DESCRIPTION DE LA TERRE

par

Pomponius Mela

Traduction : Louis Baudet, La géographie de Pomponius Mela. Paris, Panckoucke, 1843

 

 

LIVRE I.

AVANT-PROPOS.

Je veux faire une description du globe, ouvrage épineux et aride, qui ne consiste guère qu’en une longue nomenclature de peuples et de lieux, dont l’énumération assez compliquée est plus laborieuse que susceptible des ornements du style; toutefois, c’est une matière vraiment digne d’être étudiée et connue, et dont l’importance peut amplement dédommager le lecteur de la sécheresse de la narration. Avant d’entrer dans une description détaillée, je commencerai par des généralités faciles à saisir. Ainsi, je parlerai d’abord de la forme de la terre, de ses parties principales, de leur nature et de leurs habitants; ensuite, revenant sur mes pas, je décrirai successivement toutes les côtes, tant celles que baignent les mers intérieures, que celles qu’embrasse l’Océan dans son vaste contour, en ajoutant à cette description les particularités les plus remarquables de chaque contrée et de chaque peuple. Mais, pour rendre mon tableau plus clair et plus intelligible, j’ai besoin de prendre les choses d’un peu haut.

I. Du monde et de ses parties.

Ce que nous appelons monde et ciel, quelle qu’en soit la nature, forme un tout unique, compris lui-même avec ce qu’il contient dans une seule et même circonférence. On le divise en plusieurs parties: le côté du ciel où le soleil se lève, s’appelle orient ou levant; celui où il se couche, occident ou couchant; le point d’où il luit au milieu du jour, midi; le point opposé, septentrion. La terre, assise au centre du monde, est environnée de tous côtés par la mer, qui la divise encore de l’orient au couchant, en deux parties appelées hémisphères, et distribuées en cinq zones. La zone du milieu est dévorée par la chaleur, tandis que les deux zones qui sont situées, l’une à l’extrémité méridionale, l’autre à l’extrémité septentrionale, sont glacées par le froid. Les autres sont habitables et ont les mêmes saisons, mais dans des temps différents: les Antichthones habitent l’une, et nous l’autre. Celle-là nous étant inconnue, à cause de la plage brûlante qui nous en sépare, je ne puis parler que de la nôtre. Cette zone, qui s’étend de l’orient au couchant, et qui, par suite de cette direction, a dans sa longueur plus d’étendue que dans sa plus grande largeur, est de toutes parts environnée par l’Océan, dont elle reçoit quatre mers: une au septentrion, deux au midi, et la quatrième au couchant. Je parlerai des trois premières en leur lieu. La dernière ouvre les terres en s’y creusant un lit d’abord étroit et qui n’a guère que dix mille pas de largeur; puis, s’étendant et s’élargissant, chasse au loin ses rivages, qui, se rapprochant ensuite l’un de l’autre, presque au point de se réunir, la resserrent dans un espace qui a moins de mille pas; puis elle s’élargit une seconde fois, mais très peu, pour se rétrécir encore plus qu’auparavant; enfin, elle s’étend et s’élargit de nouveau dans un vaste espace, à l’extrémité duquel elle s’unit, par une très petite entrée, un grand lac. Elle est connue dans son ensemble sous la dénomination générale de Notre mer. Nous appelons particulièrement détroit, et les Grecs appellent g-porthmos, l’étroite ouverture par laquelle elle s’introduit dans la terre. Ses autres parties prennent différents surnoms, selon les lieux qu’elle baigne. Où elle se resserre une première fois, c’est l’Hellespont; où elle s’élargit ensuite, c’est la Propontide; où elle se resserre une seconde fois, c’est le Bosphore de Thrace; où elle se déploie de nouveau, c’est le Pont-Euxin; enfin, où elle se mêle à un lac, c’est le Bosphore Cimmérien. Quant à ce lac on l’appelle Méotide. La zone entière est divisée en trois parties par cette mer et deux fleuves célèbres, le Tanaïs et le Nil. Le Tanaïs, qui coule du septentrion au midi, se jette dans le Méotide, à peu près vers le milieu; le Nil, qui coule du midi au septentrion, se jette dans notre mer. Toutes les terres qui s’étendent depuis le détroit jusqu’à ces fleuves, forment d’un côté l’Afrique, et de l’autre l’Europe. La première s’étend jusqu’au Nil; la seconde, jusqu’au Tanaïs. Tout ce qui est au delà s’appelle Asie.

II. Description sommaire de l’Asie.

L’Asie est baignée de trois côtés par l’Océan, qui, changeant de nom selon les lieux qu’il baigne, s’appelle Oriental à l’orient, Indique au midi, Scythique au septentrion. Du côté de l’orient, elle présente un front immense et continu, dont l’étendue égale celle de l’Europe et de l’Afrique ensemble, y compris la mer qui les sépare. A partir de ce point, elle s’étend sans aucune sinuosité jusqu’à l’endroit où l’océan Indien et l’océan Scythique viennent former dans son sein, d’un côté les mers Arabique et Persique, de l’autre la mer Caspienne, qui la rétrécissent dans cette partie. Mais, au delà de ces mers, elle se déploie de nouveau et reprend sa première latitude. Enfin, arrivée à ses bornes occidentales, aux confins de l’Europe, elle entre vers le milieu dans le sein de nos mers, et porte ses deux extrémités latérales, d’un côté jusqu’au Nil, de l’autre jusqu’au Tanaïs. Ses confins, contigus au lit du Nil, descendent, en suivant le cours de ce fleuve, jusqu’à la mer, avec laquelle elle remonte longtemps, jusqu’à ce que, assez forte pour lui résister, elle forme d’abord un golfe très profond, et présente ensuite un vaste front au détroit de l’Hellespont. A partir de ce détroit, elle dévie obliquement vers le Bosphore; puis, après une seconde courbure qu’elle décrit sur le Pont-Euxin, ses confins vont transversalement aboutir à l’entrée du Méotide. Elle embrasse dans son sein ce lac jusqu’au Tanaïs, dont elle devient la rive. Les premiers peuples que l’on rencontre en Asie, à partir de l’orient, sont, dit-on, les Indiens, les Sères et les Scythes. Les Sères habitent à peu près le milieu de cette partie orientale; les Indiens et les Scythes, les extrémités. Ces deux nations, très étendues, n’occupent pas seulement les bords de la mer orientale: les Indiens s’étendent encore au midi, et couvrent sans interruption les bords de la mer Indienne, à l’exception des parties que la chaleur rend inhabitables. De leur côté, les Scythes s’étendent au septentrion sur les bords de l’océan Scythique jusqu’à la mer Caspienne, et aussi loin que le froid est supportable. Immédiatement après l’Inde est l’Ariane, ensuite l’Arie, la Cédroside et la Perside jusqu’au golfe Persique. Ce golfe est environné de nations persanes, et le suivant de peuples arabes. Au-dessous d’eux, tout ce qui reste de l’Asie le long de l’Afrique, est habité par des Éthiopiens. Au nord les Caspianiens, qui confinent à la Scythie, environnent la mer Caspienne; au delà, dit-on, sont les Amazones, et au delà de celles-ci les Hyperboréens. L’intérieur des terres est habité par un grand nombre de peuples divers. Tels sont au-dessus des Scythes et des déserts de la Scythie, les Gandariens et les Paricaniens, les Bactriens, les Sugdiens, les Harmatotrophes, les Comares, les Comaniens, les Paropamisiens, les Dahes; au- dessus de la mer Caspienne, les Chomariens, les Massagètes, les Cadusiens, les Hyrcaniens, les Ibères; au-dessus des Amazones et des Hyperboréens, les Cimmériens, les Cygiens, les Hénioques, les Gorgippiens, les Mosques, les Cercètes, les Torètes, les Arimphéens; et, dans les parties où l’Asie s’avance dans nos mers, les Matianiens, les Tibaréniens, et plusieurs autres peuples dont les noms sont plus connus, tels que les Mèdes, les Arméniens, les Commagéniens, les Maryandins, les Venètes, les Cappadoces, les Gallo-Grecs, les Lycaones, les Phrygiens, les Pisides, les Isauriens, les Lydiens, les Syrociliciens. De même, les nations placées sur la côte méridionale s’avancent aussi dans l’intérieur et occupent les rivages jusqu’au golfe Persique. Au-dessus de ce golfe sont les Parthes et les Assyriens; au-dessus du golfe Arabique, les Babyloniens, et au-dessus des Éthiopiens, les Égyptiens, qui habitent le long du Nil et sur les bords de la mer. Ensuite l’Arabie touche par une petite pointe aux rivages qui suivent. A partir de cette pointe jusqu’à ce golfe dont j’ai parlé plus haut, c’est la Syrie, et, sur les bords de ce golfe, la Cilicie. Plus loin, la Lycie et la Pamphilie, la Carie, l’Ionie, l’Éolide, la Troade, s’étendent jusqu’à l’Hellespont. De l’Hellespont au Bosphore de Thrace, sont les Bithyniens; autour du Pont sont quelques peuples, distingués entre eux par différentes limites, et connus sous le nom général de Pontiques. Sur les bords du lac, sont les Méotiques, et sur les bords du Tanaïs, les Sauromates.

III. Description sommaire de l’Europe.

L’Europe a pour bornes, à l’orient, le Tanaïs, le Méotide et le Pont; au midi, le reste de notre mer; à l’occident, l’océan Atlantique; au septentrion, l’océan Britannique. Ses côtes, d’abord considérées du Tanaïs à l’Hellespont, soit comme formant une des rives de ce fleuve, soit comme suivant le détour que fait le Méotide pour aller jusqu’au Pont, soit comme adjacentes à la Propontide et à l’Hellespont, sont non seulement opposées aux rivages correspondants de l’Asie, mais encore configurées de la même manière. De l’Hellespont au détroit, alternativement rentrantes et saillantes, elles forment trois grands golfes, séparés par trois grandes avances. Au delà du détroit, elles s’étendent vers l’occident, où leur forme est très inégale, surtout au milieu; dans leur direction vers le septentrion, sans deux enfoncements considérables, elles présenteraient presque une ligne droite. Le premier golfe s’appelle mer Égée, le second mer Ionienne, dont la partie intérieure prend le nom de mer Adriatique; le troisième forme la mer que nous nommons Tusque, et que les Grecs appellent Tyrrhénienne. La première contrée de l’Europe est la Scythie, qu’il ne faut pas confondre avec celle dont j’ai déjà fait mention: elle commence au Tanaïs et se termine à peu près au milieu de la côte du Pont. Vient ensuite la Thrace, qui s’étend sur une partie de la mer Égée et confine à la Macédoine; plus loin se montre la Grèce, qui sépare la mer Égée de la mer Ionienne. L’Illyrie occupe un côté de l’Adriatique. L’Italie se prolonge entre cette mer et la mer Tusque. Au fond de la mer Tusque est la Gaule, et au delà l’Hispanie, qui se dirige vers l’occident, et, dans une longue étendue, vers le nord et le midi. Au delà on rencontre encore la Gaule, qui, des bords de notre mer, se prolonge au loin dans la direction septentrionale. Les Germains sont à la suite, et après eux les Sarmates jusqu’à l’Asie.

IV. Description sommaire de l’Afrique.

L’Afrique est, à l’orient, bornée par le Nil, et des autres côtés par la mer; elle est moins longue que l’Europe, car elle ne correspond pas à toute la longueur de la côte Asiatique ni, par conséquent, à toute l’étendue des rivages de l’Europe. Cependant elle ne laisse pas d’être plus longue que large, même en considérant sa largeur dans le voisinage du Nil, où elle est plus grande que partout ailleurs. A partir de ce fleuve, l’Afrique s’élève, surtout au milieu, en décrivant une courbe d’orient en occident, de sorte que, diminuant en largeur, quoique insensiblement, mais sur un long espace, elle est, à son extrémité, plus étroite qu’en aucun autre endroit. Elle est d’une fertilité merveilleuse dans les régions habitées; mais elle est en grande partie déserte, parce que la plupart de ses contrées sont peu susceptibles de culture, ou couvertes de sables stériles, ou inhabitables à cause de l’aridité du ciel et de la terre, ou infestées d’une multitude d’animaux malfaisants de toute espèce. La mer, dont elle est environnée, se nomme Libyque au septentrion, Éthiopique au midi, Atlantique à l’occident. Dans la partie qui touche à la mer Libyque, on rencontre d’abord, dans le voisinage du Nil, une province appelée Cyrènes; vient ensuite une contrée qui porte en particulier le nom général de la région entière, celui d’Afrique. Le reste de la côte est habité par les Numides et les Maures; ces derniers occupent encore une partie des rivages de la mer Atlantique. Au delà sont les Nigrites et les Pharusiens, jusqu’aux Éthiopiens, qui habitent ce qui reste des bords de cette mer, ainsi que toute la côte méridionale, jusqu’aux confins de l’Asie. Au-dessus des parties baignées par la mer Libyque, sont les Liby-Egyptiens, les Leucoéthiopes, et les Gétules, nation nombreuse et multiple. Plus loin est un vaste désert, entièrement inhabitable, au delà duquel on place, d’orient en occident, d’abord les Garamantes, puis les Augiles et les Troglodytes, et enfin les Atlantes. Dans l’intérieur, s’il faut en croire la renommée, sont des Aegipans, des Blémyes, des Gamphasantes et des Satyres, peuplades errant à l’aventure, sans toits, sans demeures fixes, qui tiennent autant de la bête que de l’homme, et couvrent plutôt la terre qu’ils ne l’habitent. Voilà le tableau général de notre globe, voilà ses principales parties, leurs formes et leurs différents peuples. Maintenant ayant à faire, d’après mon plan, la description détaillée des côtes, je commencerai de préférence par le détroit qui introduit l’océan Atlantique dans nos terres, en suivant les rivages de droite; et après avoir décrit, de proche en proche, les côtes des mers intérieures, je décrirai pareillement celles que baigne l’Océan, en faisant le tour extérieur de la terre; ma tâche sera remplie, lorsqu’après avoir parcouru le globe au dedans comme au dehors, je serai revenu au point d’où j’étais parti.

V. Description détaillée de l’Afrique. Mauritanie.

L’océan Atlantique baigne, comme je l’ai dit, les côtes occidentales de la terre. Si de cet océan on veut pénétrer dans notre mer, on rencontre l’Hispanie à gauche, et la Mauritanie à droite: par l’une commence l’Europe, et par l’autre l’Afrique. La côte de la Mauritanie s’étend jusqu’au Mulucha, depuis un promontoire que les Grecs appellent Ampélusie, nom différent de celui que lui donnent les Africains, quoiqu’ils aient tous deux la même signification. Ce promontoire renferme un antre consacré à Hercule, au delà duquel est Tingé, ville très ancienne, et bâtie, dit-on, par Antée. On rapporte comme une preuve de. cette origine, l’existence d’un bouclier fait de cuir d’éléphant, et d’une telle grandeur qu’il ne pourrait aujourd’hui convenir à personne. Les habitants du pays tiennent et donnent pour certain qu’il fut porté par ce géant, ce qui le rend pour eux l’objet d’une vénération toute particulière. Plus loin est une très haute montagne, qui fait face à celle qui s’élève sur la côte opposée de l’Hispanie: l’une se nomme Abyla, l’autre Calpé, et toutes deux ensemble les colonnes d’Hercule. La fable ajoute qu’autrefois ces deux montagnes n’en faisaient qu’une, qui fut divisée par Hercule; et qu’ainsi l’Océan, jusqu’alors arrêté par cette barrière, trouva un passage pour se répandre dans les lieux qu’il inonde aujourd’hui. A partir de ce point, la mer s’élargit et se déploie avec une grande impétuosité entre deux rives lointaines. Du reste, la Mauritanie est une contrée qui ne réveille aucun souvenir et n’a presque rien de remarquable: on n’y voit que de petites villes, de petites rivières, et son sol vaut mieux que ses habitants, que leur inertie tient ensevelis dans l’obscurité. Cependant on peut citer les hautes montagnes qui, rangées par ordre et comme à dessein les unes à la suite des autres, sont appelées les Sept Frères, à cause de leur nombre et de leur ressemblance; ensuite le fleuve Tamuda, les petites villes de Rusigada et de Siga, et un port que son étendue a fait appeler le Grand-Port. Quant au Mulucha, dont j’ai parlé, c’est un fleuve qui, après avoir autrefois servi de limite aux royaumes de Bocchus et de Jugurtha, ne distingue plus aujourd’hui que les nations qu’ils avaient sous leur puissance.

VI. Numidie.

La Numidie s’étend des rives du Mulucha à celles de l’Ampsaque; elle est moins grande que la Mauritanie, mais plus cultivée et plus riche. Ses villes les plus considérables sont Cirta, assez loin de la mer, qui, autrefois séjour des rois, et très opulente sous Syphax, est aujourd’hui habitée par une colonie de Sittianiens; Iol, sur le bord de la mer, qui, jadis obscure, est aujourd’hui illustre, tant pour avoir été le siège du royaume de Juba, que par son nom actuel de Césarée. En deçà de cette dernière ville, qui est située presque au milieu de la côte, on rencontre les petites villes de Cartinna et d’Arsinna, le fort Quiza, le golfe Laturus et le fleuve Sardabale. Au delà on rencontre un tombeau consacré à la sépulture de la famille royale, puis les villes d’Icosium et de Ruthisie, entre lesquelles coulent le Savus et le Nabar, et quelques autres lieux peu mémorables dont on peut se dispenser de parler. Dans l’intérieur, et à une distance assez considérable de la mer, ou trouve, dit-on, dans des campagnes stériles et désertes, si toutefois la chose est croyable, des arêtes de poissons, des débris de coquilles et de murex, des rochers qui paraissent avoir été rongés par les flots, comme ceux qu’on voit au sein des mers, des ancres incrustées dans des montagnes, et beaucoup d’autres signes et vestiges de l’ancien séjour de la mer dans ces terres lointaines.

VII. Afrique proprement dite.

La contrée qui s’étend ensuite du promontoire Métagonium aux autels des Philènes, a proprement le nom d’Afrique. On y rencontre d’abord Hippone Royale, Rusicade et Thabraca; puis, trois vastes promontoires, qu’on appelle cap Blanc, cap d’Apollon, cap de Mercure, et qui forment dans leurs intervalles, deux grands golfes. Le premier se nomme golfe d’Hippone, de la ville du même nom, située sur ses bords, et surnommée pour cela Diarrhyte. Sur les bords du second, on remarque l’assiette des camps de Lelius et de Cornelius, le fleuve Bagrada, les villes d’Utique et de Carthage, toutes deux célèbres, et toutes deux bâties par les Phéniciens: l’une est fameuse par la fin tragique de Caton, et l’autre, fameuse par la sienne, n’est plus aujourd’hui qu’une colonie du peuple romain, après en avoir été la rivale obstinée. Quelle que soit l’opulence qu’elle a recouvrée depuis, elle est encore aujourd’hui plus célèbre par la ruine de sa puissance passée, que par la splendeur de son état présent. De là jusqu’à la Syrte, on rencontre, sur le même rivage, Hadrumète, Leptis, Clupée, Macomades, Thènes, Néapolis, villes comparativement célèbres au milieu d’autres villes obscures. Le Syrte est un golfe qui a presque cent mille pas d’ouverture, et trois cent mille pas de circonférence, mais d’un abord très périlleux, moins à cause des écueils et des bas-fonds dont il est parsemé, qu’à cause du flux et du reflux de la mer, qui est continuellement agitée dans ces parages. Au delà est un grand lac qui reçoit le fleuve Triton, et s’appelle Tritonis de là le surnom donné à Minerve, qui passe chez les habitants du pays pour être née sur les bords de ce lac; et ce qui accrédite jusqu’à un certain point cette fable, c’est qu’ils célèbrent le jour auquel ils rapportent la naissance de cette déesse par une fête où les jeunes filles se battent les unes contre les autres. Plus loin sont la ville d’Oea et le fleuve Cinyps, qui arrose des campagnes très fertiles; puis une autre Leptis, et une autre Syrte, semblable à la première par son nom et par sa nature, mais à peu près une fois plus grande en ouverture et en circonférence. Elle commence au cap Borion, d’où s’étend, jusqu’au cap Phycus, une côte qui a été habitée, dit-on, par les Lotophages, et dont les abords sont aussi très dangereux. Les Autels des Philènes sont ainsi appelés du nom de deux frères choisis par les Carthaginois pour l’accomplissement d’une convention faite avec les Cyrénéens, et qui avait pour but de mettre fin à une guerre cruelle, depuis longtemps existante entre les deux peuples à l’occasion de leurs limites respectives. On était convenu de les fixer à l’endroit où se rencontreraient deux coureurs qu’on ferait partir de chaque côté à un moment déterminé. Des contestations s’étant élevées sur l’exécution de ce traité, les Philènes acceptèrent la proposition d’être enterrés vifs à l’endroit où ils voudraient établir leurs limites: dévouement héroïque et bien digne de mémoire !

VIII. Cyrénaïque.

La Cyrénaïque s’étend des limites de l’Afrique propre au Catabathmos, et renferme trois choses remarquables: l’oracle d’Ammon, si célèbre par sa véracité; une fontaine appelée la Fontaine du Soleil, et une certaine roche consacrée à l’Auster. Si l’on s’avise d’y porter la main, aussitôt ce vent se déchaîne avec colère, et, soulevant les sables comme des flots, produit sur la terre les mêmes tourmentes que sur la mer. L’eau de la fontaine, bouillante au milieu de la nuit, s’attiédit peu à peu; et, déjà fraîche au point du jour, elle se refroidit de plus en plus à mesure que le soleil s’élève, de sorte qu’elle est tout à fait glacée à midi; puis, à partir de cette heure, elle se réchauffe de nouveau par degrés, et, déjà tiède au déclin du jour, sa chaleur augmente de plus en plus jusqu’au milieu de la nuit, où elle bout encore à gros bouillons. Sur le rivage, on rencontre les promontoires Zéphyrion et Naustathmos, le port Parétonius, les villes d’Hespérie, d’Apollonie, de Ptolémaïde, d’Arsinoé, et celle de Cyrène, qui a donné son nom à toute la contrée. Le Catabathmos est une vallée qui descend jusqu’à l’Égypte, où elle termine l’Afrique. Tel est l’état des côtes de l’Afrique depuis les colonnes d’Hercule. Les peuples qui les habitent ont adopté en tous points nos mœurs et nos usages, si ce n’est que quelques-uns d’entre eux ont conservé leur langue primitive, ainsi que les dieux et le culte de leurs ancêtres. Ceux qui les suivent immédiatement dans l’intérieur n’ont point de villes, mais se pratiquent une sorte de demeures qu’on appelle "mapalia" (huttes, masures); leur manière de vivre est âpre et malpropre. Les chefs de la nation se couvrent de saies, et le reste du peuple de peaux de bêtes fauves ou de celles de leurs troupeaux; ils n’ont d’autre lit ni d’autre table que la terre; leurs vases sont de bois ou d’écorce; ils ne boivent que du lait et d’une certaine liqueur qu’ils expriment des fruits sauvages; ils ne mangent que de la chair, et le plus souvent de celle des animaux féroces: car, autant qu’ils le peuvent, ils ne touchent pas à leurs troupeaux, qui sont leur seule richesse. Plus loin, ce sont des hommes encore plus grossiers, qui suivent à l’aventure leurs troupeaux dans les pâturages, traînant avec eux leurs cabanes, et passant la nuit dans l’endroit où les ténèbres les surprennent. Quoique distribués en familles éparses, sans lois, sans intérêt commun qui les réunisse, ils ne laissent pas d’être partout assez nombreux, parce que, chaque homme ayant à la fois plusieurs femmes, il en résulte une grande quantité d’enfants et d’agnats. Parmi les peuples qui existent, dit-on, au delà des déserts, sont les Atlantes, qui maudissent le soleil à son lever et à son coucher, comme un astre funeste aux habitants et au pays. Chez eux, les individus n’ont point de nom; ils s’abstiennent de chair, et n’ont point de rêves pendant leur sommeil, comme les autres hommes. Les Troglodytes ne possèdent rien; leur voix rend moins des sons articulés que des cris aigus; ils habitent des cavernes et se nourrissent de serpents. Les Garamantes ont une espèce de bœufs qui, en paissant, inclinent obliquement la tète, parce que leurs cornes, abaissées directement vers la terre, les empêcheraient de paître. Aucun d’eux n’a d’épouse particulière, et, parmi les enfants qui naissent de cette promiscuité, la filiation se règle sur la ressemblance. Les Augiles ne connaissent d’autres dieux que les mânes; ils jurent par eux, les consultent comme des oracles, et, quand ils leur ont adressé quelque vœu, ils se couchent sur des tombeaux et prennent pour réponses les songes qu’ils ont pendant leur sommeil. Suivant une coutume solennelle, leurs femmes s’abandonnent la première nuit de leurs noces à tous ceux qui leur apportent des présents, et plus le nombre en est grand, plus elles sont fières; du reste, une fois quittes envers l’usage, elles sont d’une rare chasteté. Les Gamphasantes vont tout nus, et ne connaissent aucunement l’usage des armes, soit pour se défendre, soit pour attaquer: c’est pour cela qu’ils fuient la rencontre des autres hommes, et qu’ils n’ont de commerce ou d’entretien qu’avec ceux qui ont la même nature. Les Blémyes n’ont point de tête: leur visage est sur leur poitrine. Les Satyres n’ont d’humain que la figure. Les Aegipans ont la forme qu’on leur attribue. Voila ce qui regarde l’Afrique.

IX. Description détaillée de l’Asie. Egypte.

L’Égypte est la première partie de l’Asie: elle s’étend du Catabathmos à l’Arabie, et des bords de notre mer à l’Éthiopie, qui y est adossée et la borne au midi. Quoiqu’il ne pleuve pas en Egypte, la terre y est extraordinairement féconde en fruits, en hommes et en animaux, grâce aux inondations du Nil, le plus grand des fleuves qui se jettent dans notre mer. Ce fleuve, qui sort des déserts de l’Afrique, n’est d’abord ni propre à la navigation, ni connu sous le nom de Nil. Après avoir parcouru dans un même lit, dont la pente est très rapide, une grande étendue de pays, il entre en Éthiopie et s’y divise en deux bras, dont il entoure la grande île de Méroé : l’un s’appelle Astaboras, et l’autre Astape. Ces deux bras se réunissent ensuite, et c’est alors qu’il commence à porter le nom de Nil. De là, tantôt violent et rebelle, tantôt facile et navigable, il se jette dans un lac immense, d’où il sort avec impétuosité pour embrasser une seconde île, appelée Tachompso, et rouler avec violence ses eaux tumultueuses jusqu’à Éléphantine, ville d’Égypte. Seulement alors devenu plus calme et sans danger pour la navigation, il se divise d’abord en trois branches, près de la ville de Cercasore; plus loin, vers les parties de l’Égypte qu’on appelle Delta et Mélis, il se subdivise encore en quatre branches, et, après avoir ainsi traversé tout le pays, vagabond et dispersé, il vient se jeter dans la mer par sept embouchures différentes, mais toutes d’une largeur considérable. Au reste, le Nil ne se borne pas à parcourir l’Égypte, il déborde encore et l’inonde au solstice d’été, et ses eaux sont si fécondantes et si nutritives, qu’outre qu’elles fourmillent de poissons et produisent même des animaux d’une grosseur prodigieuse, tels que l’hippopotame et le crocodile, elles animent jusqu’à la terre et en forment des êtres vivants: la preuve en est, qu’à la suite des inondations, et lorsque le fleuve est rentré dans son lit, on trouve dans les plaines encore humides certains animaux dont l’organisation ébauchée présente une portion de terre faisant corps avec la partie vivante et animée. Les débordements du Nil proviennent, soit de la fonte des neiges qui couvrent les hautes montagnes de l’Éthiopie, et, dans les grandes chaleurs, découlent dans ce fleuve avec une telle abondance, que son lit ne peut les contenir; soit de ce que le soleil, qui est, en hiver, plus rapproché de la terre, et diminue par son attraction le volume des eaux du Nil, remonte en été dans une région plus élevée, et le laisse alors couler dans toute sa plénitude; soit de ce que, dans cette saison, les vents Étésiens poussent du septentrion au midi des nuages qui se résolvent en pluie dans les lieux où il prend sa source, ou que, soufflant dans un sens contraire au cours de ce fleuve, ils repoussent ses eaux et les empêchent de descendre, ou qu’ils obstruent ses embouchures par des sables qu’ils chassent avec les flots de la mer vers le rivage. En un mot, le Nil grossit, ou parce qu’il ne perd rien, ou parce qu’il reçoit plus qu’à l’ordinaire, ou parce qu’il donne moins à la mer qu’il ne doit lui donner. S’il existe vraiment au delà de la zone torride une terre correspondante à celle que nous habitons, on peut croire encore, sans trop blesser la vraisemblance, que, prenant sa source dans cette contrée inconnue et passant au-dessous des mers intermédiaires par un lit souterrain, il reparaît ensuite dans notre hémisphère, et s’y gonfle au temps du solstice, par la raison que le pays d’où il vient a l’hiver à la même époque. L’Égypte présente encore d’autres merveilles: on y voit une île, appelée Chemmis, sur laquelle s’élève, au milieu de forêts et de bois sacrés, un grand temple d’Apollon, errer dans un lac au gré des vents. On y trouve des pyramides construites avec des pierres de trente pieds chacune, et dont la plus grande, car elles sont au nombre de trois, a presque quatre arpents de largeur à sa base, sur autant de hauteur. Le lac Moeris, autrefois terre ferme, a vingt mille pas de circonférence, et. assez de profondeur pour porter de gros vaisseaux de charge. Le labyrinthe, ouvrage de Psammetichus, renferme trois mille maisons et douze palais dans une enceinte continue de murailles; il est fait et couvert de marbre; il n’a qu’une seule entrée, mais cette entrée se divise en une multitude presque innombrable de routes, qui se croisent, s’embrouillent et s’égarent en mille détours, pour aboutir sans cesse à des portiques; et ces portiques, tantôt décrivant des orbes les uns autour des autres, tantôt ramenant au point d’où on était parti, jettent le voyageur dans une perplexité d’où il ne se tire qu’avec la plus grande peine. Les Égyptiens ont des usages tout à fait contraires à ceux des autres peuples. Ils se couvrent de boue dans les funérailles. Ils regardent comme une profanation de brûler ou d’enterrer les morts; mais ils les embaument et les déposent dans l’intérieur des édifices. Ils écrivent de droite à gauche. Ils pétrissent la boue avec les mains, et la farine avec les pieds. Les femmes vont sur la place et font les affaires; les hommes gardent la maison et veillent aux menus soins du ménage. Celles-là portent les fardeaux sur les épaules, et ceux-ci sur la tête; celles-là sont forcées de nourrir leurs parents dans l’indigence, ceux-ci peuvent s’en dispenser. Ils prennent leurs repas en public et hors de leurs maisons; mais ils y rentrent pour satisfaire à certains autres besoins naturels. Ils adorent, suivant la différence des lieux, les effigies d’un grand nombre d’animaux, mais plus encore les animaux eux-mêmes: de sorte qu’il y en a que c’est un crime capital de tuer, même involontairement, et quand ils meurent de maladie ou d’accident, on les ensevelit et on les pleure avec solennité. Le bœuf Apis est l’objet d’un culte commun à tous les peuples de l’Égypte; il est noir et marqué de certaines taches déterminées; sa langue et sa queue diffèrent de celles des autres bœufs. Sa naissance est un prodige rare: on prétend même qu’il n’est pas le fruit d’un accouplement ordinaire, mais que sa mère le conçoit surnaturellement d’un rayon du feu céleste; et le jour de sa naissance est pour l’Égypte un grand jour de fête. Les Égyptiens se vantent d’être le plus ancien peuple de la terre, et de posséder des annales authentiques, qui font mention de trois cent trente rois antérieurs à Amasis, et remontent à plus de treize mille ans. On y lit encore que, depuis qu’ils existent, le cours des astres a quatre fois changé de direction, et que le soleil s’est couché deux fois où il se lève actuellement. L’Égypte avait vingt mille villes sous le règne d’Amasis, et en compte encore beaucoup aujourd’hui. Les plus célèbres dans l’intérieur sont Saïs, Memphis, Syène, Bubastis, Éléphantis et Thèbes. Cette dernière est fameuse, suivant Homère, par ses cent portes, par chacune desquelles elle pouvait, au besoin, faire sortir dix mille soldats; ou, suivant d’autres, par cent palais, autrefois habités par autant de princes. Sur le bord de la mer, on distingue encore Alexandrie, qui touche à l’Afrique, et Péluse, qui touche à l’Arabie. La côte est coupée par les sept bouches, du Nil, connues sous les noms de Canopique, Bolbitique, Sébennytique, Pathmétique, Mendésienne, Cataptyste et Pélusiaque.

X. Arabie.

De cette extrémité de l’Égypte, l’Arabie s’étend jusqu’à la mer Rouge. Cette contrée, agréable et fertile dans ses parties méridionale et orientale, où elle abonde en encens et autres parfums, n’offre du côté de notre mer qu’un terrain stérile et plat, dont la monotonie n’est interrompue que par le mont Casius. Azot est, du même côté, le port où les Arabes viennent particulièrement faire trafic de leurs marchandises. Le mont Casius a tant d’élévation, que l’illumination de son sommet annonce dès la quatrième veille le lever du soleil.

XI. Syrie.

La Syrie s’étend au loin sur le bord de la mer, et plus encore dans l’intérieur des terres: elle prend çà et là des noms différents. Dans l’intérieur, on l’appelle Coelé, Mésopotamie, Damascène, Adiabène, Babylonie, Judée et Commagène; ici Palestine, sur les confins de l’Arabie; là Phénicie; et, sur les confins de la Cilicie, Antiochie. Elle fut autrefois puissante, et pendant une longue suite d’années, mais surtout sous la domination de Sémiramis. Parmi les nombreux et magnifiques travaux qui ont immortalisé le nom de cette reine, il en est deux qui l’emportent de beaucoup sur tous les autres : la construction de Babylone, ville d’une merveilleuse grandeur; et cette multitude de canaux qui distribuèrent à des régions auparavant arides les eaux de l’Euphrate et du Tigre. Cependant la Palestine possède Gaza, ville grande et très fortifiée, ainsi appelée d’un mot qui, dans la langue les Perses, signifie trésor, parce que Cambyse, allant faire la guerre à l’Égypte, y avait déposé sa caisse et ses approvisionnements militaires; Ascalon, qui n’est pas moins importante, et Jopé, bâtie, dit-on, avant le déluge. Les habitants de cette dernière ville prétendent que Céphée y régna autrefois, par la raison que d’anciens autels, qui sont chez eux l’objet d’un culte particulier, portent encore le titre de ce prince et celui de son frère Phinée; ils font voir en outre les ossements prodigieux d’un monstre marin, comme une preuve indubitable de la délivrance d’Andromède par Persée, événement si fameux dans la poésie et la fable.

XII La Phénicie

La Phénicie doit sa célébrité à ses habitants, nation ingénieuse et également supérieure dans les travaux de la guerre et de la paix. Ils inventèrent les caractères alphabétiques et leurs divers usages, ainsi que plusieurs autres arts; ils enseignèrent à courir les mers et à se battre sur des navires, à commander aux nations: également puissants au dehors et au dedans. C’est dans la Phénicie que se trouve Tyr, qui formait autrefois une île, et tient aujourd’hui au continent par une jetée que fit construire Alexandre lorsqu’il assiégeait cette ville. Près de Tyr, et au delà de quelques bourgades, est Sidon, ville encore florissante et qui, avant de tomber au pouvoir des Perses, tenait le premier rang parmi les villes maritimes. De là jusqu’au promontoire Euprosopon on rencontre deux petites villes, Byblos et Botrys, et, au delà de ce promontoire, un lieu appelé Tripolis, à cause de trois villes qui y existaient jadis, à un stade l’une de l’autre. Plus loin est le fort Simyra, et une ville qui n’est pas sans célébrité, Marathos. A partir de ce point, la côte d’Asie, cessant de longer obliquement la mer, la regarde de face; et forme, en repliant peu à peu ses rivages sur elle-même, un golfe d’une étendue considérable. Les bords de ce golfe sont habités par des peuples riches, qui doivent leur opulence à leur situation dans un pays fertile et entrecoupé d’une multitude de fleuves navigables, qui leur fournissent les moyens d’échanger facilement les différentes productions de la mer et de là terre, et de faire un double commerce. Le premier pays que l’on rencontre sur ce golfe, est ce reste de la Syrie auquel on a donné le surnom d’Antiochie, et dont les villes maritimes sont Séleucie, Paltos, Béryte, Laodicée, Rhosos. Trois fleuves coulent entre ces villes: le Lycos, le Baudos et l’Oronte; puis vient le mont Amanus, et immédiatement après la ville de Myriandros, qui touche à la Cilicie.

XIII. Cilicie.

Au fond du golfe dont je viens de parler, est un lieu qui fut autrefois le théâtre d’une grande bataille, et le témoin de la défaite des Perses par Alexandre et de la fuite de Darius: c’est là que florissait Issus, qui aujourd’hui n’est plus rien, et d’où le golfe a pris le nom d’Issique. Loin de ce lieu s’élève le promontoire Ammodes, entre les embouchures du Pyrame et du Cydnus: le Pyrame, plus voisin d’Issus, baigne les murs de Mallos; le Cydnus, qui en est plus éloigné, se jette dans la mer en sortant de Tarse. Ensuite est une ville anciennement habitée par des Rhodiens et des Argives, et depuis par de pirates qui y furent relégués par Pompée; d’abord appelée Soles, c’est aujourd’hui Pompéiopolis. Auprès, sur une petite éminence, est le tombeau du poète Aratus, qui a cela de remarquable que les pierres qu’on y jette se brisent en éclats, sans qu’on ait pu découvrir la cause de ce phénomène. Un peu plus loin est la ville de Corycos, située sur une presqu’île, au pied de laquelle la mer forme un port; au-dessus est un antre appelé l’antre de Corycos, d’une nature si singulière et si extraordinaire, qu’il n’est rien moins que facile d’en faire la description. Cet antre présente une immense ouverture sur le sommet d’une montagne, dont la pente est assez rapide, et qui domine la mer à une hauteur de dix stades. De ce point il s’enfonce à une profondeur considérable, et s’élargit à mesure qu’il descend, environné par étages d’arbres toujours verts, dont les branches inclinées l’enveloppent dans toute la spirale d’un feuillage épais. Le charme de cette merveilleuse solitude est tel, que le curieux qui la visite est, en entrant, frappé de stupeur, et ne peut, une fois qu’il s’est familiarisé avec l’aspect du lieu, rassasier ses regards et son admiration. On n’y peut descendre que par un sentier étroit et difficile, long de quinze cents pas, à travers des ombrages frais et touffus, d’où s’échappe un certain bruit sauvage qui se mêle au murmure de mille ruisseaux qui serpentent çà et là. Quand on est arrivé au fond de cet antre, on en découvre un second, remarquable par d’autres merveilles: on est épouvanté, en y entrant, par un bruit éclatant de cymbales, qui semblent s’entrechoquer par l’effet d’une puissance surnaturelle; il est éclairé jusqu’à une certaine distance, après quoi il s’obscurcit à mesure qu’on avance, et conduit ceux qui osent s’engager dans ces ténèbres, à une gorge étroite et profonde. Là un large fleuve, qui ne fait, pour ainsi dire, que paraître, s’échappe d’une large source, et après avoir parcouru avec impétuosité un assez court espace, s’abîme et disparaît. L’intérieur de cette gorge est si effroyable, que personne n’ose y pénétrer: aussi ignore-t-on où elle aboutit. Au reste, cette solitude a, dans toutes ses parties, un caractère auguste et vraiment sacré, et digne d’être, comme on croit qu’elle l’est en effet, le séjour des dieux: tout y commande le respect, tout y est religieux et divin. Plus loin est encore une troisième caverne, appelée la caverne de Typhon; elle est étroite d’ouverture, et, au rapport de ceux qui y ont pénétré, extrêmement basse: ce qui fait qu’elle est toujours obscure et qu’on ne peut aisément en connaître l’intérieur; mais elle est remarquable sous deux rapports: elle fut autrefois, suivant la fable, la retraite de Typhon, et aujourd’hui, par une propriété naturelle, elle tue à l’instant les animaux qu’on y plonge. Au delà de la montagne sont deux promontoires: l’un, appelé Sarpédon, fut jadis la limite du royaume de Sarpédon; l’autre, appelé Anemurium, sépare la Cilicie de la Pamphylie. Entre ces deux promontoires sont les colonies samiennes de Celenderis et de Nagidos; la première est la plus voisine du cap Sarpédon.

XIV. Pamphylie.

On rencontre d’abord, dans la Pamphylie, le Mélas, fleuve navigable, la petite ville de Sida, et l’Eurymédon, autre fleuve, près de l’embouchure duquel Cimon, commandant la flotte athénienne, remporta une victoire navale sur les Phéniciens et les Perses. L’endroit de la mer où se livra le combat est dominé par une colline très élevée, sur laquelle est située Asendos, bâtie par des Argives, et ensuite occupée par des peuples du voisinage. Plus loin sont deux autres fleuves très considérables: le Cestros, d’une navigation facile, et le Catarractes, ainsi nommé parce qu’il se précipite du haut d’un rocher. Entre ces deux fleuves est la petite ville de Perga, et un temple consacré à Diane, qui a pris de cette ville le surnom de Pergée. Au delà sont le mont Sardemisos, et Phaselis, fondée par Mopsus, à l’extrémité de la Pamphylie.

XV. Lycie.

La Lycie fait suite à la Pamphylie. Cette contrée, ainsi nommée du roi Lycus, fils de Pandion eut, dit-on, beaucoup à souffrir autrefois des éruptions volcaniques du mont Chimère; elle est située sur un grand golfe, qui s’étend entre le port de Sida et un promontoire formé par le Taurus. Le Taurus commence à la côte orientale de l’Asie, où sa hauteur est déjà assez considérable; ensuite il pousse deux branches, l’une à droite vers le septentrion, l’autre à gauche vers le midi, tandis qu’il se prolonge en ligne directe et sans aucune interruption vers l’occident, à travers de grandes nations, que sa chaîne élevée sépare les unes des autres. Après avoir ainsi partagé les terres, il avance dans notre mer. Ce mont, connu dans son ensemble sous le nom général de Taurus, est proprement appelé de ce nom du côté de l’orient; ailleurs, on l’appelle diversement Hémodes, Caucase, Paropamise, portes Caspiennes, Niphates, portes Arméniennes, jusqu’à ce qu’enfin il reprenne, dans le voisinage de notre mer, son nom propre de Taurus. Au delà du promontoire qu’il forme sur cette côte, ont rencontre le fleuve Limyra, une cité du même nom, et un grand nombre de petites villes qui n’ont rien de remarquable, à l’exception de Patara: cette ville est célèbre par un temple d’Apollon, qui jadis ne le cédait en rien à celui de Delphes, soit pour ses richesses, soit pour l’autorité de ses oracles. Plus loin sont le fleuve Xanthus, la petite ville de Xanthos, le mont Cragus, et la ville de Telmessos, ou se termine la Lycie.

XVI. Carie.

Vient ensuite la Carie. L’origine de ses habitants est incertaine: les uns les regardent comme indigènes; selon d’autres, ce sont des Pélasges, ou des Crétois. Ils étaient autrefois tellement passionnés pour les armes et les combats, qu’ils faisaient la guerre pour autrui moyennant un salaire. A la suite de quelques forts, on trouve les promontoires Pédalion et Crya; et, sur les bords du fleuve Calbis, la petite ville de Caunus, tristement connue pour l’état valétudinaire de ses habitants. De là jusqu’à Halicarnasse, on rencontre successivement quelques colonies de Rhodiens; deux ports, entre lesquels sont situées la petite ville de Larumna et la colline Pandion, qui s’avance dans la mer: l’un s’appelle Gélos, et l’autre Tisanusa, du nom d’une ville placée sur ses bords; trois golfes rangés à la suite l’un de l’autre, sous les noms de Thymnias, Schoenus et Bubassius: le premier se termine au promontoire Aphrodisium, le second baigne Hyla, et le troisième, Cyos; enfin Cnide, sur la pointe d’une presqu’île, et Euthane, située dans un enfoncement entre Cnide et le golfe Céramique. Halicarnasse, fondée par une colonie d’Argives, outre la célébrité de son origine, est encore fameuse par le tombeau du roi Mausole, une des sept merveilles, ouvrage d’Artémise. Au delà de cette ville on voit une côte appelée Leuca, les villes de Myndos, Caryanda, Neapolis, les golfes Iasius et Basilicus. Sur le golfe Tasius est Bargylos.

XVII. Ionie.

Au delà du golfe Basilicus est l’Ionie, dont la côte este assez inégale et sinueuse. Sur les bords d’un premier golfe qui commence au promontoire Posidéen, on trouve un oracle, jadis appelé l’oracle d’Apollon Branchide, aujourd’hui l’oracle d’Apollon Didyméen; Milet, qui brillait autrefois entre toutes les villes de l’Ionie par les arts de la paix et de la guerre, et que les noms de l’astronome Thalès, du musicien Timothée, du physicien Anaximandre, et d’autres hommes illustres à qui elle a donné naissance, ont rendue justement célèbre chez tous les peuples qui ont entendu parler de l’Ionie; la ville d’Hippus, près de l’embouchure du Méandre; le Mont Latmus, où la lune devint, dit-on, éperdument amoureuse d’Endymion. Dans un second golfe est la ville de Priène et l’embouchure du Gésus, et comme ce golfe est plus large que le précédent, il renferme aussi un plus grand nombre de lieux et de villes remarquables. Là est le Panionium, lieu sacré, et ainsi nommé parce qu’il est commun à toute la confédération Ionienne; là est Phygela, qui passe pour avoir été bâtie par des fugitifs, ce que son nom semble confirmer; là est Ephèse et son célèbre temple de Diane, qui, suivant la tradition, fut bâti par les Amazones au temps de leur grande puissance en Asie; le fleuve Caystre; la ville de Lebedos; le temple d’Apollon Clarien, érigé par Manto, fille de Tirésias, lorsqu’elle se réfugia dans cette contrée pour se soustraire aux Épigones vainqueurs des Thébains, et Colophon, bâtie par son fils Mopsus. Le promontoire qui ferme ce golfe en ouvre un autre appelé golfe de Smyrne; et, comme il ne tient au continent que par une langue de terre fort étroite, il s’avance dans la mer en forme de presqu’île. Sur l’isthme on trouve d’un côté Téos, et de l’autre Clazomène; ces deux villes, adossées l’une à l’autre, et réunies par un mur commun regardent deux mers différentes. Plus avant dans la presqu’île se trouve Coryna; dans le golfe de Smyrne est l’embouchure du fleuve Hermus et la ville de Leuca. Au delà est Phocée, la dernière ville de l’Ionie.

XVIII. Eolide.

La contrée qui suit l’Ionie, devenue l’Eolide depuis qu’elle est habitée par des Éoliens, était auparavant, la Mysie, et, dans la partie qu’occupaient les Troyens sur les bords de l’Hellespont, la Troade. Sa première ville est Myrine, ainsi nommée de Myrinus, son fondateur; la suivante fut fondée par Pélops, quand, après avoir vaincu Oenomaüs, il revint de Grèce en Asie. Cymé, à la tête des Amazones, en chassa les habitants et lui donna son nom. Au-dessus est l’embouchure du Caïcus, entre la ville d’Élée et celle de Pitane, où naquit Arcésilas, cet illustre chef de l’Académie moyenne, dont la doctrine consiste à ne rien affirmer. Plus loin on rencontre la petite ville de Cana, au delà de laquelle on entre dans un golfe qui s’avance dans les terres par une courbure lente et insensible, et repousse peu à peu les côtes jusqu’au pied du mont Ida. Le premier côté de ce golfe est semé de petites villes, dont la plus célèbre est Cisthène, puis au fond, et dans une plaine appelée Thèbes, les petites villes d’Adramyttios, d’Astyra et de Chrysa, rangées à la suite l’une de l’autre dans l’ordre où je viens de les nommer, et sur l’autre côté Antandre, nom dont on rapporte l’origine à deux causes différentes. Les uns prétendent qu’Ascagne, fils d’Énée et roi du pays, étant tombé au pouvoir des Pélasges, leur abandonna cette ville pour rançon; d’autres pensent qu’elle fut fondée par des habitants d’Andros, qu’une violente sédition avait chassés de leur île. Ainsi, dans le système de ceux-ci, Antandrus veut dire à la place d’Andros, et dans le système de ceux-là, à la place d’un homme. En suivant la côte, on arrive à Gargare et Assos, colonies éoliennes, puis à un autre golfe appelé g-Achaiohn g-limehn {port des Achéens}, dont les rivages sont peu éloignés d’Ilion, ville à jamais mémorable par sa guerre de dix ans et sa ruine. Là était la petite ville de Sigée; là était le camp des Achives; là descendent du mont Ida le Scamandre et le Simoïs, fleuves célèbres, mais pour qui la renommée a plus fait que la nature. Le mont Ida, fameux par l’ancienne dispute des trois déesses et le jugement de Paris, présente le lever du soleil sous un aspect différent de ce qu’il est partout ailleurs. De son sommet, et presque dès le milieu de la nuit, on voit briller çà et là des feux épars qui, à mesure que le jour approche, semblent se rapprocher et devenir moins nombreux, jusqu’à ce qu’enfin ils ne fassent plus qu’un seul faisceau de lumière; cette flamme, après avoir jeté pendant longtemps une clarté vive et semblable à celle d’un incendie, se resserre encore et s’arrondit sous la forme d’un vaste globe. Ce globe à son tour conserve longtemps la même grandeur, et paraît comme attaché à la terre; puis, décroissant peu à peu et devenant plus éclatant à mesure qu’il décroît, il finit par chasser les dernières ombres de la nuit, et, se confondant avec le soleil, s’élève sur l’horizon. Au delà du golfe sont les rivages rhétéens, célèbres par les villes de Rhétée et de Dardanie, mais surtout par le tombeau d’Ajax. A partir de ce point, les terres se rapprochent, et la mer, cessant de flotter sur les rivages, les divise de nouveau en s’y frayant un étroit passage, sous le nom d’Hellespont, de sorte que les deux côtés opposés des continents deviennent une seconde fois les flancs d’un détroit.

XIX. Bithynie, Paphlagonie et autres contrées pontiques et méotiques sur la côte d’Asie.

Dans l’intérieur sont les Bithyniens et les Mariandyns; sur les bords du détroit sont les villes grecques d’Abydos, de Lampsaque, de Parion et de Priapos. Abydos est célèbre par les aventures touchantes de deux amants. Lampsaque fut ainsi nommée par une colonie de Phocéens qui, ayant demandé à l’oracle dans quel pays il leur serait le plus avantageux d’aller s’établir, en reçurent l’avis de se fixer dans le premier lieu où un éclair viendrait frapper leur vue. Plus loin, la mer s’élargit de nouveau sous le nom de Propontide. Là se jette le Granique, sur les bords duquel se livra la première bataille entre les Perses et Alexandre. Au delà de ce fleuve, sur l’isthme d’une presqu’île, est la ville de Cyzique, ainsi appelée du nom d’un certain Cyzicus, que les Minyes, faisant voile pour Colchos, tuèrent, dit-on, involontairement dans une mêlée. Viennent ensuite Placie et Scylace, petites collines pélasgiques, derrière lesquelles s’élève une montagne que les habitants du pays appellent l’Olympe Mysien. De cette montagne sort le Rhyndaque, qui arrose le pays qui s’étend au delà. Sur les bords de ce fleuve on trouve des serpents énormes, qui ne sont pas moins étonnants à cause de leur grandeur qu’à cause de la faculté qu’ils ont, en sortant du fleuve, où ils vont chercher un abri contre la chaleur et le soleil, d’attirer et d’engloutir dans leurs gueules béantes les oiseaux qui passent au-dessus d’eux, malgré la hauteur et la rapidité de leur vol. Au delà du Rhyndaque est Dascylos, et Myrlée, bâtie par les Colophoniens; puis deux petits golfes, dont l’un, qui n’a point de nom, baigne Cios, entrepôt très avantageux de la Phrygie, contrée voisine; l’autre, appelé Olbianos, longe un promontoire, sur lequel s’élève un temple de Neptune, et, dans son enfoncement, Astacos, fondée par des Mégariens. Ensuite les terres se rapprochent une troisième fois, et resserrent la mer dans un canal plus étroit encore, par où elle s’échappe dans le Pont. C’est, comme je l’ai dit, le Bosphore de Thrace, qui sépare l’Europe de l’Asie par un intervalle de cinq stades. Dans la gorge du détroit est une petite ville, et à son embouchure un temple. La ville, appelée Calchédon, fut fondée par Archias, chef d’une colonie de Mégariens; le temple, consacré à Jupiter, fut bâti par Jason. Là se déploie la grande mer Pontique, entre deux rivages qui s’étendent au loin en ligne droite, et dont la continuité n’est interrompue que par les promontoires opposés et correspondants de cette mer, après quoi ils se replient de chaque côté, moins par un rapprochement brusque et direct, que par une courbure presque insensible, qui aboutit de part et d’autre à un petit angle: ce qui donne au contour de ces rivages la forme d’un arc à la scythe. La mer Pontique est semée de bas-fonds, difficile, couverte de brouillards; les rades y sont rares; ses rivages sont sans vase ni sable; elle avoisine les aquilons et comme elle n’est pas profonde, elle est mobile et tumultueuse. Elle fut d’abord appelée Axenus, à cause de l’extrême férocité des peuples situés sur ses bords, et ensuite Euxinus, lorsque leurs mœurs se furent un peu adoucies par leur commerce avec les autres nations. On rencontre d’abord une ville habitée par des Mariandyns, à qui elle fut donnée, dit-on, par l’Hercule Argien. Elle s’appelle Héraclée, et son nom confirme la tradition. Auprès est la caverne Acherusia, qui, dit-on, conduit aux enfers, et par où l’on croit que Cerbère en fut arraché. Vient ensuite Tios, petite ville habitée par une colonie de Milésiens, mais faisant aujourd’hui partie du territoire et du peuple paphlagonien. A peu près au milieu des côtes de la Paphlagonie est le promontoire Caramnis. En deçà sont le fleuve Parthenius, les villes de Sésame et de Cromne, et celle de Cytore, bâtie par Cytisorus, fils de Phryxus; puis Cinolis, Anticinolis, et Armène qui termine cette contrée. Les Chalybes viennent immédiatement après. Leurs villes les plus célèbres sont Amise, et Sinope, patrie de Diogène le Cynique, et leurs plus grands fleuves sont l’Halys et le Thermodon. Sur les bords de l’Halys est Lycasto, et le Thermodon arrose une plaine, où était la petite ville de Thémiscyrium, et qu’on appelle la plaine Amazonienne, parce que les Amazones y établirent autrefois leur camp. Après les Chalybes viennent les Tibaréniens, pour qui rire et jouer est le souverain bien. Au delà du promontoire Carambis, les Mossyniens logent dans des tours de bois, se stigmatisent toutes les parties du corps, mangent en public et couchent pêle-mêle hors de leurs habitations. Ils élisent leurs rois, les tiennent enchaînés et les font garder très étroitement, et pour la moindre faute qu’ils commettent dans leur administration, ils les privent de nourriture pendant tout un jour. Ils sont, au reste, durs, grossiers et très inhumains pour les étrangers. Quoiqu’avec des mœurs aussi grossières, leurs voisins, les Macrocéphaliens, les Béchériens, les Buzériens sont moins féroces. Ils ont peu de villes: les plus remarquables sont Cérasunte et Trapézunte. Là se termine la côte qui commence au Bosphore; et à partir de ce point, elle se courbe, et, s’unissant à l’extrémité de la côte opposée, elle resserre le Pont-Euxin dans un angle très étroit. Sur ce rivage sont les Colchidiens, l’embouchure du Phase, et une petite ville du même nom, fondée par le Milésien Thémistagoras; un temple de Phryxus, et un bois sacré, fameux par l’ancienne fable de la toison d’or. C’est de là que part cette longue chaîne de montagnes qui va se joindre à celle des monts Riphées, et qui, s’avançant d’un côté vers le Pont-Euxin, le Méotide et le Tanaïs, de l’autre vers la mer Caspienne, est connue sous le nom général de monts Cérauniens. Ces mêmes monts sont appelés particulièrement, selon les pays qu’ils traversent, Tauriques, Moschiques, Amazoniques, Caspiens, Coraxiques, Caucasiens. Sur le premier enfoncement qu’on rencontre dans la courbe que décrit la côte, est une petite ville, dont on attribue la fondation à des marchands grecs, qui, dans l’obscurité d’une tempête, ne sachant sur quelle côte ils avaient été emportés, se reconnurent au chant d’un cygne ce qui leur donna l’idée de donner le nom de cet oiseau à la ville qu’ils bâtirent. Le reste du rivage est habité par des peuples féroces et grossiers, tels que les Mélanchlènes, les Serriens, les Syraces, les Coliciens, les Coraxiens, les Phthirophagiens, les Hénioques, les Achéens, les Cercéticiens, et, sur les confins du Méotide, les Sindons. Dioscoriade, limitrophe du pays des Hénioques, fut fondée par Castor et Pollux, qui accompagnèrent Jason sur le Pont-Euxin. Sindos, dans le pays des Sindons, fut bâtie par les habitants du pays. Vient ensuite une contrée, d’une médiocre largeur, qui s’étend obliquement vers le Bosphore, entre le Pont et le Méotide, et dont le Corocondame, fleuve qui se jette dans le lac par une embouchure et dans la mer par une autre, forme, en l’entourant de ses deux bras, une espèce d’île. On y rencontre quatre villes, Hermonassa, Cèpes, Phanagorie, et à l’entrée même du lac, Cimmerium. Ce lac est d’une grande étendue en longueur et en largeur. Loin du Pont-Euxin, ses rivages forment une courbe; plus près de cette mer, si ce n’est à l’endroit où le lac commence, ils s’étendent en ligne droite: de sorte que, à la grandeur près, le Méotide est presque semblable au Pont-Euxin. La côte qui s’étend du Bosphore au Tanaïs est habitée par les Méoiciens, les Torètes, les Arrèques, les Phicores, et à l’embouchure du fleuve, par les Ixamates. Chez ces peuples, les femmes partagent tous les travaux des hommes, jusqu’à ceux de la guerre. Les hommes combattent à pied et avec la flèche; les femmes combattent à cheval, et n’ont d’autres armes que des filets, au moyen desquels elles enveloppent leurs ennemis et les font périr en les traînant après elles. Elles se marient néanmoins, mais la faculté de se marier ne dépend pas de l’âge nubile, et elles sont condamnées à la virginité jusqu’à ce qu’elles aient donné la mort à un ennemi. Le Tanaïs descend du mont Riphée, et coule avec tant d’impétuosité, que tandis que le froid enchaîne les fleuves voisins, le Méotide, le Bosphore et même quelques parties du Pont, ses eaux, également insensibles aux feux de l’été et aux frimas de l’hiver, conservent la même nature et la même rapidité. Ses rives et leurs environs saut habités par les Sauromates, qui, quoique ne formant qu’une seule nation, sont partagés en différents peuples, qui ont des noms particuliers. Les premiers sont les Méotides, g-gunaikokratoumenoi, sujets des Amazones, qui vivent dans des campagnes abondantes en pâturages, mais stériles en toute autre production. Les Budins habitent une ville construite en bois, qu’on appelle Gélonos. Près d’eux, les Thyssagètes et les Turces font leur demeure dans de vastes forêts et se nourrissent de leur chasse. Au delà, ce ne sont que des rochers, dans une région âpre et déserte, jusqu’au pays des Arimphéens. Ceux.ci sont singulièrement amis de la justice; ils vivent dans les bois, et se nourrissent de fruits sauvages; ils sont tous chauves, hommes et femmes: aussi les regarde-t-on comme sacrés; et ils sont tellement respectés des peuples même les plus barbares, que quiconque se réfugie chez eux y trouve un asile inviolable. Au delà s’élève le mont Riphée, et au delà de ce mont est la côte qui regarde l’Océan.

Livre II

I. Scythie d’Europe.

J’ai achevé la description de l’Asie sur les bords de notre mer jusqu’au Tanaïs. Maintenant si l’on retourne par le même fleuve vers le Méotide, l’Europe, qui d’abord était à la gauche du navigateur, se trouve alors à sa droite. La région voisine des monts Riphées (car ils s’étendent jusque-là) est tellement inaccessible, à cause des neiges qui y tombent sans interruption, qu’on n’y peut même marcher. Ensuite est une contrée fort riche, et néanmoins inhabitable, parce que les gryphons, espèce d’animaux cruels et obstinément attachés au sol, qui n’aiment rien tant que l’or qu’ils arrachent des entrailles de la terre, et qui le gardent avec une vigilance dont rien ne peut les distraire, en rendent les approches très dangereuses. Les premiers hommes que l’on rencontre sont les Scythes, et, parmi ceux-ci, les Arimaspes, qui n’ont, dit-on, qu’un œil. Au delà sont les Essédons, jusqu’au Méotide. Le contour de ce lac, où se jette le fleuve Bucès, est habité par les Agathyrses et les Sauromates, peuples qui vivent dans des chars, et ont été par cette raison surnommés Hamaxobiens. Ensuite est une plage qui s’étend obliquement vers le Bosphore, entre le Pont et le Méotide. Le côté qui touche au lac est occupé par les Satarches; sur le Bosphore sont les petites villes cimmériennes, de Myrmécios, de Panticapée, de Théodosie et d’Hermisium; tout le reste sur l’Euxin est habité par les Tauriques. Ceux-ci ont sur leur côte un golfe d’un mouillage sûr, et qu’on appelle pour cela g-Kalos g-limehn {Bon port}. Ce golfe est enfermé entre deux promontoires, dont l’un, nommé g-Kriou g-metohpon {Front de bélier}, s’avance dans l’Euxin parallèlement au promontoire Carambis dont j’ai parlé dans la description de la côte asiatique; et l’autre, nommé Parthenios, avoisine Cherroné. Cette petite ville, bâtie, dit-on, par Diane, est surtout remarquable par une grotte appelée Nymphée, taillée dans la partie haute de la ville, et consacrée à la déesse et aux Nymphes. Ensuite la mer pénètre dans les terres et, suivant les rivages qui s’enfuient jusqu’à n’être plus éloignés que de cinq mille pas du Méotide, forme une presqu’île du pays des Satarches et des Tauriques. La partie du rivage qui sépare le lac et le golfe s’appelle Taphres, et le golfe, Carcinites; sur ce golfe est la ville de Carciné, près de laquelle le Gerrhos et l’Hypacaris se jettent dans la mer par une même embouchure, quoiqu’ils n’aient pas la même source et qu’ils viennent de pays différents; car le Gerrhos coule entre la région des Basilides et celle des Nomades, tandis que l’Hypacaris traverse le pays des Nomades. Au delà sont des forêts qui, dans cette contrée, sont très étendues, et le fleuve Panticapès, qui sert de limite commune aux Nomades et aux Géorgiens. Vient ensuite une langue de terre qui s’avance au loin dans la mer et qui, d’abord très étroite près du rivage, puis s’élargissant peu à peu pour se rétrécir encore insensiblement, se termine en pointe sous la forme d’une lame d’épée posée horizontalement. On raconte qu’Achille, étant entré dans le Pont-Euxin avec une flotte armée pour y faire la guerre, vint célébrer sa victoire dans cette presqu’île par des jeux militaires, à la suite desquels il s’exerça à la course avec ses compagnons, ce qui fit appeler ce lieu g-dromos g-Achilleios. Plus loin, le Borysthène arrose le territoire d’un peuple qui porte son nom: ce fleuve est le plus beau de tous ceux de la Scythie; son eau claire et limpide, tandis que celle des autres est trouble et bourbeuse, coule aussi plus paisiblement et est très agréable à boire; il alimente de riches pâturages et de gros poissons sans arêtes dont le goût est délicieux. Il vient de loin, et sa source est inconnue: cependant on lui connaît un cours de quarante journées, dans toute l’étendue duquel il est navigable jusqu’à la mer, où il se jette près des petites villes grecques de Borysthénide et d’Olbie. L’Hypanis sert de limite aux Callipides; il sort d’un grand lac que les habitants du pays appellent sa mère, et reste longtemps ce qu’il est à sa naissance; mais, à peu de distance de la mer, il reçoit une petite fontaine, appelée Exampée, dont les eaux sont si amères que leur amertume se communique à celles du fleuve. L’Axiacès, qui vient immédiatement après l’Hypanis, descend entre les Callipides et les Axiaques: ceux-ci sont séparés des Istriens par le Tyra, dont la source est dans la Neuride, et qui baigne à son embouchure une ville qui porte son nom. Quant au fleuve qui sépare les peuples de la Scythie de ceux de la contrée suivante, il a sa source en Germanie, où son nom est tout différent de celui qu’il reçoit à son embouchure; car, après avoir traversé de vastes pays sous le nom de Danube, il prend ensuite celui d’Ister, et s’accroît encore, quoique déjà considérable, de quelques rivières, de sorte qu’il est le plus grand des fleuves qui se jettent dans notre mer, après le Nil; encore a-t-il le même nombre de bouches, dont trois sont exiguës, et les quatre autres navigables. Les peuples de la Scythie se distinguent entre eux par des mœurs et des coutumes différentes. Les Essedons célèbrent les funérailles de leurs parents par des transports de joie, par des sacrifices et une réunion solennelle de la famille du défunt. Ils coupent le cadavre par morceaux, coupent de même les entrailles des victimes, mêlent toutes ces chairs ensemble et en font un festin. Quant à la tête, après l’avoir dépouillée et proprement nettoyée, ils en font une coupe qu’ils entourent d’un cercle d’or. Tels sont chez eux les derniers devoirs que la piété rend aux morts. Les Agathyrses se peignent le visage et les autres parties du corps plus ou moins, selon le degré de noblesse; du reste, les taches ont chez tous la même forme, et sont ineffaçables. Les Satarches ne connaissent ni l’or ni l’argent, ces deux fléaux du genre humain, et commercent par échange. Pour se garantir des rigueurs d’un hiver perpétuel, ils habitent sous terre des cavernes profondes ou des trous qu’ils se pratiquent eux-mêmes; une longue braque les enveloppe de la tête aux pieds, et leur visage même est couvert, à l’exception des yeux. Les Taures, dont Iphigénie et Oreste ont rendu le nom célèbre, ont des mœurs barbares et la réputation affreuse d’immoler les étrangers sur leurs autels. Les Basilides, issus d’Hercule et d’Echidna, ont des mœurs royales et ne combattent qu’avec la flèche. Les Nomades, toujours errants, suivent leurs troupeaux dans les pâturages, et y séjournent aussi longtemps qu’ils trouvent à s’y repaître. Les Géorgiens sont sédentaires et agricoles. Les Axiaques ne savent pas ce que c’est que le vol: aussi chacun ne veille-t-il pas plus à ce qui lui appartient, qu’il ne convoite ce qui ne lui appartient pas. Les régions intérieures de la Scythie sont encore plus sauvages, et les mœurs des habitants plus barbares : ils ne respirent que la guerre et le carnage, et, quand ils se battent, ils ont l’habitude de sucer par la blessure même le sang du premier ennemi qu’ils ont tué. Le plus grand honneur chez eux est d’en avoir tué plus que tous les autres, comme l’opprobre le plus insigne est de n’en avoir tué aucun. Il n’est pas jusqu’à leurs traités qui ne soient scellés par le sang: les contractants s’en tirent de part et d’autre, le mêlent ensuite et en boivent tour à tour, regardant cette formalité comme le gage le plus certain d’une fidélité durable. Dans les repas, chaque convive se plaît à dire et à répéter souvent combien d’ennemis il a tué, et celui qui peut en compter davantage est admis à boire dans deux coupes, ce qui est, dans leurs divertissements, le privilège le plus honorable. Ils se font des coupes avec les crânes de leurs plus grands ennemis, comme les Essedons avec ceux de leurs parents. Les Anthropophages se nourrissent de chair humaine comme d’un aliment naturel. Les Gélons se font des vêtements de la peau des têtes de leurs ennemis, et fabriquent avec celle du reste des corps, des housses pour leurs chevaux. Les Melanchlènes portent des vêtement noirs, et de là leur nom. Chez les Neures, tout individu peut, s’il le veut, à une époque déterminée pour chacun, se métamorphoser en loup, et reprendre ensuite sa première forme. Mars est le dieu commun des Scythes; ils lui consacrent des cimeterres et des baudriers en guise de simulacres, et lui sacrifient des victimes humaines. La Scythie est très vaste et abonde partout en pâturages, à cause des fréquenta débordements des fleuves; mais elle est en certains endroits si stérile en tout autre genre de production, qu’à défaut de bois on fait du feu avec des ossements.

II. Thrace.

La Scythie confine à la Thrace, qui, bornée d’un côté par l’Ister et de l’autre par la mer, s’étend en longueur des rivages du Pont-Euxin jusqu’à l’Illyrie. Cette région n’a ni un beau climat ni un bon sol, et, à l’exception de ses parties maritimes, elle est stérile et froide, et ne rend qu’à regret les semences qu’on lui confie. Les arbres fruitiers y sont partout très rares; la vigne y est plus commune, mais les raisins n’y mûrissent qu’autant qu’on a la précaution de les préserver du froid en les abritant sous les feuilles. La nature y est plus favorable aux hommes, non pas sous le rapport de la beauté des formes, car leur extérieur est dur et sauvage, mais sous celui de la fierté et du nombre. La Thrace fournit peu de fleuves à notre mer, mais ces fleuves sont très renommés tels sont l’Hèbre, le Nestos et le Strymon. Dans, l’intérieur s’élèvent l’Hémus, le Rhodope et l’Orbelos, montagnes célèbres par les fêtes de Bacchus et les orgies des Ménades, instituées par Orphée. L’Hémus est si élevé que de son sommet on aperçoit l’Euxin et l’Adriatique. Quoique ne formant qu’une seule nation, les Thraces se distinguent entre eux par des noms et des caractères différents: il en est pour qui la mort n’est qu’un jeu, et tels sont principalement les Gètes. Ce mépris de la vie tient à des opinions diverses: les uns pensent que les âmes des morts reviendront; les autres que, si elles s’en vont sans retour, ce n’est point pour cesser de vivre, mais pour passer dans un séjour plus heureux; d’autres, enfin, croient qu’elles meurent véritablement, mais que la mort est préférable à la vie: et de là vient que, dans certaines parties de la Thrace, on pleure sur les enfantements et sur les nouveau-nés, tandis qu’au contraire on y célèbre les funérailles, comme des fêtes solennelles et sacrées, par des chants et des réjouissances. Les femmes même ont une grande force de caractère: quand leurs maris meurent, leur vœu le plus cher est d’être immolées sur leurs cadavres et ensevelies dans le même tombeau; et, comme souvent un homme a plusieurs femmes, celles-ci se disputent vivement cet honneur devant les juges établis pour prononcer sur le différend. La préférence est le prix de la vertu, et l’épouse qui en est jugée digne est au comble de la joie, tandis que les autres se lamentent et se livrent aux excès du plus affreux désespoir. Ceux qui veulent les consoler se rendent auprès du bûcher avec des armes et de l’argent, déclarant qu’ils sont prêts, s’il y a lieu, à traiter ou à se battre avec le génie du défunt; et comme la provocation reste sans effet, les veuves passent de la douleur à de nouvelles amours. Les parents ne choisissent pas d’époux à leurs filles nubiles, mais ils les mènent sur la place publique, et là on les livre à qui veut les épouser ou bien elles sont vendues. La beauté et les mœurs font la différence des marchés: on vend celles qui sont belles et vertueuses; on paye ceux qui consentent à prendre les autres. Quelques-uns de ces peuples ignorent l’usage du vin; mais ils y suppléent dans leurs repas en jetant sur le feu, autour duquel ils s’assemblent, certaines semences dont l’odeur les enivre et les porte à la gaieté. Sur les côtes de cette contrée, au voisinage de l’Ister, est Istropolis; ensuite Callatis, fondée par une colonie de Milésiens; puis Tomes, le port Caria et le promontoire Tiristis, au delà duquel est cet autre angle du Pont-Euxin, situé directement en face de celui où se jette le Phase, et qui n’en diffère que parce qu’il est plus large. Là fut Bizone, ruinée par un tremblement de terre; là sont le port Crunos et les villes de Dionysopolis, d’Odessos, de Mésembrie, d’Anchialos et d’Apollonie. Cette dernière ville est située dans le fond d’un golfe, sur le second côté du grand angle que forme le Pont. A partir de là, la côte est droite, à une avance près, qui, vers son milieu, forme le cap Thynias, et correspond à la courbe du rivage opposé on y rencontre les villes d’Almydessos, de Philéas et de Phinopolis. Là se termine le Pont ensuite viennent le Bosphore et la Propontide. Sur le Bosphore est Byzance; sur la Propontide sont Sélymbrie, Périnthe, Bithynis, entre lesquelles coulent l’Erginos et l’Athyras; puis cette partie de la Thrace où régna Rhesus, Bisanthe, colonie samienne, et Cypsèle, ville autrefois considérable; plus loin, un lieu que les Grecs appellent g-Makron g-teichos {Long mur}, est Lysimachie, à l’entrée d’une grande presqu’île qui s’étend entre l’Hellespont et la mer Egée, et qui, sans avoir nulle part une grande largeur, en a beaucoup moins là que partout ailleurs. On appelle Isthme cette gorge étroite de la presqu’île, et Mastusie, le front qui fait face à la mer; dans son ensemble, elle prend le nom de Chersonèse, et mérite d’être remarquée sous beaucoup de rapports. Là coule le fleuve Aegos, célèbre par le naufrage d’une flotte athénienne; là, vis-à-vis d’Abydos, est Sestos, fameuse par les amours de Léandre; là est cette partie du détroit sur laquelle l’armée des Perses, bravant l’espace et la mer, osa joindre deux continents par un pont, au moyen duquel elle passa, à pied et sans navires, de l’Asie dans la Grèce; là sont les cendres de Protésilas, dans un temple consacré à ce héros; là est le port Coelos, théâtre d’un combat naval, où la flotte des Lacédémoniens fut détruite par celle des Athéniens; là est le tombeau d’Hécube, auquel on a donné le vil nom de Cynosséma, soit parce que cette reine fut, dit-on, métamorphosée en chienne, soit à cause de la misérable condition où elle était tombée; là, enfin, sont les villes de Madytos et d’Elée, dont la dernière marque le terme de l’Hellespont. De l’Hellespont on entre immédiatement dans la mer Egée. Cette mer baigne une vaste enceinte de rivages, qui s’étendent au loin, en formant, une courbure insensible, jusqu’au promontoire de Sunium. En suivant la côte on rencontre, au delà de ce qu’on appelle Mastusie, un golfe qui baigne l’autre côté de la Chersonèse, et forme une sorte de vallon au pied des hauteurs qui l’environnent: ce golfe se nomme Mélas, du nom d’un fleuve qui s’y jette, et renferme deux villes, Alopéconnèse et Cardie. Cette dernière ville est située sur le second rivage de l’isthme: Plus loin est la ville remarquable d’Aenos, bâtie par Énée dans sa fuite. Les Cicones habitent les bords de l’Hèbre, au delà duquel est une plaine appelée Doriscos, où l’on rapporte que Xerxès ne pouvant mesurer la force de son armée par le nombre, la mesura par l’espace. Viennent ensuite le cap Serrium et la ville de Zone, près de laquelle les arbres suivaient, dit-on, Orphée et sa lyre; puis le fleuve Schoenos, et sur ses bords la ville de Maronie. La contrée située au delà du Schœnos enfanta le farouche Diomède, qui avait la coutume barbare de faire dévorer les étrangers par des chevaux féroces, et qui fut lui-même livré par Hercule à la voracité de ces animaux. Cette fable est consacrée par une tour appelée la tour de Diomède, et par une ville à laquelle sa sœur Abdère donna son nom, mais qui est bien moins remarquable par son origine que pour avoir donné naissance au physicien Démocrite. Plus loin coule le Nestos, et, entre ce fleuve et le Strymon, sont les villes de Philippes, d’Apollonie et d’Amphipolis. Entre le Strymon et le mont Athos, sont la tour Calarnée, le port appelé g-Kaprou g-lemehn {port du Sanglier}, les villes d’Acanthos et d’Echymnia; entre le mont Athos et la presqu’île de Pallène, celles de Cléone et d’Olynthe. Le Strymon (comme nous l’avons dit) est un fleuve; il prend sa source dans des contrées lointaines: faible d’abord, il s’accroît ensuite du tribut des rivières qu’il rencontre çà et là, et forme à quelque distance de la mer un lac d’où il sort plus considérable qu’il n’y était entré. Le mont Athos est si élevé, que l’on croit qu’il dépasse la région de l’air d’où tombent les pluies: ce qui confirme dans cette opinion, c’est que les monceaux de cendres qu’on laisse sur les autels érigés sur sa cime, n’y sont point délayés par la pluie et y restent toujours dans le même état. Au reste, cette montagne ne s’avance pas dans la mer en forme de promontoire, comme les autres, mais elle y règne au loin en son entier et sans incliner sa cime. Xerxès, allant porter la guerre en Grèce, la fit percer dans la partie qui se confond avec le continent, et y pratiqua un détroit navigable. On trouve au pied du mont Athos quelques petites colonies pélasgiques. Autrefois, sur son sommet, était la petite ville d’Acroathos, où la durée de la vie était, dit-on, de moitié plus longue qu’ailleurs. La presqu’île de Pallène est si étendue, qu’elle renferme cinq villes avec leur territoire; elle est tout entière dans le sein de la mer, et commence par une langue de terre assez étroite, sur laquelle est Potidée. Plus loin, dans une partie plus spacieuse, on remarque Mende et Scione, fondées l’une par une colonie d’Erétriens, l’autre par des Achives qui retournaient dans leur pays après la prise de Troie.

III. Macédoine, Grèce, Péloponnèse, Epire et Illyrie.

Ensuite vient la Macédoine avec ses villes nombreuses dont la plus célèbre est Pella. Cette ville doit son illustration à deux rois dont elle fut le berceau : Philippe, vainqueur de la Grèce, et Alexandre, vainqueur de l’Asie. Sur la côte est le golfe Mécybernée, entre le promontoire Derris, le promontoire Canastrée et le port appelé g-Kohphos, il a sur ses bords les villes de Torone et de Physcella, et celle de Mécyberna, qui lui donne son nom. Tout près du promontoire Canastrée est Sané. Dans le fond du golfe Mécybernée, les eaux bordent le rivage plutôt qu’elles ne le couvrent. Il est suivi d’un autre golfe appelé Thermaïque, dont les deux côtés s’avancent au loin dans la mer, et lui donnent une étendue considérable. Il reçoit l’Axius, fleuve de Macédoine, et même le Pénée, fleuve de Thessalie. Avant l’Axius est Thessalonique, et entre ce fleuve et le Pénée, Cassandrie, Cydna, Aloros, Icaris. Dans l’intervalle qui sépare le Pénée du promontoire Sepias, sont Gyrtone, Mélibée, Castanée, qu’on mettrait au même rang, si Mélibée n’était devenue célèbre pour avoir donné naissance à Philoctète. Dans l’intérieur des terres, il n’est presque pas un lieu dont le nom ne soit illustre. Là, non loin du rivage, s’élèvent l’Olympe, le Pélion et l’Ossa, montagnes fameuses par la guerre des Géants; ici est la Piérie, mère et séjour des Muses; là sont les bois de l’Oeta, où l’Hercule grec termina sa carrière; ici est la vallée de Tempé et ses ombrages sacrés, et plus loin la fontaine de Libethra, noms mémorables et chers aux poètes. La Grèce, baignée à l’orient par la mer Égée, et à l’occident par la mer Ionienne, présente d’abord, dans la direction du nord au sud, jusqu’à la mer de Myrtos, un front large et avancé; puis, sous le nom d’Hellade, elle continue de se déployer sur une aussi grande surface, jusqu’à ce que les deux mers, et surtout la mer Ionienne, s’introduisant de chaque côté dans les terres, viennent la couper, pour ainsi dire, vers le milieu, au point de ne lui laisser que quatre mille pas de largeur. Ensuite elle reprend, son expansion sur les deux mers, mais plus particulièrement sur la mer Ionienne, au sein de laquelle elle se prolonge au loin. Alors, moins large qu’auparavant, quoiqu’elle le soit encore beaucoup, elle s’étend sous la forme d’une grande presqu’île qu’on appelle Péloponnèse, et dont la figure est tout à fait semblable à celle de la feuille du platane, tant à cause des golfes et des promontoires dont ses bords sont entrecoupés comme de fibres, que parce qu’elle ne tient au reste de la Grèce que par une langue de terre très courte et très étroite, qui s’élargit incontinent. A partir de la Macédoine, on rencontre d’abord la Thessalie, puis la Magnésie, la Phthiotide, la Doride, la Locride, la Phocide, la Béotie, l’Atthide, la Mégaride. L’Atthide est la plus célèbre de toutes ces contrées. Le Péloponnèse renferme l’Argolide, la Laconie, la Messénie, l’Achaïe, l’Élide, l’Arcadie. Au delà sont l’Étolie, l’Acarnanie, l’Épire, jusqu’à la mer Adriatique. Quant aux lieux et aux villes qui ne sont point baignés par la mer, voici les plus remarquables: dans la Thessalie, Larisse, et autrefois Iolcos; dans la Magnésie, Antronie; dans la Phthiotide, Phthie; dans la Ponde, Pinde et Erinée, voisines l’une de l’autre; dans la Locride, Cynos et Calliaros; dans la Phocide, Delphes, le mont Parnasse, le temple et l’oracle d’Apollon; dans la Béotie, Thèbes, et le Cithéron, que la fable et la poésie ont rendu célèbre; dans l’Atthide, Eleusis, consacrée à Cérès, et Athènes, trop fameuse pour avoir besoin d’être rappelée à la mémoire; dans la Mégaride, Mégare qui lui donne son nom; dans l’Argolide, Argos, Mycènes, et le temple de Junon, non moins illustre par son antiquité que par le culte qu’on rend à la déesse; dans la Laconie, Thérapné, Lacédémone, Amycles, le mont Taygète; dans la Messénie, Messène et Méthone dans l’Achaïe et l’Elide, autrefois Pise, capitale du royaume d’Oenomaüs, et encore aujourd’hui Eus, et le temple de Jupiter Olympien, si fameux par les jeux gymniques, par la vénération extraordinaire des peuples, et surtout par la statue de ce dieu, ouvrage de Phidias. Dans l’Arcadie, située au centre du Péloponnèse, on distingue les villes de Psophis, de Tégée, d’Orchomène; les monts Pholoé, Cyllenius, Parthenius, Ménale; les fleuves Erymanthe et Ladon; dans l’Etolie, Naupacte, dans l’Acarnanie, Stratos, petites villes; dans l’Épire, le temple de Jupiter Dodonéen, et une fontaine qu’on révère comme sacrée, parce que, quoiqu’elle soit froide, et qu’elle s’éteigne, comme les autres, les flambeaux qu’on y plonge, elle allume, sans le secours du feu, ceux qu’on lui présente éteints, même d’assez loin. Sur les bords de la mer on rencontre, du promontoire Sépias au golfe Pagaséen, Démétrios Halos, Ptéléos et Echinos, et sur ce golfe, célèbre par le départ des Minyes, qui s’y embarquèrent sur l’Argo pour aller en Colchide, la ville de Pagase et l’embouchure du Sperchius; de là jusqu’à Sunium, les deux grands golfes Maliaque et Opontien, et sur leurs bords, les Thermopyles, tombeau glorieux de Léonidas et de ses compagnons, Opoes, Scarpha, Cnémides, Alopé, Anthédon, Larymne, et Aulis, où se réunit la flotte des Grecs, prête à faire voile pour Troie sous le commandement d’Agamemnon; Marathon, témoin de tant de hauts faits, que le nom de Thésée et surtout la défaite des Perses rendent à jamais mémorable; Rhamnonte, petite ville, mais célèbre par le temple d’Amphiaraüs et la Némésis de Phidias; Thorique et Brauronie, qui n’existent plus que de nom; enfin Sunium, qui est un promontoire, et qui termine la côte orientale de l’Hellade. A partir de ce point, l’Attique se tourne vers le midi jusqu’à Mégare et fait face à la mer, qu’elle avait jusque là regardée obliquement. Là est le Pirée, port d’Athènes, et les rochers Scironiens, qui servaient autrefois de retraite au brigand Sciron. La côte de la Mégaride s’étend jusqu’à cet isthme, auquel on a donné le surnom de Diolcos, et qui, séparant la mer Egée de la mer Ionienne par un intervalle de quatre mille pas, joint par une langue de terre le Péloponnèse à l’Hellade. Sur cet isthme, on trouve la petite ville de Cenchrée; un temple de Neptune, célèbre par les jeux Isthmiques; Corinthe, autrefois fameuse par son opulence, plus connue depuis par sa ruine, et aujourd’hui colonie romaine. Du sommet de sa citadelle, qu’on appelle AcroCorinthe, on aperçoit les deux mers. La côte du Péloponnèse est, comme je l’ai dit, entrecoupée de golfes et de promontoires. A l’orient s’avancent le Bucéphale, la Chersonèse et le Scylléon; au midi, le Malée, le Ténare, l’Acritas, l’Ichthys; au couchant, le Chélonates et l’Araxe. Entre l’isthme et le Scylléon sont les Epidauriens, renommés par le temple d’Esculape, et les Trézéniens, célèbres par leur fidélité envers les Athéniens, leurs alliés; les ports Saronique, Schoenitas et Pogonus; les petites villes d’Epidaure, de Trézènes et d’Hermione. Entre le Scylléon et le Malée est le golfe Argolique; entre le Malée et le Ténare, le golfe Laconique; entre le Ténare et l’Acritas, le golfe Asinéen; entre l’Acritas et l’Ichthys, le golfe Cyparissien. On remarque sur le golfe Argolique les embouchures de l’Erasinus et de l’Inachus, et la petite ville de Lerne; sur le golfe Laconique, les embouchures du Cythius et de l’Eurotas; sur le Ténare, un temple de Neptune, et une caverne semblable pour la forme à l’Acherusia du Pont-Euxin, et regardée de même comme une des bouches des enfers; sur le golfe Asinéen, l’embouchure du Pamise, et sur le Cyparissien, celle de l’Alphée. Ces deux golfes ont reçu leur nom de deux villes situées sur leurs bords, Cyparisses et Asiné. Les Messéniens et les Pyliens habitent dans l’intérieur des terres; mais Pylos est située sur les bords de la mer. Cyllène, Ennéapolis, Patres sont rangées sur la côte, d’où le Chélonate et l’Araxe s’avancent dans la mer. Cyllène est célèbre par la naissance de Mercure. Plus loin la mer de Rhion (car c’est ainsi qu’on l’appelle dans ces parages) s’introduit dans les terres par un étroit passage qu’elle s’ouvre en forme de détroit, et de là s’enfonce entre l’Etolie et le Péloponnèse jusqu’à l’isthme. A partir de ce point, le rivage commence à regarder le nord. Sur ce rivage sont Egion, Egire, Oluros et Sicyone; sur le rivage opposé, Pages, Créusis, Anticyre, Oeanthie, Cirrha, et au delà du détroit de Rhion, la ville de Calydon, un peu plus connue, et l’Evenus. Dans l’Acarnanie on distingue particulièrement la petite ville de Leucas et le fleuve Acheloüs. Dans l’Epire, rien n’est plus célèbre que le golfe Ambracien, soit parce que, par une gorge étroite qui a moins de mille pas de largeur, il introduit une vaste mer au sein des terres, soit parce qu’il baigne Actium, Argos, fondée par Amphiloque, et Ambracie, anciennes résidences des Eacides et de Pyrrhus. Plus loin sont Buthroton et les monts Cérauniens, à partir desquels on tourne vers la mer Adriatique. Cette mer, très large, mais encore plus étendue en longueur, est environnée de nations illyriques jusqu’à Tergeste, et, partout ailleurs, de peuples gaulois et italiques. On rencontre d’abord les Parthéniens et les Dassarètes; puis les Taulantiens, les Enchélies, les Phéaciens; ensuite les Illyriens proprement dits, les Pyréens, les Liburnes et I’Istrie. La première ville est Oricum la suivante est Dyrrachium, nom que les Romains substituèrent à celui d’Epidamnos, qui leur parut de mauvais augure, à cause de son étymologie. Viennent ensuite Apollonie, Salone, Iader, Narone, Tragurium, le golfe Polatique, et Pola, qui fut, dit-on, autrefois habitée par des Colchidiens, et aujourd’hui colonie romaine: tant la fortune se plaît à élever ce qui était abaissé ! Les fleuves qui se jettent dans cette partie de l’Adriatique sont l’Aeas, le Nar, et le Danube, qu’on appelle aussi Ister. L’Aeas baigne les murs d’Apollonie, le Nar coule entre les Pyrens et les Lyburnes, l’Ister traverse l’Istrie. Au fond d’un golfe est Tergeste, qui termine la côte d’Illyrie.

IV. Italie.

Je dirai quelque chose de l’Italie, moins pour en faire la description, car elle est connue dans toutes ses parties, que pour suivre l’ordre de ma description. Elle commence aux Alpes, pour finir fort avant dans la mer, et, entre ces deux extrémités, elle est traversée dans toute sa longueur par la haute chaîne de l’Apennin, à égale distance de l’Adriatique et de la mer Thusque, autrement appelées mer Supérieure et mer Inférieure. Ses côtes suivent une ligne droite, dont la continuité n’est interrompue que vers la mer de Sicile, où elles forment deux pointes, dont l’une regarde cette mer, et l’autre la mer Ionienne. Elle a partout peu de largeur, et même en certains endroits elle est beaucoup plus étroite qu’à son commencement. Elle est habitée dans son intérieur par une multitude de peuples différents: à gauche sont les Carnes et les Vénètes dans la Gaule appelée Togata; puis les Picentes, les Frentaniens, les Dauniens, les Apuliens, les Calabrois et les Salentins, peuples italiques. A droite on rencontre les Ligures au pied des Alpes, l’Etrurie au pied de l’Apennin; ensuite le Latium, les Volsques, la Campanie, la Lucanie et les Bruttiens. Parmi les villes éloignées de la mer, les plus florissantes sont, à gauche, Patavium fondée par Anténor, Mutine et Bononie, colonies romaines; à droite, Capoue, fondée par des Thusques, et Rome, jadis bâtie par des pâtres, et qui aujourd’hui ferait pour moi la matière d’un second ouvrage, si je voulais en parler dignement. Sur les bords de la mer, immédiatement après Tergeste, on trouve Concordia. Entre ces deux villes coule le Timave, qui a neuf sources et une seule embouchure. Le Natison, qui vient ensuite, baigne la riche Aquilée à peu de distance de la mer. Plus loin est Altinum. Le Pô couvre une grande étendue des rivages de la mer Supérieure; car ce fleuve, qui commence au pied du mont Vésule, se forme d’abord de faibles sources, et reste étroit et maigre jusqu’à une certaine distance; puis il s’accroît à tel point du tribut d’autres fleuves, qu’il se jette dans la mer par sept bouches, dont la plus grande retient seule le nom de Pô. Il s’y décharge avec tant de force, qu’il se fraye un passage au milieu des flots, et conserve longtemps son lit au sein même de la mer, jusqu’à la rencontre de l’Ister, qui, du rivage opposé de l’Istrie, se précipite dans l’Adriatique avec la même impétuosité. De là vient que ceux qui naviguent entre les courants de ces deux fleuves trouvent des eaux douces au milieu des eaux marines. Du Pô à Antône on rencontre Ravenne, Ariminum, Pisaure, la colonie de Fanestris, les fleuves Métaurus et Aesis. Ancône, ainsi nommée par les Grecs à cause de sa position dans l’angle formé par deux promontoires, dont la direction oblique fait une espèce de coude, est comme le point de séparation des peuples gaulois et italiques. Au delà, sur les rivages du Picenum, sont les villes de Numane, de Potentie, de Cluane, de Cupre; les forts Firmum, Adria, Truentinum, et, près de Truentinum, un fleuve du même nom. Les Frentaniens, qui viennent ensuite, ont sur leurs bords les embouchures du Matrin et de l’Aterne, et les villes de Buca et d’Histonium. Les Daunes ont le fleuve Tiferne, les petites villes de Cliternie, de Larinum, de Teanum, et le mont Garganus. Le golfe qui le suit, appelé Urias, baigne dans toute son étendue les côtes de l’Apulie. Ce golfe est peu considérable et presque partout d’un mouillage difficile. Au delà sont Siponte, ou, en langue grecque, Sipus, et l’Aufide, qui baigne les murs de Canuse; plus loin Barium, Gnatie, et Rudies, célèbre par la naissance d’Ennius; puis, dans la Calabre, Brundusium, Valetium, Lupies, et le mont Hydrus; enfin les champs Sallentins, les rivages Sallentins, et la ville grecque de Callipolis. Jusque-là s’étendent les rivages de l’Adriatique et l’un des côtés de l’Italie, dont l’extrémité, comme je l’ai dit plus haut, se partage en deux pointes. La mer baigne les rivages renfermés entre ces deux pointes y forme différents golfes séparés les uns des autres par de petits promontoires. Le premier, appelé golfe Tarentin, s’étend entre les promontoires Sallentinum et Lacinium, et sur ses bords sont Tarente, Métaponte, Héraclée, Crotone, Thurium. Le second, nommé Scylacéen, entre les promontoires Lacinium et Zephyrium, baigne Pétilie, Carchie, Scylacée et Mysties. Le troisième, entre les promontoires Zephyrium et Bruttium, a sur ses rivages Consentie, Caulonie et Locres. Dans le Bruttium sont Columna-Rhegia, Rhegium, Scylla, Taurianum et Metaurum. A partir de ce point, l’Italie tourne vers la mer Tusque c’est le commencement du second côté de cette contrée. Médame, Hippone, qu’on appelle aujourd’hui Vibone, Teinèse, Clampétie, Blanda, Buxentum, Vélie, Palinure, lieu ainsi appelé d’un ancien pilote phrygien, le golfe et la petite ville de Paestum, le fleuve Silerus, Picentie, Pètres, autrefois le séjour des Sirènes, et le promontoire de Minerve, appartiennent à la Lucanie. Le golfe Putéolain, Surrentum, Herculaneum, d’où l’on aperçoit le mont Vésuve, Pompéies, Néapolis, Putéoles; les lacs Lucrin et Averne, Baïes, Misène, lieu ainsi appelé du nom d’un ancien soldat phrygien, Cumes, Linterne; le fleuve et la petite ville de Volturne, couvrent les rivages délicieux de la Campanie. Sinuesse, le Liris, Minturnes, Formies, Fundi, Tarracine, Circéies, autrefois demeure de Circé, Antium, Aphrodisium, Ardée, Laurentum, Ostie, sont en deçà du Tibre sur ce second côté de l’Italie. Au delà de ce fleuve, Pyrgi, Minione, Castrum-Novum, Gravisces, Cossa, Télamon, Populonie, Cecina, Pises, sont des noms et des lieux étrusques. Viennent ensuite Luna, Tigulie, Gènes, Sabatie et Albingaunum, dans la Ligurie; puis les fleuves Paulon et Var, qui tous deux prennent leur source dans les Alpes. Le Var est un peu plus connu, en ce qu’il sert de limite à l’Italie. La chaîne des Alpes commence sur cette côte, d’où elle s’étend au loin en longueur et en largeur, court d’abord en droite ligne vers le nord, puis, aux confins de la Germanie, se détourne tout d’un coup vers l’orient, et traverse des contrées immenses jusqu’à la Thrace.

V. Gaule Narbonnaise.

La Gaule, est divisée par le lac Léman et les monts Cébenniques en deux régions, dont l’une s’étend sur la mer Tusque, depuis le Var jusqu’aux Pyrénées, et l’autre sur l’Océan, depuis le Rhin jusqu’aux mêmes montagnes. La région que baigne notre mer, surnommée autrefois Braccata, aujourd’hui Narbonnaise, est mieux cultivée que l’autre et, par conséquent, plus riante. Ses villes les plus florissantes sont Vasion chez les Vocontiens, Vienne chez les Allobroges, Avénion chez les Cavares, Nemausus chez les Arécomiques, Tolose chez les Tectosages, Arausion, colonie de vétérans de la seconde légion, Arélate, colonie de vétérans de la sixième, Baeterres, colonie de vétérans de la septième; mais par-dessus tout Narbo-Martius, colonie d’Atacines et de vétérans de la dixième légion, autrefois, le boulevard de toute cette contrée, qui lui doit aujourd’hui son nom et sa célébrité. Sur les rivages sont quelques lieux connus sous certains noms; mais les villes y sont peu nombreuses, tant à cause de la rareté des ports, que parce que la côte est exposée dans toute sa longueur aux vents du sud et du sud-ouest. Nicée, Deciatum et Antipolis touchent les Alpes. Vient ensuite Forum-Julii, colonie de vétérans octaviens; puis Athénopolis, Olbie, Tauroïs, Cithariste, et Lacydon, port des Massiliens, au fond duquel est Massilie. Cette ville fut fondée par des Phocéens dans le voisinage de nations barbares, qui, quoique aujourd’hui paisibles, n’ont avec elle aucune ressemblance; de sorte qu’on est surpris de la facilité avec laquelle cette colonie a su s’établir sur une terre étrangère, et y conserver jusqu’à présent ses mœurs primitives. Entre Massilia et le Rhône, les Avatiques possèdent Maritima sur les bords d’un lac. A l’exception de la Fossa-Mariana, canal de navigation qui conduit à la mer une partie des eaux de ce fleuve, cette côte ne présente rien de remarquable, et a été surnommée Pierreuse. On rapporte à ce sujet qu’Hercule ayant épuisé ses flèches dans un combat contre Albion et Bergios, fils de Neptune, implora Jupiter, qui fit pleuvoir sur les ennemis de son frère une grêle de pierres. On serait, en effet, tenté de le croire à cette pluie, à la vue de cette vaste plaine toute couverte de cailloux. Le Rhône commence à peu de distance des sources de l’Ister et du Rhin; il se jette ensuite dans le lac Léman, le traverse avec son impétuosité ordinaire, sans mêler ses eaux à celles du lac, et en sort aussi gros qu’il y était entré. De là il roule vers l’occident, et sépare les deux régions de la Gaule jusqu’à une certaine distance; puis, se tournant vers le sud, il entre dans la Narbonnaise, où, déjà considérable, il se grossit encore du tribut de plusieurs rivières, et va se jeter dans la mer, entre le pays des Volces et celui des Cavares. Au delà sont les étangs des Volces, le fleuve Ledum, le fort Latera, la colline Mesua, qui, presque de tous côtés environnée par la mer, ne tient au continent que par une langue de terre très étroite. Plus loin, l’Arauris, qui descend des Cévennes, coule sous les murs d’Agatha, et l’Orbis sous ceux de Baeterres. L’Atax, qui descend des Pyrénées, est faible et guéable, tant qu’il ne roule que les eaux de sa source de sorte que, malgré la grandeur de son lit, il ne devient navigable qu’aux environs de Narbonne; mais lorsqu’en hiver il est gonflé par les pluies, il se grossit d’ordinaire à tel point, que son lit ne peut plus le contenir. Il se jette dans un lac appelé Rubresus, et qui, quoique très spacieux, ne communique à la mer que par un canal étroit. Au delà sont le rivage de Leucate, et la fontaine de Salsula, dont les eaux, loin d’être douces, sont plus salées que les eaux marines. Dans le voisinage est une terre couverte de petits roseaux, et suspendu sur un étang. Ce qui le prouve, c’est que, au milieu de cette terre, une partie détachée du reste, en forme d’île, flotte çà et là, et cède à toutes les impulsions qu’elle reçoit. Bien plus, en creusant à une certaine profondeur, on découvre une infiltration souterraine de la mer. De là vient que, soit par ignorance, soit pour le plaisir d’en imposer sciemment à la postérité, certains auteurs grecs et même quelques-uns des nôtres, ont prétendu que les poissons qu’on tue, et qu’on prend par les trous qu’on pratique dans cette espèce d’île, sont une production de la terre même, tandis qu’ils viennent de la mer par une voie souterraine. Au delà, sont les rivages des Sordones, et les embouchures du Télis et du Tichis, fleuves peu considérables dans leur état naturel, mais terribles dans leur crue; la colonie Ruscino, et le bourg Eliberri, faible reste d’une ville autrefois grande et florissante; enfin, entre deux promontoires du Pyrénée, le port de Vénus, célèbre par son temple, et le lieu appelé Cervaria, où se termine la Gaule.

VI. Côte citérieure de l’Hispanie.

A partir de ce lieu, le Pyrénée s’avance d’abord jusqu’à l’océan Britannique; puis, se retournant vers la terre, il fait irruption dans l’Hispanie, où, poussant vers la droite une petite branche, il traverse toute cette contrée avec sa chaîne principale, et se prolonge sans interruption jusqu’aux rivages qui regardent l’occident. Quant à l’Hispanie, elle est de toutes parts environnée par la mer, à l’exception du côté par lequel elle touche aux Gaules, très étroite dans cette partie, elle s’étend ensuite peu à peu sur notre mer et sur l’Océan, en s’élargissant de plus en plus à mesure qu’elle se porte vers l’Occident, où elle est dans sa plus grande largeur. Elle abonde en hommes, en chevaux, en fer, en plomb, en airain, et même en argent et en or. Elle est si fertile, que dans les endroits où le manque d’eau l’appauvrit et la rend méconnaissable, elle ne laisse pas de produire du lin ou du genêt. Elle se divise en trois parties: l’une appelée Tarraconaise, l’autre Bétique, et la troisième Lusitanie. La Tarraconaise, qui d’un bout touche aux Gaules, et de l’autre à la Bétique et à la Lusitanie, présente son côté méridional à notre mer, et son côté septentrional à l’Océan. La Bétique et la Lusitanie sont séparées par le fleuve Anas; ce qui fait que la Bétique regarde les deux mers: à l’occident, l’Atlantique; au midi, la nôtre. La Lusitanie ne s’étend que sur l’Océan, qui en baigne le côté au nord, et le front au couchant. Parmi les villes intérieures de l’Hispanie, les plus florissantes, dans la Tarraconaise, sont Caesar-Augusta (autrefois Palantia et Numance); dans la Lusitanie, Emerita; dans la Bétique, Astigi, Hispal, Corduba. En longeant le rivage, à partir de Cervaria, on rencontre un rocher, qui prolonge le Pyrénée dans la mer; les fleuves Tichis et Clodianum, dont le premier baigne les murs de Rhoda, et le second ceux d’Empories; la montagne de Jupiter, où l’on voit, sur la partie occidentale des pointes de rocher s’élever en forme de degrés, à peu de distance les uns des autres: ce qui a fait donner à cette partie le nom d’Échelles d’Annibal; et de là jusqu’à Tarracon, les petites villes de Blanda, d’Eluron, de Baetulon, de Barcinon, de Subur, de Tolobi; trois petits fleuves, le Boetulon au pied de la montagne de Jupiter, le Rubricatum auprès de Barcinon, et le Maïus entre Subur et Tolobis. Tarracon est la plus opulente des villes situées sur cette côte. Le petit fleuve Tulcis coule sous ses murs, et plus bas le grand fleuve Ibère baigne ceux de Dertosa. Ensuite, la mer fait irruption dans les terres, et s’y partage en deux golfes, séparés par un promontoire qu’on appelle Ferraria. Le premier, connu sous le nom de Sucrone, est plus grand que l’autre: assez large dans son ouverture, il se rétrécit à mesure qu’il devient plus profond, et reçoit trois fleuves peu considérables. Parmi les villes situées sur ses bords, on distingue Valentia, et celle de Sagonte, célèbre par sa fidélité et ses malheurs. L’autre golfe, nommé Illicitanus, baigne Alon, Lucentia, et Illicé, qui lui donne son nom. Ensuite les terres, à leur tour, s’avancent dans la mer, et rendent l’Hispanie plus large qu’elle ne l’a été jusque là. On n’y rencontre rien, du reste, jusqu’au lieu où commence la Bétique, qui mérite d’être cité, à l’exception de Carthage, ville fondée par Asdrubal, général carthaginois. Les rivages suivants n’offrent de même que des villes obscures, et dont je ne fais mention que pour l’ordre. Telles sont Urci sur le golfe Urcitain, et, au delà de ce golfe, Abdère, Suel, Hexi, Maenoba, Malaca, Salduba, Lacippon, Barbesul. Ensuite vient le détroit formé entre les rivages de l’Europe et de l’Afrique par les monts Abyla et Calpé, qu’on appelle, comme je l’ai dit au commencement, les Colonnes d’Hercule. Ces deux montagnes, et surtout Calpé, s’avancent presque tout entières dans la mer. Calpé est extraordinairement creuse, et présente, vers le milieu de son côté occidental, l’entrée d’une caverne, dont le fond est presque aussi vaste que son ouverture. Au delà on rencontre un golfe sur lequel est Cartéia, anciennement connue, selon quelques auteurs, sous le nom de Tartessos, et habitée par des Phéniciens venus d’Afrique, et Tingentera, d’où je suis; puis Mellaria, et Belon, et Besippon sur les bords du détroit, jusqu’au promontoire de Junon, qui, se portant obliquement vers l’Océan, fait face au promontoire d’Afrique que j’ai indiqué sous le nom d’Ampélusie, et termine les côtes de l’Europe baignées par notre mer.

VII. Iles de la mer Méditerranée.

L’île de Gadès, qu’on aperçoit en sortant du détroit, m’avertit de parler des autres îles de la mer Méditerranée, avant de faire la description des côtes extérieures du globe comme je l’ai annoncé en commençant. Il y a peu d’îles dans le Méotide (c’est le point d’où je crois devoir partir), encore ne sont-elles pas toutes habitées; car elles ne sont pas même très fertiles en blé: de là vient que les habitants font sécher au soleil la chair des gros poissons, la réduisent en farine et en font du pain. Le Pont-Euxin renferme également peu d’îles: celle de Leucé, qui fait face à l’embouchure du Borysthène, est très petite, et porte le surnom d’Achillée, comme étant le lieu de la sépulture d’Achille; celle d’Arie, peu éloignée du rivage des Colchidiens, est consacrée à Mars. La fable rapporte qu’on y vit autrefois certains oiseaux faire beaucoup de mal aux voyageurs qui voulaient y aborder, en leur lançant leurs plumes comme des traits. Il y en a six entre les bouches de l’Ister: la plus connue et la plus grande est Peucé. Tout près du pays des Mariandyns, l’île de Thynias possède une ville qu’on appelle Bithynis, parce qu’elle est habitée par des Bithyniens. En face du Bosphore de Thrace on en voit deux petites, séparées par un étroit intervalle, et qu’on appelle Cyanées et Symplégades; on a cru et dit autrefois qu’elles étaient mobiles et se rapprochaient l’une de l’autre. Dans la Propontide, l’île de Proconnèse est seule habitée. Au delà de l’Hellespont, parmi celles qui bordent les côtes de l’Asie, les plus célèbres sont Ténédos, en face des rivages Sigéens, et vis-à-vis du promontoire du Taurus, celles qu’on voit rangées dans l’ordre où je vais les nommer, et qui, dit-on, s’appelaient autrefois g-Makarohn {des Bienheureux}, soit à cause de l’heureuse nature du climat et du soi, soit pour avoir été gouvernées par Macar et ses descendants. Telles sont Lesbos, en face de la Troade (on y comptait autrefois cinq petites villes, Antissa, Pyrrha, Erèse, Méthymne et Mytilène); Chios et Samos, en face de l’Ionie; Cos, en face de la Carie; Rhodes, en face de la Lycie. Ces îles ont chacune une ville de leur nom; Rhodes en comptait anciennement trois, Lindos, Camiros et Ialysos. On appelle Chélidoniennes, celles qui font face au promontoire du Taurus, et dont l’approche est si dangereuse aux navigateurs. Dans le vaste golfe qui baigne à peu près le milieu de la côte asiatique, est Cypre, qui s’étend d’orient en occident, et s’avance en droite ligne entre la Cilicie et la Syrie: c’est une grande île qui fut autrefois le siège de neuf royaumes, et qui aujourd’hui renferme quelques villes, dont les plus célèbres sont Salamis, Paphos et Palaepaphos, qui, suivant la tradition du pays, reçut d’abord Vénus sortant du sein des flots. Près de la Phénicie est Arados, île peu considérable: qui n’est guère, dans toute son étendue, qu’une petite ville; elle est cependant très peuplée, parce qu’on y put bâtir des maisons les unes au-dessus des autres. Canope, en face de l’embouchure du Nil qu’on appelle Canopique, est également peu étendue: elle est ainsi nommée d’un certain Canope, pilote de Ménélas, qui, étant mort dans cette île, lui laissa son nom; et l’île, à son tour, le donna à la bouche du fleuve. Pharos, qui aujourd’hui tient à Alexandrie par un pont, en était autrefois éloignée, suivant Homère, de toute une journée de navigation. Or, si le poète a dit vrai, on peut attribuer cet accroissement du rivage au limon que roule le Nil, surtout dans ses débordements. Au voisinage de l’Afrique, vis-à-vis de la grande Syrte, est Euteletos; en face des promontoires de la petite Syrte, sont Meninx et Cercinne. Du golfe de Carthage, on aperçoit les Tarichies et les Aegates: celles-ci sont fameuses par la victoire que les Romains y remportèrent sur les Carthaginois. Les rivages de l’Europe sont bordés d’une grande quantité d’îles. Dans la mer Egée, près de la Thrace, sont Thasos, Imbros, Samothrace, Scandile, Polyaegos, Sciathos, Halonèse, et Lemnos, située en face du mont Athos. On dit qu’autrefois les femmes de Lemnos, après avoir tué tous les hommes, restèrent seules en possession de cette île. Scyros et Cinynethos sont situées, l’une au devant et l’autre dans l’intérieur du golfe Pagaséen. L’Eubée se termine au midi par les promontoires Geraestos et Capharée, au nord par le Cenaeum; elle est partout peu large, et même, en un certain endroit, sa largeur se réduit à deux mille pas; mais elle. est longue et correspond à toute l’étendue de la Béotie, dont elle n’est séparée que par un petit détroit, qu’où appelle Euripe. Cette mer, dont les eaux sont très tumultueuses, éprouve sept fois le jour et sept fois la nuit des mouvements alternatifs, qui la portent tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, avec une telle impétuosité, qu’elle repousse les vents contraires et les vaisseaux qui viennent à pleines voiles. L’Eubée renferme quelques villes, Styra, Érétrie, Pyrrha, Nesos, Oechalie; mais les plus florissantes sont Carystos et Chalcis. Dans l’Atthide est Hélène, témoin de l’adultère d’Hélène, et Salamine, plus connue par la défaite des Perses. Au voisinage du Péloponnèse, et toujours dans la mer Égée, sont Pityuse, Aegine, près du rivage d’Épidaure, et Calaurie, près de Trézène, île qui se distingue de quelques autres îles obscures, par la fin tragique de Démosthène. Dans la mer de Myrtos, Cythère s’élève en face du cap Malée, Oenussa et Théganuse en face du promontoire Acritas. Dans la mer Ionienne, on rencontre Proté, Astérie, Céphalénie, Neritos, Samé, Zacynthe, Dulichium; et, parmi d’autres îles qu’on pourrait citer encore, Ithaque, que le nom d’Ulysse a rendue à jamais célèbre. Viennent ensuite, près de l’Épire, les Echinades et les Strophades, autrefois appelées Plotes; en face du golfe Arnbracien, Leucadie, et près de la mer Adriatique, Corcyre. Toutes ces îles avoisinent les côtes de la Thrace et de la Grèce. Dans l’intérieur des mers, on rencontre Melos, Aegilie, Cothon, Ios, Thia, Thera, Gyaros, Hippuris, Dionysie, Cythnos, Chalcie, Icarie, Cinara, Nisyros, Lébinthe, Calymnie, Symé. Comme elles sont dispersées et là, on les appelle Sporades. Viennent ensuite Sicinos, Siphnos, Seriphos, Rhenea, Paros, Mycone, Syros, Tenos, Naxos, Delos, Andros, qu’on appelle toutes ensemble Cyclades, parce qu’elles forment un cercle. Plus loin, en pleine mer, on aperçoit la grande île de Crète, où l’on comptait autrefois cent villes. Elle est terminée à l’orient par le promontoire Samonium, et à l’occident par le promontoire g-Kriou g-metohpon {Front de bélier}, et ressemble à l’île de Cypre, si ce n’est qu’elle est plus grande. Elle est célèbre, dans la fable, par l’arrivée d’Europe, par les amours de Pasiphaé et d’Ariadne, par la férocité et la destruction du Minotaure, par les ouvrages et la fuite de Dédale, par la surveillance et la mort de Talus; mais ce qui la rend plus fameuse encore, c’est un tombeau sur lequel les habitants font remarquer le nom de Jupiter, ce qui prouverait en quelque sorte que c’est là le lieu de sa sépulture. Les villes les plus connues de la Crète sont Gnosôs, Gortyne, Lyctos, Lycastos, Holopyxos, Thérapnes, Cydonée, Marathuse, Dictynne. Parmi ses montagnes, nulle n’est aussi renomme que l’Ida, parce que, suivant la tradition, Jupiter y fut élevé. Dans le voisinage de la Crète, on rencontre Astypalée, Naumachos, Zéphyré, Chrysé, Gaudos, les Musagores, qui, quoiqu’au nombre de trois, portent cependant le même nom, et Carpathos, qui donne le sien à la mer Carpathienne. La mer Adriatique renferme Apsoros, Dyscelados, Absyrtis, Issa, Pityia, Hydria, Electrides, Corcyre la Noire, Tragurium, Diomédie, Aestrie, Sason, et Pharos, aussi voisine de Brundusium que l’autre l’est d’Alexandrie. La Sicile, à ce qu’on dit, faisait autrefois partie du continent, et tenait au Bruttium, dont elle fut séparée par un détroit que forme en ce lieu la mer de Sicile. Ce détroit, qui a peu de largeur, éprouve des mouvements alternatifs, qui portent ses flots tantôt vers la mer Tusque, tantôt vers la mer Ionienne; il est partout difficile, dangereux et fameux par les noms terribles de Scylla et de Charybde. Scylla est un rocher, Charybde un tourbillon, tous deux également redoutables pour les navigateurs. Quant à la Sicile, c’est une île d’une grande étendue, et à laquelle trois côtés différents, terminés chacun par un promontoire, donnent la forme de la lettre grecque appelée delta. Le promontoire qui regarde la Grèce se nomme Pachynum; celui qui regarde l’Afrique, Lilybée, et celui qui, du côté de l’Italie, fait face au rocher de Sylla, Peloris. Ce dernier tient son nom d’un pilote nommé Peloris, à qui Annibal éleva un tombeau sur cette pointe de terre, dans le temps où il fuyait d’Afrique en Syrie. Annibal, engagé dans ce détroit dont il n’avait pu de loin apercevoir l’issue, et se croyant trahi par son pilote, l’avait tué dans un mouvement de colère. Sur cette côte de la Sicile, du cap Peloris au cap Pachynum, on rencontre des villes illustres, Messane, Tauromenium, Catine, Mégaride, Syracuse, et dans cette dernière ville la merveilleuse Aréthuse. C’est une fontaine où l’on voit reparaître tout ce qu’on jette dans l’Alphée, qui, comme je l’ai dit, a son embouchure au rivage du Péloponnèse: ce qui a fait croire que ce fleuve, au lieu de se perdre dans la mer, y continue son cours, et pénètre dans la Sicile par un lit souterrain, pour venir se mêler à la fontaine Aréthuse. Entre le Pachynum et le Lilybée, sont Acragas, Héraclée et Thermes; entre le Lilybée et le Peloris, Panorme et Himère. Dans l’intérieur de l’île, sont Leontini, Centuripinum, Hybla, et plusieurs autres villes, parmi lesquelles Enna est célèbre par son temple de Cérès. Ses principales montagnes sont l’Eryx, fameux par un temple qu’y bâtit Enée en l’honneur de Vénus, et l’Etna, ancien séjour des Cyclopes, qui vomit aujourd’hui des feux continuels. Parmi ses fleuves, il faut citer l’Himère, qui a cela de particulier, que, prenant sa source au centre même de l’ile, il coule de là dans deux directions opposées, et divisant la Sicile en deux parties, va se jeter dans la mer Libyque par une embouchure, et dans la mer Tusque par une autre. Dans les environs de la Sicile on rencontre quelques autres îles: telles sont, dans le détroit, Aeaeé, qui fut, dit-on, habitée par Calypso; du côté de l’Afrique, Gaulos, Melite, Cossure; du côté de l’Italie, Galata, et ces sept îles qu’on appelle Eoliennes, savoir: Ostéodes, Lipara, Héraclée, Didymé, Phoenicuse, Hière et Strongylé. Ces deux dernières sont toujours en feu, comme l’Etna. Près de la côte d’Italie, jusqu’à l’embouchure du Tibre, on rencontre Pithécuse, Leucothée, Aenarie, Phitoni, Caprées, Prochyta, Ponties, Pandaterie, Sinonie, Palmarie. Au delà de l’embouchure du Tibre, on en trouve encore quelques petites: Dianium, Igilium, Carbanie, Urgo, Ilva, Caprarie; deux grandes qui sont séparées par un détroit, la Corse et la Sardaigne. La Corse, plus voisine du rivage étrusque, est étroite et longue, et partout habitée par des barbares, à l’exception des colonies d’Alérie et de Mariana. Quant à la Sardaigne, elle touche à la mer d’Afrique, et formerait un carré parfait, si celui de ses côtés qui regarde l’occident n’était plus court que celui qui regarde l’orient. Elle est partout un peu plus large que la Corse, même considérée dans sa plus grande largeur. Elle est fertile; mais son sol vaut mieux que son climat, qui est presque aussi pestilentiel que la terre est féconde. Ses plus anciens habitants sont les Iliens, et ses plus anciennes villes, Calaris et Sulci. Près de la Gaule, on ne peut guère nommer que les Stoechades, qui sont dispersées çà et là, depuis la côte de la Ligurie jusqu’à Massilia. Les îles Baléares, situées en face de l’Hispanie Tarraconaise, sont à peu de distance l’une de l’autre, et ont reçu de leur étendue comparée les surnoms de Grande et de Petite. Dans la petite, sont les forts Iamnon et Magon; dans la grande, les colonies de Palma et de Pollentia. L’île Ebusos, en face du promontoire Ferraria, qui domine le golfe Sucronien, possède une ville de son nom. Elle est peu fertile en blé, mais elle est plus abondante en d’antres genres de fruits. Les animaux malfaisants y sont inconnus, même ceux qu’on peut apprivoiser; car non seulement elle n’en produit aucun, mais ceux qu’on y transporte d’ailleurs n’y vivent pas. En face d’Ebusos est Colubraria, remplie de toutes sortes de serpents dangereux qui la rendent inhabitable, île dont Ebusos me rappelle le souvenir; car il y a, pour ceux qui veulent y descendre, un moyen de se préserver de toute attaque, c’est de former autour d’eux une enceinte avec de la terre d’Ebusos; car alors ces reptiles, toujours prêts à s’élancer sur ceux qu’ils rencontrent, s’enfuient épouvantés à l’aspect de cette terre, qu’ils redoutent comme un poison.

Livre III

I. Côte extérieure de l’Hispanie.

J’ai passé en revue les côtes de notre mer et les îles qu’elle renferme: il me reste maintenant à décrire cette circonférence extérieure que l’Océan baigne de toutes parts, comme je l’ai dit en commençant. L’Océan est une mer immense, infinie, et sujette à deux grands mouvements alternatifs, qu’on appelle flux et reflux, par suite desquels tantôt elle inonde ses rivages, tantôt elle les fuit et les laisse à sec jusqu’à une grande distance; et ces mouvements ne sont pas partiels, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas lieu successivement tantôt sur un rivage, tantôt sur un autre; mais ils se font sentir en même temps sur toutes les côtes, quelque opposées qu’elles soient, des continents et des îles, soit dans le flux, soit dans le reflux, et avec une telle force, qu’elle refoule dans leur lit les fleuves les plus considérables, et qu’elle entraîne avec elle des animaux terrestres, ou jette sur le rivage des animaux marins. On ne sait guère encore si c’est le monde qui, étant animé, comme le supposent certains philosophes, attire et repousse les eaux de toutes parts par une sorte d’aspiration et d’expiration, ou s’il existe au fond de l’Océan quelques grandes cavernes qui les absorbent et les rejettent alternativement, ou enfin si la lune n’est pas la cause de ce grand ébranlement. Ce qui est certain, c’est que le flux et le reflux ne sont pas réguliers, et qu’ils suivent les différentes phases de cette planète. En sortant du détroit, on passe dans la mer Atlantique, sur laquelle on rencontre, à droite, les côtes de la Bétique, qui, sans deux petits golfes, formeraient une ligne droite jusqu’au fleuve Anas. Elles sont habitées par les Turdules et les Bastules. Sur le premier des deux golfes est un pont appelé Gaditanus et un bois qu’on nomme Oleastrum. Plus loin, près de la mer, est le fort Ebora, et, à quelque distance du rivage, la colonie d’Asta. Au delà, sont un autel et un temple consacrés à Junon, d’où l’on aperçoit en mer la forteresse de Coepion, assise plutôt sur un écueil que dans une île. Le Baetis, qui commence dans la Tarraconnaise, et la traverse à peu près par le milieu, coule longtemps dans un seul lit et tel qu’il est à sa naissance; mais, à peu de distance de la mer, il forme un grand lac, d’où il sort comme d’une source en se divisant en deux branches, dont chacune est aussi large que le fleuve entier l’était avant le partage. L’autre golfe s’étend jusqu’à l’extrémité de la province, et baigne les petites villes d’Olintigi, d’Onoba et de Laepa. La Lusitanie, qui commence au delà du fleuve Anas, forme d’abord une grande saillie dans la mer Atlantique; puis elle se replie sur elle-même, et s’enfuit vers l’orient encore plus loin que la Bétique. Sur cette saillie on rencontre trois promontoires et deux golfes. Le promontoire voisin du fleuve Anas s’appelle Cuneus Ager, parce que, tenant à la terre par une large base, il s’allonge et se rétrécit insensiblement en forme de coin; le suivant se nomme promontoire Sacré, et le troisième, Grand promontoire. Sur le premier sont Myrtili, Balsa, Ossonoba; sur le second, Lacobriga et le Port d’Annibal; sur le dernier, Ebora. Quant aux golfes qui les séparent, l’un baigne Salacie, l’autre Ulyssippo, près de l’embouchure du Tage, fleuve qui roule de l’or et des pierres précieuses. Au delà, jusqu’à la partie de la Lusitanie la plus reculée dans les terres, commence une grande courbe, sur laquelle sont les anciens Turdules et les petites villes des Turdules; on y voit aussi les deux fleuves Monda et Durius, dont le premier se jette dans la mer à peu près au milieu du flanc septentrional du dernier promontoire, et le second a son embouchure près de sa base. Ce côté du promontoire s’étend en ligne droite jusqu’à une certaine distance, et cette ligne droite n’est interrompue que par deux petites courbures jusqu’au promontoire que nous appelons Celtique. Elle est habitée jusqu’à la première sinuosité par les Celtes, et au delà, à partir de l’embouchure du fleuve Durius, par les Groviens, dont le territoire est arrosé par l’Avon, le Celadus, le Naebis, le Minius, et le Limia, surnommé fleuve d’Oubli. L’enfoncement que forme cette sinuosité, comprend la ville de Lambriaca et les embouchures du Laeros et de l’Ulla. La partie saillante qui le suit est habitée par les Praesamarques, dont le pays est traversé par le Tamaris et le Sars, fleuves qui n’ont qu’un cours de peu d’étendue. Le premier se jette dans la mer près du port Ebora, et le second près d’une tour consacrée par le nom d’Auguste. Le reste de la côte est habité par les Tamariques et par les Nériens, qui sont les derniers peuples qu’on y rencontre. Car là se termine la côte qui fait face à l’occident. Celle qui suit regarde le nord dans toute sa longueur, c’est-à-dire depuis le promontoire Celtique jusqu’au promontoire Scythique. Sans quelques petits angles saillants et rentrants, elle serait à peu près droite d’un bout à l’autre jusqu’au pays des Cantabres. On y trouve d’abord les Artabres, qui appartiennent aussi à la nation celtique, et, après eux, les Astures. Les Artabres ont un golfe d’une ouverture étroite, mais d’une large enceinte, sur lequel on voit la ville d’Adobrica, et quatre embouchures de fleuves, dont deux sont peu connues même des habitants, et dont les deux autres sont celles du Mearus et de l’Ivia. Sur les rivages des Astures sont la petite ville de Noega et trois autels appelés Sestiains. Ces autels, élevés dans une presqu’île en l’honneur d’Auguste, illustrent de nos jours une contrée auparavant obscure. A partir d’un fleuve qu’on appelle Salia, les côtes commencent à se replier peu à peu, et l’Hispanie, encore assez large en cet endroit, se resserre de plus en plus entre les deux mers, de telle sorte que, là où elle touche à la Gaule, elle est moins étendue de moitié que dans sa partie occidentale. Ces côtes sont habitées par les Cantabres et les Vardules. On remarque chez les Cantabres quelques peuples et quelques fleuves, mais leurs noms ne peuvent être exprimés dans notre langue. Le Saunium traverse le pays des Concanes et des Salènes, et le Nanasa celui des Autrigons et des Origénomesques. Le Deva baigne Tritium Tobolicum; l’Aturia, Decium, et le Magrada, Oeason. Les Vardules, qui ne forment qu’un seul corps de nation, s’étendent de là jusqu’au promontoire du Pyrénée, et terminent les Hispanies.

II. Côte extérieure de la Gaule.

Vient ensuite la seconde région de la Gaule, dont la côte continue d’abord celle de l’Hispanie, puis se détourne, et s’avance dans la mer à peu près autant que l’Hispanie s’en était éloignée, en décrivant vers l’occident une grande courbe, qui correspond au pays des Cantabres. Le reste fait face au septentrion, et s’étend en ligne droite jusqu’aux rives du Rhin. Ce pays, fertile en blé et en pâturages, est agréablement diversifié par des sacrifices consacrés au culte des dieux. Les végétaux sensibles au froid y croissent difficilement, et même ne poussent pas partout; sa température est salubre, les animaux malfaisants y sont très rares. Elle est habitée par des peuples fiers, superstitieux, et autrefois si barbares, qu’ils regardaient les sacrifices, humains, comme le genre d’holocauste le plus efficace et le plus agréable aux dieux. Cette coutume abominable n’existe plus, mais il en reste encore des traces: car, s’ils s’abstiennent d’immoler les hommes qu’ils dévouent, ils les conduisent néanmoins à l’autel, et les y déchirent avec les dents. Cependant les Gaulois ont une certaine érudition et des maîtres de sagesse, les Druides. Ces maîtres font profession de connaître la grandeur et la forme de la terre et du monde, les révolutions du ciel et des astres, et la volonté des dieux. Ils communiquent une foule de connaissances aux plus distingués de la nation, qu’ils instruisent secrètement et pendant vingt années au fond des cavernes ou des bois les plus retirés. Le seul dogme qu’ils enseignent publiquement, c’est l’immortalité de l’âme et l’existence d’une autre vie: sans doute, afin de rendre le peuple plus propre à la guerre. De là vient que les Gaulois brûlent et enterrent avec les morts tout ce qui est à l’usage des vivants, et qu’autrefois ils ajournaient jusque dans l’autre monde l’exécution des contrats ou le remboursement des prêts. Il y en avait même qui se précipitaient gaîment sur les bûchers de leurs parents, comme pour continuer de vivre avec eux. Tout ce pays prend le nom de Gaule Chevelue. Quant aux peuples qui l’habitent, ils sont connus sous trois grandes dénominations, et sont séparés entre eux par des fleuves considérables. Du Pyrénée à la Garonne, ce sont les Aquitains; de la Garonne à la Seine, les Celtes; de la Seine au Rhin, les Belges. Les Ausciens tiennent le premier rang dans l’Aquitaine; les Aeduens parmi les Celtes, et les Trévériens parmi les Belges. Leurs villes les plus florissantes sont Augusta chez les Trévériens, Augustodunum chez les Éduens, et Elimberrum chez les Ausciens. La Garonne, qui descend du mont Pyrénée, est guéable et peu navigable dans une grande partie de son cours, à moins qu’elle ne soit grossie par les pluies d’hiver ou par la fonte des neiges. Mais lorsque, dans le voisinage de l’Océan, après s’être accrue des eaux de la marée montante, elle roule ensuite ses eaux avec celles de la marée descendante, elle s’enfle et s’élargit à mesure qu’elle approche de la mer, et devient semblable à un large détroit, de sorte que non seulement alors elle porte des navires considérables, mais, comme une mer orageuse, elle les ballotte d’une manière affreuse, surtout quand le vent souffle dans une direction contraire à celle de son cours. Il existe, dans le lit de ce fleuve, une île, appelée Antros, qui, dans l’opinion des habitants, est suspendue sur les eaux et s’élève avec elles au temps de la crue. Cette opinion est fondée sur ce que les lieux environnants, qui la dominent d’ordinaire, sont couverts. d’eau quand la Garonne est grosse, tandis que l’île surnage et domine à son tour les rivages et les collines, qui auparavant bornaient sa vue. C’est à l’embouchure de la Garonne que les rivages commencent à s’avancer dans la mer et à décrire cette courbe qui fait face à la côte des Cantabres, et s’étend depuis le pays des Santons jusqu’à celui des Osismiens. L’intervalle qui sépare ces deux pays est habité par d’autres peuples. Ensuite les rivages regardent le septentrion jusqu’au pays des Morins, la dernière nation de la Gaule. Le port appelé Gesoriacum est ce qu’il y a de plus connu sur cette côte. Le Rhin, qui descend des Alpes, forme tout d’abord les lacs Vénétien et Acronien. Il coule ensuite, et toujours dans un même lit, jusqu’à l’endroit où, près de la mer, il se divise en deux branches, dont la droite retient la forme d’un fleuve et le nom de Rhin jusqu’à son embouchure, et la gauche, après avoir conservé pendant quelque temps sa forme et son cours naturel, s’étend en long et en large dans la plaine, et devient un grand lac, qu’on appelle Flévon; puis, après avoir baigné une île du même nom, reprend sa forme ordinaire et se jette dans l’Océan.

III. Germanie.

Du côté de la Gaule, la Germanie est bornée par le Rhin, depuis l’embouchure de ce fleuve jusqu’aux Alpes; au midi, par les mêmes montagnes; à l’orient, par les nations sarmatiques; au nord, par l’Océan. Elle est habitée par des hommes durs et robustes, qui cherchent dans la guerre un aliment à leur férocité naturelle, et dans les fatigues un exercice à la vigueur de leur corps. Ils se plaisent surtout à braver le froid, et vont tout nus jusqu’à l’âge de puberté, qui est, chez eux, très tardif. Devenus hommes, ils se couvrent d’une simple saie ou d’écorce d’arbre, même dans les temps les plus rigoureux de l’hiver. Nager est pour eux plus qu’un exercice, c’est une passion. Ils font la guerre à leurs voisins, sans autre motif que la fantaisie, non pour les soumettre à leur joug ou pour étendre leur territoire, car ils sont assez insouciants, même de ce qu’ils possèdent, mais pour n’avoir autour d’eux que des déserts. Ils ne connaissent pas d’autre loi que la force, et ne se font aucun scrupule du brigandage; ils ne sont bons que pour leurs hôtes, et traitables que pour ceux qui les supplient. Leur manière de vivre est âpre et grossière, au point qu’ils mangent toute crue la chair de leurs troupeaux et des bêtes fauves, se contentant, lorsqu’elle n’est plus fraîche, de la pétrir avec les mains et les pieds, sans la dépouiller de son cuir. Le sol est entrecoupé d’une multitude de fleuves, hérissé de montagnes, et en grande partie impraticable à cause des bois et des marais. Ses plus grands marais sont le Suesia, l’Estia et le Melsiagum; ses forêts les plus étendues sont l’Hercynie, et quelques autres, qui ont aussi un nom; mais, comme celle-là couvre un terrain de soixante jours de marche, et qu’elle est la plus considérable, elle est aussi la plus connue. Ses plus hautes montagnes sont le Taunus et le Rhéticon; les autres ont des noms que nous ne pouvons guère exprimer dans notre langue. Ses fleuves les plus célèbres sont le Danube et le Rhône, qui passent dans d’autres pays; le Moenis et la Lupia, qui se jettent dans le Rhin; l’Amisius, le Visurgis et l’Albis, qui se perdent dans l’Océan. Au-dessus de l’Albis est le grand golfe Codan, semé d’îles grandes et petites: c’est pour cela que la mer qui baigne ces îles n’a nulle part beaucoup de largeur, et ressemble moins à une mer qu’à une multitude de rivières qui se croisent dans tous les sens et sortent de leur lit en plusieurs endroits. Près du rivage, cette mer, resserrée par des îles peu et presque partout également éloignées du continent, ne paraît être qu’un détroit, et, dans la courbe qu’elle décrit, présente la forme d’un long sourcil. Dans ce golfe sont les Cimbres et les Teutons, au delà desquels sont les Hermions, à l’extrémité de la Germanie.

IV. Sarmatie.

La Sarmatie, plus large dans l’intérieur que sur les bords de la mer, est séparée des contrées suivantes par la Vistule, et s’étend au midi jusqu’à l’Ister. Les Sarmates ont, dans leurs vêtements et dans leur armure, beaucoup de ressemblance avec les Parthes, mais, comme leur climat, leur caractère est plus âpre; ils n’ont ni villes ni demeures fixes. Soit qu’ils conduisent leurs troupeaux dans les pâturages, soit qu’ils poursuivent leurs ennemis ou qu’ils fuient devant eux, ils traînent çà et là tout ce qu’ils possèdent, et vivent campés. C’est une nation guerrière, libre, indomptable, et d’un caractère si dur et si barbare, que les femmes mêmes vont à la guerre avec les hommes. On les y prépare dès leur naissance, en leur brûlant la mamelle droite, afin qu’ayant cette partie du corps conformée comme les hommes, elles puissent mouvoir avec plus d’agilité le bras destiné à frapper. Tendre l’arc, monter à cheval, aller à la chasse, voilà ce qui remplace, dans leur enfance, la quenouille et le fuseau; adultes, on les enrégimente, et elles sont condamnées à la virginité, comme à une peine infamante, jusqu’à ce qu’elles aient donné la mort à un ennemi.

V. Scythie.

Les extrémités de l’Europe qui confinent à l’Asie, sont partout habitées par des peuples scythiques, presque généralement connus sous le nom de Belces, à l’exception de ces plages que des neiges éternelles et l’extrême rigueur du froid rendent tout à fait inhabitables. Les premiers peuples que l’on rencontre sur les rivages de l’Asie sont les Hyperboréens directement placés sous le pôle, au delà de l’Aquilon et des monts Riphées. Ils ne voient pas, comme nous, le soleil se lever et se coucher dans l’espace de douze heures; mais ils ont des jours de six mois, depuis l’équinoxe de printemps jusqu’à l’équinoxe d’automne, et des nuits d’égale durée, depuis l’équinoxe d’automne jusqu’à l’équinoxe de printemps. Leur pays est sacré; leur température est douce, et leur sol naturellement fertile. Religieux observateurs de la justice, ils coulent des jours plus longs et plus heureux que le reste des hommes. En effet, toujours dans la paix et dans les fêtes, ils, ignorent ce que c’est que guerre et dissension; pleins de piété envers les dieux, ils honorent surtout Apollon. On rapporte qu’autrefois ils envoyaient à Délos les prémices de leurs victimes; que, dans les premiers temps, ils confiaient à quelques jeunes vierges du pays le soin de les porter, mais qu’ensuite ils se servirent de l’entremise des peuples intermédiaires qui se les passaient de proche en proche, et qu’il en fut ainsi jusqu’au moment où l’infidélité de nations dépravées les força de renoncer à leur pieuse coutume. Ils passent leur vie dans les bois sacrés et dans les forêts, et, dès qu’ils se sentent rassasiés, plutôt que dégoûtés, de vivre, le front ceint d’une guirlande de fleurs, ils vont gaiement se précipiter dans la mer du haut d’un certain rocher : c’est le genre de mort le plus distingué. La mer Caspienne s’introduit dans les terres par un canal étroit, mais très long, et semblable à un fleuve; puis, après avoir coulé en ligne directe, comme dans un lit, elle forme trois golfes, savoir: en face de l’embouchure du canal dont je viens de parler, le golfe Hyrcanien; à gauche, le golfe Scythique; à droite, celui qu’on appelle proprement Caspien, du nom même de cette mer. Elle est partout terrible, intraitable, sans ports, exposée de toutes parts aux tempêtes, abondante plus qu’aucune autre en monstres marins, et par conséquent moins navigable. On rencontre d’abord, à droite, les Scythes nomades, campés sur les rivages du détroit; dans l’intérieur, sur le golfe Caspien, les Caspiens et les Amazones Sauromatides; sur le golfe Hyrcanien, les Albaniens, les Mosques et les Hyrcaniens; sur le golfe Scythique, les Amardins et les Paesices, et enfin, sur le détroit, les Derbices. Ce golfe reçoit une multitude de fleuves grands et petits, dont je citerai les plus remarquables. Le Rha, qui descend des monts Cérauniens, coule d’abord dans un seul lit, et se jette ensuite dans la mer par deux embouchures. L’Araxe, sorti des flancs du Taurus, traverse lentement et sans bruit les plaines de l’Arménie, à tel point qu’on serait embarrassé de dire de quel côté il avance; plus loin, forcé de se frayer un chemin à travers des défilés étroits, il accélère son mouvement à mesure qu’il se resserre, se brise sur les rochers qu’il rencontre, et roule ses eaux retentissantes avec une telle impétuosité, qu’arrivé au bord d’un précipice, au lieu de suivre le penchant de la montagne, il s’élance au delà de son lit et reste suspendu dans la longueur de plus d’un arpent; puis, après avoir décrit la courbe d’un arc, tombe et redevient paisible et silencieux jusqu’à son embouchure sur ce rivage. Le Cyrus et le Cambyse, issus de deux sources voisines au pied du mont Coraxique, se séparent ensuite et coulent longtemps, à une grande distance l’un de l’autre, à travers l’Ibérie et l’Hyrcanie; puis, se réunissant dans un même lac, non loin de la mer, ils se jettent dans le golfe Hyrcanien par une même embouchure. L’Iaxartes et l’Oxus viennent de la Sogdiane, à travers les déserts de la Scythie, se perdre dans le golfe Scythique: le premier est considérable par lui-même; le second l’est encore plus, mais il emprunte une partie de ses eaux à des fleuves tributaires. Après avoir parcouru un assez long espace d’orient en occident, il se détourne un moment vers les Dahes, puis, remontant vers le nord, il va se jeter dans la mer entre les Amardins et les Paesices. Les forêts recèlent plusieurs sortes d’animaux terribles, même des tigres, surtout dans l’Hyrcanie. Le tigre est extraordinairement féroce, et d’une telle vitesse, qu’il peut avec facilité atteindre un cavalier fort éloigné, même après être retourné plusieurs fois sur ses pas jusqu’au lieu d’où il était parti. S’il arrive, en effet, qu’un ravisseur adroit enlève les petits d’une tigresse, et que, pour déjouer sa rage par la ruse, il en jette çà et là quelques-uns sur la route, elle ramasse le premier qu’elle rencontre et retourne le déposer dans sa tanière, revient à la charge, retourne encore, et n’abandonne le ravisseur que lorsque, à l’aspect des habitations, elle n’ose se hasarder plus avant. On a douté assez longtemps si, au delà de la mer Caspienne, tout était océan, ou si c’était une terre sans circonférence ni terme, et glacée par le froid. Mais à l’autorité des anciens philosophes et d’Homère, qui ont prétendu que la terre était de tous côtés environnée par la mer, on peut ajouter celle de Cornelius Nepos, qui, étant plus moderne, est par conséquent plus sûr. Or, cet auteur rapporte, à l’appui de cette opinion, le témoignage de Q. Metellus Celer, auquel il fait dire qu’étant proconsul dans la Gaule, le roi des Bètes lui fit présent de quelques Indiens, et que, s’étant informé d’où ils étaient venus, il apprit que, les tempêtes les ayant emportés loin de la mer des Indes, ils avaient été jetés, après un long trajet, sur les rivages de la Germanie. Le reste de la côte asiatique est donc baigné au nord par une mer sans bornes; mais cette partie est couverte de glaces éternelles, et par conséquent déserte.

VI. Iles de l’Hispanie extérieure et de l’océan Septentrional.

En face des côtes que j’ai parcourues depuis l’angle de la Bétique, sont plusieurs îles sans célébrité et même sans nom; mais parmi celles qui me paraissent dignes d’être citées, je nommerai d’abord l’île de Gadès, qui touche au détroit, et n’est séparée du continent que par un petit bras de mer semblable à un fleuve. Du côté de la terre, ses bords suivent une ligne presque droite; du côté de l’Océan, elle forme une courbe terminée à droite et à gauche par deux promontoires, sur l’un desquels est une ville florissante du même nom, et sur l’autre un temple d’Hercule égyptien, célèbre par ses fondateurs, par la vénération des peuples, par son antiquité et par ses richesses. Ce temple fut bâti par des Tyriens; il doit sa sainteté aux cendres d’Hercule qui y sont déposées; son origine remonte aux temps de Troie; ses richesses sont le produit des siècles. En face de la Lusitanie est l’île d’Érythie, qui fut, dit-on, habitée par Géryon, et quelques autres sans noms connus, quoique leur fertilité soit telle, qu’une fois les champs ensemencés de blé, ce qui tombe des épis suffit pour renouveler la semaille et produire sept récoltes au moins, et quelquefois davantage. En face du pays des Celtes, il en est quelques-unes, qui sont connues sous le nom général de Cassitérides, parce qu’elles abondent en plomb. L’île de Sena, située dans la mer Britannique, en face des Osismiciens, est renommée par un oracle gaulois, dont les prêtresses, vouées à une virginité perpétuelle, sont au nombre de neuf. Elles sont appelées Gallicènes, et on leur attribue le pouvoir singulier de déchaîner les vents et de soulever les mers, de se métamorphoser en tels animaux que bon leur semble, de guérir des maux partout ailleurs regardés comme incurables, de connaître et de prédire l’avenir, faveurs qu’elles n’accordent néanmoins qu’à ceux qui viennent tout exprès dans leur île pour les consulter. On ne tardera pas à parler de la Bretagne et de ses habitants d’une manière plus sûre et plus positive, grâce au génie du plus grand des princes, qui vient de nous ouvrir un pays si longtemps fermé, et qui, déjà maître de plusieurs contrées de cette île que nul autre avant lui n’avait subjuguées ni même connues, après avoir exploré ce pays par la guerre, s’apprête à en enchaîner les images à son char de triomphe. Quant à présent, suivant ce qu’on en sait, la Bretagne s’étend entre le septentrion et l’occident, et forme un grand angle, dont la pointe regarde les bouches du Rhin; puis, de cette pointe partent deux lignes obliques, dont l’une fait face à la Gaule, l’autre à la Germanie, et qui aboutissent à une ligne droite, ce qui lui donne une forme triangulaire tout à fait semblable à celle de la Sicile. Elle est unie, grande, fertile, mais en productions plus propres à nourrir les troupeaux que les hommes. Elle a des forêts, des bois et des fleuves très considérables, qui tantôt coulent dans la mer, tantôt remontent vers leur source, par suite des mouvements alternatifs de la marée; il en est même qui roulent des pierres précieuses et des perles. Elle se compose de plusieurs peuples gouvernés par des rois; mais ils sont tous de mœurs grossières, et, comme ils sont éloignés du continent, ils ne connaissent pas d’autres richesses que leurs troupeaux et les biens de leur territoire. On ne sait si c’est pour se donner un certain agrément, ou pour tout autre motif, qu’ils se peignent le visage avec du pastel. Cependant ils trouvent des prétextes pour se faire la guerre, et s’attaquent souvent les uns les autres, poussés par l’unique désir de commander et d’agrandir leur territoire; armés à la manière des Gaulois, ils combattent non seulement à cheval et à pied, mais encore dans des chars, dont une espèce est armée de faux et appelée covinus. Au delà de la Bretagne est l’île Iverne, qui est presque aussi étendue, sous la forme d’un carré long: son climat est peu favorable à la maturité des fruits, mais elle abonde en herbes si succulentes et si douces, qu’il suffit de quelques heures aux troupeaux pour se repaître, et que, si l’on ne prend soin de les retirer à temps des pâturages, l’excès de nourriture les fait crever. Ses habitants ne connaissent ni lois, ni vertus, ni religion. Les Orcades sont au nombre de trente, à peu de distance les unes des autres. Les Émodes sont au nombre de sept, en face de la Germanie. Le golfe Codan renferme six autres îles. Une d’elles, qu’on appelle Scandinavie et qui est encore occupée par des Teutons, est la plus grande et la plus fertile. Celles qui font face à la Sarmatie semblent tantôt des îles, tantôt une terre continue, suivant que la mer, dans ses flux et reflux, couvre ou laisse à sec les intervalles qui les séparent. La fable atteste, et je lis même dans des auteurs qui ne me paraissent pas indignes de foi, qu’il existe dans ces îles des Oaeones qui ne se nourrissent que d’avoine et d’œufs d’oiseaux de marais, des Hippopodes à pieds de cheval, et des Panotes, dont les longues et larges oreilles leur enveloppent tout le corps et leur servent de vêtements. L’île de Thulé, que les poètes grecs et latins ont rendue si célèbre, est située en face des Belces. Les nuits y sont courtes, à cause du grand intervalle qui sépare les deux points où le soleil se lève et se couche: obscures pendant l’hiver, comme partout ailleurs, elles sont claires pendant l’été, parce que le soleil, s’élevant dans cette saison plus haut que d’ordinaire, est précédé d’un long crépuscule. Mais, au temps du solstice, il n’y a pas de nuit, parce que le soleil montre au-dessus de l’horizon une grande partie de son disque. Talgé, dans la mer Caspienne, fertile sans culture, abonde en fruits de toute espèce; mais les peuples voisins regardent comme un sacrilège d’y toucher, parce qu’il les croient destinés aux dieux. Enfin, vis-à-vis de ces côtes désertes, dont j’ai parlé plus haut, sont aussi quelques îles également désertes, dépourvues de noms particuliers, et qu’on appelle Scythiques.

VII. Océan Oriental et Inde.

A partir de ces déserts, les côtes de l’Asie tournent vers la mer Orientale, et s’étendent depuis le promontoire Scythique jusqu’au promontoire Colis. Le commencement de ces côtes est tout à fait inaccessible; ensuite on rencontre un pays inculte, que la barbarie des habitants entretient dans cet abandon. Ce sont les Scythes Androphages et les Saces, séparés entre eux par une contrée que la quantité des bêtes féroces rend inhabitable. Plus loin, on ne trouve encore que des bêtes féroces et des déserts, jusqu’au mont Tabis, qui domine la mer. Le long intervalle qui sépare cette montagne du Taurus, est habité par les Sères, peuple ami de la justice, et très connu par la manière dont il fait le commerce, en exposant les marchandises dans la solitude. L’Inde ne regarde pas seulement la mer Orientale; elle s’étend encore, au midi, sur les bords de la mer Indienne. Bornés du côté des Sères par le Taurus, et à l’occident par l’Indus, ses rivages couvrent autant d’espace qu’un navire voguant à pleines voiles pourrait en parcourir pendant quarante jours et quarante nuits. Sa position est si différente de la nôtre, que, dans une certaine partie, on n’aperçoit ni l’une ni l’autre des deux Ourses, et que l’ombre des corps s’y projette vers le midi. Du reste, elle est fertile et abonde en hommes et animaux de toute espèce. On y voit des fourmis aussi grosses que des chiens, qui gardent, dit-on, comme les griffons, l’or qu’elles arrachent des entrailles de la terre, et font payer chèrement leur audace à ceux qui tentent de le leur enlever. On y voit aussi des serpents si prodigieux, qu’ils tuent jusqu’à des éléphants, soit en les déchirant avec les dents, soit en s’entortillant autour de leur corps. Le sol y est en quelques endroits si gras et si fertile, que le miel y découle des feuilles, que les arbres produisent de la laine, et qu’avec une partie de roseau prise entre deux nœuds, on fait une nacelle capable de contenir deux et même trois hommes. Les Indiens diffèrent entre eux dans leurs vêtements, dans leurs formes et dans leurs usages. Les uns portent des habits tissus, de lin ou de la laine dont j’ai parlé; d’autres se couvrent de peaux de bêtes fauves et d’oiseaux; quelques-uns vont tout nus; quelques autres ne cachent que les parties sexuelles; ceux-ci sont très petits, ceux-là sont d’une stature si haute qu’ils montent des éléphants, bien qu’ils soient plus grands et plus gros dans cette contrée que partout ailleurs, avec autant de facilité et d’une manière aussi dégagée que nous montons nos chevaux. Là c’est un devoir de ne tuer aucun animal et de s’abstenir de chair; ici on ne se nourrit que de poissons; un peu plus loin on tue ses parents, comme on tue des victimes, avant que la vieillesse ou la maladie les ait fait maigrir, et c’est ensuite un grand acte de piété que de manger leur chair dans un festin. Aussi ceux qui sentent les approches de la vieillesse ou de la maladie, prennent- ils le parti de s’enfuir dans la solitude pour y attendre tranquillement la mort naturelle. Les savants et les sages ne l’attendent pas, et se font autant de plaisir que d’honneur de la prévenir en se brûlant tout vifs. De toutes les villes de l’Inde, lesquelles sont en très grand nombre, Nysa est la plus célèbre et la plus grande, de même que la plus célèbre de ses montagnes est celle de Méros, consacrée à Jupiter. Ce qui les rend l’une et l’autre principalement fameuses, c’est que suivant la tradition, Bacchus naquit dans la ville de Nysa, et qu’il fut élevé dans une grotte de la montagne: tradition qui, vraie ou fausse, a fait dire aux Grecs que Bacchus avait été enfermé dans la cuisse de Jupiter. La côte qui s’étend de l’Indus au Gange est habitée par les Palibotriens, et du Gange au promontoire Colis, à l’exception de quelques parties que l’extrême chaleur rend inhabitables, par des peuples noirs, qu’on prendrait pour des Ethiopiens. Du promontoire Colis au lieu appelé Cudum, la côte est droite et habitée par des peuples timides, à qui la mer prodigue ses trésors. Tamos est le nom d’un promontoire du Taurus. Le cap Colis forme un angle dont l’un des côtés terminée la côte orientale de l’Inde, et l’autre commence la côte méridionale. Le Gange sort de l’Hémode, montagne de l’Inde, par un grand nombre de sources, qui, après s’être confondues dans un même lit, forment le plus grand de tous les fleuves: il a dix mille pas dans sa plus petite largeur, et se jette dans la mer par sept embouchures. L’Indus descend du mont Paropamise, et s’accroît des eaux de plusieurs autres fleuves, qui ne laissent pas d’être très célèbres, tels que le Cophena, l’Acésinès et l’Hydaspes. Grossi du tribut de ces fleuves, il a à peu près la largeur du Gange. Ensuite il serpente, en se divisant, autour d’une longue chaîne de montagnes, et, après avoir fait des détours souvent assez longs, il roule en ligne droite et dans un seul et même lit, jusqu’à l’endroit où, se partageant encore en deux branches, il se rend à la mer par deux embouchures très éloignées l’une de l’autre. Près du promontoire Tamnos est l’île Chrysé; près du Gange, celle d’Argyré. Suivant une tradition ancienne, le sol de l’une est d’or, et celui de l’autre est d’argent: d’où l’on peut induire, ou que ces îles ont pris leur nom de la réalité de la chose, ou que le nom a donné naissance à la fable. La Taprobane est une très grande île, ou, suivant l’opinion d’Hipparque, le commencement d’un autre monde: ce qui est vraisemblable, puisqu’elle est habitée et qu’on ne cite aucun voyageur qui en ait fait le tour. En face des embouchures de l’Indus, on rencontre quelques plages, connues sous le nom de plages du soleil, et tellement inhabitables, que ceux qui y abordent y sont incontinent suffoqués par l’air qu’on y respire. Entre les embouchures du même fleuve est une région nommée Patalène. De là jusqu’au commencement de la mer Rouge s’étend une région qui manque d’habitants en quelques endroits, à cause de l’extrême chaleur. Les rivages où commence la mer Rouge sont impraticables et déserts; la terre y paraît être de la cendre: aussi les fleuves y sont-ils peu nombreux et peu considérables, et les plus connus sont le Tubéron et l’Arusace.

VIII. Mer Rouge et ses deux golfes Persique et Arabique.

Cette mer est appelée par les Grecs g-Erythran g-Thalassan soit parce que ses eaux sont rouges, soit parce qu’autrefois Erythras régna sur ses bords. Elle est orageuse, difficile, profonde et plus abondante que les autres en animaux monstrueux. D’abord elle s’enfonce de deux côtés, dans les terres à une égale profondeur, et y forme deux golfes d’une certaine étendue, dont les rivages se courbent en forme d’arc, comme pour l’empêcher de se prolonger plus avant dans la direction occidentale; puis, au fond de ces deux courbures, elle se fraye un nouveau passage et forme deux autres golfes, dont l’un, plus voisin des contrées que je viens de décrire, s’appelle golfe Persique, et l’autre golfe Arabique. Le golfe Persique s’ouvre par un grand canal, dont les côtés parallèles s’allongent en forme de cou; puis, se déployant de tous côtés dans uns égale proportion, il forme une vaste mer dont les rivages arrondis décrivent le contour d’une tête humaine. Le golfe Arabique est plus étroit à son ouverture et moins étendu dans tout le reste mais il pénètre plus avant dans les terres, et ses côtés sont beaucoup plus longs: il s’étend presque jusqu’à l’Egypte et au mont Casius en Arabie, en se rétrécissant de plus en plus. A partir du point ou j’en suis resté jusqu’au golfe Persique, ce ne sont que déserts, à l’exception de la côte habitée par les Chélonophages. Les Carmaniens, placés à l’entrée même de ce golfe et sur la rive droite, n’ont ni vêtements, ni fruits, ni troupeaux, ni demeures fixes; ils se couvrent de peaux de poissons, se nourrissent de leur chair, et sont velus par tout le corps, à l’exception de la tête. Plus avant sont les Gédrosiens, et ensuite les Perses. Le Sabis vient se jeter dans le golfe sur la côte des Carmaniens; l’Audamis et le Coros ont leur embouchure au-dessus. Dans la partie de ce même golfe opposée à son ouverture, sont les limites du pays des Babyloniens et des Chaldéens, et les embouchures de deux fleuves célèbres, le Tigre et l’Euphrate. Le Tigre, plus voisin de la Perse, coule dans un lit toujours égal depuis sa source jusqu’à la mer. L’Euphrate tombe plutôt qu’il ne sort d’une source large et profonde; au lieu de s’écouler en ligne droite entre deux rives, il se répand au loin dans la plaine, et y forme des marais où il dort longtemps sans mouvement, jusqu’à ce que, ses eaux accumulées venant à déborder, il prenne enfin la forme d’un fleuve. Alors, rapide et bruyant, il prend sa course vers l’occident à travers l’Arménie et la Cappadoce, et sans le Taurus, qui le force à reculer vers le midi, il viendrait se jeter dans notre mer. Dans cette nouvelle direction, il entre d’abord en Syrie, puis en Arabie, et au lieu de continuer son cours vers le golfe Persique, ce fleuve, naguère immense et navigable, devient un faible ruisseau, qui s’éteint et disparaît, sans avoir nulle part d’issue apparente comme les autres fleuves. La rive gauche du golfe Persique fait partie d’une contrée qui s’étend d’une mer à l’autre. Cette contrée s’appelle Arabie, surnommée Heureuse; elle est étroite, mais extraordinairement abondante en cinnamome, en encens et autres parfums. Les Sabéens en occupent la plus grande partie; celle qui touche à l’entrée du golfe et fait face à la Carmanie est habitée par les Maces. La pointe de l’Arabie qui s’avance entre les ouvertures des deux golfes est hérissée de bois et de rochers. Dans cet intervalle, on rencontre quelques îles, dont la plus célèbre est Ogyris, parce qu’elle renferme le tombeau d’Erythras. Le golfe Arabique est de toutes parts environné de peuples arabes. On rencontre d’abord, à droite, les villes de Cana, d’Arabie et de Gadame; à gauche, à partir de l’angle du golfe, celle de Bérénice, entre les promontoires Heroopoliticum et Strobilum; ensuite Philotéris et Ptolémaïs, entre les promontoires g-Myos g-hormon et Coloba; plus loin Arsinoé et une autre Bérénice; puis une forêt qui donne de l’ébène et des aromates; enfin un fleuve remarquable en ce qu’il n’est autre chose qu’un canal creusé de main d’homme et dérivé du Nil. Au delà du golfe Arabique, et cependant encore sur les bords d’un enfoncement assez profond qui forme la mer Rouge, est une plage en partie déserte à cause des bêtes féroces qui l’infestent, en partie habitée par les Panchéens, surnommés Ophiophages, parce qu’ils se nourrissent de serpents. L’intérieur était autrefois habité par les Pygmées, race d’hommes de très petite stature, qui s’éteignit dans les guerres qu’elle eut à soutenir contre les grues pour la conservation de ses récoltes. On voit dans ce pays des oiseaux et des serpents de plusieurs espèces. Parmi ces derniers, on fait surtout mention de serpents ailés, qui, très petits, mais d’un venin très dangereux, sortent, dit-on, à une époque fixe de l’année, de la fange des marais, et s’envolent en essaims nombreux vers l’Egypte, mais sans pouvoir y pénétrer, parce que des oiseaux appelés ibis, venant à l’entrée du pays se poster à leur rencontre, leur disputent le passage et les tuent. Quant aux oiseaux, le plus digne de remarque est le phénix, toujours unique dans son espèce; car il n’a ni père ni mère. Après avoir vécu cinq cents ans, il rassemble en monceau différentes sortes d’herbes aromatiques, se couche dessus et s’y consume; puis, retrouvant dans sa propre décomposition le germe d’une vie nouvelle, il se conçoit et renaît de lui-même. Dès qu’il a pris un certain accroissement, il renferme les restes de son ancien corps dans de la myrrhe, les transporte dans une ville de l’Égypte appelée la ville du Soleil, les dépose dans le sanctuaire d’un temple, sur un bûcher de bois odoriférants, et se rend ainsi les honneurs d’une sépulture solennelle. Le promontoire qui termine la mer Rouge est couvert de bois impénétrables, qu’on appelle Cérauniens.

IX. Ethiopie.

Au delà sont les Éthiopiens. Leur siège principal est Méroé, la première des îles que forme le Nil. Les uns sont appelés Macrobiens, parce que leur vie est presque de moitié plus longue que la nôtre; les autres Automoles, parce qu’ils vinrent autrefois de l’Égypte. Ils sont bien faits et tous de même taille; ils font peu de cas des richesses et n’estiment que la vertu. Ils choisissent de préférence pour chef celui d’entre eux qui se distingue par la beauté et la force. L’or étant chez eux plus commun que le cuivre, ils donnent pour cela plus de prix au métal qui est en réalité moins précieux, et l’emploient dans leurs ornements, tandis qu’ils fabriquent avec l’or les chaînes des malfaiteurs. Dans ce pays est un lieu toujours couvert de mets, et qu’on appelle g-Hehliou g-trapezan (Table du soleil), parce que chacun peut, quand bon lui semble, y venir prendre son repas. Les habitants assurent que la terre produit ces mets publics par la volonté des dieux, à mesure qu’ils se consomment. On y voit un lac d’où les corps sortent aussi luisants que si on les eût frottés d’huile; ses eaux, dont on boit habituellement, sont si limpides et si peu denses, que rien de ce qui y tombe ou de ce qu’on y jette ne surnage, pas même les feuilles détachées des arbres voisins, qui tombent de suite au fond. On y trouve des animaux très féroces, tels que des lycaons aux couleurs infinies et changeantes, et des sphinx, qui ont la forme que leur donne la fable. On y voit aussi des oiseaux extraordinaires, comme des tragopans à cornes, et des pégases à oreilles de cheval. Du reste, en suivant les côtes vers le sud-est, on ne rencontre rien de remarquable: ce sont de vastes plages hérissées de montagnes hautes et escarpées, et la côte ressemble plutôt aux bords d’un fleuve qu’aux rivages d’une mer. Vient ensuite une grande région, qui est entièrement inhabitée. On a douté assez longtemps si la mer s’étendait au midi de cette côte, et achevait ainsi de circonscrire la terre, ou si l’Afrique se prolongeait indéfiniment; mais depuis qu’allant à la découverte par ordre de sa république, le Carthaginois Hannon, après avoir passé le détroit, a fait une longue navigation autour d’une grande partie de l’Afrique, et qu’il nous a appris lui-même, par le journal de son voyage, que s’il était revenu sur ses pas, c’était non la mer, mais les vivres qui lui avaient manqué; depuis qu’au temps de nos aïeux, comme l’assure Népos, un certain Eudoxe, fuyant la colère de Lathurus, roi d’Alexandrie, sortit du golfe Arabique et parvint par mer à Gadès, nous avons quelques connaissances sur cette partie du monde. Au delà de ces déserts dont je viens de parler, on rencontre des peuples muets qui ne peuvent se faire entendre que par signes: les uns ont une langue et ne peuvent pas parler; les autres sont entièrement privés de cet organe; d’autres, dont la bouche est naturellement fermée, n’ont sous les narines qu’un petit trou par lequel on dit qu’ils boivent à l’aide d’un chalumeau, et qu’ils aspirent une à une, quand ils ont besoin de manger, les graines qu’ils rencontrent çà et là sous leurs pas. Avant l’arrivée d’Eudoxe, le feu était tellement inconnu à quelques-uns de ces peuples, et ils en furent si émerveillés, qu’ils embrassaient les flammes avec transport, et cachaient dans leur sein des charbons ardents, jusqu’à ce que la douleur les leur fit abandonner. Au-dessus de ces peuples est un grand golfe, et dans ce golfe une grande île qui n’est, dit-on, peuplée que de femmes dont tout le corps est velu, et qui deviennent fécondes sans aucun commerce avec des hommes; elles sont, en outre, d’un naturel si sauvage et si farouche, qu’il s’en trouve quelquefois qu’on peut à peine contenir en les enchaînant. C’est ce que Hannon a raconté, et l’on ne peut se refuser à le croire en voyant les peaux de quelques-unes de ces femmes qu’il avait fait tuer et écorcher. Au delà de ce golfe, on rencontre une montagne élevée et toujours en feu, que les Grecs appellent g-Theon g-Okhema (Char des dieux). Au delà de cette montagne, la côte offre, pendant un long espace, une chaîne de collines verdoyantes, et au pied de ces collines, des plaines qui s’étendent à perte de vue, et qu’on croit habitées par des Pans et des Satyres. Ce qui confirme dans cette opinion, c’est qu’on n’y aperçoit ni culture, ni habitations, ni aucun signe qui indique la présence des hommes: c’est que ces lieux, qui pendant le jour ne sont qu’une vaste solitude où règne un silence plus vaste encore, ressemblent pendant la nuit à un grand camp, par la multitude des feux qu’on y voit briller çà et là, et par un bruit surnaturel de cymbales de tambours et de flûtes. Plus loin, on retrouve des Éthiopiens, mais ils ne sont ni aussi riches que ceux dont nous avons déjà parlé, ni comme eux d’une taille égale; ils sont en outre plus petits et grossiers: on les appelle g-Hesperioi (Hespériens, Occidentaux). Sur leur territoire est une fontaine qu’on peut regarder, avec quelque vraisemblance, comme la source du Nil; les habitant l’appellent Nuchul, nom qui n’est peut-être qu’une corruption de celui du fleuve de l’Egypte. Elle produit le papyrus et les mêmes espèces d’animaux qu’on trouve dans le Nil: seulement ces animaux n’y viennent pas aussi gros. Tandis que les autres fleuves se dirigent vers l’Océan, le Nuchul seul s’en va par le milieu de la contrée vers l’orient, sans qu’on sache précisément où il se perd. On peut induire de là que cette fontaine est la source du Nil, qui, disparaissant pendant quelque temps à travers des lieux impénétrables et par conséquent inconnus, reparaît, dès qu’il le peut, vers la partie orientale: ce qui fait que le Nuchul paraît finir dans un endroit et le Nil commencer dans un autre. On voit chez ces peuples une bête appelée catoblépas, qui, sans être grosse, a néanmoins une tête très grosse, qu’elle a peine à soutenir, et que son poids énorme incline fortement vers la terre. Cette bête a surtout cela de particulier, qu’elle n’a pas besoin de se précipiter sur sa proie ni de l’attaquer avec ses dents: elle la tue d’un regard. Les îles Gorgades, qui furent autrefois, dit-on, le séjour des Gorgones, s’élèvent en face de ce pays, qui se termine au promontoire appelé g-Hesperou g-Keras (Corne de l’Occident).

X. Mer Atlantique et partie adjacente de l’Éthiopie et de la Mauritanie.

A partir de ce promontoire commence cette côte qui se courbe vers l’occident et que baigne la mer Atlantique. Les premières contrées sont habitées par des Ethiopiens; celles du milieu sont entièrement désertes, soit à cause de la chaleur, soit parce qu’elles sont couvertes de sables arides ou infestées de serpents. En face de la région brûlée par le soleil sont des îles qui passent pour avoir été habitées par les Hespérides. Au milieu des sables s’élève l’Atlas, montagne massive, escarpée, inaccessible, et s’amoindrissant à mesure qu’elle s’élève; et telle est sa hauteur, que sa cime se dérobe aux regards et se perd dans les nues ce qui a fait dire, non seulement que l’Atlas touchait aux astres, mais même qu’il portait le ciel. En face de cette montagne sont les îles Fortunées, où la terre produit sans culture des fruits sans cesse renaissants, et où les habitants, exempts d’inquiétude, coulent des jours plus heureux que dans les villes les plus florissantes. Il en est une particulièrement remarquable à cause de deux fontaines qui ont la propriété singulière, l’une d’exciter dans ceux qui boivent de ses eaux un rire qui finit par la mort, et l’autre de guérir de cette joie dangereuse. Au delà de la contrée infestée par les serpents, on, rencontre d’abord les Himantopodes, dont les jambes flexibles leur servent, dit-on, moins à marcher qu’à se traîner comme des reptiles; puis les Pharusiens, qui, riches autrefois, lorsqu’Hercule osa s’aventurer chez les Hespérides, mènent aujourd’hui une vie grossière et ne possèdent pour tout bien que les troupeaux dont ils se nourrissent. Plus loin sont des campagnes riantes et des bois délicieux remplis d’ébéniers, de térébinthes et d’ivoire. Viennent ensuite les Nigrites et les Gétules, peuples errants, et dont les rivages mêmes ont leur fécondité; car on y recueille le purpura et le murex, dont la couleur est très brillante et très recherchée. Le reste de la côte appartient à la Mauritanie extérieure, et aboutit à l’angle que l’Afrique, ainsi que je l’ai dit, forme à son extrémité. On y trouve, mais en moindre quantité, les mêmes richesses que dans la contrée précédente; son sol est beaucoup plus fertile, car, outre qu’il rend avec usure les semences qu’on lui confie, il produit sans culture certaines sortes de fruits. On rapporte qu’Antée régna autrefois dans ce pays; et ce qui confirme cette tradition, c’est qu’on montre une petite colline dont la forme est celle d’un homme couché sur le dos, et qui passe parmi les habitants pour être le tombeau de ce géant. S’il y survient quelque éboulement, il jaillit de l’eau jusqu’à ce qu’on ait rapporté de la terre et comblé le vide. Parmi les habitants de cette côte, les uns vivent dans les bois, sans être pourtant aussi vagabonds que ceux dont je viens de parler; les autres habitent des villes, dont les plus florissantes, en comparaison des autres, sont Gilda, Volubilis et Prisciana, assez loin de la mer; et, plus près des rivages, Sala, et Lynx, située dans le voisinage du fleuve Lixus. Au delà de ces villes sont la colonie de Zilia, le fleuve du même nom, le promontoire Ampelusia, par lequel j’ai commencé ma description, et qui, formant sur le détroit l’extrémité de la côte Atlantique, est aussi le terme de mon travail.

FIN DE L'OUVRAGE

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