Vitruve

De l'architecture

Publié par PANCKOUKE

Traduction de C.L Maufras

1847

Livre 1 Introduction.
De l'arehitecture; qualités de l'architccte.
En quoi consiste l'architecture.
Des parties dont se compose l'architecture.
Sur le choix d'un lieu qui soit sain.
Des foudements des murs et des tours.
De la distribution des bâtiments, et de la place qu'ils doivent occuper dans l'enceinte des murailles.
Du choix des lieux destinés aux usages de tous les citoyens.

Livre 2 Introduction.
De la manière de vivre des premiers hommes; des commencements de la société humaine; des premières constructions et de lenrs développements.
Des principes des choses, selon l'opinion des philosophes.
Des briques.
Du sabte.
De la chaux.
De la pouzzolane.
Des carrières de pierres.
Des différentes espèces de macounerie.
Des bois de construction.
Dn sapin supernas et de l'infernas avec la description de l'Apennin.

Livre 3 Introduction.
D'après quel modèle on a établi les proportions des temples.
Plan et proportions des temples.
Des cinq espèces de temples.
Des fondements à faire, soit dans des terrains solides, soit dans des terres rapportées.
Des colonnes ioniques et de leurs ornements.

Livre 4 Introduction.
Des trois ordres de colonnes, de leur origine et de la proportion du chapiteau corinthien.
Des ornements des colonnes.
De l'ordre dorique.
De l'intérieur des cella et de la distnbution du pronaos.
De l'orientation des temples.
Portes et chambrantes des temples; leurs proportions.
De l'ordre toscan.
Des temples ronds et de ceux qui présentent d'autres dispositions.
De la disposition des autels des dieux.

Livre 5 Introduction.

Du Forum et des basiliques.
De la disposition du trésor public, de la prison et de l'hotel de ville.
Des théâtres et du choix d'un endroit sain pour les y placer.
De la musique harmonique.
Des vases du théâtre.
De la forme à donner aux théâtres.
Du plafond du portique des théâtres.
Des théâtres des Grecs.
Des portiques qui sout derrière la scène, et des promenoirs.
Les bains; leur disposition et leurs différentes parties.
De la construction des palestres; des xystes.
Des ports, et des constructions qui doivent se faire dans l'eau.

Livre 6 Introduction.
De la disposition des maisons appropriées aux locatités.
Des proportions et des mesures que doivent avoir tes édifices des particuliers, suivant la nature des tieux.
Des cavaedium, ou atrium, et de leurs ailes; du cabinet d'étude et du péristyle des salles à manger, des salons, des exèdres; des galeries de tableaux, et de leurs dimensions; des salons à la manière des Grecs.
Vers quelle partie du ciel doit être tournée chaque espèce d'édifices, pour qu'ils soient commodes et sains.
Des édiffces considérés sous le rapport de leur disposition particulière, relativement à la quaiité des personnes qui doivent les habiter.
De la disposition des maisons à la campagne.
De la disposition des édiffces grecs, et des parties qui tes composent.
De la solidité et des fondements des édifices.

Livre 7 Introduction.
De la rudération.
De la préparation de la chaux pour faire le stuc.
De la disposition des planchers en forme de voûte du stuc et du crépi.
Des enduits qu'il faut faire dans les lieux humides.
De la manière de peindre les murailles.
De la manière de préparer le marbre pour en faire du stuc.
Des couleurs naturelles.
Du cinabre et du vif-argeut.
De la préparation du cinabre.
Des couleurs artificielles.
Du bleu d'azur et de l'ocre brùlée.
De la céruse, du vert-de-gris et du minium.
De la pourpre.

Des couleurs qui imitent la pourpre.

Livre 8 Introduction.
De la maniere de trouver l'eau.
De l'eau de pluie.
Des eaux chaudes, et de la nature de plusieurs fontaines, fleuves et lacs.
Des qualités particulières à certains lieux et à certaines fontaines.
Moyen de connaître la qualité des eaux.
De la manière de niveler les eaux, et des instruments qu'on doit employer.
De la manière de conduire les eaux, de creuser les puits, de faire les citernes, et autres ouvrages maçonnés à chaux et à ciment.

Livre 9 Introduction.
Des douze signes du zodiaque, et des sept astres qui ont un mouvement contraire à celui de ces signes.
Du croissant et du décours de la lune.
Comment le soleil, parcourant les douze signes du zodiaque, allonge ou diminue les jours et les heures.
Des constellations qui sont placées à la droite de l'orient, entre le zodiaque et le septentrion.
Des constellations qui sont placées à la gauche de l'orient, entre le zodiaque et le midi.
De l'astronomie employée pour prédire les changements de temps, et ce qui doit arriver aux hommes, d'après l'aspect des astres au moment de leur naissance.
Manière de faire un analème.
De l'invention des horloges d'été ou cadrans solaires; des clepsydres et des horloges d'hiver ou anaphoriques.

Livre 10 Introduction.

Des machines; en quoi elles diffèrent des organa.

Des machines qui servent à tirer.

De la ligne droite et de la ligne circulaire, principes de tout mouvement.

Des différentes espèces de machines destinées à tirer l'eau.

Des roues que l'eau met en jeu et des moulins à eau.

De la limace qui donne une grande quantité d'eau sans l'élever bien haut.

De la machine de Ctesibius qui éleve l'eau très haut.

Des orgues hydrauliques.

Des moyens de connaitre conbien on fait de chemin, dans une voiture ou sur un bateau.

Des proportions des catapultes et des scorpions.

Des propotions des balistes.

De la manière de bander avec justesse les catapultes et les balistes.

 

INTRODUCTION.

Tandis que la force de votre divin génie vous rendait maître de l'empire du monde, ô César ; que tous vos ennemis terrassés reconnaissaient la supériorité de votre valeur, que les citoyens romains se glorifiaient de vos victoires et de vos triomphes ; tandis que les nations subjuguées attendaient leur destinée de votre volonté, et que le sénat et le peuple romain, libres de toute inquiétude, se reposaient de leur salut sur la grandeur de vos pensées et sur la sagesse de, votre gouvernement, je n'aurais point osé vous présenter, au milieu Je vos nobles occupations, le fruit de mes longues études sur l'architecture, dans la crainte de vous interrompre mal à propos et d'encourir votre disgrâce. Toutefois, quand je considère que vos soins ne se bornent pas à veiller au bien-être de chaque citoyen, et à donner à l'État une bonne constitution, mais que vous les consacrez encore il la construction des édifices publics et particuliers, et que non content d'enrichir Rome de nombreuses provinces, vous voulez encore rehausser la majesté de l'empire par la magnificence des monuments publics, je n'ai pas cru devoir différer plus longtemps de vous offrir ce travail sur une science qui déjà m'avait valu la considération de votre divin père, dont les talents avaient captivé mon zèle. Depuis que les dieux l'ont admis au séjour des Immortels, et qu'ils out fait passer en vos mains son pouvoir impérial, ce zèle que son souvenir entretien en moi, je suis heureux de le consacrer à votre service. Chargé jadis avec M. Aurelius, P. Numidius et Cn. Cornelius, de la construction des balistes, et de l'entretien des scorpions et des autres machines de guerre, je partageai avec eux les avantages attachés à cet emploi; ces avantages que vous m'aviez d'abord accordés, c'est à la recommandation de votre sœur que vous me les avez continués. Lié par ce bienfait qui m'assure pour le reste de mes jours une paisible existence, je me suis mis à écrire ce traité, que je vous dédie avec d'autant plus de reconnaissance que j'ai remarqué que déjà vous aviez fait élever plusieurs édifices, que vous en faisiez bâtir de nouveaux, et que vous ne cessiez de vous occuper de constructions, tant publiques que particulières, pour laisser à la postérité d'illustres monuments de votre grandeur. Avec le secours de cet ouvrage qui renferme tout ce qui regarde l'architecture, vous pourrez juger par vous-même de la nature des travaux que vous avez faits, et de ceux que vous ferez encore, puisque ces livres contiennent tous les principes de l'art.

LIVRE I

1. De l'architecture ; qualités de l'architecte.

1. L'architecture est une science qui embrasse une grande variété d'études et de connaissances ; elle connaît et juge de toutes les productions des autres arts. Elle est le fruit de la pratique et de la théorie. La pratique est la conception même continuée et travaillée par l'exercice, qui se réalise par l'acte donnant à la matière destinée à un ouvrage quelconque, la forme que présente un dessin. La théorie, au contraire, consiste à démontrer, à expliquer la justesse, la convenance des proportions des objets travaillés.

2. Aussi les architectes qui, au mépris de la théorie, ne se sont livrés qu'à la pratique, n'ont pu arriver à une réputation proportionnée à leurs efforts. Quant à ceux qui ont cru avoir assez du raisonnement et de la science littéraire, c'est l'ombre et non la réalité qu'ils ont poursuivie. Celui- là seul, qui, semblable au guerrier armé de toutes pièces, sait joindre la théorie à la pratique, atteint son but avec autant de succès que de promptitude.

3. En toute science, et principalement en architecture, on distingue deux choses, celle qui est représentée, et celle qui représente. La chose représentée est celle dont on traite ; la chose qui représente, c'est la démonstration qu'on en donne, appuyée sur le raisonnement de la science. La connaissance de l'une et de l'autre paraît donc nécessaire à celui qui fait profession d'être architecte. Chez lui, l'intelligence doit se trouver réunie au travail : car l'esprit sans l'application, ou l'application sans l'esprit, ne peut rendre un artiste parfait. Il faut qu'il ait de la facilité pour la rédaction, de l'habileté dans le dessin, des connaissances en géométrie ; il doit avoir quelque teinture de l'optique, posséder à fond l'arithmétique, être versé dans l'histoire, s'être livré avec attention à l'étude de la philosophie, connaître la musique, n'être point étranger à la médecine, à la jurisprudence, être au courant de la science astronomique, qui nous initie aux mouvements du ciel.

4. En voici les raisons. L'architecte doit connaître les lettres, afin de pouvoir rédiger avec clarté ses mémoires. La connaissance du dessin le met à même de tracer avec plus de facilité et de netteté le plan de l'ouvrage qu'il veut faire. La géométrie offre plusieurs ressources à l'architecte : elle le familiarise avec la règle et le compas, qui lui servent surtout à déterminer l'emplacement des édifices, et les alignements à l’équerre au niveau et au cordeau. Au moyen de l'optique, les édifices reçoivent des jours à propos, selon les dispositions du ciel. A l’aide de l'arithmétique, on fait le total des dépenses, on simplifie le calcul des mesures, on règle les proportions qu'il est difficile de trouver par les procédés que fournit la géométrie.

5. Il faut qu'il soit versé dans l'histoire : souvent les architectes emploient dans leurs ouvrages une foule d'ornements dont ils doivent savoir rendre compte à ceux qui les interrogent sur leur origine. Ainsi, qu'au lieu de colonnes, on pose des statues de marbre, représentant des femmes vêtues de robes traînantes, qu'on'appelle cariatides, et qu'au-dessus on place des modillons et des corniches, voici l'explication qu'il pourra donner de cet arrangement. Carie, ville du Péloponnèse, se ligua autrefois avec les Perses pour faire la guerre à la Grèce. Les Grecs, ayant glorieusement mis fin à cette guerre par la victoire, voulurent marcher immédiatement contre les Cariates. La ville fut prise, les hommes passés au fil de l'épée, la cité détruite, les femmes traînées en servitude. Il ne leur fut point permis de quitter leurs longues robes ni les ornements de leur condition afin qu’elles n'en fussent point quittes pour avoir servi au moment du triomphe, mais que, portant à jamais le sceau infamant de la servitude, elles parussent souffrir la peine qu'avait méritée leur ville. Aussi les architectes du temps imaginèrent-ils de les représenter dans les édifices publics placées sous le poids d'un fardeau, pour apprendre à la postérité de quelle punition avait été frappée la faute des Cariates.

6. Les Lacédémoniens agirent de la même manière, lorsque, sous la conduite de Pausanias, fils de Cléombrote, ils défirent avec une poignée d'hommes, à la bataille de Platée, l'armée innombrable des Perses. Après avoir triomphé avec gloire, ils firent servir les dépouilles de l'ennemi à l'érection d'un portique qu'ils appelèrent Persique, trophée qui devait rappeler aux générations futures leur courage et leur victoire. Les statues des captifs vêtus de leurs ornements barbares y av'aient été représentées soutenant la voûte, afin de punir leur orgueil par un opprobre mérité, de rendre la valeur des Lacédémoniens redoutable à l'ennemi, et d'inspirer à leurs concitoyens, à la vue de ce témoignage de bravoure, une noble ardeur pour la défense de la liberté. Telle est l'origine de ces statues persiques, que plusieurs architectes ont fait servir au soutien des architraves et de leurs ornements ; c'est par de semblables inventions qu'ils ont enrichi et embelli leurs ouvrages. Il y a d'autres traits de ce genre dont il faut que l'architecte ait connaissance.

7. La philosophie, en élevant l'âme de l'architecte, lui ôtera toute arrogance. Elle le rendra traitable, et, ce qui est plus important encore, juste, fidèle et désintéressé : car il n'est point d'ouvrage qui puisse véritablement se faire sans fidélité, sans intégrité, sans désintéressement. L'architecte doit moins songer à s'enrichir par des présents qu'à acquérir une réputation digne d'une profession si honorable. Tels sont les préceptes de la philosophie. C'est encore elle qui traite de la nature des choses, que les Grecs appellent g-physologia ; il lui importe de la bien connaître, pour être en état de résoudre quantité de questions, comme lorsqu'il s'agit de la conduite des eaux. Dans les tuyaux dirigés, par différents détours, de haut en bas, sur un plan horizontal, de bas en haut, l'air pénètre de bien des manières avec l'eau ; et comment remédier aux désordres qu'il occasionne, si dans la philosophie l'on n'a pas puisé la connaissance des lois de la nature ? Qui voudrait lire les ouvrages de Ctesibius, d'Archimède et des autres auteurs qui ont traité de cette matière, ne pourrait les comprendre, sans y avoir été préparé par la philosophie.

8. Pour la musique elle est indispensable afin que l'on saisisse bien la proportion canonique et mathématique, et que l'on tende convenablement les balistes, les catapultes, les scorpions. Ces machines, en effet, ont des chapiteaux qui présentent à droite et à gauche les deux trous des hemitonium (demi-tension) à travers lesquels on tend, à l'aide de vindas ou vireveaux et de leviers, des câbles faits de cordes à boyau, qui ne sont fixés, arrêtés que lorsque celui qui gouverne la machine a reconnu que les sons qu'ils rendaient étaient parfaitement identiques. Les bras, en effet, que l'on courbe à l'aide de ces tensions, après avoir été bandés, doivent frapper l'un et l'autre de la même manière et avec la même force ; s'ils n'ont point été également tendus, il deviendra impossible de lancer directement le projectile.

9. La musique est encore nécessaire pour les théâtres où des vases d'airain, que les Grecs appellent g-ehcheia (ton), sont placés dans des cellules pratiquées sous les degrés. Les différents sons qu'ils rendent, réglés d'après les proportions mathématiques, selon les lois de la symphonie ou accord musical, répondent, dans leur division exacte, à la quarte, à la quinte et à l'octave, afin que la voix de l'acteur, concordant avec la disposition de ces vases, et graduellement augmentée en venant les frapper, arrive plus claire et plus douce à l'oreille du spectateur. Quant aux machines hydrauliques et autres semblables, il serait impossible de les construire sans la connaissance de la musique.

10. L'étude de la médecine importe également à l'architecte, pour connaître les climats, que les Grecs appellent g-klimata, la qualité de l'air des localités qui sont saines ou pestilentielles, et la propriété des eaux. Sans ces considérations, il ne serait possible de rendre salubre aucune habitation. Il doit aussi savoir quelles lois règlent, dans les bâtiments, la construction des murs communs, pour la disposition des larmiers, des égouts et des jours, pour l'écoulement des eaux et autres choses de ce genre, afin de prévenir, avant de commencer un édifice, les procès qui pourraient survenir aux propriétaires après l'achèvement de l'ouvrage, et d'être en état, par son expérience, de mettre à couvert, dans la passation d'un bail, et les intérêts du locataire, et ceux du propriétaire : car si les conditions y sont posées conformément à la loi, ils n'auront à craindre aucune chicane de la part l'un de l'autre. L'astronomie lui fera connaître l'orient, l'occident, le midi, le nord, l'état du ciel, les équinoxes, les solstices, le cours des astres : à défaut de ces connaissances, il sera incapable de confectionner un cadran.

11. Puisque l'architecture doit être ornée et enrichie de connaissances si nombreuses et si variées, je ne pense pas qu'un homme puisse raisonnablement se donner tout d'abord pour architecte. Cette qualité n'est acquise qu'à celui qui, étant monté dès son enfance par tous les degrés des sciences, et s'étant nourri abondamment de l'étude des belles-lettres et des arts, arrive enfin à la suprême perfection de l'architecture.

12. Peut-être les ignorants regarderont-ils comme une merveille que l'esprit humain puisse parfaitement apprendre et retenir un si grand nombre de sciences ; mais lorsqu'ils auront remarqué la liaison, l'enchaînement qu'elles ont les unes avec les autres, ils auront moins de peine à croire à la possibilité de la chose : car l'encyclopédie se compose de toutes ces parties, comme un corps de ses membres. Aussi ceux qui, dès leur jeune âge, se livrent à l'étude de plusieurs sciences à la fois, y reconnaissent certains points qui les rattachent entre elles, ce qui leur en facilite l'étude. Voilà pourquoi, parmi les anciens architectes, Pythius, auquel la construction du temple de Minerve, à Priène, a valu une si grande réputation, dit dans ses mémoires que l'architecte, initié aux arts et aux sciences, doit être plus en état de réussir que ceux qui, par leur habileté et leur travail, ont excellé dans une chose seulement ; ce qui n'est pourtant pas d'une rigoureuse exactitude.

13. En effet, il n'est pas nécessaire, il n'est pas possible que l'architecte soit aussi bon grammairien qu'Aristarque, aussi grand musicien qu'Aristoxène, aussi habile peintre qu'Apelle, aussi célèbre sculpteur que Myron ou Polyclète, aussi savant médecin qu'Hippocrate ; il suffit qu'il ne soit pas étranger à la grammaire, à la musique, à la peinture, à la sculpture, à la médecine : il est impossible qu'il excelle dans chacune de ces sciences ; c'est assez qu'il n'y soit pas neuf, un si grand nombre de sciences ne peut en effet donner à espérer qu'on arrive jamais à la perfection dans chacune d'elles, quand l'esprit peut à peine en saisir, en comprendre l'ensemble.

14. Et ce ne sont pas seulement les architectes qui, dans toutes les sciences, ne peuvent atteindre à la perfection ; ceux-là même qui se livrent spécialement à l'étude d'un art, ne peuvent pas tous venir à bout d'y exceller. Comment donc si, dans une science qu'elles cultivent particulièrement, quelques personnes seulement, dans tout un siècle, parviennent si difficilement à se distinguer, comment un architecte, qui doit faire preuve d'habileté dans plusieurs arts, pourrait-il, je ne dirai pas n'en ignorer aucun, ce qui serait déjà bien étonnant, mais même surpasser tous ceux qui, uniquement livrés à une science, y ont déployé autant d'ardeur que de talent ?

15. En cela Pythius me parait s'être trompé ; il n'a pas pris garde que dans tous les arts il y avait deux choses à considérer, la pratique et la théorie ; que de ces deux choses la première, je veux dire la pratique, appartient spécialement à ceux qui exercent, et que la seconde, c'est-à-dire la théorie, est commune à tous les savants. Des médecins, des musiciens pourront bien disserter sur le battement des artères, sur la cadence ; mais s'il est question de guérir une blessure, d'arracher un malade au danger, ce ne sera point au musicien qu'on aura recours, mais bien au médecin, qui se trouvera alors dans son propre élément : de même qu'on n'ira pas mettre un instrument de musique entre les mains du médecin, si l'on veut avoir l'oreille charmée par des sons harmonieux.

16. Un astronome et un musicien peuvent également raisonner sur la sympathie des étoiles qui en astronomie se fait par aspects quadrats et trines, et sur celle des consonances qui a lieu par quartes et par quintes en musique ; ils peuvent encore discourir avec le géomètre sur l'optique, qui s'appelle en grec g-logos g-optikos ; dans toutes les autres sciences, beaucoup de points, pour ne pas dire tons, ne sont communs que pour le raisonnement ; mais il n'appartient véritablement qu'à ceux qui se sont particulièrement exercés dans un art, de raisonner de choses pour lesquelles la main d'œuvre, la pratique leur a donné une grande habileté. Aussi me paraît-il en savoir assez, l'architecte qui, dans chaque science, connaît passablement les parties qui ont rapport à sa profession, afin que, si besoin est d'émettre un jugement basé sur de bonnes raisons, il ne reste point court.

17. Quant il ceux qui ont reçu de la nature assez d'esprit, de capacité et de mémoire pour pouvoir connaître à fond la géométrie, l'astronomie, la musique et les autres sciences, ils vont au delà de ce qu'exige la profession d'architecte, et deviennent des mathématiciens. Aussi peuvent- ils apporter plus de lumière dans la discussion, parce qu'ils ont pénétré plus avant dans l'étude de ces sciences. Mais ces génies sont rares ; il s'en trouve peu comme ces Aristarque de Samos, ces Philolaüs et ces Archytas de Tarente, ces Apollonius de Perga, ces Ératosthène de Cyrène, ces Archimède et ces Scopinas de Syracuse, qui, avec le secours du calcul, et la connaissance qu'ils avaient des secrets de la nature, ont fait de grandes découvertes dans la mécanique et la gnomonique, et en ont laissé de savants traités à la postérité.

18. Mais puisque la nature, loin de prodiguer de tels moyens à tous les hommes, ne les a accordés qu'à quelques esprits privilégiés, et que pourtant il est du devoir de l'architecte d'avoir des notions de toutes ces sciences, puisque la raison, vu l'étendue des matières, ne lui permet d'avoir des sciences que ce qu'il lui est indispensable d'en connaître, sans exiger qu'il les approfondisse, je vous supplie, César, aussi bien que ceux qui doivent-lire mon ouvrage, d'excuser les fautes que vous pourrez rencontrer contre les règles de la grammaire. Rappelez- vous que ce n'est ni un grand philosophe, ni un rhéteur éloquent, ni un grammairien consommé dans son art, mais simplement un architecte avec quelque teinture de ces sciences, qui s'est imposé la tâche d'écrire ce traité. Mais quant à ce qui constitue la science architecturale, je me fais fort, si toutefois je ne m'abuse pas, d'établir ex professo dans cet écrit, tous les principes qui en découlent, non seulement pour ceux qui se livrent à la Pratique, mais encore pour tous ceux qui ne désirent en avoir que la théorie.

II. En quoi consiste l'architecture.

1. L'architecture a pour objet l'ordonnance, que les Grecs appellent g-taxis, la disposition qu'ils nomment g-diathesin, l'eurythmie, la symétrie, la convenance et la distribution, à laquelle on donne en grec le nom d' g-oikonomia . L'ordonnance est la disposition convenable de chaque partie intérieure d'un bâtiment, et la conformité des proportions générales avec la symétrie. Elle se règle par la quantité, en grec g-posotehs, qui est une mesure déterminée, d'après laquelle on établit les dimensions de l'ensemble d'un ouvrage et de chacune de ses parties. La disposition est la situation avantageuse des différentes parties, leur grandeur appropriée aux usages auxquels elles sont destinées. Les représentations de la disposition, en grec g-ideai sont : l'ichnographie, l'orthographie, la scénographie. L'ichnographie est le plan de l'édifice tracé en petit à l'aide de la règle et du compas, tel qu'il doit être sur l'emplacement qu'il occupera. L'orthographie représente l'élévation de la façade ; c'en est la figure légèrement ombrée, avec les proportions que doit avoir l'édifice. La scénographie est l'esquisse de la façade avec les côtés en perspective, toutes les lignes allant aboutir à un centre commun. Ces opérations sont le fruit de la méditation et de l'invention. La méditation est le travail d'un esprit actif, laborieux, vigilant, qui poursuit ses recherches avec plaisir. L'invention est la solution d'une difficulté, l'explication d'une chose nouvelle trouvée à force de réflexion.

3. Telles sont les parties nécessaires de la disposition. L'eurythmie est l'aspect agréable, l'heureuse harmonie des différentes parties de l'édifice. Elle a lieu lorsque les parties ont de la justesse, que la hauteur répond à la largeur, la largeur à la longueur, l'ensemble aux lois de la symétrie.

4. La symétrie est la proportion qui règne entre toutes les parties de l'édifice, et le rapport de ces parties séparées avec l'ensemble, à cause de l'uniformité des mesures. Dans le corps humain, le coude, le pied, la main, le doigt et les autres membres, offrent des rapports de grandeur ; ces mêmes rapports doivent se rencontrer dans toutes les parties d'un ouvrage. Pour les édifices sacrés, par exemple, c'est le diamètre des colonnes ou un triglyphe qui sert de module ; dans une baliste, c'est le trou que les Grecs appellent g-peritrehton ; dans un navire, c'est l'espace qui se trouve entre deux rames, nommé en grec g-dipehchaikeh, C'est également d'après un des membres des autres ouvrages qu'on peut juger de la grandeur de toute l'œuvre.

5. La bienséance est la convenance des formes extérieures d'un édifice dont la construction bien entendue donne l'idée de sa destination, Elle s'obtient par l'état des choses, en grec yematismñw, par l'habitude et par la nature : par l'état des choses, en élevant à Jupiter, à la Foudre, au Ciel, au Soleil, à la Lune,... des temples sans toit, à découvert. Car la présence de ces divinités se manifeste à nos yeux par leur éclat dans tout l'univers. Minerve, Mars et Hercule auront des temples suivant l'ordre dorique, parce que s'ils étaient bâtis avec la délicatesse particulière aux autres ordres, ils ne conviendraient point à la vertu sévère de ces divinités ; tandis que ceux de Vénus, de Flore, de Proserpine, des nymphes des fontaines, seront d'ordre Corinthien, les propriétés de cet ordre convenant parfaitement à ces déesses, dont la grâce semble exiger un travail délicat, fleuri, orné de feuillages et de volutes, qui contribuera d'une manière convenable à la bienséance. Si en l'honneur de Junon, de Diane, de Bacchus et d'autres divinités semblables, on élève des temples d'ordre ionien on aura raison, parce que cet ordre, qui tient le milieu entre la sévérité du dorique et la délicatesse du corinthien, est plus analogue au caractère de ces divinités.

6. L'habitude veut, pour que la bienséance soit observée, que, si l’'intérieur d'un édifice est enrichi d'ornements, le vestibule soit orné avec la même magnificence. Si en effet l'intérieur se fait remarquer par sa beauté, son élégance, et que l'entrée soit dépourvue de tout agrément, les règles de la bienséance seront violées. Supposez que sur des épistyles doriques on sculpte des corniches dentelées, ou que sur' des architraves ioniques, soutenues par des colonnes à chapiteaux en forme d'oreiller, on taille des triglyphes, et qu'ainsi on transporte à un ordre les choses qui sont particulières à un autre, les yeux en seront choqués, accoutumés qu'ils sont à une disposition d'un autre genre.

7. La bienséance sera conforme à la nature des lieux, si l'on choisit les endroits où l'air est le plus sain, les fontaines les plus salutaires, pour y placer les temples, principalement ceux qu'on élève à Esculape, à la Santé et aux autres divinités auxquelles on attribue la vertu d'opérer le plus de guérisons. Les malades qui passeront d'un endroit malsain dans un lieu dont l'air est pur, et qui feront usage d'excellentes eaux, se rétabliront plus promptement. D'où il résultera que la nature du lieu fera naître en faveur de la divinité une dévotion plus grande, grâce à l'importance qu'elle lui aura fait acquérir. Il y aura encore conformité de bienséance avec la nature du lieu, si les chambres à coucher et les bibliothèques reçoivent la lumière du levant, si les bains et les appartements d'hiver la reçoivent du couchant d'hiver ; si les galeries de tableaux et les pièces qui demandent un jour bien égal, sont tournées vers le septentrion : parce que cette partie du ciel n'est point exposée aux variations de lumière que produit le soleil dans sa course, et reste pendant tout le jour également éclairée.

8. La distribution est le choix avantageux des matériaux et de l'emplacement où l'on doit les mettre en œuvre ; c'est l'emploi bien entendu des capitaux consacrés aux travaux qu'on médite. Elle sera observée, si toutefois l'architecte ne cherche point de ces choses qu'il n'est possible de trouver, ni de se procurer qu'à grands frais. On ne rencontre point partout du sable fossile, du moellon, de l'abies, des sapins, du marbre. Ces objets se tirent les uns d'un endroit, les autres d'un autre, et le transport en est difficile et dispendieux. Alors il faut employer, quand on n'a point de sable fossile, le sable de rivière, ou le sable marin lavé dans l'eau douce. On remplace aussi l'abies et le sapin par le cyprès, le peuplier, l'orme, le pin. J'indiquerai également les moyens d'échapper aux autres inconvénients de cette sorte.

9. L'autre partie de la distribution consiste à avoir égard à l'usage auquel le propriétaire destine le bâtiment, ou à la somme qu'il veut y mettre, ou à la beauté qu'il veut lui donner, considérations qui amènent des différences dans la distribution. Une maison à la ville semble exiger un plan différent de celui d'une maison de campagne destinée à recevoir les récoltes ; la maison de l'agent d'affaires ne doit point ressembler à celle de l'homme opulent et voluptueux, et celle de l'homme puissant dont le génie gouverne la république, demande une distribution particulière : il faut, en un mot, distribuer les édifices d'une manière appropriée au caractère des personnes qui doivent les habiter.

III. Des parties dont se compose l'architecture.

1. L'architecture se compose de trois parties : la construction des bâtiments, la gnomonique et la mécanique. La construction des bâtiments se divise elle-même en deux parties : l'une regarde l'emplacement des remparts et des ouvrages publics ; l'autre traite des édifices particuliers. Les ouvrages publics sont de trois sortes : la première a rapport à la défense, la seconde à la religion, la troisième à la commodité. Ceux qui concernent la défense sont les remparts, les tours et les portes de villes, qui ont été inventés pour servir perpétuellement de barrière contre les attaques de l'ennemi. Ceux qui regardent la religion sont les temples et les édifices sacrés, élevés aux dieux immortels. Ceux qui concernent la commodité sont les lieux consacrés à l'usage du peuple, comme les ports, les places publiques, les portiques, les bains, les théâtres, les promenoirs, tous les lieux, en un mot, qui ont cette destination.

2. Dans tous ces différents travaux, on doit avoir égard à la solidité, à l'utilité, à l'agrément : à la solidité, en creusant les fondements jusqu'aux parties les plus fermes du terrain, et en choisissant avec soin et sans rien épargner, les meilleurs matériaux ; à l'utilité, en disposant les lieux de manière qu'on puisse s'en servir aisément, sans embarras, et en distribuant chaque chose d'une manière convenable et commode ; à l'agrément, en donnant à l'ouvrage une forme agréable et élégante qui flatte l'œil par la justesse et la beauté des proportions.

IV. Sur le choix d'un lieu qui soit sain.

1. S'agit-il de construire une ville ? La première chose à faire est de choisir un endroit sain. Il doit être élevé, à l'abri des brouillards et du givre, situé sous la douce température d'un ciel pur, sans avoir à souffrir ni d'une trop grande chaleur ni d'un trop grand froid. Ensuite il faudra éviter le voisinage des marais. Les vents du matin venant, au lever du soleil, à souffler sur la ville apporteraient avec eux les vapeurs qui en naissent, et ces vapeurs chargées des exhalaisons pestilentielles qu'engendrent les animaux qui vivent dans les eaux stagnantes, envelopperaient les habitants, et rendraient leurs habitations très malsaines. Une ville bâtie sur le bord de la mer, qu'elle soit exposée au midi ou au couchant, ne sera point saine, parce que, durant l'été, dans les lieux qui ont la première de ces expositions, le soleil, dès son lever, échauffe l'air qui devient brûlant à midi ; et que, dans ceux qui regardent le couchant, l'air commençant à s'échauffer après le lever du soleil, est chaud au milieu du jour, et brûlant le soir.

2. Ces variations d'une température qui passe soudainement du chaud au froid, altèrent la santé de ceux qui y sont soumis. Son influence se fait même remarquer sur les choses inanimées. Dans les celliers couverts, ce n'est ni vers le sud, ni vers l'ouest, mais vers le nord qu'on pratique les jours, parce que cette partie du ciel n'est jamais exposée à ces variations : elle reste toujours la même, elle ne subit aucun changement. Voilà pourquoi les greniers qui reçoivent les rayons du soleil dans tout son cours font perdre si promptement leur qualité aux provisions qu'on y renferme ; voilà pourquoi les viandes et les fruits, si on ne les place pas dans des lieux où ne puissent pénétrer les rayons du soleil, ne se conservent pas longtemps.

3. La chaleur, par son action continuelle, enlève aux choses leur force, et, par les vapeurs brûlantes qui les épuisent, elle les altère et leur fait perdre leurs qualités naturelles. C'est aussi ce que nous remarquons pour le fer qui, tout dur qu'il est, s'amollit tellement dans les fourneaux par l'action du feu, qu'en le forgeant, il est aisé de lui donner la forme qu'on veut, et si, lorsqu'il est rouge encore et malléable, on le trempe dans de l'eau froide, il redevient dur, et reprend sa propriété nature.

4. On peut encore reconnaître celte vérité par l'affaiblissement qu'éprouvent les corps pendant les chaleurs de l' été, non seulement dans les jeux malsains, mais encore dans ceux qui ne le sont pas ; tandis qu'en hiver les contrées les plus malsaines cessent de l'être, parce que le froid y purifie l'air. On remarque aussi que ceux qui des régions froides passent dans les pays chauds, ne peuvent y rester sans être malades, au lieu que ceux qui quittent les climats chauds pour aller habiter les froides contrées du septentrion, loin de souffrir de ce changement, ne font qu'acquérir une santé plus robuste.

5. Aussi faut-il, à mon avis, lorsqu'il s'agit de jeter les fondements d'une ville, s'éloigner des contrées dans lesquelles l'homme peut être exposé à l'influence des vents chauds. Tous les corps sont composés de principes que les Grecs appellent stoixeÝa, qui sont le feu, l'eau, la terre et l'air ; c'est du mélange de ces principes que la nature ya fait entrer dans de certaines proportions, que sur la terre est généralement formé le tempérament de chaque animal.

6. Or, qu'un de ces principes, le feu, par exemple, vienne à surabonder dans un corps, il affaiblit les autres et les détruit. Tel est l'effet que produit sous certaines parties du ciel, le soleil, lorsqu'il fait pénétrer dans un corps, par les ouvertures que présentent les pores, plus de chaleur qu'il ne doit en recevoir, eu égard à la proportion des principes dont la nature l'a composé. De même si l'humidité envahit les pores des corps, et vient à rompre l'équilibre, les autres principes, altérés par l'eau, perdent leur action, et l’'on voit disparaître les qualités produites par leur juste proportion. Des vents froids, un air humide font naître aussi beaucoup de maladies. C'est encore ce qui arrive, lorsque les parties d'air et de terre que la nature a fait entrer dans la composition des corps, venant à augmenter ou à diminuer, affaiblissent les autres principes : la terre, par une nourriture trop solide; l'air, quand il est trop épais.

7. Mais, pour mieux saisir ces vérités, il n'y a qu'à observer avec attention la nature des oiseaux, des poissons et des animaux terrestres; il sera aisé de voir la différence des tempéraments. La proportion des principes vitaux est tout autre dans les poissons que dans les oiseaux; dans les animaux terrestres, elle est encore bien différente. Les oiseaux ont peu de terre, peu d'eau et beaucoup d'air joint à une chaleur tempérée. Composés des principes les plus légers, ils s'élèvent plus facilement dans les airs. Les poissons vivent aisément dans l'eau, parce qu'il entre dans leur nature une chaleur tempérée, beaucoup d'eau et de terre, et très peu d'humidité ; moins ils contiennent de principes aqueux, plus il leur est facile de vivre dans l'eau : aussi lorsqu'on vient à les tirer à terre, meurent-ils par la privation de cet élément. Les animaux terrestres, au contraire, chez lesquels l'air et le feu se trouvent dans une proportion modérée, et qui ont peu de terre et beaucoup d'humidité, ne peuvent vivre longtemps dans l'eau, à cause de l'abondance des parties humides.

8. Or, s'il en est ainsi ; si, comme je viens de l'exposer, le corps des animaux est composé de ces divers éléments ; s'il est vrai qu'en surabondant ou en faisant défaut, ils jettent dans l'organisation animale le trouble et la mort, point de doute qu'il ne faille choisir avec le plus grand soin les lieux les plus tempérés pour y construire des villes qui l'enferment toutes les conditions de salubrité.

9. Aussi je suis fortement d'avis qu'il faut en revenir aux moyens qu'employaient nos ancêtres. Anciennement on mettait à mort les animaux qui paissaient dans les lieux où l'on voulait fonder une ville ou établir un camp ; on en examinait les foies ; si les premiers étaient livides et corrompus, on en examinait d'autres, dans la crainte d'attribuer plutôt à la qualité de la pâture, qu'à une maladie, l'état de cet organe. Après plusieurs expériences, après avoir reconnu que cet organe était sain et entier, grâce à la bonté des eaux et des pâturages du lieu, on y élevait des retranchements, Si, au contraire, on les trouvait généralement corrompus, on allait s'établir ailleurs. On concluait de cette expérience, que l'eau et la nourriture devaient, dans ces mêmes lieux, occasionner chez l'homme les mêmes inconvénients. On changeait de demeure, et on allait dans une autre contrée chercher tout ce qui peut contribuer à la santé.

10. Veut-on s'assurer que les herbes et les fruits peuvent faire connaître la qualité du terrain qui les produit ? On le peut facilement, par les remarques faites sur les terres qui, en Crète, avoisinent le Pothérée, rivière qui coule entre deux villes de cette île, Gnossus et Gortyne. A droite et à gauche paissent des troupeaux ; ceux qui paissent près de Gnossus ont une rate ; mais on ne rencontre point de viscère chez ceux qui se trouvent de l'autre côté, près de Gortyne. Les médecins ont cherché la cause de cette singularité, et ont trouvé dans cet endroit une herbe qui a la vertu de diminuer la rate des animaux qui la broutent. Ils ont cueilli cette herbe et en ont fait un médicament pour guérir les personnes affectées de splénite. Les Crétois l'appellent g-asplehnon. Cet exemple fait voir que la nourriture et la boisson peuvent faire apprécier la qualité bonne ou mauvaise des terrains

11. Si une ville a été bâtie dans des marais, et que ces marais s'étendent sur le bord de la mer ; si, par rapport à la ville, ils se trouvent au septentrion, ou entre le septentrion et l'orient, et qu'ils soient élevés au-dessus du niveau de la mer, elle me paraîtra raisonnablement située : car les canaux qu'on peut y pratiquer, tout en permettant l'écoulement des eaux vers le rivage, ne laissent pas, lorsque la mer est grossie par la tempête, de livrer passage aux vagues que l'agitation des flots y précipite ; et ces eaux salées venant à se mêler à celles des marais, empêchent de naître les animaux qui s'y produisent, et ceux qui des parties supérieures descendent en nageant tout auprès du rivage, y trouvent la mort au milieu des matières salines contraires à leur nature. Nous en avons un exemple dans les marais qui entourent Altinum, Ravenne et Aquilée, et dans d'autres municipes de la Gaule, où le voisinage des marais n'empêche pas que l'air ne soit merveilleusement sain.

12. Mais quand les eaux des marais sont stagnantes, sans avoir pour s'écouler ni rivière ni canal, comme dans les marais Pontins, elles croupissent par leur immobilité, et exhalent des vapeurs morbifiques et contagieuses. L'ancienne ville de Salapia, fondée, dans l'Apulie par Diomède, à son retour de la guerre de Troie, ou, selon quelques écrivains, par Elphias de Rhodes, avait été bâtie dans un endroit de cette nature. Les habitants, voyant qu'ils étaient chaque année frappés de maladies, se rendirent un jour auprès de M. Hostilius, et le prièrent tous de leur chercher, de leur choisir un lieu propre à recevoir leurs pénates. Il y consentit, et se mit sur-le-champ à examiner avec intelligence et sagesse, un lieu près de la mer, qu'il acheta, après en avoir reconnu la salubrité. Avec l'autorisation du sénat et du peuple romain, il y jeta les fondements de la nouvelle ville, y éleva des murailles, traça l'emplacement des maisons et il donna la propriété aux habitants, en faisant payer à chacun d'eux un sesterce seulement. Il fit ensuite communiquer avec la mer un lac voisin dont il fil un port pour la ville, de sorte que les Salapiens habitent aujourd'hui un endroit fort sain, à quatre milles de leur ancienne ville.

V. Des fondements des murs et des tours.

1. Lorsque, par les moyens dont je viens de parler, on se sera assuré de la salubrité du lieu où l'on doit bâtir une ville ; lorsqu'on aura choisi une contrée dont la fertilité soit en l'apport avec les besoins des habitants, lorsque le bon état des chemins, le voisinage avantageux d'une rivière ou d'un port de mer, ne donneront rien à craindre pour la facilité des transports nécessaires à l'approvisionnement de la ville, il faudra s'occuper des fondements des murs et des tours. On devra creuser jusqu'à la partie solide, autant que semblera l'exiger l'importance de l'ouvrage ; prendre soin de donner aux fondements plus de largeur que les murailles qui doivent s'élever au- dessus, de terre, et n'employer pour la construction de ces fondations que la pierre la plus dure.

2. Les tours doivent être en saillie à l'extérieur, afin que si l'ennemi cherchait à escalader les murailles, il présentât ses flancs découverts aux traits qu'on lui lancerait des tours placées à droite et à gauche. Il faut surtout veiller à ce qu'on ne puisse approcher qu'avec difficulté des murs pour les battre en brèche : il faudra donc les entourer de précipices, et faire en sorte que les chemins qui conduisent aux portes ne soient point directs, mais qu'ils obliquent à gauche ; par ce moyen les assiégeants présenteront à la muraille le flanc droit, qui n'est point couvert du bouclier. Le plan d'une ville de guerre ne doit ni représenter un carré, ni avoir des angles avancés ; il doit former simplement une enceinte qui permette de voir l'ennemi de plusieurs endroits à la fois : car les angles avancés ne conviennent point à la défense, et offrent plus d'avantages aux assiégeants qu'aux assiégés.

3. Quant à l'épaisseur des murailles, je pense qu'elle doit être telle que deux hommes armés venant à la rencontre l'un de l'autre, puissent passer sans difficulté. Que dans cette épaisseur, des chevilles de bois d'olivier, formées d'une seule pièce et un peu brûlées, soient placées à des distances fort rapprochées, afin que les deux parements de la muraille joints ensemble par ces chevilles, comme par des clefs, aient une solidité qui défie les siècles. Le bois ainsi préparé n'a à redouter ni les coups du bélier ni pourriture ni vermoulure, et, qu'il soit enfoncé dans la terre ou recouvert d'eau, il y reste, sans se corrompre, toujours propre à la main d'œuvre. Cette pratique est excellente, non seulement pour les murs, mais encore pour les fondements. Toute autre muraille à laquelle on voudra donner l'épaisseur des remparts, gardera longtemps sa solidité par le moyen de cette liaison.

4. Les tours doivent être espacées de telle sorte que l’'une ne soit pas éloignée de l'autre de plus d'une portée de trait, afin que si l'ennemi vient à attaquer l'une d'elles, il puisse être repoussé par les traits lancés des tours, placées à droite et à gauche, par les scorpions et les autres machines. Il faut encore que le mur venant s'appuyer contre la partie inférieure des tours, soit coupé en dedans de manière que l'intervalle qu'on aura ménagé égale le diamètre des tours. Pour rétablir les communications, on jettera sur cet intervalle un léger pont en bois que le fer ne fixera point, afin que les assiégés puissent l'enlever facilement, si l'ennemi venait à se rendre maître de quelque partie du mur ; et s'ils y mettent de la promptitude, l'ennemi ne pourra qu'en se précipitant passer aux autres parties des tours et de la muraille.

5. Les tours doivent être rondes ou poligones : celles qui sont carrées croulent bientôt sous les efforts des machines, et les coups du bélier en brisent facilement les angles. Dans les tours rondes, au contraire, les pierres étant taillées en forme de coin, ne peuvent souffrir des coups qui les poussent vers le centre. Lorsque les tours et les courtines sont terrassées, elles acquièrent une très grande force, parce que ni les mines, ni les béliers, ni les autres machines ne peuvent leur nuire.

6. Toutefois ces terrasses ne sont nécessaires que lorsque les assiégeants ont trouvé hors des murs une éminence qui leur donne la facilité d'y arriver de plain-pied : dans ce cas, il faut creuser des fossés aussi larges et aussi profonds que possible. Au-dessous du lit de ces fossés doivent descendre les fondements du mur, auquel on donnera une épaisseur capable de soutenir les terres.

7. Il faut alors construire un contre-mur dans l'intérieur de la place, en laissant entre ce contre- mur et le mur extérieur un espace assez grand pour faire une terrasse qui puisse contenir les troupes destinées à la défendre, comme si elles étaient rangées en bataille. Entre ces deux murs placés à la distance exigée, on en doit bâtir d'autres transversalement, qui rattachent le mur intérieur au mur extérieur, et qui soient disposés comme les dents d'un peigne ou d'une scie. Par ce moyen, la masse des terres étant divisée en petites parties, et ne portant pas de tout son poids, ne pourra point pousser les murailles en dehors.

8. Quant aux matériaux qui doivent entrer dans la construction des murailles, il n'est pas facile de les spécifier, parce que chaque localité ne peut offrir toutes les ressources désirables; il faut donc employer ceux qui se rencontrent, soit pierres de taille, soit gros cailloux, soit moellons, soit briques cuites ou non cuites. A Babylone, on a pu bâtir des murs de brique, en employant, au lieu de chaux et de sable, le bitume dont cette ville abonde ; mais toutes les contrées ne peuvent, comme certaines localités, fournir assez de matériaux du même genre pour qu'il soit possible d'en construire des murs qui durent à jamais.

VI. De la distribution des bâtiments, et de la place qu'ils doivent occuper dans l'enceinte des murailles.

1. Une fois l'enceinte terminée, on doit à l'intérieur s'occuper de l'emplacement des maisons, et de l'alignement des grandes rues et des petites, suivant l'aspect du ciel. Les dispositions seront bien faites, si l'on a eu soin d'empêcher que les vents n'enfilent les rues : s'ils sont froids, ils blessent ; s'ils sont chauds, ils corrompent ; s'ils sont humides, ils nuisent. Aussi faut-il se mettre à l'abri de ces inconvénients, et éviter avec soin ce qui arrive ordinairement dans plusieurs villes. Mitylène est une ville de l'île de Lesbos ; les bâtiments en sont élégants et magnifiques, mais ils n'ont point été disposés avec réflexion. Le souffle de l'auster y cause des fièvres, et celui du corus, des rhumes. Celui du nord guérit, il est vrai, de ces maladies ; mais il est si froid qu'il n'est pas possible, quand il se fait sentir, de rester dans les grandes rues ni dans les petites.

2. Or, le vent est un courant d'air dont l'agitation irrégulière cause un flux et un reflux. Il est produit par la chaleur qui agit sur l'humidité, et dont l'action impétueuse en fait sortir le souffle du vent : ce qui peut se vérifier à l’'aide des éolipyles d'airain dont l'ingénieuse découverte fait pénétrer la lumière dans les secrets que la nature semblait avoir réservés aux dieux. Les éolipyles, qui sont des boules creuses faites d'airain, n'ont qu'une petite ouverture par laquelle on introduit de l'eau. On les place devant le feu. Avant d'être échauffés, ils ne laissent échapper aucun air ; mais ils n'ont pas plutôt éprouvé l'action de la chaleur, qu'ils lancent vers le feu un vent impétueux. Cette expérience, si simple et si courte, nous met à même de connaître et d'apprécier les causes si grandes et si extraordinaires des vents et de l'air.

3. Qu'un lieu soit mis à l'abri des vents, non seulement les personnes qui se portent bien y conserveront une santé parfaite, mais encore celles qui, même dans d'autres endroits sains, ne trouvent pas dans les secours de la médecine de remède à des maladies qu'elles doivent à des causés étrangères aux vents, s'y guériront promptement, grâce à l'abri qu'elles y rencontreront. Les maladies dont la guérison est difficile dans les lieux dont il est parlé plus haut, sont les rhumes, la goutte, la toux, la pleurésie, la phtisie, l'hémoptysie, et les autres indispositions qui, pour guérir, ont moins besoin de débilitants que de toniques, La difficulté de traiter ces maladies vient d'abord de ce qu'elles sont causées par le froid, et ensuite de ce que sur des forces déjà épuisées par la maladie viennent agir les effets d'un air qui, raréfié par l'agitation des vents, exprime, pour ainsi dire, les sucs des corps malades, et les exténue de plus en plus ; au lieu qu'un air doux et d'une densité convenable, sans agitation, sans flux ni reflux, redonnant des forces aux membres par son calme et son immobilité, nourrit et rétablit ceux qui sont atteints de ces maladies.

4. Quelques auteurs n'admettent que quatre vents : le solanus, qui souffle du levant équinoxial ; l'auster, du midi ; le favonius, du couchant équinoxial ; le septentrion, du nord. Mais ceux qui se sont livrés à des recherches plus exactes, en ont compté huit. C'est surtout Andronique de Cyrrha, qui, pour en indiquer la direction, fit bâtir à Athènes une tour de marbre, de figure octogone. Sur les huit faces de cette tour était représentée l'image des huit vents, tournés chacun vers la partie du ciel d'où ils soufflent. Sur cette tour il éleva une pyramide en marbre, qu'il surmonta d'un triton d'airain, tenant une baguette à la main droite. Il était disposé de manière à se prêter à tous les caprices des vents, à présenter toujours la face à celui qui souillait, et à en indiquer l'image avec sa baguette qu'il tenait au-dessus.

5. Les quatre autres vents sont l'eurus, qui est placé entre le solanus et l'auster, au levant d'hiver ; l'africus, entre l'auster et le favonius, au couchant d'hiver ; le caurus, que plusieurs appellent corus, entre le favonius et le septentrion, et l'aquilon, entre le septentrion et le solanus. Tel est le moyen qui a été imaginé pour représenter le nombre et les noms des vents, et pour désigner exactement la partie du ciel d'où ils soufflent. Cela une fois connu, voici, pour trouver les points d'où partent les vents, le procédé qu'il faut employer.

6. On posera au milieu de la ville une table de marbre parfaitement nivelée, ou bien on aplanira le terrain à l'aide de la règle et du niveau, de manière à pouvoir se passer de la table. On placera au centre, pour indiquer l'ombre, un style d'airain que les Grecs appellent g-skiathehras (qui trouve l'ombre). Avant midi, vers la cinquième heure du jour, on examinera l'ombre projetée par le style, et on en marquera l'extrémité par un point, puis, à l'aide d'un compas dont l'une des pointes sera appuyée au centre, on tracera une ligne circulaire, en la faisant passer par ce point qui indiquera la longueur de l'ombre projetée par le style. Il faudra observer de même, après midi, l'ombre croissante de l'aiguille, et, lorsqu'elle aura atteint la ligne circulaire et parcouru une longueur pareille à celle d'avant midi, en marquer l'extrémité par un second point.

7. De ces deux points on tracera avec le compas deux lignes qui se croisent, et on tirera une droite qui passera par le point d'intersection et le centre où le style est placé, pour avoir le midi et le septentrion. On prendra ensuite la seizième partie de la circonférence de la ligne circulaire dont l'aiguille est le centre ; on placera une des branches du compas au point où la ligne méridienne touche la ligne circulaire, et, sur cette ligne circulaire, à droite et à gauche de la ligne méridienne, on marquera cette seizième partie. Cette opération sera répétée au point septentrional. Alors de ces quatre points on tirera des lignes d'une des extrémités de la circonférence à l'autre, en les faisant passer par le centre, où elles se croiseront. De cette manière le midi et le septentrion comprendront chacun une huitième partie. Ce qui restera de la circonférence à droite et à gauche, devra être divisé en trois parties égales, afin que les huit divisions des vents se trouvent bien exactement indiquées sur cette figure. Ce sera alors au milieu des angles produits par ces différentes lignes, entre deux régions de vents, que devra être tracé l'alignement des grandes rues et des petites.

8. Le résultat de cette division sera d'empêcher que les habitations et les rues de la ville ne soient incommodées par la violence des vents. Autrement, si les rues sont disposées de manière à recevoir directement les vents, leur souffle déjà si impétueux dans les espaces libres de l'air, venant à s'engouffrer en tourbillonnant dans les rues étroites, les parcourra avec plus de fureur. Voilà pourquoi on doit donner aux rues une direction autre que celle des vents : frappant contre les angles des espèces d'îles qu'elles forment, ils se rompent, s'abattent et se dissipent.

9. Peut-être s'étonnera-t-on que nous n'adoptions que huit vents, quand on sait qu'il en est un bien plus grand nombre, qui ont chacun leur nom. Mais, si l'on considère qu'après avoir observé le cours du soleil, la projection des ombres de l'aiguille du cadran équinoxial et l'inclinaison du pôle, Ératosthène le Cyrénéen a trouvé, avec le secours des mathématiques et de la géométrie, que la circonférence de la terre est de deux cent cinquante-deux mille stades, qui font trente et un millions cinq cent mille pas, et que la huitième partie de cette circonférence, occupée par chacun des vents, est de trois millions neuf cent trente-sept mille cinq cents pas, on ne devra plus être surpris, si, dans un si grand espace, un vent, eu soufflant de côté et d'autre, en se rapprochant et en s'éloignant, semble en faire un plus grand nombre par ces divers changements.

10. C'est pourquoi à droite et à gauche de l'auster soufflent ordinairement le leuconotus et l'altanus ; aux côtés de l'africus, le libonotus et le subvesperus ; aux cotés du favonius, l'argeste, et les étésiens, à certaines époques ; aux cotés du caurus, le circius et le corus ; aux côtés du septentrion, le trascias et le gallicus ; à droite et à gauche de l'aquilon, le supernas et le boréas ; aux côtés du solanus, le carbas et en certains temps les ornithies ; et enfin aux cotés de l'eurus, qui est le dernier de la série, et qui occupe un des milieux, sc trouvent l'eurocircias et le vulturnus. Il existe encore plusieurs autres vents qui doivent leurs noms à certains lieux, à certains fleuves, à certaines montagnes d'où ils viennent.

11. Ajoutons ceux qui soufflent le matin. Le soleil, en quittant l'autre hémisphère, frappe, dans son mouvement de rotation, l'humidité de l'air, et produit, dans son ascension rapide, des brises qui déjà s'agitent avant son lever, et qui se font encore sentir lorsqu'il paraît sur l'horizon. Ces vents partent de la région de l'euros, que les Grecs ne semblent avoir appelé g-euros que parce qu'il est produit par les vapeurs du matin. C'est, dit-on, pour la même raison qu'ils appellent g-aurion le jour du lendemain. Mais il y a quelques auteurs qui nient qu'Ératosthène ait pu trouver exactement la mesure de la circonférence de la terre. Peu importe que ses calculs soient exacts ou faux ; nous n'en aurons pas moins dans notre travail déterminé d'une manière certaine les régions d'où partent les vents.

12. Or, il sera toujours bon de savoir, lors même que cette supputation présenterait de l'incertitude, que les vents ont plus ou moins d'impétuosité. Ce n'est là qu'un faible exposé de la matière; pour en faciliter l'intelligence, j'ai cru devoir mettre à la fin de ce livre deux figures que les Grecs appellent g-schehmata (plan raccourci) : l'une, par la disposition, fera connaître d'une manière précise les régions d'où soufflent les vents; l'autre fera voir comment, en donnant aux rues et aux différents quartiers une direction détournée de celle des vents, ils se trouveront à l'abri de leur influence nuisible. Soit sur une surface plane un centre indiqué par la lettre A ; l'ombre projetée avant midi par le gnomon sera aussi marquée au point B, et du centre A, en ouvrant un compas jusqu'à B qui indique l'extrémité de l'ombre, on tracera une ligne circulaire: cela fait, on replacera le gnomon où il était auparavant, et on attendra que l'ombre décroisse, qu'elle se trouve, en recommençant à croître, à la même distance de la méridienne qu'avant midi, et qu'elle touche la ligne circulaire au point C. Alors du point B et du point C, on décrira avec le compas deux lignes qui se couperont au point D ; de ce point D, on tirera ensuite une ligne qui, passant par le centre, ira aboutir à la circonférence où elle sera marquée des lettres E et F. Cette ligne indiquera la région méridionale et la région septentrionale.

13. On prendra alors la seizième partie de toute la circonférence avec le compas, dont on arrêtera une branche au point E, où la ligne méridienne vient toucher le cercle, et avec l'autre branche, on marquera à droite et à gauche les points G et H. On répétera cette opération dans la partie septentrionale, en fixant une des branches du compas au point F, où la ligne septentrionale vient toucher la circonférence, en marquant avec l'autre branche, à droite et à gauche, les points I et K, et en tirant de G à K et de H à I, des lignes qui passeront par le centre : de sorte que l'espace compris entre G et H sera affecté à l'auster et à la région méridionale, et que celui qui s'étend de I à K sera pour la région septentrionale. Les autres parties, qui sont trois à droite et trois à gauche, seront divisées également, savoir : celles qui sont à l'orient marquées par les lettres L et M et celles qui sont à l'occident marquées par les lettres N et O ; des points M et O, L et N on tirera des lignes qui se couperont ; et ainsi seront également répartis sur toute la circonférence les huit espaces qu'occupent les vents.

14. Cette figure une fois tracée, on trouvera, en commençant par le sud, une lettre dans chaque angle de l'octogone : entre l'eurus et l'auster un G, entre l'auster et l'africus un H, entre l'africus et le favonius un N, entre le favonius et le caurus un O, entre le caurus et le septentrion un K, entre le septentrion et l'aquilon un I, entre l'aquilon et le solanus un L ; entre le solanus et l'eurus un M. Quand on aura ainsi terminé la figure, on placera l'équerre entre les angles de l'octogone pour l'alignement et la division des huit rues.

VII. Du choix des lieux destinés aux usages de tous les citoyens.

1. Après avoir déterminé l'alignement des grandes rues et des petites, il faudra songer à choisir l'emplacement des temples, du forum et autres endroits publics, de manière que tous les citoyens y trouvent commodité et avantage. Si la ville est au bord de la mer, l'endroit destiné à devenir place publique doit être choisi près du port ; si elle en est éloignée, la place publique devra occuper le centre de la ville. Quant aux temples, ceux surtout qui sont consacrés aux dieux tutélaires de la ville, comme Jupiter, Junon, Minerve, ils doivent être construits dans un lieu assez élevé pour que de là on puisse découvrir la plus grande partie des murs de la ville. Celui de Mercure sera sur le forum ; ceux d'Isis et de Sérapis dans le marché ; ceux d'Apollon et de Bacchus auprès du théâtre ; celui d'Hercule auprès du cirque, quand la ville ne possédera ni gymnase ni amphithéâtre ; celui de Mars s'élèvera hors de la ville, et dans le champ qui porte son nom ; celui de Vénus sera également hors de l'enceinte, auprès d'une des portes de la ville. Voici à ce sujet ce que portent les règlements des aruspices étrusques : les temples de Vénus, de Vulcain et de Mars seront placés hors de la ville : celui de Vénus, afin que les jeunes filles et les mères de famille ne prennent point dans la ville l'habitude des débauches auxquelles préside la déesse ; celui de Vulcain, afin que dans les cérémonies et les sacrifices, les murailles se trouvant éloignées des funestes effets du feu consacré à cette divinité, les maisons soient à l'abri de toute crainte d'être incendiées ; enfin celui de Mars, pour que toutes les pratiques du culte s'exerçant hors des murailles, il ne survienne point au milieu des citoyens de querelles sanglantes, pour que sa puissance les protège contre l'ennemi et les préserve des dangers de la guerre.

2. Celui de Cérès sera encore bâti hors de la ville, dans un lieu où il ne soit nécessaire de se rendre que pour offrir un sacrifice : ce n'est qu'avec respect, avec sainteté, avec pureté qu'on doit approcher de ce lieu. Les autres dieux doivent aussi avoir des temples dont l'emplacement soit approprié à la nature des sacrifices. Dans le troisième et le quatrième livre, je m'occuperai de la manière de bâtir les temples, et de leurs proportions, parce que je juge à propos de traiter dans le second des matériaux qui doivent entrer dans leur construction, de leurs qualités et de leur usage, me proposant de faire connaître dans les livres suivants la différence des ordres, ainsi que les divers genres et proportions des édifices.

LIVRE II

Préface.

L'ARCHITECTE Dinocrate comptant sur son expérience et son habileté, partit un jour de Macédoine pour se rendre à l’armée d'Alexandre, qui était alors maître du monde, et dont il désirait de se faire connaître. En quittant sa patrie il avait emporté des lettres de recommandation de ses parents et de ses amis pour les personnages les plus distingués de la cour, afin d'avoir un accès plus facile auprès du roi. Ayant été reçu par eux avec bienveillance, il les pria de le présenter au plus tôt à Alexandre. Promesse lui en fut faite ; mais l'exécution se faisait attendre : il fallait trouver une occasion favorable. Dinocrate pensant qu'ils se faisaient un jeu des défaites qu'ils lui donnaient, n'eut plus recours qu'à lui-même. Sa taille était haute, son visage agréable. Chez lui la beauté s'unissait à une grande dignité. Ces présents de la nature le remplissent de confiance. Il dépose ses vêtements dans son hôtellerie, se frotte le corps d'huile, se couronne d'une branche de peuplier, puis, se couvrant l'épaule gauche d'une peau de lion et armant sa main droite d'une massue, il se dirige vers le tribunal où le roi rendait la justice. La nouveauté de ce spectacle attire l'attention de la foule. Alexandre aperçoit Dinocrate, et, frappé d'étonnement, ordonne qu'on le laisse approcher, et lui demande qui il est. "Je suis l'architecte Dinocrate, répondit-il ; la Macédoine est ma patrie. Les modèles et les plans que je présente à Alexandre sont dignes de sa grandeur. J'ai donné au mont Athos la forme d'un homme qui, dans la main gauche, tient l'enceinte d'une cité, et dans la droite une coupe où viennent se verser les eaux de tous les fleuves qui sortent de la montagne, pour de là se répandre dans la mer." Alexandre charmé de cette idée, lui demanda si cette ville était entourée de campagnes capables de l'approvisionner des blés nécessaires pour sa subsistance. Ayant reconnu que les approvisionnements ne pouvaient se faire que par mer, Alexandre lui dit : "Dinocrate, je conviens de la beauté de votre projet ; il me plaît ; mais je crois que qui s'aviserait d'établir une colonie dans le lieu que vous proposez, courrait risque d'être taxé d'imprévoyance : car de même qu'un enfant sans le lait d'une nourrice ne peut ni se nourrir ai se développer, de même une ville ne peut s'agrandir sans campagnes fertiles, avoir une nombreuse population sans vivres abondants, faire subsister ses habitants sans de riches récoltes. Aussi, tout en donnant mon approbation à l'originalité de votre plan, je dois vous dire que je désapprouve le lieu que vous avez choisi pour le mettre à exécution ; mais je désire que vous demeuriez auprès de moi, parce que j'aurai besoin de vos services." A partir de ce moment, Dinocrate ne quitta plus le roi et l'accompagna en Égypte. Là, Alexandre ayant découvert un bon port, naturellement bien abrité, avec un abord facile, environné de fertiles campagnes, et pour lequel le voisinage des eaux du Nil était d'une immense ressource, il ordonna à Dinocrate de fonder une ville qui de son nom s'appela Alexandrie. C'est ainsi que, grâce à la noblesse de son extérieur, Dinocrate acquit une haute réputation Pour moi, César, la nature m'a privé d'un extérieur imposant, l'âge a défiguré mon visage, les maladies ont ruiné mes forces ; mais, quoique dépouillé de ces avantages, je ne désespère pas de mériter votre protection, en y suppléant par mes connaissances et mes écrits. Après avoir traité dans mon premier livre de l'architecture en général et des qualités de l'architecte, après avoir parlé ensuite de la construction des murailles et de l'emplacement des maisons à l'intérieur, ce serait ici le lieu de m'occuper des temples et des édifices publics et particuliers, aussi bien que des proportions qu'on doit leur donner ; je n'ai cependant pas cru devoir le faire avant d'avoir parlé des matériaux qu'il faut employer, de leurs qualités, des principes que la nature a fait entrer dans leur composition. Et même, avant d'entamer ce sujet, je parlerai des différentes manières de bâtir, de leur origine, des progrès qu'on a faits dans cet art. Je suivrai les premiers pas des hommes dans la société, et rechercherai les noms de ceux qui ont réduit en préceptes les essais de cette science, et les découvertes qui ont été poursuivies avec tant de soin. Ce sera sur les principes puisés dans leurs ouvrages que je baserai mes explications.

1. De la manière de vivre des premiers hommes ; des commencements de la société humaine ; des premières constructions et de leurs développements.

1. Les hommes anciennement naissaient, comme le reste des animaux, dans les forêts, dans les cavernes et dans les bois, n'ayant pour toute nourriture que des fruits sauvages. Cependant des arbres épais, violemment agités par l'orage, prirent feu par suite du frottement des branches. L’impétuosité de la flamme effraya les hommes qui se trouvèrent dans le voisinage, et leur fit prendre la fuite. Bientôt rassurés, ils s'approchèrent peu à peu et sentirent tout l'avantage qu'ils pourraient retirer pour leur corps de la douce chaleur du feu. On ajouta du bois, on entretint la flamme, on amena d'autres hommes auxquels on fit comprendre par signes toute l'utilité de cette découverte. Les hommes ainsi rassemblés articulèrent différents sons qui, répétés chaque jour, formèrent par hasard certains mots dont l'expression habituelle servit à désigner les objets ; et bientôt ils eurent un langage qui leur permit de se parier et de se comprendre.

2. Ce fut donc la découverte du feu qui amena les hommes à se réunir, à faire société entre eux, à vivre ensemble, à habiter dans un même lieu. Doués d'ailleurs de plusieurs avantages que la nature avait refusés aux autres animaux, ils purent marcher droits et la tête levée, contempler le magnifique spectacle de la terre et des cieux, et, à l'aide de leurs mains si bien articulées, faire toutes choses avec facilité : aussi commencèrent-ils les uns à construire des huttes de feuillage, les autres à creuser des cavernes au pied des montagnes ; quelques-uns, à l'imitation de l'hirondelle qu'ils voyaient se construire des nids, façonnèrent avec de l'argile et de petites branches d'arbres des retraites qui parent leur servir d'abri. Chacun examinait avec soin l'ouvrage de son voisin, et perfectionnait son propre travail par les idées qu'il y puisait, et les cabanes devenaient de jour en jour plus habitables.

3.Or, comme les hommes étaient d'une nature docile et propre à imiter, ils se glorifiaient chaque jour de leurs découvertes, et se communiquaient réciproquement les améliorations qu'ils y apportaient. C'est ainsi que, grâce à l'émulation qui tenait continuellement leur esprit en haleine, ils rectifiaient à l'envi les ouvrages qu'ils entreprenaient. Ils plantèrent d'abord des perches fourchues, qu'ils entrelacèrent de branches, et dont ils remplirent les vides avec de la terre grasse, pour en faire des murs.

4. D'autres firent sécher des mottes d'argile, en construisirent des murs, sur lesquels ils posèrent en travers des pièces de bois, et, les recouvrant de roseaux et de feuilles, ils se mirent dessous à l'abri de la pluie et du soleil. Plus tard, comme dans les mauvais temps d'hiver, ces toits ne résistaient pas aux pluies, ils firent des combles qu'ils recouvrirent de terre grasse, et, donnant de l'inclinaison aux couvertures, ils établirent des larmiers pour l'écoulement des eaux.

5. Telle fut l'origine des premières maisons. Nous pouvons nous en convaincre par celles que nous voyons encore aujourd'hui chez les nations étrangères. En Gaule, en Espagne, en Lusitanie, en Aquitaine, elles sont construites avec les mêmes matériaux et recouvertes de chaume ou de bardeaux de chêne. La Colchide, dans le royaume de Pont, est pleine de forêts. Voici de quelle manière les habitants construisent leurs habitations. Ils prennent des arbres qu'ils étendent sur terre à droite et à gauche sans les couper, en laissant entre eux autant d'espace que le permet leur longueur ; à leurs extrémités ils en placent d'autres en travers qui closent l'espace qu'on veut donner à l'habitation. Posant des quatre côtés d'autres arbres qui portent perpendiculairement les uns sur les autres aux quatre angles, et formant les murs de ces arbres mis à plomb avec ceux d'en bas, ils élèvent des tours, et remplissent de petits morceaux de bois et d'argile les intervalles qui répondent à la grosseur des arbres. Ensuite, pour le toit, raccourcissant ces arbres vers leurs extrémités, et continuant de les poser en travers les uns sur les autres, ils les rapprochent du centre par degrés, des quatre côtés, et en font des pyramides qu'ils recouvrent avec des feuilles et de l'argile. Tels sont les toits à quatre pans que ces barbares donnent à leurs tours.

6. Les Phrygiens, qui habitent dans des campagnes tout à fait dépourvues de forêts, et qui, par conséquent manquent d'arbres, choisissent des tertres naturels, les creusent au milieu, et pratiquent des chemins pour arriver à l'espace qu'ils ont élargi autant que l'a permis la nature du lieu. Au-dessus ils élèvent des cônes avec des perches liées entre elles, les couvrent de roseaux et de chaume, et entassent des monceaux de terre sur ces habitations, auxquelles ce genre de toit donne de la chaleur en hiver et de la fraîcheur en été. Quelques peuples couvrent leurs chaumières avec des herbes de murais. Chez d’autres nations et dans certaines localités, on emploie les mêmes moyens pour construire des cabanes. A Marseille nous pouvons remarquer qu'au lieu de tuiles, c'est de la terre pétrie avec de la paille qui recouvre les toits. A Athènes, l'Aréopage a été conservé jusqu'à ce jour avec son toit d'argile comme un modèle de l'antiquité, et dans le Capitole on peut regarder comme un souvenir, comme un échantillon des moeurs antiques, la chaumière de Romulus, qu'on a conservée avec sa couverture de chaume dans le lieu destiné aux choses sacrées.

7. D’après ces observations, nous pouvons juger que telle fut la manière de bâtir des anciens. Mais un travail journalier donna aux mains plus d'adresse, plus d'habileté pour bâtir, et un exercice assidu amena ces esprits subtils à travailler d'une manière plus éclairée. Il arriva alors que l'art venant à les animer, ceux qui eurent le plus de goût pour la construction des bâtiments en firent une profession particulière. Ce fut ainsi que procéda la nature ; elle ne s'était pas contentée de départir à l'homme le sentiment qu'elle avait aussi donné aux autres animaux : elle lui avait mis dans l'esprit l'arme de la prudence et de la raison, et avait assujetti à sa puissance tous les autres êtres animés. De la construction de leurs demeures les hommes arrivèrent par degrés aux autres arts et aux autres sciences, et leurs moeurs, devenues plus douces, perdirent tout ce qu'elles avaient d'agreste et de sauvage.

8. Construisant alors avec plus de hardiesse, et donnant à leurs pensées l'élan que leur inspirait la variété des arts, ce ne furent plus des chaumières, mais bien des maisons assises sur des fondements solides, avec des murs de briques et de pierres, avec des toits couverts de bois et de tuiles, qu'ils se mirent à élever. Ensuite les observations qu'ils puisèrent dans le travail, les conduisirent du tâtonnement et de l'incertitude à la connaissance exacte des règles de ta symétrie ; et ayant remarqué avec quelle abondance la nature produisait les matériaux nécessaires pour la construction, avec quelle profusion elle les prodiguait, ils arrivèrent par la pratique, et avec le secours des autres arts, à ajouter au nécessaire tous ces ornements, toutes ces commodités qui contribuent tant aux agréments de la vie. Quant aux choses que réclame un édifice pour être commode, à leurs qualités, à leurs propriétés, je les expliquerai le mieux qu'il me sera possible.

9. Si quelqu'un venait à désapprouver l'ordre dans lequel j'ai placé ce livre, et à penser qu'il eût mieux valu que je le misse à la tête de mon ouvrage, qu'il se garde de croire que ce soit une erreur de ma part. Voici ma raison. En faisant un traité complet d'architecture, j'ai cru devoir parler dans le premier livre des connaissances, de l'instruction que cette science exige ; déterminer les parties qui la composent, et dire quelle est son origine : c'est ce que j'ai fait en proclamant les qualités qui doivent se rencontrer dans un architecte. Ainsi, après avoir parlé dans le premier livre des études qui préparent à cette science, je parlerai dans le second des matériaux que fournit la nature, et de l'usage qu'on en doit faire. Il n'y sera plus question de l'origine de l'architecture, mais bien de celle des bâtiments ; et je dirai comment on est parvenu à donner à l'art de bâtir les développements et le degré de perfection où nous le voyons aujourd'hui.

10. Ce livre se trouvera donc parfaitement à son rang, à sa place. Je vais maintenant rentrer dans mon sujet, et, afin que le lecteur ne rencontre dans mon ouvrage rien d'obscur et d'inintelligible, raisonner sur les matériaux qui conviennent à la construction des bâtiments, sur la manière dont ils me paraissent avoir été produits par la nature, et sur la réunion des principes qui entrent dans leur composition : car il n'est point de matière, point de corps, il n'est rien qui se forme sans le concours des divers principes ; et comment faire comprendre, comment en physique clairement expliquer la nature des choses, si les principes qui les composent, leur formation, leur substance, ne sont démontrés par de bonnes raisons ?

2. Des principes des choses, selon l'opinion des philosophes.

1. Thalès est le premier qui ait pensé que l'eau était le principe de toutes choses. Héraclite d'Éphèse, qui, à cause de l'obscurité de ses écrits, fut appelé par, les Grecs g-skoteinos, croyait que c'était le feu. Démocrite et son sectateur Épicure prétendirent que c'étaient les atomes, que chez nous on appelle corpuscules insécables et quelquefois indivisibles. L'école de Pythagore ajouta à l'eau et au feu deux autres principes, l'air et la terre. Démocrite, bien qu'il n'ait point donné de nom propre aux principes qu'il admet, et se soit contenté de les proposer comme des corps indivisibles, me semble néanmoins avoir désigné les mêmes choses, puisque ces principes, lorsqu'ils sont séparés, loin d'être susceptibles d'altération, ou d'augmentation, ou de division, conservent au contraire une solidité perpétuelle, infinie, éternelle.

2. Puisque de la réunion de ces principes naissent et sont composées toutes choses, et que ces atomes sont différents dans les corps que la nature a multipliés à l'infini, j'ai pensé qu'il était à propos de faire connaître leurs variétés, leurs différentes propriétés, et les avantages qu'on en pouvait retirer pour la construction des édifices, afin que, d'après la connaissance qu'ils en auront, ceux qui pensent à bâtir ne tombent point dans l'erreur, et ne se pourvoient que de matériaux qui conviennent à l'usage qu'ils en veulent faire.

3. Des briques.

1. Je vais premièrement parler des briques et de l'espèce de terre qui doit entrer dans leur fabrication. Ce n'est point avec une terre pleine de gravier, de cailloux ou de sable qu'elles doivent être faites, parce que d'abord elle les rend trop lourdes, et qu'ensuite, lorsque dans les murs elles viennent à être battues par la pluie, elles tombent par morceaux en se détrempant ; la paille ne se lie pas bien, non plus, avec cette terre trop grossière. On doit les faire avec une terre blanche semblable à la craie, ou avec de la terre rouge, ou même avec du sablon mile. Ces espèces de terre, à cause des parties grasses qui les composent, sont compactes, chargent moins les constructions, et se pétrissent facilement.

2. Les briques doivent se mouler au printemps et en automne, afin qu'elles puissent sécher graduellement. Celles qu'on prépare en été deviennent défectueuses, en ce que le soleil, frappant leur superficie de sa chaleur trop intense, les fait paraître entièrement sèches, tandis que l'intérieur, qui est resté humide, venant plus tard à sécher, se contracte et fait gercer la partie qui était sèche, et ces fissures rendent les briques fragiles. Les meilleures briques sont celles qui ont au moins deux années de fabrication : il leur faut tout ce temps pour bien sécher. Quand on vient à les employer nouvellement faites et sans être sèches, l'enduit dont on les recouvre et qui prend une très grande solidité, conservant le même volume, il arrive que les briques perdent de leur épaisseur en séchant, ne peuvent plus remplir la capacité de l'enveloppe que forme l'enduit, s'en détachent par le rétrécissement, n'y adhèrent plus, et cessent complètement de faire corps avec lui. Séparé de la brique, l'enduit n'ayant plu.

3. On fait trois sortes de briques : l'une, appelée en grec g-laidion, est celle dont nous nous servons ; sa longueur est d'un pied, sa largeur d'un demi-pied. Les deux autres sont employées par les Grecs dans leurs édifices : l'une se nomme g-pentadoron, l'autre g-tetradoron. Par le mot g-Doron, les Grecs désignent la palme, parce qu'en grec g-Doron signifie présent, et qu'un présent se porte toujours dans la main. Ainsi les briques qui ont en tout sens cinq palmes, quatre palmes, s'appellent g-pentadoron, g-tetradoron. Les constructions publiques se font avec le g-pentadoron, et celles des particuliers avec le g-tetradoron.

4. Outre ces différentes espèces de briques, on fait des demi- briques, dont voici l'usage : quand on élève une muraille, d'un côté on pose une rangée de briques, de l'autre une rangée de demi-briques. Toutes ces briques qui, de chaque côté, sont alignées au cordeau, s'enchaînent les unes avec les autres dans ces assises qui alternent ; et, se rencontrant par le milieu sur chaque joint montant, elles donnent aux deux parements du mur une grande solidité jointe à une certaine symétrie qui n'est point désagréable à l'oeil. On fabrique à Calentum, dans l'Espagne Ultérieure ; à Marseille, dans la Gaule, et en Asie, à Pitane, des briques qui, une fois sèches, surnagent quand on les jette dans l'eau. Cette propriété semble leur venir de la terre spongieuse avec laquelle elles sont faites. Cette terre légère que l'air a durcie, ne prend, n'absorbe aucune humidité. Ainsi ces briques, dont la propriété est d'être légères et poreuses, et de ne se laisser pénétrer par aucun corps humide sont forcées par les lois de la nature de rester, comme la pierre ponce, au-dessus de l'eau, quel que soit leur poids. Aussi sont-elles d'une grande utilitité en ce qu'elles ne chargent point les constructions, et qu'une fois employées, elles ne se détrempent pas par les plus grandes pluies..

4. Du sable

1. Dans les constructions en moellon, le point le plus important est de s'assurer si le sable est d'une qualité propre à entrer dans la confection du mortier, s'il ne renferme point de matières terreuses. Il y a quatre espèces de sable fossile : le noir, le blanc, le rouge et le carboncle. De ces espèces la meilleure sera celle qui, frottée dans la main, aura produit un bruit sonore. Celui qui est terreux, qui n'est point rude au toucher, est mauvais ; mais celui qui, ayant été lancé contre un vêtement blanc, en est ensuite secoué ou enlevé à l'aide d'une baguette, sans y faire de tache, sans y laisser trace de terre, est excellent.

2. S'il n'y avait point de sablière d'où l'on pût retirer du sable fossile, on irait prendre au fond des rivières du gravier, dont on ferait disparaître tout corps étranger au sable ; les bords de la mer pourraient encore être mis à contribution. Pourtant le sable marin a le défaut de sécher difficilement, et d'empêcher qu'on ne bâtisse sans intermittence une muraille qui ne pourrait porter une grande charge, si on ne la maçonnait à plusieurs reprises pour lui donner le temps de se consolider ; il n'entre point dans la construction des voûtes. Il y a de plus que les murs dont le crépi a été fait avec de la chaux mêlée de ce sable, se remplissent de salpêtre, sont toujours humides, et finissent par s'en dégarnir.

3. Le mortier de sable fossile sèche, au contraire, promptement ; il dure longtemps dans les crépis et est très solide dans les plafonds, surtout quand le sable est nouvellement extrait des sablières : car s'il reste longtemps dehors sans être mis en oeuvre, le soleil et la lune l'altèrent, le givre le dissout, et il devient terreux. Lorsque dans cet état il est employé dans la maçonnerie, les moellons ne peuvent tenir ; ils se détachent, ils tombent ; les murs ne sont point capables de soutenir un grand poids. Toutefois le sable fossile nouvellement extrait, bien qu'il convienne parfaitement à la maçonnerie, n'est pas aussi avantageux pour les crépis, parce qu'il est si gras et sèche si vite, que, mêlé à la chaux avec de la paille, il fait un mortier qui ne peut durcir sans se gercer. Mais le sable de rivière à cause de sa maigreur, quand il a été, comme le ciment, bien corroyé, bien battu, donne au crépi une grande solidité.

5. De la chaux.

1. Après avoir explique de quelle utilité pouvaient être les différentes espèces de sable, il faut maintenant nous occuper de la chaux, et voir si elle doit être faite avec des pierres blanches ou des cailloux. Celle qu'on fait avec une pierre dure et compacte est bonne pour la maçonnerie ; celle que fournit une pierre spongieuse vaut mieux pour les enduits. Quand la chaux sera éteinte, il faudra la mêler avec le sable : si c'est du sable fossile, dans la proportion de trois parties de sable et d'une de chaux ; si c'est du sable de rivière ou de mer, dans la proportion de deux parties de sable sur une de chaux : c'est là la juste proportion de leur mélange. Si au sable de rivière ou de mer on voulait ajouter une troisième partie de tuileaux pilés et sassés, on obtiendrait un mélange d'un usage encore meilleur.

2. Pourquoi la chaux, en se mêlant à l'eau et au sable, donne-t-elle à la maçonnerie tant de solidité ? En voici, je crois, la raison. Les pierres, comme tous les autres corps, sont composées des éléments ; celles qui contiennent ou plus d'air, ou plus d'eau, ou plus de terre, ou plus de feu, sont ou plus légères, ou plus molles, ou plus dures, ou plus fragiles. Remarquons que si des pierres, avant d'être cuites, ont été pilées et mêlées à du sable, puis employées dans une construction, elles ne prennent aucune consistance et ne peuvent en lier la maçonnerie ; mais que si, jetées dans un four, elles viennent à perdre leur première solidité par l'action violente du feu auquel elles sont soumises, alors, par suite de cette chaleur qui en consume la force, elles se remplissent d'une infinité de petits trous. Ainsi l'humidité répandue dans ces pierres ayant été absorbée, et l'air qu'elles contenaient s'étant retiré, ne renfermant plus alors que la chaleur qui y reste cachée, qu'on vienne à les plonger dans l'eau avant que cette chaleur ne soit dissipée, elles reprennent leur force : l'eau qui y pénètre de tous côtés produit une ébullition ; puis le refroidissement fait sortir de la chaux la chaleur qui s'y trouvait.

3. Voilà pourquoi le poids des pierres à chaux, au moment où on les jette dans le four, ne peut plus être le même quand on les en retire : si on les pèse après la cuisson, on les trouvera, bien qu'elles aient conservé le même volume, diminuées environ de la troisième partie de leur poids. Ainsi, grâce à tous ces trous, à tous ces pores, elles se mêlent promptement au sable, y adhèrent fortement, s'attachent en séchant aux moellons, et donnent à la maçonnerie une grande solidité.

6. De la pouzzolane.

1. Il existe une espèce de poudre à laquelle la nature a donné une propriété admirable. Elle se trouve au pays de Baïes et dans les terres des municipes qui entourent le mont Vésuve. Mêlée avec la chaux et le moellon, non seulement elle donne de la solidité aux édifices ordinaires, mais encore les môles qu'elle sert à construire dans la mer acquièrent sous l'eau une grande consistance. Voici comment j'en explique la cause. Sous ces montagnes et dans tout ce territoire, il y a un grand nombre de fontaines bouillantes ; elles n'existeraient pas, sil ne se trouvait au fond de la terre de grands feux produits par des masses de soufre, ou d'alun, ou de bitume en incandescence. La vapeur qui s'exhale de ces profonds réservoirs de feu et de flamme, se répandant brûlante par les veines de la terre, la rend légère, et le tuf qui en est produit est aride et spongieux. Ainsi, lorsque ces trois choses que produit de la même manière la violence du feu, viennent par le moyen de l'eau à se mêler et à ne plus faire qu'un seul corps, elles se durcissent promptement ; et prennent une solidité telle, que ni les flots de la mer ni la poussée des eaux ne peuvent les désunir.

2. Une chose peut faire juger que de grands feux se trouvent dans ces localités, ce sont les grottes creusées dans les montagnes de Cumes et de Baïes pour servir d'étuves. Une vapeur chaude produite par la violence du feu, s'élevant des entrailles de la terre, qu'elle pénètre, vient se répandre dans ces lieux, et est d'une très grande utilité pour ceux dont elle provoque la sueur. On rapporte aussi qu'anciennement le Vésuve sentit croître dans ses flancs des feux excessifs, et vomit la flamme sur les campagnes d'alentour. De cet embrasement sont provenues ces pierres spongieuses qu'on appelle pierres ponces pompéianes, auxquelles, le feu, en les cuisant, a ôté leur qualité première, pour leur donner, selon toute probabilité, celle qu'elles ont aujourd'hui.

3. L'espèce de pierre ponce qu'on retire de ce lieu ne se rencontre qu'aux environs de l'Etna, dans les montagnes de Mysie, et sans doute dans quelques autres lieux dont la position est analogue : les Grecs l'appellent kekaum¡nh. Si donc on trouve dans ces endroits des fontaines d'eau bouillante ; s'il y a dans les grottes de ces montagnes des vapeurs chaudes ; si, comme nous l'apprend l'antiquité, des flammes se sont autrefois répandues sur ces contrées, tout porte à croire que la violence du feu a enlevé au tuf et à la terre, comme il le fait à la chaux dans les fours, leurs principes humides.

4. D'où il faut conclure que des matières entièrement différentes, quand elles ont été soumises à l'action du feu, et qu'elles ont acquis une même propriété, c'est-à-dire cette sécheresse chaude qui leur fait si promptement absorber l'eau dont on les mouille, s'échauffent par la force de la chaleur que contiennent tous les corps, se lient avec ténacité, et ne tardent pas à acquérir une dureté extraordinaire. Ce raisonnement trouvera sans doute des contradicteurs : car, puisqu'il existe en Étrurie un grand nombre de fontaines d'eaux chaudes, pourquoi n'y trouve-t-on pas cette poudre qui donne sous l'eau tant de solidité à la maçonnerie ? Qu'on veuille bien, avant de me condamner, entendre mon opinion à ce sujet.

5. Dans toutes les contrées, dans tous les pays, les terres, non plus que les pierres, ne sont pas de même nature : ici vous trouvez une terre franche, là un terrain où abonde le sable ou le gravier ; ailleurs du sablon. Autant de contrées, autant de terrains qui vous offrent des différences totales. C'est ce dont vous pouvez parfaitement vous convaincre en examinant cette partie de l'Italie et de l'Étrurie qu'embrasse le mont Apennin : on y trouve presque partout de la pouzzolane ; au delà, vers la mer Adriatique, il n'y en a point du tout. En Achaïe, en Asie et dans les pays d'outre-mer, on en ignore jusqu'au nom. Il peut donc arriver que tous les lieux où l'on voit jaillir de nombreuses fontaines d'eaux chaudes ne présentent pas les mêmes particularités : la nature, sans consulter la volonté de l'homme, étale partout où il lui plaît une fécondité aussi riche que variée.

6. Ainsi, aux lieux où les montagnes sont formées non de terre, mais de rochers, la violence du feu, en pénétrant au travers, les brûle et consume tout ce qu'il y a de mou, de tendre, sans avoir d'action sur les parties dures : de sorte que dans la Campanie, la terre brûlée devient cendre ; en Étrurie, les roches calcinées produisent le carboncle. Ces deux matières sont excellentes pour la maçonnerie ; mais l'une vaut mieux pour les constructions qui se font sur terre, l'autre pour celles qui se font dans la mer. Or, cette matière dont la nature est plus molle que celle du tuf, plus solide que celle de la terre, quand elle est brûlée par la force de la vapeur, forme clans quelques endroits cette espèce de sable qu'on appelle carboncle.

7. Des carrières de pierres.

1. Je viens de parler de la chaux et du sable, de leurs différentes espèces et de leurs qualités ; l'ordre des matières veut que je parle maintenant des carrières d'où l'on extrait les pierres de taille et les moellons qui servent à la construction des bâtiments. Toutes les pierres sont loin de présenter les mêmes qualités. Il y en a de tendres, comme celles que l'on trouve aux environs de Rome, dans les carrières de Rubra, de Pallia, de Fidènes, d'Albe ; d'autres le sont moins, comme celles de Tibur, d'Amiterne, de Soracte et d'autres endroits. Quelques-unes sont dures comme des cailloux. Il y en a encore de plusieurs autres espèces, comme le tuf rouge et le tuf noir de la Campanie, le tuf blanc de l'Ombrie, du Picenum, de Venise, qui, comme le bois, se coupent avec la scie dentée.

2. Toutes ces pierres tendres ont cela d'avantageux que, débarrassées de toute matière dure, elles se taillent avec facilité, et résistent fortement, si elles sont employées dans des lieux couverts ; mais exposées à l'air, les gelées et les neiges qui s'y amassent les dissolvent et les font tomber en poussière. Sur le bord de la mer, ce sont les exhalaisons salines qui les rongent et les pulvérisent ; elles ne résistent pas non plus, à l'agitation des vagues. Les pierres de Tibur et toutes celles qui leur ressemblent résisteront bien à un poids considérable et aux injures de l'air ; mais elles ne sont pas à l'épreuve du feu, qui ne les a pas plutôt touchées qu'elles éclatent et se brisent par morceaux, parce que dans leur composition naturelle il entre peu d'eau, peu de terre avec beaucoup d'air et de feu. Aussi, comme elles contiennent moins d'eau et de terre, le feu, lorsque par la force de sa chaleur, il en fait sortir l'air, le feu y pénètre aussitôt, remplit tous les vides, se dilate et embrase les matières de même nature que la sienne.

3. On trouve encore dans le territoire de Tarquinies plusieurs carrières appelées Anitiennes, dont les pierres ont la même couleur que celles d'Albe. La plus grande partie de ces pierres se travaille auprès du lac de Vulsinies, et dans le gouvernement de Statonia. Elles ont un grand nombre de qualités : la saison des gelées, le contact du feu n'ont sur elles aucune influence ; elles restent solides et durent fort longtemps, parce que leur essence se compose d'une petite quantité d'air et de feu, d'une médiocre quantité d'eau et de beaucoup de terre : ainsi la compacité de leurs parties leur donne une dureté capable de braver la rigueur du temps et la violence du feu.

4. On peut en avoir une idée par les monuments qui ont été faits avec ces pierres auprès de la ville municipale de Férente : on y voit de grandes statues d'une rare beauté, ainsi que de petits bas-reliefs, des fleurs et des feuilles d'acanthe délicatement sculptées ; malgré leur ancienneté, ces objets paraissent aussi frais que s'ils venaient d'être faits. Elles offrent encore un très grand avantage aux ouvriers en bronze qui en font les moules dans lesquels ils fondent la matière qu'ils travaillent. Si ces carrières étaient près de Rome, les pierres qu'on en tire seraient certainement employées dans tous les ouvrages.

5. Mais la proximité des carrières de Rubra, de Pallia et de quelques autres endroits, fait qu'on est obligé de se servir de leurs produits ; toutefois, pour que de leur emploi il ne résulte aucun inconvénient, il y a des précautions à prendre : ainsi deux ans avant de mettre les pierres en oeuvre il faut les extraire de la carrière, non en hiver, mais en été, et les laisser exposées à l'air dans un lieu découvert. Celles que, pendant ces deux ans, le mauvais temps aura endommagées, seront jetées dans les fondements ; les autres, que n'aura point altérées l'épreuve à laquelle elles auront été soumises, pourront servir à la maçonnerie faite hors de terre. Cette méthode s'applique non seulement aux constructions en pierres de taille, mais encore aux constructions en moellon.

8. Des différentes espèces de maçonnerie.

1. Les différentes espèces de maçonnerie sont : la maillée, qui aujourd'hui est partout en usage, et l'ancienne, qu'on appelle, irrégulière. La plus belle des deux est la maillée ; mais elle est sujette à se lézarder, parce que de tous côtés les lits et les joints se séparent. La maçonnerie irrégulière, au contraire, dont les moellons sont placés les uns sur les autres de manière à s'enchaîner entre eux, ne flatte pas autant l'oeil que la maillée, mais elle est plus solide.

2. L'une et l'autre espèce de maçonnerie demandent des pierres de très petit module, afin que les murs faits à force de mortier de chaux et de sable, puissent durer plus longtemps : car les pierres qui sont d'une substance molle et sans densité attirent et absorbent l'humidité du mortier ; mais que le mortier soit répandu avec profusion dans l'ouvrage, le mur ayant plus d'humidité, ne séchera pas aussi vite, et les matériaux seront mieux liés ; l'humidité du mortier vient-elle à être attirée par les pores des pierres, la chaux se sépare du sable et se dissipe, les moellons n'ont plus rien qui les unisse, et les murailles affaiblies tombent en ruine.

3. C'est ce qu'il est facile de remarquer dans quelque, monuments des environs de Rome Les parements des murs avaient été faits avec du marbre et des pierres de taille ; le dedans avait été rempli de blocaille : le temps, la sécheresse du moellon ont fait disparaître la force du mortier, et les joints se séparent, et tout s'écroule, tout tombe.

4. Pour éviter cet inconvénient, conservez un vide au milieu des parements de la muraille, à laquelle vous donnerez deux pieds d'épaisseur ; remplissez-le de pierres rouges carrées, ou de briques, ou de cailloux dispose comme la pierre de taille, et avec des crampons de fer et du plomb, liez les deux parements. Par ce moyen, votre ouvrage qui n'aura point été fait tout à la fois, mais par reprises, pourra sans altération durer éternellement, parce que les lits intérieurs de pierres et les joints étant parfaitement coordonnés, parfaitement liés entre eux, empêcheront que le mur ne s'affaisse, et les parements si bien attachés l'un à l'autre ne pourront être ébranlés.

5. Pour la même raison, nous ne devons point rejeter l'espèce de maçonnerie employée par les Grecs, quand ils ne se servent pas de cette pierre tendre que l'on polit pour la mettre en oeuvre. Ils se contentent, au lieu de pierres de taille, de cailloux ou de pierres dures qu'ils arrangent comme des assises de briques en les posant en liaison les unes sur les autres, ce qui donne à cette espèce de maçonnerie une solidité que rien ne peut ébranler. Elle se fait de deux casanières : l'une que l'on appelle g-isidromon, l'autre g-pseudisidromon.

6. L'g-Isidromon est celle dont les assises sont toutes d'une égale hauteur ; la g-pseudisidromon, celle dont les assises présentent une épaisseur inégale. Ces deux espèces sont solides, en ce que les pierres, à cause de leur compacité et de leur dureté, loin de pouvoir absorber l'humidité du mortier, la lui conservent au contraire extrêmement longtemps, et les lits de pierres, étant parfaitement unis et dressés au niveau, empêchent que les matériaux ne s'écroulent, et cas assurent à jamais la solidité par le poids égal qui règne dans toute la longueur des murs, et qui prévient tout tassement inégal.

7. Il est une troisième manière, que l'on appelle g-enplekton, dont se servent nos villageois. Les pierres qui forment les parements sont unies. On remplit le milieu avec du mortier, dans lequel on jette pêle-mêle des pierres, sans autre liaison que celle que leur donne le hasard. Mais nos maçons, pour accélérer leur travail, font des assises composées de plusieurs pierres superposées, et n'ont égard qu'aux parements, dont ils garnissent l'intérieur avec des fragments de moellons qu'ils mêlent avec le mortier. Aussi y a-t-il dans cette espèce de maçonnerie trois couches de mortier, deux pour l'enduit des parements, et la troisième au milieu pour le blocage. Les Grecs ne font point ainsi : ils posent leurs pierres à plat, et font dans toute la longueur du mur des assises en liaison, qui ne laissent point au milieu de vide à remplir ; ces pierres qui de chaque parement vont se réunir à l'intérieur pour former l'épaisseur des murs, dans toute leur étendue, les rendent déjà fort solides ; mais ils placent encore de deux en deux des pierres à double parement, appelées diatñnoi, qui, en traversant les murs dont elles lient les deux faces, en assurent parfaitement la solidité.

8. Si quelqu'un veut faire l'application des règles posées dans cet ouvrage pour le genre de maçonnerie qu'il aura choisi, il sera à même de lui donner toutes les conditions de durée. Ce n'est pas la maçonnerie à laquelle une pierre tendre, facile à tailler, donne une apparence de beauté, qui peut durer le plus longtemps sans tomber en ruine. Aussi, lorsque des experts sont nommés pour apprécier des murs extérieurs, ils ne les estiment pas air prix de construction ; mais après avoir examiné le mémoire de l'architecte, ils déduisent du prix qu'ils ont coûté autant de quatre-vingtièmes qu'il y a d'années d'écoulées depuis l'achèvement des murs, et ne font payer que ce qui reste, de toute la somme, leur avis étant qu'ils ne peuvent durer au delà de quatre-vingts ans.

9. Quant aux murs de briques, pourvu qu'ils aient conservé leur aplomb, ils n'éprouvent aucune réduction de prix ; ce qu'ils ont coûté à faire dans le principe est ce qu'ils sont estimés valoir encore. Voilà pourquoi, dans quelques villes, les édifices tant publics que particuliers, et même les maisons royales sont, comme ou peut le voir, construites en briques : tel est à Athènes le mur qui regarde le mont Hymette et le Pentélique ; tels, à Patras, les temples de Jupiter et d'Hercule, bien que, dans ces édifices, les architraves et les colonnes soient de pierre. En Italie, à Aretium, on voit encore un ancien mur de briques parfaitement bâti ; et, à Tralles, le palais des rois Attaliques, que l'on donne toujours pour demeure à celui qui remplit les fonctions de grand prêtre de la ville. A Lacédémone il y avait, sur certaines murailles, des peintures que l'on a enlevées en sciant les briques. Enchâssées dans du bois, elles ont été apportées au lieu où se tiennent les comices, pour honorer l'édilité de Varron et de Muréna.

10. Le palais de Crésus est aussi construit avec les briques. Les habitants de Sardes l'ont consacré aux citoyens qui, par leur grand âge, ont acquis le privilège de vivre en repos dans un collège de vieillards appelé Gérusie. Dans la ville d'Halicarnase, celui du puissant roi Mausole, bien que les marbres de Proconnèse y brillent de tous côtés, a des murailles de briques qui, offrant encore aujourd'hui une solidité remarquable, sont recouvertes d'un enduit si poli qu'elles semblent avoir la transparence du verre. Et certes ce ne fut pas le manque de ressources qui força le roi de faire construire de si pauvres murailles, lui dans les coffres duquel venaient s'entasser d'immenses tributs, lui le naître de toute la Carie.

11. Quant à son habileté et à ses connaissances en architecture, elles nous seront prouvées par les monuments qu'il éleva. Ce roi était né à Mylasse ; mais voyant dans Halicarnasse un site que la nature elle-même avait fortifié, une place avantageuse pour le commerce, un port commode, il y établit sa demeure. Ce lieu ressemblait à un amphithéâtre. La partie basse, voisine du port, fut destinée à devenir la place publique. A la moitié de la colline, qui était de forme arrondie, il fit ouvrir une large et vaste place, au milieu de laquelle fut construit cet admirable mausolée qu'on a mis au nombre des sept merveilles du monde. La partie la plus élevée fut couronnée par le temple de Mars, où l'on voyait une statue colossale, appelée Žkrñliyow, ouvrage du célèbre sculpteur Télocharès, ou de Timothée, comme le pensent quelques historiens. A la pointe droite de la colline, il fit bâtir les temples de Vénus et de Mercure auprès de la fontaine Salmacis.

12. C'est à tort qu'on attribue, aux eaux de cette fontaine le pouvoir de rendre malades d'amour ceux qui en boivent. Pourquoi cette fausse opinion s'est-elle répandue dans le monde ? On ne sera peut-être pas fâché de le savoir. Ce qu'on dit de la propriété que doit avoir cette fontaine, de rendre efféminés et lascifs ceux qui y boivent, ne peut être fondé que sur ce que les eaux en sont d'une grande limpidité et d'un goût délicieux. Or, lorsque Mélas et Arevanias emmenèrent d'Argos et de Trézéne des habitants pour fonder en ce lieu une colonie commune, ils en chassèrent les barbares cariens et lélègues. Ceux-ci, s'étant réfugiés dans les montagnes, se réunissaient par bandes pour faire des incursions dans le pays, et le ravageaient par leurs cruels brigandages. Plus tard, un des colons, dans l'espoir de faire quelques profits, pourvut de tout ce qui était nécessaire une taverne qu'il bâtit auprès de cette fontaine, des eaux de laquelle il avait reconnu la bonté. Par l'exercice de son métier, il réussit à avoir ces barbares pour pratiques. S'y rendant d'abord un à un, ils finirent par se mêler aux réunions des Grecs ; puis, s'étant insensiblement dépouillés de leur naturel dur et farouche, ils s'habituèrent sans contrainte à prendre la douceur de leurs moeurs. Ce ne fut donc pas à une prétendue corruption qu'on y aurait puisée, que cette fontaine dut sa renommée, mais bien aux relations auxquelles elle donna lieu, relations qui firent pénétrer dans l'âme adoucie des barbares les charmes de la civilisation.

13. Il me reste maintenant, puisque je me suis laissé entraîner à énumérer les constructions de Mausole, à en donner une description entière et exacte. J'ai dit que du côté droit se trouvaient le temple de Vénus et la fontaine dont je viens de parler. On voit du côté gauche le palais que ce roi fit construire selon son goût. Il a vue, vers la droite, sur la place publique, sur le port et sur joute la ligne des murailles, et, vers la gauche sur un autre port caché au pied de la montagne, et disposé de manière à ce qu'on ne puisse ni voir, ni connaître ce qui s'y passe ; le roi seul, de son palais, peut, sans que personne le sache, donner aux matelots et aux soldats les ordres qu'il lui plaît.

14. Après la mort de Mausole, Artémise, son épouse, monta sur le trône. Les Rhodiens, indignés de voir une femme régner sur toutes les villes de la Carie, arment une flotte, et mettent à la voile pour aller s'emparer de ce royaume. A cette nouvelle, Artémise équipe une flotte, la cache dans ce port avec des matelots et des soldats, et ordonne au reste des citoyens de se tenir sur les remparts. Les Rhodiens ayant mis en ligne dans le grand port leur flotte tout appareillée, la reine fait donner du haut des murs un signal pour faire entendre que la ville va leur être livrée : tous sortent de leurs vaisseaux pour entrer dans la ville. Artémise fit incontinent ouvrir le petit port, d'où l'on vit son armée navale gagner la mer pour de là se porter dans le grand. Ses soldats et ses matelots paraissent, s'emparent des vaisseaux vides des Rhodiens, et les emmènent en pleine mer. Les Rhodiens, n'ayant aucun moyen de fuir, furent passés au fil de l'épée sur la place publique, où ils se trouvèrent cernés.

15. Cependant Artémise fait monter sur les vaisseaux des Rhodiens ses soldats et ses matelots, et cingle vers Rhodes. Les habitants, à la vue de leurs vaisseaux couronnés de lauriers, s'imaginant que c'étaient leurs concitoyens qui revenaient victorieux, reçurent leurs ennemis. Alors la reine, après s'être emparée de l'île, après en avoir fait mettre à mort les principaux habitants, éleva au milieu de la ville de Rhodes un trophée de sa victoire, et fit faire deux statues de bronze, l'une représentant la cité des Rhodiens, l'autre sa propre image qui imprimait au front de sa rivale les stigmates de la servitude. Dans la suite, les Rhodiens, arrêtés par leurs scrupules, parce qu'il est défendu d'enlever les trophées consacrés, construisirent autour de ce lieu un édifice, et, comme les Grecs l'entourèrent d'une barrière pour le mettre à l'abri des curieux, ils le firent appeler g-abaton.

16. Puis donc que des rois si puissants n'ont point dédaigné de faire bâtir des murs de brique, eux que leurs revenus et les dépouilles de l'ennemi mettaient à même d'en avoir en moellon, en pierre de taille et même en marbre, je ne pense pas qu'il faille condamner l'usage de la brique dans la construction des édifices, pourvu qu'il soit bien appliqué. Je vais dire pourquoi le peuple romain n'a point voulu l'admettre dans Rome, sans oublier les raisons qui l'ont fait rejeter.

17. La loi ne permet point de donner aux murs extérieurs plus d'un pied et demi d'épaisseur, et les autres, pour qu'il y ait moins d'espace de perdu, ne doivent pas être plus épais. Or, de telles murailles ne peuvent pas supporter plus d'un étage ; autrement il importerait qu'elles eussent dans leur épaisseur deux ou trois rangs de briques. Et dans une ville aussi majestueuse et aussi peuplée, il eût fallu un développement immense d'habitations. Aussi, comme l'espace que comprend l'enceinte de la ville n'est point assez vaste pour loger une si grande multitude, force a été d'avoir recours à la hauteur des édifices. Et, grâce au mélange d'assises de pierres, de chaînes de briques, de rangées de moellon, les murs ont pu atteindre une grande élévation ; les étages se sont assis les uns sur les autres, et les avantages se sont multipliés en raison de l'augmentation du nombre des logements. Les murs ayant donc, par la superposition des étages, pris un grand développement en hauteur, le peuple romain s'est créé de belles habitations sans difficulté.

16. Après avoir expliqué comment dans Rome, le peu d'espace a fait bannir l'usage de la brique pour la construction des murs, je vais marquer pour le cas où on l'emploierait hors de la ville, le moyen de la faire durer longtemps sans réparation. Sur le haut des murs, au-dessous du toit, il faut construire avec des tuiles une bordure d'un pied et demi de hauteur, et lui donner la saillie d'une corniche : parce moyen on pourra éviter les accidents qu'ils éprouvent ordinairement. En effet, la couverture venant à perdre des tuiles, brisées ou emportées par le vent, la pluie ne manque pas de se répandre par là sur les flancs de la muraille ; mais l'entablement dont nous venons de parler empêchera qu'elle ne soit endommagée : la saillie de la corniche rejettera loin de son parement toutes les gouttes d'eau qui tomberont, et de cette manière la garantira, sans qu'elle perde rien de sa solidité.

17. A l'égard de la tuile, il est impossible de juger au premier coup d'oeil si elle est bonne ou mauvaise pour la construction ; on ne peut en apprécier la bonté que lorsqu'elle a été exposée sur un toit au mauvais temps et à la chaleur. Car, soit qu'elle n'ait point été faite avec de bonne terre, soit qu'elle n'ait point été assez cuite, on en reconnaîtra bientôt la mauvaise qualité, quand elle aura été éprouvée par la gelée et par le givre. Celles donc qui n'auront pu subir cette épreuve ne seront pas propres à soutenir le poids d'une construction. Aussi n’y aura-t-il guère que les murs construits avec les vieilles tuiles d'un toit qui pourront avoir une longue durée.

18. Quant aux murs de cloison, je voudrais qu'on n'y eût même jamais pensé : car autant ils sont commodes sous le rapport du peu de temps et de place qu'exige leur construction, autant ils sont dangereux et préjudiciables, en ce qu'ils semblent être des fagots tout prêts pour l'incendie. Aussi vaut-il mieux, à mon avis, les construire avec des tuiles, quoique cela soit plus dispendieux, qu'avec du bois, qui offre, il est vrai, plus d'économie, mais aussi plus de danger. Il y a plus, c'est que, si vous les recouvrez d'un enduit, il s'y fera des crevasses le long des montants et des traverses : car sous le crépi dont on les couvre, ces bois prennent l'humidité qui les gonfle ; puis, quand ils viennent à sécher, ils se rétrécissent, et par cet amincissement font fendre l'enduit, quelque solide qu'il soit. Mais, si quelques personnes sont forcées d'avoir recours à ces murs par le désir d'avoir plus tôt fait, ou par le manque de ressources, on par la nécessité de soutenir un plafond qui menace de se fendre, voici ce qu'elles devront faire. Que les fondements soient continués jusqu'à une certaine hauteur au-dessus du sol, afin qu'ils ne soient en contact ni avec le mortier ni avec le pavé du plancher. Car s'ils s'y trouvent engagés, ils pourrissent à la longue ; ils finissent par s'affaisser ; ils perdent leur aplomb, et les crevasses font disparaître la beauté de l'enduit. Ce que j'avais à dire sur les murailles et sur la bonne ou mauvaise qualité des matériaux généralement employés à leur construction, je l'ai dit aussi bien que j'ai pu. Il me reste maintenant, comme l'indique la nature du sujet, à parler des planchers, des matériaux propres à leur confection, et des moyens de se les procurer tels, qu'ils puissent être de longue durée.

9. Des bois de construction.

1. Le bois de construction doit être coupé depuis le commencement de l'automne jusqu'au temps qui précède les premiers souffles du favonius. Au printemps, tous les arbres reçoivent leurs principes fécondants, et emploient la vertu de leur substance à produire toutes ces feuilles, tous ces fruits que nous voyons chaque année. Si les circonstances mettent dans la nécessité de les couper dans cet état de dilatation et d'humidité, leurs tissus devenant lâches et spongieux, perdent toute leur force : ils sont comme le corps de la femme pendant une grossesse ; depuis le moment de la conception jusqu'à celui de l'accouchement, il n'est point réputé eu bonne santé. Qu'on mette en vente une esclave enceinte, sa santé ne sera point garantie : en effet, le foetus, en se développant, attire à pour se nourrir, les sucs nourriciers de la mère, et plus le fruit se fortifie en avançant vers la maturité, moins il laisse de force au corps qui le produit. Mais après les couches, les parties nutritives qui auparavant servaient à l'accroissement d'un corps étranger, n'étant plus employées à alimenter cette production, le corps de la femme les reçoit dans ses veines vides et ouverte, reprend de la solidité, grâce aux sucs qu'il aspire, et redevient aussi bien portant qu'auparavant.

2 Ainsi, lorsque l'automne a mûri les fruits et flétri le feuillage, les arbres retiennent eu eux tous les sucs que leurs racines puisent dans la terre, et recouvrent leur première compacité. C'est alors que le froid de l'hiver en resserre, en raffermit la substance. Voilà pourquoi le temps indiqué ci-dessus est le plus convenable à la coupe des bois de construction.

3. Cependant avant d'abattre les arbres, il faut les cerner dans leur épaisseur jusqu'à la moitié du coeur, et les laisser sécher sur pied, en ouvrant aux sucs cette voie d'écoulement. Ainsi l'humidité inutile qu'ils renferment venant à sortir à travers l'aubier, empêchera qu'ils ne pourrissent, et que leur qualité ne se détériore. Quand l'arbre sera bien sec, et qu'il n'en sortira plus d'humidité, il faudra l'abattre ; il sera très bon à mettre en oeuvre.

4. Les excellents résultats de ce procédé peuvent être remarqués jusque dans les arbustes. Si à une certaine époque on en arrête la sève, en les perçant par le bas, on les verra répandre par les trous qu'on y aura pratiqués la liqueur surabondante et vicieuse que contenait le coeur du bois, et se ranimer pour longtemps en perdant leur humidité. Or, l'humeur aqueuse qui ne trouve pas d'issue, s'épaississant dans l'intérieur des arbres, s'y putréfie et les jette dans un état de faiblesse et de langueur. Si donc on les laisse sécher sur pied, nul doute qu'étant abattus pour le service, avant qu'ils ne soient morts, et après qu'ils auront subi cette opération, ils ne renferment les conditions de durée nécessaires pour l'usage auquel ils sont destinés dans les édifices.

5. Il s'en faut beaucoup qu'on rencontre les mêmes propriétés dans le chêne, l'orme, le peuplier, le cyprès, le sapin, et dans les autres arbres qui sont principalement employés dans les édifices : car on ne peut pas faire avec le chêne ce qu'on fait avec le sapin, ni avec le cyprès ce qu'on fait avec l'orme. Les arbres n'ont point reçu de la nature les mêmes qualités ; chaque espèce, composée de principes qui lui sont propres, présente à la main d'oeuvre des effets particuliers.

6. Le sapin, qui contient beaucoup d'air et de feu, et fort peu d'eau et de terre, étant composé de principes naturellement très légers, n'est point pesant. Sa nature est d'être ferme et tendu ; il a de la peine à plier sous le faix et reste droit dans les contignations ; mais sa trop grande chaleur engendre et nourrit les tarmites qui causent son dépérissement ; et ce qui fait encore qu'il s'allume si promptement, c'est que l'air qui le remplit, laissant facilement pénétrer le feu dans les pores de son tissu, en chasse la flamme avec beaucoup de force.

7. Lorsque le sapin est encore sur pied, la partie voisine du sol, recevant immédiatement des racines l'humidité terrestre, est unie et sans noeuds ; la partie supérieure, au contraire, fortement échauffée, offre des noeuds d'où l'on voit s'élancer des branches dans les airs : coupée à la hauteur de vingt pieds, et parfaitement dolée, elle est appelée fusterna, à cause de la dureté de ses noeuds. Quant à la partie inférieure, si, après avoir été coupée, elle présente quatre séparations formées par autant de veines, on la dépouille de son aubier, et on la fait servir aux ouvrages intérieurs de menuiserie ; elle prend le nom de sapinea.

8. Le chêne est abondamment pourvu de principes terrestres ; il ne contient que peu d'eau, d'air et de leu. Employé dans la terre il dure éternellement ; la raison en est que, étant en contact avec l'humidité sans être poreux, il ne peut grâce à sa compacité, recevoir rien de liquide dans son tissu ; mais qu'il vienne à être mis en oeuvre dans un lieu sec, il se déjettera, se tourmentera, se fendra.

9. L'esculus, que tous les principes contribuent également à former, est d'une grande utilité pour les édifices ; toutefois, s'il est exposé à l'humidité, ses pores la font pénétrer jusque dans sa dernière couche ligneuse, l'air et le feu l'abandonnent, et l'action de l'humidité le décompose. Le cerrus, le liège, le hêtre, ne contenant qu'un léger mélange d'eau, de feu et de terre avec beaucoup d'air, donnant par leurs pores un libre passage à l'humidité qui les pénètre promptement, ont bientôt fait de se pourrir. Le peuplier blanc, le peuplier noir, le saule, le tilleul, l'agnus castus, avec leur grande abondance de feu et d’air, leur médiocre quantité d'eau, leur peu de terre, formant une substance très tendre, ont une légèreté qui se prête admirablement à la main d'oeuvre. Aussi, comme ils ne sont point durcis par un mélange de terre, leur porosité leur donne de la blancheur, et la sculpture y trouve une matière bien facile à travailler.

10. L'aune, qui croît sur le bord des rivières, et dont le bois paraît n'être d'aucune utilité, possède de rares qualités : car l'air et le feu entrant pour beaucoup dans son essence, la terre pour peu, l'eau pour moins encore, il en résulte que sa substance ne renferme que fort peu d'humidité. Que dans un marais on vienne à asseoir les fondements d'un édifice sur des pilotis faits de ces arbres enfoncés très près les uns des autres, ces arbres se remplissant de l'humidité qu'ils n'ont pas, soutiennent la charge des constructions les plus massives et les conservent sans s'altérer. Ainsi le bois qui n'oppose à l'air aucune résistance, employé dans l'eau, dure fort longtemps. C'est une remarque qu'il est facile de faire à Ravenne, dont tous les édifices, soit publics, soit particuliers, sont fondés sur des pilotis de cette nature.

11. L'orme et le frêne ont beaucoup d'humidité avec fort peu d'air et de feu ; mais comme, dans leur composition il n'entre que médiocrement de terre, ils offrent de la flexibilité dans les ouvrages auxquels ils servent, et' l'humidité abondante qu'ils contiennent, loin de leur permettre de résister à la charge, les fait promptement fléchir ; toutefois, lorsque le temps les a desséchés, ou que, ayant été cernés par le pied, ils ont perdu cette humidité qu'ils renfermaient lorsqu'ils étaient encore debout, non seulement ils deviennent plus durs, mais encore la fermeté de leur bois leur donne une grande solidité dans les assemblages par tenons et par mortaises.

12. Le charme, à cause du peu de feu et de terre qu'il renferme, et de la grande quantité d'air et d'eau qui entre dans sa composition, n'est point cassant et se met très utilement en oeuvre. Les Grecs ont donné à ce bois le nom de zugÛa, parce qu'il leur sert à faire pour leurs bêtes de somme des jougs qu'ils appellent dans leur langue zug‹. C'est encore une chose remarquable, que de voir le cyprès et le pin, qui contiennent une humidité abondante et les autres principes dans urne proportion égale, se courber ordinairement quand ils sont mis en oeuvre à cause de leur excessive humidité, et se conserver néanmoins fort longtemps sans altération, parce que cette humidité répandue dans tous leurs tissus, a un goût d'amertume dont la force éloigne la vermoulure et les insectes qui peuvent leur nuire, De là vient que les ouvrages que l'on fait avec leur bois ont une durée sans limites.

13. Le cèdre et le genièvre présentent les mêmes qualités et les mêmes avantages ; et de même que le cyprès et le pin produisent de la résine, de même on voit sortir du cèdre une huile qu'on appelle cedrium ; les objets qui en sont frottés, les livres, par exemple, sont entièrement à l'abri des teignes et de la piqûre des vers. Les feuilles de cet arbre ressemblent à celles du cyprès, et les fibres de son bois sont droites. Dans le temple d'Éphèse, la statue de Diane et les lambris ont été faits avec du cèdre, et sa durée l'a fait admettre dans tous les autres temples fameux. Cet arbre croît principalement eu Crète, en Afrique et dans quelques contrées de la Syrie.

14. Le larix, qui n'est connu que de ceux qui habitent les bords du Pô et les rivages de la mer Adriatique, n'a rien à craindre de la vermoulure et des teignes, grâce à la violente amertume de ses sucs. Il y a plus, il ne jette point de flamme et ne peut brûler par lui-même ; semblable, à la pierre qu'on met à cuire dans des fours pour en faire de la chaux, il a besoin du feu d'un autre bois pour brûler ; encore ne produit-il ni flamme ni charbon, mais il finit à la longue par se consumer : cela vient de ce que le feu et l'air n'entrent presque pour rien dans sa composition, tandis que l'humidité et la terre donnent à sa substance serrée une telle solidité, une telle compacité, que le feu ne peut y pénétrer ; qu'elle résiste à sa violence et ne se laisse endommager que très difficilement : son poids l'empêche de flotter sur l'eau, et pour le transporter on a recours à des bateaux ou à des radeaux de sapin.

15. La propriété de ce bois a été découverte d'une manière qu'il est bon de connaître. J. César se trouvait à la tête de son armée auprès des Alpes, et avait donné l'ordre aux municipes de fournir des vivres. Là s'élevait un château fort appelé Larignum ; ceux qui le défendaient, pleins de confiance dans une position si bien fortifiée par la nature, refusèrent d'obéir. Le générai fait aussitôt avancer ses troupes. Or, devant la porte du château était une tour faite de ce bois. C'étaient de gros arbres mis en travers les uns sur les autres, eu forme de bûcher, et élevés à une hauteur déterminée, de manière que ceux qui étaient dessus pouvaient avec de longs hâtons et des pierres en empêcher l’approche. Mais quand on se fut aperçu que l'ennemi n'avait pour toute arme que de longs bâtons dont la pesanteur ne permettait pas qu'ils fussent lancés bien loin du mur, ordre fut donné de jeter au pied de la tour des fagots formés de petites branches, et des torches enflammées ; ce qui fut à l'instant exécuter par les soldats.

16. La flamme qui enveloppa immédiatement la tour, s'élevant jusqu'au ciel, fit croire qu'on allait bientôt la voir crouler tout entière. Mais quand, faute d'aliment, la flamme se fut calmée et éteinte, et que la tour eut apparu sans avoir été endommagée, César étonné fit faire une tranchée autour de la place, hors de la portée des traits des assiégés qui, forcés par la peur, se rendirent aux Romains. On leur demanda d'où venait ce bois sur lequel le feu n'avait aucune action. Ils montrèrent ces arbres dont la contrée est couverte, et qui avaient fait appeler ce château Larignum, du nom de larix qu'ils portent eux-mêmes. On transporte par le Pô ce bois à Ravenne, dans ta colonie de Fano, à Pisaure, à Ancône et dans les autres municipes de cette contrée. Si l'on pouvait le faire venir jusqu'à Rome, il serait d'une bien grande utilité pour les bâtiments ; dût-on ne l'employer qu'en planches pour les auvents des maisons qui bornent les îles qu'elles semblent former, il empêcherait que, dans un incendie, le feu ne passât d'un groupe à l' autre, puisqu'il est à l'épreuve de la flamme et qu'il ne peut se convertir en charbon.

17. Ces arbres ont les feuilles semblables à celles du pin ; le bois a le fil long, se prête aux travaux de menuiserie aussi bien que le sapinea, et produit une résine liquide de la même couleur que le miel attique ; elle guérit les phtisiques.

18.Je viens de traiter des différentes espèces d'arbres, des propriétés qu'elles semblent avoir reçues de la nature, et des principes qui les composent ; il me reste à examiner pourquoi le, sapin qu'on appelle à Rome supernas, est d'une si mauvaise qualité, quand celui qu'on nomme infernas est, par sa durée, d'une si grande utilité pour les édifices. Et, à ce sujet, je vais expliquer comment les différentes propriétés des lieux semblent communiquer aux arbres leurs défauts ou leurs qualités, afin que ceux qui étudient la matière, la trouvent tout aplanie.

10. Du sapin "supernas" et de l' "infernas", avec la description de l'Apennin.

1. L'Apennin commence à la mer Tyrrhénienne, et s'étend jusqu'aux Alpes et jusqu'à l'extrémité de l'Étrurie. Les sommets de ce mont décrivant un demi-cercle, et touchant presque par le milieu de leur courbure le rivage de la mer Adriatique, s'étendent dans leur circuit jusqu'au détroit, La partie citérieure de leur courbure qui regarde l'Étrurie et la Campanie, est exposée à toute l'ardeur du soleil, qui, depuis son lever jusqu'à son coucher, y darde ses rayons brûlants. Sa partie ultérieure qui descend vers la mer Supérieure, et qui est tournée vers le septentrion, est partout couverte de bois sombres et touffus. Les arbres qui y poussent, nourris de principes humides, atteignent à une hauteur immense, et leurs veines remplies d'une humidité abondante, s'enflent et se gonflent ; mais quand, après avoir été coupés et équarris, ils ont perdu leur faculté végétative, si leurs veines sont restées dans cet état d'engorgement, et qu'en séchant elles ne se soient point resserrées, leur substance devient lâche et spongieuse, et incapable de durer longtemps dans les édifices où elle est employée.

2. Ceux, au contraire, qui naissent dans les lieux tournés vers la ligne que suit le soleil, dans sa marche, n'ayant point de vides dans leurs tissus, se raffermissent en séchant, parce que le soleil, qui pompe l'humidité de la terre, attire aussi celle des arbres. C'est pourquoi les arbres qui croissent dans les lieux découverts, présentant une substance serrée, compacte, ferme, sans humidité qui la rende spongieuse, lorsqu'ils sont débités pour être mis en oeuvre, sont d'un grand avantage par leur durée. Voilà pourquoi les sapins infernates, qui sont pris dans les lieux bien aérés, sont meilleurs que les supernates, qui viennent de lieux ombragés.

3. J'ai traité, avec tout le soin dont je suis capable, des matériaux qui sont nécessaires à la construction des édifices, des principes que la nature a fait entrer dans la composition de leurs substances, des bonnes et des mauvaises qualités attachées à chaque espèce, afin que les constructeurs ne les ignorent pas. Ceux qui pourront suivre exactement ces préceptes, seront plus à même de choisir avec discernement les matériaux qui conviendront à leurs ouvrages. Voilà donc tout ce qui tient aux préparatifs suffisamment expliqué ; les autres livres renfermeront les règles qu'il faut observer dans la construction des édifices. Je vais, comme la raison l'exige, commencer dans le livre suivant par les temples des dieux immortels, et en faire connaître les symétries et les proportions.

LIVRE III

INTRODUCTION.

1. APOLLON de Delphes déclara, par la bouche de sa pythonisse, que Socrate était le plus sage des mortels. On rapporte que ce philosophe disait, avec autant de raison que de justesse, qu'il eût fallu que les hommes eussent une large ouverture à la poitrine, afin que leurs pensées, loin d'y demeurer cachées, fussent, au contraire, exposées à l'oeil de l'observateur. Et plût aux dieux que, d'accord avec lui, la nature eût donné le moyen de les découvrir, de les apercevoir! S'il en eût été ainsi, non seulement les bonnes ou les mauvaises qualités de l'âme seraient touchées au doigt, mais encore la science et le talent, soumis à l'investigation de l'oeil, ne seraient point exposés à l'incertitude des jugements des hommes, et les leçons des savants auraient une autorité solide et durable. Mais puisque la nature a voulu qu'il en fût autrement, et qu'il ne nous a point été donné de pouvoir pénétrer dans la poitrine des hommes pour juger du degré d'habileté et de savoir qui s'y trouve profondément enfermé et caché, les hommes les plus habiles, malgré l'assurance qu'ils donnent de leurs talents, s'ils ne sont pas bien partagés du côté de la fortune, si l'ancienneté de leurs ateliers ne les a point fait connaître, si même ils ne sont point doués d'un certain aurait qui gagne la faveur, d'une certaine facilité d'élocution qui charme, ces hommes ne peuvent, malgré toute l'étendue de leur savoir, acquérir assez de crédit pour faire croire qu'ils connaissent à fond la profession qu'ils exercent.

2. Les sculpteurs et les peintres de l'antiquité en sont la preuve la plus irrécusable. Parmi eux on ne voit que ceux qui ont obtenu des marques d'honneur, et joui des faveurs de la considération, dont le nom soit passé à la postérité, Myron, par exemple, Polyclète, Phidias, Lysippe et les autres qui ont dû leur célébrité à leur talent. Les grandes villes, les rois, les citoyens illustres, pour lesquels ils ont fait des ouvrages, les ont conduits à l'immortalité. Mais il en est d'autres, qui, avec autant de goût, d'art et de génie, ont exécuté des travaux non moins admirables de perfection, pour des citoyens d'une condition humble et obscure, sans laisser après eux aucun renom; et certes ce ne furent ni l'habileté ni le talent, ce fut le bonheur qui fit défaut à Hellas d'Athènes, à Chion de Corinthe, à Myagre le Phocéen, à Pharax d'Éphèse, à Bedas de Byzance, et à plusieurs autres. On en peut dire autant des peintres. Aristomène le Thasien, Polyclès l'Adramitain, Nicomaque et d'autres encore, manquèrent-ils de talent, de savoir, d'habileté? Mais l'exiguïté de leur fortune ou leur mauvaise étoile, ou bien encore quelque contestation dans laquelle leurs rivaux ont eu la supériorité, a été un obstacle à leur élévation.

3. Il ne faut pourtant pas s'étonner que le mérite reste obscur, quand il est ignoré; mais n'y a-t-il pas lieu de s'indigner en voyant qu'on se laisse corrompre par des invitations à quelques repas, et que par là l'approbation due au talent devienne le prix de l'incapacité. Si donc, comme l'aurait voulu Socrate, les pensées des hommes et leurs sentiments, si leur science appuyée sur l'instruction avaient été visibles, apparentes, on ne verrait point prévaloir la faveur et l'intrigue, et ceux qui, par des études solides et réelles, auraient atteint le plus haut degré de leur art, seraient tout naturellement préposés à la direction de tous les ouvrages ; mais comme l'oeil ne peut ni les apercevoir, ni les considérer, ce qui eût été une excellente chose, à notre avis, comme je remarque que c'est plutôt l'ignorance que le talent qui jouit de la faveur, et qu'il n'entre pas dans ma manière de voir de chercher à l'emporter par la brigue sur des gens sans instruction, j'aime mieux publier ces préceptes qui feront connaître la portée de notre savoir.

4. Par suite de cette résolution, j'ai traité, dans mon premier livre, de l'architecture en général, des qualités qu'elle exige, des connaissances que doit posséder l'architecte; j'ai mis sous vos yeux, ô César, les motifs qui les lui rendent nécessaires ; j'ai, dans un sommaire de l'ouvrage, donné les différentes parties dont se compose l'architecture, avec leurs définitions. Ensuite, ce qui est d'une importance capitale, j'ai, par rapport à l'emplacement des murailles d'une ville, raisonné sur le choix d'un lieu sain ; j'ai fait voir encore, par des figures au trait, quels sont les vents, et de quel point souffle chacun d'eux ; enfin, j'ai enseigné la manière de disposer les places et les rues dans l'enceinte des murs, pour qu'elles soient à l'abri de leur influence : c'est par ce chapitre que j'ai terminé le premier livre. Dans le second, j'ai parlé des matériaux, des avantages qu'ils présentent pour les constructions, et des qualités que leur a données la nature. Je vais maintenant, dans le troisième livre, m'occuper des temples des dieux immortels, et indiquer de quelle manière ils doivent être ordonnés.

I. D'après quel modèle on a établi les proportions des temples.

1. L'ordonnance d'un édifice consiste dans la proportion, chose à laquelle l'architecte doit apporter le plus grand soin. Or, la proportion naît du rapport de grandeur que les Grecs appellent g-analogia. Ce rapport est la convenance de mesure qui existe entre une certaine partie des membres d'un ouvrage et le tout; c'est d'après cette partie qu'on règle les proportions. Car il n'est point d'édifice qui, sans proportion ni rapport, puisse être bien ordonné; il doit avoir la plus grande analogie avec un corps humain bien formé.

2. Or, voici les proportions que lui a données la nature : le visage, depuis le menton jusqu'au haut du front, à la racine des cheveux, est la dixième partie de la hauteur de l'homme ; la paume de la main, depuis l'articulation du poignet jusqu'au bout du doigt du milieu, a la même longueur ; la tête, depuis le menton jusqu'au sommet, forme la huitième partie; même mesure par derrière; depuis le haut de la poitrine jusqu'à la racine des cheveux, il y a une sixième partie, et jusqu'au sommet de la tête une quatrième. La longueur du visage se divise en trois parties la première s'étend depuis le bas du menton jusqu'au-dessous du nez ; la seconde, depuis le dessous du nez jusqu'au haut des sourcils, et la troisième, depuis cette ligne jusqu'à la racine des cheveux, qui termine le front. Le pied a la sixième partie de la hauteur du corps ; le coude, la quatrième, de même que la poitrine. Les autres membres ont aussi leurs mesures et leurs proportions; c'est en les observant que les plus célèbres peintres et sculpteurs de l'antiquité ont acquis une réputation si grande et si durable.

3. Il en est de même des parties d'un édifice sacré : toutes doivent avoir dans leur étendue particulière des proportions qui soient en harmonie avec la grandeur générale du temple. Le centre du corps est naturellement au nombril. Qu'un homme, en effet, soit couché sur le dos, les mains et les pieds étendus, si l'une des branches d'un compas est appuyée sur le nombril, l'autre, en décrivant une ligne circulaire, touchera les doigts des pieds et des mains. Et de même qu'un cercle peut être figuré avec le corps ainsi étendu, de même on peut y trouver un carré : car si on prend la mesure qui se trouve entre l'extrémité des pieds et le sommet de la tête, et qu'on la rapporte à celle des bras ouverts, on verra que la largeur répond à la hauteur, comme dans un carré fait à l'équerre.

4. Si donc la nature a composé le corps de l'homme de manière que les membres répondent dans leurs proportions à sa configuration entière, ce n'est pas sans raison que les anciens ont voulu que leurs ouvrages, pour être accomplis, eussent cette régularité dans le rapport des parties avec le tout. Aussi, en établissant des règles pour tous leurs ouvrages, se sont-ils principalement attachés à perfectionner celles des temples des dieux, dont les beautés et les défauts restent ordinairement pour toujours.

5. Et même les divisions des mesures dont on est obligé de se servir dans tous les ouvrages, ils les ont empruntées aux membres du corps, tels que le doigt, le palme, le pied, la coudée, et ils les ont réduites à un nombre par-fait que les Grecs appellent g-teleion : or, ce nombre parfait établi par les anciens est dix. Les mains, en effet, ont donné les dix doigts, les doigts le palme, le palme le pied. La nature e voulu que les doigts des deux mains fussent au nombre de dix, et Platon a pensé que ce nombre était parfait, parce que de ces unités que les Grecs appellent g-monades, est formée la dizaine : de sorte que si on les porte à onze ou à douze, comme elles seront allées au delà, le nombre parfait ne se retrouvera plus que lorsqu'on sera arrivé à l'autre dizaine, parce que les unités sont les parties de ce nombre.

6. Les mathématiciens, ne partageant point cette opinion, ont dit que le nombre parfait était six, parce que ses parties aliquotes conviennent dans leurs proportions au nombre six : ainsi le sextans en contient une ; le triens, deux ; le semissis, trois; le bes, qu'ils appellent g-dimoiron, quatre ; le quintarius, qu'ils appellent g-pentemoiron, cinq ; le nombre parfait, six. Si, passant au delà de six, on y ajoute une sixième partie, on a le nombre sept, appelé g-ephecton ; si l'on va jusqu'à huit, après avoir ajouté la troisième partie de six, on a le tertiarium, appelé g-epitritos ; quand, après avoir ajouté la moitié de six, on a obtenu neuf, on a le sesquialterum, qu'on appelle g-hehmiolios ; après avoir ajouté les deux tiers et fait la dizaine, on a le bes alterum, qu'ils appellent g-epidimoiron ; si l'on forme onze, en ajoutant cinq, on a le quintum alterum, qu'ils appellent g-epipempton ; on fait enfin avec les deux nombres six simples la douzaine, qu'ils appellent g-diaplasiohna.

7. C'est encore d'après la longueur du pied de l'homme, qui est la sixième partie de toute sa hauteur, c'est d'après ce nombre de six fois la longueur du pied que contient la hauteur du corps, qu'ils ont jugé de la perfection de ce nombre. Ils ont aussi remarqué que la coudée se compose de six palmes et de vingt-quatre doigts. C'est d'après ce nombre que les villes de la Grèce semblent avoir voulu que la drachme fût partagée en six parties, comme la coudée avait été divisée en six palmes. Elles ont effectivement composé la drachme de six pièces d'airain qui, marquées comme les as, furent appelées oboles, et les quarts de ces oboles, que les uns appellent dichalques, et quelques autres trichalques, y ont été mis pour représenter les vingt-quatre doigts.

8. Nos ancêtres conservèrent d'abord le nombre ancien dix, et firent entrer dans le denier dix as d'airain : voilà pourquoi la monnaie qui en est composée a gardé jusqu'à ce jour le nom de denier, et sa quatrième partie, qui valait deux as et demi, reçut d'eux le nom de sesterce. Ensuite, ayant considéré que les deux nombres six et dix étaient parfaits, ils les réduisirent en un seul, et en firent un plus parfait, le nombre seize. La cause de cette innovation fut le pied : si, en effet, de la coudée vous ôtez deux palmes, le pied se trouve avoir la longueur des quatre palmes qui restent. Or, le palme a quatre doigts : il en résulte que le pied doit en avoir seize, autant que le denier a d'as d'airain.

9. Puis donc qu'il est constant que le nombre des doigts de l'homme a fait trouver les autres nombres, et qu'il existe un rapport de mesure entre les différentes parties du corps et l'ensemble, il ne nous reste plus qu'à témoigner notre estime à ceux qui, en traçant le plan des temples des dieux immortels, ont disposé tous les membres de l'ouvrage avec tant d'ordre que les règles de la proportion et de la symétrie se trouvent parfaitement observées aussi bien dans les parties séparées que dans le tout.

II. Plan et proportions des temples.

1. Chaque sorte de temple se distingue par la forme différente qu'il présente à notre vue. La première est le temple à antes, que les Grecs appellent g-naos g-en g-paratasi ; les autres sont le prostyle, l'amphiprostyle, le périptère, le pseudodiptère, le diptère, l'hypètre. Voici l'explication de leurs différentes formes.

2. Le temple à antes est celui dont la façade présente des antes aux angles des murs qui enferment la cella. Entre ces deux antes se trouvent deux colonnes qui soutiennent un fronton disposé dans les proportions que nous prescrirons dans ce livre. De cette manière sont construits les trois temples de la Fortune, et principalement celui qui est auprès de la porte Colline.

3. Le prostyle offre tous les caractères du temple à antes ; mais vis-à-vis des antes angulaires il a deux colonnes qui, comme dans le temple précédent, soutiennent des architraves, qui vont en retour à droite et à gauche. On en voit un modèle dans l'île du Tibre, au temple de Jupiter et à celui de Faune.

4. L'amphiprostyle a toutes les parties du prostyle, et, de plus, la façade de derrière présente des colonnes et un fronton comme celle de devant.

5. Le périptère a six colonnes à chaque façade, antérieure et postérieure, et onze de chaque côté, y compris celles des angles. Ces colonnes doivent être placées de manière que l'espace qui se trouve entre les murs et les colonnes qui les entourent, soit égal à l'entre-colonnement, dans toute la longueur de la colonnade, et assez large pour qu'on puisse se promener autour de la cella; c'est ce qui a été observé au portique que Metellus a fait bâtir par Hermodus autour du temple de Jupiter Stator, et à celui que Mutius a ajouté au temple de l'Honneur et de la Vertu, bâtis par Marius, sans posticum.

6. Le pseudodiptère est disposé de manière à avoir huit colonnes à la façade de devant, et autant à celle de derrière, et quinze de chaque côté, en comptant celles des angles. Les murs de la cella doivent correspondre aux quatre colonnes qui s'élèvent au milieu des deux façades, antérieure et postérieure, de sorte qu'il reste l'espace de deux entre-colonnements et l'épaisseur du bas d'une colonne entre les murailles et le rang des colonnes qui les entourent. Rome ne possède point de monument de cette espèce; mais à Magnésie il s'en trouve un bâti à Diane par Hermogène Alabandin, et un autre à Apollon par Ménesthée.

7. Le diptère a huit colonnes de front, tant à la partie antérieure qu'à la partie postérieure. Il est entouré d'une double rangée de colonnes, comme est celui de Quirinus, d'ordre dorique, et celui de Diane d'Éphèse, d'ordre ionique, bâti par Chersiphron.

8. L'hypètre a dix colonnes devant et autant derrière. Tout le reste est comme pour le diptère ; mais, à l'intérieur, il règne tout autour une rangée de colonnes de moitié moins grosses que les autres, et assez écartées des murs pour qu'on puisse circuler comme sous les portiques des péristyles. Le milieu est ouvert, sans couverture. Cette espèce de temple dont les deux extrémités sont garnies de portes, ne se trouve point à Rome ; mais Athènes en possède un, celui de Jupiter Olympien, qui n'a que huit colonnes à la façade.

III. Des cinq espèces de temples.

1. Il y a cinq espèces de temples, dont voici les noms : le pycnostyle, c'est-à-dire à colonnes serrées ; le systyle, à colonnes un peu moins rapprochées ; le diastyle, à colonnes qui offrent entre elles plus d'espace ; l'aréostyle, à colonnes trop éloignées les unes des autres ; l'eustyle, à colonnes bien espacées.

2. Le temple pycnostyle est celui dont l'entre-colonnement comprend un diamètre et demi de la colonne à sa base : tel est le temple du divin Jules, celui de Vénus, construit dans le forum de César, et plusieurs autres. Le systyle est celui dont l'entre-colonnement est de deux fois le diamètre d'une colonne ; les plinthes des bases des colonnes doivent avoir une largeur égale à l'espace qui se trouve entre deux plinthes : tel est le temple de la Fortune Équestre, auprès du Théâtre de pierres, et tous ceux qui ont été construits d'après les mêmes règles.

3. Ces deux espèces sont défectueuses en ce que les femmes qui montent au temple pour faire leur prière, ne peuvent passer en se donnant le bras, par les entrecolonnements; il faut qu'elles se mettent à la file les unes des autres. La vue des portes est encore cachée par le rapprochement des colonnes, qui empêchent aussi de voir les statues des dieux. Outre cela, il y a si peu d'espace autour du temple, qu'il est impossible de s'y promener.

4. Le diastyle est celui dont l'entre-colonnement est de trois fois le diamètre d'une colonne : telle est l'ordonnance du temple d'Apollon et de Diane. L'inconvénient de cette disposition est que les architraves peuvent se rompre à cause de la grandeur des intervalles.

5. Dans l'aréostyle, il est impossible de se servir d'architraves de pierres ni de marbre ; on ne peut employer que des poutres d'une seule pièce, ce qui donne à ces sortes de temples une forme lourde, pesante, basse, écrasée. On orne leurs frontons de bas-reliefs en terre à potier, ou en cuivre doré, à la manière des Toscans. Tel est, auprès du Grand Cirque, le temple de Cérès, celui d'Hercule, bâti par Pompée, le Capitole.

6. Il faut maintenant rendre compte de l'eustyle. Cette sorte de temple mérite le plus notre approbation ; elle renferme toutes les conditions possibles de commodité, de beauté, de solidité Ses entre-colonnements doivent avoir deux fois et quart le diamètre d'une colonne. Toutefois un seul entre-colonnement, celui du milieu de la façade antérieure et de la façade postérieure, doit avoir la largeur de trois fois le diamètre d'une colonne. Cette disposition embellit l'aspect du temple, en dégage l'entrée, et facilite la promenade autour de la cella.

7. Voici les proportions qu'on doit suivre : la façade qu'on voudra faire à l'édifice, s'il est question d'un tétrastyle, sera divisée en onze parties et demie, sans compter la saillie que forment les bases des colonnes ; en dix-huit, si l'on veut avoir un hexastyle ; si ce doit être un octostyle, en vingt- quatre parties et demie. Qu'on veuille donc élever un tétrastyle, un hexastyle ou un octostyle, on prendra une de ces parties pour en faire le module, qui ne sera autre chose que la grosseur d'une colonne. Chaque entre-colonnement, excepté celui du milieu, aura deux modules un quart ; ceux du milieu, devant et derrière, auront chacun trois modules. La hauteur des colonnes sera de huit modules et demi. Cette division établira un juste rapport entre les entre-colonnements et la hauteur des colonnes.

8. Nous n'avons point à Rome de modèle de ce temple; mais en Asie, à Téos, on voit un hexastyle consacré à Bacchus. Ces proportions sont dues à Hermogène, qui a inventé l'hexastyle et l'ordonnance du pseudodiptère, en faisant disparaître du plan du diptère la rangée intérieure des colonnes au nombre de trente-quatre, ce qui a diminué le travail et la dépense. L'espace destiné à la promenade s'est trouvé par là admirablement agrandi autour de la cella ; et, sans rien faire perdre au temple de sa dignité, sans rien sacrifier de nécessaire, l'architecte a su conserver à son ouvrage toutes les qualités d'un modèle.

9. Les ailes et les colonnes ainsi disposées autour de l'édifice n'ont été inventées que pour donner plus de majesté a sa forme extérieure, en rompant par les entre-colonnements l'uniformité des lignes que présente une simple muraille. Un autre avantage, c'est que si la pluie vient à tomber avec violence et à empêcher la foule de sortir, la multitude trouve dans le temple et autour de la cella un abri large et spacieux. Cette disposition du pseudodiptère fait connaître avec quelle intelligence, avec quelle habileté Hermogène exécutait ses ouvrages, qui sont devenus la source où la postérité a pu puiser les règles de l'art.

10. Dans l'aréostyle, les colonnes doivent avoir en grosseur la huitième partie de leur hauteur. A l'égard du diastyle, il faut diviser la hauteur de la colonne en huit parties et demie, et en donner une à la grosseur de cette colonne. Pour le systyle, la hauteur de la colonne doit être divisée en neuf parties et demie, dont une est don-née à la grosseur. Quant au pycnostyle, il faut diviser la hauteur en dix parties, et en donner une à la grosseur de la colonne. Les colonnes de l'eustyle doivent être divisées, comme celles du systyle, en neuf parties et demie, pour faire d'une de ces parties la grosseur du bas du fût de la colonne. Ces règles bien observées donneront aux entre- colonnements les proportions qu'ils doivent avoir.

11. Plus on donne de largeur aux entre-colonnements, plus, proportion gardée, on doit donner de grosseur à la tige des colonnes : car si, dans l'aréostyle, la grosseur des colonnes était de la neuvième ou de la dixième partie de leur hauteur, elles paraîtraient grêles et menues, parce que l'air qui remplit le large espace des entrecolonnements, diminue et dérobe à la vue la grosseur du fût des colonnes. Si, au contraire, la grosseur des colonnes du pycnostyle n'avait que la huitième partie de sa hauteur, les entre-colonnements étroits et resserrés les feraient paraître enflées et disgracieuses. Aussi faut-il donner à chaque genre d'ouvrage les proportions qui lui conviennent ; il est même nécessaire de grossir les colonnes qui se trouvent aux angles, d'une cinquantième partie de leur diamètre, parce qu'étant entourées d'une plus grande masse d'air, elles paraissent plus petites à l'oeil. L'art doit donc remédier à cette erreur de la vue.

12. Les colonnes doivent être plus menues par le haut de leur tige que par le bas. Si elles sont longues de quinze pieds, on divisera le diamètre d'en bas en six parties, dont cinq seront données au bout opposé ; si elles sont de quinze à vingt pieds, le bas du fût sera divisé en six parties et demie, dont cinq et demie constitueront le diamètre du haut des colonnes ; pour celles qui ont de vingt à trente pieds, le bas de la tige sera divisé en sept parties, pour que six fassent le diamètre du haut. A l'égard de celles dont la hauteur sera de trente à quarante pieds, le diamètre d'en bas sera divisé en sept parties et demie, pour que six parties et demie soient données à celui d'en haut. Celles qui seront hautes de quarante à cinquante pieds seront divisées en huit parties, dont sept formeront la grosseur du fût de la colonne, sous le chapiteau. S'il en est de plus hautes encore, le rétrécissement devra se faire dans la même proportion.

13. Telle est la gradation qu'il faut suivre pour la grosseur des colonnes, à cause de l'illusion dans laquelle tombe l'oeil, en parcourant ces différents degrés d'élévation : car l'oeil recherche le beau ; et si l'on ne parvient pas à le flatter par la justesse des proportions et l'augmentation des modules, si par là on ne remédie pas à l'erreur dans laquelle jette l'éloignement des objets, un ouvrage paraîtra toujours disproportionné et sera désagréable à la vue. Quant au renflement du milieu des colonnes, appelé par les Grecs g-entasis, j'en donnerai une figure à la fin de ce livre, en indiquant en même temps la manière d'en tracer un profil doux et gracieux.

IV. Des fondements à faire, soit dans des terrains solides, soit dans des terres rapportées.

1. Les fondements des colonnes doivent être creusés jusqu'à la partie solide du terrain, s'il est possible d'y arriver, et, dans ce terrain solide, jusqu'à une profondeur proportionnée à l'importance de l'édifice. Il faut qu'ils soient maçonnés avec la plus grande solidité sur le plan de la tranchée. Élevés hors de terre, ils devront avoir une largeur de moitié plus grande que celles des colonnes qu'ils supportent, afin que la partie inférieure soit plus forte que celle qui sera posée dessus on l'appelle stéréobate, à cause de la charge qu'elle reçoit. La saillie des bases ne doit point excéder la largeur de ces murs. Que si la partie qui est hors de terre devait être une muraille, il faudrait en régler l'épaisseur d'après la même proportion ; mais pour que les intervalles soient parfaitement solides, il faut y faire des arcs de voûte ou les affermir à l'aide des instruments avec lesquels on enfonce les pilotis.

2. Mais si le terrain ne se trouve pas solide, si dans cet endroit il n'y a que des terres rapportées ou marécageuses, alors il faut les creuser et les sonder, y ficher des pilotis en bois d'aune, d'olivier ou de chêne durcis au feu, les enfoncer avec des machines le plus près possible les uns des autres, en remplir les intervalles avec du charbon, et combler ensuite la tranchée par une maçonnerie très solide. Une fois les fondements achevés, il faut placer de niveau les stylobates.

3. Au-dessus des stylobates doivent s'élever les colonnes d'après les proportions indiquées plus haut, et, soit qu'on fasse le pycnostyle, ou le systyle, ou le diastyle, ou l'eustyle, on aura recours aux règles établies dans le chapitre précédent. Quant à l'aréostyle, liberté pleine et entière de le construire comme on voudra ; mais dans les périptères il faut que les colonnes soient disposées de telle sorte que les entre-colonnements de la façade soient deux fois aussi nombreux dans les côtés; ce qui donnera à l'édifice une longueur double de sa largeur. Et ceux qui ont doublé le nombre des colonnes se sont évidemment trompés, en ce qu'ils ont donné à la longueur un entre- colonnement de plus que ne l'exigent les proportions.

4. Les degrés de la façade doivent être en nombre impair, afin que si le pied droit se pose sur la première marche, ce soit encore lui qui se retrouve sur la dernière. L'épaisseur de ces degrés doit être telle, à mon avis, qu'elle n'ait pas plus de dix pouces, ni moins de neuf ; de cette manière la montée ne sera point difficile. Pour leur largeur, elle ne doit point être de moins d'un pied et demi, ni de plus de deux pieds ; et si le temple doit être entouré de degrés, il faut leur donner partout la même largeur.

5. Si l'on veut faire une balustrade de trois côtés du temple, il faut s'y prendre de manière que le socle, la base, le dé, la corniche, la cymaise correspondent avec le stylobate qui sera sous les bases des colonnes. Le stylobate doit être parfaitement de niveau, de manière toutefois que perpendiculairement à chaque colonne il présente une saillie en forme d'escabeau qui en rompe la continuité : car s'il offrait une ligne continue, il ressemblerait à un canal. Pour faciliter l'exécution de ces stylobates en forme d'escabeau, j'en tracerai à la fin de ce livre une figure accompagnée de sa démonstration.

V. Des colonnes ioniques et de leurs ornements.

1. Toutes ces parties une fois terminées, on s'occupera de mettre les bases à leur place, et de leur donner des proportions telles que leur épaisseur, y compris la plinthe, soit de la moitié du diamètre de la colonne, et que sa saillie, appelée par les Grecs g-ekphoran, soit d'un quart; ce qui donnera à chaque face de la base la largeur d'un diamètre et demi de la colonne.

2. Sa hauteur, s'il s'agit d'une base atticurge, doit être ainsi divisée : la partie supérieure aura le tiers du dia-mètre de la colonne ; le reste sera pour la plinthe. Ce tiers de diamètre qui se trouve au-dessus de la plinthe qu'on laisse à part, sera divisé en quatre parties dont la plus haute formera le tore supérieur; les trois autres seront divisées en deux, l'une pour le tore inférieur, l'autre pour la nacelle que les Grecs appellent g-trochilon, et ses deux listeaux.

3. Si l'on veut faire une base ionique, les proportions en devront être telles que sa largeur présente en tous sens le diamètre de la colonne, plus la quatrième et la huitième partie; que sa hauteur soit celle de la base atticurge, et que la plinthe soit pareille à celle de l'atticurge : ce qui se trouvera au- dessus de la plinthe, formant la troisième partie du diamètre de la colonne, sera divisé en sept. Le tore supérieur en comprendra trois ; les quatre autres parties seront divisées en deux parties égales : l'une pour la nacelle supérieure, son astragale et ses filets ; l'autre pour la nacelle inférieure, qui paraîtra plus grande à cause de sa prolongation jusqu'au bord de la plinthe. Les astragales seront de la huitième partie de la nacelle, et la saillie de la base aura la huitième et la seizième partie du diamètre de la colonne.

4. Après avoir placé et achevé les bases, il faudra que les colonnes du milieu de la façade et de la partie postérieure du temple soient posées à plomb sur leur centre; quant aux colonnes qui sont aux angles et à celles qui doivent les suivre aux deux côtés du temple, à droite et à gauche, elles auront parfaitement à plomb le côté intérieur qui regarde les murs de la cella ; le côté extérieur aura la diminution dont il a été parlé, et cette diminution donne à l'édifice un aspect fort agréable.

5. Une fois que le fût des colonnes aura été dressé, la disposition des chapiteaux, si on leur donne la forme d'un coussin, sera réglée d'après les proportions suivantes : le diamètre du bas de la colonne, plus une dix-huitième partie, formera le carré de l'abaque, dont la moitié sera la hauteur du chapiteau, y compris les volutes. Il faut s'éloigner de l'extrémité de l'abaque d'une dix-huitième partie et demie pour revenir vers la partie intérieure, afin de déterminer la place des faces des volutes ; puis le long de l'abaque, du haut du listel qui le couronne, on fait tomber d'aplomb, pour les quatre volutes, les lignes appelées cathètes. On divise ensuite l'épaisseur du chapiteau en neuf parties et demie ; de ces neuf parties et demie, on laisse une partie et demie pour l'épaisseur de l'abaque; les huit autres seront pour les volutes.

6. Alors, à côté des lignes qu'on aura abaissées à l'extrémité de l'abaque, on en fera descendre d'autres en dedans qui se trouveront éloignées des premières d'une partie et demie. Que ces lignes soient ensuite divisées de manière qu'il reste sous l'abaque quatre parties et demie. A ce point, qui laisse pour le haut quatre parties et demie, et pour le bas trois et demie, on marquera le centre de l'oeil, et de ce centre on décrira un cercle dont le diamètre représentera une des huit parties : telle sera la grandeur de l'oeil, dans lequel la ligne perpendiculaire sera coupée par une diamétrale. Alors, du point supérieur qui est sous l'abaque, on commencera à tracer la volute, et diminuant chaque quart de cercle d'un demi-diamètre de l'oeil, on continuera de quart en quart, jusqu'à ce qu'on soit revenu à celui d'en haut.

7. L'épaisseur du chapiteau doit être telle que des neuf parties et demie qui la composent, il y en ait trois qui pendent au-dessous de l'astragale qui couronne le fût de la colonne; le reste, après en avoir retranché le tailloir et le canal, sera consacré à l'ove. La saillie de l'ove dépassera le carré de l'abaque de la grandeur de l'oeil de la volute. La ceinture de la partie latérale du chapiteau qui a la forme d'un coussin, avancera hors de l'abaque de manière que, mettant une branche du compas à l'endroit où le chapiteau est divisé en quatre, et conduisant l'autre jusqu'à l'extrémité de l'ove, on puisse décrire ainsi la circonférence de la ceinture. L'axe des volutes ne doit pas être plus gros que la grandeur de l'oeil, et il faut tailler les volutes de façon qu'elles n'aient de profondeur que la douzième partie de leur largeur. Telles doivent être les proportions des chapiteaux pour les colonnes qui n'auront pas plus de quinze pieds; si elles doivent en avoir davantage, les chapiteaux seront proportionnés à leur hauteur. Le tailloir aura la longueur et la largeur du diamètre du bas de la colonne, plus une neuvième partie, afin que la colonne, qui doit être d'autant moins diminuée par en haut qu'elle est plus élevée, ait un chapiteau dont la saillie augmente à proportion, et un renflement qui soit en rapport avec la hauteur.

8. Quant à la manière de tracer les volutes, et de les bien tourner avec le compas, il suffira, pour réussir, d'examiner à la fin de ce livre la figure qui s'y trouvera avec l'explication. Après avoir achevé les chapiteaux, et les avoir posés sur le haut des fûts des colonnes, non en ligne droite avec le devant de leur tige, mais à des distances égales, de manière qu'ils répondent aux saillies des stylobates et aux parties supérieures de l'entablement, voici les proportions qu'on suivra pour les architraves : si les colonnes ont de douze à quinze pieds, l'architrave devra avoir la hauteur du demi-diamètre du bas de la colonne ; si elles sont de quinze à vingt pieds, la hauteur de la colonne se divisera en treize parties, dont une sera donnée à l'architrave ; si elles vont de vingt à vingt-cinq pieds, la hauteur sera divisée en douze parties et demie, dont une formera aussi l'architrave ; si elles sont de vingt-cinq à trente pieds, on les divisera en douze parties, afin d'en donner une à l'architrave. C'est d'après ces proportions que la hauteur des colonnes déterminera celle des architraves.

9. Car plus haut l'oeil étend son rayon visuel, plus il a de peine à pénétrer la masse d'air ; cet organe, affaibli par la distance du point élevé qu'il observe, n'a plus assez de force pour saisir avec précision la grandeur des mesures. Voilà pourquoi il faut suppléer avec méthode aux proportions des membres, lorsqu'ils sont trop élevés, ou d'une grandeur trop considérable pour qu'ils paraissent avoir leurs justes proportions. Le bas de l'architrave qui pose sur le chapiteau, doit avoir la même largeur que le haut de la colonne qui se trouve sous le chapiteau, et le haut de l'architrave doit être aussi large que le bas de la colonne.

10 La cymaise de l'architrave doit occuper la septième partie de la hauteur de l'architrave, et sa saillie doit être égale à sa hauteur. Il faut diviser les six autres parties en douze, dont trois seront données à la fasce d'en bas, quatre à la seconde, cinq à celle d'en haut. La frise qui est au-dessus de l'architrave doit être plus petite qu'elle d'une quatrième partie; mais dans le cas où on voudrait y représenter quelques petites figures en relief, elle devrait être plus grande que l'architrave d'une quatrième partie, pour donner plus de développement à ces sculptures. La cymaise de la frise aura la septième partie de sa hauteur, avec une saillie de même grandeur.

11. Sur la frise il faudra faire un denticule de la hauteur de la fasce du milieu de l'architrave avec une saillie de même étendue. La coupure des denticules, que les Grecs appellent aloi doit être divisée de manière que chaque denticule ait de largeur la moitié de sa hauteur, et la cavité de la coupure deux parties des trois qui font la largeur du denticule. Sa cymaise aura la sixième partie de sa hauteur. Le larmier avec sa cymaise, moins la doucine, doit être aussi haut que la fasce du milieu de l'architrave. La saillie du larmier avec le denticule doit être égale à l'espace compris entre la frise et le haut de la cymaise du larmier; et, en général, toutes les saillies ont plus de grâce quand elles sont égales à la hauteur du membre saillant.

12. La hauteur du tympan qui est au fronton doit être telle que toute la largeur du larmier, d'une des extrémités de la cymaise à l'autre, étant divisée en neuf parties, une de ces parties fasse la hauteur de la pointe du tympan qui devra être perpendiculairement à plomb de l'architrave et de la gorge des colonnes. Les corniches qui couronnent le tympan doivent être pareilles à celles de dessous, qui manquent pourtant de doucine; mais au-dessus de ces corniches il faut faire une doucine que les Grecs appellent g-epohtidas, et lui donner de hauteur une huitième partie de plus qu'au larmier. Les acrotères des angles doivent avoir la hauteur du milieu du tympan ; celui du milieu doit être plus haut d'un huitième que ceux des angles.

13. Tous les membres qu'on met au-dessus des chapiteaux des colonnes, c'est-à-dire les architraves, les frises, les corniches, les tympans, les faîtes, les acrotères doivent être inclinés en avant chacun d'une douzième partie de leur hauteur. En voici la raison : lorsque nous nous plaçons vis-à-vis de la façade d'un édifice, si nous faisons partir de notre oeil deux lignes, dont l'une en touche le bas et l'autre le haut, celle qui touche le haut sera la plus longue. Ainsi plus une ligne visuelle s'étend vers un objet élevé, plus elle le fait paraître renversé en arrière; mais lorsque, comme je viens de le dire, les membres supérieurs d'une façade auront été inclinés en avant, ils paraîtront à l'oeil parfaitement d'aplomb.

14. Il faut creuser dans les colonnes vingt-quatre cannelures. On les taille de telle sorte qu'une équerre qui est placée dans la cavité, et à laquelle on imprime un mouvement circulaire, touche de ses branches les angles des deux pleins qui se trouvent à droite et à gauche de la cannelure, et que la pointe de l'équerre en puisse parcourir toute la cavité. La largeur du plein qui est entre les cannelures doit être pareille au renflement du milieu de la colonne dont je vais donner la description.

15. Aux doucines qui terminent les corniches sur les côtés des temples, il faut sculpter des têtes de lion disposées de telle sorte que d'abord il y en ait une au-dessus de chaque colonne, et ensuite d'autres qui soient également distribuées de manière que chaque tête réponde au mi-lieu de chacune des tuiles qui forment la couverture : celles qui sont au droit des colonnes doivent être percées le long de la gouttière qui reçoit les eaux de pluie qui découlent du toit; les autres ne le seront point, afin que l'eau qui tombe avec tant de force de la couverture dans la gouttière ne puisse être précipitée entre les colonnes, et se répandre sur ceux qui passent ; il suffit que celles qui sont au-dessus des colonnes vomissent de leur gueule par gorgées l'eau qui descend avec impétuosité. Je viens de traiter dans ce livre, avec toute l'exactitude dont je suis capable, de l'ordonnance des temples ioniques; je vais expliquer dans le suivant quelles sont les proportions des temples doriques et corinthiens.

LIVRE IV

INTRODUCTION.

1. A la vue des nombreux ouvrages qui ont été écrits sur l'architecture, et dont la plupart n'offrent qu'un amas confus de principes sans ordre et sans suite, j'ai regardé, illustre empereur, comme chose honorable et utile de faire entrer dans un seul traité tout ce qui avait rapport à la science architecturale, et de classer dans chaque livre ce qui était relatif à chaque espèce de matière. Voilà pourquoi, César, j'ai traité, dans le premier livre, des devoirs de l'architecte, et des connaissances qu'il doit avoir ; dans le second, des différents matériaux qui servent à la construction des édifices, et, dans le troisième, de la forme des temples, de leurs différents genres, de leurs espèces, et de la distribution qu'il convient de donner à chaque ordre.

2. Parmi les trois ordres qui offrent le plus de délicatesse dans leurs parties, à cause de la proportion de leurs modules, j'ai fait connaître l'ordre ionique avec ses caractères. Je vais, dans le livre suivant, parler des qualités et des règles des ordres dorique et corinthien, et en faire voir les différences et les particularités.

I. Des trois ordres de colonnes, de leur origine et de la proportion du chapiteau corinthien.

1. Les colonnes corinthiennes ont les mêmes proportions que les colonnes ioniques, à l'exception du chapiteau dont la grandeur fait qu'elles sont, à proportion, plus hautes et plus déliées, puisque la hauteur du chapiteau ionique n'est que de la troisième partie du diamètre de la colonne, tandis que celle du chapiteau corinthien en a le diamètre tout entier. Cette différence en plus de deux parties de diamètre donne à la colonne corinthienne une hauteur qui la fait paraître plus délicate.

2. Les autres membres qui portent sur les colonnes corinthiennes empruntent leurs proportions et leur ordonnance à l'ordre dorique ou ionique. C'est que l'ordre corinthien n'a point de règles qui soient particulières à sa corniche, ni à ses autres ornements : l'ordre dorique prête à sa corniche les mutules qui conviennent aux triglyphes, et des gouttes à son architrave, et il doit à l'ordre ionique sa frise ornée de sculptures, et sa corniche avec des denticules.

3. Des deux ordres on a donc formé un troisième, n'ayant que le chapiteau qui lui appartienne. La forme des colonnes a fait naître trois ordres nommés dorique, ionique et corinthien : la première et la plus ancienne est la colonne dorique. L'Achaïe et tout le Péloponnèse furent gouvernés par Dorus, fils de Hellen et de la nymphe Orséide, et ce roi fit bâtir dans l'ancienne ville d'Argos, dans un lieu consacré à Junon, un temple qui se trouva par hasard être dans le genre qu'on appela dorique. On suivit ce modèle dans les autres villes d'Achaïe, à une époque où l'architecture n'était point encore une science.

4. Après avoir consulté l'oracle d'Apollon, à Delphes, les Athéniens, de concert avec toutes les villes de la Grèce, envoyèrent d'une seule fois, en Asie, treize colonies, ayant chacune son chef particulier. Le commandement général fut confié au fils de Xuthus et de Créuse, à Ion qu'Apollon de Delphes avait, par son oracle, reconnu pour son propre fils. Ce fut lui qui conduisit les colonies en Asie, et qui, après s'être emparé de la Carie, y fonda treize villes fameuses : Éphèse, Milet, Myonte, qui fut un jour engloutie par la mer, et dont les Ioniens transférèrent tous les droits aux Milésiens ; Priène, Samos, Téos, Colophon, Chios, Érythrée, Phocée, Clazomène, Lébédos et Mélite. L'arrogance des habitants de cette dernière ville provoqua la vengeance des autres cités, qui, lui ayant déclaré la guerre, la ruinèrent d'un commun accord. Elle fut remplacée dans la suite, grâce au roi Attale et à Arsinoé, par la ville de Smyrne, qui fit partie de la confédération ionienne. Après l'expulsion des Cariens et des Lélèges, ces treize villes appelèrent le pays Ionie, en l'honneur d'Ion, leur chef, et se mirent à bâtir des temples aux dieux immortels dans les lieux qu'ils avaient consacrés.

5. Le premier qu'elles construisirent fut dédié à Apollon Panionius. On le bâtit dans le genre de ceux qu'on avait vus en Achaïe, et ce genre, fut appelé dorique, parce que les villes des Doriens leur en avaient présenté de pareils. Lorsqu'il fut question d'élever les colonnes de ce temple, comme on ne savait pas bien quelles proportions il fallait leur donner, on chercha les moyens de les rendre assez solides pour qu'elles pussent supporter le fardeau de l'édifice, sans rien perdre de la beauté du coup d'oeil. Pour cela on eut recours à la longueur du pied de l'homme qui fut comparée à la hauteur de son corps. C'est sur cette proportion que fut formée la colonne ; la mesure du diamètre qu'on donna au bas du fût, on la répéta six fois pour en faire la hauteur, y compris le chapiteau. Ainsi commença à paraître, dans les édifices, la colonne dorique offrant la proportion, la force et la beauté du corps de l'homme. Plus tard ils élevèrent un temple à Diane, et, cherchant pour les colonnes quelque nouvel agrément, ils leur donnèrent, d'après la même méthode, toute la délicatesse du corps de la femme. Ils prirent d'abord la huitième partie de leur hauteur pour en faire le diamètre, afin qu'elles s'élevassent avec plus de grâce. On les plaça sur des bases en forme de spirale, qui figuraient la chaussure ; le chapiteau fut orné de volutes qui représentaient la chevelure dont les boucles tombent en ondoyant à droite et à gauche; des cymaises et des festons, semblables à des cheveux ajustés avec art, vinrent parer le front des colonnes, et du haut de leur tige jusqu'au bas descendirent des cannelures, à l'imitation des plis que l'on voit aux robes des dames. Ainsi furent inventés ces deux genres de colonnes : l'un emprunta au corps de l'homme sa noblesse et sa simplicité, l'autre à celui de la femme, sa délicatesse, ses ornements, sa grâce. Dans la suite le goût et le jugement se perfectionnèrent ; l'élégance des petits modules eut de la vogue, et l'on donna à la hauteur de la colonne dorique sept de ses diamètres, et huit et demi à la colonne ionique. Cette colonne, dont les Ioniens furent les inventeurs, fut appelée ionique. La troisième, qu'on nomme corinthienne, représente toute la grâce d'une jeune fille, à laquelle un âge plus tendre donne des formes plus déliées, et dont la parure vient encore augmenter la beauté. Voici l'anecdote que l'on raconte au sujet de l'invention du chapiteau de cette colonne. Une jeune fille de Corinthe, arrivée à l'âge nubile, fut atteinte d'une maladie qui l'emporta ; après sa mort, de petits vases qu'elle avait aimés pendant sa vie, furent recueillis par sa nourrice, arrangés dans une corbeille, et déposés sur sa tombe, et pour qu'ils se conservassent plus longtemps au grand air, elle les recouvrit d'une tuile. Cette corbeille avait été par hasard placée sur une racine d'acanthe. Pressée par le poids qui pesait en plein sur elle, cette racine d'acanthe poussa vers le printemps des tiges et des feuilles. Ces tiges grandirent tout autour de la corbeille, puis rencontrant aux angles de la tuile une résistance qui les comprimait, elles furent forcées à leur extrémité de se recourber en forme de rouleau. Le sculpteur Callimaque, que l'élégance et la délicatesse de son ciseau firent nommer chez les Grecs g-catatechnos, passant auprès de ce tombeau, aperçut ce panier et les feuilles qui l'entouraient d'une manière si gracieuse. Charmé de cette forme nouvelle, il l'adopta pour les colonnes qu'il éleva à Corinthe. Ce fut d'après ce modèle qu'il établit et régla les proportions de l'ordre corinthien. Or, voici quelles doivent être les proportions du chapiteau corinthien : le diamètre du bas de la colonne donnera la hauteur du chapiteau, y compris le tailloir, et la largeur du tailloir sera telle que la diagonale qui le coupe depuis un de ses angles jusqu'à l'autre, comprendra deux fois la hauteur du chapiteau. Cette extension donnera aux quatre faces du tailloir une grandeur convenable. Ces faces seront courbées en dedans, et cette courbure sera de la neuvième partie d'un côté, en mesurant d'un angle à l'autre. Le bas du chapiteau aura la même largeur que le haut de la colonne, sans le congé et l'astragale. L'épaisseur de tailloir sera de la septième partie de la hauteur du chapiteau. Cette hauteur, moins l'épaisseur du tailloir, sera divisée en trois parties, dont une sera donnée à la feuille d'en bas ; la seconde feuille sera placée au milieu; et le même espace restera pour les caulicoles d'où naissent les troisièmes feuilles, du milieu desquelles sortent les volutes qui s'étendent jusqu'à l'extrémité des angles du chapiteau ; d'autres volutes plus petites seront sculptées au-dessous des roses qui se trouvent au milieu des faces du tailloir. Ces roses, figurées aux quatre côtés, seront aussi grandes que le tailloir est épais. Telles sont les proportions que doivent avoir les chapiteaux corinthiens pour être réguliers. Sur ces mêmes colonnes se placent d'autres chapiteaux qui portent différents noms ; mais les colonnes, conservant les mêmes proportions, ne doivent point changer celui qu'elles ont. Et ces chapiteaux n'ont reçu une nouvelle dénomination que parce qu'ils ont emprunté quelques parties à ceux des ordres corinthien, ionique et dorique, dont les proportions ont servi à en faire sculpter de nouveaux qui n'ont pas moins d'élégance.

II. Des ornements des colonnes

1. Après avoir parlé ci-dessus de l'origine des différents genres de colonnes, je ne pense pas qu'il soit, non plus, hors de propos de faire connaître comment en ont été découverts les ornements, et à quelle causé on doit en rapporter l'origine. Dans tous les édifices, les parties supérieures sont faites en charpente. Les différentes pièces qui les composent prennent des noms qui varient selon l'usage auquel elles sont destinées. Les poitrails portent sur les colonnes, sur les piédroits et sur les pilastres; dans les contignations, servent les solives et les planches ; sous les toits, s'il y a beaucoup d'espace, on place, pour soutenir le faîtage, le columen (d'où les colonnes ont pris leur nom), les entraits et les contrefiches; si l'espace n'est pas considérable, on fait usage du poinçon et des forces qui s'avancent jusqu'au bord de l'entablement. Sur les forces sont placées les pannes, et ensuite, pour porter les tuiles, les chevrons, dont la saillie est telle qu'elle met les murailles à couvert.

2. Ainsi chaque chose, dans un édifice, doit occuper la place que lui assigne l'usage auquel elle est propre. Toutes ces différentes pièces de bois que les charpentiers font entrer dans leurs ouvrages, les architectes, dans l'édification des temples de pierre et de marbre, en ont reproduit la disposition par des ornements sculptés, et ont cru devoir en conserver l'invention. Les anciens ouvriers, dans leurs constructions, après avoir placé les poutres de manière que de l'intérieur des murs elles passassent a l'extérieur en faisant une saillie, remplissaient de maçonnerie l'espace compris entre chaque poutre, et élevaient au-dessus les corniches et les frontons qu'un habile ciseau embellissait des ornements les plus délicats ; le bout des poutres qui dépassait le niveau du mur était ensuite coupé à plomb ; mais comme le résultat de cette opération leur paraissait peu gracieux, ils taillaient de petites planches auxquelles ils donnaient la forme de nos triglyphes, et les clouaient au bout des poutres coupées ; puis ils les couvraient de cire bleue pour cacher ces coupures qui auraient choqué la vue.

3. C'est cette manière de couvrir les bouts de poutres qui donna l'idée d'introduire, dans les ouvrages doriques, la disposition des triglyphes et les intervalles des métopes. Quelques-uns ensuite, dans d'autres édifices, prolongèrent au droit des triglyphes le bout des forces, dont ils recourbèrent la saillie. Il en est résulté que, comme la disposition des poutres a donné les triglyphes, de même la saillie des forces a fait naître les mutules qui soutiennent les corniches. Souvent il arrive que, dans les édifices de pierre et de marbre, les mutules reçoivent du ciseau une forme inclinée, ce qui n'est qu'une imitation des forces dont l'inclinaison est nécessaire pour l'écoulement des eaux. C'est donc à ces imitations que l'ordre dorique doit l'invention des triglyphes et des mutules. On a dit que les triglyphes représentaient des fenêtres ; c'est une erreur, il ne peut en être ainsi : les triglyphes se placent aux angles et sur le milieu des colonnes, et ce n'est point là qu'il peut y avoir des fenêtres. Ne verrait-on pas les angles d'un édifice se disjoindre, si l'on y pratiquait des ouvertures de fenêtres ?

4. Et si l'endroit où se voient les triglyphes était considéré comme l'emplacement des fenêtres, il faudrait dire, par la même raison, que les denticules, dans l'ordre ionique, occupent la place des fenêtres : car les intervalles qui se trouvent entre les denticules, aussi bien que ceux qu'on voit entre les triglyphes, se nomment métopes, et les Grecs appellent g-Opas les trous dans lesquels on fait entrer les bouts des poutres et des chevrons; nous leur avons donné, nous, le nom de columbaria : voilà pourquoi l'espace compris entre deux g-opas a été appelé par eux métope. Telle est dans l'ordre dorique l'origine des triglyphes et des mutules, et dans l'ordre ionique celle des denticules, dont on retrouve la disposition dans les charpentes. Les mutules représentent l'extrémité saillante des forces; et de la saillie des chevrons ont été imités les denticules ioniques. Voilà pourquoi, dans leurs édifices, les Grecs n'ont jamais mis de denticules au-dessous des mutules ; les chevrons ne peuvent en effet se trouver sous les forces. Si ce qui doit réellement être posé sur les forces et sur les pannes vient, dans l'imitation, à être placé au-dessous, il y aura évidemment incorrection dans le travail. C'est par la même raison que les anciens n'ont point mis de mutules ni de denticules aux frontons ; ils n'y voulaient avoir que de simples corniches : ce qui est facile à concevoir, puisque ni les forces ni les chevrons ne sont disposés dans le sens des frontons, où ils ne peuvent faire saillie, et qu'ils ont, au contraire, leurs pentes vers les gouttières. Ce qui ne peut exister en réalité, ils ont pensé qu'ils ne pouvaient avec raison le représenter dans leurs imitations.

5. Aucune des parties de leurs ouvrages ne représente une chose impropre : toutes sont fondées sur la nature, dont ils ne s'écartent jamais; jamais ils n'ont approuvé ce dont la raison et la vérité ne pouvaient soutenir l'explication. C'est d'après ces principes qu'ils ont établi pour chaque ordre les proportions qu'ils nous ont laissées. J'ai puisé dans leurs leçons les explications que je viens de donner pour l'ordre ionique et le corinthien ; je vais maintenant dire quelques mots de l'ordre dorique, et de tout ce qui le concerne.

III. De l'ordre dorique.

1. Quelques anciens architectes ont dit que l'ordre dorique ne convenait point pour les édifices sacrés, à cause de ses proportions vicieuses et incommodes. Tel fut le sentiment de Tarchesius, de Pytheus et d'Hermogène. Celui-ci avait beaucoup de marbre de préparé pour construire un temple d'ordre dorique ; mais il changea d'idée, et ses matériaux furent employés à la construction d'un temple d'ordre ionique, qui fut consacré à Bacchus. Ce n'est pourtant pas que l'ordre dorique manque de grâce dans son aspect et dans son genre, ou de majesté dans ses formes ; mais il y a gêne et embarras pour la distribution des triglyphes et des plafonds ou larmiers. En effet, dans la distribution de ces ornements, il est nécessaire que les triglyphes correspondent avec le milieu des colonnes, et que les métopes qui se font entre les triglyphes soient aussi longues que larges : cependant les triglyphes qui se trouvent aux extrémités, au-dessus des colonnes placées aux angles, ne se rapportent pas au milieu des colonnes, et les métopes les plus rapprochées des triglyphes destinés aux angles ne conservent plus la forme carrée : elles sont plus longues de la moitié de la largeur du triglyphe. Si l'on veut avoir des métopes de même grandeur, le dernier entre-colonnement devra être plus étroit que les autres de la moitié de la largeur du triglyphe ; mais, soit qu'on élargisse les métopes, soit qu'on rétrécisse les entre-colonnements, il y aura toujours quelque chose d'incorrect. Voilà sans doute pourquoi les anciens ne se sont point servis de l'ordre dorique pour les édifices sacrés.

2. Nous ne laissons point d'en donner ici les proportions telles que nos maîtres nous les ont transmises, afin que si on veut les observer avec exactitude, les règles en soient si clairement expliquées, qu'on puisse élever des temples d'ordre dorique qui ne laissent rien à reprendre ni à corriger. La façade du temple dorique, à l'endroit où sont placées les colonnes, doit être divisée, si l'on veut un tétrastyle, en vingt-sept parties ; en quarante-deux, si c'est un hexastyle. Une de ces parties sera le module, appelé par les Grecs g-embater. Ce module une fois déterminé, c'est d'après lui qu'il faut régler les distributions de l'édifice.

3. Le diamètre des colonnes doit être de deux modules ; la hauteur, compris le chapiteau, de quatorze; la hauteur du chapiteau, d'un module, et sa largeur, de deux modules et demi. La hauteur du chapiteau doit être divisée en trois parties, une pour la plinthe et la doucine, une autre pour le quart de rond et les annelets, une autre pour la gorge du chapiteau. La diminution de la colonne doit être semblable à celle que nous avons indiquée dans le troisième livre pour la colonne ionique. La hauteur de l'architrave, avec la plate-bande et les gouttes, doit être d'un module ; la plate-bande, de la septième partie d'un module ; les gouttes qui sont sous la plate-bande, au droit des triglyphes, y compris la tringle, doivent pendre de la sixième partie du module ; la largeur du bas de l'architrave doit correspondre à celle de la gorge du haut de la colonne. Sur l'architrave doivent être placés les triglyphes et les métopes, dont la hauteur sera d'un module et demi, et la largeur, d'un module. Telle doit être la disposition des triglyphes, qu'il y en ait un de placé aussi bien au-dessus des colonnes angulaires qu'au-dessus de celles du milieu, correspondant parfaitement au droit de ces colonnes, deux dans les entre-colonnements, et trois dans les entre-colonnements du milieu, tant à l'entrée qu'à la sortie; ce qui donnera à cette dernière partie assez de largeur pour qu'on puisse, sans difficulté, se diriger vers les statues des dieux.

4. La largeur des triglyphes doit se diviser en six parties, cinq pour le milieu ; la sixième formera les deux demi-parties placées l'une à droite et l'autre à gauche. On tracera au milieu une règle que nous appelons fémur, et les Grecs g-meros. De chaque côté de ce fémur on tracera deux petits canaux, creusés selon la carne de l'équerre ; à la droite de l'un de ces canaux et à la gauche de l'autre se trouvera un autre fémur ; aux extrémités, enfin, il y aura deux demi-canaux tournés en dehors. Les triglyphes une fois placés, que les métopes, qui sont entre les triglyphes, soient aussi hautes que larges, et qu'aux angles, il y ait des demi-métopes auxquelles on fasse perdre la largeur d'un demi-module. C'est par ce moyen qu'on remédiera à tous les défauts des métopes, des entre-colonnements et des plafonds, dont les divisions seront égales. Les chapiteaux des triglyphes doivent avoir la sixième partie du module ; au-dessus de ces chapiteaux doit se placer le larmier avec une saillie d'un demi-module et d'une sixième partie de module, comprenant la cymaise dorique qui est au-dessous, et l'autre cymaise qui est au-dessus ; le larmier, y compris les cymaises, aura de hauteur la moitié d'un module. Au plafond du larmier, il faut creuser des chemins droits, au-dessus des triglyphes, et au droit du milieu des métopes. Les gouttes doivent être disposées de telle sorte qu'il y en ait six sur la longueur, et trois sur la profondeur ; le reste de l'espace, qui est plus grand au-dessus des métopes qu'au-dessus des triglyphes, doit rester sans ornements ou ne recevoir que des foudres; vers le bord du larmier, il faudra tailler une moulure concave, qu'on appelle scotie. Tous les autres membres, comme tympans, cymaises, corniches, doivent être semblables à ceux dont on a donné la description pour l'ordre ionique.

5. Telles sont les proportions établies pour les édifices diastyles ; mais si l'on veut avoir un temple systyle et monotriglyphe, sa façade, si elle est tétrastyle, devra être divisée en vingt-deux parties, ou en trente-deux, si elle est hexastyle ; une de ces parties sera le module d'après lequel, comme nous l'avons dit plus haut, tout l'ouvrage sera mesuré. Au-dessus de chaque entre-colonnement doivent se trouver deux métopes et un triglyphe ; aux angles il doit y avoir l'espace d'un demi-triglyphe seulement, et à l'entre-colonnement, qui est sous la pointe du fronton, la place de trois triglyphes et de quatre métopes, afin que cet espace offre un passage plus large à ceux qui montent au temple, et que les images des dieux puissent être vues dans toute leur majesté.

6. Sur les chapiteaux des triglyphes doit se mettre la corniche, qui aura, comme nous l'avons dit, une cymaise dorique au-dessous, et une autre cymaise au-dessus ; cette corniche avec les cymaises sera haute d'un demi-module. Il faudra aussi sous la corniche, au-dessus des triglyphes et au droit du milieu des métopes, creuser des chemins droits, disposer les gouttes et faire les autres ornements, comme on l'a prescrit pour le diastyle. Les colonnes devront avoir vingt cannelures. Si elles doivent être à pans, il faudra qu'elles présentent vingt angles ; si l'on veut que les cannelures soient creusées, voici de quelle manière il faudra procéder : on tracera un carré dont les côtés seront égaux à la largeur de la cannelure ; au milieu du carré se placera le centre d'un compas ; puis on décrira une ligne courbe qui passera par les angles du carré ; l'espace compris entre la ligne courbe et les côtés du carré indiquera 1a forme qu'il faudra donner à la cannelure. La colonne dorique se trouvera ainsi ornée de la cannelure qui lui est particulière.

7.Quant au renflement qui doit exister au milieu de la colonne, il se fera d'après les règles établies au troisième livre pour la colonne ionique. Après avoir décrit les proportions des colonnes corinthiennes, doriques et ioniques, et ce qui concerne l'extérieur des temples, il reste à expliquer la disposition intérieure des cella et du pronaos.

IV. De l'intérieur des cella et de la distribution du pronaos.

1. Voici les dimensions que l'on donne à un temple : sa largeur doit être de la moitié de sa longueur, et la cella, y compris la muraille où se trouve la porte, doit être d'un quart plus longue que large. Les trois parties que comprend le pronaos doivent s'étendre jusqu'aux pilastres qui terminent les murs, et ces pilastres doivent avoir la grosseur des colonnes. Quand le temple a plus de vingt pieds de large, on met entre les deux pilastres deux colonnes qui ferment l'espace compris entre les deux ailes, c'est-à-dire le pronaos. Les trois entre-colonnements qui sont entre les pilastres et les colonnes seront fermés par une balustrade de marbre ou de menuiserie ; on y ménagera des portes pour donner entrée dans le pronaos.

2. Si la largeur du temple est de plus de quarante pieds, il faudra mettre alors en dedans des colonnes sur la ligne de celles de devant ; mais voici dans quelle proportion leur grosseur devra être diminuée : si celles de devant sont grosses de la huitième partie de leur hauteur, celles du dedans le seront de la neuvième ; si les premières n'étaient grosses que de la neuvième ou de la dixième partie, il faudrait diminuer les secondes dans la même proportion. L'obscurité du lieu empêchera qu'on ne s'aperçoive de ce rétrécissement ; si pourtant elles paraissaient trop grêles, il faudrait leur faire vingt-huit ou trente-deux cannelures, en supposant que les colonnes du devant en eussent vingt ou vingt-quatre. Par ce moyen , ce qu'on aura enlevé à la tige de la colonne sera compensé par l'augmentation du nombre des cannelures qui fera moins remarquer cette diminution, et la grosseur paraîtra la même dans ces différentes colonnes.

3. Or, voici la cause de cet effet : l'oeil en parcourant des faces plus nombreuses et plus serrées, semble errer sur une plus vaste circonférence. Car si vous mesurez avec un fil deux colonnes d'égale grosseur, mais dont l'une soit cannelée, et l'autre sans cannelures, et que vous promeniez ce fil dans les cavités et sur les angles des cannelures, bien que ces colonnes soient de même grosseur, le fil don vous vous serez servi n'aura point la même dimension, le chemin qu'on lui aura fait faire dans les cannelures et sur le plein qui les sépare, devant le rendre plus long. Cela posé, rien n'empêche que, dans des lieux étroits, dans une espace resserré, on ne mette des colonnes plus minces, sans qu'elles paraissent l'être, puisque nous trouvons un remède dans le nombre des cannelures.

4. Quant à l'épaisseur des murs de la cella, elle doit être proportionnée à leur grandeur. Il suffit toutefois de donner à leurs pilastres la largeur du diamètre des colonnes. S'ils doivent être construits avec des pierres ordinaires, il faudra employer les plus petites ; si on les veut en marbre ou en pierre de taille, on prendra de préférence des quartiers médiocres et égaux, afin que les jointures des pierres du rang supérieur correspondent avec le milieu des pierres du rang inférieur, ce qui donnera à l'ouvrage plus de solidité et de durée ; de plus, les intervalles où la chaux fait saillie, à cause de la compression qui a lieu entre les joints montants et les joints des assises, donneront à l'édifice un aspect agréable.

V. De l'orientation des temples.

1. Les demeures sacrées des dieux immortels doivent être orientées de manière que, si rien ne s'y oppose, si l'on peut à son gré en fixer la position, la statue du dieu qui aura été placée dans la cella, regarde l'occident, afin que ceux qui viennent déposer des victimes sur l'autel ou faire des sacrifices, aient en même temps le visage tourné vers l'orient et vers l'image qui est dans le temple, et puissent, eu adressant leurs voeux, regarder et le temple et l'orient, et pour que les statues elles-mêmes paraissent se lever avec le soleil et regarder ceux qui les prient et qui leur offrent des sacrifices. Il paraît donc nécessaire que tous les autels des dieux soient tournés du côté du levant.

2. Si toutefois la nature du terrain ne le permet pas, il faut alors placer le temple de manière qu'il puisse avoir vue sur la plus grande partie de la ville, ou bien s'il est bâti auprès d'un fleuve, comme en Égypte où l'on construit les temples sur les bords du Nil, il importe qu'il soit tourné vers la rive du fleuve. De même, s'il doit être bâti auprès d'un grand chemin, il faudra le construire de manière que les passants puissent en regarder et saluer la façade.

VI. Portes et chambranles des temples ; leurs proportions.

1. Avant de s'occuper des proportions des portes et de leurs chambranles, il faut arrêter le genre qu'on veut leur donner ; car il y a trois espèces de portes, la dorique, l'ionique, l'atticurge. Les proportions de la porte dorique sont telles, que le haut de la couronne qui est placée au-dessus de la partie supérieure du chambranle soit parfaitement de niveau avec le haut des chapiteaux des colonnes qui sont au pronaos. Pour déterminer la hauteur de l'ouverture de la porte, il faut que l'espace compris entre le pavé et le plafond soit divisé en trois parties et demie, dont on doit donner deux à la hauteur de l'ouverture de la porte. Cette hauteur devra être subdivisée en douze parties, dont cinq et demie formeront la largeur du bas de la porte. Le haut devra être plus étroit de la troisième partie du chambranle, si l'ouverture de la porte, depuis le bas jusqu'en haut, est de seize pieds ; de la quatrième, si elle est de seize à vingt-cinq pieds ; de la huitième, si elle est de vingt-cinq à trente pieds. Plus elles seront élevées, plus elles devront se rapprocher de la ligne perpendiculaire.

2. La largeur des parties du chambranle qui font les jambages sera de la douzième partie de la hauteur de l'ouverture de la porte, et ces jambages seront rétrécis par le haut de la quatorzième partie de leur largeur. La partie du chambranle qui traverse sera aussi large que le haut des jambages. La cymaise doit avoir la sixième partie du chambranle, et sa saillie la même largeur. Cette cymaise doit être lesbienne avec un astragale. Au-dessus de la cymaise qui est à la partie du chambranle qui traverse, il faut placer l'hyperthyron, dont la largeur sera égale à celle du linteau, et lui faire une cymaise dorique avec un astragale lesbien. Enfin il faut poser la couronne plate avec sa cymaise. Elle aura en saillie la largeur du linteau qui porte sur les jambages. A droite et à gauche, les saillies doivent être telles que les extrémités des cymaises débordent et aillent se joindre exactement. Si la porte doit être ionique, on en fera l'ouverture d'après les proportions de la porte dorique. Afin d'en avoir la largeur, on divisera la hauteur en deux parties et demie pour en donner une à la largeur d'en bas ; le rétrécissement du haut se fera comme pour la porte dorique. La largeur du chambranle sera de la quatorzième partie de la hauteur de l'ouverture de la porte ; sa cymaise, de la sixième partie de sa largeur ; le reste de cette largeur, sans la cymaise, sera divisé en douze parties dont trois seront données à la première fasce, y compris son astragale, quatre à la seconde, cinq à la troisième ; ces fasces avec leurs astragales, régneront tout le long du chambranle.

3. L'hyperthyron aura les mêmes proportions que celui de la porte dorique. Les consoles appelées prothyrides, taillées à droite et à gauche,, descendront jusqu'au niveau de la partie inférieure du linteau, sans comprendre la feuille qui les termine. Leur largeur par le haut sera des deux tiers de celle du chambranle, et par le bas d'un quart plus étroite que par le haut. Le bois des portes doit être assemblé de manière que les montants où sont les gonds soient larges de la douzième partie de la largeur de l'ouverture de la porte. Les panneaux qui se trouvent entre les montants auront trois de ces douze parties.

4. Les traverses seront disposées de telle sorte que la hauteur de la porte, ayant été divisée en cinq parties, deux soient assignées à la partie supérieure, les trois autres à la partie inférieure. Sur la ligne qui partage ces deux parties sera placée la traverse du milieu ; les autres seront assemblées l'une en haut et l'autre en bas ; la largeur de la traverse devra être de la troisième partie du panneau ; la cymaise, de la sixième partie de la traverse ; la largeur des montants, de la moitié de la traverse ; le châssis des panneaux sera large de la moitié de cette traverse et d'une sixième partie. Les montants qui sont devant le deuxième assemblage doivent avoir la moitié de la traverse. Si les portes sont à deux battants, ces hauteurs n'auront besoin d'aucun changement ; il n'y aura qu'à doubler la largeur ; dans le cas où elles seraient à deux battants brisés, il faudrait ajouter à la hauteur. Les portes atticurges se font d'après les mesures établies pour les portes doriques ; seulement les chambranles sont entourés, sous les cymaises, de plates-bandes dont la proportion est des deux septièmes des chambranles, moins la cymaise. Ces portes ne sont point, non plus, ornées de marqueterie ; elles ne sont point à deux battants ; elles n'en ont qu'un qui s'ouvre en dehors.

5. Je viens de traiter des proportions qu'il convient de donner aux temples bâtis selon l'ordre dorique, ionique et corinthien : je l'ai fait suivant les règles que j'ai jugées les plus raisonnables ; je vais maintenant parler de l'ordre toscan et des principes qui le constituent.

VII. De l'ordre Toscan.

1. Après avoir divisé en six parties la longueur de l'emplacement destiné à la construction du temple, on en déterminera la largeur en retranchant l'une d'elles. Il faudra encore partager la longueur en deux parties, dont celle du fond sera réservée aux cella, et celle du devant à la disposition des colonnes.

2. La largeur sera aussi divisée en dix parties: trois à droite et trois à gauche seront consacrées aux petites chapelles ou aux ailes, si l'on en fait ; les quatre autres formeront le milieu du temple. L'espace qui est en avant de la cella, le pronaos, sera disposé pour recevoir les colonnes, de manière que celles des angles soient placées dans la direction des antes qui terminent les murs. Devant les murs qui sont entre les antes, et le milieu du temple, il y aura deux colonnes disposées de telle sorte qu'elles se trouvent entre les antes, tandis que deux autres encore seront élevées au milieu des premières colonnes, et sur la même ligne : leur diamètre par le bas doit être de la septième partie de leur hauteur, et leur hauteur de la troisième partie de la largeur du temple ; le haut des colonnes sera d'une quatrième partie moins gros que le bas.

3. Leurs bases auront en hauteur la moitié du diamètre de la tige : elles auront une plinthe arrondie dont l'épaisseur répondra à la moitié de leur hauteur, et le tore avec le congé sera aussi haut que la plinthe. La hauteur du chapiteau sera de la moitié de la grosseur de la colonne, et l'on donnera à la largeur du tailloir tout le diamètre du bas de la colonne. La hauteur du chapiteau sera divisée en trois parties, une pour la plinthe qui tient lieu de tailloir, une autre pour l'ove, la troisième pour la gorge et le congé.

4. Sur les colonnes il faudra mettre des pièces de bois jointes ensemble, dont la hauteur répondra au module qu'exigera la grandeur de l'ouvrage ; l'assemblage de ces pièces de bois sera tel qu'il représentera, dans son épaisseur, la largeur du diamètre rétréci du haut de la colonne, et que, fait à l'aide de tenons et de queues d'aronde, il laissera entre chaque pièce un vide de la largeur de deux doigts. Autrement, si elles se touchaient, si l'air, par son souffle, ne venait les rafraîchir, elles s'échaufferaient et ne tarderaient pas à se pourrir.

5. Au-dessus de ces pièces de bois il y aura un mur, qui supportera les mutules, dont la saillie sera du quart de la largeur de la colonne. Sur ces mutules il faudra clouer les membres de la corniche qui sera de bois ; puis au-dessus on élèvera le fronton, dont l'intérieur se fera en maçonnerie ou en charpente. Ce fronton soutiendra le faîtage, les chevrons et les pannes, de manière que la saillie du toit représente le tiers du toit entier.

VIII. Des temples ronds et ceux qui présentent d'autres dispositions.

1. Il se fait aussi des temples ronds ; les uns ne sont soutenus que par des colonnes, sans avoir de cella : on les appelle monoptères; les autres prennent le nom de périptères. Ceux qui n'ont point de cella ont un tribunal et des degrés qui doivent avoir la troisième partie du diamètre du temple. Les piédestaux portent des colonnes dont la hauteur est égale à la longueur de la ligne diamétrale conduite de la partie extérieure d'un piédestal à celle d'un autre. Leur grosseur est de la dixième partie de toute la colonne, y compris le chapiteau et la base. La hauteur de l'architrave est de la moitié du diamètre de la colonne. La frise et les autres parties qui se trouvent au-dessus, ont les proportions que j'ai établies dans le troisième livre. Si le temple doit être périptère, il faudra établir deux degrés sur lesquels poseront les piédestaux ; la muraille de la cella sera éloignée des piédestaux de la cinquième partie environ de la largeur du temple ; on laissera au milieu un espace pour la porte d'entrée. Le diamètre de cette cella sera dans oeuvre égal à la hauteur de la colonne, moins le piédestal. Les colonnes qui doivent entourer le temple auront les proportions de celles du monoptère. Telle doit être la proportion de la couverture que le dôme, moins le fleuron, ait de hauteur la moitié du diamètre du temple. La grandeur du fleuron sera la même que celle des chapiteaux des colonnes, moins la pyramide. Le reste semble devoir être fait selon les proportions qui ont été déterminées ci-dessus.

2. Il existe encore d'autres espèces de temples. Bien qu'ils aient les mêmes proportions, ils diffèrent cependant par la disposition de leur plan : tel est celui de Castor dans le cirque de Flaminius ; celui de Véjovis, placé entre deux bois sacrés ; celui de Diane, dans la forêt Aricine, qui a des colonnes ajoutées à droite et à gauche, aux côtés du pronaos. Or, le plan d'après lequel on a bâti dans le Cirque le temple de Castor, avait d'abord servi pour le temple de Minerve, dans la citadelle d'Athènes, et pour celui de Pallas, au cap Sunium, dans l'Attique. Leurs proportions sont absolument les mêmes : car la cella est deux fois aussi longue que large, et tout ce qui se trouve ordinairement aux façades a été exactement transporté aux côtés.

3. Quelques architectes, empruntant à l'ordre toscan la disposition de ses colonnes, l'ont adoptée pour des temples corinthiens et ioniques, et pour ceux où les côtés du pronaos sont fermés par des murs qui avancent avec leurs antes ; plaçant deux colonnes au droit des murs qui séparent le pronaos de la cella, ils font un mélange de l'ordre toscan et des ordres grecs.

4. D'autres en éloignant les murs du temple, et en leur faisant franchir l'espace de l'entre-colonnement, agrandissent la cella de toute la largeur du portique qui disparaît, et ne changeant rien aux proportions des autres parties du temple, lui donnent un autre plan et un autre nom, celui de pseudopériptère. Ces changements ont été introduits pour la commodité des sacrifices. Tous les dieux, en effet, ne peuvent avoir des temples construits dans les mêmes proportions, à cause de la différence que produit, dans les cérémonies, la diversité des sacrifices.

5. J'ai décrit toutes les espèces de temples, telles qu'elles me sont connues, et j'en ai distingué les ordres et les proportions d'après, les caractères qui leur sont propres. Les différences que présentent leurs plans, les particularités qui les diversifient, je les ai expliquées, autant qu'il m'a été possible de le faire. Je vais maintenant parler des autels des dieux immortels, et de la manière de les disposer pour la commodité des sacrifices.

IX. De la disposition des autels des dieux.

Les autels des dieux doivent être tournés vers l'orient. Il faut qu'ils soient toujours moins élevés que les statues qui sont dans les temples, afin que ceux qui adressent à une divinité leurs voeux et leurs sacrifices, reconnaissent, à la différence de leur hauteur, le degré de dignité qui appartient à chaque dieu. Or, le développement de leur hauteur doit être tel que Jupiter et les autres dieux du ciel en aient de fort hauts, Vesta et les divinités de la terre et de la mer de plus bas. C'est d'après ces règles que devront être établies les proportions des autels placés au milieu des temples. Après avoir traité dans ce livre de l'ordonnance des édifices sacrés, nous allons, dans le suivant, nous occuper de la distribution des édifices publics.

LIVRE CINQUIEME

INTRODUCTION.

1. Ceux qui, dans de vastes ouvrages, ont développé leurs pensées ingénieuses et leurs excellents principes, ont donné à leur travail une grande et noble importance. Et moi aussi, illustre empereur, je pourrais espérer que mes études donneront à l'étendue de mon traité une valeur proportionnée; mais il y a là plus de difficultés qu'on ne se l'imagine : car en fait d'écrits, il n'en est pas de l'architecture comme de l'histoire, comme de la poésie. L'histoire a pour le lecteur un attrait tout particulier; elle lui fait continuellement attendre des événements nouveaux et variés. La poésie, par la mesure et la cadence des vers, par l'harmonie du langage, et l'élégance des entretiens des différents personnages qu'on introduit dans le poème, par la grâce du débit, la poésie charme les sens du lecteur, et le conduit sans peine jusqu'à la fin d'un ouvrage.

2. Il ne peut en être ainsi d'un traité d'architecture; les mots techniques qu'on est obligé de forger, jettent, dans un langage qui n'est point ordinaire, beaucoup d'obscurité sur leur propre signification. Ces termes vagues et obscurs dans leur acception, si, pour expliquer des préceptes, on n'écarte pas les raisonnements pleins de digressions sans fin, pour ne se servir que de phrases courtes et lucides, ces termes, vu la multitude embarrassante de mots qui les accompagne, ne produiront que confusion dans l'esprit du lecteur. Aussi, pour que la mémoire puisse conserver ces termes peu connus que j'emploie pour expliquer les proportions des édifices, je serai court : ce sera en effet le moyen de les faire entrer plus facilement dans l'esprit. D'un autre côté, les affaires tant publiques que particulières dont je vois tous les citoyens accablés, ne me déterminent pas moins à abréger mon ouvrage, afin que ceux à qui leurs instants de loisir permettront de le lire, puissent promptement en saisir l'ensemble. C'est pour la même raison que Pythagore et ses sectateurs se sont servis des nombres cubiques pour écrire leurs préceptes dans leurs livres. Ils ont formé un cube de deux cent seize vers, sans toutefois vouloir en mettre plus de trois pour chaque sentence.

3.Or, le cube est un corps composé de six faces carrées et égales. Quand il a été jeté, il reste immobile, pourvu qu'on n'y touche plus, sur le côté sur lequel il s'est arrêté : c'est ce qui arrive pour les dés que les joueurs jettent sur la table de jeu. Le rapport qu'ils ont vu entre le nombre de vers et le cube, le leur a fait adopter; ils ont pensé qu'il resterait gravé dans la mémoire avec cette stabilité que prend le cube, lorsqu'il reste immobile sur une de ses faces. Les poètes comiques grecs, en introduisant des choeurs dans leurs pièces, les ont divisés en plusieurs parties : les entractes, produisant l'effet de la figure cubique, permettaient aux acteurs de se reposer après de longs récits. Puisque cette méthode de nos ancêtres est basée sur un ordre naturel, comme je vois que je vais avoir à traiter un sujet inconnu et obscur pour le plus grand nombre, j'ai jugé que, pour me mettre plus à la portée du lecteur, je devais abréger mes écrits; ils arriveront ainsi facilement à être compris; j'ai classé les matières; et, pour épargner la peine de les chercher en plusieurs endroits, j'ai réuni dans chaque livre tout ce qui avait trait à une même chose. Voilà pourquoi, ô César, après avoir traité, dans le troisième et le quatrième livre, des proportions des édifices sacrés, je vais m'occuper dans celui-ci de la disposition des édifices publies; et d'abord je dirai quel doit être le plan du Forum, puisque c'est là que les affaires publiques et particulières sont réglées par les magistrats.

1. Du forum et des basiliques

1.Chez les Grecs, le forum est carré. Tout autour règnent de doubles et amples portiques, dont les colonnes serrées soutiennent des architraves de pierre ou de marbre avec des galeries au-dessus. Les villes d'Italie n'ont pas dû adopter les mêmes proportions, parce que de nos ancêtres est venue jusqu'à nous la coutume de donner dans ces places les jeux de gladiateurs.

2. Ces spectacles exigent des entrecolonnements plus larges : il faut que tout autour de ces places, sous les portiques, il y ait des boutiques de changeurs, et au premier étage des galeries disposées de manière à faciliter le trafic et la perception des droits du fisc. Il importe que la grandeur des places publiques soit proportionnée au nombre des habitants, pour qu'elles ne soient pas trop petites, si elles doivent être fréquentées par beaucoup de personnes; trop grandes, s'il ne doit s'y en rendre qu'un petit nombre. On en détermine la largeur, en divisant la longueur en trois parties, dont on lui donne deux. Cette forme oblongue offrira plus de commodité pour les spectacles.

3. Les colonnes de la galerie seront d'un quart moins grosses que celles du portique, parce que celles d'en bas étant destinées à supporter plus de charge, doivent avoir plus de solidité que celles d'en haut. Une autre raison, c'est que, par ses productions, la nature semble nous faire une loi de cette proportion : les arbres hauts et unis, comme le sapin, le cyprès, le pin, sont tous plus gros par le bas, et à mesure qu'ils croissent et qu'ils s'élèvent, ils deviennent naturellement et graduellement plus minces jusqu'à la cime. Si telle est la conformation des productions de la nature, on a eu raison d'établir pour règle que les parties supérieures seraient moins longues et moins grosses que les parties inférieures. Les basiliques, qui touchent aux places publiques, doivent être construites dans l'endroit le plus chaud, afin que pendant l'hiver les commerçants puissent y trouver un abri contre la rigueur de la saison. Leur largeur doit être du tiers au moins, de la moitié au plus de leur longueur, à moins qu'on ne rencontre dans la nature du terrain quelque obstacle qui force de changer cette proportion. Si l'espace était beaucoup plus long qu'il ne doit être, on ferait, aux deux extrémités, des chalcidiques semblables à celles de la basilique Julia Aquilia.

4. Les colonnes des basiliques auront une hauteur égale à la largeur des portiques, et cette largeur répondra à la troisième partie de l'espace du milieu. Les colonnes d'en haut doivent être, comme je l'ai déjà dit, plus petites que celles d'en bas. La cloison que l'on fera entre les colonnes du premier étage sera d'un quart moins haute que ces mêmes colonnes, afin que ceux qui se promènent dans la galerie de la basilique ne soient point vus des personnes qui trafiquent en bas. Les proportions de l'architrave, de la frise et de la corniche se règlent sur celles des colonnes, comme nous l'avons expliqué au troisième livre.

5. Cette sorte de basilique peut avoir autant de beauté et de magnificence que celle de la colonie Julienne de Fanum, construite d'après mes dessins, et sous ma direction. Voici les proportions que je lui ai données. La nef du milieu, entre les deux rangs de colonnes, a cent vingt pieds de longueur, et de largeur soixante. Le portique qui s'étend autour de la nef est large de vingt pieds entre les murs et les colonnes. Les colonnes, y compris les chapiteaux, ont toutes cinquante pieds de hauteur et cinq de diamètre. Elles ont derrière elles des pilastres hauts de vingt pieds, larges de deux et demi, et épais d'un pied et demi; ils soutiennent les poutres qui portent les plafonds des portiques d'en bas; au-dessus de ces pilastres, s'en élèvent d'autres de dix-huit pieds de hauteur, de deux de largeur, d'un d'épaisseur pour soutenir également les poutres qui portent les chevrons et le toit des portiques d'en haut, qui est moins élevé que celui de la nef.

6. Les espaces qui sont entre les poutres posées sur les pilastres, et celles qui sont sur les colonnes, sont laissés pour donner du jour entre les entrecolonnements. Les colonnes qui sont dans la largeur de la nef, à droite et à gauche, sont de chaque côté au nombre de quatre, y compris celles des coins; du côté de la longueur qui se trouve le plus rapprochée de la place publique, il y a huit colonnes, en comptant aussi celles des coins; du côté opposé, il n'y en a que six, y compris toujours les colonnes angulaires, parce qu'on a retranché les deux du milieu, qui auraient empêché de voir le pronaos du temple d'Auguste, qui se développe au milieu du mur latéral de la basilique, et d'où la vue s'étend sur le milieu de la place publique et sur le temple de Jupiter.

7. Dans ce temple se trouve un tribunal dont la forme arrondie ne présente pas en entier la moitié du cercle; ce quasi-hémicycle a quarante-six pieds de front, et de profondeur quinze. Ce tribunal a été élevé dans cette partie, afin que les personnes qui ont à plaider devant les magistrats ne soient point incommodées par celles qui s'occupent d'affaires dans la basilique. Au-dessus des colonnes, des poutres composées de quatre pièces de bois de deux pieds d'épaisseur règnent autour de la basilique. Arrivées aux troisièmes colonnes de la partie intérieure de la basilique, elles vont en retour s'appuyer sur les antes qui sont en saillie à l'extrémité du pronaos, en face des murs qui vont, à droite et à gauche, toucher le quasi-hémicycle. Sur ces poutres, au droit des chapiteaux, s'élèvent en forme d'appuis des piles hautes de trois pieds, et larges de quatre en carré. Elles supportent des poutres composées de deux pièces de bois de deux pieds d'épaisseur, parfaitement jointes, sur lesquelles se trouvent, au droit du fût des colonnes, des antes et des murs du pronaos, les entraits et les contre-fiches qui soutiennent le faîte dans toute la longueur de la basilique, et celui qui part du milieu pour s'étendre au-dessus du pronaos du temple.

8. Cette double disposition de faîtes en forme de dents de peigne, formée par les toits latéraux et par celui de la grande nef qui s'élève au-dessus, présente un aspect des plus agréables. Et puis l'absence des ornements de l'architrave, des cloisons et des colonnes d'en haut, épargne beaucoup de peine et diminue considérablement les frais. Cependant ces hautes colonnes qui soutiennent dans toute sa longueur l'architrave sur laquelle vient poser la voûte, ajoutent beaucoup à la magnificence et à la majesté de l'ouvrage.

II. De la disposition du trésor public, de la prison et de l'hôtel de ville.

1. Le trésor public, la prison et l'hôtel de ville doivent être attenant au forum, à la grandeur duquel ils doivent être proportionnés. L'hôtel de ville surtout doit répondre à l'importance de la ville municipale ou de la cité.

2. S'il est carré, la largeur qu'on lui aura donnée, plus la moitié de cette largeur, établira la mesure de sa hauteur; s'il était oblong, on réunirait la longueur et la largeur, puis on donnerait la moitié du tout à la hauteur au-dessous du plafond.

3. De plus, l'intérieur des murailles doit être, vers la moitié de leur hauteur, entouré d'une corniche en menuiserie ou en stuc. Autrement la voix des interlocuteurs, se perdant dans l'espace, ne pourrait être saisie par les auditeurs; au lieu que la corniche qui entoure les murs, arrêtant la voix dans la partie inférieure, ne lui permet pas de se dissiper en s'élevant dans les airs, avant d'avoir pénétré dans les oreilles.

III. Des théâtres et du choix d'un endroit sain pour les y placer.

1. Après avoir déterminé l'emplacement du forum, il faudra choisir celui d'un théâtre pour les jeux qui se donnent aux fêtes des dieux immortels. Pour s'assurer de sa salubrité, on suivra la marche que j'ai indiquée dans le premier livre au sujet de la position des murailles des villes. Les jeux, par leur attrait, retiennent longtemps sur leurs sièges les spectateurs avec leurs femmes et leurs enfants. Les pores du corps, dilatés par des plaisirs si attachants, reçoivent facilement toutes les impressions de l'air. Qu'il vienne de contrées marécageuses ou malsaines, il influera d'une manière pernicieuse sur la santé. Il faudra donc choisir pour le théâtre un lieu qui mette à l'abri de toute maligne influence.

2. Il faudra, de plus, veiller à ce que le théâtre ne soit point exposé au vent du midi; car lorsque le soleil remplit de ses rayons l'enceinte du théâtre, l'air qui y est enfermé, ne trouvant aucun moyen de circuler, s'y arrête, s’échauffe, s'enflamme et finit par brûler, consumer et dessécher l'humidité du corps.

3. Aussi faut-il éviter à tout prix une exposition malsaine, et choisir un lieu dans lequel la santé n'ait point à souffrir. Les fondements du théâtre, si l'on bâtit sur une montagne, seront faciles à faire; mais si l'on était obligé de les établir dans un lieu plat ou marécageux, il faudrait, pour la rendre fermes et solides, employer les moyens que j'ai prescrits dans le troisième livre, à l'occasion des fondements des édifices sacrés. Immédiatement au-dessus des fondements doivent s'élever les gradins qui seront de pierre ou de marbre. Les paliers qui, règnent autour de l'amphithéâtre doivent être faits d'après la proportion ordinaire des théâtres, et ils ne doivent point avoir plus de hauteur que ne le demande leur largeur; s'ils étaient trop élevés, la partie qui dépasserait la hauteur voulue, repousserait la voix, l'empêcherait d'arriver jusqu'aux sièges qui se trouvent au-dessus des paliers, les mots ne seraient plus qu'un son vague que ne pourrait saisir l'oreille de ceux qui occuperaient ces sièges. Telle doit être, en un mot, la disposition des degrés, qu'un cordeau conduit depuis le plus bas jusqu'au plus haut en touche toutes les crêtes; par ce moyen la voix pourra facilement s'étendre.

4. De nombreux et vastes passages devront être disposés de manière que ceux d'en haut ne se rencontrent pas avec ceux d'en bas; que partout ils soient directs, sans interruption, sans détours, afin que le peuple, en sortant des spectacles, ne soit point trop pressé, et puisse de tous côtés trouver des issues séparées qui facilitent sa sortie. Il faudra encore prendre bien garde à ce que le lieu soit sonore, afin que la voix puisse clairement s'y faire entendre; ce qui aura lieu, si l'on choisit un endroit où rien n'empêche la résonance.

5. La voix est un courant d'air dont les ondes sonores viennent frapper l'organe de l'ouïe. L'agitation qu'elle produit forme une infinité de cercles. Lancez une pierre dans une eau dormante, vous y verrez se faire une multitude d'ondulations circulaires qui s'élargissent à partir du centre, et qui s'étendent fort loin, à moins qu'elles ne soient arrêtées par l'espace étroit du lieu, ou par quelqu'autre obstacle qui ne permette point que ces ondulations prennent leur entier développement; que quelque empêchement vienne donc à se présenter, et l'on verra la confusion jetée dans les premiers cercles se communiquer aux suivants.

6. La voix en s'agitant produit aussi des cercles. Il y a pourtant cette différence, que les cercles qui se font sur l'eau se meuvent à sa surface; tandis que la voix ne s'étend pas seulement en largeur, elle monte, elle s'élève par degrés. Il en est des ondulations de la voix comme de telle de l'eau; si aucun corps interposé ne vient rompre la première ondulation, la seconde et les suivantes n'éprouvent aucun trouble; toutes arrivent aussi distinctement aux oreilles de ceux qui sont le plus bas placés, que de ceux qui le sont le plus haut.

7. Voilà pourquoi les anciens architectes, cherchant avec persévérance les lois de la nature, ont su, après avoir étudié le mécanisme de la voix, déterminer l'élévation des degrés des théâtres; voilà pourquoi, à l'aide de la proportion canonique des mathématiques et de la proportion musicale, ils ont tâché de faire que tout ce qui serait prononcé sur la scène, arrivât avec douceur et clarté à l'oreille des spectateurs : car de même que les anciens faisaient leurs instruments avec des lames de cuivre ou de corne, en forme de vases, pour rendre les cordes plus sonores; de même, pour les théâtres, ils ont établi, par le moyen de la science harmonique, certaines proportions pour grossir la voix.

IV. De la musique harmonique.

1. La musique harmonique est une science obscure et difficile, surtout pour ceux qui ne connaissent point la langue grecque. Il faut pourtant, si nous voulons l'expliquer, avoir recours à des mots grecs, puisqu'il en est quelques-uns qui n'ont point de synonymes en latin. Je vais donc essayer d'expliquer le plus clairement qu'il me sera possible, ce qu'Aristoxène a écrit sur cette matière; je vais rapporter sa table, et déterminer la place des sons, afin que ceux qui voudront les examiner avec attention, puissent aisément les comprendre.

2. La voix a deux sortes de mouvements : l'un continu, l'autre procédant par intervalles. La voix continue ne s'arrête à aucun terme ni en aucun lieu; ses terminaisons ne sont point sensibles; il n'y a que les intervalles du milieu qui se discernent; c'est ce qui arrive dans la conversation quand on prononce sol, lux, flos, nox : car alors on ne sent ni où elle commence ni où elle finit, parce que le son, ne passant point de l'aigu au grave, ni du grave à l'aigu, reste égal à l'oreille. Mais le mouvement par intervalles produit le contraire : car si la voix fait des inflexions différentes, elle devient alors tantôt aiguë, tantôt grave; elle s'arrête à un certain son déterminé, puis elle passe à un autre, et ainsi, parcourant souvent différents intervalles, elle vient frapper l'oreille avec toutes ses modifications. C'est ce qui arrive dans les chants, lorsque, par sa flexibilité, elle se plie à toutes les variétés de la modulation. En effet, quand elle parcourt différents intervalles, il est facile de reconnaître où elle commence et où elle finit, par la valeur bien déterminée des sons, tandis que les sous intermédiaires qui n'ont point d'intervalles ne peuvent être appréciés.

3. Il y a trois genres de musique que les Grecs appellent harmonique, chromatique et diatonique. Les modulations du genre harmonique doivent leur origine à l'art, ce qui donne au chant tant de puissance et de beauté. Le genre chromatique, par les douces nuances de ses intervalles serrés, a plus de douceur et de charme. Dans le diatonique, qui est naturel, la distance des intervalles est plus facile. Ces trois genres ne diffèrent que dans la disposition du tétracorde. Dans l'enharmonique, il se compose de deux tons et de deux dièses. Or, le dièse est la quatrième partie d'un ton; le demi-ton a donc la valeur de deux dièses. Dans le chromatique, il y a deux demi-tons incomposites de suite; le troisième intervalle est de trois demi-tons. Dans le diatonique se trouvent deux tons de suite; le troisième intervalle, qui est un demi-ton, complète l'étendue du tétracorde. Ainsi, dans chacun des trois genres, les tétracordes comprennent deux tons et un demi-ton; mais si l'on considère chaque genre pris séparément, il présentera des différences dans la disposition des intervalles.

4. Les intervalles des tons et des demi-tons dans les sons des tétracordes ont été divisés par la nature elle-même; elle en a déterminé le degré d'élévation sur la mesure des intervalles, et établi les propriétés d'après des proportions fixes dont se servent les ouvriers qui fabriquent les instruments de musique, pour les accorder.

5. Les sons, appelés par les Grecs g-phtongoi, sont, dans chaque genre, au nombre de dix-huit : huit dans les trois genres ne varient point, sont immobiles; les dix autres sont mobiles dans les modulations ordinaires. Les immobiles sont ceux qui, étant placés entre les mobiles, unissent les tétracordes les uns aux autres, et restent toujours dans les différents genres, aux points de séparation. On les appelle proslambanomenos, hypate-hypaton, hypate-meson, mese, nete-synemmenon, paramese, nete-diezeugmenon, nete-hyperbolæon. Les mobiles qui sont placés dans les tétracordes, entre les immobiles, changent de place selon les genres et les lieux. Voici leurs noms : parhypate-hypaton, lichanos-hypaton, parhypate-meson, lichanos-meson, trite-synemmenon, paranete-synemmenon, trite-diezeugmenon, paranete­diezeugmenon, trite-hyperbolæon, paranete-hyperbolæon.

6. Les sons mobiles, en changeant de place, changent aussi de valeur, parce que leurs intervalles sont susceptibles d'accroissement. Ainsi la parhypate, qui, dans l'enharmonique, est distante de l'hypate d'un dièse, change dans le chromatique, et a l'intervalle d'un demi-ton, et dans le diatonique, l'intervalle d'un ton; celle qui, dans l'enharmonique, s'appelle lichanos, est distante de l'hypate d'un demi-ton : transportée dans le chromatique, elle avance jusqu'à deux demi-tons, et dans le diatonique, elle s'éloigne de l'hypate de trois demi-tons. Les dix sons étant ainsi transposés forment trois modulations différentes.

7. Il y a cinq tétracordes : le premier, qui est le plus grave, s'appelle en grec g-hypaton; le second, qui est au milieu, se nomme meson; le troisième, qui est joint aux autres, est appelé synemmenon; le quatrième, qui est disjoint, est nommé diezeugmenon; le cinquième, qui est le plus aigu, se, dit en grec g-hyperbolæon. Les consonances, dont la nature a rendu la voix humaine susceptible et que les Grecs nomment g-symphoniai, sont au nombre de six : le dia­tessaron, le diapente, le diapason, le diapason avec le dia­tessaron, le diapason avec le diapente, le disdiapason.

8. Elles ont reçu leur nom du nombre des intervalles qui se trouvent entre deux sons. Lorsque la voix s'arrête au premier ton, et qu'en se modifiant, en variant ses effets elle passe au quatrième, on l'appelle diatessaron; quand elle va au cinquième, on l'appelle diapente; au huitième, diapason; à l'onzième, diapason et diatessaron; au douzième, diapason et diapente; au quinzième, disdiapason.

9. Du premier ton au second, ou au troisième, ou au sixième, ou au septième, qu'il s'agisse de sons produits par la voix ou par les cordes d'un instrument, il ne peut y avoir de consonance; mais, comme on l'a vu plus haut, le diatessaron, le diapente et les autres consonances jusqu'au disdiapason, ne sortent point des bornes que la nature a données à l'étendue de la voix, et les accords naissent de la réunion des sons que les Grecs appellent g-phtongoi.

V. Des vases du théâtre.

1. D'après ces principes, il faudra faire, selon les proportions mathématiques, des vases d'airain qui soient en rapport avec l'étendue du théâtre; leur grandeur doit être telle que, venant à être frappés, ils rendent des sons qui répondent entre eux à la quarte, à la quinte et aux autres consonances, jusqu'à la double octave. Ensuite ils devront être placés, d'après les règles établies pour la musique, dans des niches pratiquées entre les sièges du théâtre, de manière qu'ils ne touchent pas le mur, et qu'ils aient un espace vide tout autour et par dessus. Ils seront renversés et soutenus du côté qui regarde la scène par des coins d'un demi-pied de hauteur au moins; ces niches auront aux flancs des assises qui forment les degrés inférieurs, des ouvertures longues de deux pieds et hautes d'un demi-pied.

2. Voici quelle doit être la disposition de ces niches, et la place qu'il faut leur donner. Si le théâtre n'est pas très grand, on tracera une ligne qui en coupera horizontalement la hauteur en deux parties égales; on y pratiquera en forme d'arc treize niches séparées par douze intervalles égaux. Ceux des vases dont nous avons parlé ci-dessus, dont le son répond à la nete-hyperbolon, seront placés dans les deux niches qui se trouvent les premières aux extrémités; les secondes, à partir des extrémités, renfermeront ceux qui, étant accordés à la quarte avec les premiers, sonnent la nete-diezeugmenon; les troisièmes, ceux qui étant également accordés à la quarte avec les secondes, sonnent la paramese; les quatrièmes, ceux qui, accordés à la quarte avec les premiers, sonnent la nete-synemmenon; les cinquièmes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent la mese; les sixièmes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent l'hypate-meson; enfin celle du milieu renfermera le vase qui, accordé à la quarte, sonne l'hypate-hypaton.

3. Grâce à cette disposition, la voix, partant de la scène comme d'un centre, s'étendra en rond, viendra frapper les cavités de chaque vase, et prendra plus de force et de clarté, selon la consonance que son degré d'élévation aura avec le vase qui y correspondra. Si, au contraire, le théâtre est d'une vaste étendue, la hauteur sera alors divisée en quatre parties, pour y construire trois rangs de niches comme celles dont nous venons de parler, un pour le genre enharmonique, l'autre pour le chromatique, le troisième pour le diatonique. Le rang d'en bas, consacré à l'enharmonique sera disposé de la même manière que pour le petit théâtre.

4. Aux deux extrémités du rang du milieu, dans les premières niches, seront placés les vases qui sonnent l'hyperbolæon du chromatique; dans les secondes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent le diezeugmenon du chromatique; dans les troisièmes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent le synemmenon du chromatique; dans les quatrièmes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent le meson du chromatique; dans les cinquièmes, ceux qui, accordés à la quarte, sonnent l'hypaton du chromatique; dans les sixièmes, ceux qui sonnent la paramese, parce qu'ils ont une consonance commune, étant à la quinte avec l'hyperbolæon du chromatique, et à la quarte avec le meson du chromatique. La niche du milieu restera vide, parce que, dans le genre chromatique, il ne se trouve aucun autre ton qui puisse avoir de consonance.

.es vases qui sonnent l'hyperbolæon du diatonique; dans les secondes, ceux qui, étant à la quarte, sonnent le diezeugmenon du diatonique; dans les troisièmes, ceux qui, étant à la quinte, sonnent le synemmenon du diatonique; dans les quatrièmes, ceux qui, étant à la quarte, sonnent le meson du diatonique; dans les cinquièmes, ceux qui, étant à la quarte, sonnent l'hypaton du diatonique; dans les sixièmes, ceux qui, étant à la quarte, sonnent le proslambanomenos; le vase de la niche du milieu sonnera la mese, parce qu'il a une consonance commune avec le diapason du proslambanomenos, et avec la quinte de l'hypaton du diatonique.

6. Pour arriver à mettre facilement ces principes à exécution, il faut jeter un coup d'oeil sur la table diagrammatique qui se trouve à la fin de ce livre, dans laquelle Aristoxène, avec un travail infini et la plus grande intelligence, a réuni toutes les consonances qui peuvent entrer dans les modulations de la musique. Si l'on fait attention aux règles qu'elle contient, à l'effet que produit la voix, et à ce qui peut la rendre plus agréable, on pourra avec moins de peine perfectionner le plan des théâtres.

7. On dira peut-être qu'il se fait tous les ans à Rome bon nombre de théâtres, sans qu'on tienne compte de ces règles : ce serait une erreur; tous les théâtres publics sont de bois avec plusieurs planches qui résonnent nécessairement. Qu'on examine les musiciens; ont-ils à faire entendre des sons élevés? Ils se tournent vers les portes de la scène dont le retentissement vient aider leur voix. Mais lorsqu'on bâtit un théâtre avec des moellons, des pierres de taille, du marbre, toutes matières solides qui ne peuvent résonner, c'est alors qu'il en faut faire l'application.

8. Me demandez-vous dans quel théâtre on les a mises en pratique? Il est certain qu'il n'y en a point à Rome; mais j'en pourrais faire voir dans plusieurs endroits de l'Italie, et dans beaucoup de villes de la Grèce. Et pour preuve n'avons-nous pas L. Mummius qui, après avoir fait abattre un théâtre à Corinthe, en transporta à Rome les vases d'airain, qu'il choisit parmi les dépouilles pour les consacrer dans le temple de la Lune. N'avons-nous pas encore plusieurs habiles architectes qui, ayant à construire des théâtres dans de petites villes qui n'avaient que peu de ressources, ont employé des vases de terre choisis pour reproduire les sons nécessaires, les ont disposés d'après notre système, et en ont obtenu les résultats les plus avantageux ?

VI. De la forme à donner aux théâtres.

1. Voici de quelle manière on doit faire le plan d'un théâtre. Après avoir placé son centre au milieu, il faut décrire un cercle dont la circonférence soit la grandeur du bas du théâtre. Dans ce cercle on inscrit quatre triangles équilatéraux dont les extrémités placées à égale distance, touchent la circonférence : telle est la marche que, selon le rapport harmonieux des astres, suivent les astronomes pour la disposition des douze signes célestes. Celui de ces triangles dont le côté est le plus près de la scène en détermine la face, à l'endroit où il fait une section dans le cercle, et une autre ligne, parallèle à celle-là, viendra, en passant par le centre, séparer l'avant-scène de l'orchestre.

2. Si nous donnons plus de largeur à la scène qu'elle n'en a chez les Grecs, c'est parce que tous les acteurs y restent pendant l'action; l'orchestre est réservé pour les sièges des sénateurs. La hauteur de la scène ne doit point avoir plus de cinq pieds, afin que ceux qui sont assis dans l'orchestre puissent voir tout le jeu des acteurs. Les amas de degrés disposés en forme de coin dans le théâtre doivent être divisés de manière que les angles des triangles, qui vont toucher la circonférence du cercle, règlent l'alignement des escaliers qui encadrent ces amas, jusqu'à la première précinction. Du milieu de ces amas inférieurs doivent partir d'autres escaliers qui sépareront les amas supérieurs.

3. Les angles qui règlent l'alignement des escaliers de la partie inférieure des degrés seront au nombre de sept; les cinq autres seront réservés aux différentes parties de la scène; en face de celui du milieu doit se trouver la porte royale; les deux angles placés à droite et à gauche indiqueront les portes des étrangers; les deux derniers seront en face des galeries de retour. Les degrés de l'amphithéâtre sur lesquels on place les sièges ne doivent pas avoir moins d'un pied et un palme de hauteur, ni plus d'un pied et six doigts; leur largeur ne doit point être de plus de deux pieds et demi, ni de moins de deux pieds.

VII. Du plafond du portique des théâtres.

1. Le plafond du portique, qui doit être élevé au haut des degrés, sera mis de niveau avec la hauteur de la scène, parce que la voix, en s'étendant, parviendra jusqu'à l'extrémité des degrés et jusqu'au haut de ce plafond. S'il n'était point de niveau, s'il était plus bas, la voix irait se perdre à la hauteur où elle parviendrait en ligne directe.

2. On prendra la sixième partie du diamètre de l'orchestre qui comprend l'espace enfermé entre les degrés d'en bas; cette mesure donnera la hauteur des portes qu'on taillera dans les degrés inférieurs, à l'extrémité des sept angles, et, à l'endroit où l'on aura atteint cette hauteur, on placera des linteaux pour former la partie supérieure de ces entrées : ce qui donnera assez d'élévation aux voûtes de ces couloirs. La scène doit avoir deux fois la longueur du diamètre de l'orchestre. Le piédestal, à partir du niveau de la scène, aura la douzième partie du diamètre de l'orchestre, y compris la corniche et sa cymaise. Sur ce piédestal s'élèveront les colonnes qui, avec leurs chapiteaux et leurs bases, seront de la quatrième partie de ce diamètre. Les architraves et les autres ornements auront la cinquième partie de la hauteur de ces colonnes; au-dessus il y aura un deuxième piédestal qui, avec sa corniche et sa cymaise, n'aura que la moitié de celui d'en bas; ce piédestal supportera des colonnes d'un quart moins hautes que celles d'en bas; leurs architraves et leurs autres ornements auront la cinquième partie de leur hauteur. Si au-dessus de la scène il doit y avoir un troisième rang de colonnes, leur piédestal n'aura que la moitié de la hauteur du piédestal du milieu, les colonnes seront. d'un quart moins hautes que celles du second rang, et leurs architraves avec leurs corniches auront aussi la cinquième partie de la hauteur de ces colonnes. Il ne faut pas s'imaginer que les mêmes proportions puissent servir pour tous les théâtres, et produire les mêmes effets. C'est à l'architecte d'examiner dans quels rapports il doit suivre ces règles, et comment il pourra les appliquer suivant la nature des lieux et la grandeur de l'édifice. Il est en effet des choses dont l'usage exige la même grandeur dans les petits comme dans les grands théâtres, les degrés, par exemple, les précinctions, les balustrade, les passages, les marches des escaliers et autres choses semblables que leur destination particulière empêche d'assujettir à la proportion générale. On peut encore, lorsqu'on n'a point de pièces de marbre ou de charpente, ou de toute autre matière, de grandeur convenable, retrancher un peu de l'ouvrage ou y ajouter, pourvu qu'on le fasse sans trop de maladresse, avec intelligence. Encore pour cela faut-il un architecte qui joigne l'habileté à l'expérience, le savoir à l'esprit d'invention.

3. La disposition de la scène doit être telle qu'il y ait au milieu une porte avec les ornements d'un palais de roi; à droite et à gauche seront les portes des étrangers, et à côté les espaces destinés aux décorations. Les Grecs appellent cet endroit g-periaktoi, à cause des machines triangulaires qu'on y fait mouvoir. Ces machines ont trois sortes d'ornements qui, à chaque changement de pièces, où lorsque les dieux apparaissent au milieu des coups de tonnerre tournent et font voir sur leurs différentes faces différentes décorations. Auprès de ces espaces le mur fait un angle rentrant avec la grande face de la scène. C'est à ce retour que se trouvent deux entrées ouvrant sur la scène : par l'une on vient de la place publique, par l'autre de la campagne.

4. Il y a trois sortes de scènes : la première qu'on appelle tragique, la seconde comique, la troisième satyrique. Leurs décorations offrent de grandes différences : la scène tragique est décorée de colonnes, de frontons, de statues et d'embellissements magnifiques; la scène comique représente des maisons particulières avec leurs balcons, avec des fenêtres dont la disposition est tout à fait semblable à celle des bâtiments ordinaires; la scène satyrique est ornée d'arbres, de grottes, de montagnes et de tout ce qui compose un paysage.

VIII. Des théâtres des Grecs.

1. Les théâtres des Grecs ne sont point en tout conformes à ceux des Latins. Dans le cercle tracé sur la terre, les Latins décrivent quatre triangles; les Grecs, eux, y figurent trois carrés, dont les douze angles vont toucher la ligne circulaire. Le côté du carré, qui est le plus près de la scène et qui fait une section dans le cercle, détermine le devant du proscenium. Une ligne parallèle à ce côté et tracée à l'extrémité du cercle, constitue le front de la scène. On tire encore une autre ligne qui, passant par le centre de l'orchestre, suit la direction de celle du proscenium; les points où coupant à droite et à gauche la circonférence elle forme deux angles dans chaque hémicycle, deviennent deux centres. En appuyant la pointe d'un compas au centre droit, on trace une ligne courbe, de l'intervalle gauche au côté droit du proscenium. En posant également un compas à l'angle gauche, on trace une autre ligne courbe depuis l'intervalle droit jusqu'au côté gauche du proscenium.

2. Ces trois centres, par leur disposition, donnent à l'orchestre des Grecs plus d'étendue, éloignent la scène et rétrécissent l'avant-scène qu'ils appellent g-logeion; de .sorte que, chez eux, les acteurs tragiques et les comiques jouent sur la scène, tandis que les autres se distribuent dans l'orchestre pour remplir leur rôle. Voilà pourquoi, en grec, les uns sont appelés scéniques, et les autres thyméléens. La hauteur de cette avant-scène ne doit point être de moins de dix pieds ni de plus de douze. Les escaliers qui séparent les amas de degrés, seront alignés au droit des angles des carrés, jusqu'au premier palier; du milieu de ces amas de degrés, on dirigera les escaliers de ceux qui seront au-dessus de ce palier; et plus les paliers se multiplieront, plus les amas de degrés iront en s'élargissant.

3. Après être entré dans ces détails avec soin et exactitude, nous devons maintenant porter toute notre attention sur le choix à faire d'un lieu où la voix puisse régulièrement se développer, sans que rien la repousse, la heurte et l'empêche d'apporter à l'oreille les paroles bien accentuées. Et il est quelques lieux qui s'opposent naturellement aux sons de la voix : tels sont les dissonants, que les Grecs appellent g-katechountes; les circonsonnants, qu'ils nomment g-periechountes; les résonnants, qu'il appellent g-antechountes; les consonnants, qu'ils nomment g-synechountas. Les lieux dissonants sont ceux dans lesquels la première partie de la voix, venant à rencontrer, en s'élevant, des corps solides qui la repoussent, étouffe en retombant l'autre qui la suit. Les circonsonnants sont ceux dans lesquels la voix, gênée dans son développement, se brise en chemin, sans arriver à toute son extension, et s'éteint en ne faisant entendre que des paroles inarticulées. Les résonnants sont ceux dans lesquels la voix, répercutée par un corps solide, rebondit en quelque sorte, et, reproduisant son image, répète les derniers sons à l'oreille. Mais les consonnants sont ceux qui, venant tout d'abord en aide à la voix, l'augmentent à mesure qu'elle monte, et la conduisent jusqu'à l'oreille, claire et distincte. Si donc dans le choix des lieux on apporte une scrupuleuse attention, la voix, ménagée avec prudence, produira dans les théâtres les meilleurs effets. La disposition du plan des théâtres présentera des caractères qui les feront distinguer entre eux; ceux qui seront dessinés avec des carrés appartiendront aux Grecs; ceux qui le seront avec des triangles équilatéraux seront pour les Latins. Celui qui voudra suivre ces préceptes ne laissera rien à désirer dans l'ordonnance des théâtres.

IX. Des portiques qui sont derrière la scène, et des promenoirs.

1. Derrière la scène doivent se trouver des portiques où le peuple, surpris au milieu des jeux par la pluie qui vient les interrompre, puisse se mettre à l'abri hors du théâtre, et des salles assez vastes pour contenir tout l'appareil scénique : tels sont les portiques de Pompée, ceux d'Eumène, à Athènes; tel est le temple de Bacchus, tel l'Odéon que Thémistocle fit bâtir, avec des colonnes de pierre, du côté gauche du théâtre, en sortant, et qu'il couvrit avec les mâts et les antennes des vaisseaux pris sur les Perses; ce temple, brûlé pendant la guerre de Mithridate, fut reconstruit par le roi Ariobarzane : tel est le Strategeum de Smyrne, le portique élevé de chaque côté de la scène sur le stade, à Tralles; en un mot, dans les villes qui ont eu de bons architectes, on voit autour des théâtres des portiques et des promenoirs.

2. Ces portiques me semblent devoir être disposés de manière à être doubles, et à avoir des colonnes doriques à l'extérieur avec les architraves et les ornements qui conviennent à l'ordre dorique. La largeur des portiques doit être telle, à mon avis, qu'il y ait depuis le bas des colonnes extérieures jusqu'à celles du milieu, et depuis celles du milieu jusqu'au mur qui enferme les promenoirs du portique, autant d'espace que les colonnes extérieures ont de hauteur. Quant aux colonnes du milieu, elles doivent être d'un cinquième plus hautes que les colonnes extérieures; elles seront d'ordre ionique ou corinthien.

3. Les proportions de ces colonnes ne seront point les mêmes que celles que nous avons données pour les édifices sacrés. Dans les temples des dieux, elles doivent avoir plus de gravité; dans les portiques et dans les autres édifices, plus de délicatesse. Veut-on des colonnes d'ordre dorique, il faut diviser leur hauteur, y compris le chapiteau, en quinze parties, et prendre une de ces parties pour le module qui servira de mesure générale. Le diamètre du bas de la colonne sera de deux modules, l'entrecolonnement de cinq modules et demi, la hauteur de la colonne, sans le chapiteau, de quatorze modules, la hauteur du chapiteau d'un module, sa largeur de deux modules et un sixième. Les proportions du reste de l'édifice seront pareilles à celles qui ont été déterminées pour les temples, dans le quatrième livre.

4. S'il s'agissait de colonnes ioniques, il faudrait diviser le fût de la colonne, non compris la base et le chapiteau, en huit parties et demie, dont une serait donnée à la grosseur de la colonne, et une demie à la base avec sa plinthe. Les proportions du chapiteau seront celles qui ont été indiquées au troisième livre. S'il est question d'une colonne corinthienne, sa tige et sa base auront les proportions de la colonne ionique; le chapiteau sera tel qu'il a été décrit au quatrième livre. Les piédestaux, dont la continuité est interrompue par des saillies en forme d'escabeaux, seront faits d'après le modèle tracé au troisième livre. Les architraves, les corniches et tous les autres membres seront proportionnés sur les colonnes, d'après les règles établies dans les livres précédents.

5. L'espace qui reste découvert au milieu des portiques me paraît devoir être orné de verdure, parce que lés promenades qui se font dans des lieux découverts produisent un effet très salutaire, d'abord sur les yeux, en ce que de cette verdure émane un air subtil et léger qui, agité par les mouvements du corps, éclaircit la vue, dissipe les humeurs grossières qui s'y forment, et leur donne quelque chose de vif et de perçant. Ensuite le mouvement causé par la promenade échauffe le corps, et l'air, aspirant la moiteur qui couvre les membres, diminue la réplétion, et allège le corps d'un superflu qui lui pèse. Il l est facile de se convaincre de cette vérité, en examinant ces fontaines couvertes, ces eaux qui demeurent sous terre sans en sortir; il ne s'en élève aucune vapeur, tandis que dans les lieux où elles sont exposées au soleil et à l'air, l'astre du jour vient-il à faire sentir sa chaleur à la terre, il y pompe l'humidité qu'il condense et dont il forme les nuages. Or, si l'on peut dire que dans les lieux découverts l'humidité est attirée par l'air hors des corps qu'elle incommode, comme les nuages font voir qu'elle l'est hors de terre, il n'y a peint de doute, à mon avis, qu'il ne soit nécessaire aux villes d'avoir, dans des lieux découverts, des promenades vastes et ornées.

6. Or, pour qu'elles restent toujours sèches et sans boue, voici ce qu'il faudra faire. On les creusera le plus profondément possible, et la terre en sera enlevée; puis, à droite et à gauche, on construira des égouts. Dans les murs élevés du côté de la promenade seront pratiqués de petits tuyaux qui communiqueront avec des canaux descendant des deux côtés des allées. Il faudra ensuite remplir ces canaux de charbon, couvrir les allées de sable et les dresser. Le charbon, à cause de sa porosité naturelle, et les canaux, à cause de leur inclinaison vers les égouts, feront complètement disparaître l'humidité, ce qui entretiendra dans les allées une sécheresse continuelle.

7. Il faut aussi considérer que, dans l'exécution de ces travaux, nos ancêtres ont eu en vue de créer dans les villes des ressources pour des besoins urgents. Dans un siège l'approvisionnement du bois est la chose la plus difficile. Il est aisé de se procurer le sel à l'avance; les greniers publics et particuliers peuvent promptement se remplir de blé, et à son défaut viennent suppléer les herbages, la viande, les légumes. L'eau vient-elle à manquer, on peut creuser des puits, recueillir les pluies d'orage; mais le bois, qui est de toute nécessité pour la cuisine, il est malaisé, difficile de se le procurer, à cause de la lenteur du transport et de la grande consommation qui s'en fait.

8. Dans de semblables circonstances on coupe les arbres des promenades et on en distribue à chaque citoyen sa part, de sorte qu'il résulte de ces promenades découvertes un double avantage : Ils favorisent la santé en temps de paix, et fournissent, pendant la guerre, le bois qui est si nécessaire.

9. Ces raisons font voir combien il serait important pour les villes qu'il y eût des promenades, je ne dis pas seulement derrière la scène des théâtres, mais encore auprès des temples des dieux. 1.

10. Nous sommes entrés, je pense, dans assez de détails sur cette matière; nous allons passer à la description des parties qui composent les bains publics.

X. Des bains; leur disposition et leurs différentes parties.

1. Il faut commencer par choisir un lieu très-chaud, c'est-à-dire un lieu qui ne soit tourné ni vers le nord ni vers le nord-est. Les étuves chaudes et les tièdes auront leurs jours au couchant d'hiver; si la nature du lieu s'y opposait, il faudrait les placer au midi, parce qu'on se baigne de préférence depuis midi jusqu'au soir. Il faut aussi faire en sorte que les étuves des femmes soient contiguës à celles des hommes et aient la même exposition; par ce moyen le même fourneau chauffera l'eau des vases qui seront dans les différents bains. Sur le fourneau seront placés trois vases d'airain, le premier contenant l'eau chaude, le second l'eau tiède, le troisième l'eau froide. Leur disposition doit être telle que du second vase il passe dans le premier autant d'eau que celui-ci en aura perdu, et du troisième dans le second une quantité proportionnée. Le dessous des bains sera chauffé par un fourneau commun.

2. Les planchers suspendus des étuves doivent être faits de la manière suivante : il faut premièrement qu'il y ait un lit formé de carreaux d'un pied et demi, avec un tel degré d'inclinaison vers le fourneau que si l'on y jette une boule, elle puisse ne pas s'arrêter dans l'intérieur, mais retourner vers l'entrée du fourneau. Par ce moyen il sera plus facile à la flamme de se répandre sous le plancher suspendu. Sur cette aire on construira des piles avec des briques de huit pouces, disposées de manière à pouvoir soutenir des carreaux de deux pieds. Ces piles auront deux pieds de hauteur; elles seront maçonnées avec de l'argile pétrie de bourre; au-dessus seront placés ces carreaux de deux pieds sur lesquels portera le pavé. Quant aux voûtes, si elles peuvent être faites de pierres, elles seront meilleures; si elles doivent être en bois de charpente, il serait nécessaire de les plafonner avec des briques. Mais voici comment il faudra s'y prendre : on fera des règles ou des arcs de fer qu'on suspendra à la charpente avec des crochets de même métal; leur disposition devra être telle que les carreaux puissent porter chacun sur deux règles ou sur deux arcs à la fois, sans les déborder; de cette manière, le plafond de toute la voûte étant soutenu par du fer, aura une grande solidité : le dessus de ce plafond sera enduit d'argile mêlée avec de la bourre, et le dessous qui regarde le pavé sera d'abord crépi avec de la chaux et du ciment qu'on recouvrira de stuc ou de quelque autre matière de même espèce. Si ces voûtes étaient doubles dans les étuves, il y aurait plus d'avantage, parce que la vapeur humide, circulant entre deux, ne pourrirait point le bois de la charpente.

3. La grandeur des bains doit être proportionnée au nombre d'hommes qu'ils sont destinés à recevoir. En voici les proportions : la largeur aura un tiers de moins que la longueur, non compris la galerie qui entoure le bassin, ni le corridor. Le bain devra recevoir le jour d'en haut, pour qu'il ne soit point obscurci par l'ombre de ceux qui se tiennent autour. Il faudra donner à cette galerie assez de largeur pour que ceux qui attendent qu'il y ait place dans le bain puissent le faire commodément. Le corridor, qui s'étend entre le muret la balustrade, ne doit pas avoir une largeur moindre de six pieds, sur lesquels deux seront pris pour l'appui et le degré inférieur.

4. L'étuve où l'on sue, appelée laconicum, doit être contiguë à l'étuve tiède; elle aura autant de largeur qu'elle a de hauteur jusqu'au bas de la voûte qui forme un hémisphère; on laissera au milieu de cette voûte une ouverture à laquelle sera suspendu, par des chaînes, un bouclier d'airain qui, haussé ou baissé, donnera le degré de chaleur dont on aura besoin; je pense que ce lieu doit être arrondi, afin que la force de la chaleur et de la vapeur puisse se répandre également au milieu et tout autour de la pièce.

XI. De la construction des palestres; des xystes.

1. Bien que les palestres ne soient pas en usage en Italie, je pense qu'il n'est point inutile d'en donner un plan exact, et de faire voir de quelle manière les Grecs les construisent. Dans les palestres, il faut faire des péristyles carrés ou oblongs dont le circuit destiné à la promenade ait deux stades de longueur : c'est ce que les Grecs appellent g-diaulon. Ces péristyles auront trois portiques simples; le quatrième, qui regarde le midi, sera double, afin qu'en temps d'orage le vent ne puisse pousser la pluie jusqu'au fond.

2. Le long des trois portiques seront distribuées de vastes salles, avec des sièges sur lesquels les philosophes, les rhéteurs et tous ceux qui aiment les lettres pourront discourir. Au double portique on construira différentes salles : au milieu l'ephebeum, endroit spacieux garni de sièges, et dont la longueur sera d'un tiers plus grande que la largeur; à droite le corycée, et tout à côté le conisterium; auprès du conisterium, à l'angle du portique, le bain d'eau froide que les Grecs appellent g-loutron; à gauche de l'ephebeum, l'elaeothesium, auprès duquel se trouve le frigidarium; de là un passage conduit au propnigeum, qui est à l'autre angle du portique. Tout près, en dedans, en face du frigidarium, sera placée l'étuve voûtée où l'on sue; elle doit être deux fois plus longue que large; auprès de l'angle sera le laconicum, disposé comme nous l'avons dit plus haut, et de l'autre côté du laconicum le bain d'eau chaude. Telle doit être dans la palestre la distribution du péristyle.

3. En dehors seront bâtis trois autres portiques, l'un en face de la sortie du péristyle, les deux autres à droite et à gauche : on pourra s'y exercer comme dans le stade. Celui qui regardera le septentrion sera double avec une grande largeur; les deux autres, qui seront simples, auront une disposition telle, qu'aux parties qui seront autour des murs et le long des colonnes on ménagera des rebords en forme de trottoirs qui n'auront pas moins de dix pieds. Le milieu sera creusé; on y descendra par deux degrés, qui auront un pied et demi depuis le haut du trottoir jusqu'au bas; cette partie aura une surface de douze pieds au moins. Par ce moyen, ceux qui se promèneront habillés, sur les trottoirs, ne seront point incommodés par les athlètes qui s'exerceront dans le bas.

4. Ce portique est appelé par les Grecs g-xystos; c'est dans ce lieu couvert que, pendant la mauvaise saison, les athlètes viennent s'exercer. Le long du xyste et du double portique seront tracées des promenades découvertes que les Grecs appellent g-paradromidas, et nous xysta: C'est là que vont s'exercer les athlètes en hiver, quand le beau temps leur permet de sortir du xyste. Telle doit être la disposition des xystes qu'entre les deux portiques il y ait des bois de platanes ou d'autres arbres, au milieu desquels on tracera des allées ornées de sièges en maçonnerie. Derrière le xyste sera un stade formé de manière qu'un grand nombre de personnes puissent voir à l'aise les exercices des athlètes.

5. Telles sont les règles que j'avais à poser pour la disposition des édifices qu'il est nécessaire de construire dans, l'enceinte d'une ville.

XII. Des ports, et des constructions qui doivent se faire dans l'eau.

1. Les ports présentent de grands avantages; je ne dois point les passer sous silence; les moyens d'y mettre les vaisseaux à l'abri de la tempête vont faire le sujet de ce chapitre. Si les ports doivent à la nature une position avantageuse, s'ils sont naturellement bordés de collines, et qu'ils aient des promontoires qui, en avançant, s'arrondissent intérieurement en forme d'amphithéâtre, il sera bien facile de les rendre très commodes, puisqu'il n'y aura plus qu'à les entourer de portiques ou d'arsenaux, qu'à ouvrir des rues qui conduisent des portiques aux marchés, qu'à élever, aux deux coins, des tours qui, à l'aide de machines, puissent soutenir des chaînes passant de l'une à l'autre. Si nous n'avons point de port naturel qui soit en état de défendre les vaisseaux contre la tempête, voici à quels moyens il faudra avoir recours : s'il ne coule dans cet endroit aucune rivière qui fasse obstacle, s'il se trouve d'un côté un mouillage sûr, il faudra construire de l'autre un môle, une levée qui s'avance dans la mer, et forme l'entrée du port. Voici comment il faut faire ces jetées qui doivent se bâtir dans l'eau. On se procurera de cette poussière dont sont formées les plaines qui s'étendent entre Cumes et le promontoire de Minerve, et on en fera dans un bassin un mortier composé de deux parties de poudre contre une de chaux.

2. Dans le lieu destiné à la construction de la jetée, des batardeaux, formés de madriers de chêne, attachés entre eux, seront construits dans la mer, où on les fixera solidement. On remplira ensuite les intervalles avec de fortes planches, après avoir nettoyé et nivelé le fond de l'eau; puis on y entassera des pierres mêlées avec le mortier, dont nous venons de parler, jusqu'à ce qu'on ait comblé l'espace ménagé dans les batardeaux pour la maçonnerie. Mais si la violence des flots, roulant de la pleine mer, vient à rompre les batardeaux, il faudra construire, avec la plus grande solidité possible, un massif contre la terre même ou contre le parapet; la moitié de ce massif sera élevée au niveau du terre-plein; l'autre, qui est la plus rapprochée du rivage, sera en talus.

3. Ensuite, du côté de l'eau et le long du massif, on construira, en forme d'enceinte, un mur d'environ un pied et demi, qui s'élèvera à la hauteur du niveau dont il vient d'être parlé. Le creux du talus sera alors rempli de sable jusqu'au niveau de ce mur et de la surface du massif. Au-dessus de cette esplanade, on bâtira un corps de maçonnerie d'une grandeur déterminée, puis on le laissera sécher, au moins pendant deux mois. On abattra alors les rebords qui soutiennent le sable, et le sable emporté par les flots ne pourra plus soutenir cette masse, qui tombera dans la mer. Par cette opération, renouvelée autant de fois qu'il sera nécessaire, on pourra s'avancer dans les eaux.

4. La pouzzolane se trouve en abondance dans les lieux dont nous avons parlé plus haut. Dans ceux où cet avantage ne se rencontre pas, voici comment on y pourra suppléer : un double rang de madriers réunis par des planches et fortement attachés sera enfoncé dans le lieu choisi, et l'intervalle sera rempli de craie renfermée dans des paniers de jonc de marais. Quand on les aura bien battus pour les affermir, l'endroit circonscrit dans cette enceinte sera vidé et mis à sec à l'aide de limaces, de roues, de tympans, et on y creusera des fondements; si l'on rencontre de la terre, on creusera jusqu'au solide, en desséchant à mesure, et on donnera aux fondements plus de largeur que n'en aura le mur qu'ils doivent porter; la maçonnerie se composera de moellons liés avec de la chaux et du sable.

5. Si le lieu n'est pas ferme, on y enfoncera des pilotis de bois d'aune ou d'olivier, ou de chêne, durcis au feu, et on remplira les intervalles de charbon, comme je l'ai dit pour les fondements des théâtres et des murailles. On élèvera ensuite le mur avec des pierres de taille, dont les plus longues seront mises aux angles, afin que celles du milieu soient plus solidement liées; l'intérieur du mur sera alors rempli de hourdage ou de maçonnerie, afin que dessus on puisse construire une tour.

6. Après ces travaux, on s'occupera des arsenaux, qu'on aura soin de construire de préférence du côté du septentrion : car l'exposition du midi, à cause de la chaleur, engendre la pourriture, nourrit et conserve les tignes, les térédons et toutes les espèces d'insectes nuisibles. Il ne doit point entrer de bois dans la construction de ces édifices, crainte du feu. Quant à leur grandeur, elle ne saurait être déterminée; il suffit qu'elle soit telle que les plus grands vaisseaux puissent y trouver largement place.

7. Après avoir écrit dans ce livre tout ce qui m'a paru utile et nécessaire pour le bon état des villes, en ce qui regarde les édifices publics, dont j'ai donné les proportions et le plan, je vais, dans celui qui suit, traiter des bâtiments particuliers, de l'utilité et de la convenance de leurs parties.

LIVRE SIXIEME

INTRODUCTION.

1. ARISTIPPE, philosophe de l'école de Socrate, ayant été jeté par la tempête sur les côtes de l'île de Rhodes, et ayant aperçu des figures géométriques tracées sur le sable, s'écria, dit-on : « Ayons bon espoir, mes amis! car je vois des indices qui me révèlent qu'il y a ici des hommes. » Il se dirige aussitôt vers la ville de Rhodes, va droit au gymnase, y discute sur quelques matières de philosophie, et est comblé de présents qui le mettent à même, non seulement de s'entretenir lui-même honorablement, mais encore de fournir à ses compagnons de naufrage des vêtements et toutes les choses nécessaires à la vie. Ces hommes eurent le désir de retourner dans leur patrie, et allèrent lui demander ce qu'il voulait faire savoir à sa famille : « Recommandez à mes enfants, leur dit-il, d'acquérir de tels biens que, si dans un voyage ils sont surpris par la tempête, leur bagage puisse échapper avec eux au naufrage. »

2. Les véritables ressources de la vie sont en effet celles auxquelles ni l'injustice de la fortune, ni l'inconstance des événements, ni les malheurs de la guerre, ne peuvent porter atteinte. Théophraste va plus loin. En exhortant les hommes à mettre leurs espérances plutôt dans l'instruction que dans les richesses, il déclare que de tous les mortels le savant seul a la prérogative de n'être point étranger hors de sa patrie, de ne point manquer de personnes qui l'aiment, après avoir perdu ses amis, d'être citoyen dans toutes les villes du monde, de braver et de mépriser les revers de la fortune; il ajoutait que celui qui viendrait à faire fond, moins sur les avantages de la science que sur le bonheur de la fortune, éprouverait avec amertume combien, dans le chemin glissant de la vie, le pied est peu ferme, peu solide.

3. Épicure dit aussi que le sage doit peu à la fortune; que tout pour lui repose sur la grandeur et sur la force de son âme. Tel a été le langage d'un grand nombre de philosophes. Les poètes mêmes, dans les anciennes comédies grecques, ont fait retentir la scène de vers exprimant la même idée : ce sont Eucrate, Chionide, Aristophane, et surtout Alexis. Celui-ci dit que les Athéniens méritent le plus grand éloge de ce que la loi commune à tous les Grecs, qui obligeait les enfants à nourrir leurs père et mère, n'avait chez ce peuple d'application qu'à l'égard des enfants qui en avaient reçu de l'instruction. Et tous ces présents que la fortune fait à l'homme, ne les lui dérobe-t-elle pas le plus souvent, tandis que les sciences, liées, pour ainsi dire, à notre existence, loin de jamais nous-faire défaut, demeurent nos compagnes fidèles jusqu'au dernier instant de notre vie.

4. Aussi quelles actions de grâces n'ai-je pas à rendre aux auteurs de mes jours, qui, comprenant toute la justice de la loi athénienne, ont pris soin de me faire instruire dans un art qui ne peut avoir d'importance qu'autant qu'il renferme, comme dans un cercle, et la connaissance de la littérature, et celle des autres sciences. Grâce à la sollicitude de mes parents et à l'enseignement de mes maîtres, j'ai acquis de nombreuses connaissances, et c'est au goût que j'ai pour les belles-lettres et pour les arts, aussi bien qu'au plaisir que je puise dans la lecture des bons ouvrages, que je dois l'avantage d'avoir enrichi mon âme d'un bien dont la possession m'a fait comprendre que le trop n'est pas nécessaire, et que la véritable richesse est celle qui ne laisse rien à désirer. Je sais qu'il y a des personnes qui, faisant bon marché de cette philosophie, ne voient de sagesse que là où il y a beaucoup d'argent. Aussi la plupart des hommes ne tendant qu'à ce but, arrivent, à force d'audace, à acquérir réputation et richesse tout à la fois.

5. Pour moi, ô César, ce n'est point en vue d'amasser des richesses que je me suis livré à l'étude de l'architecture : pauvreté et bonne réputation valent mieux, à mon avis, que richesse et mauvais renom. Aussi je suis peu connu; mais j'espère que la publication de mon ouvrage apprendra mon nom, même à la postérité. Et faut-il s'étonner que je sois resté inconnu au plus grand nombre! Les autres architectes n'épargnent ni prières ni instances pour se produire. Pour moi, j'ai appris de mes maîtres qu'un architecte doit attendre qu'on vienne le prier de se charger d'un travail, et qu'il ne peut, sans rougir, faire une demande qui l'expose à d'injurieux soupçons : car ce n'est pas de la bouche de celui qui rend un service, mais bien de celle de la personne qui le reçoit, que doit venir la prière. Quelle ne devrait pas être la défiance de celui à qui l'on demanderait une partie de son bien pour que l'emploi en fût confié au bon plaisir d'un demandeur? Ne penserait-il pas qu'on veut s'enrichir à son préjudice ?

6. Voilà pourquoi nos ancêtres n'employaient un architecte qu'après s'être assurés de l'honnêteté de sa naissance, de la bonté de son éducation. C'était à l'homme simple et modeste, et non à celui qui n'a en partage que présomption et effronterie, que s'adressait leur confiance. Les architectes n'instruisaient alors que leurs enfants et leurs parents, et ils en faisaient des hommes de bien, à la fidélité desquels on pût sans inquiétude confier des sommes importantes. Aussi quand je vois des gens sans instruction, sans expérience, exercer une science aussi noble, des gens complètement étrangers, je ne dirai pas aux connaissances nécessaires à l'architecte, mais même à celles qu'on exige du maçon, je ne puis qu'approuver ces pères de famille qui, forts d'ailleurs de leurs connaissances littéraires, pensent que, si tant est qu'ils doivent confier leurs travaux à des manoeuvres, il vaut mieux qu'ils en prennent eux-mêmes la direction, libres d'employer, comme ils l'entendent, les sommes qu'ils aventureraient.

7. Si l'on ne voit personne essayer de se mêler chez soi de la besogne facile du cordonnier, du foulon, ou de tout autre artisan de même sorte il n'en est pas de même de l'architecte; pourquoi? parce que ce n'est véritablement pas à leur talent que ceux qui font profession d'être architectes, doivent le nom qu'ils usurpent. Voilà les raisons qui m'ont porté à renfermer avec le plus grand soin, en un seul corps, tout ce qui a rapport à l'architecture, dans la pensée que cet ouvrage pourrait être accueilli avec plaisir; et comme, dans le cinquième livre, j'ai traité des règles particulières aux édifices publics, je vais dans celui-ci donner le plan et les proportions des maisons particulières.

I De la disposition des maisons appropriées aux localités.

1. La disposition d'une maison aura été avantageusement choisie, si, pour la bâtir, on a eu égard au pays et au climat. Qui ne voit, en effet, qu'une maison doit être différemment construite en Égypte qu'en Espagne, autrement dans le royaume de Pont qu'à Rome; que tel pays, tel climat exige une ordonnance particulière, parce qu'ici la terre est rapprochée de la ligne que parcourt le soleil, que là elle s'en trouve à une grande distance, qu'ailleurs elle tient le milieu entre ces deux extrémités. L'aspect du ciel, par rapport à l'étendue, de la terre, fait naturellement sentir à notre globe une influence différente, selon l'inclinaison du zodiaque, et le cours du soleil; il en résulte que l'emplacement des maisons doit être approprié à la nature des lieux et à la différence des climats.

2. Dans les pays septentrionaux, les maisons doivent être voûtées, parfaitement closes, avec de petites ouvertures, et tournées vers les parties où règne la chaleur. Au contraire, dans les régions méridionales qui sont exposées à l'action brûlante du soleil, elles doivent avoir de vastes ouvertures, et être tournées vers le septentrion et l'aquilon. Ainsi ce que la nature présente d'incommode, pourra être corrigé par l'art; et dans tous les pays, il faudra choisir une exposition accommodée à l'exposition du ciel, eu égard à l'élévation du pôle.

3. Il y a là des remarques, des observations, une étude à faire sur la nature des choses, et sur l'organisation des hommes. En effet, aux lieux où le soleil verse une chaleur modérée, les corps conservent dans une juste proportion les éléments qui les composent; mais ceux que, dans sa course plus rapprochée, il brûle, il consume, perdent leur humidité, ce qui en rompt l'équilibre. Dans les régions froides, au contraire, le grand éloignement du soleil empêche que l'humidité ne soit épuisée par la chaleur; bien plus, l'air chargé de rosée, remplissant les corps d'humidité, leur donne plus d'ampleur, et rend le son de la voix plus grave. Voilà aussi pourquoi les régions septentrionales voient naître des peuples à la taille colossale, au teint blanc, à la chevelure plate et rousse, à l'oeil pers, au tempérament sanguin, soumis qu'ils sont à l'influence d'un ciel froid et humide.

4. Quant à ceux qui sont voisins de la ligne équinoxiale, et qui reçoivent perpendiculairement les rayons du soleil, ils ont la taille plus petite, la peau basanée, les cheveux crépus, les yeux noirs, les jambes faibles, et peu de sang dans les veines à cause de l'ardeur du soleil. Aussi cette disette de sang leur fait-elle appréhender toute espèce de blessure; mais ils supportent sans crainte les chaleurs et les fièvres, parce que leurs corps y sont accoutumés. Les corps, au contraire, qui naissent au septentrion, craignent la fièvre, qui les affaiblit; mais l'abondance du sang leur ôte la crainte que pourrait leur donner une blessure.

5. Il n'y a pas moins de différence, de diversité dans le son de la voix des différents peuples de la terre, selon l'inclinaison de la ligne qui, bornant à l'orient et à l'occident la vue tout autour du globe, qu'elle divise en deux hémisphères, l'un supérieur, l'autre inférieur, semble former un cercle naturel que les mathématiciens appellent horizon. Une fois cette vérité reconnue, supposons que du bord de l'horizon, qui est vers le septentrion, on tire une ligne jusqu'au centre de l'axe du méridien, et que de ce point on trace obliquement une autre ligne qui s'élève jusqu'au pôle qui est derrière la constellation de l'Ourse, nul doute que ces lignes ne forment sur le globe une figure triangulaire semblable à l'instrument appelé par les Grecs sambyce.

6. Il suit de là que les peuples qui habitent l'espace le plus rapproché de la partie inférieure du triangle, c'est-à-dire sous l'équateur, ont, à cause du peu d'élévation du pôle, un son de voix plus grêle, plus aigu, comme les cordes qui, dans l'instrument, sont les plus voisines de l'angle. En suivant la progression, les peuples qui habitent le milieu de la Grèce, ont dans le son de la voix moins d'élévation; et si, partant de ce point, nous nous étendons, en parcourant la ligne, jusqu'aux extrémités septentrionales, à la partie la plus élevée du pôle, nous trouverons les nations faisant entendre naturellement des sons de voix plus graves. Il semble que le monde ait été, suivant son inclinaison, formé dans une proportion harmonique parfaitement en rapport avec la température que donne le soleil.

7. Les nations qui habitent le milieu entre l'équateur et le pôle ont, en parlant, un son de voix semblable aux tons qui occupent le milieu dans le diagramme. Celles qui avancent vers le septentrion, parce que le pôle est plus élevé pour elles, et que l'humidité remplit les conduits de la voix, font entendre naturellement et nécessairement des sons plus graves, comme l'hypate et la proslambanomenos. Voilà pourquoi aussi les peuples qui s'étendent de la région moyenne vers le midi ont, dans la voix, le timbre grêle et aigu des paranetes et des netes.

8. Cette vérité, que les lieux naturellement humides grossissent la voix, et que ceux qui sont chauds la rendent plus aiguë, peut se démontrer par cette expérience. Si l'on prend deux godets de terre, cuits ensemble dans le même fourneau, ayant même poids et même son, que l'on plonge l'un des deux dans l'eau, et qu'après l'en avoir retiré, on vienne à les frapper tous deux, on trouvera une grande différence dans les sons qu'ils rendront, aussi bien que dans leur poids. Il en est de même des corps des hommes : bien que formés de la même manière, et composés des mêmes éléments, les uns doivent à la chaleur du climat les sons aigus que leur voix fait entendre, les autres rendent des sons dont la qualité grave est le résultat d'une humidité abondante.

9. C'est encore à la subtilité de l'air, à la chaleur du climat, que les peuples méridionaux sont redevables de cette activité dans la conception de leurs projets. Les septentrionaux, au contraire, assoupis par la densité de l'air, refroidis par l'humidité de l'atmosphère, ont de l'engourdissement dans l'esprit. C'est une vérité dont les serpents pourront nous donner une preuve : lorsque la chaleur a épuisé l'humidité froide qui est dans leur corps, ils sont d'une agilité extraordinaire; l'hiver revient-il avec ses rigueurs, ses frimas, ce changement de température les refroidit, les engourdit, les rend immobiles. Il ne faut donc pas s'étonner que la chaleur donne de la vivacité à l'esprit de l'homme; le froid, au contraire, de la pesanteur.

10. Mais ces nations méridionales avec toute leur pénétration, leur subtilité, s'il vient à être question de faire acte de valeur, se trouvent sans énergie : le soleil, par sa chaleur, les énerve et leur ôte la force du courage ; tandis que celles qui naissent dans les pays froids ont plus d'assurance au milieu des horreurs de la guerre, et y déploient une valeur à toute épreuve; mais la pesanteur de leur esprit, le défaut de réflexion, le manque d'habileté sont les plus grands obstacles à l'exécution de leurs desseins. S'il est entré dans le plan de la nature de mettre entre toutes les nations des différences aussi marquées, elle a aussi voulu que le peuple romain occupât sur la terre l'espace intermédiaire qui participait à l'influence de ces divers climats.

11. C'est en effet le mélange de vigueur corporelle et de force d'âme qui fait le caractère des peuples d'Italie. La planète de Jupiter doit sa nature tempérée à sa position entre la chaleur immodérée de Mars et le froid excessif de Saturne; on peut dire, par la même raison, que c'est à la situation de l'Italie, entre le septentrion et le midi, qu'on doit attribuer la supériorité incontestable de ses qualités. Par sa valeur elle triomphe de la force des barbares, comme par sa prudence elle déjoue les projets des méridionaux. Il semble que les dieux n'aient placé la ville du peuple romain dans une région aussi belle et aussi tempérée que pour établir son empire sur toute la terre.

12. S'il est vrai que les pays, si diversement modifiés par les climats, soient appropriés à la nature différente des nations qui les habitent, et que les peuples y naissent avec de si grandes disparités, tant du côté de l'esprit que de celui du corps, ne doutons point que la disposition des maisons ne doive également être assortie au tempérament de chaque peuple, puisque la nature nous ouvre elle-même, d'une manière aussi simple qu'ingénieuse, la voie que nous devons suivre.

13. J'ai expliqué, avec toute l'exactitude qu'il m'a été possible d'y apporter, les propriétés que la nature a départies à chaque lieu; j'ai dit comment il fallait disposer les édifices suivant le cours du soleil, et l'inclinaison du ciel, suivant la nature des peuples; je vais maintenant donner en peu de mots les proportions générales et particulières de chaque espèce d'édifice.

II. Des proportions et des mesures que doivent avoir les édifices des particuliers, suivant la nature des lieux.

1. Le premier soin de l'architecte doit être de prendre une mesure déterminée pour régler les proportions de l'édifice dans son ensemble. Une fois ces proportions bien établies, une fois toutes les mesures parfaitement prises sur le plan, ce sera alors faire preuve de talent, que de savoir, selon que la nature du lieu, l'usage et la beauté le demandent, retrancher ou ajouter pour faire des amendements, sans que les corrections paraissent faire perdre à la symétrie rien de sa régularité, rien de ce qui plaît à la vue.

2. Tel objet placé sous la main est vu d'une tout autre manière, quand il est élevé; tel autre se trouve dans un lieu enfermé, qui est tout différent lorsqu'il est à découvert. C'est dans la combinaison des moyens à prendre dans ces circonstances, que le jugement se fait remarquer. L'oeil ne calcule pas toujours avec exactitude; souvent il nous induit en erreur par ses appréciations. Dans un tableau, les colonnes semblent se détacher sur le fond, les mutules être en saillie, les statues s'avancer hors de la toile que nous savons pourtant avoir une surface plane. Les rames d'un vaisseau, bien que droites sous l'eau, nous paraissent néanmoins rompues, et tant que leurs parties ne font qu'effleurer la superficie de l'eau, elles apparaissent telles qu'elles sont droites ; mais elles ne sont pas plutôt plongées dans l'eau que, à cause de la rareté transparente de l'élément qui laisse passer jusqu'à sa surface l'image que le corps des rames y envoie, et qui vient s'y refléter, elles produisent à l'oeil l'effet de rames brisées.

3. Or, que ce soient les objets qui renvoient leur image ou qui reçoivent, comme le veulent les physiciens, les rayons qui partent de nos yeux, il n'en est pas moins vrai, dans l'un et l'autre cas, que nos yeux portent des jugements erronés.

4. Puis donc que ce qui est vrai semble ne pas l'être, et que certaines choses sont reconnues pour n'être pas ce que l'oeil les a jugées, je ne crois pas qu'on doive douter qu'il ne soit nécessaire d'ajouter ou de retrancher, selon que l'exige la nature des lieux, sans toutefois que les changements laissent rien à désirer; mais pour réussir en cela, il faut avoir autant de pénétration que de science.

5. Le premier point sera donc d'établir une règle de proportion à laquelle on puisse faire d'une manière précise les changements nécessaires ; le second, de tracer le plan du bâtiment que l'on veut faire, en y joignant celui de la localité, avec la longueur et la largeur : une fois les dimensions bien prises, on y conformera les proportions et la convenance, afin qu'au premier aspect on en saisisse facilement l'eurythmie. C'est de cet accord symétrique, et des moyens d'y parvenir, que je vais parler maintenant. Je commencerai par expliquer comment doivent être faites les cours des maisons.

III. Des cavaedium, ou atrium, et de leurs ailes; du cabinet d'étude et du péristyle; des salles à manger, des salons, des exèdres; des galeries du tableaux, et de leurs dimensions; des salons à la manière des Grecs.

1. Les cavædium sont de cinq espèces. Leur disposition les a fait appeler toscans, corinthiens, tétrastyles, découverts et voûtés. Les toscans sont ceux où il y a deux poutres qui, s'étendant dans la largeur de la cour, soutiennent les poutres de traverse, et les conduits des noues qui sont entre les angles des murs et les croix que font les poutres; outre cela, les pièces de bois qui soutiennent le toit, disposé en pente pour l'écoulement des eaux, inclinent vers le compluvium. Les cavaedium corinthiens ont aussi des poutres et un compluvium disposés de la même manière ; seulement ces poutres s'éloignent davantage des murs et portent sur des colonnes dans le pourtour de la cour. Les tétrastyles sont ceux où quatre colonnes, placées aux angles formés par les poutres, soutiennent ces poutres et les affermissent, parce qu'il n'est pas nécessaire qu'elles aient une grande longueur, et qu'elles n'ont point à supporter la charge des traverses.

2. Les cavædium découverts sont ceux où les royaux qui soutiennent le chéneau renvoient l'eau de pluie par derrière. La disposition de ces cours est très avantageuse, en ce que, pendant l'hiver, le compluvium, étant tout droit, n'empêche point la lumière de pénétrer dans les appartements; mais ce qu'il y a de très désagréable, ce sont les réparations qu'elles exigent; les eaux qui coulent en abondance de dessus les toits, ont bientôt rempli les tuyaux de descente qui ne leur ouvrent point un passage assez libre au moment où elles sortent des chéneaux; elles grossissent, elles regorgent, et elles altèrent la menuiserie des croisées, et les murs de ces sortes d'édifices. Les cavædium voûtés se font où il y a peu d'espace, et ce moyen permet de rendre plus spacieux les appartements des étages qu'elles supportent.

3. La longueur et la largeur des cavædium en forment trois genres différents. Le premier, c'est quand, ayant divisé la longueur en cinq parties, on en donne trois à la largeur; le second, lorsque, l'ayant divisée en trois parties, deux sont consacrées à la largeur; le troisième, quand, ayant tracé un carré équilatéral, et tiré dans ce carré une ligne diagonale, on prend cette diagonale pour en faire la longueur.

4. La hauteur, jusqu'au-dessous des poutres, doit être égale à la longueur, moins une quatrième partie. La profondeur des plafonds aura, au-dessus des poutres, une proportion convenable. La largeur des deux galeries, qui se développent à droite et à gauche, doit être du tiers de la longueur de la cour, si elle est de trente à quarante pieds; si sa longueur est de quarante à cinquante pieds, elle sera divisée en trois parties et demie, dont une sera donnée à la largeur de la galerie; si elle est de cinquante à soixante pieds, les galeries auront la quatrième partie; si elle est de soixante à quatre-vingts pieds, on la divisera en quatre parties et demie, dont une sera pour la largeur des galeries. Enfin, si elle est de quatre -vingts à cent pieds, la cinquième partie de cette longueur donnera justement la largeur des galeries. Les architraves de ces galeries seront placées assez haut pour que la hauteur réponde à la largeur.

5. Le cabinet d'étude aura les deux tiers de la largeur de la cour, si elle est de vingt pieds. Si elle est de trente à quarante, on ne lui en donnera que la moitié; si elle est de quarante à soixante, on divisera cette largeur en cinq parties, dont deux seront données au cabinet d'étude. Les petits atrium et les grands ne peuvent avoir les mêmes proportions: car si les proportions des petits sont suivies pour les grands, les cabinets d'étude, aussi bien que les galeries, ne pourront être d'aucune utilité; et si, au contraire, on se sert des proportions des grands atrium pour les petits, ces parties seront trop vastes. Voilà pourquoi, en général, il faut, pour déterminer les proportions qu'ils doivent avoir, consulter l'usage auquel on les destine, et l'effet qu'elles produiront à la vue.

6. La hauteur du cabinet d'étude, jusqu'au-dessous des poutres, doit être égale à sa largeur, plus une huitième partie. La profondeur du plafond ajoutera à cette hauteur la sixième partie de la largeur. L'entrée des plus petites cours sera des deux tiers de la largeur du cabinet d'étude, et celle des plus grandes de la moitié de cette largeur. La hauteur des images avec leurs ornements, sera proportionnée à la largeur des galeries. Pour la largeur et la hauteur des portes, on suivra les proportions doriques, si elles doivent être doriques, et les proportions ioniques, si elles doivent être ioniques. On se conformera aux proportions qui ont été établies à cet égard au quatrième livre. L'ouverture du compluvium ne peut avoir ni moins du quart, ni plus du tiers de la largeur de l'atrium; quant à sa longueur, elle sera proportionnée à celle de l'atrium.

7. La longueur des péristyles doit avoir en travers un tiers de plus qu'en profondeur. Les colonnes seront aussi hautes que le portique sera large. Les entre-colonnements ne comprendront ni moins de trois diamètres de colonne, ni plus de quatre. Si toutefois les colonnes du péristyle doivent être d'ordre dorique, il sera nécessaire de recourir aux mesures dont j'ai parlé au quatrième livre, à propos de l'ordre dorique, pour en régler les proportions aussi bien que celles des triglyphes.

8. Les salles à manger doivent être deux fois aussi longues que larges. La hauteur de tous les appartements qui sont oblongs, sera déterminée de cette manière : on en réunira la longueur à la largeur, et du tout on prendra la moitié : cette moitié sera la mesure qu'on lui donnera. Si les salons et les exèdres sont carrés, on ajoutera la moitié de la largeur pour en avoir la hauteur. Les galeries de tableaux, comme les exèdres, seront établies sur une plus grande échelle. Les salons corinthiens, et les tétrastyles, et ceux qu'on appelle égyptiens, auront en longueur et en largeur les proportions qui viennent d'être prescrites pour les salles à manger; mais l'emplacement des colonnes exige un espace plus étendu.

9. Les salons corinthiens et les salons égyptiens offriront pourtant cette différence, que les corinthiens ont des colonnes du même ordre, avec ou sans piédestal, et soutiennent des architraves et des corniches en menuiserie ou en stuc. De plus, au-dessus de sa corniche, s'arrondit le plafond en voûte surbaissée, tandis que les salons égyptiens ont les architraves sur les colonnes, et des planchers qui vont des architraves jusqu'aux murs qui sont alentour. Le dessus de ce plancher est pavé et forme une galerie découverte qui tourne tout autour. Sur l'architrave, au droit des colonnes d'en bas, on en élève de nouvelles d'un quart plus petites. Elles sont surmontées de leurs architraves et des autres parties de l'entablement sur lesquelles posent les ornements du plafond. Entre les colonnes d'en haut sont placées les fenêtres; ce qui les fait ressembler aux basiliques, bien plus qu'aux salles à manger corinthiennes.

10. On fait encore des salons dont le style n'appartient point à l'Italie : les Grecs les appellent cyzicènes. Ils sont tournés vers le septentrion, et ont vue le plus souvent sur des jardins. Leurs portes sont au milieu. Ils doivent être assez longs et assez larges pour contenir deux tables à trois lits, mises en regard l'une de l'autre, avec l'espace exigé pour la commodité du service. Ils ont à droite et à gauche des fenêtres qui ouvrent jusqu'au bas comme des portes, afin que de dessus les lits on puisse facilement voir les jardins. Leur hauteur répond à la largeur, plus la moitié de cette largeur.

11. Pour ces sortes d'édifices, on ne peut guère adopter de proportions que celles que comporte la nature du lieu. Il est facile d'avoir des jours, si la hauteur des murs voisins ne vient pas intercepter la lumière; s'il y avait obstacle à cause du peu d'espace ou de toute autre raison, c'est alors qu'il faudrait user de son adresse et de son talent pour diminuer ou augmenter les proportions de manière à exécuter de belles choses qui ne fussent point contraires aux véritables proportions.

IV. Vers quelle partie du ciel doit être tournée chaque espèce d'édifices, pour qu'ils soient commodes et sains.

1. Je vais maintenant expliquer vers quelles parties du ciel doivent être tournés les divers genres d'édifices, suivant l'usage auquel ils sont destinés. Les salles à manger d'hiver et les bains auront vue sur le couchant d'hiver, parce qu'on a besoin de la lumière du soir, et encore parce que le soleil couchant, en envoyant en face sa lumière, répand vers le soir une douce chaleur dans les appartements. Les chambres à coucher et les bibliothèques seront tournées vers l'orient; leur usage demande la lumière du matin; et de plus les livres ne pourrissent point dans ces bibliothèques, tandis que dans celles qui sont exposées au midi et au couchant, les teignes et l'humidité gâtent les livres, parce que les vents humides font naître et nourrissent ces insectes, et altèrent les livres en les faisant moisir.

2. Les salles à manger dont on se sert au printemps et pendant l'automne, doivent être tournées vers l'orient: car, à l'aide d'un rideau placé devant les fenêtres, on éloigne les rayons du soleil, dont la marche rapide vers l'occident y laisse bientôt une douce température pour le temps où l'on a particulièrement besoin de s'en servir. Les salles d'été regarderont le septentrion, parce que cette exposition ne ressemble point aux autres que les chaleurs du solstice rendent insupportables; opposée au cours du soleil, toujours fraîche, elle offre à la fois salubrité et agrément. Cette exposition ne convient pas moins pour les galeries de tableaux, et les ateliers de broderie et de peinture, parce que le jour, qui y est toujours égal, ne fait rien perdre aux couleurs de leur éclat.

V. Des édifices considérés sous le rapport de leur disposition particulière, relativement à la qualité des personnes qui doivent les habiter.

1. Après avoir ainsi orienté une maison, il faudra s'occuper de la manière d'en distribuer les différentes parties, selon qu'elles seront destinées au père de famille, ou aux étrangers. Ce n'est, en effet, que sur une invitation qu'on peut entrer dans les appartements particuliers, tels que chambres à coucher, salles à manger, bains et autres pièces également consacrées à des usages particuliers. Mais il est d'autres parties dans lesquelles le public a le droit d'entrer sans être invité : ce sont les vestibules, les cavædium, les péristyles et autres endroits destinés à des usages communs. Or, les personnes d'une condition ordinaire n'ont besoin ni de magnifiques vestibules, ni de cabinets de travail, ni de cours spacieuses, parce qu'elles vont ordinairement présenter leurs hommages aux autres, sans qu'on vienne en faire autant chez elles.

2. Ceux qui font trafic des biens de la terre, doivent avoir à l'entrée de leur maison des étables, des boutiques, et, dans l'intérieur, des caves, des greniers, des celliers et autres pièces qui servent plus à la conservation des fruits qu'à la beauté et à l'agrément de la maison. Aux gens d'affaires et aux financiers, il faut des demeures plus commodes et plus belles, et qui soient à l'abri des voleurs. Il en faut encore de plus élégantes et de plus grandes aux avocats et aux gens de lettres, qui ont à recevoir beaucoup de monde. La noblesse, enfin, qui occupe les grandes charges de la magistrature et de l'État, devant donner audience au public, doit avoir de magnifiques vestibules, de vastes cours, des péristyles spacieux, des jardins ombragés, de larges promenades; tout doit être beau et majestueux; ajoutez à cela des bibliothèques, des galeries de tableaux, des basiliques dont la magnificence égale celle des édifices publics, parce que chez eux les affaires publiques se traitent souvent en conseil, et que les différends des particuliers y sont réglés par sentence du juge et par arbitrage.

3. Si la disposition des édifices a été de cette manière appropriée aux différentes conditions des personnes, les principes posés dans le premier livre, au sujet de la bienséance, auront été parfaitement observés, et les parties de chaque maison seront commodes et correctes. Telles sont les règles dont l'application importe, non seulement aux constructions de la ville, mais encore à celles de la campagne, avec cette différence pourtant qu'à la ville la cour vient immédiatement après la porte, et qu'à la campagne les péristyles touchent à l'habitation du maître, et que les cours sont entourées de portiques pavés qui ont vue sur les palestres et les promenades.

4. Je viens, autant qu'il m'a été possible de le faire sommairement, de donner, comme je l'avais promis, la manière de disposer les maisons de la ville ; je vais dire comment il faut s'y prendre pour rendre celles de la campagne commodes et propres aux usages auxquels elles sont destinées.

VI. De la disposition des maisons à la campagne.

1. Il faut d'abord s'occuper de la salubrité, comme nous l'avons prescrit dans le premier livre au sujet des fondements des murs, et pour cela, examiner les différentes expositions, et donner la meilleure à la maison. Sa grandeur doit être proportionnée à l'étendue de la terre, à la quantité des produits ; le nombre et la grandeur des basses-cours seront déterminés par la quantité des bestiaux et le nombre des charrues. La cuisine sera placée dans l'endroit le plus chaud de la cour, et les étables à boeufs y attenant auront leurs crèches tournées vers la cheminée et le soleil levant; les boeufs, à la vue du feu et de la lumière, ne deviennent point hérissés. Aussi les laboureurs expérimentés pensent-ils que les étables à boeufs ne doivent être exposées qu'au soleil levant.

2. Leur largeur ne doit pas avoir moins de dix pieds ni plus de quinze; quant à leur longueur, elle devra être dans la proportion de sept pieds au moins pour chaque paire de boeufs. Que la salle de bains soit aussi contiguë à la cuisine; le service qu'exigent les bains à la campagne sera plus facile. Il faudra encore que le pressoir soit tout auprès de la cuisine : cette proximité rendra plus aisée la préparation des olives; viendra ensuite le cellier dont les fenêtres tireront le jour du septentrion : car si elles étaient exposées de manière à laisser pénétrer la chaleur du soleil, le vin qu'il contiendrait tournerait et perdrait de sa force.

3. L'endroit où l'on serre les huiles doit, au contraire, avoir ses jours ouverts du côté du soleil du midi : car la gelée leur est nuisible, au lieu qu'une douce chaleur conserve leur qualité. La grandeur des celliers doit être proportionnée à la quantité des fruits, et au nombre des tonneaux, qui, s'ils sont de la plus grande mesure, doivent occuper par le milieu une place de quatre pieds. Quant au pressoir, si la machine, au lieu d'être à vis, est à leviers et à arbre, il n'aura pas moins de quarante pieds de longueur, ce qui permettra de faire jouer librement le levier. Sa largeur ne sera pas moindre que seize pieds. Par là les ouvriers auront tous leurs mouvements libres et faciles. Mais si l'on a besoin de deux machines, il faudra donner au pressoir vingt-quatre pieds de largeur.

4. Les étables à brebis et à chèvres doivent être assez grandes pour que chaque bête puisse avoir quatre pieds et demi de place au moins, et six au plus. Les greniers seront élevés et tournés vers le septentrion ou vers l'aquilon; ces précautions empêcheront le grain de s'échauffer, et la fraîcheur du vent les conservera longtemps. Les autres expositions engendrent les charançons et tous ces insectes qui rongent ordinairement le blé. Il faut que les écuries soient bâties tout auprès de la maison, dans l'endroit le plus chaud, pourvu toutefois qu'elles ne soient pas tournées vers la cheminée, car les chevaux qui se trouvent placés dans le voisinage du feu perdent le poli de leur poil.

5. Il n'est point non plus inutile que des crèches soient placées en dehors de la cuisine, à découvert, du côté de l'orient; en hiver, lorsque par un beau temps, les boeufs y sont menés, ils prennent leur nourriture au soleil du matin, et deviennent plus beaux. Les granges, les greniers à foin et à blé, le moulin doivent être construits à une certaine distance de la maison, pour qu'elle n'ait rien à craindre du feu. Si l'on veut ajouter quelque ornement à la maison, les proportions qui ont été données ci-dessus pour les édifices de la ville, pourront être suivies, pourvu qu'il n'en résulte aucun embarras pour le service de la ferme.

6. Tous les édifices doivent être parfaitement éclairés; le point est important. C'est une chose facile à la campagne, où les murailles d'un voisin ne peuvent venir s'opposer au jour; à la ville, au contraire, la hauteur d'un mur mitoyen, le rapprochement des maisons répandent de l'obscurité. Pour voir si l'on aura assez de jour, il faut faire l'expérience suivante : du côté où l'on voudra prendre le jour, on tendra une corde depuis le haut du mur qui peut faire obstacle au jour, jusqu'à l'endroit où il doit être reçu; et si de cette corde, en regardant en haut, on peut découvrir une vaste étendue du ciel, la lumière arrivera dans le lieu sans empêchement.

7. Si le jour était arrêté par une poutre, un linteau, un plancher, il faudrait faire des ouvertures au-dessus des obstacles qu'il rencontre, et l'introduire par là; en un mot, il faut s'y prendre de manière que partout où le ciel pourra être vu à découvert, il y ait place pour des fenêtres : c'est ainsi qu'on aura des maisons bien éclairées. Les chambres et les salles à manger exigent beaucoup de jour; mais c'est surtout aux passages, aux escaliers en limaçon et aux droits qu'il faut en donner, parce que souvent il arrive que des personnes s'y rencontrent venant les unes d'un côté, les autres de l'autre, et s'y croisent avec des fardeaux qu'elles portent.

8. Je viens d'expliquer la manière de distribuer les maisons en Italie, assez clairement, je pense, pour que les constructeurs n'y trouvent rien d'obscur. Je vais dire sommairement comment les Grecs ont l'habitude de disposer leurs maisons, afin qu'on ne l'ignore pas.

VII. De la disposition des édifices grecs, et des parties qui les composent.

1. Les cours ne sont point en usage chez les Grecs, aussi n'en bâtissent-ils point; mais de la porte d'entrée on pénètre dans un corridor assez étroit, ayant d'un côté les écuries, de l'autre la loge du portier, et terminé par une porte intérieure. Ce passage, ainsi placé entre deux portes, s'appelle en grec g-thyrohreion. De là on entre dans le péristyle. Ce péristyle a des portiques de trois côtés; à celui qui regarde le midi, il y a deux antes, placés à une grande distance l'un de l'autre, qui soutiennent un poitrail; l'espace compris entre les deux antes, moins un tiers, donne la profondeur de ce lieu, que quelques-uns appellent g-prostas et d'autres g-parastas.

2. C'est là que sont placées intérieurement de grandes salles où les mères de famille vont s'asseoir au milieu des femmes qui apprêtent les laines. À droite et à gauche du prostadium se trouvent des chambres, dont l'une s'appelle thalamus, l'autre antithalamus. Autour des portiques sont les salles à manger ordinaires, les chambres à coucher, le logement des domestiques. Cette partie de la maison s'appelle gynécée.

3. À ce bâtiment s'en joint un autre plus vaste, ayant de plus larges péristyles, dont les quatre portiques sont de hauteur égale, ou dont l'un, celui qui regarde le midi, est soutenu par des colonnes plus hautes. Ce péristyle, dont le portique est plus élevé, se nomme rhodien. Il y a de ce côté de magnifiques vestibules, des portes particulièrement belles. Les portiques des péristyles sont ornés de stuc, de peintures et de lambris en menuiserie. Le long du, portique qui regarde le septentrion, sont placées les salles à manger, nommées cyzicènes, et les cabinets de tableaux; celui qui regarde l'orient contient la bibliothèque; celui de l'occident renferme les salles de conférence; on voit au portique du midi les grandes salles carrés assez vastes et assez spacieuses pour pouvoir contenir sans difficulté quatre tables à trois lits, avec l'espace nécessaire pour le service et pour les jeux.

4. Ces salles sont réservées aux festins des hommes; il n'est point d'usage chez eux d'admettre à leur table les mères de famille. Ces péristyles s'appellent andronitides, parce que les hommes n'y sont point importunés par les femmes. Il y a encore à droite et à gauche de petits appartements avec des portes particulières, des salles à manger et des chambres commodes, destinées à recevoir les étrangers qu'on ne met point dans les appartements qui ont des péristyles. Les Grecs, si délicats et si somptueux, faisaient préparer, à l'arrivée de leurs hôtes, des salles à manger, des chambres à coucher, un office bien approvisionné. Le premier jour ils les invitaient à leur table, et les jours suivants, ils leur envoyaient des poulets, des oeufs, des légumes, des fruits et toutes les autres choses qu'ils recevaient de la campagne. Voilà pourquoi les peintres ont appelé xenia les peintures qui représentent ces présents qu'on envoyait à ses hôtes. Ainsi les pères de famille ne se sentaient point étrangers sous le toit hospitalier, jouissant, dans ces appartements, de la même liberté qu'ils auraient eue chez eux.

5. Entre ces péristyles et les appartements. consacrés aux hôtes, sont des passages appelés mesaulae, nom tiré de la position qu'ils occupent entre deux bâtiments; nous les appelons, nous, andrones. Et ce qu'il y a d'étonnant, c'est que ce mot n'a point en grec la même signification qu'en latin. Les Grecs, en effet, appellent g-androhnes les grandes salles où les hommes ont coutume de faire leurs festins, sans que les femmes y paraissent. Nous nous servons encore de quantité de mots pris dans des acceptions différentes, tels que xystus, prothyyrum, telamones et quelques autres. g-Xystos dans l'acception grecque, signifie un vaste portique où s'exercent les athlètes pendant l'hiver, et nous, nous appelons xysta les promenades découvertes que les Grecs nomment g-paradromidas. Les Grecs appellent encore prothyra les vestibules qui sont devant les portes; chez nous, prothyra est le g-diathyra des Grecs.

6. Si quelques figures d'hommes soutiennent des mutules ou des corniches, nous les nommons telamones. Pourquoi leur donne-t-on ce nom? C'est ce que l'histoire ne nous apprend pas : les Grecs les appellent g-atlantas. L'histoire représente Atlas soutenant le ciel sur ses épaules, parce qu'il est le premier qui, après de longues et judicieuses observations, enseigna aux hommes le cours du soleil et de la lune, le lever et le coucher des astres, les révolutions de l'univers; et c'est en récompense de ce bienfait que les peintres et les statuaires l'ont représenté soutenant le ciel sur ses épaules, et que ses filles Atlantides, que les Latins appellent Vergiliae, et les Gres g-Pleiades, ont été mises au nombre des étoiles.

7. Ce n'est pas pour changer des noms consacrés par l'usage que j'ai fait cet exposé; mais j'ai cru ne pas devoir taire des choses que les philologues ne devaient pas ignorer. Après avoir exposé les différentes manières de construire les édifices tant en Grèce qu'en Italie, et donné les proportions suivies par les deux peuples, après avoir parlé de leur beauté et de leur disposition, il me reste à traiter de leur solidité et des moyens de les faire durer à jamais, sans qu'ils aient à souffrir des injures du temps.

VIII. De la solidité et des fondements des édifices.

1. Si les édifices qui se construisent au rez-de-chaussée, ont leurs fondements faits de la manière que nous avons enseignée dans les livres précédents qui traitent des murailles et des théâtres, ils renfermeront certainement toutes les conditions d'une longue durée. Mais si des caves nécessitent la construction d'une voûte, il faudra donner aux fondements plus d'épaisseur qu'ils n'en auraient, s'il n'était question que d'édifices bâtis hors de terre, et faire en sorte que les murailles, les piliers, les colonnes soient parfaitement d'aplomb sur les mêmes parties inférieures, et ne reposent point sur le vide: car si le poids des murailles et des colonnes porte à faux, impossible de compter sur une grande solidité.

2. Il ne sera pas mauvais de placer au-dessus de chaque linteau deux poteaux qui se rapprochant par le haut s'appuieront sur les pieds-droits: car les linteaux, les poitrails qui ont à supporter une lourde maçonnerie, venant à plier au milieu, se rompent, et entraînent cette maçonnerie. Mais ces poteaux, ayant été mis dessus et bien assujettis, empêcheront que les linteaux ne s'affaissent et n'endommagent les constructions.

3. Il faut encore avoir soin que le poids des murs soit allégé par des décharges faites avec des pierres taillées en forme de coin, et dont les lignes correspondent à un centre. Les arcs formés avec des pierres ainsi taillées, venant se fermer aux deux extrémités du linteau et du poitrail, empêcheront d'abord que le bois, déchargé de son fardeau, ne plie, et permettront, si le temps vient à occasionner quelque dommage, de le réparer facilement, sans qu'il soit besoin d'avoir recours aux étais.

4. Les édifices élevés sur des piliers réunis par des arcades formées avec des pierres taillées en forme de coin, et dont les jointures correspondent à un centre, exigent que les piliers des angles soient plus larges, afin qu'ils puissent opposer plus de résistance aux pierres taillées en forme de coin qui, chargées par le poids des murailles, et s'abaissant par les jointures vers le centre, pourraient faire reculer les impostes. Si donc on donne beaucoup de largeur aux piliers des extrémités, les pierres en forme de coin seront fortement contenues, et l'ouvrage y gagnera en solidité.

5. Après que toutes ces observations auront été exactement mises en pratique, il faudra encore faire attention à ce que toutes les parties de la maçonnerie soient bien d'aplomb, sans que rien penche d'aucun côté. C'est surtout aux murs des souterrains qu'il faut apporter le plus grand soin, à cause des terres qui ordinairement déterminent grand nombre d'accidents. Les terres, en effet, n'ont pas dans les autres saisons le même poids qu'en été; pénétrées par les pluies abondantes de l'hiver, elles se gonflent, et par le poids et le volume qu'elles acquièrent, elles pressent et rompent la maçonnerie.

6. Pour remédier à cet inconvénient, il faut d'abord proportionner l'épaisseur du mur au volume de terre qu'il a à soutenir, bâtir ensuite en même temps que le mur et en dehors, des arcs-boutants et des contre-forts dont la largeur soit égale à celle des fondements, et qui soient distants les uns des autres de toute la grandeur qu'on aura donnée à l'épaisseur des fondements. La partie inférieure devra avoir autant de longueur que les fondations auront de hauteur, puis ils se rétréciront graduellement de manière que la partie supérieure de leur saillie ne soit pas plus grande que le mur n'est épais.

7. Il faudra encore disposer en dedans une espèce de dentelure en forme de scie qui soit jointe au mur, et opposée à la terre. Chaque dent devra s'éloigner du mur à une distance égale à la hauteur des fondements; la maçonnerie de ces dents sera aussi épaisse que celle du mur. Enfin à l'extrémité des angles, après s'être éloigné de l'angle intérieur d'un espace égal à la hauteur des fondements, on fera une marque de chaque côté, et de l'une de ces marques à l'autre, on dirigera un mur diagonal, du milieu duquel un autre ira joindre l'angle du mur. Par cette disposition les terres seront arrêtées, retenues; les dentelures et les murailles diagonales empêcheront que tout leur poids ne vienne peser contre le mur.

8. Je viens d'enseigner à ceux qui entreprennent de bâtir la manière de faire une construction sans défaut, et les mesures qu'il faut prendre pour cela : car pour ce qui regarde les couvertures, les poutres, les chevrons, leur renouvellement ne présente pas la même importance; et, s'ils viennent à pourrir, il est facile de les remplacer. Donner les moyens de rendre solide ce qui ne paraissait pas susceptible de l'être, tracer le plan d'une bonne disposition, tel a été le but que je me suit efforcé d'atteindre.

9. De quelle espèce de matériaux faut-il se servir? Voilà ce qu'il n'est pas au pouvoir de l'architecte de déterminer, parce qu'on ne trouve pas en tous lieux toute espèce de matériaux, comme nous l'avons dit dans le dernier livre, et qu'il dépend de la volonté de celui qui fait bâtir d'employer la brique, le moellon ou la pierre de taille. Tout ouvrage peut être considéré sous trois points de vue, la main d'oeuvre, la magnificence et la disposition. Quand un ouvrage se distingue par une magnificence et une perfection qui annoncent la richesse du possesseur, on loue la dépense; s'il se fait remarquer par le fini du travail, on apprécie le mérite de l'ouvrier; mais lorsqu'il se recommande par la beauté et la justesse des proportions, c'est alors que triomphe l'architecte.

10. Et son succès sera assuré, s'il veut bien ne pas fermer l'oreille aux conseils des simples ouvriers, et même des personnes étrangères à son art : car ce n'est point à l'architecte seulement qu'il est donné de juger ce qui est bon. Il y a pourtant cette différence entre l'architecte et celui qui ne l'est pas, que ce dernier ne peut se faire une idée de l'ouvrage que lorsqu'il est terminé; tandis que l'architecte, avant même d'avoir commencé l'exécution du plan qu'il a imaginé, saisit parfaitement de son oeuvre future la beauté, la disposition, la convenance. Je viens de tracer le plus nettement qu'il m'a été possible la marche qu'il faut suivre dans la construction des édifices particuliers; je vais, dans le livre suivant, exposer les moyens de les embellir et de les préserver longtemps de toute altération.

LIVRE SEPTIEME

INTRODUCTION.

1. Nos ancêtres ne pouvaient rien imaginer de plus sage ni de plus utile que de mettre par écrit leurs découvertes, pour les faire passer à la postérité; non seulement le souvenir ne s'en effaçait point, mais chaque âge venant y ajouter ses lumières, elles arrivèrent par degrés, à travers les siècles, à la plus grande perfection. Ce ne sont donc point de légères, mais d'immenses actions de grâces que nous devons leur rendre, puisque, loin d'être assez égoïstes pour garder le silence sur leurs vastes connaissances, ils eurent à cœur de nous les transmettre dans de généreux écrits.

2. Et s'ils n'en avaient point usé ainsi, nous n'aurions pu connaître les malheurs de Troie; et les opinions de Thalès, de Démocrite, d'Anaxagore, de Xénophane et des autres physiciens, sur les lois de la nature; et les principes que les Socrate, les Platon, les Aristote, les Zénon, les Épicure et les autres philosophes ont posés pour la conduite de la vie; et les actions de Crésus, d'Alexandre, de Darius et des autres rois, et les mobiles de ces actions, tout serait resté dans l'oubli, si nos ancêtres n'avaient eu soin de nous les faire connaître dans des ouvrages qui sont arrivés jusqu'à nous.

3. Mais si ces grands hommes méritent notre reconnaissance, nous devons couvrir de blâme ceux qui ont dérobé leurs écrits pour se faire gloire d'en être les auteurs: et ces plagiaires qui n'ont point une idée qui leur soit propre, et que l'envie a poussés à se parer des dépouilles d'autrui, méritent, non seulement une forte censure, mais encore une punition sévère, à cause de leur conduite criminelle. Les anciens, dit-on, ne manquèrent jamais de châtier cette sorte de crime ; et il n'est point hors de propos de raconter ici ce que l'histoire nous a appris des jugements rendus à ce sujet.

4. Les rois attaliques, entraînés par le goût des belles-lettres, avaient formé à Pergame une magnifique bibliothèque, pour la satisfaction de leurs sujets, et Ptolémée, animé du même zèle et de la même ardeur, mit la même activité, le même empressement à en faire une semblable à Alexandrie. Après l'avoir achevée avec le plus grand soin, il ne crut pas devoir en rester là, et voulut l'augmenter, en jetant, pour ainsi dire, des semences pour de nouveaux ouvrages. Il institua donc des jeux en l'honneur des Muses et d'Apollon, et de même qu'il y avait pour les athlètes des récompenses et des honneurs, de même il y en eut pour tous les écrivains qui remporteraient le prix.

5. Lorsque tout eut été ainsi organisé, et que l'époque des jeux fut arrivée, il fallut choisir parmi les gens de lettres les juges qui devaient apprécier le mérite de chaque ouvrage. Le roi en avait déjà choisi six dans la ville; mais il ne pouvait arriver à en trouver un septième qui fût digne de cet honneur. Il s'adresse à ceux qui avaient soin de la bibliothèque, et leur demande s'ils ne connaîtraient point un homme capable de remplir le but. Ils lui parlèrent d'un certain Aristophane qui venait chaque jour, avec la plus grande régularité, lire attentivement tous les livres, les uns après les autres. Dans l'assemblée des jeux, des sièges particuliers avaient été réservés pour les juges, et Aristophane, appelé avec les autres, occupa la place qui lui avait été assignée.

6. La lice fut d'abord ouverte aux poètes qui se mirent à lire leurs pièces. Le peuple, par ses applaudissements, fit comprendre aux juges ceux auxquels il donnait la préférence, et, lorsqu'on leur demanda leur avis, six se trouvèrent d'accord, et attribuèrent le premier prix à celui qu'ils remarquèrent avoir fait le plus de plaisir au peuple, et le second à celui qui suivait. Mais Aristophane, lorsqu'on vint à lui demander son opinion, fut d'avis qu'on donnât le premier prix à celui qui avait le moins plu au peuple.

7. À la vue de la vive indignation que témoignait le roi avec le peuple, Aristophane se lève, et demande qu'on veuille bien l'écouter. On fait silence, et il déclare qu'il ne voit qu'un seul poète parmi les candidats; que les autres n'ont fait que réciter des vers qui ne leur appartenaient pas; que le devoir du juge était de faire récompenser les véritables auteurs, et non les plagiaires. Pendant que le peuple admirait cette réponse, et que le roi balançait encore sur le parti qu'il avait à prendre, Aristophane, comptant sur sa mémoire, fit apporter de certaines armoires un grand nombre de volumes, et par les rapprochements qu'il en fit avec les morceaux qui avaient été lus, il força les plagiaires à confesser leur larcin. Le roi fit intenter contre eux une action, et les renvoya chargés d'une condamnation ignominieuse. Pour Aristophane, il reçut les présents les plus magnifiques, et fut mis à la tête de la bibliothèque.

8. Quelques années après, le Macédonien Zoïle, qui se faisait appeler le Fléau d'Homère, vint à Alexandrie, et lut au roi les écrits qu'il avait composés contre l'Iliade et l'Odyssée. Ptolémée, indigné qu'on maltraitât de la sorte le prince des poètes, le père des lettres, et qu'on fit si peu de cas de celui dont toutes les nations admiraient les écrits, et qui n'était point là pour se défendre, dédaigna de lui répondre. Zoïle, après être resté longtemps dans le royaume de Ptolémée, se sentant pressé par le besoin, fit supplier le roi de lui accorder quelque secours.

9. Le roi lui fit répondre, dit-on, qu'Homère, mort depuis mille ans, avait bien pu, pendant tout ce temps, faire vivre des milliers d'hommes; que Zoïle devait bien pouvoir, lui qui affichait un génie supérieur, entretenir et lui- même et plusieurs autres encore. Bref, sa mort fut celle du parricide, bien que les circonstances en soient rapportées diversement : car les uns disent que Ptolémée le fit mettre en croix; quelques autres, qu'il fut lapidé à Chio; d'autres qu'il fut brûlé vif à Smyrne. Mais quel qu'ait été le genre de son châtiment, il est certain qu'il le mérita : c'est ainsi que doit être traité celui qui s'avise d'attaquer un écrivain qui ne peut être appelé à se présenter pour défendre les pensées qu'il a répandues clans ses écrits.

10. Pour moi, ô César, je n'ai point fait disparaître les noms des auteurs où j'ai puisé, pour les remplacer par le mien. Dans l'ouvrage que je publie, il ne m'est point venu à l'esprit de déprécier les inventions d'autrui pour faire valoir les miennes; je rends, au contraire, mille actions de grâces à tous les auteurs, de ce que, ayant de tout temps recueilli les pensées ingénieuses des hommes de talent, ils nous ont préparé, chacun dans son genre, une ample moisson; c'est là que, puisant comme à une source féconde des idées que nous approprions à notre travail, nous nous sentons pleins d'abondance et de facilité pour écrire; c'est éclairé de leurs lumières que nous avons osé entreprendre un nouveau traité.

11. Riche de matériaux que je trouvais tout préparés pour l'exécution de mon projet, je me les suis appropriés, et j'ai mis la main à l'œuvre. Et d'abord c'est Agatharque qui, lorsque Eschyle faisait connaître la bonne tragédie, faisait les décorations pour le théâtre d'Athènes, et laissa le premier un travail sur cette matière. À son exemple, Démocrite et Anaxagore écrivirent sur le même sujet; ils ont enseigné comment on pouvait, d'un point fixe, donné pour centre, si bien imiter la disposition naturelle des lignes qui sortent des yeux en s'élargissant, qu'on parvenait à faire illusion, et à représenter sur la scène de véritables édifices qui, peints sur une surface droite et unie, paraissent les uns près, les autres éloignés.

12. Un livre fut ensuite composé par Silenus sur les proportions de l'ordre dorique; un autre par Theodorus sur le temple de Junon, d'ordre dorique, qui est à Samos; un autre par Chersiphron et Métagène, sur celui de Diane, d'ordre ionique, bâti à Éphèse; un autre par Phileos sur celui de Minerve, d'ordre ionique, qui est à Priène; un autre par Ictinus et Carpion, sur celui de Minerve, d'ordre dorique, bâti dans la citadelle à Athènes; un autre par Theodorus, le Phocéen, sur le temple en forme de coupole qui est à Delphes; un autre par Philon sur les proportions des temples, et sur l'arsenal qu'il avait fait au port du Pirée; un autre par Hermogène sur le temple pseudodiptère de Diane, d'ordre ionique, qui est à Magnésie, et sur celui de Bacchus qui est monoptère, bâti dans l'île de Téos; un autre par Argelius sur les proportions de l'ordre corinthien, et sur le temple d'Esculape, d'ordre ionique, qu'il bâtit, dit-on, de sa propre main, chez les Tralliens; un autre sur le Mausolée par Satyrus et Phyteus, dont un véritable succès couronna l'oeuvre magnifique et sublime.

13. Ce chef-d'œuvre a mérité l'approbation de tous les siècles qui n'ont cessé de louer et d'admirer le génie de ceux qui avaient conçu l'idée d'un tel ouvrage, à l'exécution duquel ils prêtèrent une main si habile. Les faces de ce monument furent entreprises par autant d'artistes, et les Léocharès, les Bryaxis, les Scopas, les Praxitèle, et même, suivant quelques écrivains, Timothée, travaillèrent à l'envi aux admirables ornements dont ils le décorèrent. Aussi l'éminente supériorité de leur art fit mettre ce monument au nombre des sept merveilles du monde.

14. Il y a encore un grand nombre d'artistes moins renommés qui ont laissé des préceptes pour les proportions, tels que Nexaris, Théocydes, Démophile, Pollis, Léonides, Silanion, Melampus, Sarnacus, Euphranor. D'autres ont écrit sur les machines, comme Diade, Architas, Archimède, Ctesibius, Nymphodore, Philon de Byzance, Diphile, Démoclès, Charidas, Polyidos, Pyrrhos, Agesistratos. Ce que leurs observations m'ont présenté d'utile pour mon travail, je l'ai pris pour en former ce recueil; la principale raison, c'est que j'ai remarqué que sur cette matière les Grecs ont écrit beaucoup de livres et les Romains fort peu. Fussitius est le premier qui ait publié un excellent volume sur cette matière. Terentius Varron, dans ses neuf livres sur les sciences, en a aussi consacré un à l'architecture; Publius Septimius en a écrit deux.

15. Voilà les seuls écrivains qui se soient occupés de cette science, bien que de tout temps Rome ait produit de grands architectes, parfaitement en état d'écrire sur leur art. Les architectes Antistates, Calleschros, Antimachides et Porinos jetèrent les fondements du temple que Pisistrate faisait élever à Jupiter Olympien, à Athènes. À sa mort, les troubles qui survinrent dans la république, leur firent suspendre leurs travaux. Environ quatre cents ans après, le roi Antiochus promit les sommes nécessaires à l'achèvement de cet édifice. Et la vaste cella, et la distribution du double rang des colonnes du portique, et l'harmonie des proportions de l'architrave et des autres parties de l'entablement, on les dut encore à un citoyen romain, à Cossutius, architecte d'un grand talent et d'un rare savoir. Ce n'est point là un ouvrage ordinaire, et dans le petit nombre de temples qu'on cite, il se distingue par sa magnificence.

16. Il n'y a, en effet, que quatre temples bâtis en marbre dont l'admirable disposition a rendu les noms tout particulièrement célèbres. Leurs plans ont été tracés avec une telle supériorité de science et de talent, qu'on les a admirés même dans le conseil des dieux. Le premier est le temple de Diane, à Éphèse, d'ordre ionique, commencé par Chersiphron de Gnose, et par son fils Métagène; ce furent, dit-on, Demetrius, serf de Diane elle-même, et Péonius d'Éphèse qui l'achevèrent plus tard. Le second est celui que le même Péonius et Daphnis le Milésien bâtirent à Apollon dans la ville de Milet ; il était d'ordre ionique. Le troisième est le temple de Cérès et de Proserpine. Il fut bâti à Éleusis par Ictinus dans les proportions de l'ordre dorique, avec une cella d'une grandeur extraordinaire, sans colonnes extérieures, afin qu'il y eût plus d'espace pour l'accomplissement des sacrifices.

17. Par la suite, du temps que Demetrius commandait à Athènes, Philon, ayant orné de colonnes la façade de ce temple, le fit prostyle. Par là le vestibule fut agrandi, ce qui donna plus d'espace à ceux qui ne participaient pas encore à la célébration des mystères, et rendit cet édifice beaucoup plus majestueux. Le quatrième, enfin, est celui de Jupiter Olympien que Cossutius, comme nous l'avons dit ci-dessus, se chargea de bâtir à Athènes, dans les proportions de l'ordre corinthien, et sur une très grande échelle. Cependant on n'a trouvé de lui aucun commentaire. Et Cossutius n'est point le seul dont nous ayons à regretter les écrits sur cette matière, il y a encore C. Mutius qui, plein d'assurance dans ses vastes lumières, acheva le temple de l'Honneur et de la Vertu que fit bâtir Marius. Il donna à la cella, aux colonnes, aux architraves, les proportions dictées par les règles les plus pures de l'art. S'il eût été de marbre, pour que la richesse de la matière répondît à la beauté du plan, il eût été mis en première ligne avec les plus beaux monuments.

18. Comme il s'est trouvé parmi nos ancêtres des architectes aussi distingués que chez les Grecs, et que de notre temps il y en a eu un assez grand nombre, comme je n'en vois d'ailleurs que quelques-uns qui aient donné des préceptes de leur art, j'ai cru que je devais, non garder le silence, mais traiter méthodiquement, dans chacun de mes livres, chaque partie de mon sujet. Voilà pourquoi, après avoir enseigné, dans le sixième livre, la manière de bâtir les édifices particuliers, je vais, dans le septième, expliquer comment les enduits peuvent réunir à la fois la beauté et la solidité.

1. De la rudération.

1. Je vais commencer par la rudération, qui est cette première couche grossière destinée à recevoir l'enduit extérieur. Il faut veiller avec le plus grand soin à ce qu'elle ait toute la solidité nécessaire. S'il est question d'un rez-de-chaussée, on doit examiner si le sol est partout bien solide, bien uni, et faire l'application de cette première couche de mortier grossier ; mais si le sol est en tout ou partie composé de terre rapportée, il sera très important de le raffermir en le battant avec le mouton qui sert à enfoncer les pilotis. Quant aux étages supérieurs, il faudra bien prendre garde qu'il ne se rencontre immédiatement sous le plancher quelqu'un de ces murs qui ne s'élèvent point jusqu'au haut de l'édifice, et laisser entre le plancher et le haut de ce mur un espace qui les sépare. Qu'un plancher vienne à sécher ou à s'affaisser sous son propre poids, ce mur, par la résistance qu'offrira la solidité de sa construction, occasionnera nécessairement des fentes dans l'aire.

2. Il faudra encore faire en sorte que des planches d'esculus ne soient point mêlées à des planches de chêne, parce que le chêne n'a pas plutôt pris l'humidité qu'il se déjette et fait fendre les aires. Si toutefois on manque d'esculus, et que, faute de ce bois, on soit obligé de se servir de chêne, il faudra alors employer des planches plus minces; moins elles seront épaisses, plus il sera facile de les fixer, de les arrêter avec des clous. Ensuite on attachera sur chaque solive les deux bords de chaque planche avec un clou de chaque côté, afin que, dans toute leur longueur, ils ne puissent se relever en se tour-mentant. Quant au cerrus, au hêtre, au farnus, ce sont des bois qui n'ont pas de durée. Une fois les planches assemblées, on les couvrira de fougère, si l'on en a, sinon de paille, afin que le bois ne puisse se gâter par la chaux.

3. On posera alors un premier lit fait avec des cailloux qui seront au moins gros à remplir la paume de la main. Ce lit une fois achevé, on s'occupera de la rudération, qui sera composée d'une partie de chaux et de trois de cailloux, si ce sont des recoupes de pierres de taille, et de deux parties de chaux et de cinq de cailloux, s'ils proviennent de démolitions. On étendra ensuite cette matière, et un nombre suffisant d'hommes armés de leviers de bois sera chargé de la battre longtemps, et de la rendre parfaitement compacte; cette couche terminée n'aura pas moins de neuf pouces d'épaisseur. Là dessus on fera le noyau composé de tuileaux avec lesquels on mêlera une partie de chaux contre trois de ciment; son épaisseur sera au moins de six doigts. Sur ce noyau parfaitement dressé avec la règle et le niveau, on appliquera le pavé, qu'il doive être fait en mosaïque ou avec des carreaux.

4. Quand le pavé aura été posé avec la pente qu'il doit avoir, on le polira avec la pierre ponce, de manière que, s'il est composé de petites pièces oblongues, ou triangulaires, ou carrées, ou hexagones, il ne reste rien de raboteux, rien qui présente la moindre aspérité sur le bord des jointures, et que, s'il est formé de carreaux, tous les angles en soient parfaitement unis, sans qu'aucun sorte du niveau, faute d'avoir été frotté : car si tous les angles ne sont pas également aplanis, c'est qu'ils n'auront point été convenablement polis. Les carreaux de Tibur, disposés en forme d'épis de blé, sont d'un bon usage, quand on a eu soin de les choisir sans creux ni bosses, présentant une surface bien unie. Lorsqu'on sera arrivé à avoir une superficie bien polie, bien luisante, on tamisera de la poudre de marbre, et on étendra par-dessus un mélange de chaux et de sable.

5. Quant aux pavés qui doivent être exposés à l'air, il faut les faire avec une solidité toute particulière. Les planches sur lesquelles ils reposent se gonflent par l'humidité, se rétrécissent par la sécheresse, s'affaissent par leur propre poids, et ces différents causes ont bientôt disjoint les pavés; joignez à cela les gelées et les frimas, qui les empêchent de rester en bon état. Voici ce qu'il faudra faire au besoin, pour qu'ils ne perdent rien de leur solidité. Lorsqu'on aura fait un premier plancher, on mettra par-dessus en travers un second rang de planches qui, fixées sur les solives avec des clous, formeront un double plancher. On fera ensuite un mélange de recoupes de pierres de taille et de tuileaux pilés qui y entreront pour une troisième partie, et on ajouter a à cinq parties de cette mixtion, deux parties de chaux.

6. Quand on aura posé un premier lit de ce blocage, on étendra la rudération, et cette couche bien battue n'aura pas moins d'un pied d'épaisseur. On la couvrira alors de cette autre couche dont nous avons parlé plus haut, puis on posera le pavé composé de grands carreaux d'environ deux doigts d'épaisseur, en leur donnant une inclinaison de deux doigts par dix pieds d'étendue. Si toutes ces précautions sont bien prises, si le poli a été ménagé avec soin, cet ouvrage sera à l'abri de toute altération. Et pour que, à travers les joints, les planches n'aient point à souffrir des gelées, il faudra chaque année, avant l'hiver, bien imbiber le pavé de lie d'huile, ce qui empêchera l'humidité de la gelée de pénétrer.

7. Voulez-vous avoir quelque chose de plus soigné encore, mettez sur la rudération qui couvre les planchers, des carreaux de deux pieds, parfaitement joints ensemble, sur les bords desquels vous creuserez de petites rainures d'un doigt de largeur; remplissez-les de chaux détrempée avec de l'huile, et, lorsqu'elle sera durcie, on la polira avec le grès. La chaux renfermée dans ces petits canaux empêchera en durcissant que l'eau ou toute autre chose ne passe à travers les jointures. Sur ces carreaux on étendra le noyau, et on le battra avec force, puis on pavera soit avec de grands carreaux, soit avec des carreaux disposés en forme d'épis de blé, en leur donnant la pente dont on a parlé plus haut. Le pavé ainsi disposé durera longtemps sans perdre de sa solidité.

II. De la préparation de la chaux pour faire le stuc.

1. Après m'être occupé de la confection des pavés, je vais expliquer la manière de traiter les ouvrages en stuc. Il sera à propos d'éteindre les meilleures pierres de chaux, longtemps avant qu'on ne s'en serve, afin que si quelqu'une d'elles n'a point été assez cuite dans le fourneau, elle puisse eu s'éteignant à loisir se délayer, et acquérir la qualité que lui eût donnée une plus grande cuisson : car si elle est employée toute fraîche, si elle n'est pas entièrement éteinte, si, quand on vient à la mettre en oeuvre, elle renferme encore des grumeaux qui ne soient pas bien cuits, elle produit à l'extérieur de l'ouvrage des espèces de pustules, parce que ces grumeaux ne s'éteignant pas en même temps que la chaux, font éclater l'enduit et lui font perdre son poli.

2. Lorsque la chaux sera éteinte, et qu'elle aura été soigneusement préparée, on prendra une doloire en fer, et on coupera cette chaux délayée dans un bassin, comme on enlève un copeau de bois avec une plane. Si l'outil rencontre des grumeaux, c'est qu'elle n'est pas bien éteinte, s'il en sort sec et pur, c'est qu'elle aura été éventée; sans avoir été assez abreuvée; si elle s'y attache comme de la glu, cette qualité onctueuse prouvera qu'elle est bien détrempée. Il faudra alors préparer les choses nécessaires pour faire les voûtes des appartements dont les planchers ne forment point un plafond horizontal.

III. De la disposition des planchers en forme de voûte; du stuc et du crépi.

1. Quand on voudra faire un plancher en forme de voûte, voici comment on s'y prendra. Des soliveaux parallèles seront disposés entre eux de manière qu'il n'y ait pas plus de deux pieds d'espace de l'un à l'autre. Les meilleurs sont ceux de cyprès, parce que le sapin ne se conserve pas longtemps; il pourrit promptement. Ces soliveaux disposés en forme de cintre, et retenus avec des clous de fer, seront attachés par de nombreux liens au plancher ou au toit; ces liens devront être faits avec un bois que ne puisse altérer ni la pourriture, ni la vermoulure, ni l'humidité, tel que le buis, le genévrier, l'olivier, le rouvre, le cyprès, et les arbres de même nature, excepté le chêne, qui, en se tourmentant, fait fendre les ouvrages dans lesquels on l'emploie.

2. Les soliveaux une fois mis en ordre, on y attachera, avec des cordes de sparte d'Espagne, des roseaux grecs écachés, en leur faisant suivre la courbure de la voûte. Par-dessus on mettra une couche de mortier de chaux et de sable, afin que les gouttes d'eau qui viendraient à tomber des planchers ou des toits puissent être retenues. Si le roseau grec manquait, il faudrait avoir recours aux roseaux minces des marais. On en ferait des bottes qui auraient une longueur convenable avec une grosseur bien égale; on les attacherait avec les mêmes cordes de sparte, de manière que, entre chaque nœud, il n'y eût pas plus de deux pieds de distance : elles seraient attachées aux soliveaux, comme nous l'avons dit plus haut, et fixées avec des chevilles de bois; tout le reste se ferait comme il a été dit ci-dessus.

3. Lorsque les planchers en forme de voûte et leurs compartiments auront été ainsi préparés, il faudra en crépir la concavité avec du plâtre, puis l'aplanir avec du mortier de chaux et de sable, enfin la polir avec une composition de chaux et de craie ou de marbre. La polissure une fois terminée, on s'occupera des corniches, auxquelles on donnera le plus de finesse et de légèreté possible; si elles sont trop massives, elles ne peuvent soutenir leur poids, qui finit par les faire tomber. Il n'y faut point employer de plâtre; on ne doit se servir, dans toute leur longueur, que de marbre tamisé, de peur que, en prenant plus vite que le marbre, le plâtre ne permette pas que l'ouvrage sèche également. Voilà pourquoi, dans ces sortes de planchers, il faut s'écarter de la manière des anciens, qui donnaient trop d'épaisseur à ces corniches, que leur poids rendait dangereuses.

4. Les corniches sont ou simples ou sculptées. Dans les appartements où l'on doit faire du feu, ou allumer beaucoup de lumières, elles doivent être simples pour être plus faciles à nettoyer. Dans les salons d'été, où il n'y a ni fumée ni suie qui puisse gâter, on peut les sculpter; et la blancheur de cet ouvrage perd toujours de la pureté de son éclat, même par la fumée des édifices voisins.

5. Après l'achèvement des corniches, il faudra crépir les murailles le plus grossièrement possible. Lorsque ce crépi commencera à sécher, on y ébauchera des moulures avec du mortier de chaux et de sable, de manière que les lignes horizontales étant exactement de niveau, et les verticales descendant parfaitement à plomb, leurs angles répondent justement à l'équerre; telle doit être la régularité des encadrements qui renfermeront les peintures. A mesure que l'enduit séchera, on mettra une seconde et une troisième couche; plus ces couches seront nombreuses, plus l'enduit offrira de solidité et de durée.

6. Après que sur le crépi de plâtre on aura mis trois couches de mortier au moins, on fera l'application d'une couche de stuc à gros grains. Il devra être pétri et corroyé de manière qu'il ne s'attache point à la truelle, et que le fer en sorte bien net. Sur cette couche encore humide on en mettra une seconde dont le grain sera moins gros; quand elle aura été bien pressée, bien battue, on en appliquera une troisième faite avec de la poudre très fine. Lorsque les murs auront été ainsi recouverts de trois couches de mortier de sable, et d'autant de celles de stuc, elles ne seront sujettes ni à se fendre ni à s'altérer d'aucune manière.

7. Ces couches qui par le battage acquièrent la plus grande dureté, et auxquelles la polissure donne la blancheur éblouissante du marbre, recevant la couleur en même temps que le poli, projettent l'éclat le plus brillant. Or, les couleurs soigneusement appliquées sur le stuc humide, loin de se ternir, conservent toujours leur fraîcheur, parce que la chaux ayant perdu dans le fourneau toute son humidité, et étant altérée par sa rareté et sa sécheresse, pompe avec avidité tout ce qui la touche, et que de ce mélange naît un composé de différents principes qui se condensent pour ne plus former qu'un seul corps, et qui, en séchant, conservent les qualités propres à chacun d'eux.

8. Aussi les enduits qui sont faits comme il faut, ne s'altèrent point en vieillissant, et ne perdent leurs couleurs, quand on les nettoie, que lorsqu'elles ont été étendues avec peu de soin et sur une couche sèche. Lors donc que sur les murailles les enduits auront été faits comme nous l'avons dit ci-dessus, ils renfermeront toutes les conditions voulues de solidité, d'éclat et de durée. Mais si l'on ne mettait qu'une couche de mortier de sable et une de marbre fin, un enduit aussi mince n'offrant point assez de résistance, se romprait facilement, et ne pourrait, vu son peu d'épaisseur, obtenir un brillant poli.

9. Un miroir d'argent composé d'une lame légère ne représente les objets que d'une manière faible et incertaine, tandis que celui qui est fait d'une plaque solide, pouvant recevoir un poli convenable, reflète les images d'une manière brillante et distincte. Il en est de même des enduits : ceux qui ne sont formés que d'une couche mince, non seulement se gercent, mais encore perdent promptement leur lustre; au lieu que ceux auxquels plusieurs couches de mortier de sable et de marbre ont donné une épaisseur solide, venant à acquérir le plus beau poli à force d'être battus, deviennent si luisants qu'ils réfléchissent parfaitement les objets placés devant eux.

10. Les stucateurs grecs ont encore un autre moyen qui leur réussit aussi bien que celui-là : ils disposent un bassin dans lequel ils mettent pêle-mêle la chaux et le sable, et un nombre d'homme suffisant est chargé de corroyer cette matière avec des leviers de bois; quand elle été fortement battue, on la met en oeuvre. Elle acquiert une telle dureté, qu'on se sert des morceaux arrachés à d'anciennes murailles pour en faire des abaques, et qu'autour de ces enduits taillés en abaques et en miroirs, on fait des moulures qui les encadrent.

11. Si des enduits doivent être faits sur des murs de cloison, il arrivera infailliblement que les pièces de bois qui montent et celles qui traversent se tourmenteront, parce que, lorsqu'on vient à les couvrir de terre grasse, elles prennent nécessairement l'humidité, et qu'en séchant elles se rétrécissent, ce qui fait fendre les enduits. Voici le moyen d'éviter cet inconvénient : lorsque la cloison sera couverte de terre grasse, on attachera sur toute son étendue, avec des clous à tête large et plate, des cannes sur lesquelles on mettra une seconde couche de terre grasse, puis un autre rang de cannes qui seront droites, si les premières ont été mises eu travers; ensuite, comme on l'a dit tout à l'heure, on enduira avec le mortier de sable d'abord, et après avec du stuc. Ce double rang de cannes appliquées sur la cloison, les unes coupant les autres, et clouées partout, empêchera qu'il n'y ait ni rupture, ni gerçure.

IV. Des enduits qu'il faut faire dans les lieux humides.

1. Je viens d'enseigner la manière de faire les enduits dans les lieux secs; il me reste à expliquer comment on doit s'y prendre pour que, dans les lieux humides, ils puissent durer sans altération. Et d'abord, dans les appartements qui sont au rez-de-chaussée, ce n'est point, jusqu'à la hauteur d'environ trois pieds au-dessus du niveau du pavé, avec du mortier de sable, mais avec du ciment, qu'il faut faire les enduits, pour éviter que cette partie du mur souffre de l'humidité. Mais si le mur était humide dans toute son étendue, il faudrait s'en éloigner un peu et construire à une distance convenable du gros mur un mur étroit, en pratiquant au milieu de ces deux murs un canal qui serait au-dessous du niveau de l'appartement, et qui aurait des ouvertures dans un lieu découvert. Dans la hauteur de ce petit mur, on aurait eu soin de ménager aussi des conduits : car si l'humidité ne trouve point à se dissiper par des ouvertures pratiquées par le haut et par le bas, l'enduit de la nouvelle construction ne sera pas moins exposé à se gâter. Cela fait, on étendra sur le petit mur l'enduit fait de chaux et de ciment; on le dressera ensuite avec le mortier de sable; puis on le polira avec le stuc.

2. Si l'emplacement ne permet pas de bâtir le petit mur, on fera des canaux dont les ouvertures déboucheront dans un lieu découvert. Ensuite, des tuiles de deux pieds seront posées sur l'un des bords du canal, et sur l'autre on élèvera des piles avec des briques de huit pouces, sur lesquelles les angles de deux tuiles pourront poser, de manière qu'elles ne soient pas éloignées du mur de plus d'un palme; d'autres tuiles à rebords, posées sur champ les unes au-dessus des autres, seront attachées depuis le bas du mur jusqu'au haut; l'intérieur en sera soigneusement enduit de poix, afin que l'humidité ne s'y attache point ; il y aura aussi des soupiraux à la partie supérieure, au-dessus de la voûte.

3. On blanchira alors avec de la chaux délayée dans de l'eau, afin que le ciment puisse s'attacher : car à cause de la sécheresse que leur a donnée la chaleur du fourneau, les tuiles ne peuvent ni recevoir ni retenir l'enduit, si la chaux qu'on interpose n'attache ces deux matières l'une à l'autre, et n'en fait, pour ainsi dire, un seul corps. Sur la couche de plâtre on étendra le mortier de ciment en place de celui de sable, et le reste s'achèvera, suivant la méthode que nous avons prescrite plus haut pour les enduits.

4. Les ornements qui relèvent le poli des enduits doivent avoir un caractère qui leur soit propre, offrir des conditions qui conviennent aux pièces qu'ils embellissent, et être en harmonie avec leur destination. Les salles à manger d'hiver n'exigent pas une telle préparation; point de superbes peintures, point de ces sculptures délicates qui ornent les corniches des voûtes : la fumée du feu, la suie produite par les lumières souvent allumées, gâtent tout. On doit se contenter de faire au-dessus des lambris, qui sont à hauteur d'appui, des panneaux en noir, bien polis, que l'on sépare par d'autres compartiments avec de l'ocre ou du cinabre. La voûte doit aussi être simple et polie, et la composition du pavé qu'emploient les Grecs dans ces sortes de pièces, ne déplaira pas à celui qui voudra l'examiner de près, parce qu'il coûte peu et qu'il est commode.

5. On creuse au-dessous du niveau que doit avoir le pavé de la salle à manger, à deux pieds environ de profondeur, et après avoir bien battu le sol, on y met une couche de plâtras ou de tessons, légèrement inclinée vers le canal. On étend ensuite du charbon, qu'on y en-tasse et qu'on bat fortement pour le couvrir d'une couche de mortier composé de sable, de chaux et de cendre, de l'épaisseur d'un demi-pied, et dressé avec la règle et le niveau. Après avoir bien poli avec la pierre la superficie de cet enduit, on a un pavé du plus beau noir. Tel est l'avantage de ces sortes de pavés, que l'eau qu'on y répand, soit en rinçant les coupes, soit en se lavant la bouche, sèche immédiatement, et que ceux qui servent à table peuvent marcher nu-pieds sans prendre froid.

V. De la manière de peindre les murailles.

1. Dans les autres appartements, c'est-à-dire dans ceux qu'on habite au printemps, en automne, en été, et même dans les vestibules et dans les péristyles, les anciens avaient accoutumé de prendre dans la nature même les sujets de leurs peintures. Et, en effet, la peinture ne doit représenter que ce qui est ou ce qui peut être, comme un homme, un édifice, un vaisseau, ou toute autre chose dont on imite avec exactitude la forme et la figure. Aussi les anciens, qui firent les premières peintures sur les enduits, imitèrent les différentes bigarrures du marbre, et firent ensuite des compartiments variés, traçant des figures rondes et triangulaires en jaune et en rouge.

2. Après cela ils en vinrent à représenter des édifices avec des colonnes et des frontons, qui se détachaient parfaitement sur le fond. Dans les lieux spacieux, dans les salles de conférences, par exemple, où les murs présentent de grandes surfaces, ils peignaient des scènes tragiques, comiques ou satiriques. Les galeries, à cause de leur longueur, furent ornées de paysages qu'ils animaient par des points de vue tirés de certaines localités; c'étaient des ports, des promontoires, des rivages, des fleurs, des fontaines, des ruisseaux, des temples, des bois, des montagnes, des troupeaux, des bergers; dans quelques endroits ils peignaient de grands sujets où figuraient les dieux; ou bien c'étaient des épisodes empruntés à la mythologie, ou les guerres de Troie, ou les voyages d'Ulysse; partout des paysages nulle part rien qui ne fût en harmonie avec les productions de la nature.

3. Mais cette belle nature, dans laquelle les anciens allaient prendre leurs modèles, nos goûts dépravés la repoussent aujourd'hui. On ne voit plus sur les murs que des monstres, au lieu de ces représentations vraies, naturelles ; en place de colonnes, on met des roseaux ; les frontons sont remplacés par des espèces de harpons et des coquilles striées, avec des feuilles frisées et de légères volutes. On fait des candélabres soutenant de petits édifices, du haut desquels s'élèvent, comme y ayant pris racine, quantité de jeunes tiges ornées de volutes, et portant sans raison de petites figures assises; on voit encore des tiges terminées par des fleurs d'où sortent des demi-figures, les unes avec des visages d'hommes, les autres avec des têtes d'animaux.

4. Or, ce sont là des choses qui ne sont pas, qui ne peuvent être, qui n'ont jamais été. Cependant ces nouvelles fantaisies ont tellement prévalu que, faute d'un homme qui soit en état de les apprécier, les arts dépérissent journellement. Quelle apparence, en effet, que des roseaux soutiennent un toit, qu'un candélabre porte des édifices, que les ornements de leur faîte, c'est-à-dire des tiges si faibles et si flexibles, portent des figures assises, ou que des racines et des tiges produisent des fleurs et des demi-figures? À la vue de ces faussetés, il ne s'élève pas un mot de blâme; on s'en amuse, au contraire, sans prendre garde si ce sont des choses qui soient possibles ou non. Les esprits obscurcis par la faiblesse de leur jugement, ne sont point en état d'apprécier le mérite, la beauté d'un ouvrage. Une peinture n'est pas digne d'approbation, si elle ne représente point la vérité. Il ne suffit pas qu'un sujet soit peint avec tout le prestige de l'art, pour qu'on doive immédiatement le juger avec avantage; encore faut-il que le dessin n'offre dans aucune de ses parties rien qui blesse la raison.

5. La ville de Tralles possédait un petit théâtre qui portait le nom d'¤kklhsiast®rion (lieu de réunion), pour lequel Apaturius, Alabandin, avait peint une scène avec talent. Au lieu de colonnes, il y avait représenté des statues et des centaures soutenant les architraves, des toits arrondis comme des dômes, des frontons avec de grandes saillies, des corniches ornées de têtes de lion, toutes choses qui ne conviennent qu'aux larmiers. Il n'en avait pas moins peint au-dessus un second ordre avec d'autres coupoles, des porches, des moitiés de faîte, et toutes les autres parties qui ornent un toit. Tout l'aspect de cette scène charmait les yeux de tous les spectateurs, par l'heureuse distribution des teintes, et on allait approuver ce travail, lorsque le mathématicien Licinius se présenta et dit :

6. Les Alabandins passent pour ne point manquer d'une certaine habileté dans toutes les affaires civiles; mais une petite faute contre la convenance leur a fait perdre l'opinion qu'on avait de leur jugement, en ce que les statues qu'ils ont placées dans le lieu de leurs exercices, représentent toutes des avocats, tandis que celles qui sont dans le barreau, représentent des personnes qui tiennent des disques, qui s'exercent à la course, qui jouent à la paume; ces statues, si maladroitement placées dans des lieux qui ne leur conviennent pas, ont grandement fait tort à la réputation des habitants. Prenons garde que la scène d'Apaturius ne nous fasse prendre pour autant d'Alabandins ou d'Abdéritains. Qui de vous a jamais vu des maisons, des colonnes posées sur les tuiles, ou sur le faîte d'autres maisons? C'est sur les pavés que reposent ces parties d'un bâtiment, et non sur des toits. Si nous approuvons, dans une peinture, ce qui ne peut exister en réalité, nous nous mettrons sur la même ligne que ces peuples, sur le jugement desquels de telles fautes ont fait passer condamnation.

7. Apaturius n'osa rien répondre; il enleva la scène, changea tout ce qui se trouvait contre la vérité, et la fit agréer après avoir fait les corrections convenables. Plût aux dieux que Licinius pût revenir à la vie pour nous ramener à la raison, et rectifier ces erreurs qui se sont introduites dans la peinture ! Pourquoi cet abus a-t-il triomphé de la vérité? C'est ce qu'il ne sera pas hors de propos de dire ici. Autrefois c'était du talent et de la perfection du travail que les peintres faisaient dépendre le succès de leurs efforts; ceux d'aujourd'hui n'attachent de prix qu'à l'éclat des couleurs et à l'effet qu'elles produisent : jadis c'était le talent de l'artiste qui seul donnait du prix à son travail; maintenant les dépenses de celui qui fait travailler en tiennent lieu.

8. Les anciens n'employaient le minium, comme couleur, qu'en très petite quantité; à présent on en voit presque partout peintes des murailles tout entières, aussi bien que de chrysocolle, d'ostrum, d'armenium. Ces couleurs, bien qu'appliquées sans art, ne laissent pas d'éblouir par leur éclat; et c'est à cause de leur cherté que la loi a voulu qu'elles fussent fournies par celui qui fait travailler, et non par celui qui travaille.

9. J'ai cherché, par les avis que je viens de donner, à prévenir, autant qu'il m'a été possible, l'abus qui s'est introduit dans les peintures à fresque; il me reste maintenant à traiter de la manière de préparer les matériaux, et, puisque j'ai commencé par parler de la chaux, je vais m'occuper du marbre.

VI. De la manière de préparer le marbre pour en faire du stuc.

1. Le marbre ne se rencontre pas partout dans les mêmes conditions : dans certaines localités, on le trouve par morceaux avec de petits grains luisant comme du sel. Pilé et broyé, il est avantageux pour faire les enduits et les corniches. Dans les lieux oh ne se trouve pas cette espèce, on ramasse les éclats appelés ossulae, que les marbriers font tomber du marbre qu'ils travaillent; on les écrase avec des niions de fer, et on les sasse pour en faire trois sortes de poudre : la plus grosse, comme nous l'avons dit ci-dessus, se mêle avec la chaux, pour faire la première couche que l'on met sur le mortier de sable; la moyenne vient ensuite, puis la troisième qui est la plus fine.

2. Après que ces couches d'enduits auront été unies et polies avec soin, il faudra s'occuper des couleurs destinées à les couvrir de leur brillant éclat. Elles sont de différente nature, et leur préparation n'est point la même. Les unes se forment d'elles-mêmes dans certains lieux d'où on les tire; les autres sont un composé de diverses matières dont la préparation, ou le mélange, ou la combinaison produisent dans les ouvrages le même effet que les autres.

VII. Des couleurs naturelles.

1. Nous allons d'abord parler des couleurs qui se produisent d'elles-mêmes dans la terre, comme le sil, que les Grecs appellent Îxra. On le trouve en plusieurs endroits et même en Italie; mais le meilleur, celui de l'Attique, manque aujourd'hui. Lorsque des compagnies exploitaient les mines d'argent qui sont à Athènes, on creusait des puits pour aller chercher ce métal, et quand on venait à rencontrer quelque filon de sil, on le suivait comme si c'eût été de l'argent; aussi les anciens avaient en abondance de l'excellent sil, qu'ils employaient sur les enduits.

2. La rubrique se tire en abondance de beaucoup de lieux; mais la bonne est rare, et ne se trouve guère qu'à Sinope, dans le royaume de Pont, en Égypte, aux îles Baléares, en Espagne, et dans l'île de Lemnos, dont les revenus ont été laissés aux Athéniens par le sénat et le peuple romain.

3. La couleur parétonienne tire son nom du lieu même où on la trouve. La méline tire de même le sien de l'île de Mélos, une des Cyclades, où ce minéral abonde.

4. La terre verte se rencontre aussi dans plusieurs localités; mais la meilleure vient de Smyrne; les Grecs l'appellent yeodñtion, parce qu'un nommé Théodote possédait le fonds où elle fut trouvée pour la première fois.

5. L'orpiment, qui en grec est appelé Žrs¡nikon, se tire du royaume de Pont. Le minium se trouve également en plusieurs lieux; mais le meilleur s'exploite aussi dans le Pont, auprès du fleuve Hypanis. Il y a d'autres endroits, comme les confins de Magnésie et d'Éphèse, d'où on le tire tout préparé, sans qu'il soit besoin ni de le broyer ni de le sasser; et il est aussi fin que si quelque main d'homme l'eût pilé et tamisé.

VIII. Du cinabre et du vif-argent.

1. Je vais maintenant parler de la préparation du cinabre. On le trouva, dit-on, pour la première fois, sur le territoire de Cilbianis, près d'Éphèse. La manière de l'extraire et de le préparer est assez curieuse. On le tire de terre par mottes, qu'on appelle anthrax, avant que la manipulation l'ait fait passer à l'état de cinabre, La veine de cette matière, enveloppée d'une poussière rouge, a une couleur de fer un peu roussâtre. Quand on l'extrait, les coups de pic en font sortir de nombreuses gouttes de vif-argent que les ouvriers s'empressent de recueillir.

2. Lorsque ces mottes ont été réunies dans l'atelier, on les jette dans un four pour leur faire perdre l'humidité dont elles sont pleines, et la chaleur du feu en fait sortir une vapeur qui, en retombant sur l'aire du four, se trouve être du vif-argent. On retire les mottes, et les gouttes qui se sont déposées dans le four ne pouvant être ramassées, à cause de leur petitesse, sont balayées dans un vase plein d'eau où elles se mêlent et se confondent. Quatre sétiers de cette matière pèsent cent livres.

3. Que l'on vienne à remplir quelque vase de cette substance, une pierre du poids de cent livres, mise dessus, nagera à sa surface sans pouvoir, par sa pesanteur, ni la comprimer, ni la séparer, ni l'éparpiller. Si à la place de ce poids de cent livres, on met seulement un scrupule d'or, il ne surnagera pas ; il descendra tout de suite au fond; ce qui prouve clairement que la gravité des corps ne dépend pas de la quantité de la matière pesante, mais de sa qualité.

4. On se sert du vif-argent dans beaucoup de cas; sans lui il est impossible de bien dorer l'argent et le cuivre; lorsqu'un vêtement tissé d'or vient à s'user, et que sa vieillesse le met hors d'état d'être décemment porté, on le brûle dans un vase de terre, et la cendre en est jetée dans de l'eau. On y ajoute du vif-argent auquel toutes les parcelles d'or vont s'attacher, se joindre. On répand l'eau, et l'on verse dans un linge que l'on presse avec les mains, le vif-argent qui passe au travers à cause de sa fluidité, et l'or, malgré la compression, reste parfaitement pur dans le linge.

IX. De la préparation du cinabre.

1. Je reviens à la préparation du cinabre. Lorsque les mottes sont sèches, on les pile, on les broie avec des pilons de fer, et à force de lotions et de coctions, on fait disparaître toute matière étrangère, et la couleur arrive. Lorsque, par le dégagement du vif-argent, le cinabre à perdu les qualités naturelles qu'il contenait, sa substance s'amollit et n'a plus la même force.

2. Lorsqu'il est employé dans les appartements dont les enduits sont à couvert, le cinabre conserve sa couleur sans altération; mais dans les lieux exposés à l'air, comme les péristyles, les exèdres, et quelques autres endroits semblables où peuvent pénétrer les rayons du soleil et l'éclat de la lune, il s'altère, il perd la vivacité de sa couleur, il se noircit aussitôt qu'il en est frappé. C'est une expérience qui a été faite par plusieurs personnes, et entre autres par le secrétaire Faberius. Ayant voulu avoir dans sa maison du mont Aventin d'élégantes peintures, il fit peindre avec du cinabre tous les murs du péristyle, qui au bout de trente jours ne présentaient plus qu'une couleur désagréable et bigarrée; ce qui l'obligea à les faire repeindre une seconde fois avec d'autres couleurs.

3. Voici ce que font des personnes mieux avisées, pour que leurs enduits conservent la couleur du cinabre qu'elles préfèrent. Lorsque la couleur a été parfaitement étendue, et qu'elle est bien sèche, on la couvre, avec un pinceau, d'une couche de cire punique qu'on a fait fondre, et à laquelle on a mêlé un peu d'huile; on met ensuite du charbon dans un réchaud, on chauffe cette cire, aussi bien que la muraille, on la liquéfie, puis on l'étend bien uniment; enfin on prend une bougie et des linges blancs avec lesquels on polit, comme on le fait pour les statues nues faites de marbre.

4. C'est ce qu'on appelle en grec kaèsiw (brûlure); l'application de cette couche de cire punique empêche que la lumière de la lune et les rayons du soleil, en donnant sur ces enduits, n'en enlèvent la couleur. Les fabriques qui étaient autrefois dans les mines d'Éphèse, sont maintenant transférées à Rome, parce qu'on a trouvé ce minéral en Espagne, d'où il est facile d'en transporter les mottes qui sont préparées par des hommes spéciaux dont les fabriques sont situées entre le temple de Flore et celui de Quirinus.

5. On falsifie le cinabre avec de la chaux; quand on voudra s'assurer qu'il n'y a point eu de falsification, voici ce que l'on fera : on prendra une lame de fer sur laquelle on mettra du cinabre; on la soumettra à l'action du feu jusqu'à ce qu'elle devienne blanche, et on ne la retirera que quand de blanche qu'elle était devenue par la chaleur, elle aura pris une teinte noire : si, étant refroidie, elle reprend sa couleur première, on peut être assuré que le cinabre est pur; si, au contraire, elle conserve sa teinte noire, c'est qu'il aura été sophistiqué.

6. Je viens de dire ce que je sais sur le cinabre. La chrysocolle vient de Macédoine; on la tire des lieux voisins des mines de cuivre. L'armenium et l'indicum font connaître par leurs noms les lieux qui les produisent.

X. Des couleurs artificielles.

1. Je vais maintenant parler des matières qui, par la proportion du mélange de différentes substances préparées d'une certaine manière, perdent leurs qualités naturelles pour acquérir la propriété des couleurs. Commençons par le noir, dont l'usage est si nécessaire dans beaucoup d'ouvrages, afin de bien faire connaître tous les moyens par lesquels on peut arriver à l'obtenir.

2. On bâtit un petit édifice en forme- d'étuve; on en tapisse le dedans avec une couche de stuc que l'on polit avec soin. En avant on construit, avec une bouche dans l'étuve, un petit fourneau dont la porte doit être hermétiquement fermée, pour qu'elle ne puisse livrer passage à la flamme. On jette de la résine dans le fourneau. Soumise à l'action du feu, cette substance produit une fumée qui est forcée de passer dans l'étuve aux parois et à la voûte de laquelle elle s'attache transformée eu suie. On en rainasse une partie que l'on détrempe avec de la gomme, pour en faire l'encre à écrire; le reste, mêlé à de la colle, sert à peindre les murailles.

3. Si l'on manque des moyens de faire ce noir, on pourra, pour qu'aucun retard ne vienne entraver l'ouvrage, faire face à la nécessité de .cette manière : on brûlera des sarments ou des copeaux de pin; lorsqu'ils seront réduits en charbon, on les éteindra. Ce charbon pilé dans un mortier avec de la colle, fournira pour la peinture des murailles un noir assez beau.

4. On pourra encore, avec de la lie de vin desséchée, et cuite dans un fourneau, puis broyée avec de la colle, obtenir un très beau noir, et plus le vin dont elle est le résidu aura de qualité, plus il sera facile d'en obtenir, non-seulement le noir ordinaire, mais encore une couleur imitant l'indicum.

XI. Du bleu d'azur et de l'ocre brûlée.

1. Ce fut à Alexandrie que se fit, pour la première fois, la préparation du bleu d'azur, et Vestorius en a établi depuis une fabrique à Pouzzol. La manière de le préparer avec les substances qui le composent, est assez curieuse. On broie du sable avec de la fleur de nitre, aussi fin que de la farine; on y mêle de la limaille de cuivre de Chypre faite avec de grosses limes, puis on la mouille pour en faire une pâte, dont on forme avec les mains des boules qu'on presse de manière à les faire sécher. Une fois sèches, elles sont déposées dans un vase de terre qu'on met dans une fournaise. Là, le cuivre et le sable entrant en fusion par la violence du feu, finissent par ne plus faire qu'un seul corps, auquel la liquéfaction a communiqué les qualités réciproques des deux substances qui n'ont plus de propriété distincte, l'action du feu la leur ayant fait perdre, et qui se trouvent converties en une couleur bleue d'azur.

2. L'ocre brûlée, dont on tire un assez bon parti dans les peintures sur enduit, se prépare de cette manière : on fait rougir au feu une motte de bonne ocre jaune; on l'éteint dans du vinaigre, ce qui lui donne une couleur de pourpre.

XII. De la céruse, du vert-de-gris et du minium.

1. Il n'est point hors de propos de dire ici comment on prépare la céruse et le vert-de-gris que nous appelons aeruca. Les Rhodiens mettent des sarments dans des tonneaux au fond desquels ils versent du vinaigre. Sur ces sarments ils placent des lames de plomb; puis, on ferme soigneusement les tonneaux pour que le contenu ne perde rien de sa force. Après un temps déterminé on ouvre, et les morceaux de plomb se trouvent convertis en céruse. Si on les remplace par des lames de cuivre, on obtient le vert-de-gris qu'on appelle aeruca.

2. La céruse brûlée dans une fournaise perd sa couleur par l'action du feu, et se change en minium. C'est le hasard qui, dans un incendie, apprit aux hommes à la faire. Elle est d'une qualité supérieure à celle que l'on tire des mines, où elle se forme aux dépens du métal.

XIII. De la pourpre.

1. Je vais commencer à parler de la pourpre, qui, de toutes les couleurs, est la plus chère et celle qui flatte le plus agréablement la vue. C'est d'un coquillage de mer que se tire la matière dont se fait la pourpre, qui offre à l'œil de l'observateur une des plus admirables productions de la nature. Cette couleur ne présente point la même teinte dans tous les lieux où elle est produite; la nature la nuance selon les climats.

2. La pourpre qu'on recueille dans le Pont et la Gaule, doit à ces contrées voisines du septentrion sa teinte foncée. Elle prend une nuance livide entre le septentrion et l'occident; celle qui naît entre l'orient et l'occident équinoxial tire sur le violet. Quant à celle qui nous vient des pays méridionaux, elle est parfaitement rouge; c'est cette qualité que nous envoient l'île de Rhodes, et les autres contrées qui sont plus voisines du cours du soleil.

3. Quand on a ramassé ces coquillages, on fait tout autour une incision d'où coulent quelques gouttes d'une humeur pourprée. On les fait tomber dans un mortier, où on les prépare en les broyant; et parce que ce sont des coquillages de mer qui produisent cette couleur, on lui a donné le nom de ostrum (ostrea = huître). Les parties salées qu'elle contient ne tarderaient pas à la dessécher, si ou ne la conservait dans du miel.

XIV. Des couleurs qui imitent la pourpre.

1. On compose encore des couleurs pourprées, en teignant la craie avec les racines de la garance et de l'hysginum. Les fleurs produisent aussi d'autres couleurs. Lorsque les teinturiers veulent imiter l'ocre jaune de l'Attique, ils mettent dans un vase plein d'eau des violettes sèches, qu'ils font bouillir sur le feu. Lorsque l'infusion est achevée, on verse le tout dans un linge, d'où l'on exprime avec les mains l'eau colorée par les violettes. On la reçoit dans un mortier, on y répand de la craie érétrienne, et en la broyant on obtient la couleur de l'ocre jaune de l'Attique.

2. Employant le vaccinium de la même manière, on fait, avec le lait qu'on y mêle, une belle couleur de pourpre. Ceux qui ne peuvent se servir de la chrysocolle à cause de sa cherté, teignent l'azur avec le suc d'une plante qu'on appelle pastel, et obtiennent un très-beau vert; c'est là ce qu'on appelle de la teinture. L'indicum est rare; mais pour en imiter la couleur, il suffit de mêler de la craie sélinusienne ou annulaire avec le pastel que les Grecs appellent g-isatin.

3. Je viens de composer ce livre de tout ce que j'ai pu me rappeler sur la manière de crépir, sur le choix des matériaux à employer, sur la solidité de l'enduit destiné à recevoir la peinture, sans qu'elle soit exposée à perdre son éclat, enfin sur les propriétés que renferment les différentes couleurs. Ainsi, ce qui peut contribuer à rendre les édifices aussi parfaits et aussi commodes qu'ils doivent l'être, se trouve réuni dans les sept livres qui précèdent. Dans le suivant, je vais parler des eaux, de la manière d'en trouver dans les lieux qui en manquent, des moyens de les y amener, et des caractères qui eu font connaître la bonté et la qualité.

LIVRE HUITIEME

INTRODUCTION.

1 Le premier des sept sages, Thalès de Milet, soutenait que l'eau était le principe de toutes choses; Héraclite prétendait que c'était le feu. Les prêtres mages admettaient l'eau et le feu. Euripide, qui avait été disciple d'Anaxagore, et que les Athéniens appelaient le philosophe du théâtre, assurait que c'étaient l'air et la terre; que la terre fécondée par les pluies qui tombent du ciel, avait engendré dans le monde les hommes et les animaux; que les choses qui étaient produites par elle, forcées par le temps de se dissoudre, retournaient à leur principe, tandis que celles qui naissaient de l'air retournaient dans l'air; que les corps ne périssaient point; que modifiés seulement par la dissolution, ils reprenaient leur qualité première. Pythagore, Empédocle, Épicharme avec d'autres physiciens et philosophes, mirent en avant qu'il y avait quatre principes : l'air, le feu, l'eau, la terre; que la proportion dans laquelle ils entraient dans la formation des corps, produisait cette différence de qualités qu'on y remarque.

2. Nous remarquons, en effet, que non seulement tout ce qui naît est le produit de ces éléments, mais encore que ce sont eux qui ont la vertu de les faire croître et de les conserver. En effet, les animaux ne pourraient avoir vie, s'ils ne respiraient largement l'air qui, en pénétrant avec abondance dans les poumons, produit cette dilatation et cette compression incessantes de la poitrine. Si la chaleur ne se trouve point dans un corps au degré qui lui convient, ce corps manquera d'un principe vital; il ne prendra point de développement solide; les sucs alimentaires ne pourront avoir la coction nécessaire. Et si les parties du corps viennent à manquer de nourriture terrestre, elles ne subsisteront pas, privées qu'elles seront du concours de l'un des principes de la vie.

3. De même, si les animaux sont dépourvus de l'humide radical, ils périront, faute de ce principe. Aussi la Divinité, loin de vouloir que les choses absolument nécessaires aux hommes, soient aussi rares et aussi difficiles à avoir que les perles, l'or, l'argent et les autres choses dont notre corps et notre nature peuvent se passer, la Divinité a prodigué aux mortels, elle a semé sous les pas de chaque homme tout ce dont il a besoin pour sa conservation. Que les esprits vitaux viennent à manquer au corps, l'air destiné à les réparer ne fait point défaut. Faut-il un auxiliaire à la chaleur naturelle, le soleil et le feu lui viennent en aide pour entretenir la vie. Les fruits de la terre, bien préférables à l'abondance super-flue des mets, fournissent une nourriture assurée qui suffit pour réparer les forces du corps; et l'eau ne sert pas seulement de boisson, mais, nécessaire en mille circonstances, elle est d'autant plus agréable qu'elle ne coûte rien.

4. Les prêtres égyptiens, pour faire voir que tout ne subsiste que par la vertu de cet élément, couvrent un vase à eau qu'on porte en grande cérémonie dans un temple; puis, se prosternant contre terre, ils lèvent les mains vers le ciel; ils rendent grâce à la bonté divine du présent qu'elle leur a fait.

I. De la manière de trouver l'eau.

Puisque les physiciens, les philosophes et les prêtres ont pensé que rien ne subsiste que par la vertu de l'eau, j'ai cru qu'après avoir expliqué dans les sept livres précédents tout ce qui a rapport aux édifices, je devais dans celui-ci parler des moyens de trouver l'eau, des qualités que lui donne la nature des lieux, de la manière de la conduire et d'en connaître les propriétés. Est-il, en effet, rien de plus nécessaire que l'eau, rien de plus agréable, rien de plus journellement utile?

1. Pas de difficulté, quand une fontaine fera jaillir ses eaux du sol; mais quand il n'en sera point ainsi, quand il faudra aller les chercher sous terre et en recueillir les sources, voici comment on devra s'y prendre : on se couchera la face contre terre, avant le lever du soleil, dans le lieu où il y aura une recherche à faire, et, le menton appuyé sur le sol, on dirigera ses regards vers l'horizon. Dans cette position immobile du menton, la vue, loin de s'égarer plus haut qu'il ne faut, s'étendra devant elle d'une manière invariable, au niveau de l'oeil. Les endroits dans lesquels on verra s'élever des vapeurs ondoyantes, devront être creusés : car les lieux secs ne peuvent présenter cette particularité.

2. Celui qui cherche l'eau doit encore examiner la nature des terrains : car ils donnent les mêmes eaux d'une manière constante. La craie ne fournit que le mince filet d'une eau peu profonde et peu agréable au goût. Il en est de même du sable mouvant; seulement, si on ne trouve l'eau qu'à une grande profondeur, elle sera bourbeuse et détestable. Dans la terre noire, au contraire, on trouve des eaux qui, s'infiltrant goutte à goutte pendant les hivers, vont se réunir et s'arrêter dans les en-droits compactes et solides; celles-là sont excellentes. Les veines qu'on rencontre dans le gravier ne sont ni abondantes ni certaines; mais elles sont aussi très bonnes. Dans le sablon mâle, dans le sable, dans le carhoncle, elles sont plus sûres, plus constantes; elles sont d'une bonne qualité. Dans la pierre rouge, elles sont copieuses et bonnes, quand elles ne s'échappent pas, qu'elles ne s'infiltrent pas à travers ses pores. Au pied des montagnes et des roches siliceuses, elles sont plus abondantes, plus riches, et en même temps plus fraîches et plus salutaires. Dans les fontaines qui se trouvent dans les plaines, elles sont saumâtres, pesantes, tièdes et désagréables, à moins qu'elles ne partent des montagnes pour aller sous terre jaillir au milieu des champs, où, à l'abri de la verdure des arbres, elles offrent la même douceur que celles des montagnes.

3. Outre les signes qui viennent d'être indiqués, il en est encore d'autres qui font connaître les endroits où l'eau se trouve sous terre; ce sont les petits joncs, les saules sauvages, les aunes, l'agnus-castus, les roseaux, tes lierres et les autres plantes de même nature, qui ne peuvent naître d'elles-mêmes sans humidité. On voit ordinairement pousser ces mêmes plantes dans les marais qui, étant plus bas que les terres qui les environnent, reçoivent pendant l'hiver les eaux qui tombent du ciel et celles qui viennent de ces terres, et les conservent longtemps par le défaut d'écoulement; il ne faut point s'en rapporter à cela; mais si dans les terres qui ne sont pas marécageuses, ces plantes indicatives naissent sans avoir été semées, d'elles-mêmes, naturellement, on peut y chercher de l'eau.

4. Si ces indices n'annoncent pas la présence de l'eau, voici l'expérience qu'il faudra faire. On pratiquera un trou de trois pieds d'ouverture en tout sens, et de cinq pieds au moins de profondeur; on y placera, vers le coucher du soleil, un vase d'airain ou de plomb, ou un bassin, peu importe; après l'avoir intérieurement frotté d'huile et renversé, on couvrira l'ouverture de la fosse avec des roseaux ou des feuillages qu'on chargera de terre; puis on l'ouvrira le lendemain, et s'il se trouve des gouttes d'eau attachées aux parois du vase, c'est que cet endroit contient de l'eau.

5. On peut encore placer un vase de terre non cuite dans cette fosse recouverte de la même manière; s'il y a de l'eau dans cet endroit, lorsqu'on ouvrira la fosse, le vase sera humide, et même se dissoudra par l'humidité. Si l'on dépose dans la fosse une toison, et que le lendemain on en exprime de l'eau, c'est que ce lieu en renferme beau-coup. Voulez-vous y mettre une lampe bien remplie d'huile et tout allumée, et boucher hermétiquement la fosse? si, le jour suivant, on ne la trouve plus enflammée, s'il y reste de l'huile et de la mèche, si on la trouve humide, c'est une preuve que ce lieu contient de l'eau, parce qu'une chaleur modérée attire l'humidité. Si l'on allume aussi du feu dans cet endroit, et que de la terre échauffée et desséchée s'élève une vapeur épaisse, c'est qu'il y aura de l'eau.

6. Après toutes ces épreuves, après avoir rencontré les signes indiqués ci-dessus, on creusera un puits, et si l'on trouve une source, il faudra pratiquer plusieurs autres puits tout autour, et faire que par des conduits ils aboutissent tous au même point. C'est surtout dans les montagnes et dans les lieux qui regardent le septentrion, qu'il faut chercher l'eau, parce qu'elle s'y trouve plus douce, plus saine et plus abondante. Ces lieux ne sont point exposés à la chaleur du soleil, dont ils sont garantis par les arbres touffus des forêts; les montagnes elles-mêmes -ont leurs ombres qui empêchent les rayons du soleil d'arriver directement jusqu'à la terre, et qui les rendent incapables d'en pomper l'humidité.

7. Les vides qui se trouvent au haut des montagnes servent surtout de réservoirs aux pluies, et, à cause de l'épaisseur des forêts, les ombres des arbres et des montagnes y conservent longtemps les neiges; lorsqu'elles viennent à fondre, elles filtrent à travers les terres, et parviennent ainsi jusqu'au pied des montagnes d'où elles s'échappent en fontaines bouillonnantes. Dans les plaines, au contraire, les eaux ne peuvent être abondantes, et quelles qu'elles soient, elles ne peuvent être bonnes, parce que les rayons brûlants du soleil, ne rencontrant aucun ombrage qui les intercepte, enlèvent, épuisent et absorbent toute l'humidité de cette surface découverte; et si quelque source y apparaît, tout ce qu'elle contient de plus léger, de plus subtil, de plus salubre, est attiré par l'air qui le dissipe dans l'immensité, et il ne reste plus dans ces fontaines que les parties les plus pesantes, les plus crues et les plus désagréables.

II. De l'eau de pluie.

1. L'eau de pluie a des propriétés que n'ont point les autres. Extraite des eaux de toutes les fontaines, elle se compose des parties les plus légères, les plus subtiles, les plus délicates; purifiée par l'agitation de l'air, elle ne tombe à terre que liquéfiée par la violence du vent. Les plaines sont beaucoup moins sujettes à la pluie que les montagnes ou leurs environs, parce que les vapeurs qu'aspire le soleil du matin, poussent, en s'élevant, l'air dans la partie du ciel vers laquelle elles se développent, et que, lorsqu'elles sont mises en mouvement, elles attirent encore celui qui se précipite en ondoyant dans le vide qu'elles laissent après elles.

2. Or, l'air qui se précipite et, polissant de tous côtés les vapeurs qu'il rencontre, augmente le souffle et l'impétuosité des vents, et en produit les bouffées. De leur côté, les vents entraînent les vapeurs qui, en s'arrondissant, se forment des fontaines, des fleuves, des marais et de la mer, attirées par la chaleur du soleil, et se convertissent en nuées qui s'élèvent dans l'espace : ces nuées portées en avant par les tourbillons de l'air, venant à heurter contre les montagnes ou contre d'autres nuées, se compriment, se condensent, se résolvent en pluies qui se répandent sur la terre.

3. Les vapeurs, les nuées, l'humidité naissent de la terre; en voici une raison vraisemblable : c'est que la terre contient de grandes chaleurs, beaucoup d'air, des parties froides, et une grande quantité d'eau. De là il arrive que, lorsque la terre se refroidit pendant la nuit, les vents soufflent dans les ténèbres, que les brouillards montent des lieux humides, et que le soleil levant, venant à frapper la terre de ses rayons, l'air échauffé par son action, enlève de la terre l'humidité avec les rosées.

4. Les bains peuvent nous fournir un exemple de ce phénomène : il n'y a point d'eau au-dessus des voûtes des bains chauds ; mais l'air échauffé par le feu des fourneaux, attire l'humidité des pavés, l'enlève jusqu'aux parois de la voûte, où elle s'attache; la vapeur chaude s'élève et se presse sans cesse; aussi ne retombe-t-elle pas d'abord à cause de sa légèreté; mais aussitôt que l'humidité s'est condensée, elle ne peut plus se soutenir, étant devenue trop pesante, et finit par tomber eu gouttes sur la tête des baigneurs. Par la même raison, l'air extérieur pénétré par le soleil qui l'échauffe, attirant de toutes parts l'humidité, l'enlève et en forme les nuées. Ainsi, de la terre soumise à la chaleur, s'échappe l'hu­midité, comme du corps échauffé de l'homme se dégage la sueur.

5. Les vents nous en fournissent encore une preuve. Ceux qui viennent des régions les plus froides, comme le septentrion et l'aquilon, donnent un air sec qui épuise; tandis que l'auster et tous ceux qui soufflent de la ligne que parcourt le soleil sur l'horizon, sont très-humides et apportent toujours la pluie parce que, échauffés par la chaleur des pays qu'ils traversent, ils enlèvent l'humidité des contrées qu'ils effleurent, et vont la répandre vers les régions septentrionales.

6. Une preuve encore de cette vérité, c'est que les sources des fleuves qui sont indiqués et tracés sur les cartes de géographie, se trouvent couler du septentrion plus nombreux et plus larges. Tels sont, dans l'Inde, le Gange et l'indus qui descendent du mont Caucase; dans l'Assyrie, le Tigre et l'Euphrate; dans l'Asie et le royaume de Pont, le Borysthène, l'Hypanis, le Tanaïs; en Colchide, le Phase; en Gaule, le Rhône; dans la Gaule celtique, le Rhin; en deçà des Alpes, le Timave et le Pô; en Italie., le Tibre; en Maurusie, que nous appelons Mauritanie, le Dyris qui, descendant du versant septentrional de l'Atlas, se dirige par l'occident vers le lac Heptabole, où, changeant de nom, il est appelé Nigir; puis sortant du lac Heptabole pour aller passer sous des montagnes désertes, il coule à travers les pays méridionaux, et se jette dans le marais Coloé qui entoure le royaume de Méroé, dans l'Éthiopie méridionale. C'est en sortant de ces marais, que faisant plusieurs détours pour former les fleuves Astasobas et Astaboras, et plusieurs autres, il parvient, à travers les montagnes, à la cataracte, et de là se précipitant vers le septentrion, il arrive par Eléphantine, Syène et la Thébaïde ers Égypte, où il prend le nom de Nil.

7. Et l'on reconnaît surtout que c'est en Mauritanie que le Nil prend sa source, en ce que du côté opposé du mont Atlas, se trouvent les sources d'autres fleuves qui portent leurs eaux dans l'océan Occidental, et où naissent les ichneumons, les crocodiles et d'autres espèces d'animaux et de poissons, outre les hippopotames.

8. Puis donc qu'on voit dans les descriptions de la terre tous les plus grands fleuves couler du septentrion, et que les campagnes d'Afrique qui, dans les parties méridionales, sont plus rapprochées, du soleil, n'ont d'eau que fort avant dans la terre, de fontaines et de rivières qu'en très-petit nombre, on doit conclure que les meilleures sources sont celles dont les eaux s'écoulent vers l'aquilon et le septentrion, à moins qu'elles ne traversent des lieux remplis de soufre, d'alun ou de bitume : car alors elles perdent leur qualité, et chaudes ou froides, elles ont un goût et une odeur désagréables.

9. Il n'est point d'eau qui soit essentiellement chaude; mais l'eau froide qui, dans son cours, traverse un lieu brûlant, s'échauffe et sort bouillante des veines de la terre. Elle ne peut rester longtemps dans cet état; bien-tôt elle se refroidit; et si elle était naturellement chaude, elle ne perdrait point sa chaleur. Quant à sa saveur, à son odeur et à sa couleur, elle ne les reprend point, parce qu'à cause de la subtilité de sa nature, il se fait avec les matières qui les produisent un mélange trop intime.

III. Des eaux chaudes, et de la nature de plusieurs fontaines, fleuves et lacs.

1. Il existe quelques fontaines chaudes qui donnent des eaux d'un goût excellent. Elles sont si bonnes à boire qu'elles ne le cèdent en rien à celles de la fontaine Camène et à celles de Marcia qui jaillissent de terre. Or, voici comment la nature communique cette chaleur aux eaux. Lorsque, dans les profondeurs de la terre, le feu s'allume dans l'alun, le bitume ou le soufre, il échauffe la terre qui l'environne, et envoie dans les parties supérieures une vapeur brûlante; de sorte que s'il se trouve au-dessus quelques fontaines d'eau douce, rencontrées par cette vapeur, elles s'échauffent dans leurs conduits, et cou-lent sans rien perdre de leur goût.

2. Il y a, d'un autre côté, des fontaines d'eau froide qui ont une odeur et un goût qui ne sont point agréables. Prenant naissance à de grandes profondeurs, elles traversent des lieux brûlants, et ont encore, en les quittant, de grands espaces à parcourir sous terre, d'où elles ne sortent que refroidies, après avoir perdu leur goût, leur odeur et leur couleur propres : c'est ce qu'on remarque sur le chemin de Tibur, à la fontaine Albula; dans le territoire d'Ardée, à des fontaines froides qui ont, comme elle, une odeur sulfureuse, et dans d'autres lieux semblables. Or, bien que ces eaux soient froides, elles paraissent néanmoins bouillonner, parce que, quand elles viennent à rencontrer un lieu brûlant dans les profondeurs de la terre, leur contact avec le feu les irrite, les fait entrer clans une violente ébullition qui les remplit d'une grande quantité de gaz, et gonflées par la force de l'air qui s'y trouve resserré, elles s'élancent à plusieurs reprises de leurs sources en bouillonnant. Les eaux qui ne trouvent point d'issue, et que des rochers ou tout autre obstacle arrêtent, chassées par la violence de cet air, s'élèvent dans d'étroits conduits jusqu'au sommet de certaines montagnes.

3. Ceux qui s'imaginent qu'ils vont trouver des sources d'eau vive à la même hauteur que ces montagnes, reviennent de leur erreur, quand ils y creusent de larges puits. Voyez un vase d'airain qui n'a point été rempli jusqu'au bord, et, qui ne contient de l'eau que jusqu'aux deux tiers de sa grandeur; fermez-le avec son couvercle, et approchez-le d'un feu ardent, bientôt l'eau sera extrêmement chaude. Cette eau naturellement susceptible de raréfaction, reçoit de la chaleur une forte dilatation, et, grâce à la vapeur, non seulement elle remplit le vase, mais encore elle soulève le couvercle et déborde abondamment; mais ôtez le couvercle, la vapeur s'échappe dans l'air et l'eau retombe à son niveau. Il en est de même des eaux d'une source : comprimées dans un étroit espace, le bouillonnement produit par l'air qu'elles contiennent, les fait monter avec effort; mais elles n'ont pas plutôt trouvé un plus large passage, que l'air se dégage à travers leurs pores, qu'elles s'affaissent et reprennent leur équilibre naturel.

4. Toutes les eaux chaudes sont médicinales, parce que cuites, pour ainsi dire, dans les matières qu'elles traversent, elles acquièrent une nouvelle propriété et un autre usage. Les eaux sulfureuses sont bonnes pour les maladies de nerfs, qu'elles fortifient en les échauffant, et en consumant les mauvaises humeurs du corps; les alumineuses guérissent les corps affaiblis par la paralysie ou quelque autre maladie, en redonnant aux veines de l'élasticité, et en neutralisant le froid par une chaleur qui remet bientôt les membres dans leur ancien état de santé; les bitumineuses se boivent, et chassent ordinairement, par la purgation, les maladies internes.

5. Il est une espèce d'eau froide qui est nitreuse : on la trouve à Pinna, ville des Vestins, à Cutilies, et dans d'autres localités semblables. On en boit pour se purger, et ces purgations diminuent aussi les tumeurs scrofuleuses. Dans les mines d'or, d'argent, de cuivre, de plomb et d'autres métaux semblables, on trouve des sources abondantes; mais elles sont très mauvaises, et leur propriété est contraire à celle de l'eau chaude chargée de soufre, d'alun, de bitume; quand on les boit, quand elles ont pénétré dans le corps, et que s'insinuant par les veines, elles atteignent les nerfs et les articulations, elles les enflent et les durcissent ; les nerfs ainsi gonflés par l'inflammation, se raccourcissent, produisent les névralgies et la goutte, parce que les pores des veines sont imprégnés d'humeurs crues, épaisses et froides.

6. Il y a encore une sorte d'eau qui, avec peu de limpidité, se couvre d'une écume d'une couleur de verre rouge qui monte à la surface comme une crème. On la voit surtout auprès d'Athènes; on la prend à sa source pour la conduire dans la ville et auprès du port du Pirée où elle jaillit. La particularité qui la distingue, empêche que personne n'en boive; mais on s'en sert pour les bains et pour d'autres usages; on ne boit que de l'eau de puits pour échapper à ce qu'elle a de nuisible. Trézène ne peut éviter cet inconvénient, en ce qu'on n'y trouve pas d'autre eau que celle de Cibdèle : aussi tous les habitants, ou au moins une grande partie, ont-ils la goutte aux pieds. En Cilicie, la ville de Tarse est traversée par le fleuve Cydnus, dans les eaux duquel les podagres, en se baignant les jambes, trouvent un soulagement à leur douleur.

7. On rencontre encore plusieurs autres espèces d'eaux avec des qualités particulières. En Sicile, le fleuve Himère, après être sorti de sa source, se divise en deux bras; celui qui coule le long de l'Etna, passe sur une terre dont les sucs sont doux, et donne une eau douce; l'autre traverse un terrain d'où l'on tire du sel, et l'eau en est salée. A Parétonium, et auprès de la route qui conduit au temple de Jupiter Haminon, à Casium, auprès de l'Égypte, s'étendent des lacs marécageux qui sont tellement salés qu'on y voit surnager du sel cristallisé. Il y a encore dans plusieurs autres lieux des fontaines, des fleuves, des lacs qui, traversant des salines, sont nécessairement salés.

8. D'autres sources coulant à travers les veines d'une terre onctueuse, semblent imprégnées d'huile : tel est à Soli, ville de Cilicie, le fleuve nommé Liparis. Ceux qui nagent ou qui se baignent dans ses eaux, en sortent le corps tout couvert d'huile. Un lac d'Éthiopie produit le même effet sur les personnes qui s'y baignent; et dans l'Inde on en voit un autre qui, par un ciel serein, jette de l'huile en abondance. A Carthage se trouve une source sur laquelle nage une huile, dont l'odeur est semblable à celle de l'écorce du citron; on se sert habituellement de cette huile pour oindre les troupeaux. A Zacynthe, et aux environs de Dyrrhachium et d'Apollonie, il y a des sources qui jettent avec l'eau une grande quantité de poix. Auprès de Babylone, se trouve un lac immense appelé lÛmnh ƒAsfaltÝtiw (Lac Asphaltite); ses eaux sont couvertes d'un bitume liquide que Sémiramis employa pour construire le mur de brique dont fut entourée Babylone. A Joppé, en Syrie, et dans la partie de l'Arabie qu'habitent les Nu­mides, on rencontre de grands lacs qui produisent des masses de bitume que ramassent les habitants d'alentour.

9. Il n'y a rien là d'étonnant, puisque dans ces localités se trouvent des mines de bitume solide. Lorsqu'au travers de cette matière bitumineuse l'eau se précipite avec violence, elle en entraîne dans son cours; puis une fois entrée dans ce lac, elle se dégage de ce bitume, qu'elle pousse sur les bords. Dans la Cappadoce, auprès de la route qui s'étend entre Mazaca et Tuana, on remarque un vaste lac. Si l'on y enfonce un roseau ou toute autre chose, et qu'on l'en retire le lendemain, on trouve pétrifiée la partie qui était dans l'eau, sans que celle qui était dehors ait éprouvé de changement.

10. Il en est de même à Hiéropolis, en Phrygie, d'une grosse source d'eau bouillante. Dans les fossés qui entourent les jardins et les vignes où elle coule, elle forme au bout d'un an une croûte de pierre qui en tapisse les deux bords. On enlève ces croûtes chaque année pour en faire des clôtures dans les champs. La cause de cet effet semble toute naturelle. Dans les lieux d'où sort cette source, se trouve une substance semblable à celle de la chaux; cette substance mêlée en grande quantité à l'eau de cette source sort de terre avec elle, et se durcit par l'action du soleil et de l'air, comme nous voyons se for-mer le sel dans les salines.

11. Il y a aussi des sources auxquelles les sucs amers de la terre donnent une grande amertume. Tel, au royaume de Pont, le fleuve Hypanis qui, à partir de sa source, roule des eaux très douces par un espace d'environ quarante milles; parvenu à un endroit qui se trouve à cent soixante milles de son embouchure, il reçoit dans son cours une toute petite source qui n'a pas plutôt mêlé son filet d'eau à la masse des eaux du fleuve, qu'elle les rend amères : c'est que l'eau de cette source traverse les veines d'une terre d'où l'on tire la sandaraque qui lui donne son amertume.

12. Or, toutes ces différences de goût ne sont dues qu'aux diverses qualités du terroir, comme on le remarque aussi dans les fruits : car si les racines des arbres, ou des vignes, ou des autres plantes, ne composaient pas leurs fruits des sucs qu'elles tirent de la nature du terrain, les mêmes fruits auraient partout le même goût. Nous savons cependant que dans l'île de Lesbos se fait le vin appelé protyrum (vin de mère-goutte); en Méonie, le katakekaumenÛthn (vin brûlé), en Lydie, le tmolitès (mélange de vin du mont Tmolus); le mamertin, en Sicile; le falerne, en Campanie; à Terracine et à Fundi, le cécube ; et clans un grand nombre d'endroits divers, de nombreuses espèces de vin de qualités différentes; et il ne peut en être ainsi que parce que les sucs de la terre communi­quant leurs propriétés aux racines, en saturent le bois qui les fait monter jusqu'au sommet des branches où les fruits reçoivent le goût particulier à la nature du terroir.

13. Si les sucs de la terre n'avaient pas des qualités si différentes, la Syrie et l'Arabie ne seraient pas les seuls pays qui produisissent des roseaux, des joncs, des herbes si odoriférantes, les arbrisseaux qui donnent l'encens, ceux qui portent les baies du poivre, ceux qui répandent les larmes de la myrrhe, et l'on trouverait ailleurs que dans la Cyrénaïque la plante férulacée du laser; tous les pays, toutes les contrées de la terre produiraient également les mêmes choses. Ces différences que l'on remarque dans chaque pays, sont dues à l'inclinaison du globe, et à la chaleur du soleil qui, en s'approchant plus ou moins de la terre, lui donne tel ou tel suc; et ces différentes qualités ne se rencontrent pas seulement dans les productions du sol; elles se remarquent encore dans le gros et dans le petit bétail. Cette variété aurait-elle lieu, si les qualités des terrains ne dépendaient de leur situation à l'égard du soleil?

14. En Béotie coulent le Céphise et le Mélas; en Lucanie, le Crathis; à Troie, le Xanthe; et sur le territoire de Clazomène, d'Érythrée et de Laodicée, plusieurs rivières et fontaines. Lorsque les animaux sont arrivés à l'époque de l'année favorable à la conception, on les mène boire tous les jours, et quoiqu'ils soient parfaite-ment blancs, ils font des petits gris-cendrés dans certains lieux, bruns dans d'autres endroits, noirs dans d'autres : tant il est vrai que l'eau qui pénètre dans les corps, a la propriété de leur donner une couleur parti-culière à sa nature. Voilà pourquoi, dit-on, les Troyens voyant que les boeufs qui naissent sur les bords du fleuve qui arrose leurs campagnes sont roux, et les moutons gris-cendrés, ont donné à ce fleuve le nom de Xanthe.

15. On rencontre aussi des eaux dont l'usage est mortel. Coulant à travers des terres dont les sucs sont nuisibles, elles en prennent l'essence vénéneuse. Telle était, à ce qu'on dit, une fontaine de Terracine, appelée fontaine de Neptune : ceux qui avaient l'imprudence d'en boire, mouraient à l'instant. On dit que les anciens la comblèrent à cause de cela. On voit aussi en Thrace, chez les Cychriens, un lac dont les eaux font périr et ceux qui en boivent, et ceux même qui s'y baignent. Il existe encore en Thessalie une fontaine à laquelle les troupeaux ne goûtent point, et dont aucun animal rie veut approcher; elle coule auprès d'un arbre dont les fleurs sont de couleur de pourpre.

16. En Macédoine, deux ruisseaux, après avoir baigné les deux côtés du tombeau d'Euripide, se réunissent pour n'en plus faire qu'un. Sur les bord de l'un les voyageurs viennent s'asseoir, et faire un repas, à cause de la bonté de son eau; mais le ruisseau qui coule de l'autre côté du monument éloigne tout le monde de ses eaux que l'on dit être mortelles. Il y a en Arcadie une contrée appelée Nonacris. D'une roche de ses montagnes distille une eau très-froide. On l'appelle Stugòw ìdvr (Eaux du Styx). Elle ne peut être contenue ni dans un vase d'argent, ni dans un de cuivre, ni dans un de fer : elle le fend; elle le fait éclater. On ne peut la mettre et la conserver que dans la corne du pied d'un mulet. On rapporte qu'Antipater chargea son fils Iollas de porter de cette eau dans la province où était Alexandre, et qu'il fit périr le roi en lui en donnant à boire.

17. Au royaume de Cottus, dans les Alpes, il y a une eau qui fait immédiatement mourir ceux qui en boivent. Au pays des Falisques, près de la voie Campanienne, clans le champ Cornetus, se trouve un bocage avec une fontaine dans laquelle on aperçoit des os d'oiseaux, de lézards et de serpents. Il y a encore quelques sources dont les eaux sont acides, comme à Lynceste; à Vélino, en Italie; à Téano, en Campanie, et dans plusieurs autres lieux : elles ont la vertu de dissoudre, quand on en boit, les calculs qui se forment dans la vessie de l'homme.

18. Ce phénomène semble tout naturel. Des sucs âcres et acides se trouvent dans la terre que parcourent les eaux de ces fontaines. Elles se saturent de ces principes acides, et après avoir été bues, elles dissolvent par le contact les matières que l'eau dépose dans les corps et qui s'y durcissent. Mais comment des acides peuvent-ils opérer cette dissolution? Nous pouvons le comprendre de cette manière : laissons tremper quelque temps un oeuf dans du vinaigre; bientôt sa coque s'amollira et se dissoudra. Le plomb, qui est si malléable et si pesant, mis avec du vinaigre dans un vase hermétiquement bouché, se dissout et se change en céruse.

19. Le cuivre, qui est d'une nature encore plus dure, soumis à la même opération, se dissout et se change en vert-de-gris. Les perles et les silex sur lesquels le fer et le feu n'ont point d'action, viennent-ils à être chauffés et arrosés de vinaigre, ils se fendent et se dissolvent. Ces expériences nous mettent facilement à même de juger par analogie que les acides, par l'activité de leur nature, peuvent produire le même effet pour la guéri-son (les personnes malades de la pierre.

20. On rencontre encore des sources dans les eaux des-quelles il semble qu'il y ait du vin de mêlé. La Paphlagonie en possède une de ce genre. Ceux qui en boivent deviennent ivres sans y avoir mis de vin. Chez les Èques, en Italie, et chez les Médulliens, dans les Alpes, il y a une espèce d'eau qui fait enfler la gorge à ceux qui en boivent.

21. En Arcadie se trouve une ville assez connue, appelée Clitor. Sur son territoire se remarque une caverne d'où sort une source qui fait haïr le vin à ceux qui boivent de son eau. Sur cette fontaine on a gravé en vers grecs une inscription dont le sens est qu'elle ne vaut rien pour les bains, et qu'elle est ennemie de la vigne, parce que c'est dans ses eaux que Melarpus, après avoir sacrifié, purifia les filles de Prétus, pour les guérir de leur folie, et ramena la raison dans leur esprit. Voici cette inscrip­tion : « Villageois, si les feux du soleil du midi te surprennent avec tes troupeaux sur le territoire de Clitor, et allument ta soif, bois à ma source, et fais arrêter tes chèvres auprès des nymphes de mes eaux; mais garde-toi d'y baigner tes membres; que le poison de sa chaude vapeur ne te fasse point tomber dans l'ivresse; fuis mes eaux ennemies de la vigne; c'est là que Melampus guérit les filles de Prétus de leur fureur terrible, après avoir accompli un sacrifice mystérieux, quand, à son départ d'Argos, il arriva dans les montagnes de la sauvage Arcadie. »

22. L'île de Chio possède de même une fontaine dont les eaux font perdre la raison à ceux qui en boivent imprudemment; on y lit aussi une inscription qui signifie que ses eaux sont agréables à boire, mais que celui qui en boit aura le coeur dur comme un rocher. En voici les vers : « Il est agréable de boire les eaux fraîches que répand cette fontaine; mais elles changent en rocher le coeur de celui qui en boit. »

23. A Suse, capitale du royaume de Perse, il y a une petite fontaine qui fait tomber les dents de ceux qui yboivent. Elle a aussi son inscription qui porte que les eaux en sont bonnes pour le bain, mais que ceux qui en boivent perdent leurs dents. Cette inscription est en vers grecs : « Étranger, qui vois cette fontaine, tu peux sans danger y baigner tes mains ; mais si tu en fais descendre les eaux limpides dans le creux de ton estomac, tu n'en auras pas plutôt touché la surface de tes lèvres allongées, que ce régal fera immédiatement tomber à terre tes dents grinçantes, sans en laisser une seule dans ta mâchoire.

IV. Des qualités particulières à certains lieux et à certaines fontaines.

1. Il y a des contrées où les fontaines ont la vertu de donner aux naturels de ces pays des voix admirablement propres au chant, comme Tarse, Magnésie et d'autres lieux encore. Zama est une ville d'Afrique; le roi Juba la fit entourer d'un double mur, et y fit bâtir son palais : à vingt milles de distance se trouve lé fort d'Ismuc. La campagne qui l'environne est d'une immense étendue. Bien que l'Afrique produise et nourrisse beaucoup de bêtes nuisibles, et surtout des serpents, il n'en naît pas une seule dans la circonscription de cette campagne, et si l'on y en apporte quelqu'une, elle meurt immédiatement. Ce n'est pas tout, la terre transportée autre part produit le même effet. On dit que la terre des îles Baléares est de même nature; mais elle a une autre pro­priété bien plus merveilleuse encore. Voici ce que j'en ai entendu raconter.

2. C. Julius, fils de Masinissa, à qui appartenaient les terres qui entourent ce fort, servait sous les drapeaux de César, votre père; il reçut l'hospitalité dans ma maison, et dans nos rapports journaliers, la philologie servait de texte à nos entretiens. Notre conversation étant tombée un jour sur la nature des eaux et leurs propriétés, il me raconta que, dans cette terre, il y avait des fontaines dont les eaux donnaient de la beauté à la voix de ceux qui y naissaient; que c'était pourquoi les habitants allaient au delà des mers acheter de jeunes et beaux esclaves de l'un et de l'autre sexe, afin que les enfants qui en naîtraient, réunissent en eux la beauté de la voix à celle du corps.

3. Si la nature a répandu dans ses diverses productions une variété telle que le corps humain, dans la composition duquel entre une petite partie de terre, contient plusieurs sortes de substances liquides, comme du sang, du lait, de la sueur, de l'urine, des larmes; si donc avec une si petite portion de terre, on voit réunies tant de matières de qualités différentes, il ne faut pas s'étonner qu'il se rencontre dans la masse du globe terrestre une si prodigieuse variété de sucs à travers lesquels venant à passer les eaux s'en trouvent imprégnées quand elles arrivent à la source des fontaines, où elles présentent toutes les différences, toutes les variétés qu'elles doivent à la nature si diverse de toutes les parties de la terre.

4. De tous ces phénomènes, il en est quelques-uns que j'ai vérifiés moi-même; j'ai lu le reste dans des auteurs grecs, tels que Théophraste, Timée, Posidonius, Hégésias, Hérodote, Aristide, Métrodore, qui, grâce au soin et au zèle qu'ils ont apportés dans leurs recherches, ont prouvé que c'était à la différence des climats que chaque pays, chaque fontaine devait ses propriétés, ses qualités, ses vertus. J'ai puisé dans les ouvrages de ces au­teurs, et j'ai écrit dans ce livre ce qu'il m'a paru indispensable de faire connaître sur la diversité des eaux, afin que mes observations donnent plus de facilité pour choisir les fontaines dont l'usage sera le plus avantageux aux villes et aux municipes où on les conduira.

5. Est-il, en effet, rien sur la terre dont l'usage soit d'une nécessité aussi absolue que celui de l'eau ? Que les êtres animés viennent à manquer ou de blé, ou de fruits, ou de chair, ou de poisson, ou même de toutes ces choses à la fois, ne restera-t-il pas quelque autre aliment dont ils pourront se servir pour sustenter leur vie? Mais sans l'eau, ni les êtres animés, ni tout ce qui sert à les alimenter, ne pourront naître, ni se conserver. Aussi est-ce avec le plus grand soin, la plus grande précaution, qu'on doit chercher et choisir des fontaines qui soient favorables à la santé de l'homme.

V. Moyen de connaître la qualité des eaux.

1. Voici la manière de connaître, d'apprécier la qualité des eaux. Si elles coulent à découvert, avant de se mettre à établir des conduits, il faudra examiner avec attention quelle est la complexion des habitants du lieu : des membres robustes, un teint coloré, des jambes saines, des yeux purs sont les meilleures preuves de la bonté des eaux. Une fontaine a-t-elle été nouvellement ouverte, que quelques gouttes de son eau soient jetées sur du cuivre de Corinthe, ou sur toute autre espèce de cuivre de bonne qualité; l'absence de tache prouvera l'excellence de cette eau. Mettez encore de cette eau à bouillir dans un vase de cuivre, laissez-la ensuite reposer; si, après avoir été transvasée, elle n'a laissé aucun dépôt de sable ou de limon, c'est une preuve de sa bonté.

2. Des légumes mis dans un vase viennent-ils à cuire promptement dans cette eau, regardez-la comme bonne et saine. Cette même eau, dans sa source, est-elle lim­pide et transparente, sans mousse, sans jonc qui naisse dans les lieux que son cours sillonne, sans ordure qui les salisse, conserve-t-elle toujours une apparence de pureté, ce sont des signes qui attestent qu'elle est légère et très salubre.

VI. De la manière de niveler les eaux, et des instruments qu'on doit employer.

1. Je vais maintenant expliquer les moyens de conduire les eaux aux habitations et aux villes. Le premier, est d'en prendre le niveau. Pour cela on se sert du dioptre, des balances faites pour cet usage, et du chorobate. Ce dernier instrument est le plus exact; on peut se tromper avec les deux autres. Le chorobate se compose d'une règle, longue d'environ vingt pieds; aux extrémités de cette règle se trouvent deux pièces de même dimension, qui y sont assemblées en forme de bras d'équerre, et entre la règle et les extrémités de ces deux pièces coudées s'étendent deux traverses fixées par tenons, sur lesquelles on trace des lignes perpendiculaires; sur ces lignes viennent correspondre des plombs attachés de chaque côté à la règle. Ces plombs, lorsque la machine est en place, venant à rencontrer perpendiculairement les lignes tracées sur les pièces de dessous, font voir que l'instrument est bien de niveau.

2. S'il arrivait que le vent, en agitant le plomb, l'empêchât de se fixer d'une manière certaine, il faudrait alors creuser sur le haut de la règle un canal long de cinq pieds, large d'un doigt, profond d'un doigt et demi, et y verser de l'eau; si l'eau touche également l'extrémité des bords du canal, c'est que l'instrument sera bien de niveau. Ainsi, à l'aide du chorobate, il sera facile de connaître la hauteur de l'eau.

3. Ceux qui ont lu les livres d'Archimède diront peut-être que l'eau ne peut pas donner un niveau bien juste, parce qu'il pense que l'eau présente non une surface plane, mais une surface arrondie, dont le centre est celui de la terre. Mais que la superficie de l'eau soit plane ou courbe, il faudra que les deux bouts du canal creusé dans la règle mise à niveau soutiennent également l'eau à droite et à gauche, et que si, au contraire, le canal penche d'un côté, l'eau ne monte plus de l'autre qui sera plus élevé, jusqu'au bord du canal : car, bien que l'eau, dans quelque chose qu'on la mette, s'arrondisse au milieu et y fasse une courbe, les deux extrémités n'en seront pas moins équilibrées entre elles à droite et à gauche. On trouvera à la fin de ce livre la figure du chorobate. Si l'eau a beaucoup de pente, il n'en sera que plus facile de la conduire, et si elle rencontre des fondrières sur son passage, il faudra avoir recours, pour soutenir l'aqueduc, à des constructions inférieures.

VII. De la manière de conduire les eaux, de creuser les puits, de faire les citernes, et autres ouvrages maçonnés à chaux et à ciment.

1. On peut conduire les eaux de trois manières, ou par des aqueducs en maçonnerie, ou par des tuyaux de plomb, ou par des tuyaux en poterie. Si l'on fait usage de la première manière, la construction devra être d'une grande solidité, et l'on fera couler l'eau sur un lit dont la pente sera d'un demi-pied au moins sur une longueur de cent pieds; cet aqueduc sera voûté, afin que l'eau ne soit point exposée à l'action du soleil. Quand il sera arrivé auprès des murailles de la ville, on construira un bassin près duquel on placera trois réservoirs. De ce bassin, trois robinets seront disposés sur la même ligne au-dessus des réservoirs, de manière que si l'eau vient à être trop abondante dans ceux des extrémités, elle puisse tomber dans celui du milieu.

2. Ainsi, de ce réservoir du milieu, partiront les tuyaux qui enverront l'eau clans tous les lavoirs et dans les fontaines jaillissantes; le second bassin fournira l'eau des bains qui, chaque année, assureront un revenu au peuple; le troisième approvisionnera les maisons des particuliers. Voici la raison de cette distribution : l'eau ne manquera point pour les besoins publics, puisque les conduits particuliers qui la prendront au réservoir em­pêcheront qu'elle ne puisse être détournée; et les citoyens qui voudront avoir de l'eau chez eux payeront aux receveurs un impôt qui servira à l'entretien des aqueducs.

3. S'il se rencontre des montagnes entre la ville et la source de la fontaine, il faudra les percer en ménageant la pente dans les proportions indiquées plus haut; s'il s'y trouve du tuf ou de la pierre, on y creusera le canal; si le sol est terreux ou sablonneux, on construira deux murailles avec une voûte qu'on continuera jusqu'à l'extrémité. Dans la longueur de l'aqueduc, on pratiquera des puits à la distance de cent vingt pieds les uns des autres.

4. Si l'on conduit l'eau dans des tuyaux de plomb, on construira sur la source un regard, et depuis ce regard jusqu'à celui qui est contre les murs de la ville, on posera des tuyaux dont le diamètre devra être proportionné à la quantité d'eau. Les tuyaux seront fondus de la longueur de dix pieds au moins. Si les lames ont cent doigts de largeur, chaque tuyau pèsera douze cent six livres; si elles en ont quatre-vingts, il pèsera neuf cent soixante livres; si elles en ont cinquante, il pèsera six cent livres; si elles en ont quarante, il pèsera quatre cent quatre.. vingts livres; si elles en ont trente, il pèsera trois cent soixante livres; si elles en ont vingt, il pèsera deux cent quarante livres; si elles en ont quinze, il pèsera cent quatre-vingts livres; si elles en ont dix, il pèsera cent vingt livres; si elles en ont huit, il pèsera quatre-vingt-seize livres; si elles en ont cinq, il pèsera soixante livres. Or, c'est du nombre des doigts qui forment la largeur des lames avant d'être arrondies que les tuyaux prennent leur dénomination. Et la lame de cinquante doigts, destinée à faire un tuyau, lui fera donner le nom de tuyau de cinquante doigts, et ainsi des autres.

5. La conduite des eaux qui doit se faire par le moyen de tuyaux de plomb, aura cet avantage, que si, depuis la source jusqu'à la ville, la pente est convenable, et que les montagnes intermédiaires ne soient point trop hautes pour l'interrompre, il faudra remplir les intervalles avec de la maçonnerie jusqu'au niveau de la pente, comme pour les aqueducs; et même si le détour n'est pas trop long, on pourra faire poser les tuyaux autour de la mon­tagne; mais si l'on rencontre une vallée qui ait beaucoup de largeur, on fera suivre l'inclinaison aux tuyaux, jus-qu'à ce qu'ils soient arrivés au fond de cette vallée, dont ils conserveront le niveau le plus longtemps possible, sans maçonnerie qui les élève : c'est cette partie qu'on appelle ventre, en grec koilÛa; puis, lorsque les tuyaux seront parvenus au coteau opposé, l'eau, un peu resserrée par la longueur du ventre, finira par s'élever jusqu'au sommet.

6. Si les tuyaux ne formaient point ce ventre au fond de la vallée; si, au lieu de leur donner une légère pente, on leur faisait faire immédiatement le coude, l'eau séparerait, briserait les jointures des tuyaux. Dans l'espace appelé ventre, on fera aussi des ventouses qui donneront jour à l'air qui s'y trouve enfermé. Ainsi, ceux qui se serviront de tuyaux de plomb pour conduire les eaux, pourront parfaitement le faire, et en droite ligne, et par des détours, et en la faisant descendre, et en la faisant monter, lorsqu'on aura une pente raisonnable depuis la source jusqu'à la ville.

7. Il ne sera point inutile de placer des regards à des distances de quatre mille pieds, afin que si quelque en-droit vient à se détériorer, il soit facile de le trouver, sans qu'on soit obligé de briser tout l'ouvrage. Mais ces regards ne doivent se faire ni sur les pentes, ni dans la partie qu'on appelle ventre, ni dans celle où l'eau re­monte, ni dans les vallées, mais seulement dans les lieux où les tuyaux parcourent un long espace en conservant le niveau de la source.

8. Si l'on veut faire moins de frais pour conduire l'eau, on se servira de tuyaux en terre cuite, de l'épaisseur de deux doigts au moins. Ces tuyaux devront être plus petits par un bout, afin qu'ils puissent facilement s'emboîter l'un dans l'autre. Quant aux joints, on les fixera avec de la chaux vive délayée avec de l'huile. Les tuyaux qui descendent sont réunis par un coude à ceux qui forment le ventre : ce coude sera fait avec un morceau de pierre rouge, qu'on percera de manière que le dernier des tuyaux qui descendent puisse s'ajuster à la pierre aussi bien que le premier de ceux qui forment le ventre. Du côté opposé, il y aura un autre coude, également en pierre rouge, où viendront s'ajuster le dernier des tuyaux qui forment le ventre, et le premier de ceux qui remontent.

9. Après avoir ainsi organisé les tuyaux, tant ceux qui se trouvent horizontalement placés, que ceux qui montent ou qui descendent, il n'y aura point d'accident à craindre. C'est que souvent il se forme dans les conduits des eaux un air assez violent pour les faire éclater, si l'on n'a point eu la précaution d'y introduire tout doucement l'eau par la première embouchure, et de les bien assujettir aux coudes ou aux détours par des liens ou par une charge de gravier. Pour tout le reste, ce sont les mêmes précautions que pour les tuyaux de plomb. Il est encore bon, avant que les tuyaux ne reçoivent l'eau, d'y faire entrer de la cendre chaude, afin que si quelque jointure n'avait point été assez calfeutrée, la cendre pût y remédier.

10. Les tuyaux de terre cuite ont cet avantage, que s'il arrive quelque accident, il est facile de le réparer, et que l'eau y est bien meilleure que dans les tuyaux de plomb. Ce qui la rend mauvaise dans ces derniers, c'est qu'il s'y forme de la céruse, matière que l'on dit être très-nuisible au corps de l'homme. Or, si le plomb produit des matières malsaines, nul doute qu'il ne soit lui-même contraire à la santé.

11. Nous pouvons en voir une preuve dans les plombiers, dont le teint est d'une extrême pâleur. Lorsque le plomb est en fusion, la vapeur qui s'en exhale pénétrant dans les corps, les dessèche de plus en plus, et finit par en-lever au sang ses qualités essentielles; aussi semble-t-il qu'il faille ne se point servir de tuyaux de plomb pour conduire les eaux, si l'on veut les avoir bonnes. Les tuyaux de terre cuite la rendent même meilleure à boire: c'est ce que confirme l'expérience de tous les jours. Ne voyons-nous pas, en effet, que ceux qui ont des buffets garnis de vaisselle d'or et d'argent, aiment mieux boire dans des vases de terre?

12. Dans les endroits où il n'y aura point de fontaines dont on puisse amener les eaux, il faudra nécessairement creuser des puits; mais c'est un travail qui ne doit pas être fait à la légère : il faut, au contraire, mettre toute sa science, toute son habileté à examiner les disposi­tions que présente la nature; et la terre renferme des substances aussi variées que nombreuses : car, comme toutes les autres choses, elle est composée de quatre principes : de terre d'abord, puis d'eau : de là les fontaines; ensuite de feu : c'est lui qui fait naître le soufre, l'alun, le bitume ; elle se compose enfin d'air. Les vapeurs en sont nuisibles et pernicieuses; et, par les nombreuses veines de la terre, elles arrivent jusqu'aux puits, où elles font beaucoup de mal aux fossoyeurs. En s'insinuant dans leurs narines, elles leur ôtent la respiration, de sorte qu'ils étouffent, s'ils ne se soustraient pas au plus vite à leur action.

13. Pour prévenir cet accident, voici ce qu'il faut faire : on descend clans le puits une lampe allumée : si elle v reste sans s'éteindre, on ne risque rien d'y pénétrer; mais si, par la force de la vapeur, elle cesse de brûler, on devra alors, à droite et à gauche du puits, creuser des soupiraux : par ces ouvertures, la vapeur pourra s'échapper, comme par le registre d'un fourneau. Lors-que ce travail sera une fois terminé, et que l'eau apparaîtra, on élèvera le mur du puits, de manière à ne point boucher les sources.

14. Mais si le sol était trop dur, ou que les sources fus-sent trop avant dans la terre, on construirait alors à chaux et à ciment des citernes dans lesquelles on recevrait l'eau qui tomberait des toits ou d'autres lieux élevés. Voici comment se fait ce genre de maçonnerie. On prépare du sable pur et rude; on casse des cailloux par morceaux qui pèsent une livre au plus; on a de très-forte chaux. Un bassin reçoit ce mélange, composé de cinq parties de sable contre deux de chaux, auquel on ajoute les cailloux; on creuse ensuite une tranchée jusqu'à la profondeur que l'on veut donner à la citerne, et on la remplit de ce mortier, que l'on bat avec des leviers ferrés.

15. Une fois les quatre murs terminés, on enlève la terre du milieu jusqu'au bas des murs, et quand le fond a été bien aplani, on le couvre d'une couche de ce même mortier, que l'on bat jusqu'à ce qu'elle ait acquis l'épaisseur nécessaire. Si l'on fait deux ou trois citernes, de manière qu'en passant de l'une dans l'autre, l'eau puisse se clarifier, elle est bien meilleure, bien plus douce à boire. Le limon trouvant où se déposer, l'eau devient plus limpide et conserve son goût naturel, sans prendre une odeur étrangère; sinon, on est obligé d'y ajouter du sel pour la rendre plus légère.

16. Tout ce que j'ai pu découvrir sur la qualité de l'eau, sur ses variétés, sur l'usage qu'on en peut faire, sur les moyens de la conduire et d'en connaître les propriétés, je l'ai consigné clans ce livre; la manière de faire les cadrans solaires et les horloges fera la matière du livre suivant.

LIVRE NEUVIEME

INTRODUCTION.

1. Les célèbres athlètes qui sortaient victorieux des jeux Olympiques, Pythiens, Isthmiques et Néméens, recevaient autrefois des Grecs de magnifiques honneurs. La palme et la couronne dont on les décorait au milieu de l'assemblée, n'étaient pas les seules récompenses qu'on leur accordait : lorsqu'ils retournaient dans leur patrie, c'était sur des chars de triomphe qu'ils étaient portés, et le trésor public pourvoyait à leurs besoins pendant toute leur vie. A la vue de telles distinctions, je suis étonné qu'on n'ait pas rendu les mêmes honneurs, et de plus grands encore, à ceux dont les écrits rendent d'immenses services dans tous les temps et chez tous les peuples. Et il y eût eu certes plus de justice, puisque l'athlète se borne à donner par l'exercice plus de force à son corps, tandis que l'écrivain, tout en perfectionnant son esprit, dispose celui des autres à la science par les leçons utiles qu'il répand dans ses ouvrages.

2. Milon le Crotoniate ne fut jamais vaincu! Quel avantage les hommes en ont-ils retiré ? Et tous ceux qui, comme lui, furent vainqueurs, ont-ils fait autre chose que de jouir pendant leur vie d'une glorieuse réputation au milieu de leurs concitoyens? Mais il n'en est pas de même des préceptes de Pythagore, de Démocrite, de Platon, d'Aristote et des autres sages : journellement lus et mis en pratique, ils produisent sans cesse des fruits toujours nouveaux, non seulement pour leurs concitoyens, mais encore pour tous les peuples. Ceux qui, dès leur jeunesse, puisent à la source de leur doctrine, possèdent les excellents principes de la sagesse, et dotent les villes de bonnes moeurs, de droits basés sur la justice, de sages lois, sans lesquelles il n'est point d'État qui puisse subsister.

3. Puisque, grâce à leurs connaissances, les écrivains peuvent procurer à tous les hommes de si grands avantages, ce n'est pas seulement par des palmes et des couronnes qu'il convient, à mon avis, de les honorer, il faudrait encore leur décerner des triomphes, et les mettre au rang des dieux. Ils ont fait un grand nombre de découvertes dont les hommes ont profité pour agrandir leur savoir : je vais à quelques-uns d'entre eux en emprunter une que je proposerai comme exemple ; on sera forcé de reconnaître et d'avouer qu'on doit des honneurs à de tels hommes.

4. Commençons par Platon, et suivons-le dans le développement qu'il donne d'un de ses si nombreux et si utiles raisonnements. Une place, ou un champ, est parfaitement carrée : on veut en doubler la grandeur, en lui donnant une forme également carrée. Comme on ne peut le faire par la multiplication des nombres, il faut avoir recours à la règle et au compas. Voici la démonstration qu'il emploie. Le carré qui aura dix pieds de longueur et autant de largeur, donnera une surface de cent pieds; on veut doubler cette surface, lui donner deux cents pieds, en lui conservant sa forme carrée : il faut chercher quelle sera la grandeur de chaque côté du carré, pour que la multiplication de ces côtés produise les deux cents pieds que doit avoir la superficie; ce qu'il est impossible de trouver par des nombres : car si nous prenons le nombre quatorze, la multiplication donnera cent quatre-vingt-seize. Si nous recourons au nombre quinze, nous obtiendrons deux cent vingt-cinq.

5. Ce problème ne pouvant être résolu par des nombres, il faut tirer dans ce carré de dix pieds de longueur sur autant de largeur, une ligne diagonale pour le diviser en deux triangles égaux, ayant chacun cinquante pieds de surface, et sur la longueur de cette diagonale tracer un carré dont les côtés soient égaux à cette ligne. Par ce moyen, on aura dans le grand carré quatre triangles aussi grands et ayant le même nombre de pieds que les deux triangles qui ont pour base la diagonale du petit carré, et qui contiennent chacun cinquante pieds. C'est par ces lignes que Platon a expliqué la manière de doubler le carré. Voyez la figure tracée ci-dessous.

6. Pythagore a de même inventé et fait connaître la manière de tracer un angle droit, sans employer l'équerre dont se servent les ouvriers; et cet instrument qui sort si rarement juste des fabriques, malgré tout se qu'on se donne de peine pour le faire, Pythagore nous a expliqué et appris le moyen de le tracer avec justesse et certitude. On prend trois règles qui ont de longueur, l'une trois pieds, l'autre quatre, la troisième cinq. On les dispose de manière que, se joignant par leurs extrémités, elles présentent un triangle qui donnera une équerre juste. Si la longueur de chacune de ces règles sert de base pour tracer trois carrés équilatéraux, celui dont le côté sera de trois pieds, aura neuf pieds de surface; celui dont le côté sera de quatre, en aura seize ; celui dont le côté sera de cinq, en aura vingt-cinq.

7. De cette manière les deux carrés, dont l'un présente trois pieds et l'autre quatre sur chacun de leurs côtés, donnent ensemble une surface égale à celle du troisième carré, qui a cinq pieds de chaque côté. Dès qu'il eut fait cette découverte, Pythagore ne doutant point qu'il ne la dût à une inspiration des Muses, leur rendit de très grandes actions de grâces, et leur immola, dit-on, des victimes. Or, ce procédé si utile dans beaucoup d'applications, surtout quand il s'agit de mesurer, est aussi d'un immense avantage dans les édifices pour la construction des escaliers, afin d'en bien proportionner les degrés.

8. Si, en effet, la hauteur comprise entre le premier étage et le rez-de-chaussée est divisée en trois parties, il suffit de donner cinq de ces parties au limon de l'échiffre, pour que la pente ait une grandeur convenable : car si le potelet qui se trouve entre le premier étage et le rez-de-chaussée comprend une hauteur divisée en trois parties, le patin qui s'en éloignera horizontalement devra en avoir quatre à l'endroit où viendra s'emboîter le pied de l'échiffre; par ce moyen, les degrés et l'ensemble de l'escalier seront bien proportionnés. On en peut juger par la figure tracée ci-dessous.

9. Archimède a fait une foule de découvertes aussi admirables que variées. Parmi elles, il en est une surtout dont je vais parler, qui porte le cachet d'une grande intelligence. Hiéron régnait à Syracuse. Après une heureuse expédition, il voua une couronne d'or aux dieux immortels, et voulut qu'elle fût placée dans un certain temple. Il convint du prix de la main d'oeuvre avec un artiste, auquel il donna au poids la quantité d'or nécessaire. Au jour fixé, la couronne fut livrée au roi, qui en approuva le travail. On lui trouva le poids de l'or qui avait été donné.

10. Plus tard, on eut quelque indice que l'ouvrier avait soustrait une partie de l'or, et l'avait remplacée par le même poids en argent mêlé dans la couronne. Hiéron, indigne d'avoir été trompé, et ne pouvant trouver le moyen de convaincre l'ouvrier du vol qu'il avait fait, pria Archimède de penser à cette affaire. Un jour que, tout occupé de cette pensée, Archimède était entré dans une salle de bains, il s'aperçut par hasard qu'à mesure que son corps s'enfonçait dans la baignoire, l'eau passait par-dessus les bords. Cette découverte lui donna l'explication de son problème. Il s'élance immédiatement hors du bain, et, dans sa joie, se précipite vers sa maison, sans songer à s'habiller. Dans sa course rapide, il criait de toutes ses forces qu'il avait trouvé ce qu'il cherchait, disant en grec : g-Heurehka ! g-Heurehka !

11. Aussitôt après cette première découverte, il fit faire, dit-on, deux masses de même poids que la couronne, l'une d'or, l'autre d'argent; ensuite il remplit d'eau jus-qu'aux bords un grand vase, et y plongea la masse d'argent qui, à mesure qu'elle enfonçait, faisait sortir un volume d'eau égal à sa grosseur. Ayant ensuite ôté cette masse, il mesura l'eau qui manquait, et en remit un setier dans le vase pour qu'il fût rempli jusqu'aux bords, comme auparavant. Cette expérience lui fit connaître quel poids d'argent répondait à une certaine mesure d'eau.

12. Il plongea aussi de même la masse d'or dans le vase plein d'eau; et après l'en avoir retirée et avoir également mesuré l'eau qui en était sortie, il reconnut qu'il n'en manquait pas autant, et que le moins répondait à celui qu'avait le volume de la masse d'or comparé avec le volume de la masse d'argent qui était de même poids. Le vase fut rempli une troisième fois, et la couronne elle-même y ayant été plongée, il trouva qu'elle en avait fait sortir plus d'eau que la massé d'or, qui avait le même poids, n'en avait fait sortir; et, calculant d'après le volume d'eau que la couronne avait fait sortir de plus que la masse d'or, il découvrit la quantité d'argent qui avait été mêlée à l'or, et fit voir clairement ce que l'ouvrier avait dérobé.

13. Transportons maintenant notre attention sur les travaux d'Architas de Tarente et d'Eratosthène le Cyrénéen. Les mathématiques leur doivent un grand nombre de belles découvertes. Quoiqu'elles soient toutes intéressantes, il en est une surtout, à laquelle ils ont travaillé tous deux, qui mérite toute notre admiration. Chacun d'eux est parvenu, par des moyens différents, à résoudre le problème qu'Apollon avait proposé dans sa réponse aux habitants de Délos : il s'agissait de faire un cube qui fût le double de celui de son autel ; la solution devait délivrer les habitants de l'île des maux que faisait peser sur eux la colère des dieux.

14. Architas y arriva par le moyen des hémicylindres, et Ératosthène par celui du mésolabe. Bien que ce soit avec tout le plaisir qu'inspirent les sciences que je suis ces découvertes, et que chacune d'elles, considérée dans ses effets, excite naturellement notre enthousiasme, portant mon attention sur d'autres objets, j'admire aussi les livres de Démocrite sur la nature, et son commentaire qu'il a intitulé g-Xeirokmehtohn (recueils d’expériences), où il s'est servi de cire rouge empreinte de son cachet pour marquer les choses qu'il avait expérimentées lui-même.

15. Les ouvrages de ces grands hommes ne servent pas seulement à corriger les mœurs, ils seront dans tous les temps d'une grande utilité pour tous les hommes, tandis que les athlètes voient bientôt leur célébrité s'affaiblir avec leurs forces; et ce n'est ni dans le temps de leur plus grande vigueur, ni après leur mort, ni par les préceptes de leur art, qu'ils peuvent procurer aux hommes les avantages qu'on retire des oeuvres des savants.

16. Mais comme on n'accorde point d'honneurs au génie ni aux talents supérieurs des écrivains, s'élançant eux-mêmes par leur intelligence dans les régions de l'air, ils s'élèvent par la suite des temps jusqu'au ciel, et imposent pour toujours à la postérité non seulement la connaissance de leurs pensées, mais encore celle de leurs traits. Aussi quiconque se sent entraîner par le charme des belles-lettres, ne peut manquer d'avoir l'image du poète Ennius gravée dans son coeur, comme celle des dieux. Et ceux qui aiment les vers d'Accius, ne croient pas seulement avoir sous les yeux les grâces de son style, ils s'imaginent encore qu'ils possèdent l'image vivante du poète.

17. Il en sera de même de ceux qui naîtront après nous, ils croiront s'entretenir avec Lucrèce lui-même sur la nature des choses, et avec Cicéron sur la rhétorique. Beaucoup de nos descendants discourront avec Varron sur la langue latine; et combien d'érudits, consultant sur beaucoup de sujets les sages de la Grèce, s'imagineront avoir avec eux des entretiens secrets! En un mot, lorsque les anciens philosophes, malgré leur absence, sont invoqués dans les conseils et dans les discussions, ils doivent tous à l'ancienneté de leur gloire une autorité plus grande que n'est celle des philosophes vivants.

18. C'est appuyé sur le crédit de ces illustres écrivains, c'est guidé par leurs lumières et leurs conseils, que j'ai écrit ces livres, ô César! Les sept premiers ont traité des édifices, et le huitième des eaux; dans celui-ci, je vais expliquer les règles de la gnomonique, dire comment, par le moyen des ombres du gnomon, on arrive à connaître la hauteur du soleil, et dans quelle proportion elles s'allongent et se raccourcissent.

I. Des douze signes du zodiaque, et des sept astres qui ont un mouvement contraire à celui de ces signes.

1. Il y a des découvertes qui semblent avoir été faites par un esprit divin, et qui excitent au plus haut point l'admiration de ceux qui les examinent. On a vu, par exemple, que l'ombre du gnomon équinoxial avait une grandeur différente à Athènes, à Alexandrie, à Rome, à Plaisance et dans les autres lieux de la terre. Voilà pourquoi les cadrans présentent de si grandes différences dans leur plan, selon le changement des lieux. C'est en effet d'après la grandeur des ombres équinoxiales qu'on décrit la figure des analèmes au moyen desquels on tire, suivant la situation des lieux et l'ombre du gnomon, les lignes qui indiquent les heures. L'analème est un instrument réglé d'après le cours du soleil, et dû à l'observation des ombres qui décroissent à partir du solstice d'hiver; il sert, à l'aide de l'équerre et du compas, à décrire les effets de cet astre dans le monde.

2. Le monde est l'ensemble qui comprend toutes les parties de la nature, le ciel et les étoiles. Le ciel tourne sans cesse autour de la terre et de la mer sur un axe dont les extrémités servent de pivots : car, dans ces endroits, la puissance qui gouverne la nature a construit et placé deux pivots semblables à deux centres : l'un, partant de la terre et de la mer, va aboutir au plus haut du ciel, auprès des étoiles du septentrion; l'autre, diamétralement opposé, se trouve sous la terre dans les parties méridionales. Là, autour de ces pivots, comme autour de deux centres semblables à ceux d'un tour, elle a placé deux petits cercles appelés en grec g-poloi sur lesquels le ciel tourne sans cesse : la terre, placée au milieu avec la mer, en est naturellement le centre.

3. La nature a disposé les pôles de manière que celui qui est dans la partie septentrionale est élevé sur notre horizon, et que l'autre, qui est dans la partie méridionale, se trouve placé au-dessous de la terre, qui le cache. De plus, entre ces deux pôles, le ciel est traversé par une large zone sphérique, qui est inclinée vers le midi ; elle se compose de douze signes que la nature a représentés par la disposition des étoiles divisées en douze parties égales. Ces étoiles, aussi bien que les autres astres qui tournent autour de la terre et de la mer, suivent dans leur cours la circonférence du ciel.

4. Toutes ces étoiles sont nécessairement tantôt visibles et tantôt invisibles. Il y a toujours six de ces constellations qui se promènent au-dessus de l'horizon, quand les six autres se trouvent au-dessous, cachées par l'ombre de la terre. Or, s'il y a toujours six de ces signes qui soient au-dessus de la terre, c'est parce que, à mesure que le dernier signe, emporté par le mouvement de rotation, s'abaisse d'un côté pour disparaître entièrement au-dessous de la terre, du côté opposé un autre signe, entraîné par le même mouvement circulaire, s'élève de la même quantité des lieux où il était caché, pour paraître à nos yeux : car l'orient et l'occident sont tous deux soumis à la même force et à la même nécessité.

5. Ces signes, au nombre de douze, et occupant chacun la douzième partie du ciel, tournent perpétuellement d'orient en occident, tandis qu'au-dessous d'eux, par un mouvement contraire, la lune, l'étoile de Mercure, celle de Vénus, le soleil lui-même, les étoiles de Mars, de Jupiter et de Saturne, s'élevant comme par des degrés et parcourant une ligne plus ou moins grande, se transportent d'occident en orient. La lune fait le tour du ciel en vingt-huit jours et environ une heure de plus. Le temps qu'elle emploie à revenir au même point du zodiaque d'où elle était partie, forme le mois lunaire.

6. Le soleil, dans l'espace d'un mois, parcourt un signe qui est la douzième partie du ciel. Ainsi, traversant en douze mois les douze signes, lorsqu'il est revenu au point du zodiaque d'où il était parti, il a accompli une année; de sorte que le cercle que parcourt la lune treize fois en douze mois, le soleil met le même temps à le parcourir une fois. L'étoile de Vénus et celle de Mercure, faisant leur révolution autour du soleil qui leur sert de centre, reviennent sur leurs pas et retardent dans certains cas; dans d'autres même elles restent stationnaires au milieu des signes, par l'effet de leur marche circulaire.

7. C'est une remarque qu'il est très-facile de faire sur l'étoile de Vénus : tantôt elle suit le soleil, et, après le coucher de cet astre, elle brille encore dans le ciel d'un vif éclat; alors on la nomme Vesperugo (qui amène le soir : uesperum agere). A d'autres époques, elle le précède et se lève avant le jour; alors on l'appelle Lucifer (qui apporte la lumière - lucem ferre). De là vient que quelquefois ces deux étoiles restent plusieurs jours dans un signe, que quelque-fois elles passent plus rapidement dans un autre. Mais, bien qu'elles ne mettent pas le même nombre de jours à parcourir chaque signe, en regagnant le temps qu'elles ont perdu dans un signe par un passage plus rapide à travers un autre, elles trouvent moyen, lorsqu'elles se sont débarrassées de la cause qui semble les forcer à s'arrêter dans certains signes, de toujours fournir leur carrière dans le même espace de temps.

8. Quant à l'étoile de Mercure, ses mouvements alternatifs dans le ciel s'exécutent de telle sorte au travers des signes, qu'au bout de trois cent soixante jours elle revient au point du zodiaque d'où elle était partie pour commencer sa course, et sa marche se trouve balancée de manière qu'elle reste environ trente jours dans chaque signe.

9. Pour l'étoile de Vénus, lorsqu'elle se dégage des rayons du soleil qui empêchent de la voir, elle ne met que trente jours à parcourir l'espace d'un signe; mais le nombre de jours de moins que quarante qu'elle met ainsi à parcourir chacun de ces signes, lorsqu'elle fait une station, elle le regagne en s'arrêtant plus longtemps dans un autre signe ; de sorte que c'est en quatre cent quatre-vingt-cinq jours qu'elle fait sa révolution complète, et qu'elle revient au signe d'où elle était partie au commencement de son cours.

10. L'étoile de Mars met environ six cent quatre-vingt-trois jours à parcourir tous les signes et à revenir au point d'où elle était antérieurement partie; et si, dans quelques signes, sa marche est plus rapide, s'arrêtant dans d'autres, elle arrive à compléter ce nombre de jours. Jupiter, plus lent dans sa marche, qui est opposée au mouvement général du ciel, parcourt chaque signe en trois cent soixante-cinq jours environ. Il met onze ans et trois cent soixante-trois jours à revenir au signe d'où il était parti douze ans auparavant. Saturne est vingt-neuf mois quelques jours à parcourir un signe, et revient au bout de vingt-neuf ans et cent soixante jours environ au signe où il était trente ans auparavant; et moins il est éloigné des limites du ciel, plus le cercle qu'il a à parcourir est grand, plus son mouvement paraît lent.

11. Lorsque les étoiles qui décrivent leur tour au-dessus du soleil sont en trigone aspect avec lui, elles n'avancent plus, mais s'arrêtent et rétrogradent jusqu'à ce que le soleil quitte cet aspect, en passant dans un autre signe. Voici comment quelques auteurs expliquent ce phénomène. Lorsque le soleil est éloigné d'elles par de grandes distances, il ne les éclaire plus dans leur marche; l'obscurité les empêche d'avancer; elles s'arrêtent. Tel n'est pas notre sentiment : car l'éclat du soleil resplendit et pénètre dans toute l'étendue du ciel, sans que rien puisse l'obscurcir, puisqu'il brille même à nos yeux lorsque ces étoiles font ce mouvement rétrograde et s'arrêtent. Or si, à une si grande distance du soleil, nous, chétifs mortels, nous pouvons en voir la lumière, comment croire que ces astres, qui sont des êtres divins et lumineux, puissent se trouver dans l'obscurité?

12. Voici une raison qui aurait plus de poids auprès de nous : c'est que, de même que la chaleur fait pousser et attire à elle toutes choses, comme nous le voyons par les fruits qui, grâce à la force de la chaleur, sont élevés à une certaine hauteur de la terre, et par les vapeurs qui montent des fontaines jusqu'aux nues par le moyen de l'arc-en-ciel, de même l'ardeur puissante du soleil, lorsque ses rayons s'étendent en trigone, attire à elle les étoiles qui le suivent, modère celles qui le devancent, les arrête, les empêche d'avancer, les fait revenir et rentrer dans le signe d'un autre trigone.

13. Peut-être désirera-t-on savoir pourquoi le soleil exerce l'action coercitive de sa chaleur plutôt dans le cinquième signe que dans le deuxième et le troisième, qui sont plus rapprochés de lui? Voici, ce me semble, comment ce phénomène se produit. Les rayons du soleil, pour former un triangle équilatéral, ne doivent s'étendre dans le ciel ni plus ni moins que jusqu'au cinquième signe. Si ces rayons actifs se répandaient en cercles par tout le monde, s'ils n'étaient pas retenus dans la forme d'un trigone par leur extension au loin, les corps les plus rapprochés seraient embrasés. C'est ce que semble avoir remarqué le poète grec Euripide : car il dit que les objets les plus éloignés du soleil éprouvent une chaleur violente, tandis que les plus rapprochés n'en éprouvent qu'une modérée. Voici son vers; il se trouve dans la tragédie de Phaéthon : g-Kaiei g-ta g-porroh, g-d' g-eukrat' g-echei, sa chaleur est brûlante pour les objets éloignés; pour ceux qui sont rapprochés, elle est tempérée

14. Si le fait, le raisonnement, le témoignage de cet ancien poète s'accordent ainsi, je ne pense pas qu'on puisse avoir une autre opinion que celle que je viens de faire connaître. Jupiter, qui fait son cours entre Mars et Saturne, décrit un cercle plus grand que Mars, plus petit que Saturne. Il en est de même des autres étoiles : plus elles sont éloignées de l'extrémité du ciel, plus la ligne qu'elles suivent est rapprochée de la terre, plus leur marche semble rapide, puisque celles de ces planètes qui décrivent un cercle plus étroit, devancent celles qui sont plus éclairées en passant plusieurs fois au-dessous.

15. Supposons une de ces roues dont se servent les potiers. Vous y faites, dans l'espace compris entre le centre et les extrémités, sept canaux circulaires : vous y placez autant de fourmis, que vous forcez à marcher dans le sens opposé à celui dans lequel tourne la roue; il est certain que, malgré le mouvement contraire de la roue, elles achèveront leur tour; que celle qui sera la plus rapprochée du centre le fera le plus promptement, et que la fourmi qui aura à parcourir le plus grand cercle de la roue, bien qu'elle marche aussi vite que les autres, mettra beaucoup plus de temps à fournir sa carrière, à cause de la grandeur du cercle. C'est ainsi que les planètes gravitent contre le cours général du ciel, et font chacune leur mouvement de rotation ; mais dans la révolution universelle de chaque jour, elles ne s'avancent pas également vers leur point de départ.

16. Les étoiles sont les unes tempérées, les autres chaudes, les autres froides; cela vient sans doute de ce que tout feu pousse sa flamme vers les parties supérieures. Voilà pourquoi le soleil brûle, embrase la partie de l'air qui se trouve au-dessus de lui, et que traverse Mars dans son cours; sa chaleur lui vient donc des feux du soleil. Saturne, au contraire, qui est voisin des extrémités de l'espace, et qui touche aux régions glacées du ciel, est extrêmement froid. Et Jupiter qui dirige son cours entre les lignes suivies par ces deux planètes, se trouvant à égale distance du froid et du chaud, doit offrir un état doux et tempéré. Après avoir expliqué, selon les principes de mes maîtres, la zone des douze signes, la marche des sept planètes contraires au mouvement universel du ciel, et avoir dit de quelle manière et en combien de temps, passant d'un signe dans un autre, elles achèvent leur cours, je vais parler de ce que j'ai appris des anciens sur le croissant et le décours de la lune.

II. Du croissant et du décours de la lune.

1. Bérose ayant quitté la ville ou le pays des Chaldéens pour aller en Asie, y professa la science chaldéenne. Il y enseigna que la lune était un globe dont la moitié est d'une éclatante lumière, tandis que l'autre a une couleur bleue ; que, lorsque faisant sa révolution dans son orbe, elle se trouve sous le soleil, attirée alors par ses rayons et par la force de sa chaleur, elle tourne vers lui sa partie brillante, à cause de la sympathie que ces deux lumières ont entre elles; que, tandis que sa partie supérieure est ainsi tournée par attraction vers le disque du soleil, la partie inférieure, qui ne reçoit point ses rayons, paraît obscure, à cause de sa ressemblance avec l'air; que, se trouvant perpendiculairement exposée à l'action des rayons du soleil, elle en réunit tout l'éclat sur sa face supérieure, et s'appelle alors première lune.

2. Il ajoute que, poursuivant sa marche en se dirigeant vers l'orient, elle est moins soumise à l'action vive du soleil, et que l'extrémité de sa partie brillante apparaît à la terre comme un filet de lumière; qu'alors on l'appelle seconde lune; que s'éloignant ensuite de plus en plus du soleil par son mouvement journalier de rotation, elle prend successivement le nom de troisième et de quatrième lune; qu'au septième jour, lorsque le soleil est vers l'occident, la lune se trouvant au milieu du ciel, entre l'orient et l'occident, laisse voir à la terre la moitié de sa partie éclairée, parce qu'elle est alors éloignée du soleil de la moitié du ciel ; qu'enfin, lorsque entre le soleil et la lune s'étend tout l'espace du ciel, lorsque le soleil regardant en arrière du fond de l'occident, aperçoit à l'orient le globe de la lune, cette planète étant alors dans le plus grand éloignement où elle puisse être des rayons du soleil, montre, le quatorzième jour, à la terre, toute sa partie éclairée sous la forme d'un disque entier; qu'ensuite diminuant chaque jour, et s'avançant par ses mouvements successifs de rotation, vers l'accomplissement du mois lunaire, soumise de nouveau à l'action du soleil, et se retrouvant au-dessous de ses rayons, elle complète alors le nombre de jours qui constituent son mois.

3. Comme le mathématicien Aristarque, de Samos, a laissé un système lunaire basé sur de fortes raisons qu'il a puisées dans la variété de ses connaissances, je vais aussi l'exposer. Il est évident, dit-il, que la lune n'a point de lumière qui lui soit propre; qu'elle ressemble à un miroir; qu'elle reçoit son éclat du soleil. Car des sept planètes la lune est celle dont l'orbite est la plus rapprochée de la terre, et la moins longue à parcourir. Aussi, chaque mois, passe-t-elle sous le soleil ; le premier jour de sa course, elle se trouve cachée sous son disque radieux, et reste obscurcie, parce qu'il n'y a que la partie qui regarde le soleil qui soit éclairée; comme elle est en conjonction avec le soleil, on l'appelle nouvelle. Le jour suivant on l'appelle seconde lune : elle laisse apercevoir une petite partie de l'extrémité de son disque. Le troisième jour, comme elle se trouve plus éloignée du soleil, sa partie éclairée s'est encore agrandie. S'éloignant ainsi de plus en plus jusqu'au septième jour, elle se trouve alors distante du soleil couchant d'environ la moitié du ciel, et fait voir la moitié de sa partie éclairée.

4. Le quatorzième jour, lorsque la lune est diamétralement opposée au soleil, elle se montre pleine, et se lève au moment où le soleil se couche, parce que, séparée de cet astre par tout l'espace du ciel, elle se trouve en opposition avec lui, et tout son disque en reçoit les rayons qui le rendent brillant de lumière. Le dix-septième jour, quand le soleil se lève, elle est abaissée au couchant. Le vingt-unième jour, au moment du lever du soleil, la lune se trouve à peu près au milieu du ciel, et la partie qui regarde le soleil est éclairée, le reste est obscur. Continuant toujours sa course, elle arrive vers le vingt-huitième jour sous le soleil et achève ainsi son mois. Je vais maintenant expliquer comment le soleil, traversant chaque mois l'espace d'un signe, allonge ou raccourcit les jours et les heures.

III. Comment le soleil, parcourant les douze signes du zodiaque, allonge ou diminue les jours et les heures.

1. Lorsque le soleil entre dans le Bélier, et arrive à la huitième partie de ce signe, il produit l'équinoxe du printemps. Lorsqu'il se dirige vers la queue du Taureau et les Pléiades, à partir desquelles commence la moitié antérieure du Taureau, il a ainsi parcouru plus de la moitié du ciel en s'avançant vers le septentrion. Passant du Taureau dans les Gémeaux, au lever des Pléiades, il s'élève davantage au-dessus de la terre, et augmente la longueur des jours; sortant ensuite des Gémeaux pour entrer dans le Cancer, qui occupe au ciel le moins d'espace, quand il arrive à la huitième partie de ce signe, il marque le solstice d'été, et, continuant son cours, il parvient jusqu'à la tête et jusqu'à la poitrine du Lion, qui sont des parties attribuées au Cancer.

2. Depuis la poitrine du Lion et les extrémités du Cancer, le soleil franchissant les autres parties du Lion, diminue la longueur des jours en diminuant la grandeur de sa courbe, et décrit une ligne égale à celle qu'il suivait dans les Gémeaux. Passant ensuite du Lion dans la Vierge, et s'avançant jusqu'au pan de sa robe qui occupe la première partie de la Balance, il arrive à la huitième partie de ce signe et fait l'équinoxe d'automne; les arcs qu'il décrit alors sont égaux à ceux qu'il faisait dans le signe du Bélier.

3. Après cela le soleil entre dans le Scorpion, au coucher des Pléiades, et diminue la longueur des jours en s'approchant des parties méridionales. Lorsque, quittant le Scorpion, il continue sa marche pour entrer dans le Sagittaire et s'avancer jusqu'aux cuisses de ce signe, il raccourcit encore la courbe qu'il décrit pendant le jour. Quand, des cuisses du Sagittaire, qui font partie du Capricorne, il s'avance jusqu'à la huitième partie de ce signe, alors il parcourt le plus petit espace du ciel. C'est cette brièveté des jours qui les a fait appeler solstice d'hiver, et jours du solstice d'hiver. Du Capricorne passant dans le Verseau, il rallonge les jours, et les rend égaux à ceux du Sagittaire. Sortant du Verseau pour entrer dans les Poissons, quand souffle le favonius, il fournit une course égale à celle qu'il faisait dans le Scorpion. C'est ainsi que le soleil, en parcourant les signes dans des temps déterminés, augmente ou diminue la durée des jours et des heures. Il me reste à parler des autres constellations qui se trouvent à droite et à gauche du zodiaque, et qui sont placées et représentées dans les régions méridionales et septentrionales du ciel.

IV. Des constellations qui sont placées à la droite de l'orient, entre le zodiaque et le septentrion.

1. Après la constellation septentrionale que les Grecs appellent g-Arkton (l’Ourse) ou g-Elikehn (l’Hélice), est placé le Bouvier. Non loin de lui a été figurée la Vierge. Sur son épaule droite s'appuie une étoile très brillante que les Latins appellent Provindemia (la Vendangeuse) et les Grecs g-Protrugehtehn (la Vendangeuse). Vis-à-vis brille, entre les genoux du gardien de l'Ourse, une autre étoile qui est appelée Arcture.

2. Près de là, dans la direction de la tête de l'Ourse, vers les pieds des Gémeaux, se trouve le Cocher, dont les pieds s'étendent à l'extrémité de la corne gauche du Taureau, et qui tient dans la main gauche des étoiles qu'on appelle les Chevreaux ; la Chèvre brille à son épaule gauche. Au-dessus du Taureau et du Bélier se montre Persée, qui, à droite, passe sur les Pléiades, et, à gauche, sur la tête du Bélier, s'appuyant de la main droite sur Cassiopée, au-dessus du Cocher, tenant de la main gauche la tête de Méduse, et la mettant sous les pieds d'Andromède.

3. On voit les Poissons à côté d'Andromède, le long de son ventre et de celui de Pégase; ils s'étendent jusqu'au dos de ce cheval, au ventre duquel se trouve une étoile très-brillante qui le termine et forme la tête d'Andromède. La main droite d'Andromède s'étend au-dessus de Cassiopée, et sa gauche au-dessus du Poisson septentrional. Le Verseau est sur la tête de Pégase, dont les oreilles se dirigent vers les genoux du Verseau. Au milieu de la constellation du Verseau est une étoile qui fait partie de celle du Capricorne. Au-dessus, en montant, se rencontrent l'Aigle et le Dauphin, près desquels est la Flèche. Dans le voisinage de celle-ci est le Cygne, dont l'aile droite touche la main de Céphée et son sceptre, tandis que la gauche s'étend au-dessus de Cassiopée. Sous la queue de l'Aigle sont placés les pieds de Pégase.

4. Au-dessus du Sagittaire, du Scorpion, de la Balance, s'allonge le Serpent, qui de l'extrémité de sa tête touche la Couronne; le Serpentaire tient par le milieu le Serpent dans ses mains, et appuie le pied gauche sur le milieu du front du Scorpion. A droite et auprès de la tête du Serpentaire se trouve la tête de celui qu'on appelle l'Agenouillé ; les sommets de leurs têtes sont très-faciles à reconnaître, parce qu'ils sont formés d'étoiles assez brillantes.

5. Le pied de l'Agenouillé s'appuie sur la tête du Dragon, qui est entre les Ourses qu'on appelle Septentriones. Un peu en avant de la tête du Cheval se courbe le Dauphin. Devant le bec du Cygne brille la Lyre. Entre les épaules du Bouvier et celles de l'Agenouillé a été placée la Couronne. Dans le cercle septentrional sont groupées les deux Ourses : elles sont dos à dos, ayant la poitrine tournée dans un sens contraire; la petite s'appelle en grec g-Kynossoura (Cynosure), la grande g-Elikeh (Hélice) ; leurs têtes sont disposées de manière à regarder deux points opposés, la queue de l'une étant placée au droit de la tête de l'autre; et leurs queues sont toutes deux levées.

6. Entre elles s'allonge, dit-on, le Dragon ; et cette étoile, qu'on appelle polaire, brille à l'opposé, et au droit de la tête de la grande Ourse : car la partie du Dragon qui en est voisine se courbe auprès de sa tête, tandis qu'une autre partie s'arrondit autour de celle de la petite Ourse, et s'étend jusqu'auprès de ses pieds, où, s'enroulant et se repliant, elle se redresse et s'élance de la tête de la petite Ourse vers le grand Oiseau (le Cygne), dans la direction de son bec et de la tempe droite de sa tête. Au-dessus de la queue de la petite Ourse s'abaissent aussi les pieds de Céphée; et là, tout en haut, au-dessus du Bélier, on voit les étoiles qui composent un Triangle qui a deux côtés égaux. Il y a confusion dans un assez grand nombre d'étoiles de la petite Ourse et de Céphée. Après avoir parlé des constellations qui sont placées à la droite de l'orient, entre le zodiaque et le septen­trion, il me reste à expliquer celles que la nature a dis­tribuées vers la partie gauche de l'orient, dans les régions méridionales.

V. Des constellations qui sont placées à la gauche de l'orient, entre le zodiaque et le midi.

1. Premièrement sous le Capricorne est placé le Poisson austral, la tête tournée vers la queue de la Baleine ; entre le Poisson et le Sagittaire, il y a un vide. L'Autel est au-dessous de l'aiguillon du Scorpion. Tout près de la Balance et du Scorpion se trouve la partie antérieure du Centaure, qui tient dans ses mains la constellation que les astronomes appellent la Bête. Sous la Vierge, le Lion et le Cancer, l'Hydre s'enroule, se déployant sur une bande d'étoiles, dressant la tête dans la région du Cancer, soutenant la Coupe sur le milieu de son corps, dans la direction du Lion, et étendant sous la main de la Vierge sa queue, sur laquelle est posé le Corbeau. Les étoiles qui sont au-dessus de ses épaules brillent tout à fait du même éclat.

2. Auprès de la partie inférieure du ventre de l'Hydre, sous sa queue, est placé le Centaure. En regard de la Coupe et du Lion se trouve le Navire, qu'on appelle Argo, dont on ne voit pas la proue; mais le mât et les parties qui entourent le gouvernail brillent sur notre horizon. La poupe du Navire touche au bout de la queue du grand Chien. Les Gémeaux sont suivis par le petit Chien, qui est auprès de la tête de l'Hydre, et le grand Chien suit le petit. Orion est en face du Taureau, qui le presse d'un pied ; de la main gauche il tient un bouclier, et de l'autre une massue qu'il élève vers les Gémeaux.

3. Il a sous les pieds le Lièvre, qui suit de près le grand Chien. Sous le Bélier et les Poissons est la Baleine. A partir de sa crête, des étoiles disposées avec ordre forment entre les Poissons un étroit ruban que les Grecs appellent g-harpedonai (Cordeau). A un grand intervalle se replie en dedans le nœud des Poissons qui tombe de l'extrémité de la tête de la Baleine. L'Éridan semble une rivière d'étoiles qui prend sa source au pied gauche d'Orion. Quant à l'eau que l'on dit être répandue par le Verseau, elle coule entre la tête du Poisson austral et la queue de la Baleine.

4. Je viens d'exposer le système du philosophe Démocrite sur les formes que la nature et l'esprit divin ont données aux constellations ; mais je n'ai parlé que de celles dont nous pouvons voir le lever et le coucher. Car de même que les sept étoiles de la grande Ourse, en tournant autour du pôle, ne se couchent point et ne passent jamais sous la terre, de même les constellations, dont le cours se fait autour du pôle méridional, qui, à cause de l'inclinaison du ciel, est au-dessous de notre globe, nous restent cachées, sans jamais se lever sur la terre. Aussi la terre empêche-t-elle qu'on en connaisse les figures. Nous en avons une preuve dans l'étoile de Canope, invisible dans nos régions, qui ne nous est connue que par ce qu'en disent les marchands qui ont voyagé dans les contrées les plus éloignées de l'Égypte, et jusqu'aux extrémités de la terre.

VI. De l'astronomie employée pour prédire les changements de temps, et ce qui doit arriver aux hommes, d'après l'aspect des astres au moment de leur naissance.

1. J'ai démontré avec exactitude quel était le mouvement rapide du ciel autour de la terre, et la disposition des douze signes du zodiaque, et des constellations qui sont au septentrion et au midi, parce que c'est de ce mouvement de rotation du ciel, c'est de la marche du soleil en sens contraire à travers les signes, c'est de l'ombre équinoxiale des gnomons, que dépend la construction des analèmes.

2. Quant à l'astronomie consistant à rechercher quelle est l'influence des douze signes, des cinq planètes, du soleil et de la lune sur les phases de la vie humaine, c'est aux calculs des Chaldéens qu'il faut s'en rapporter, parce qu'ils se sont particulièrement occupés de la généthliologie, afin de pouvoir, par le moyen des astres, expliquer le passé et l'avenir. Les découvertes qu'ils nous ont transmises dans leurs écrits font voir quels étaient le savoir et le talent des grands hommes qui sont sortis de la nation des Chaldéens. Le premier fut Bérose, qui vint s'établir dans l'île et la cité de Cos et y ouvrir une école. Puis cette science fut l'objet des études d'Antipater et aussi d'Achinapolus, qui ont démontré que la généthliologie était plutôt fondée sur la conception que sur la naissance.

3. Mais si l'on veut connaître le principe des choses, il faut lire les savants ouvrages des Thalès de Milet, des Anaxagore de Clazomène, des Pythagore de Samos, des Xénophane de Colophon, des Démocrite d'Abdère, qui nous font connaître les lois qui gouvernent la nature, et les effets qu'elles produisent. Sans s'écarter de leur système, Eudoxe, Euchémon, Callippe, Méton, Philippe, Hipparque, Aratus et tous les autres philosophes ont fait, à l'aide des parapegmes, les observations les plus exactes sur le lever et le coucher des étoiles, ainsi que sur les saisons de l'année; observations qu'ils ont transmises à la postérité. Leurs connaissances sont bien dignes de l'admiration des hommes, puisque, à force d'études, ils sont parvenus, comme par inspiration divine, à prédire les changements du temps. Rapportons-nous-en donc à leurs lumières sur des choses qu'ils ont étudiées avec le plus grand soin.

VII. Manière de faire un analème.

1. Pour moi, je vais me contenter de donner la manière de décrire les cadrans, et d'expliquer la longueur des jours dans chaque mois, et l'inégalité de l'ombre projetée par le gnomon. Si, lorsque le soleil est à l'équinoxe, faisant son cours dans le Bélier ou dans la Balance, le gnomon est divisé en neuf parties, l'ombre en aura huit sous le parallèle de Rome. Si à Athènes le gnomon est divisé en quatre parties, l'ombre en aura trois ; s'il est divisé en sept à Rhodes, elle en aura cinq ; s'il l'est en onze à Tarente, elle en aura neuf; en cinq à Alexandrie, trois. Dans tous les autres lieux, les ombres équinoxiales des gnomons présentent des longueurs naturellement différentes.

2. Aussi, dans quelque lieu qu'on veuille faire un cadran, faudra-t-il qu'on prenne la longueur de l'ombre équinoxiale de ce lieu; et si, comme à Rome, le gnomon ayant neuf parties, l'ombre en a huit, on tirera sur un plan une ligne au milieu de laquelle on en élèvera une autre à angle droit, afin qu'elle soit d'équerre avec la première. Cette ligne est appelée gnomon. A partir de cette première ligne tirée sur le plan, on mesurera avec un compas, sur celle du gnomon, neuf parties égales, et au point où aboutira la neuvième partie, on établira un centre qui sera marqué A ; puis ouvrant le compas appuyé sur ce centre jusqu'à la ligne du plan où l'on mettra la lettre B, on décrira un cercle appelé méridien.

3. Ensuite, sur les neuf parties qui s'étendent depuis la ligne du plan jusqu'au centre qui forme l'extrémité du gnomon, on prendra la longueur de huit, qu'on marquera sur la ligne du plan au point de la lettre C. Ce sera l'ombre équinoxiale du gnomon. De ce point C, par le centre où est la lettre A, tirez une ligne qui indiquera le rayon du soleil à l'équinoxe. Cela fait, on ouvrira le compas depuis le centre jusqu'à la ligne du plan, et aux extrémités de la ligue de circonférence, on fera deux marques à égale distance, l'une en F du coté gauche, l'autre en I du côté droit; puis on tirera par le centre une ligne qui coupera le cercle en deux parties égales : cette ligne est appelée horizon par les mathématiciens.

4. Ensuite on prendra la quinzième partie de tout le cercle, et plaçant la branche centrale du compas sur la ligne circulaire, au point où elle est coupée par le rayon équinoxial, où sera la lettre F, on fera à droite et à gauche deux points marqués par les lettres G et H. Puis de ces points on conduira, en les faisant passer par le centre, deux lignes jusque sur celle du plan où seront les lettres T et R ; l'une représentera le rayon du soleil d'hiver, l'autre celui du soleil d'été. Du côté opposé à la lettre E sera la lettre I, au point où le cercle est coupé par la ligne qui passe par le centre; en face de G et de H seront les lettres K et L, et en face de C, de F et de A sera la lettre N.

5. On tirera alors deux lignes diamétrales, l'une depuis G jusqu'à L, et l’'autre depuis H jusqu'à K; celle d'en bas sera pour l'été et celle d'en haut pour l'hiver. Ces deux lignes diamétrales doivent être également divisées par le milieu aux points M et O; on en fera deux centres par lesquels, aussi bien que par le centre A, on fera passer une ligne qui ira d'une extrémité de la circonférence à l'autre, où seront les lettres P et Q. Cette ligne sera perpendiculaire à la ligne équinoxiale, et s'appellera, mathématiquement parlant, axe. De ces deux centres M et O, où l'on appuiera une des branches du compas, en étendant l'autre jusqu'à l'extrémité des lignes diamétrales, on décrira deux demi-cercles, dont l'un sera pour l'été et l'autre pour l'hiver.

6. Aux points où les lignes parallèles coupent la ligne appelée horizon, on mettra à droite la lettre S, à gauche la lettre V, et depuis l'extrémité du demi-cercle, où se trouve la lettre G, on tirera une ligne parallèle à l'axe jusqu'à l'autre demi-cercle qui est à gauche, oit est la lettre H. Cette ligne parallèle s'appelle lacotome. Enfin on placera une branche du compas au point de section de cette ligne avec la ligne équinoxiale, marqué X, et l'on étendra l'autre jusqu'à l'endroit où le cercle est coupé par le rayon d'été, au point marqué H. Puis du centre qui est sur la ligne équinoxiale, on mènera, par l'intervalle du rayon d'été, un cercle pour les mois, appelé manacus. Cette dernière opération complétera la figure de l'analème.

7. Après cette description et cette explication, qu'on prenne pour plan ou le tropique d'hiver, ou le tropique d'été, ou l'équateur, ou l'écliptique, on devra se servir de l'analème pour tracer les lignes horaires. On peut faire plusieurs espèces de cadrans solaires; tous se décrivent d'après cette méthode; la seule chose à observer dans leurs figures et descriptions, c'est que les jours de l'équinoxe, et ceux des tropiques d'hiver et d'été, soient divisés en douze parties égales. Si je n'entre pas dans plus de détails, ce n'est point devant le travail que je recule, mais devant la crainte de devenir fastidieux en devenant trop long. Il me reste maintenant à dire quels sont ceux qui ont inventé et décrit les différentes espèces de cadrans. Je ne puis en inventer de nouvelles, et je ne veux point proclamer comme miennes les inventions d'autrui. Je vais donc parler des inventeurs de celles que nous connaissons.

VIII. De l'invention des horloges d'été ou cadrans solaires; des clepsydres et des horloges d'hiver ou anaphoriques.

1. L'hémicycle creusé dans un carré et construit sur un plan réclinant, est, dit-on, de l'invention de Bérose le Chaldéen. Le scaphé ou hémisphère est d'Aristarque de Samos, aussi bien que le disque horizontal. L'araignée appartient à l'astronome Eudoxe; quelques-uns disent à Apollonius. Le plinthe ou brique, celui-là même qui a été placé dans le cirque de Flaminius, a été inventé par Scopinas de Syracuse; le g-pros g-ta g-historoumana (Pour les endroits dont on parle dans l'histoire) par Partnénion ; le g-pros g-pan g-klima (Pour tous les climats. par Theodosius et Andreas. Patrocle a inventé le pelecinon; Dionysiodore, le cône; Apollonius, le carquois. Les auteurs cités plus haut, et quelques autres, nous ont encore laissé un certain nombre d'horloges de leur invention, comme le gonarque, l'engonate, l'antiborée. Nous trouvons aussi dans quelques auteurs la manière de rendre quelques-uns de ces cadrans portatifs, pour les voyages On en pourra consulter, si l'on veut, des modèles dans leurs ouvrages, pourvu qu'on sache la description de l'analème.

2. Ces mêmes auteurs sont aussi parvenus à trouver le moyen de faire des horloges avec l'eau, et la première fut inventée par Ctesibius d'Alexandrie, qui, de plus, a découvert le parti qu'on pouvait tirer de la force des vents, soit naturels, soit artificiels. La manière dont cette découverte fut faite est digne de l'attention de ceux qui cultivent les sciences. Ctesibius était fils d'un barbier d'Alexandrie. Il se faisait remarquer par son esprit inventif et une grande adresse, et la mécanique avait, dit-on, pour lui beaucoup d'attrait. Il eut un jour envie de suspendre un miroir dans la boutique de son père, de manière à ce qu'on pût le faire descendre et monter à l'aide d'une corde cachée soutenant un poids. Voici le mécanisme qu'il imagina.

3. Il attache un canal de bois sous une poutre et y met des poulies. Il fait ensuite passer une corde dans ce canal jusqu'à l'angle formé par le mur qui portait la poutre, et là il établit un tuyau dans lequel il fait descendre au bout de la corde une boule de plomb. Cette boule, en allant et en venant dans ce tuyau étroit, y comprimait l'air, et, par l'impulsion de son mouvement, faisait sortir avec force, par les deux bouts, l'air condensé par la compression dont la rencontre et le choc avec l'air extérieur rendait un son clair.

4. Ctesibius s'étant donc aperçu du bruit que produisait le choc de l'air comprimé contre l'air libre, partit de ce principe pour inventer les machines hydrauliques. Ce fut aussi par l'impulsion de l'eau qu'il fit mouvoir des automates et plusieurs autres machines récréatives, entre autres la clepsydre. Et d'abord il perça une lame d'or, ou une pierre précieuse, pour l'écoulement de l'eau ; ces matières, en effet, ne s'usent pas par le frottement de l'eau, et ne produisent point de rouille qui puisse en, boucher l'ouverture.

5. L'eau, coulant d'une manière égale par cette ouverture, soulève une nacelle renversée que les ouvriers appellent phellos ou tympanum. On ajuste dessus une règle dentelée qui fait tourner une roue dentelée de la même manière. Ces dents se poussant l'une l'autre impriment à la roue un léger mouvement de rotation. On fait encore d'autres règles et d'autres tambours, dentelés de la même manière, qui, soumis à un seul et même mouvement, produisent en tournant différents effets : de petites figures s'agitent, des pyramides tournent; on voit lancer de petits cailloux, qui en retombant forment des sons; des trompettes sonnent. Il y a encore d'autres combinaisons étrangères à notre matière.

6. On trace encore sur des colonnes ou sur des pilastres les heures, qu'une petite figure vient, pendant tout le jour, montrer avec le bout d'une baguette. Pour les rendre plus courtes ou plus longues, on ajoute ou on ôte des coins tous les jours et tous les mois dans une proportion voulue. Voici comment on organise l'orifice pour modérer l'écoulement de l'eau. On fait deux cônes, l'un solide, l'autre creux, assez bien façonnés sur le tour, pour qu'ils puissent entrer juste l'un dans l'autre, et pour que, par le moyen d'une même règle, lâchant ces coins ou les serrant, on puisse donner à l'écoulement de l'eau dans le vase plus ou moins de rapidité. C'est par ces moyens mécaniques qu'on arrive à composer des horloges pour l'hiver.

7. S'il se fait que par le jeu de ces coins on n'arrive point exactement à raccourcir et à rallonger les jours, à cause des dérangements qui surviennent très souvent aux coins, on pourra employer cette autre manière. Sur une petite colonne on marquera les heures au moyen de l'analème, par des lignes transversales, et l'on en tracera un système spécial pour chaque mois; cette petite colonne sera mobile, afin que, en tournant sur elle-même- uniformément, sans s'arrêter devant la petite figure qui, par son mouvement d'ascension, indique les heures avec sa baguette, elle lui présente les heures plus ou moins longues qui conviennent à chaque mois.

8. On fabrique encore une autre espèce d'horloges d'hiver qu'on appelle anaphoriques. Voici la manière de les construire. On dispose les heures sur des baguettes d'airain, selon la description de l'analème, dans la direction du centre à la circonférence. On trace tout autour des cercles déterminant l'espace consacré à chaque mois. Derrière ces baguettes on place une roue sur laquelle est décrit et peint le ciel avec le zodiaque et ses douze signes, dont l'espace plus ou moins grand est déterminé par des lignes qui partent du centre. A la partie postérieure de cette roue et au milieu, on emboîte un essieu mobile autour duquel s'enroule une chaîne flexible de cuivre, à laquelle pend, d'un côté, le phellos ou tympanum, que l'eau soutient, et, de l'autre, un sac de sable du même poids que le phellos.

9. A mesure que le phellos monte soutenu par l'eau, le poids du sable en descendant fait tourner l'essieu, et l'essieu, la roue. Le mouvement imprimé à cette roue fait que c'est tantôt la plus grande partie du zodiaque et tantôt la plus petite qui marque, en tournant, les heures avec les différences propres à chaque temps. Car dans le signe de chaque mois, on fait autant de trous qu'il y a de jours, et dans l'un de ces trous on met un clou dont la tête représente le soleil et marque les heures. Ce clou placé successivement d'un trou dans un autre achèvera son tour tous les mois.

10. De même que le soleil en parcourant les espaces des signes agrandit ou diminue les jours et les heures, de même dans les horloges, le clou avançant de trou en trou dans un sens opposé au mouvement de la roue, et changeant de place tous les jours, franchissant tantôt des espaces plus larges, tantôt des espaces plus étroits, représente les heures et les jours avec la longueur qu'ils doivent avoir chaque mois. Si par le moyen de l'eau on veut arriver au même résultat, voici comment on en réglera l'usage.

11. Derrière le cadran, à l'intérieur de l'horloge, on placera un réservoir dans lequel l'eau tombera par un robinet. Au bas de ce réservoir se trouvera un conduit, dont le bout sera fixé à un tambour de cuivre également percé pour recevoir l'eau qui y communique du réservoir. Dans ce tambour en est renfermé un plus petit, comme un pivot dans une crapaudine. Ces deux pièces, appelées l'une mâle, l'autre femelle, sont si bien ajustées, que la plus petite, semblable à la clef d'un robinet, tourne dans la plus grande avec un mouvement doux et régulier.

12. Le rebord du grand tambour sera marqué de 365 points également espacés, et à l'extrémité de la circonférence du petit tambour il faut fixer une languette dont la pointe servira à diriger vers chacun des points du grand tambour. Le petit tambour aura une rainure disposée de manière à ne laisser passer que la quantité d'eau nécessaire, parce que c'est cette eau qui coule dans le réceptacle où est le tympanum, qui en règle la hauteur. Quand on aura représenté les signes célestes au rebord du grand tambour, il devra être immobile, ayant en haut le signe de l'Écrevisse; en bas, au point diamétralement opposé, le Capricorne; à droite du spectateur, la Balance; à gauche, le Bélier. Les autres signes occuperont aussi la place qu'ils ont dans le ciel.

13. Lors donc que le soleil est dans le Capricorne, la languette du petit tambour, qui chaque jour doit avancer d'un point, se place au droit de ce signe marqué sur le grand tambour. L'ouverture de ce grand tambour se trouve perpendiculairement au-dessus de la partie la plus large de la rainure du petit, et donne un libre passage à l'eau, qui coule avec toute la rapidité qu'elle peut avoir dans le réceptacle, qui se remplit en peu de temps, et diminue, abrège la longueur des jours et des heures. Quand, après avoir parcouru de point en point la région du Capricorne, la languette du petit tambour est arrivée au Verseau, la partie la plus large de la rainure, en s'inclinant, s'éloigne de la perpendiculaire, et laisse nécessairement au cours de l'eau un passage plus étroit; le réceptacle se remplit moins vite, ce qui rend les jours plus longs.

14. Après avoir successivement franchi, comme des degrés, tous les points du Verseau et des Poissons, la languette du petit tambour se présente à la huitième partie du Bélier. La rainure offre alors au passage de l'eau une ouverture qui tient le milieu entre sa plus grande largeur et sa plus petite ; ce qui donne les heures équinoxiales. Puis, quittant le Bélier pour traverser les régions du Taureau et des Gémeaux, la languette du petit tambour monte, par suite de son mouvement de rotation, jusqu'à la huitième partie de l'Écrevisse; là elle a atteint les points les plus élevés. L'eau ne peut plus passer que par la partie la plus resserrée de la rainure ; elle coule très lentement ; les heures sont arrivées à leur plus grande longueur dans le signe de l'Écrevisse, au solstice d'été. Descendant de l'Écrevisse pour traverser les signes du Lion et de la Vierge, la languette arrive à la huitième partie de la Balance; la rainure devient insensiblement plus étroite; les heures raccourcissent. Parvenue au droit de la Balance, elle redonne aux heures la longueur qu'elles doivent avoir à l'équinoxe.

15. Descendant de plus en plus à travers les espaces du Scorpion et du Sagittaire, la languette du petit tambour est ramenée par son mouvement circulaire à la huitième partie du Capricorne, et l'eau, sortant avec abondance, reproduit les heures si courtes du solstice d'hiver.Je suis entré avec toute l'exactitude dont je suis capable dans tous les détails de la confection des horloges, afin d'en faciliter l'usage; il me reste à parler des machines et de leurs principes : aussi, pour donner un corps complet d'architecture, vais-je consacrer le livre suivant à cette matière.

LIVRE DIXIEME

INTRODUCTION.

1. Dans une grande et célèbre ville de la Grèce, à Éphèse, il existe, dit-on, une vieille loi à laquelle on a attaché une sanction sévère, mais juste. Tout architecte qui se charge d'un ouvrage public, est tenu de déclarer quels doivent en être les frais, et une fois l'estimation faite, ses biens passent comme garantie dans les mains du magistrat, jusqu'à l'accomplissement des travaux. Si les dépenses répondent au devis, on lui accorde des récompenses et des honneurs; si elles ne dépassent l'estimation que du quart, on a recours aux deniers publics, sans qu'il soit contraint de subir aucune peine; mais si elles montent au delà du quart, on prend l'excédant sur ses biens.

2. Combien il serait à souhaiter que les Romains eussent une loi semblable, non seulement pour leurs édifices publics, mais encore pour leurs bâtiments particuliers ! l'impunité n'autoriserait pas les désordres de l'ignorance; il n'y aurait que ceux dont l'habileté serait reconnue qui oseraient exercer la profession d'architecte; les pères de famille ne seraient point jetés dans ces dépenses excessives qui les ruinent; les architectes arrêtés par la crainte d'une peine, apporteraient plus de soin dans le calcul de leurs dépenses, et l'on verrait s'achever les édifices pour la somme qu'on se proposait d'y employer, ou peu de chose en sus. Car celui qui veut dépenser quatre cent mille sesterces à la construction d'un bâtiment, peut bien y en ajouter cent mille autres pour avoir le plaisir de le voir terminer; mais quand les frais se trouvent doublés, plus que doublés, on perd toute confiance, on ne veut plus entendre parler de rien, on se voit ruiné, on n'a plus de courage, on est forcé de tout abandonner.

3. Et c'est un vice qui ne frappe pas seulement les édifices, on le voit encore s'attacher aux préparatifs que les magistrats font faire dans le Forum pour la représentation des jeux des gladiateurs et des acteurs. Point de délais, point de retardements pour ces sortes de choses; il faut, à heure dite, avoir établi les gradins pour les spectateurs, étendu les voiles, dressé les machines, fait, en un mot, toutes les dispositions que nécessitent les spectacles donnés au peuple. Ce sont des choses qui exigent toute l'expérience, tout le soin, toute l'application d'un esprit exercé, et dont on ne peut venir à bout sans avoir étudié l'art de faire des

4. Toutes ces considérations me font penser qu'il ne serait pas inutile, avant de commencer ces travaux, d'examiner avec soin ce qu'ils peuvent coûter. Mais comme il n'y a ni loi ni ordonnance qui prescrive de telles mesures, et que tous les ans les préteurs et les édiles sont obligés de faire préparer des machines pour les jeux, j'ai cru, ô César, qu'il était à propos, après avoir traité des édifices dans les livres précédents, d'expliquer dans celui-ci, qui va terminer le corps de cet ouvrage, quels sont les principes qui doivent diriger la confection des machines.

I. Des machines; en quoi elles diffèrent des organa.

1. Une machine est un assemblage solide de pièces de bois disposées de manière à faire mouvoir les plus lourds fardeaux. L'effet de la machine dépend de l'art, et il est fondé sur le mouvement circulaire que les Grecs appellent g-kyklicehn g-kinehsin. Les machines se divisent en trois genres : le premier sert à monter : les Grecs l'appellent g-akrobatikon, le second se meut par le vent : en grec g-pneumatikon; le troisième sert à tirer : les Grecs le nomment g-baroulkon. Les machines qui servent à monter sont organisées de telle sorte qu'à l'aide de pièces de bois mises debout auxquelles s'ajoutent d'autres pièces transversales, on peut monter sans danger pour voir ce qui se passe. Les machines à vent sont celles qui, par l'impulsion de l'air, imitent le son des instruments que l'on touche, et la voix humaine.

2. Les machines qui servent à tirer sont celles à l'aide desquelles on transporte ou on élève des fardeaux. Pour monter on a moins besoin d'art que de hardiesse. La machine se compose de chaînes, de pièces de bois transversales, d'un mannequin fait avec de l'osier entrelacé, et d'un montant solide qui soutient le tout. Celles que la force du vent fait agir, produisent des effets étonnants, grâce aux moyens ingénieux que l'art emploie. Celles qui servent à tirer sont si utiles, que les résultats qu'on en obtient sont prodigieux , quand on met avec habileté leur puissance en action.

3. De toutes ces machines, les unes se meuvent g-mehchanikohs, les autres g-organikohs. Entre les machinae et les organa, il me semble qu'il y a cette différence, que les machinae demandent, pour avoir leur effet, plus de bras, plus de forces, comme les balistes et les arbres des pressoirs, et que les organa, maniés avec adresse par un seul homme, exécutent ce à quoi ils sont destinés. Tels sont les arbalètes et les anisocycles. Toutes ces machines, de quelque espèce qu'elles soient, sont d'un usage indispensable; sans elles il n'est rien qui se fasse sans difficulté.

4. L'art de faire des machines est entièrement fondé sur la nature, et sur l'étude qu'on a faite du mouvement circulaire du monde. Regardons d'abord et observons la marche continuelle du soleil, de la lune et des cinq autres planètes ; si leur mouvement de rotation n'était pas basé sur les règles de la mécanique, nous n'aurions point de lumière pendant le jour, et les fruits n'arriveraient point à leur maturité. A la vue de ce mécanisme, les anciens prirent modèle sur la nature, et, suivant la marche que ces corps divins semblaient leur indiquer, ils obtinrent des résultats qui sont si nécessaires à la vie. Aussi, pour rendre leurs ouvrages plus faciles à faire, ont-ils inventé toutes sortes de machines dont la puissance a été appropriée à leur destination. C'est ainsi que tout ce dont ils ont reconnu l'utilité dans les sciences, dans les arts, dans les métiers, a été insensiblement amené par leur sagacité à une plus grande perfection.

5. Remarquons que la première invention a été due à la nécessité : c'est le vêtement. L'entrelacement des fils de la chaîne avec ceux de la trame, a produit, à l'aide de certains instruments, un tissu qui, en couvrant le corps, ne le protège pas seulement, mais lui sert encore d'un grand ornement. Et les aliments, nous ne les aurions pas eus en abondance, si l'on n'avait point inventé le joug et la charrue pour les boeufs et pour toutes les bêtes de somme; et sans les moulinets, sans les pressoirs, sans les leviers, sans la manière employée pour pressurer les olives et les raisins, nous ne jouirions point des liqueurs qu'on en exprime. Et quels seraient nos moyens de transport, si l'on n'avait inventé les chariots, les voitures et les bateaux, pour transporter par terre et par eau? L'invention des trébuchets et des balances nous met à même de nous assurer du poids de chaque chose, et empêche la fraude d'exercer ses manoeuvres. Il existe encore une infinité d'autres machines dont je crois inutile de parler, parce qu'elles se trouvent journellement sous la main : telles sont les roues, les soufflets de forge, les carrosses, les cabriolets, les tours et toutes les autres choses qui sont d'un usage ordinaire dans la vie.

II. Des machines qui servent à tirer.

1. Nous allons commencer l'explication de celles dont on se sert rarement, afin de les bien faire connaître. Nous allons commencer par les machines dont l'emploi est nécessaire pour la construction des temples et des édifices publics. Voici comment on les fait. On prépare trois pièces de bois proportionnées au poids des fardeaux qu'elles doivent lever. On les joint ensemble par le haut avec une cheville, puis on les dresse et on les écarte par en bas, après avoir lié à leur tête des cordes qu'on attache dans les environs pour tenir la machine droite et l'affermir. On attache au haut une moufle appelée par quelques-uns rechamus. On y introduit deux poulies qui tournent sur des boulons. Sur la poulie supérieure on fait passer un câble qu'on tire jusqu'à la poulie de la moufle inférieure, sous laquelle poulie on le fait passer pour le ramener à la seconde poulie de la moufle supérieure ; puis on le fait redescendre à la moufle inférieure dans un trou de laquelle on l'attache; l'autre bout du câble est ramené au bas de la machine.

2. A la partie postérieure des pièces de bois équarries, vers l'endroit où elles sont écartées, on fixe deux anses de fer qui reçoivent les bouts du moulinet, afin qu'ils y tournent facilement comme des essieux. Ce moulinet, vers chacun de ses bouts, a deux trous disposés de manière que des leviers puissent y entrer. A la partie inférieure de la moufle d'en bas, on attache des tenailles de fer dont les deux branches vont s'enfoncer dans des trous que l'on fait aux pierres. Comme le bout du câble est attaché au moulinet que les leviers font tourner, le câble, s'enroulant tout autour, se tend et fait monter les fardeaux jusqu'à la hauteur à laquelle ils doivent être placés.

3. La machine dans laquelle se meuvent trois poulies, s'appelle trispaste; quand elle en a cinq, deux dans la moufle d'en bas, trois dans celle d'en haut, on la nomme pentaspaste. Si l'on veut avoir des machines capables de lever de plus lourds fardeaux, il faudra se servir de pièces de bois plus longues et plus grosses, et augmenter à proportion la grosseur des boulons qui sont en haut, et la force des moulinets qui sont en bas. Après ces préparatifs, on commencera par attacher, sans qu'ils soient tendus, les câbles destinés à soutenir la machine; puis pour empêcher que les deux pièces de bois où sont attachées les amarres ne reculent, on y mettra des cordes que, faute de mieux, on liera autour de pieux auxquels on donnera un certain degré d'inclinaison en les fichant en terre, et en les y enfonçant bien avant à coups de maillet.

4. Après cela, on attachera solidement une moufle au haut de la machine d'où l'on fera descendre un câble vers une autre moufle attachée à un pieu; on le fera passer dans la poulie de cette moufle inférieure pour le faire remonter jusqu'à la poulie qui est attachée à la tête de la machine. Après l'avoir fait passer par-dessus la poulie de cette moufle supérieure, on le ramènera vers le moulinet qui est au bas de la machine, et on l'y fixera. Le moulinet mis en mouvement par les leviers fera lui-même monter la machine sans aucun danger; et grâce aux câbles disposés autour d'elle, et aux cordes attachées aux pieux pour la retenir, la machine sera bien affermie. On pourra alors, comme on l'a lu plus haut, se servir des moufles et des cordes qui servent à tirer.

5. Si dans un ouvrage il se rencontre des fardeaux d'une grosseur et d'un poids énormes, il ne faudra point se fier au moulinet; dans les anses qui le retiennent, il faudra passer un essieu au milieu duquel il y aura un grand tympan appelé par quelques Romains rota, et par les Grecs g-amphireusin ou g-peritrochion.

6. Dans ces machines, les moufles sont d'une autre forme : toutes deux, celle du haut comme celle du bas, ont un double rang de poulies. On passe le câble dans l'anneau de la moufle inférieure, jusqu'à ce que les deux bouts soient d'égale longueur, quand il sera tendu. Là, auprès de la moufle inférieure, avec une ficelle qui, après plusieurs tours, y sera fortement nouée, les deux parties du câble seront arrêtées de manière à ne pouvoir glisser ni à droite ni à gauche. Les deux bouts du câble sont ensuite montés jusqu'à la moufle supérieure où on les fait passer, par la partie extérieure, sur les secondes poulies, pour les ramener en bas, les faire passer sous les poulies de la moufle inférieure par la partie intérieure, et les faire retourner encore à droite et à gauche jusqu'en haut, où on les fait passer sur les premières poulies.

7. Après les avoir fait passer par la partie extérieure, on les ramène, à droite et à gauche de la roue, jusqu'à l'essieu, où on les attache pour les y fixer. Alors, de la roue autour de laquelle il est entortillé, un autre câble se dirige vers un vindas. En même temps que ce câble file autour de la roue et du treuil du vindas, ceux qui sont attachés à l'essieu de la machine, se tendent et lèvent insensiblement les fardeaux sans danger. Que si l'on veut, sans employer de vindas, se servir d'une roue plus grande, en la faisant tourner par des hommes qui agiront avec leurs pieds, soit au milieu, soit à l'une de ses extrémités, on en obtiendra des résultats encore plus prompts.

8. Il y a une autre machine assez ingénieuse ; elle est très expéditive, mais elle veut être dirigée par une main adroite. C'est une longue pièce de bois qui, mise debout, est arrêtée de quatre côtés par des cordes. Au haut de cette pièce de bois, au-dessous de l'endroit où ces cordes sont attachées, on cloue deux anses sur lesquelles on fait passer les cordes qui retiennent la moufle. On appuie cette moufle par une règle longue d'environ deux pieds, large de six doigts, épaisse de quatre. Les moufles présentent sur leur largeur trois rangs de poulies, en sorte que trois câbles attachés au haut de la machine descendent jusqu'à la moufle inférieure, sous les trois premières poulies de laquelle on les fait passer du dedans au dehors. On les remonte ensuite à la moufle supérieure pour les faire passer de dehors en dedans sur les poulies d'en bas.

9. De là, descendant à la moufle inférieure, ces câbles passent de dedans en dehors sous les secondes poulies, et retournent en haut pour passer sur les poulies du second rang, d'où ils redescendent en bas pour remonter encore en haut, où, après avoir passé sur les trois poulies du dernier rang, ils redescendent au bas de la machine. Or, au pied de la machine, se trouve une troisième moufle, que les Grecs appellent g-epagonta et les Romains artemon. Cette moufle, qui est attachée au pied de la machine, a trois poulies dans lesquelles passent les trois câbles qu'on donne à tirer à des hommes. Ainsi trois rangées d'hommes, sans le secours d'un vindas, peuvent tirer et élever promptement les fardeaux.

10. Cette espèce de machine s'appelle polyspaste, parce que, à l'aide d'un grand nombre de poulies, on tire avec autant de facilité que de promptitude. L'emploi d'une seule pièce de bois a cela d'avantageux, que, en lui donnant préalablement l'inclinaison que l'on veut, à droite ou à gauche, elle peut déposer les fardeaux sur les côtés. Toutes les machines qui ont été décrites ci-dessus peuvent encore servir à charger et à décharger les navires, les unes debout, les autres couchées sur des pièces de bois faciles à mettre en mouvement. On peut encore, sans élever d'arbre, étendre à terre les mêmes câbles et les mêmes poulies, et s'en servir pour tirer les navires hors de l'eau.

11. Il n'est pas hors de propos d'expliquer aussi l'invention ingénieuse de Chersiphron. Cet architecte voulait transporter des fûts de colonnes, des carrières où on les prenait, jusqu'à Éphèse, où il bâtissait le temple de Diane. Craignant que la pesanteur des fardeaux et le peu de solidité des chemins de campagne ne fissent enfoncer les roues, voici l'expédient qu'il trouva. Quatre pièces de bois de quatre pouces carrés, deux placées en travers et les deux autres en long, égales à la grandeur de chaque fût de colonne, furent solidement assemblées. Aux deux bouts des fûts, il scella avec du plomb des boulons de fer en forme de queue d'aronde, et enfonça dans les traverses des anneaux en fer pour y faire passer les boulons. De plus, il attacha aux deux extrémités de la machine, des timons en bois de chêne auxquels on attela des boeufs, et les boulons passés dans les anneaux de fer y tournaient si librement, que les fûts des colonnes, grâce à ces boulons et à ces anneaux de fer, roulèrent sans aucune difficulté.

12. Quand tous les fûts des colonnes eurent été transportés, il fut aussi question du transport des architraves. Métagène, fils de Chersiphron, prit modèle sur cette machine pour les amener. Il fit des roues de douze pieds environ, et au milieu de ces roues il enchâssa les deux bouts des architraves, auxquels il adapta de la même manière des boulons et des anneaux de fer, de sorte que, les boeufs une fois attelés à la machine faite de pièces de bois de quatre pouces carrés, les boulons passés dans les anneaux de fer faisant tourner les roues; et les architraves enfermées dans les roues comme des essieux, arrivèrent de la même manière que les fûts de colonnes, au lieu de leur destination. On peut avoir une idée de cette machine par les cylindres qui servent à aplanir les allées dans les palestres. Mais il eût été impossible de réussir sans le peu de distance qu'il y avait entre la carrière et le temple, distance qui n'était que de huit mille pas ; encore n'y avait-il ni à monter ni à descendre.

13. De notre temps, le piédestal de la statue colossale d'Apollon menaçait ruine de vétusté. On craignait que cette statue, placée dans son temple, ne vint à tomber et à se briser. On proposa un marché pour tirer de la même carrière un nouveau piédestal. Ce fut un nommé Paconius qui l'accepta. Ce piédestal avait douze pieds de longueur, huit de largeur, six de hauteur. Paconius, piqué d'honneur, ne se servit point de l'appareil de Métagène ; il voulut monter une machine d'un autre genre, d'après le même système.

14. Il fit faire des roues d'environ quinze pieds, et y enferma les deux bouts de la pierre; ensuite, tout autour de cette pierre, il disposa en rond des fuseaux de deux pouces de grosseur qui, passant d'une roue à l'autre, n'avaient entre eux que la distance d'un pied. Puis il entortilla ces fuseaux d'un câble qu'il fit tirer par un attelage de boeufs. A mesure que le câble se déroulait, les roues tournaient; mais elles ne pouvaient aller droit, et dérivaient tantôt à droite, tantôt à gauche. Il fallait à chaque instant reculer. Aussi Paconius, à force d'avancer et de reculer, finit par se mettre dans l'impossibilité de faire face aux frais.

15. Je vais faire une petite digression pour raconter de quelle manière furent trouvées les carrières d'Éphèse. Il y avait un berger nommé Pixodore qui vivait dans ces parages. Dans le temps que les citoyens d'Éphèse pensaient à élever à Diane un temple de marbre, et se proposaient de faire venir leurs marbres de Paros, de Proconèse, d'Héraclée et de Thasis, Pixodore avait mené paître son troupeau dans ce même endroit. Voilà que deux de ses béliers, se précipitant pour se choquer, passèrent l'un à côté de l'autre sans se toucher; mais il y en eut un qui alla donner de ses cornes contre un rocher dont il enleva un fragment de la couleur la plus blanche. Pixodore laisse, dit-on, ses moutons dans la montagne, court à Éphèse, où il arrive avec son fragment au moment où il était le plus question de l'affaire des marbres. On lui décerna à l'instant de grands honneurs; on changea son nom de Pixodore en celui d'Evangelus. Et de nos jours encore, le magistrat est tenu de se rendre tous les mois sur le lieu même, pour y faire un sacrifice, faute de quoi il subit une punition.

III. De la ligne droite et de la ligne circulaire, principes de tout mouvement.

1. J'ai exposé en peu de mots ce que j'ai cru nécessaire de dire pour l'intelligence des machines qui servent à tirer. Les deux moteurs ou puissances qui les font agir, différents l'un de l'autre, ne se ressemblent pas; ils concourent pourtant à produire les principes de deux actions : l'une est la force de la ligne droite que les Grecs appellent g-eutheia; l'autre , celle de la ligne circulaire qu'ils nomment g-kyklohpeh. Il n'en est pas moins vrai que la ligne droite ne peut agir sans la circulaire, ni la circulaire sans la droite, dans l'élévation des fardeaux. Cette proposition, pour être bien comprise, demande quelque explication.

2. Les chevilles qui traversent les poulies comme des axes, sont placées dans les moufles, et le câble qui passe sur les poulies et qui va directement s'attacher au moulinet, fait monter les fardeaux, grâce au mouvement de rotation que lui imprime le levier. Les bouts du treuil du moulinet qui, comme des centres, s'étendent entre les deux amarres, et les leviers qui entrent dans les trous du moulinet, et dont l'extrémité décrit un cercle dans son mouvement de rotation, semblable à celui d'un tour, élèvent les fardeaux. On peut, de même, au moyen d'un levier en fer, lever un fardeau que plusieurs hommes ne sauraient remuer. Pour servir de centre, on place sous le levier un appui que les Grecs appellent g-hypomochlion; on passe la pince sous le fardeau; qu'un seul homme alors vienne à appuyer sur le manche, on le verra lever ce fardeau.

3. En voici la raison : c'est que la première partie du levier comprise entre le point d'appui, qui est le centre, et le fardeau sous lequel on met la pince, est la plus courte; et que la plus longue, celle qui s'étend depuis ce centre jusqu'à la tête du levier, étant la partie sur laquelle on agit, peut, par le mouvement circulaire qu'on lui fait faire, donner aux quelques mains qui la pressent, une force égale à la pesanteur d'un très lourd fardeau. Mais si l'on met la pince du levier de fer sous le fardeau, et qu'au lieu de peser sur le bout opposé, on veuille, au contraire, le soulever, la pince appuyant sur le sol, agira contre la terre, comme elle agissait contre le fardeau, et l'angle du fardeau sera son point d'appui : l'opération ne sera pas aussi facile que lorsqu'on appuyait sur le levier; on en viendra néanmoins à bout, bien qu'avec plus de peine. S'il arrive que la pince du levier qui est posé sur l'hypomochlium, se trouve engagée sous le fardeau, de manière que la tête du manche sur lequel on appuie, soit plus près du centre , on ne pourra point lever le fardeau , à moins que, suivant ce que nous avons dit plus haut, en allongeant le manche, on ne ramène l'équilibre entre la résistance du fardeau et la puissance qui doit le lever.

4. C'est une expérience qu'il est facile de faire avec les balances qu'on appelle statères. L'anse est placée auprès de l'extrémité à laquelle le bassin est suspendu; c'est là qu'est le centre du mouvement du fléau. De l'autre côté se trouve le poids qui tient la machine en équilibre. Plus, en le faisant glisser vers l'extrémité du fléau, vous lui ferez franchir de ces points qui y sont marqués, plus, malgré l'inégalité de sa pesanteur, vous lui donnerez de force pour faire équilibre avec les plus lourds fardeaux, puisque sa puissance augmente à mesure qu'il s'éloigne du centre. Ainsi, le poids si léger destiné à établir l'équilibre, acquérant en un moment une force proportionnée à son éloignement du centre, peut faire monter doucement et sans peine un très grand fardeau.

5. Cette même force, qui agit loin du centre, fait qu'un pilote qui dirige la barre du gouvernail que les Grecs appellent g-oiax vient à bout de faire tourner en un moment, avec une seule main, les plus gros bâtiments de transport, chargés, en marchandises et en provisions, des fardeaux les plus lourds, les plus considérables. C'est aussi par la même raison que, si les voiles ne sont montées que jusqu'à la moitié du mât, un vaisseau ne peut courir avec rapidité, tandis que si les antennes ont été élevées jusqu'au haut, on le voit alors s'élancer avec impétuosité; c'est que le vent agit avec moins de force sur les voiles qui reçoivent son souffle aussi près du pied du mât, que l'on considère comme le centre, que sur celles qui le reçoivent en haut à une plus grande distance.

6. Ainsi de même que le levier, quand on le prend par le milieu, a beaucoup moins de force, et ne soulève qu'avec peine le fardeau sous lequel il est placé, tandis que, si l'on pèse sur l'extrémité du manche, on le sentira fonctionner avec facilité; de même, les voiles, lorsqu'elles sont attachées au milieu du mât, agissent avec moins de puissance que quand elles sont hissées jusqu'au haut : car alors, se trouvant plus éloignées du centre, bien que le vent ne les enfle pas avec plus de force , elles donnent au vaisseau une impulsion plus énergique et accélèrent sa marche. C'est encore par la même raison que, quand les rames qui sont attachées à leur cheville par un anneau, sont plongées dans l'eau et ramenées à force de bras, si la partie qui va frapper l'eau de la mer s'étend loin de la cheville qui est le centre autour duquel elles se meuvent, le vaisseau sille avec impétuosité, la proue fend les vagues avec plus de légèreté.

7. Lorsque la pesanteur d'un fardeau exige qu'il y ait quatre ou six hommes pour le porter, on le met parfaitement en équilibre au milieu des bâtons qui doivent servir, afin que tout le poids de la charge soit divisé de manière que chaque porteur n'ait à soutenir sur son épaule qu'une part proportionnée à leur nombre. Pour cela, le milieu des bâtons où sont attachées les courroies des porteurs, est armé de clous pour empêcher que les fardeaux ne glissent d'un côté ou de l'autre : car s'ils s'écartent du centre, ils pèsent davantage sur l'épaule de celui dont ils se sont approchés. C'est ce qui arrive dans la statère, lorsque le poids s'éloigne de l'anse pour avancer vers l'extrémité du fléau.

8. C'est encore par la même raison que deux boeufs, lorsque leurs jougs sont attachés par le milieu avec une courroie, ont à tirer autant l'un que l'autre; mais s'ils ne sont pas d'égale force, et que le plus fort fatigue trop son compagnon, on allonge un des côtés du joug avec une courroie qu'on y passe, pour soulager le boeuf le plus faible. Ainsi, pour les bâtons à porter comme pour les jougs, quand la courroie n'est pas placée au milieu, quand, en s'éloignant du centre, elle a rendu l'un des côtés plus court, et l'autre plus long, si sur le nouveau centre formé par le déplacement de la courroie on vient à faire tourner le bâton, l'extrémité de la partie la plus longue décrira un cercle plus grand que l'extrémité de la partie la plus courte.

9. De même que les petites roues ont plus de peine, plus de difficulté à rouler que les grandes, de même aussi les bâtons à porter et les jougs pèsent davantage du côté où il se trouve le moins d'intervalle, depuis le centre jusqu'à l'extrémité, comme ils deviennent plus légers pour ceux qui tirent ou qui portent du côté qui présente le plus de longueur à partir du centre. Puisque c'est en raison de l'éloignement du centre et de la grandeur du cercle que le mouvement devient plus facile, les charrettes, les voitures, les tympans, les roues, les vis, les scorpions, les balistes, les pressoirs et toutes les autres machines remplissent le but auquel elles sont destinées, quand elles sont soumises aux principes qui règlent l'éloignement du centre et le mouvement circulaire.

IV. Des différentes espèces de machines destinées à tirer l'eau.

1. Je vais maintenant parler des différentes espèces de machines qui ont été inventées pour tirer de l'eau ; je commence par le tympan. Cette machine n'élève pas l'eau bien haut, mais elle en tire une grande quantité en très peu de temps. On fait au tour ou au compas un essieu dont les extrémités sont garnies d'une lame de fer. On le passe au travers d'un tympan formé de planches jointes ensemble, et on le fixe au milieu; puis on le place sur deux pieux qui ont des lames de fer aux deux endroits où portent les deux bouts de l'essieu. Dans la cavité de ce tympan, on dispose huit planches en travers, depuis l'essieu jusqu'à la circonférence, lesquelles divisent le tympan en autant d'espaces égaux.

2. Autour de cette machine, on arrondit des planches dans lesquelles on pratique des ouvertures d'un demi pied, pour que l'eau puisse pénétrer à l'intérieur. De plus, on creuse le long de l'essieu autant de petits canaux qu'il y a de compartiments, et on les fait aboutir à un des côtés de l'essieu. Quand le tout a été bien goudronné comme un bateau, on charge des hommes de faire tourner avec leurs pieds la machine qui, en puisant l'eau par les ouvertures pratiquées dans la circonférence du tympan, la rend par les conduits qui sont le long de l'essieu; elle tombe alors dans une auge de bois à laquelle on a adapté un tuyau. C'est par ce moyen qu'on conduit une grande quantité d'eau dans les jardins pour les arroser, et dans les salines pour les approvisionner.

3. Si l'on veut faire monter l'eau plus haut, on peut employer le même procédé avec cette modification : on fait autour de l'essieu une roue assez grande pour qu'elle puisse atteindre à la hauteur à laquelle on veut élever l'eau. Autour de la circonférence de la roue, on cloue des caisses bien calfeutrées avec de la poix et de la cire, de sorte que, quand des hommes font tourner la roue avec leurs pieds, les caisses s'élèvent pleines jusqu'au haut, puis, lorsqu'elles viennent à redescendre, elles versent d'elles-mêmes dans le réservoir l'eau qu'elles ont montée.

4. Si l'on doit fournir d'eau des lieux plus élevés encore, on placera sur l'essieu de la même roue une double chaîne de fer qui descendra jusque dans l'eau; à cette chaîne seront suspendus des seaux de cuivre de la capacité d'un conge. Le mouvement de la roue, en faisant tourner la chaîne avec l'essieu, fera monter les seaux qui, arrivés au-dessus de l'essieu, se renverseront nécessairement, et verseront dans le réservoir toute l'eau qu'ils contiendront.

V. Des roues que l'eau met en jeu, et des moulins à eau.

1. On fait aussi dans les rivières des roues du même genre que celles dont nous venons de parler. Autour de la circonférence de ces roues sont fixées des aubes qui, en recevant l'impulsion du courant, donnent nécessairement à cette circonférence un mouvement de rotation, sans qu'il soit besoin d'hommes pour mettre en jeu les roues que la force seule du courant fait tourner; les caisses puisent l'eau, l'élèvent jusqu'en haut et en fournissent la quantité nécessaire pour l'usage.

2. Les moulins à eau que le même mécanisme met en mouvement, sont faits de la même manière, avec cette différence pourtant que l'une des extrémités de l'essieu traverse un rouet qui, posé à plomb, perpendiculairement, tourne avec la roue. Auprès de ce rouet s'en trouve un autre plus petit, dentelé aussi et placé horizontalement; au milieu de ce petit rouet s'élève un essieu à l'extrémité supérieure duquel se trouve un fer en forme de hache, qui l'affermit dans la meule. Ainsi les alichons du grand rouet qui termine l'essieu de la roue, s'engrenant avec ceux du petit qui est placé horizontalement, font tourner la meule au-dessus de laquelle est suspendue la trémie qui laisse tomber le blé entre les meules, où il est converti en farine par le même mouvement de rotation.

VI. De la limace qui donne une grande quantité d'eau sans l'élever bien haut.

1. La limace est une espèce de machine qui puise beaucoup d'eau, mais qui ne l'élève pas aussi haut que la roue. Voici de quelle manière elle se construit : on prend une pièce de bois qui a autant de pieds en longueur que de doigts en épaisseur. On l'arrondit au compas. Le cercle qui est à chaque bout se divise avec un compas en quatre parties égales ou en huit, en conduisant du centre à la circonférence autant de lignes qu'il y a de divisions, et ces lignes doivent être tracées de telle sorte que, la pièce de bois étant couchée à terre, leurs extrémités correspondent parfaitement. à chaque bout. Puis, d'un bout à l'autre de ces extrémités, on tire le long de la pièce de bois d'autres lignes sur lesquelles on marque des espaces égaux à la huitième partie de la circonférence; si bien que les divisions, prises sur la longueur, sont les mêmes que celles de la circonférence. On tire ensuite autour de la circonférence des lignes qui coupent celles qui sont tracées dans la longueur, et on marque des points aux endroits où elles s'entrecroisent.

2. Toutes ces dispositions ayant été faites avec exactitude, on prend une tringle flexible de saule ou d'osier qui, après avoir été enduite de poix liquide, est appliquée sur le premier point. On la fait passer ensuite obliquement sur les points suivants marqués par les lignes longitudinales et transversales, et en avançant graduellement, après avoir traversé chaque point en tournant, après avoir placé la tringle sur chaque intersection, et l'y avoir fixée, on arrive du premier point au huitième, jusqu'à la ligne sur laquelle on avait commencé à la fixer. Ainsi, la marche qu'on lui fait suivre obliquement à travers huit points de la circonférence, la conduit également au huitième point de la ligne longitudinale. Les tringles fixées obliquement sur les intersections formées par la rencontre de toutes les lignes droites et arrondies, composent autour du cylindre autant de canaux qu'on y a fait de divisions, et ces canaux ressemblent parfaitement à celui que la nature a tracé dans le limaçon.

3. Sur ces premières tringles on en applique d'autres, enduites aussi de poix liquide, et on les accumule les unes sur les autres jusqu'à ce qu'elles aient donné à la limace une grosseur égale à la huitième partie de sa longueur. Sur ces tringles, tout autour de la machine, on attache des planches pour couvrir cet entortillement de canaux. Alors on recouvre ces planches d'une forte couche de poix, et on les lie avec des cercles de fer, pour que la force de l'eau ne les disjoigne pas. Les deux bouts du cylindre armés chacun d'un pivot en fer sont entourés de cercles de même métal qu'on arrête avec des clous. Puis à droite et à gauche de chacun des bouts de la limace, on plante des pieux dont les extrémités sont liées par des traverses. Au milieu de ces traverses, on enchâsse deux pitons dans lesquels on fait entrer les pivots, et dans cet état des hommes la font tourner avec leurs pieds.

4. Le degré d'inclinaison de la limace répond à la description du triangle rectangle de Pythagore, c'est-à-dire que si l'on divise la longueur de la limace en cinq parties, on en donnera trois à l'élévation de sa tête, de sorte qu'il s'en trouvera quatre depuis la ligne perpendiculaire de l'élévation jusqu'aux ouvertures qui sont au bas de la machine. On verra facilement comment cela doit se faire par la figure que j'en donne à la fin du livre. Je viens d'expliquer le plus clairement que j'ai pu, afin de les mieux faire connaître, les machines qui se font avec du bois. J'ai dit de quelle manière on les confectionnait, et comment, à l'aide du mouvement circulaire, on les mettait en jeu pour en retirer de si nombreux avantages.

VII. De la machine de Ctesibius qui élève l'eau très haut.

1. J'ai maintenant à parler de la machine de Ctesibius qui fait monter l'eau à une grande hauteur. Elle se fait en cuivre. On place en bas de cette machine, à une petite distance l'un de l'autre, deux barillets auxquels on adapte des tuyaux qui vont en forme de fourche s'ajuster à un petit bassin posé entre ces deux barillets. Dans ce bassin sont pratiquées deux soupapes qui s'adaptent parfaitement à l'orifice supérieure des tuyaux qu'elles bouchent hermétiquement, pour empêcher que ce qui a été poussé dans le bassin par le moyen de l'air, ne s'échappe.

2. On ajuste sur le bassin une chape semblable à un entonnoir renversé, et on l'y retient par le moyen de pitons traversés par des clavettes, de crainte que la force avec laquelle l'eau est poussée ne vienne à la faire sauter. On soude avec la chape, perpendiculairement au-dessus, un autre tuyau qu'on appelle trompe. Les barillets ont au-dessous de l'orifice inférieure des tuyaux, des soupapes qui ferment les trous qui sont au fond.

3. Ensuite on fait entrer par le haut, dans les barillets, des pistons polis au tour et frottés d'huile. Ces pistons, une fois enfermés dans les barillets, sont mis en jeu à l'aide de tringles et de leviers; puis par le mouvement répété qui les fait hausser et baisser, ils compriment l'air qui s'y trouve condensé, et l'eau que retiennent les soupapes qui bouchent les ouvertures par lesquelles elle est entrée dans les barillets. Alors l'eau est contrainte, par la compression, de se précipiter par les ouvertures des tuyaux, dans le petit bassin d'où l'air qui la pousse contre la chape la fait sortir par la trompe qui est en haut; par ce moyen, l'eau peut être élevée d'un endroit bas dans un réservoir pour y former un jet.

4. Cette machine n'est pas la seule dont on attribue l'invention à Ctesibius; il en est plusieurs autres de différentes sortes qui, par le moyen de l'eau poussée par la compression de l'air, produisent des effets imités de la nature : telles sont les machines hydrauliques qui imitent le chant des oiseaux, et ces petites figures creuses que l'eau met en mouvement dans des vases de verre, et d'autres encore qui sont faites pour charmer les sens de la vue et de l'ouïe.

5. Parmi ces machines, j'ai choisi celles qui m'ont paru les plus utiles et les plus nécessaires, et, après avoir parlé des horloges dans le livre précédent, j'ai jugé à propos de traiter dans celui-ci des machines hydrauliques. Quant aux autres machines qui sont faites moins pour servir que pour amuser, ceux qui désireront en connaître le mécanisme ingénieux pourront consulter l'ouvrage de Ctesibius lui-même.

VIII. Des orgues hydrauliques.

1. Je n'omettrai point d'expliquer le mécanisme des orgues mises en jeu par le moyen de l'eau; mais je ne vais traiter cette matière que le plus succinctement que je pourrai, et avec le moins de mots possible. Sur une base faite avec du bois, on met un coffre de cuivre ; de cette base s'élèvent, à droite et à gauche, deux règles jointes ensemble en forme d'échelle; entre ces règles on enferme des cylindres creux en cuivre, avec des pistons parfaitement arrondis au tour et attachés à des branches de fer qui, faisant au milieu le coude à l'aide de charnières, tiennent elles-mêmes de la même manière à des leviers, et sont enveloppées de peaux encore garnies de leur laine. Dans la plaque qui forme le haut des cylindres, sont des trous de la grandeur d'environ trois doigts. Tout près de ces trous sont placés des dauphins de cuivre également attachés avec des charnières. Ils tiennent suspendus à des chaînes des cônes en cuivre qui, ayant leur base en bas, descendent dans les trous des cylindres.

2. Dans le coffre où l'eau est suspendue, il y a un puigée, espèce d'éteignoir, sous lequel on place des sortes de dés d'environ trois doigts qui laissent le même espace entre ses bords inférieurs et le fond du coffre. Au-dessus de son col, qui va en rétrécissant, est soudé un coffret qui soutient la partie supérieure de la machine appelée en grec g-kanohn g-mousikos (règle musicale) : cette partie a dans la longueur quatre canaux, si l'orgue est à quatre jeux; six, s'il est à six jeux; huit, s'il est à huit.

3. Chaque canal a un robinet, avec une clef de fer. Cette clef, quand on la tourne, laisse passer dans les canaux l'air renfermé dans le coffre. Le long de ces canaux qui traversent le g-kanohn, il y a une rangée de trous qui répondent à d'autres qui sont dans la table supérieure, appelée en grec g-pinax (table). Entre cette table et le g-kanohn, on place des règles percées en face des trous du g-kanohn, et frottées d'huile pour qu'elles puissent être facilement poussées et ramenées à l'intérieur. Leur destination est de boucher les trous qui sont le long des canaux : on les appelle pleuritides (côtes); lorsqu'elles vont ou qu'elles viennent, elles donnent ou ôtent le vent aux tuyaux.

4. Ces règles ont des ressorts en fer qui les attachent aux marches; quand ces marches sont touchées, elles font remuer ces règles. Au-dessus de la table il y a des trous qui laissent sortir le vent des tuyaux. A d'autres règles encore sont soudés des anneaux dans lesquels sont enfermés les bouts de tous les tuyaux. Depuis les cylindres jusqu'au col du pnigée, s'étendent les uns à la suite des autres des conduits qui communiquent avec les trous du coffret. Dans ces trous sont placés des focets qui, les bouchant hermétiquement, ne laissent point ressortir le vent que renferme le coffret.

5. Ainsi, quand on lève les leviers, les tringles de fer coudées font couler les pistons jusqu'au fond des cylindres, et les dauphins qui sont retenus par des charnières, laissant descendre les cônes dans les cylindres, donnent entrée à l'air qui les remplit. Puis les tringles de fer, par le mouvement rapide imprimé aux pistons, les faisant monter dans les cylindres, et bouchant en même temps les ouvertures avec les cônes soulevés par la force de l'air intérieur, forcent cet air comprimé dans les cylindres par les coups de piston, à passer dans les conduits par lesquels il se précipite dans le pnigée, et de là, par son col, dans le coffret. Aussi, l'air fortement comprimé par la fréquente impulsion des leviers, entre par les ouvertures des robinets et remplit les canaux de vent. Lors donc qu'une main habile touche les marches qui, en poussant continuellement les règles, et en les laissant revenir, ouvrent ou ferment le passage au vent, elle produit une grande harmonie par la nombreuse variété des inflexions.

6. J'ai cherché, autant qu'il était en mon pouvoir, à éclaircir, dans ce chapitre, une matière par elle-même fort obscure : c'est un instrument qui ne peut être facilement compris que par ceux qui en ont étudié de près toutes les parties. Et si la description que j'en donne est peu intelligible pour quelques personnes, je suis sûr qu'en le voyant exécuté, elles en trouveront le mécanisme aussi ingénieux que régulier.

IX. Du moyen de connaitre combien on a fait de chemin, dans une voiture ou sur un bateau.

1. Passons maintenant à une invention qui, si elle n'est pas des plus utiles, est au moins une des plus ingénieuses que nous aient laissées les anciens : je veux parler du moyen d'arriver à connaître combien on a fait de milles, soit dans une voiture, soit sur un bateau. Le voici : les roues du char doivent avoir de diamètre quatre pieds, afin que, d'après une marque faite à l'une des roues , à laquelle elle aura commencé à tourner sur la terre, ou puisse connaître d'une manière certaine qu'en revenant au point auquel elle s'était mise à rouler, elle a parcouru un espace de douze pieds et demi.

2. Cela fait, on attachera solidement au moyeu de la roue, du côté intérieur, un tympan ayant une petite dent qui excède sa circonférence au-dessus de ce tympan. Au corps de la voiture, on clouera avec la même solidité une boîte, contenant un autre tympan posé perpendiculairement et traversé par un petit essieu. Ce tympan doit avoir, à sa circonférence, quatre cents petites dents également espacées, qui se rapportent à la petite dent du tympan inférieur. De plus, le tympan supérieur doit avoir, à une de ses parties latérales, une autre dent qui s'avance en dehors de celles qui sont à sa circonférence. Il faudra encore renfermer, dans une autre boîte, un troisième tympan placé horizontalement, et ayant , comme le second, quatre cents dents qui se combinent avec celle qui aura été fixée à la partie latérale du second tympan.

3. Dans ce troisième tympan, on fera autant de trous que la voiture pourra faire de milles en un jour; qu'il y en ait un peu plus ou un peu moins, peu importe. Dans chacun de tous ces trous on mettra un petit caillou rond, et dans l'étui ou boîte qui contient ce tympan, il y aura une ouverture débouchant sur un petit canal par où les petits cailloux qui auront été mis dans ce tympan, arrivés en cet endroit, pourront tomber l'un après l'autre, par le corps de la voiture, dans un vase de cuivre qui sera placé au fond.

4. Ainsi, lorsque la roue du char, dans son mouvement de rotation, emporte avec elle le tympan d'en bas, et que la dent frappant à chaque tour une des dents du tympan supérieur, le fait tourner d'autant, il arrive que les quatre cents tours du premier tympan ne font faire qu'un tour au second, et que la petite dent latérale ne fait avancer que d'une dent le tympan horizontal. Ainsi, pendant que le premier tympan, avec ces quatre cents tours, n'en aura fait faire qu'un seul au second, la voiture aura parcouru un espace de cinq mille pieds, c'est-à-dire de mille pas. Le bruit que fera chaque caillou en tombant, avertira qu'on aura avancé d'un mille, et le nombre de ceux qu'on ramassera au fond du vase fera connaître de combien de milles sera la route parcourue en un jour.

5. Avec quelques changements, on arrivera au même résultat sur l'eau. On fait passer à travers les flancs du vaisseau un essieu dont les extrémités, saillant au dehors, portent des roues de quatre pieds de diamètre, ayant autour de leur circonférence des aubes qui touchent l'eau. Autour de cet essieu s'arrondit, au milieu du navire, un tympan avec une petite dent qui excède sa circonférence. A cet endroit, on place une boîte renfermant un second tympan divisé également en quatre cents dents, qui se rapportent à celle du tympan traversé par l'essieu; il a de plus une autre dent latérale qui dépasse sa circonférence.

6. Dans une autre boîte, on renferme encore un autre tympan posé horizontalement, et dont les dents disposées comme celles du second, se rapportent à cette petite dent qui est attachée au côté du tympan placé verticalement, de sorte que cette dent latérale du tympan vertical, faisant à chaque tour avancer d'une dent le tympan horizontal, finit par lui faire faire un tour entier. Au tympan posé horizontalement, on perce aussi des trous dans lesquels on met des petits cailloux ronds; et dans l'étui ou boîte qui le renferme, on creuse une ouverture communiquant à un canal par où le caillou, libre de tout obstacle, tombera dans le vase de cuivre qu'il fera sonner.

7. Ainsi, lorsque le vaisseau sillera, poussé par la rame ou par le vent, les aubes qui sont aux roues, trouvant dans l'eau une force qui les repousse avec violence, imprimeront aux roues un mouvement de rotation. Ces roues, en tournant, forceront l'essieu de suivre leur mouvement, et l'essieu fera tourner lui-même le tympan dont la dent, à chacun de ses tours, poussera une de celles du second tympan, et lui fera opérer lentement sa révolution. De cette manière, lorsque les aubes auront fait tourner quatre cents fois les roues, elles n'auront fait faire qu'un tour à ce tympan vertical, dont la dent latérale aura fait avancer d'une dent le tympan horizontal. A mesure donc que le tympan horizontal amènera, dans son mouvement progressif de rotation, les petits cailloux à l'ouverture qui est dans sa boîte, ils tomberont dans le petit canal. Par le bruit qu'ils produiront en tombant, et par le nombre qu'on trouvera dans le vase, il sera facile de compter les milles qu'on aura parcourus sur l'eau. Voilà les machines dont on peut retirer de l'utilité et de l'agrément dans les temps de paix et de sécurité. La manière de les construire doit être connue, je crois, par tout ce que j'en ai dit.

X. Des proportions des catapultes et des scorpions.

1. Je vais maintenant traiter des proportions qu'on peut donner aux machines qui ont été inventées pour nous mettre à l'abri du danger et défendre nos jours : je veux parler des scorpions, des catapultes et des balistes. Toutes les proportions de ces machines se règlent sur la longueur des traits qu'elles sont destinées à lancer. On en prend la neuvième partie pour déterminer la grandeur des trous du chapiteau, à travers lesquels on tend les cordes à boyau qui doivent arrêter les bras des catapultes.

2. Voici quelles doivent être la hauteur et la largeur du chapiteau où ces trous sont percés. Les pièces de bois qui composent le haut et le bas du chapiteau , et que l'on nomme parallèles, doivent avoir d'épaisseur le diamètre d'un des trous, et de largeur un diamètre trois quarts. A l'extrémité, elles ne doivent plus se trouver que d'un diamètre et demi. Les poteaux de droite et de gauche doivent, sans les tenons, avoir de hauteur quatre diamètres, et de largeur cinq, et les tenons trois quarts de diamètre. Depuis le trou jusqu'au poteau du milieu, il doit y avoir aussi trois quarts de diamètre. La largeur du poteau du milieu doit être d'un diamètre et un seizième, et son épaisseur d'un diamètre.

3. L'intervalle où se place le javelot dans le poteau du milieu, doit avoir la quatrième partie d'un diamètre. Que les quatre angles qui sont de côté et de face soient attachés avec des lames de fer ou avec des chevilles de cuivre et des clous. Le petit canal qui, en grec, est appelé g-syringx (canal), doit avoir dix-neuf diamètres de longueur. Des règles, qu'on appelle quelquefois bucculae (Lèvres), sont fixées à droite et à gauche, pour former le canal, et doivent aussi être longues de dix-neuf diamètres; leur largeur et leur épaisseur sera d'un diamètre : on y ajoute deux autres règles, dans lesquelles on fait passer un moulinet; elles ont une longueur de trois diamètres sur une largeur d'un demi diamètre. L'épaisseur du buccula qui s'y attache se nomme scamillum (Petit banc), ou, selon quelques-uns loculamentum (Étui). Il est fixé par des tenons à queue d'aronde, longs d'un diamètre et larges d'un demi diamètre. La longueur du moulinet est de neuf diamètres et un neuvième. Le gros rouleau est de neuf diamètres

4. La longueur de l'epitoxis (qui est sur le dard) est d'un demi diamètre et un huitième; son épaisseur d'un huitième de diamètre. Le chelo (tortue), appelé aussi manucla (Petite main), est long de trois diamètres, large et épais d'un demi diamètre et un huitième. La longueur du canal qui se trouve au bas de la machine, doit avoir de longueur seize diamètres. Son épaisseur doit être de la neuvième partie d'un diamètre, et sa largeur d'un demi diamètre et un huitième. La petite colonne avec sa base, qui est près du sol, est de huit diamètres; sa largeur, au-dessus du plinthe sur lequel elle est placée, est d'un demi diamètre et un huitième; l'épaisseur est d'un douzième et un huitième de diamètre. La longueur de la petite colonne, jusqu'au tenon, est de douze diamètres et un neuvième; sa largeur est d'un demi diamètre et un huitième; l'épaisseur est du tiers et du quart d'un diamètre. Elle a trois arcs-boutants, dont la longueur est de neuf diamètres, la largeur d'un demi diamètre et un neuvième, et l'épaisseur d'un huitième. Le tenon est long de la neuvième partie d'un diamètre. La longueur de la tête de la petite colonne est d'un diamètre et demi et un seizième. La largeur de la pièce de bois placée devant est d'un diamètre et demi, avec un neuvième et un quart; l'épaisseur est d'un diamètre.

5. Une plus petite colonne, qui est derrière, appelée en grec g-antibasis (Arc-boutant), a huit diamètres; sa largeur est d'un demi diamètre ; son épaisseur est d'un douzième et un huitième de diamètre. Le chevalet a douze diamètres; son épaisseur et sa largeur sont égales à la grosseur de la plus petite colonne. Le chelonium (Carapace de tortue), ou oreiller, qui est sur la plus petite colonne, a deux diamètres et demi et un neuvième; sa hauteur est la même; sa largeur est d'un demi diamètre et un huitième. Les mortaises du moulinet ont deux diamètres et demi et un neuvième; leur profondeur est égale; leur largeur est d'un diamètre et demi. Les traverses, avec leurs tenons, ont de longueur dix diamètres et un neuvième, de largeur un diamètre et demi et un neuvième, et dix d'épaisseur. La longueur des bras est de huit diamètres et demi ; leur épaisseur, vers le bas , est d'une douzième partie de diamètre et un huitième; vers le haut, elle est d'une troisième partie de diamètre et un huitième. Leur courbure est de huit diamètres.

6. Telles doivent être les proportions des bras, soit qu'on ajoute, soit qu'on retranche : car, que le chapiteau soit plus haut que ne l'exige la longueur des bras (ce qui le fait appeler anatonum (qui est bandé par le haut)), on devra les raccourcir, afin que, si leur tension est moins grande à cause de la hauteur du chapiteau, plus fort soit le coup, à cause du raccourcissement des bras. Que le chapiteau, au contraire, soit moins haut (ce qui le fait appeler catatonum (qui est bandé par le bas), les bras devant être tendus, il faudra les allonger pour qu'on puisse les courber plus facilement. Un levier de quatre pieds de longueur exigera les bras de quatre hommes pour lever tel fardeau, pour lequel deux hommes suffiront s'il est de huit pieds. Ainsi, plus les bras de la catapulte seront longs, plus ils seront faciles à bander; plus ils seront courts, plus il y aura de difficulté. Telles sont les proportions des catapultes; telles sont les pièces qui les composent.

XI. Des proportions des balistes.

1. Les balistes offrent des différences dans leur construction, bien qu'elles soient destinées au même but. Il y en a qu'on bande avec des moulinets et des leviers, d'autres avec des moufles, d'autres avec des vindas, quelques-unes enfin avec des roues dentelées. Il ne se fait néanmoins aucune baliste dont la grandeur ne soit proportionnée à la pesanteur de la pierre qu'elles doivent lancer; aussi n'est-il pas donné à tout le monde d'en bien saisir les proportions : il faut pour cela parfaitement connaître les règles de l'arithmétique et la multiplication.

2. On fait au chapiteau de la baliste des trous par où l'on passe des câbles faits surtout avec des cheveux de femmes ou des boyaux; ces câbles sont proportionnés à la grosseur et à la pesanteur de la pierre que la baliste doit jeter, de même que pour les catapultes, les proportions se prennent sur la longueur des javelots. Or, pour que ceux-là mêmes qui ne connaissent pas la géométrie, sachent à quoi s'en tenir, et ne restent pas court au milieu des périls de la guerre, je vais leur faire part des connaissances que j'ai puisées dans l'expérience et dans les leçons de mes maîtres; j'y ajouterai le calcul que j'ai fait pour réduire les mesures grecques aux poids qui sont en usage parmi nous.

3. La baliste doit-elle lancer une pierre du poids de deux livres, le trou de son chapiteau aura la largeur de cinq doigts; doit-elle en lancer une de quatre livres, il aura six doigts; une de six livres, il aura sept doigts; une de dix livres, il aura huit doigts; une de vingt livres, il aura dix doigts; une de quarante livres, douze doigts et trois quarts; une de soixante livres, treize doigts et un huitième; une de quatre-vingts livres, quinze doigts; de cent soixante livres, deux pieds; de cent quatre-vingts livres, deux pieds et cinq doigts; de deux cents livres, deux pieds et six doigts; de deux cent dix livres, deux pieds et sept doigts; enfin, lance-t-elle une pierre de deux cent cinquante livres, il aura deux pieds et onze doigts et demi.

4. Après avoir déterminé la grandeur de ce trou, qui est appelé en grec g-peritrehtos (percé tout autour), on réglera les proportions du gros rouleau, dont la longueur aura deux diamètres deux douzièmes et un huitième; la largeur, deux diamètres un sixième : on divisera en deux parties égales la ligne décrite, et après cela, au point où se rencontrent les sommités des angles, on rapprochera les extrémités pour les contourner obliquement, de manière que la longueur du contour soit d'une sixième partie, et la largeur que forme le pli, d'une quatrième partie. A l'endroit où se fait la courbure, on arrondira le trou, et l'on rétrécira la largeur dans l'intérieur d'une sixième partie. Ce trou doit être oblong, dans la proportion de l'épaisseur de l'epizygis (qui est sous le joug). Après l'avoir tracé, on en adoucit les bords pour leur donner un léger contour dans la circonférence.

5. Son épaisseur sera d'un demi diamètre et un quart. Les barillets auront deux diamètres et un huitième de long, et de large un diamètre et demi et un seizième; leur épaisseur, sans y comprendre ce qui se met dans le trou, aura un diamètre et demi, et leur largeur vers l'extrémité sera d'un diamètre un quart. Les poteaux auront de longueur cinq diamètres et demi et un quart, de tour un demi diamètre, d'épaisseur une moitié et un neuvième de diamètre; on ajoute à la largeur, qui est au milieu, celle qu'on a indiquée devoir se trouver auprès du trou, c'est-à-dire une largeur et une profondeur de cinq diamètres; la hauteur sera d'un quart de diamètre.

6. La règle qui est à la table doit avoir huit diamètres de longueur, et un demi diamètre de largeur et d'épaisseur. Le tenon, de deux diamètres un huitième, aura d'épaisseur un diamètre deux seizièmes. La courbure de la règle sera d'un seizième et cinq quarts de seizième. La règle extérieure aura autant de largeur et d'épaisseur. La longueur que donnera sa courbure avec la largeur du poteau et sa courbure sera d'un quart de diamètre. Les règles supérieures comme les inférieures auront un quart de diamètre. Les travers de la table auront deux tiers et un quart de diamètre.

7. Le fût du climacis (petite échelle) doit être long de treize diamètres, et épais de trois seizièmes de diamètre. L'intervalle du milieu aura de largeur un quart de diamètre, et d'épaisseur un huitième et un quart de huitième. La partie du climacis supérieur qui est près des bras et qui touche à la table, se divisera dans toute sa longueur en cinq parties; on en donnera deux à la pièce que les Grecs appellent g-chehleh (pince); sa largeur sera d'un quart de diamètre, son épaisseur d'un seizième, sa longueur de trois diamètres et demi et un huitième. La saillie de la g-chehleh sera d'un demi diamètre; celle du pterygoma (aile) du douzième d'un diamètre et d'un silique; quant à la partie appelée front de traverse qui est vers l'essieu, elle doit avoir trois diamètres de longueur.

8. Les règles intérieures auront un quart de diamètre de longueur, et d'épaisseur un douzième et un quart de douzième. Le rebord du chelo (tortue) qui sert de couverture à la queue d'aronde, doit être long d'un quart de diamètre. La largeur des montants du climacis doit être d'un huitième, et la grosseur d'un douzième et un quart de douzième. L'épaisseur du carré, qui est au climacis, doit être d'un douzième et d'une huitième partie du douzième, et vers l'extrémité d'un quart de douzième. Le diamètre de l'essieu rond sera égal à la g-chehleh et vers les clavicules, il sera plus petit de la moitié et d'une seizième partie.

9. La longueur des arcs-boutants sera d'une douzième partie et de trois quarts de douzième; la largeur en bas, d'une treizième partie de diamètre; l'épaisseur en haut d'un huitième et d'un quart de huitième. La base qui est appelée eschara (grille) aura de longueur un neuvième de diamètre. La pièce qui est devant la base aura quatre diamètres. L'épaisseur et la largeur de l'une et de l'autre jusqu'à la moitié de leur hauteur auront un neuvième et un seizième de diamètre. La colonne aura en largeur et en épaisseur un diamètre et demi. Sa hauteur ne se règle pas sur le diamètre du trou; on la proportionne à l'usage auquel on la destine. La longueur du bras sera de huit diamètres; son épaisseur vers le bas, d'un demi diamètre, et à son extrémité d'un douzième de diamètre.

10. Après avoir fait connaître les proportions que j'ai jugées être les plus convenables pour les catapultes et les balistes, je vais expliquer le plus clairement qu'il sera possible, comment on doit les bander, en les tendant avec des cordes de boyau ou de cheveux.

Xll. De la manière de bander avec justesse les catapultes et les balistes.

1. On prend deux longues pièces de bois sur lesquelles on cloue les anses de fer qui retiennent le moulinet : au milieu de ces deux pièces de bois sont faites des entailles dans lesquelles on met le chapiteau de la catapulte qu'on y attache solidement avec des clous pour qu'il ne cède point à l'action du bandage. On fait ensuite entrer dans ce chapiteau de petits tubes en cuivre dans lesquels on passe des clavettes en fer, appelées en grec g-epischides (Coins pour fendre).

XIII. Des machines qui servent à l'attaque.

1. La première machine inventée pour battre une place fut, dit-on, le bélier. Les Carthaginois campaient devant Gades dont ils faisaient le siége. S'étant emparés d'une forteresse, ils essayèrent de la démolir; mais ils n'avaient point d'instruments de fer dont ils pussent faire usage. Ils prirent une poutre, la soutinrent avec leurs bras , et d'un de ses bouts frappant à coups redoublés le haut de la muraille, ils firent tomber les premiers rangs des pierres, et poursuivant d'assise en assise, ils finirent par abattre toutes les fortifications.

2. Après cela, un ouvrier tyrien, nommé Péphasmenos, tirant parti de cette idée, planta un mât auquel il en suspendit un autre attaché transversalement comme le fléau d'une balance, et à force de le pousser et de le ramener, il fit tomber sous ses coups les murailles de Gades. Ce fut Cétras de Chalcédonie qui, le premier, fabriqua une base en charpente, montée sur des roues. Sur cette base il mit un assemblage de montants et de traverses au milieu desquels il suspendit le bélier. Le tout était recouvert de peaux de boeufs, afin que ceux qui étaient placés dans la machine pour battre le mur y trouvassent un abri sûr. La marche lente de cette machine lui fit donner le nom de tortue à bélier.

3. Tels furent les premiers essais de cette espèce de machine. Plus tard, au siége que Philippe, fils d'Amyntas, mit devant Byzance, Polydus de Thessalie, la perfectionna et en inventa quelques autres plus faciles à manier. Il eut pour disciples Diade et Chéréas qui servirent sous Alexandre. Diade, dans ses écrits, déclare que c'est lui qui a inventé les tours roulantes qu'il démontait pour les faire porter à la suite de l'armée, et qu'il est aussi l'inventeur de la tarrière, de la machine montante, au moyen de laquelle on passait de plein pied sur une muraille, et du corbeau démolisseur qu'on appelle quelquefois grue.

4. Il se servait aussi du bélier monté sur des roues, dont il nous a donné la description. Il dit que la plus petite tour ne doit point avoir moins de soixante pieds de hauteur et de dix-sept de largeur ; que le haut doit être d'un cinquième plus étroit que le bas; que les montants doivent être à la partie inférieure de trois quarts de pied, et à la partie supérieure d'un demi-pied. Il dit que cette tour doit avoir dix étages, tous garnis de fenêtres.

5. Il donne à la plus grande tour cent vingt coudées de haut, vingt-trois et demie de large. Le rétrécissement d'en haut est aussi d'un cinquième ; les montants ont par le bas un pied de grosseur, par le haut un demi-pied. La hauteur de ces grandes tours était divisée en vingt étages, entourés chacun d'un parapet de trois coudées; il les couvrait de peaux fraîches pour les mettre à l'abri de toute espèce de coups.

6. La disposition de la tortue à bélier était la même ; elle avait trente coudées de largeur, seize de hauteur, non compris le toit, qui en avait sept depuis la plate-forme jusqu'au haut. Au milieu du faîte de ce toit on voyait s'élever une petite tour qui n'avait pas moins de douze coudées de largeur; elle se composait de quatre étages, sur le plus élevé desquels on dressait les scorpions et les catapultes; dans les étages inférieurs on amassait une grande quantité d'eau pour éteindre le feu qu'on pourrait lancer dessus. Dans cette tortue on plaçait la machine à bélier, appelée en grec g-kriodocheh, dans laquelle on mettait un rouleau parfaitement arrondi ; sur ce rouleau était placé le bélier qui, allant et venant à l'aide des câbles, produisait de grands effets. Il était couvert de cuirs frais comme la tour.

7. Voici la description qu'il nous a donnée de la tarrière. C'est une machine semblable à la tortue. Au milieu se trouve soutenu sur des piliers un canal semblable à celui des catapultes et des balistes. Sa longueur était de cinquante coudées, sa largeur d'une seule. Un moulinet se plaçait en travers dans un canal. En avant, à droite et à gauche on attachait deux poulies par le moyen desquelles on mettait en mouvement dans le canal où elle se trouvait une poutre ferrée par le bout; sous cette poutre , dans le canal même, on enfermait des rouleaux qui aidaient à lui imprimer une impulsion plus rapide et plus violente. Au-dessus de la poutre ainsi placée, on organisait le long du canal de nombreux demi-cerceaux pour soutenir les cuirs frais qui couvraient la machine.

8. Quant au corbeau, il n'a pas jugé à propos de le décrire, en considérant le peu d'effet qu'il produisait. A l'égard de la machine montante appelée en grec g-epibathra, et des machines navales qui facilitaient le passage sur les vaisseaux, je remarque avec regret qu'il n'a fait que la promesse de les expliquer, sans la tenir. Telle est d'après Diade la manière de construire ces machines. Je vais maintenant parler de ce que j'en ai appris de mes maîtres, et de l'utilité qu'elles me semblent avoir.

XIV. De la tortue destinée à combler les fossés.

1. La tortue destinée à combler les fossés et à faciliter l'approche des murailles doit se construire de cette manière. Avec quatre poutres on formera une base carrée, appelée en grec g-eschara, dont chaque côté aura vingt-cinq pieds. On y ajoutera quatre traverses qui seront arrêtées par deux autres de l'épaisseur d'un demi-pied et un douzième, et de la largeur d'un demi-pied. Il doit y avoir entre ces traverses une distance d'environ un pied et demi. Sous ces traverses, dans chaque intervalle, on posera debout de petits arbres appelés en grec g-hamaxopodes (Pieds de chariot); c'est dans ces pièces de bois doublées intérieurement de lames de fer que tournent les essieux des roues. Ces petits arbres seront disposés de manière que, grâce à leurs pivots et aux trous dans lesquels on fait passer des leviers pour les tourner, si l'on a besoin de diriger la machine en avant ou en arrière, à droite ou à gauche, ou obliquement dans la ligne des angles, on pourra avec leurs secours, lui faire prendre ces directions.

2. On placera ensuite sur la base deux poutres ayant de chaque côté six pieds de saillie, et sur cette saillie on attachera deux autres poutres qui avanceront par devant et par derrière de sept pieds, et dont l'épaisseur et la largeur seront les mêmes que celles des pièces de bois qui forment la base. Sur cet assemblage on élèvera des piliers qui y seront solidement emboîtés, et qui, sans les tenons, auront neuf pieds de haut. Leur épaisseur en tout sens sera d'un pied et d'un palme. Ils seront distants l'un de l'autre d'un pied et demi. On les assemblera par le haut en les emmortaisant dans des sablières, sur lesquelles on placera des forces liées l'une à l'autre par des tenons, et hautes de neuf pieds. Sur ces forces se mettra une pièce de bois carrée avec laquelle elles s'assembleront.

3. Ces forces seront encore arrêtées par des pannes clouées dessus horizontalement, et couvertes de planches de palmier ou de quelque autre bois qui offre une grande solidité, pourvu que ce ne soit ni pin ni aune , car ces bois sont cassants et prennent facilement feu. Sur la couverture en planches on posera une claie faite de baguettes vertes et flexibles, et entrelacées d'une manière très serrée. Toute la machine sera ensuite recouverte de doubles peaux fraîches cousues ensemble et bourrées d'algues et de paille trempée dans du vinaigre; ce qui la mettra à l'abri des projectiles et du feu.

XV. De quelques autres espèces de tortues.

1. Il y a encore une autre espèce de tortue dans laquelle on retrouve toutes les parties qui composent celles que nous venons de décrire , à la réserve des forces. Elle a de plus tout à l'entour un parapet et des créneaux en planches, et, par-dessus, des auvents inclinés que recouvrent des planches et des cuirs solidement attachés. Sur tout cela on étend une couche d'argile pétrie avec du crin , assez épaisse pour que la machine puisse être entièrement à l'abri du feu. On peut, si besoin est, si la nature du lieu l'exige, faire rouler ces machines sur huit roues. Les tortues que l'on prépare pour miner les murailles, s'appellent en grec g-oryges (Instruments qui servent à creuser). Elles ressemblent en tout à celles dont nous venons de donner la description, seulement leur partie antérieure est en forme de triangle, afin que les projectiles qui arrivent des murailles ne viennent point frapper sur une surface plate, mais glissent par les côtés sans faire naître de danger pour les mineurs qui sont dessous.

2. Il ne me semble pas hors de propos de parler ici d'une tortue faite par Hégétor de Byzance. Sa base avait soixante pieds de longueur et dix-huit de largeur. Les quatre montants placés sur l'assemblage étaient composés chacun de deux poutres de trente-six pieds de hauteur sur un pied et un palme d'épaisseur et un pied et demi de largeur. Sa base avait huit roues sur lesquelles elle roulait. Ces roues étaient hautes de six pieds trois quarts, épaisses de trois; elles se composaient de trois pièces de bois jointes ensemble par tenons à queue d'aronde, et liées avec des lames de fer battues à froid.

3. Elles tournaient sur des pivots appelés hamaxopodes. Sur l'assemblage des poutres transversales qui étaient au-dessus de la base, il y avait encore des poteaux de dix-huit pieds et demi de hauteur sur trois quarts de pied de largeur et un douzième avec un huitième d'épaisseur. Il y avait entre eux la distance d'un pied et demi et un huitième. Tout cet assemblage de poutres était affermi tout autour par des sablières larges d'un pied un quart et un neuvième, et épaisses d'un demi-pied et un quart. Au-dessus s'élevaient les forces, hautes de douze pieds, qui allaient s'assembler dans un faîtage. Sur ces forces étaient cloués en travers les chevrons, et sur ces chevrons étaient assemblées les planches qui protégeaient les parties inférieures de la machine.

4. Il y avait au milieu un plancher porté par des solives, où l'on plaçait les scorpions et les catapultes. On élevait en outre deux forts montants, longs de trente-cinq pieds un neuvième, épais d'un pied et demi, et larges de deux pieds. Ils étaient liés en haut par une poutre qui s'y emboîtait transversalement, et en bas par une autre poutre semblable, toutes les deux affermies par des lames de fer. Entre ces montants et les traverses, on avait appliqué de chaque côté, à l'intérieur, des dosses percées de deux rangs de trous alternatifs, et solidement fixées avec des équerres. Dans ces trous on mettait deux chevilles, faites au tour, auxquelles on attachait les cordes qui tenaient le bélier suspendu.

5. Au-dessus de ceux qui faisaient manoeuvrer le bélier, il y avait une guérite semblable à une petite tour, pour que deux soldats, qui s'y trouvaient hors de danger, pussent découvrir et faire connaître les desseins de l'ennemi. Le bélier était long de cent quatre pieds, large d'un pied et d'un palme par le bas et épais d'un pied. Il allait en se rétrécissant depuis la tête jusqu'à un pied sur la largeur, et sur l'épaisseur jusqu'à un demi-pied un quart.

6. Ce bélier avait la tête faite de fer battu, semblable à l'éperon qu'ont ordinairement les longs vaisseaux. De cette tête partaient quatre lames de fer, de quinze pieds environ, clouées sur le bois. Depuis la tête jusqu'à l'autre extrémité de la poutre s'étendaient quatre câbles de la grosseur de huit doigts, semblables aux haubans qui arrêtent le mât d'un vaisseau à la poupe et à la proue. Des cordes mises en travers comme des ceintures serraient les câbles contre le bélier à la distance de cinq palmes les unes des autres. Tout le bélier était couvert de peaux fraîches. A l'endroit où les câbles étaient attachés à la tête du bélier, il y avait quatre chaînes de fer, aussi recouvertes de cuirs frais.

7. Il y avait encore sur la saillie du plancher une caisse faite de planches, et liée avec de grosses cordes tendues, grâce auxquelles il était facile d'arriver jusqu'au mur sans que le pied glissât. Cette machine fonctionnait de trois manières, en frappant directement, à droite ou à gauche, en haut ou en bas, selon qu'elle était haussée ou baissée. On l'élevait jusqu'à une hauteur d'environ cent pieds pour battre une muraille; elle allait aussi à droite et à gauche frapper à la distance de cent pieds au moins. Elle était gouvernée par cent hommes et pesait quatre mille talents, c'est-à-dire quatre cent quatre-vingt mille livres.

XVI. Des machines propres à la défense.

1. Je viens de dire au sujet des scorpions, des catapultes, des balistes, des tortues et des tours, tout ce qui m'a paru mériter d'être connu, sans oublier les noms de ceux qui ont inventé ces machines, et la manière dont elles doivent être faites. Quant aux échelles, aux guindages et aux machines dont la construction n'offre aucune difficulté, je n'ai pas cru nécessaire de les décrire. Les soldats ont l'habitude de les faire eux-mêmes, et telle machine conviendra dans tel lieu qui dans tel autre ne sera d'aucune utilité. Les fortifications sont loin d'être les mêmes partout, et le courage des nations n'a pas toujours le même caractère. Aussi doit-on approprier les machines à l'audace et à la témérité des unes, à la vigilance des autres, à la timidité de quelques-unes.

2. Si l'on veut faire attention aux principes que j'ai établis, la variété de la matière mettra à même de choisir, et de faire d'heureuses applications ; et, loin de manquer de ressources, on pourra certainement faire face à tout ce qu'exigera ou la nature des lieux ou celle des peuples. Quant aux machines propres à la défense, il est impossible de les déterminer dans un ouvrage; l'ennemi ne va pas consulter nos écrits pour la construction des machines qui servent à attaquer une ville; et souvent celles qu'il emploie, ont été renversées sans machines, par les moyens aussi prompts qu'ingénieux que faisaient naître les circonstances. Ce fut, dit-on, ce qui arriva plus d'une fois aux Rhodiens.

3. Il y avait à Rhodes un architecte nommé Diognète ; le trésor public lui faisait tous les ans une pension pour honorer la supériorité de son talent. A cette époque un autre architecte, nommé Callias, étant venu d'Arado à Rhodes, présenta au peuple assemblé le modèle d'une muraille, sur laquelle il plaça une machine qui était ce guindas qu'on tourne facilement. A l'aide de cette machine il enleva une hélépole qu'il avait fait approcher du rempart, et la transporta dans l'intérieur des murs. Voyant l'effet de ce modèle, les Rhodiens, pleins d'admiration, ôtèrent à Diognète la pension qu'on lui accordait chaque année, et en honorèrent Callias.

4. Cependant le roi Demetrius, que son opiniâtreté fit surnommer Poliorcète (Habile dams l'art d'assiéger les villes), déclara la guerre aux Rhodiens. Il se fit accompagner d'un fameux architecte athénien appelé Épimaque, qui construisit à grands frais une hélépole (machine en forme de tour). Cette machine avait coûté beaucoup de soin et de travail; sa hauteur était de cent vingt-cinq pieds (pied romain = 29,64 cm), sa largeur de soixante. Les tissus de poil, les cuirs frais dont on l'avait couverte, lui donnaient une telle solidité qu'elle était à l'épreuve des pierres lancées par une baliste, eussent-elles été de trois cent soixante livres; la machine elle-même pesait trois cent soixante mille livres (1 livre = 324gr.). Les Rhodiens prièrent Callias (leur architecte) de préparer sa machine (le guindas = machine pour élever de lourds fardeaux) contre l'hélépole et de la transporter dans la ville, comme il l'avait promis; il répondit qu'il y avait impossibilité.

5. Et en effet, tout ne se peut pas faire de la même manière. Il y a des machines qui, après avoir réussi sur un petit modèle, peuvent produire en grand le même effet; d'autres ne sauraient être représentées par des modèles ; il faut les voir exécutées; quelques-unes paraissent, d'après un modèle, devoir facilement s'exécuter, qui, lorsque les proportions viennent à grandir, font complètement défaut, comme nous pouvons nous en convaincre par la tarrière (outil pour percer). On peut bien avec cet instrument faire un trou d'un demi-doigt, d'un doigt, d'un doigt et demi; mais qu'on en veuille faire un d'un palme, on n'en trouvera point de ce diamètre; et on n'ira jamais, ce semble, s'imaginer d'en vouloir faire un de plus d'un demi-pied.

6. Ainsi, bien que quelquefois on voie faire certaines choses avec de petits modèles, ce n'est point une raison pour qu'on en puisse faire l'application en grand. Ce fut là l'erreur des Rhodiens, qui avaient joint l'offense au tort qu'ils faisaient à Diognète (architecte rejeté par les Rhodiens). Mais quand ils virent l'ennemi poursuivre le siége avec opiniâtreté, et s'acharner à la prise de la ville, à l'aide de cette machine, effrayés du danger que courait leur liberté, et ne voyant en perspective que la ruine de leur ville, ils allèrent se jeter aux pieds de Diognète, et le supplièrent de secourir sa patrie.

7. Diognète refusa d'abord toute assistance; mais à la vue de la jeune noblesse des deux sexes qui s'était réunie aux prêtres pour venir le prier encore, il se laissa fléchir, à condition que s'il prenait la machine, elle serait à lui; ce qui lui fut accordé. Aussitôt il fait percer le mur du côté par où la machine devait s'approcher, et ordonna que tous les citoyens sans distinction apportassent ce qu'ils auraient d'eau, de fumier, de boue, pour le jeter en avant du mur par le moyen de tuyaux qu'on avait fait passer par l'ouverture pratiquée dans la muraille. Toute une nuit fut employée à jeter quantité d'eau, de boue et de fumier, tellement que le lendemain, quand l'hélépole se mit en mouvement, avant même qu'elle se fût avancée jusqu'au pied du mur, elle enfonça si profondément dans cette terre délayée, qu'il devint impossible de la faire approcher davantage et de la ramener en arrière. Aussi Demetrius se voyant vaincu par la prudence de Diognète, partit avec sa flotte.

8. Les Rhodiens, délivrés de la guerre par l'habileté de Diognète, allèrent tous le remercier, et le comblèrent d'honneurs et de dignités. Pour lui, il fit entrer l'hélépole dans la ville, où elle fut mise sur une place publique avec cette inscription : Diognète a fait ce présent au peuple, des dépouilles de l'ennemi. Ainsi, quand il s'agit de défendre une place, ce n'est pas tant aux machines qu'il faut avoir recours qu'aux expédients dictés par les circonstances.

9. La ville de Chio était aussi assiégée, et l'ennemi avait préparé sur ses vaisseaux des machines appelées sambyces. Pendant la nuit, les habitants jetèrent dans la mer, au pied de leurs murs, de la terre, du sable et des pierres. Le lendemain, les vaisseaux ayant voulu s'approcher, s'engravèrent si bien qu'ils ne purent plus ni avancer ni reculer. On lança dessus des brûlots qui les réduisirent en cendres. Lorsque les ennemis allèrent aussi mettre le siége devant Apollonie, ils s'imaginèrent qu'au moyen d'une mine ils pourraient pénétrer dans la ville. Les habitants furent bientôt instruits de leur projet par les éclaireurs. Cette nouvelle les remplit de trouble. Dans leur frayeur, ils ne savaient quel parti prendre, et le courage leur manquait, ne sachant ni à quel moment ni par quel endroit l'ennemi ferait irruption dans la ville.

10. Il se trouvait parmi eux un architecte d'Alexandrie, nommé Tryphon. Il fit creuser dans l'intérieur de la ville plusieurs contre-mines qu'on étendit en dehors des murailles jusqu'à une portée de trait ; puis il fit suspendre dans toutes ces galeries souterraines des vases de bronze. Dans un de ces conduits, ouvert auprès de la mine que creusait l'ennemi, les vases suspendus se mirent à résonner à chaque coup de pioche qu'on donnait. On apprit par là dans quelle direction minait l'ennemi, et par où il avait l'intention de pénétrer dans la ville. L'endroit ayant été ainsi précisé, Tryphon fit préparer, au-dessus des mineurs ennemis, des chaudières d'eau bouillante et de poix, avec du sable brûlant et des immondices; puis ayant pratiqué pendant la nuit de nombreuses ouvertures dans la mine, il y fit jeter tout d'un coup toutes ces matières, qui firent périr tous les ennemis qui s'y trouvaient.

11. Au siége de Marseille, l'ennemi avait ouvert plus de trente mines. Les habitants, qui s'en doutèrent, creusèrent à une plus grande profondeur le fossé qui entourait leurs murailles, de sorte que toutes les mines vinrent ouvrir dans ce fossé. Mais dans les endroits où l'on n'avait pu creuser, on fit dans l'intérieur de la ville un immense réservoir en forme de vivier, en face de l'endroit vers lequel se dirigeaient les mines; on le remplit d'eau tirée des puits et du port. Lors donc que les mines vinrent à y déboucher, il s'y précipita tout à coup une telle quantité d'eau que les étais furent renversés, et que tous les pionniers ou furent noyés par les eaux ou écrasés par l'éboulement des terres..

12. Les assiégeants ayant ensuite tenté d'élever en face des murs un rempart composé d'arbres coupés et entassés les uns sur les autres, les Marseillais y lancèrent , avec des balistes, des barres de fer rouge qui mirent en feu tout cet ouvrage; et, lorsqu'une tortue s'approcha pour battre le mur, ils firent descendre une corde avec un noeud coulant dans lequel ils serrèrent le bélier dont ils levèrent si haut la tête par le moyen d'un tympan appliqué à un vindas qu'ils l'empêchèrent de toucher à la muraille. Enfin, grâce aux flèches incendiaires qu'on y lança, grâce aux coups des balistes, la machine fut entièrement ruinée. Ce fut donc moins à leurs machines que ces villes durent leur salut, qu'à l'adresse des architectes qui surent paralyser l'effet de celles des ennemis.

13. Tout ce que j'ai pu trouver de plus utile à dire sur les machines dont on se sert soit en paix soit en guerre, je l'ai consigné dans ce livre. Dans les neuf précédents, j'ai traité séparément des différentes parties de mon sujet, de sorte que dans ces dix livres se trouvent compris tous les membres qui composent le corps complet de l'architecture.

Fin de l'ouvrage

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