Sylla

Sylla :

" Sylla est de cette famille d'impitoyables niveleurs qui, de sang froid, sans haine ni colère, brisent et broie pour unir"

Victor Duruy, cité par F. Hinard dans sa biographie " Sylla ".

On ne connaît que très peu les ancêtres de Sylla ; seul nous est parvenu le nom de Publius Cornelius Rufinus , son quadrisaïeul qui fut consul en 290 avant J.C. et en 277 avant J.C., il fut exclu de l'ordre sénatorial par les censeurs.

" … il fut moins connu par cette élévation que par la flétrissure qu'il reçut : on trouva chez lui plus de dix livres pesant de vaisselle d'argent ; et cette contravention à la loi le fit chasser du sénat. Ses descendants vécurent depuis dans l'obscurité, et Sylla lui-même fut élevé dans un état de fortune très médiocre. " Plutarque, vie de Sylla, 1.

La connaissance que nous avons du personnage n'est que de seconde main. Lui-même composa des " mémoires " dont il ne reste pratiquement rien. Tous les témoignages de ses contemporains ont disparu ou presque, ainsi les " annales " de Caius Claudius Quadrigarius ou les " histoires " de Lucius Cornelius Sisenna , le meilleur et le plus exact de ses biographes, appréciation donnée par Salluste et reprise par F. Inard " Sylla " chez Fayard.

Son cognomen veut dire " viande de porc ". Après Rufinus , sa famille pris le surnom de Sulla qui fait référence à la couleur rousse de la chevelure. Quant à sa personnalité, il fut ironique, cruel et débauché, on nous dit qu'il fut homosexuel et aurait vécu dans le monde du théâtre qu'il aimait passionnément

On peut juger de l'air de sa figure par les statues qui nous restent de lui : ses yeux étaient pers, ardents et rudes ; et la couleur de son visage rendait encore son regard plus terrible. Elle était d'un rouge foncé, parsemé de taches blanches ; on croit même que c'est de là qu'il a tiré son nom. Un plaisant d'Athènes fit, sur son teint, ce vers satirique:

"Sylla n'est qu'une mûre empreinte de farine."

Il est permis d'emprunter de pareils traits pour peindre un homme tel que Sylla. Il était, dit-on, d'un caractère si railleur, qu'étant encore jeune et peu connu, il passait sa vie avec des pantomimes et des bouffons, dont il partageait la licence et les débauches. Dans la suite, quand il eut usurpé l'autorité souveraine, il faisait venir du théâtre chez lui les farceurs les plus impudents, et passait les journées entières à boire, à faire avec eux assaut de raillerie, déshonorant ainsi son âge et sa dignité, et sacrifiant à des goûts si bas les objets les plus dignes de tous ses soins. " Plutarque, vie de Sylla, 2.

Il fut l'amant de Roscius , un des acteurs les plus en vue de son époque, il aima tendrement un jeune acteur : Metrobios même lorsque celui-ci prit de l'âge. Mais il fréquentait aussi les femmes puisqu'il fut marié quatre fois. On pense que sa richesse, lui issu d'une famille pauvre, lui vint, par héritage, de deux d'entre elles : sa belle-mère et une ancienne courtisane, affranchie, Nicopolis.

Sa carrière politique débuta relativement tard, il avait trente ans, en 107 avant J.C., lorsqu'il se fit élire questeur. Il fut envoyé en Afrique auprès de Marius, qui était dans son premier consulat, il y menait la guerre contre Jugurtha. Sylla sut gagner l'amitié du roi Bocchus qui lui livra son gendre : Jugurtha.

--- > Ancienne monnaie montrant d'un coté Diane et de l'autre Bocchus et Jugurtha à genoux devant Sylla.

La noblesse romaine qui détestait Marius murmura que c'était lui qui avait tout fait pour que Rome gagne la guerre d'Afrique. De là vint, aux dires de Plutarque, leur inimitié réciproque. Puis il fut légat dans l'armée de Catullus, collègue de Marius, qui unit à celle du futur tyran battit les Cimbres à Verceil. A cette occasion, on murmura, aussi, que son talent militaire aida beaucoup le consul dans sa victoire. Après, il fut élu préteur, en 97 avant J.C. A ce titre, il organisa les ludi Apollinares qui eurent un immense succès (son ami Boccus envoya des lions et des archers pour les abattre lors d'une venatio ). Après son année de préture urbaine, il fut nommé proconsul de Cilicie, il dut s'occuper des affaires de la Cappadoce pour remettre sur son trône son souverain légitime, Ariobarzane, à la place de l'usurpateur Gordios qui y avait été placé par Mithridate VI. Il resta quatre ans éloigné de la vie politique ; sa réputation militaire lui fit donner la place de légat dans l'armée du consul de 90 avant J.C., Lucius Julius Caesar, qui affrontait la guerre des Alliés. En 89 avant J.C., il s'empara de Pompéi, puis il battit les Marses qui passaient pour des combattants invincibles. Enfin connu du peuple et enfin reconnu par l'aristocratie, il fut élu consul pour 88 avant J.C. Cette même année, il épousa Metella ce qui lui permit de s'allier avec la puissante famille des Metelli . Elle était la fille de L. Caecilius Metellus Delmaticus qui fut consul en 119 avant J.C. et la nièce de Q. Caecilius Metellus Numidicus, consul en 109 avant J.C. C'est dans cette fonction qu'il prit la tête de l'armée qui devait mener campagne contre Mithridate ; ce dernier venait de faire massacrer 80 000 italiens dispersés dans son royaume. Mais, entre-temps, Sulpicius, un tribun de la plèbe allié à Marius, fit passer une loi qui confiait à son complice la direction de la guerre contre le souverain du Pont-Euxin.

" Ce scélérat, lâché par Marius sur le peuple, porta dans toutes les parties du gouvernement la confusion et le désordre ; il employa le fer et la violence pour faire passer plusieurs lois pernicieuses, et en particulier celle qui donnait à Marius le commandement de la guerre contre Mithridate. " Plutarque, vie de Sylla, VIII.

(Sylla assiégeait Nola, juste avant son départ pour l'Orient lorsque deux tribuns du peuple vinrent à son camp pour lui retirer le commandement des troupes, ses hommes les massacrèrent malgré leur caractère sacré d'envoyés du Sénat).

" Il envoya sur-le-champ des tribuns des soldats à Nole pour y prendre l'armée de Sylla et la mener à Marius. Mais Sylla l'avait prévenu, et il s'était sauvé dans son camp, où les soldats, instruits de ce qui s'était passé, lapidèrent les tribuns. " Plutarque, vie de Sylla, VIII et IX.

Il ne put l'admettre et persuada ses troupes, soit six légions ou 35 000 hommes de marcher sur Rome, sacrilège inouï. Jamais une armée de Romains n'était rentrée dans la Ville , malgré un lourd passé de violence, pour soutenir la cause de quelqu'un. Pour la première fois, l'armée intervenait dans des dissensions civiles (T. Mommsen). La ville fut prise après de durs combats, ses légions entrèrent dans son enceinte par les portes Colline et Esquiline, Marius et ses partisans durent s'enfuir. Sylla allait donc pouvoir affronter l'ennemi du peuple romain : Mithridate, qui avait réussi à liguer contre Rome tous les rois de la partie orientale du monde connu. Comme il commandait les légions de Campanie durant la guerre des alliés, ce sont ces troupes qui rentrèrent dans Rome et c'est avec elles qu'il partit.

  --- >   Une des rares monnaie représentant Sylla

Une partie de la Grèce se tourna vers l'Est, et c'est ainsi que Sylla dût mettre le siège devant Athènes tandis que lui-même s'attaquait au Pirée. Pendant ce temps, à Rome, ses adversaires, Marius en tête, le firent déchoir, le futur dictateur n'eut plus d'autorité légale et fut déclaré hors la loi. Enfin, le 1 mars 86 avant J.C., il put rentrer dans la plus grande des villes grecques et laissa ses troupes piller la cité ; la répression fut sanglante, de nombreux athéniens furent égorgés. Le sac de la ville fit beaucoup pour établir sa réputation de cruauté. " ... il entra dans Athènes sur le minuit, dans un appareil effrayant, au son des clairons et des trompettes, aux cris furieux de toute l'armée, à qui il avait laissé tout pouvoir de piller et d'égorger, et qui, s'étant répandue, l'épée à la main, dans toutes les rues de la ville, y fit le plus horrible carnage. On n'a jamais su le nombre de ceux qui furent massacrés ; on n'en juge encore aujourd'hui que par les endroits qui furent couverts de sang : sans compter ceux qui furent tués dans les autres quartiers, le sang versé sur la place remplit tout le Céramique jusqu'au Dipyle ; plusieurs historiens même assurent qu'il regorgea par les portes et ruissela dans les faubourgs. Outre cette multitude d'Athéniens qui périrent par le fer des ennemis, il y en eut aussi un grand nombre qui se donnèrent eux-mêmes la mort, par la douleur et le regret que leur causait la certitude de voir détruire leur patrie. C'est ce qui jeta dans le désespoir les plus honnêtes gens, et qui leur fit préférer la mort à la crainte de tomber entre les mains de Sylla, de qui ils n'attendaient aucun sentiment de modération et d'humanité. " Plutarque, vie de Sylla, 14. Puis le Pirée tomba à son tour et fut complètement rasé. Après d'autres batailles gagnées par le Romain, des pourparlers de paix furent engagés. C'est à ce moment qu'il eut connaissance de l'arrivée d'une armée romaine marianiste commandée par C. Flavius Fimbria ; la guerre civile venait rejoindre la guerre étrangère. C'est pourquoi, il conclut rapidement une paix à Dadanus avec le roi du Pont en 85 avant J.C. Mithridate et son armée repartirent chez eux ; Libéré de toute contrainte en Orient, il écrivit à Rome pour annoncer son retour. En attendant, il resta dans l'Attique où il fit la connaissance d'un très jeune homme, Titus Pompeius Atticus, qui devait devenir l'ami de Cicéron, très au fait de la culture grecque, il lui la fit découvrir.

Pendant son séjour en Grèce que se passait-il à Rome ? Marius était mort, juste au début (dix sept jours) de son septième consulat ainsi que Cinna qui s'était approprié le pouvoir, ne restait plus que Carbo (collègue de Cinna) qui un peu plus tard s'enfuit en Afrique. Des personnages influents de la République le rejoignirent et firent cause commune avec lui ; Cn. Pompée qui n'avait que vingt trois ans à cette époque lui apporta trois légions levées à ses frais chez les Picentins, ses clients. Plus tard, il devait mener des campagnes dans les provinces romaines contre les anciens partisans de Marius, il commença par la Sicile puis l'Afrique et ensuite l'Espagne où un préteur de 83 avant J.C., Sertorius, avait fondé une république marianiste. Donc, il partit pour l'Italie, mais l'accès à Rome était défendu par deux armées. Il battit l'une, l'autre, commandée par Lucius Scipio passa à ses cotés. " Sylla, qui se voyait environné de plusieurs camps et d'armées très nombreuses, se sentant inférieur en forces, eut recours à la ruse, et fit faire à Scipion, l'un des consuls, des propositions d'accommodement. Scipion s'y prêta, et ils eurent ensemble plusieurs conférences ; mais Sylla trouvait toujours quelque prétexte pour traîner l'affaire en longueur, et pendant ce temps-là il travaillait à corrompre ses troupes par l'entremise de ses propres soldats, qui, comme leur général, étaient exercés à toutes sortes de ruses et de tromperies. Ils entrèrent dans le camp des ennemis, se mêlèrent avec eux, gagnèrent les uns par argent, les autres par des promesses, ceux-ci par des flatteries, et réussirent à les séduire. Enfin, Sylla s'étant approché de leur camp avec vingt cohortes, ses soldats saluèrent ceux de Scipion, qui leur rendirent le salut et vinrent se joindre à eux. Scipion, resté seul dans sa tente, fut pris et renvoyé. " Plutarque, vie de Sylla, 28. Après avoir éliminé Marius le Jeune, réfugié à Préneste, contraint au suicide, il rentra enfin à Rome.

Le Sénat n'ayant pas voulu le suivre dans son désir d'éliminer ses ennemis, il inventa les proscriptions (du verbe proscribere : afficher, annoncer par écrit). Il fit publier trois listes, la dernière : le 6 novembre 82 avant J.C. Il pensait peut-être éviter de plus importants massacres en agissant ainsi. Les proscrits capturés étaient amenés au Champ de Mars pour y être décapités après avoir été frappés de verges, leur tête était portée aux Rostres tandis que leur corps était jeté dans le Tibre du haut du pont Aemilius. Il y en eut à peu près 520, l 'histoire a gardé seulement 75 noms. " Ayant ensuite harangué le peuple, il dit qu'il avait proscrit tous ceux dont il s'était souvenu ; et que ceux qu'il avait oubliés, il les proscrirait à mesure qu'ils se présenteraient à sa mémoire. Il comprit dans ces listes fatales ceux qui avaient reçu et sauvé un proscrit, punissant de mort cet acte d'humanité, sans en excepter un frère, un fils ou un père. Il alla même jusqu'à payer un homicide deux talents, fût-ce un esclave qui eût tué son maître, ou un fils qui eût été l'assassin de son père. Mais ce qui parut le comble de l'injustice, c'est qu'il nota d'infamie les fils et les petits-fils des proscrits, et qu'il confisqua leurs biens. Les proscriptions ne furent pas bornées à Rome ; elles s'étendirent dans toutes les villes d'Italie. Il n'y eut ni temple des dieux, ni autel domestique et hospitalier, ni maison paternelle, qui ne fût souillée de meurtres. Les maris étaient égorgés dans le sein de leurs femmes, les enfants entre les bras de leurs mères ; et le nombre des victimes sacrifiées à la colère ou à la haine n'égalait pas à beaucoup près le nombre de ceux que leurs richesses faisaient égorger. Aussi les assassins pouvaient-ils dire : " Celui-ci, c'est sa belle maison qui l'a fait périr ; celui-là, ses magnifiques jardins ; cet autre, ses bains superbes. " Un Romain nommé Quintus Aurélius, qui ne se mêlait de rien, et qui ne craignait pas d'avoir d'autre part aux malheurs publics que la compassion qu'il portait à ceux qui en étaient les victimes, étant allé sur la place, se mit à lire les noms des proscrits, et y trouva le sien. " Malheureux que je suis, s'écria-t-il, c'est ma maison d'Albe qui me poursuit. " Il eut à peine fait quelques pas, qu'un homme qui le suivait le massacra. " Plutarque, vie de Sylla, 30.

Les Comices se réunirent et le nommèrent dictateur legibus scribendis et rei publicae constituandae , immédiatement, il prit Lucius Valerius Flaccus comme maître de cavalerie. " Après tant de meurtres, rien ne révolta davantage que de voir Sylla se nommer lui-même dictateur, et rétablir pour lui une dignité qui était suspendue à Rome depuis cent vingt ans. Il se fit donner une abolition générale du passé, et, pour l'avenir, le droit de vie et de mort, le pouvoir de confisquer les biens, de partager les terres, de bâtir des villes, d'en détruire d'autres, d'ôter et de donner les royaumes à son gré. Il vendait à l'encan les biens qu'il avait confisqués ; du haut de son tribunal, il présidait lui-même à ces ventes, mais avec tant d'insolence et de despotisme, que les adjudications qu'il en faisait étaient encore plus odieuses que la confiscation même. " Plutarque, vie de Sylla, 33. Sa première mesure fut de pourvoir de terres les vétérans de son armée. Puis il fit célébrer son triomphe qui dura deux jours.

  --- >  Sylla, lors de son triomphe. Ancienne monnaie.

C'est alors que fort de son nouveau pouvoir, il entreprit de réformer l'Etat.

Sylla fit des lois très propres à ôter la cause des désordres que l'on avait vus : elles augmentaient l'autorité du Sénat, tempéraient le pouvoir du peuple, réglaient celui des tribuns. La fantaisie qui lui fit quitter la dictature sembla rendre la vie à la République ; mais, dans la fureur de ses succès, il avait fait des choses qui mirent Rome dans l'impossibilité de conserver sa liberté. Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, XI.

En premier, il fit proclamer une loi concernant les tribuns de la plèbe, il rogna sur leurs pouvoirs, en particulier sur leur droit d'intercessio (annulation d'une décision d'un magistrat). Puis, il porta le nombre de questeurs à vingt au lieu de douze, les préteurs de six passèrent à huit. Dans le même ordre d'esprit, il fit en sorte que les sénateurs se retrouvent à six cents. Il toucha au pomeorium qu'il agrandit. Il décida que les jurys seraient composés se sénateurs et ne seraient plus l'apanage des chevaliers ; en tout cela, il donnait satisfaction à la vielle aristocratie. Il s'occupa aussi de religion puisqu'il augmenta le nombre des prêtres, il fit construire un temple à Bellone, reconstruire le temple de Jupiter Capitolin, détruit par un incendie au cours de l'été 83 avant J.C.

On ne connaît pas avec exactitude la date du départ du pouvoir de Sylla, lui qui avait connu un faste important (il avait 24 licteurs alors qu'un consul n'en avait que 12) désormais se promenait seul ou presque au Forum. On ne peut que supposer qu'il se fit avant la fin de l'année 81 avant J.C., lorsque toutes les institutions républicaines recommencèrent de fonctionner à nouveau. En juillet 80 avant J.C., il fut plébiscité pour être à nouveau consul, ce qu'il refusa. Ce sont deux de ses partisans qui accédèrent au pouvoir : Publius Servilius Vatia et Appius Claudius Pulcher. Il se partagea, alors, entre Rome et sa villa de Campanie. Il rédigea ses mémoires (commentaires) dont il ne reste que trois fragments. Il continua de s'intéresser de très près au théâtre où son ami Roscius triomphait. Il décéda dans sa soixantième année alors qu'il rédigeait une constitution pour la ville de Pouzzoles. Rome décida de lui rendre un hommage vibrant, malgré ses dernières volontés qui précisaient que selon la coutume de la gens Cornelia son corps ne devait pas être incinéré. Sa dépouille traversa l'Italie avant de se retrouver à Rome, au Forum, où sénateurs et chevaliers, tous présents, écoutèrent le consul Catulus faire son éloge funèbre, puis des sénateurs emportèrent son corps au Champ de Mars pour y être brûlé.

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Un livre indispensable pour connaître Sylla et son époque est : " Sylla " de François Hinard (professeur à l'université de Caen) publié chez Fayard.

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