme que t u cherches.

SINGE.

Tu es Ballion ?

BALLION.

Oui, lui-même.

SINGE.

Comme il est vêtu ce perceur de murailles !

BALLION, avec ironie.

Et toi, si tu me rencontrais la nuit, tu ne ferais pas agir tes mains, je crois?

SINGE.

Mon maître m'a chargé de te souhaiter bien le bon­ jour, et de te donner cette lettre ; tiens , prends.

BALLION, avant de prendre la lettre. .

Qui est ton maître?

PSEUDOLUS, à part.

Je suis perdu, mon homme est embourbé; il ne sait pas le nom ; il ne s'en tirera pas.

BALLION.

Qui est-ce, dis-tu, qui m'envoie cette lettre ?

SINGE.

Regarde le portrait, et dis-moi son nom toi-même, pour que je sache que c'est bien toi qui es Ballion.

BALLION.

Donne-moi la lettre.

SINGE.

Tiens, reconnais le cachet.

BALLION, regardant l'empreinte du cachet.

Oh ! oh ! Polymachéroplacidès, c'est lui-même en propre original, je le reconnais.

SINGE.

C'est le nom ; Polymachéroplacidès; je vois que je ne me suis pas trompé en te remettant cette lettre, puis­que tu m'as dit le nom de Polymachéroplacidès.

BALLION.

Comment va-t-il ?

SINGE, sur un ton de fanfaron.

Comme un brave, par Pollux, comme un vaillant guerrier. Mais dépêche-toi, je te prie, de lire cette lettre, il le faut, et de prendre ton argent tout de suite, et de me donner la belle qui doit te quitter. Car si je ne suis pas aujourd'hui à Sicyone, demain je n'échap­perai pas à la mort; mon maître ne badine pas.

BALLION.

Je connais, tu parles à des gens de connaissance.

SINGE.

Hâte-toi donc de lire la lettre.

BALLION.

C'est ce que je fais, si tu veux te taire. (Il la lit)

« Poymachéroplacidès le militaire au prostitueur Ballion. Je t'écris cette lettre et l'envoie l'empreinte de mon

portrait, ainsi que nous en sommes convenus ensem­ble. (Il s'arrête d'un air surpris et mécontent.)

SINGE

L'empreinte est dans la lettre.

BALLION.

Je vois, je reconnais le cachet. Mais est-ce qu'en écri vant il n'a pas coutume d'accompagner le message d'un salut?

SINGE.

C'est la manière des guerriers, Ballion ; ils donnent avec leur épée le salut à leurs amis, et ils donnent le tour aussi avec elle à leurs ennemis. Mais continue la lecture commencée, et occupe-toi de voir ce que con­ tient cette lettre.

BALLION.

Écoute seulement ( Il lit): « Je t'envoie Harpax, mon valet. » (A Singe, d'un air effrayé) C'est toi qui es Harpax ?

S I N G E.

Oui, moi-même; Harpax en personne.

BALLION , reprenant la lecture.

«Il te remettra cette lettre, ainsi que l'argent ; et je veux que tu lui donnes Phénicie, pour qu'il l'emmène. On doit, quand on écrit, saluer qui en est d igne; si je te croyais digne d'être salué, je te saluerais. »

SINGE.

Eh bien?

BALLION

Donne l'argent, et prends la femme.

SINGE.

Lequel de nous deux est en retard?

BALLION.

Suis-moi donc, viens.

SINGE.

Je te suis. (Ils entrent chez Ballion.)

Scène 3

PSEUDOLUS, seul.

Je n'ai jamais vu, par Pollux, de drôle plus madré, plus retors que ce Singe. Il m'effraie à mon tour: j'ai bien peur que ce malin n'exerce sa malice avec moi, comme tout à l'heure avec l'autre, et que voyant l'af­faire en bon train, il ne tourne contre moi les cornes, s'il trouve sa belle pour jouer un mauvais tour. Je ne le voudrais pas, par Pollux, car je lui veux, du bien. Main­tenant je suis dans des transes mortelles, pour trois rai­sons: premièrement d'abord, je crains que mon com­pagnon ne déserte et ne passe à l'ennemi. De plus, je crains que mon maître ne revienne du forum, et que les corsaires ne soient capturés avec leur capture. Avec cette double crainte, je crains encore que le véritable Harpax ne vienne avant que l'autre Harpax ait em­mené Phénicie. (Regardant la porte du prostitueur) Dé­solation ! qu'ils tardent à sortir ! Par Hercule, mon âme a déjà fait ses paquets, et n'attend plus, s'il ne part pas avec la belle, que le moment de s'exiler de mon corps. ( Voyant la porte s'ouvrit) Victoire! les fins surveillants sont vaincus.

Scène 4

SINGE, PHENICIE, PSEUDOLUS.

SINGE, à Phénicie après avoir refermé la porte sur Ballion.

Ne pleure pas : tu ne sais pas ce qui en est, Phénicie ; mais dans peu tu le sauras, je te le promets, en le mettant à table. Je ne te conduis pas à cette grande mâ­choire de Macédonien, qui fait couler tes pleurs : c'est à celui auquel tu désires le plus d'appartenir, que je te conduis, à Calidore; tu vas l'embrasser.

PSEUDOLUS.

Qu'avais-tu à rester là? que tu as été long! Mon cœur est moulu à force d'avoir bondi contre ma poitrine.

SINGE.

Tu prends bien ton temps, maraud, pour me ques­tionner, sur un terrain ennemi tout plein d'embûches! Vite, détalons au pas militaire.

PSEUDOLUS.

Par Pollux, pour un mauvais sujet, tu ne conseilles pas mal. En avant, par ici, droit aux cruches triomphales.

(Ils sortent emmenant Phénicie.)

Scène 5

BALLION, seul.

(Il fait un grand soupir, de satisfaction) Ah! ah! mon esprit est en pleine sécurité enfin, depuis que l'autre est parti, et qu'il a emmené Phénicie. Que Pseudolus vienneà présent, le maître fourbe, avec ses perfidies, et qu'il essaie de m'enlever la belle. J'aimerais mieux, par Hercule, oui, j'aimerais mieux faire mille faux serments en termes exprès, que d'être sa dupe et de lui apprêter à rire. Je rirai bien à ses dépens, par Hercule, quand je le verrai. Mais j'espère qu'on va l'envoyer au moulin, selon les conventions. Que je voudrais rencontrer Simon, pour lui faire part de ma joie, et pour nous réjouir ensemble!

Scène 6

SIMON, BALLION.

SIMON.

Je viens voir ce qu'a fait mon Ulysse, et s'il a déjà, enlevé le palladium de la citadelle ballionienne.

BALLION, avec transport.

Fortuné Simon, donne-moi ta main fortunée,

SIMON.

Qu'y a-t-il?

BALLION, comme suffoqué de joie.

Maintenant ....

SIMON.

Eh bien, maintenant?

BALLION.

Tu n'as plus rien à craindre.

SIMON.

Qu'est-ce? est-il venu?

B ALLÏON.

Non.

SIMON.

Alors, quel est ce bonheur?

BALLION.

Tu gardes et tu conserves les vingt mines que tu avais gagées avec Pseudolus?

SIMON.

Je le voudrais.

BALLION.

Convenons que je te donnerai vingt mines s'il s'empare de la belle aujourd'hui, et s'il la donne à ton fils, comme il s'en est vanté. Fais la proposition, par Hercule, je t'en prie. J'ai hâte d'accepter, afin que tu saches qu'il n'y a plus aucun danger pour toi, et même je te donne la jeune fille par-dessus le marché.

SIMON.

Je ne risque rien, que je sache, à proposer la conven­tion. (Prenant un ton officiel) Aux termes de ta pro­messe, me donneras-tu vingt mines?

BALLION.

Je les donnerai.

SIMON

Le traité n'est pas mauvais. Mais est-il venu- te parler ?

BALLION

Ils sont venus, même tous deux.

SIMON

Eh bien, que t'a-t-il conté, je te prie? que dit-il?

BALLION

Des sornettes de comédie, des ces propos qui se débitent sur le théâtre aux prostitueurs sur le théâtre, et que les enfants savent par cœur; il me traitait de coquin, de scélérat, de parjure.

SIMON

Par Pollux, il ne mentait pas.

BALLION

Aussi je ne suis pas fâché; car que font les injures quand on n'en tient nul compte, et quand on ne songe pas à les démentir?

SIMON

Pourquoi, es tu sans crainte de sa part? je suis curieux de l'apprendre.

ballion.

Parce qu'il ne m'enlèvera jamais la donzelle; c'est impossible. Te souvient-il que je t'ai dit tantôt que je l'avais vendue à un militaire macédonien?

SIMON

Oui

BALLION

Son esclave vient de m'apporter l'argent avec le cachet en signe de reconnaissance.

SIMON.

Après?

BALLION.

Signe convenu entre moi et le militaire. L'esclave a emmené la belle il n'y a qu'un moment.

SIMON.

Vraiment? de bonne foi?

BALLION.

Est-ce que j'en ai ?

SIMON.

Prends garde néanmoins qu'il ne t'ait joué quelque tour.

BALLION.

La lettre et le portrait ne me laissent pas de doute; et la fille est déjà hors de la ville sur la route de Sicyone.

SIMON.

Le bon coup, par Hercule! Que tardé-je à faire in­scrire Pseudolus dans la colonie du moulin? ( Apercevant Harpax) Mais quel est cet homme à chlamyde?

BALLION.

Je ne sais pas, par Pollux. Observons ce qu'il fait, où, il va.

Scène 7

HARPAX, SIMON, BALLION .

(Les deux derniers sont trop loin pour entendre.)

HARPAX.

C'est un méchant, un mauvais garnement, qu'un esclave qui fait peu de cas des ordres de son maître. On ne fait pas non plus grand cas d'un homme qui oublie de remplir son devoir, à moins qu'on ne l'en somme. Il y en a qui s'imaginent être libres dès qu'ils ne sont plus sous les yeux du maître; ils font la vie, hantent les mauvais lieux, et mangent tout ce qu'ils ont : ces gens-là portent longtemps le nom d'esclaves; ils ne sont bons à rien qu'à faire le mal. Je n'ai point de commerce avec eux, et je ne leur parle pas; je ne suis pas de leur connais­sance. Quand j'ai reçu un ordre, mon maître absent est comme présent pour moi; et je le crains, à cette heure qu'il est loin, pour ne pas avoir à le craindre quand je serai près de lui. Je vais m'acquitter de ma commission. Syrus me laisserait encore dans l'auberge, lui à qui j'ai donné la lettre. Je l'ai attendu comme il me l'avait dit; il devait venir me chercher dès que le prostitueur serait de retour; mais puisqu'il n'est pas venu me demander, je viens sans qu'il me demande : je veux savoir ce qui en est, pour qu'il ne se moque pas de moi. Il n'y a pas autre chose à faire que de frapper pour qu'on vienne me parler. Je veux que le prostitueur prenne son argent, et me donne la fille pour que je l'emmène.

BALLION, bas à Simon.

Dis donc?

SIMON

Que veux-tu?

BALLION, de même.

Cet homme est à moi.

SIMON.

Comment?

BALLION, du même.

C'est un butin qui m'arrive; il cherche une fille, et il a de l'argent. (D'un air de convoitise) bonne pâture à prendre.

SIMON

On dirait que tu vas le manger.

BALLION, de même.

Pendant qu'il est tout frais, sous la main, tout chaud, il faut l'avaler. Avec les gens sages, il n'y a pas d'eau à boire pour moi : ce sont les mauvais sujets qui me font, vivre, ce sont les vauriens qui m'enrichissent. Les hon­ nêtes gens font ma ruine, et le mauvais inonde ma fortune.

SIMON.

Peste du scélérat, que les dieux confondent !

HARPAX, s'approchant de la maison.

Je perds mon temps; frappons à cette porte, pour savoir si Ballion est chez lui.

BALLION, bas à Simon.

Ce sont autant, de cadeaux que Vénus me fait, toutes les fois qu'elle m'amène de ces hommes ennemis de leur bien, avides de leur perte, qui ne songent qu'à se donner du bon temps et du plaisir; qui boivent, mangent,
font l'amour. Ce sont d'autres caractères que toi, qui ne
veux pas jouir de la vie, et qui es jaloux de ceux qui en
jouissent.

HARPAX, frappant à la porte de Ballion.

Holà, hé! vous autres.

BALLION.

Il vient en droiture chez moi.

HARPAX.

Holà, hé! y a-t-il du monde?

BALLION, haut.

Hé, jeune homme, qu'est-ce qu'on te doit ici? ( A part) Je ne le quitterai pas sans emporter de bonnes dépouilles; j'en suis sûr, les présagés me sont favo­rables.

HARPAX, qui n'a pas entendu Ballion, et continuant de frapper,

Ouvrira-t-on ?

BALLION.

Hé ! la chlamyde, qu'est-ce que tu viens réclamer ici ?

HARPAX, se retournant.

Je veux parler au maître du logis, à Ballion.

BALLION.

Qui que tu sois, jeune homme, cesse de chercher.

HARPAX.

Pourquoi?

BALLION.

Parce qu'il est en ta présence, présent devant toi.

HARPAX

C'est toi ?

SIMON.

L'homme à la chlamyde , garde-toi d'aventure funeste. Montre-lui le doigt, c'est un prostitueur.

BALLION .

Mais un honnête homme; au lieu que t oi, noble ci­toyen, tu es assailli, souvent de clameurs au forum, n'ayant pas une obole au monde, si je ne venais, moi, le prostitueur, à ton secours.

HARPAX, à Ballion.

Parle-moi donc ?

BALLION.

Je te parle; que veux-tu?

HARPAX.

Que tu prennes de l'argent.

BALLION, tendant la main.

Tu n'as qu'à donner, ma main est tendue depuis long­temps.

HARPAX, lui donnant la bourse.

Prends, Il y a là cinq bonnes mines d'argent bien comptées, que je suis chargé de te remettre de la part de mon maître Polymachéroplacidès. Il te les doit, et t u dois bien lui envoyer Phénicie avec moi.

BALLION , étonné.

A ton maître?

HARPAX.

Comme je dis.

BALLION.

Le militaire?

HARPAX.

Qui vraiment.

BALLION .

Le Macédonien?

HARPAX.

C'est cela même, te dis-je.

BALLION.

Tu m'es envoyé par Polymachéroplacidès?

HARPAX.

Tu dis vrai.

BALLION.

Pour me donner cet argent ?

HARPAX.

Si toutefois tu es le prostitueur Ballion.

BALLION.

Et pour emmener une femme ?

HARPAX.

Certes.

BALLION.

Il t'a dit Phénicie?

HARPAX.

C'est bien son nom

BALLION.

Attends, je suis à toi.

HARPAX.

Mais hâte-toi promptement, car j'ai hâte ; tu vois que le jour s'avance.

BALLION.

Je vois. ( Montrant Simon , qui est resté à l 'écart pen­dant le colloque) Je veux avoir l'assistance de cet homme. Reste là, je reviens à l'instant. (Il s'approche de Simon et lui parle bas) Quel parti prendre, Simon? que fe­rons-nous? Cet homme qui apporte; l'argent est pris à ne s'en pouvoir dédire.

SIMON

Quoi donc?

BALLION.

Tu ignores ce qui se passe?

SIMON

Comme le plus ignorant.

BALLION.

Par Pollux, quel pendard que ce Pseudolus ! qu'il a savamment imaginé sa ruse! Il a donné à cet agent la somme que le militaire me doit, et l'a équipé pour venir demander la belle. C'est de la part de Pseudoius que vient ce messager supposé du militaire.

SIMON.

Tiens-tu l'argent ?

BALLION, montrant la bourse.

Tu le demandes, comme si tu ne le voyais pas?

SIMON.

Ah çà, souviens-toi que j'ai droit à la moitié du butin; le profit doit être commun.

BALLION.

Comment? Peste !

SIMON.

Pour cela, tu peux garder tout.

HARPAX, avec impatience.

Quand t'occuperas-tu de moi?

BALLION, à Harpax.

Je m'en occupe. ( Bas à Simon) Que me conseilles-tu, Simon?

SIMON

De nous amuser aux dépens de cet émissaire de con­trebande.

BALLION.

Oui, jusqu'à ce qu'il s'aperçoive lui-même qu'on s'amuse de lui. Viens. ( Revenant auprès d'Harpax auec Simon ) Dis, tu es le serviteur du militaire ?

HARPAX.

Assurément.

BALLION.

Combien lui as-tu coûté?

HARPAX.

Une victoire remportée par sa valeur; car j'étais dans ma patrie général en chef.

BALLION.

Est-ce qu'il a fait aussi la conquête de la prison, ta patrie?

HARPAX.

Si tu me dis des sottises, je t'en dirai.

BALLION.

En combien de jours es-tu venu de Sicyone ici ?

HARPAX.

En un jour et demi.

BALLION.

Tu as été d'un bon train, par Hercule; (à Simon)Le vigoureux marcheur! On n'a qu'à regarder ses mollets ; on voit qu'il est de force à porter de bonnes entraves. (A Harpax d'un air moqueur), dis quand tu étais enfant, te couchait-t-on sur ton berceau ?

HARPAX

Sans doute.

BALLION

Et tu faisais…Tu m'entends ?

SIMON

Certainement, il le faisait.

HARPAX

Etes vous dans votre bon sens ?

BALLION

Réponds à une autre question. La nuit quand le militaire allait faire la ronde, allais-tu avec lui ? Son épée s'ajustait-elle bien à ton fourreau?

HARPAX

Va te pendre, malheureux!

BALLION

Tu pourras y aller aujourd'hui S ans tarder.

HARPAX

Donne-moi la fille ou rends-moi l'argent.

BALLION

Patience.

HARPAX

Comment, patience ?

BALLION.

Voudrais-tu me dire combien cette chlamyde t'a coûté de location ?

HARPAX.

Qu'est-ce que cela signifie?

SIMON.

Et le coutelas, combien le payes-tu?

HARPAX, à part.

Ces gens-là on besoin d'ellébore.

BALLION.

Écoute.

HARPAX.

Fais-moi partir.

BALLION.

Combien le chapeau rapporte-t-il aujourd'hui à son maître?

HARPAX.

Comment, à son maître? Est-ce que vous rêvez? Tout ce que je porte est bien à moi, acheté de ma bourse.

BALLI ON.

Celle que tu as au haut de la cuisse?

HARPAX, en colère, et d'un ton de menace.

Ces vieillards se sont fait huiler; selon leur vieille habitude, ils demandent à être frottés.

BALLION, avec une gravité feinte et moqueuse.

Sérieusement, par Hercule, réponds-moi maintenant, je te prie. Quel est ton salaire? combien Pseudolus te donne-t-il pour ton rôle?

HARPAX.

Qu'est-ce que c'est que Pseudolus ?

BALLION.

Ton maître en fait d'intrigue, l'intrigant qui t'a stylé pour venir me souffler Phénicie.

HARPAX.

De quel Pseudolus, de quelles intrigues parles-tu ? Je ne sais pas seulement de quelle couleur est cet homme.

BALLION, avec menace.

Veux-tu t'en aller? il n'y a rien à gagner ici au jourd'hui pour les sycophantes. Va raconter à Pseudolus que le butin est enlevé, qu'un autre Harpax à pris les devants.

HARPAX.

C'est moi, par Pollux, qui suis Harpax.

BALLION.

C'est-à-dire, par Pollux, que tu prétends l'être. ( A Simon) Voilà un pur et franc imposteur.

HARPAX.

Ne t'ai-je pas donné l'argent ? Et en arrivant tantôt j'ai remis à ton esclave, ici, devant la maison, ma lettre de crédit, la missive du militaire avec le cachet qui porte son image.

BALLION.

Tu as donné ta lettre à mon esclave? quel esclave ?

HARPAX.

Syrus

BALLION.

Il n'est pas ferme ; il compose mal ses contes, ce mau­ vais sycophante : car le véritable Harpax m'a remis lui-même la lettre.

HARPAX, avec un accent d'indignation et de vérité.

C'est moi qui m'appelle Harpax ; je suis l'esclave du militaire macédonien, je ne fais point de tours de sy­cophante, ni de friponneries, je ne connais point ton Pseudolus, je ne sais de qui tu parles.

SIMON, à Ballion, ironiquement

Prostitueur, ou je serais étonné, ou la fille est perdue pour toi.

BALLION, troublé.

Par Pollux, c'est ce que je crains de plus en plus, à mesure que je l'écoute.

SIMON.

Et moi , par Pollux, je me suis senti le cœur transi tout à l'heure, au nom de ce Syrus qui a reçu la lettre de crédit. Il y a quelque chose d'extraordinaire. C'est du Pseudolus.. ( A Harpax) Dis, quelle est la figure de celui à qui tu as remis la lettre?

HARPAX.

C'est un rousseau, qui a un gros ventre, les jambes fortes, la peau brune, une grosse tête, l'œil vif, le teint enluminé, de très grands pieds.

SIMON.

Voilà le coup de grâce ! à ces grands pieds je recon­nais Pseudolus; c'est lui-même,

BALLION.

C'est fait de moi ; je me meurs, Simon.

HARPAX.

Par Hercule, je ne te laisserai pas mourir avant que tu m'aies rendu l'argent, les vingt mines.

SIMON.

Et vingt autres à moi aussi.

BALLION.

Tu me prendrais cette somme que j'ai promise pour rire?

SIMON.

Tout ce qu'on peut prendre à des coquins, est bien pris, bien gagné.

BALLION.

Livre-moi Pseudolus du moins.

SIMON.

Que je te livre Pseudolus ? Est-ce qu'il est en faute ? ne t'avais-je pas averti cent fois de prendre garde à lui ?

BALLION.

Il me perd.

SIMON.

Et moi, il me met à l'amende de vingt mines tout juste.

BALLION.

Que faire?

HARPAX.

Quand tu m'auras rendu mon argent, pends-toi.

BALLION.

Que les dieux t'exterminent. Suis-moi donc, viens au forum, que je te paye.

HARPAX.

Je te suis.

BALLION.

Je paierai aujourd'hui les étrangers; demain ce sera le tour des citoyens. Pseudolus a rendu contre moi sen­ tence capitale en comices par centuries, lorsqu'il m'a dépêché le fourbe qui m'a enlevé Phénicie. Suis-moi. ( Aux spectateurs) N'attendez pas que je rentre par ici chez moi : après l'affaire d'aujourd'hui, je veux prendre les rues de traverse.

HARPAX.

Si tu marchais autant que tu parles, tu serais déjà au forum.

BALLION.

C'en est fait, je changerai mon jour de naissance en un jour funèbre. (il sort avec Harpax.)

Scène 8

SIMON, seul.

Je l'ai bien attrapé, et l'esclave a bien attrapé son ennemi. Je veux maintenant m'apprêter à recevoir Pseu­dolus autrement qu'il n'est d'usage dans les comédies, où la réception se fait avec des aiguillons et des fouets. Moi, au lieu de supplice, je préparerai les vingt mines que je lui avais promises en cas qu'il réussît, et, sans attendre qu'il les demande, je les lui offrirai. C'est un mortel bien habile, bien astucieux, bien malin ; Pseudolus, a surpassé le Troyen Dolon, et Ulysse avec lui. Je vais chez moi chercher l'argent et j'attendrai Pseudolus.

Acte V

Scène 1

PSEUDOLUS, seul; il entre en chancelant, ses habits en désordre, une couronne de fleurs posée de travers sur sa tête.

Qu'est-ce à dire, mes jambes ? est-ce comme cela que l'on se comporte? vous tiendrez-vous, ou non ? Voulez-vous que je m'étende par terre pour qu'on me ramasse? Si je tombe, la honte en sera pour vous. Avancez donc en avant. Ah! il faudra que je me fâche aujourd'hui . Le vin a un grand défaut , il commence par donner le croc-en-jambe, ce n'est pas un lutteur loyal. Ma foi, je m'en vais bien trempé, par Pollux. Nous avons eu une chère très soignée, un service élégant, ah ! et dans une jolie maison ; le joli festin ! Mais faut-il tant de périphrases pour dire que c'est là ce qui fait aimer la vie. Là sont tous les plaisirs, toutes les délices; c'est presque le bonheur des dieux. Car lorsque amant tient en ses bras son tendron, et colle ses lèvres sur les lèvres de la belle, lorsqu'ils s'appréhendent au corps l'un l'autre comme gens à deux langues pris en flagrant délit, et qu'une poitrine est pressée par une autre poitrine ou si vous aimez mieux, lorsque leurs personnes se servent mutuellement de doublure. Et puis, une blanche main qui présente la coupe délicieuse avec le salut d'amour tendre. Pas d'ennuyeux, pas d'importuns, pas de sots bavardages; des huiles parfumées, des odeurs, des rubans, des couronnes brillantes qui sont offertes. En général, pour ce qui est de bien vivre, on n'avait rien épargné. Ne m'en demandez pas davantage. Voilà comme le jour s'est passé fort gaîment pour moi et pour mon jeune maître, après que j'eus tout achevé au gré de mes vœux, et que j'eus mis en déroute l'ennemi. Je les ai laissés à table auprès de leurs maîtresses, et la mienne avec eux, buvant, faisant l'amour, se livrant au plaisir, à la joie. Mais quand je me suis levé, ils m'ont prié tous de danser. Pour les contenter, je leur ai donné un échan­tillon de mon talent, un pas comme cela (Il danse ridicu­ lement). Car je suis un habile de l'école ionique. Et puis, je me suis drapé avec grâce, j'ai pris une allure légère et folâtre (Il saute plus vivement). On crie bravo! bis! Je recommence, je me mets à tourner ainsi; et en même temps je me penchais vers ma bonne amie pour qu'elle m'embrassât. Mais au milieu de mes pirouettes, me voilà par terre. Cet accident a enterré le spectacle. Mon pauvre manteau ! en faisant un effort, pspsit! je l'ai sali. Ma chute les a bien amusés toujours. Ils m'ont présenté une coupe, j'ai bu et j'ai changé tout de suite de manteau, j'ai laissé le mien, et je sors pour dissiper les fu­ mées du vin. Je quitte le fils et viens réclamer auprès du père l'exécution de nos traités. (Il frappe à la porte de Simon) Ouvrez, ouvrez. Holà ! quelqu'un; qu'on dise à Simon que je suis ici.

Scène 2

SIMON, PSEUDOLUS, plus tard BALLION.

SIMON.

C'est la voix d'un franc maraud qui m'appelle, (Regardant Pseudolus) Mais quoi ? comment? toi-même! Que vois-je?

PSEUDOLUS.

Pseudolus ton serviteur, avec la couronne sur la tête et les jambes avinées.

SIMON.

C'est comme s'il était libre, par Hercule. Voyez sa tournure! Ma présence l'intimide-t-elle? (A part) Mais j'y pense ; faut-il lui parler sévèrement, ou avec douceur ? Ce que je tiens là (montrant un sac d'argent) m'inter­ dit la violence ; car je n'y renonce pas tout à fait.

PSEUDOLUS, saluant Simon..

Le vaurien se présente à l'honnête homme.

SIMON, avec une douceur affectée.

Que les dieux te conservent, Pseudolus. (Pseudolus approche son visage de celui de Simon) Fi ! va-t'en au gibet (Il le repousse).

PSEUDOLUS.

Pourquoi donc me brusquer?

SIMON

Eh peste ! tu viens me lâcher un rot d'ivrogne dans le nez.

PSEUDOLUS

Doucement, remets-moi en équilibre, prends garde que je ne tombe. Tu ne vois pas que je me suis humecté comme il faut?

SIMON

Quelle est cette audace ? te montrer ivre et avec une
couronne pendant le jour.

PSEUDOLUS

C'est ma fantaisie.

SIMON

Comment, ta fantaisie ? (Repoussant Pseudolus avec dégoût) encore, tu m'envoies des bouffées !

PSEUDOLUS

Laisse, laissé donc, c'est de la rosé que mon ha­ leine.

SIMON

Coquin, tu serais capable, j'en suis sûr, d'avaler en une heure quatre des plus abondantes vendanges des coteaux de Massique.

PSEUDOLUS

Et dans une heure d'hiver encore.

SIMON.

L'observation n'est pas mauvaise. Mais puis-je savoir de quel port tu viens avec un tel chargement?

PSEUDOLUS

J'ai fait bombance avec ton fils. Mais comme j' ai attrapé joliment le prostitueur ! (Prenant un ton de persiflage pour faire entendre que sa gageure est gagnée) Hein, Simon, n'ai-je pas tenu parole?

SIMON, devinant l'intention de Pseudôlus.

Tu te moques? C'est un grand coquin.

PSEUDOLUS

J'ai fait si bien que la donzelle est libre et qu'elle dîne avec ton fils.

SIMON, sur le ton d'un homme qui s'avoue vaincu.

Oui, tout s'est accompli exactement.

PSEUDOLUS

Que tardes-tu donc à me donner l'argent ?

SIMON

Tu es dans ton droit, je le confesse, tiens (Il lui présente le sac).

PSEUDOLUS, d'un air goguenard.

Tu disais que tu ne me le donnerais pas ; tu me le donnes cependant. Place-le sur cette épaule, et viens par ici avec moi.

SIMON.

Que je le place sur ton épaule, moi?

PSEUDOLUS.

Toi-même, tu le placeras, j' en suis certain.

SIMON.

Que mérite-t-il, ce drôle? il me prend mon a rgent, et se moque de moi.

PSEUDOLUS

Makheur aux vaincus!

SIMON, prenant son parti.

Allons, tends ton épaule (Il met le sac sur l'épaule de Pseudolus. Dans ce moment Ballion arrive d'un air piteux) .

BALLION, à genoux devant Pseudolus.

Jamais je n'aurais cru devenir ainsi ton suppliant. (Il pleure)

Ah ! ah ! ah !

PSEUDOLUS, d'un air superbe.

Finis.

BALLION.

Je souffre.

PSEUDOLUS

J'aurais à souffrir si tu ne souffrais pas.

BALLION.

Comment ! tu prendras cet argent à ton maître, Pseudolus ?

PSEUDOLUS.

Avec beaucoup de plaisir et beaucoup de joie.

BAILLON.

Si tu voulais m'en remettre une partie? Je t'en prie.

PSEUDOLUS

Je sais, tu m'appeleras avare. (montrant le sac) il ne sortira pas de là une obole a ton profit. Tu n'aurais pas pitié de moi si j'avais échoué aujourd'hui.

BALLION, se relevant avec colère.

Je me vengerai quelque jour, si les dieux me prêtent vie.

PSEUDOLUS.

Tu veux m'effrayer ? mon dos est là.

BALLION.

Eh bien ! adieu donc. (Il va pour sortir)

PSEUDOLUS.

Reviens,

BALLION.

Pourquoi revenir?

PSEUDOLUS;

Reviens toujours; tu ne perdras pas ta peine.

BALLION.

Me voici.

PSEUDOLUS.

Pour aller boire avec moi.

BALLION .

Boire, moi?

PSEUDOLUS.

Obéis. Si tu viens, tu auras moitié de ceci, et même plus.

BALLION.

J'y vais ; conduis-moi où tu voudras.

PSEUDOLUS.

Eh bien, Simon, à présent gardes-tu rancune à moi, à ton fils, pour tout ce qui s'est passé ?

SIMON.

Pas du tout.

PSEUDOLUS, à Ballion.

Viens ici.

BALLION.

Je te suis. Pourquoi n'invites-tu pas en même temps les spectateurs?

PSEUDOLUS.

Nous ne sommes pas dans l'usage, eux et moi, de nous faire des invitations. (Au public) Mais si vous voulez applaudir et donner votre approbation à la co­médie et à la troupe, je vous inviterai demain.

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