Clodius

Clodius:

" C'est à lui que revient le mérite d'avoir le mieux compris tout le parti qu'un politicien peut tirer du poids politique des masses urbaines " (Norbert Rouland " Rome, démocratie impossible ? ")

Il appartient à la gens Claudia d'origine sabine, avec du sang étrusque. Il avait dans ses ancêtres Appius Claudius Caecus qui fut censeur au 4 ème avant J.C., à l'origine de la voie Appia vers Capoue, d'où le nom de cette route, un autre Claudius avait perdu une bataille navale contre les Carthaginois.

Il avait pour sœur la fameuse Clodia qui fut marié à Q. Metellus Celer, entre autres, elle fut, peut-être, rien ne le prouve , la maîtresse du poète Catulle qui en fit la fameuse Lesbie. Elle aurait eu des tendances incestueuses en se donnant à son frère, toujours est-il qu'elle le suivit quand il passa du patriciat au statut de plébéien.

En 68 avant J.C., on le retrouve en Orient sous les ordres de Lucullus, son beau-frère du moment. Il va tenter de soulever ses légions enfin de s'empare de son butin. Il faillit réussir car son parent n'était absolument pas aimé de ses troupes.

En 65 avant J.C., il se porta accusateur de Catilina qui était soupçonné de malversation dans sa gestion de la province d'Afrique, après sa préture. Il va laisser acheter par celui qu'il était chargé de poursuivre. Il fut fortement question de lui dans la conjuration de ce dernier bien qu'aux dires de Plutarque, il n'y participa en aucune façon.

En 64 avant J.C., il est avec L.Murena, en Gaule Narbonnaise ; les Allobroges le dénoncèrent aux autorités romaines pour un certain nombre d'exactions qu'il y aurait commises.

En 62 avant J.C., il passa du coté du parti des populares (démagogues), grâce à eux il fut élu questeur. Il était donc questeur désigné et devait rentrer en fonction le lendemain lorsque éclata le scandale de la bona dea. Le 4 décembre 62 avant J.C., Clodius s'introduisit dans la maison de César, alors Grand Pontife, pendant la célébration de cette fête où seules des femmes étaient admises. Mais laissons la parole à Plutarque : " Clodius, jeune Romain d'une grande naissance, mais insolent et audacieux, aimait Pompéia, femme de César : déguisé en musicienne, il se glissa secrètement dans la maison de César, le jour que les femmes romaines y célébraient un sacrifice mystérieux, interdit à tous les hommes. Il n'en était pas resté un seul dans cette maison ; mais Clodius, si jeune encore qu'il n'avait pas de barbe au menton, espéra qu'il pourrait se glisser, parmi les autres femmes, dans l'appartement de Pompéia, sans être reconnu. Entré de nuit dans une maison très vaste, il s'égara, et il errait de côté et d'autre, lorsqu'il fut rencontré par une des femmes d'Aurélia, mère de César, qui lui demanda son nom. Forcé de répondre, il dit qu'il cherchait une des femmes de Pompéia, qui se nommait Abra. La suivante, ayant reconnu aisément que ce n'était pas la voix d'une femme, appelle à grands cris les autres femmes, qui, étant accourues, ferment toutes les portes, et font de si exactes recherches, qu'elles trouvent Clodius dans la chambre de l'esclave avec laquelle il était entré. Le bruit que fit cet événement obligea César de répudier Pompéia, et de citer Clodius devant les tribunaux, pour crime d'impiété. " Plutarque, vie de Cicéron, XXVIII.

Portrait de Clodius fait par Jean Hervez " Le baiser ". d'après un ouvrage de Hugues d'Hancarville-1780-" Les monuments de la vie privée des douze Césars ".

Clodius était un jeune romain de la plus haute naissance et de la plus belle figure, mais d'une pétulance si effrénée, et si déréglé dans ses mœurs, qu'il était publiquement accusé d'abuser de ses trois sœurs. Il était devenu amoureux de Pompéia, femme de César, qui répondait à son amour ; mais elle était gardée à vue par Aurélie, sa belle-mère, et les deux amants se consumaient en désirs inutiles : aucune de leurs tentatives n'ayant réussi, l'amour leur suggéra un stratagème dont jamais nul ne s'était avisé. Les sacrifices de la bonne déesse étaient si respectés des romains, que seules les matrones avaient le droit de les célébrer, et qu'il n'était permis à aucun homme d'y participer ; on chassait même de la maison où on les célébrait tout animal qui n'était pas femelle, et l'on poussait le scrupule au point de couvrir tous les tableaux et les statues. Clodius, jeune, beau, sans barbe, s'habilla en femme, et à l'heure convenue il se présenta à la porte de la maison de César où les femmes étaient assemblées pour la fête ; Une femme de chambre de Pompéia, que les amants avaient mis dans la confidence, se trouva à la porte pour le recevoir : il fut introduit ; et comme cette femme l'avait quitté pour aller avertir sa maîtresse, Clodius, impatient, voulu pénétrer plus avant, mais il fut rencontré par une femme au service d'Aurélie, qui, le prenant pour une personne de son sexe, voulut badiner avec lui : Clodius se trouble, l'autre se doute de quelque chose, le questionne et le voyant interdit, le fait enfin parler ; mais alors son trouble et sa voix le trahirent, et il fut découvert. Les matrones, effrayées d'une telle hardiesse et d'une profanation si sacrilège, couvrent d'un voile l'autel de la déesse, chasse Clodius avec toutes sortes d'imprécations ; et sortant de la maison, elles allèrent révéler cette horreur à leurs maris. Le scandale et l'indignation furent si grands, qu'on accusa aussitôt Clodius, et il aurait sûrement succombé sans l'assistance de Pompée et de César lui-même, qui déclara qu'il n'avait aucune connaissance de cette affaire, mais qui cependant répudia Pompéia peu de temps après ; et comme ses amis lui demandaient pourquoi il répudiait sa femme s'il la croyait innocente, ce fut alors qu'il leur fit cette célèbre réponse : " que la femme de César ne devait pas même être soupçonnée ".

Ce que Brantôme en dit :

Jules César ne fit autre mal à sa femme Pompéia, sinon la répudier, laquelle avait été adultère, de Publius Claudius, beau jeune gentilhomme romain, de laquelle étant éperdument amoureux et elle de lui, épia le jour l'occasion qu'un jour elle faisait un sacrifice en sa maison où il n'entait que des femmes ; il s'habilla en garce, lui qui n'avait encore point de barbe au menton, qui se mêlant de chanter et de jouer des instruments, et par ainsi passant par cette montre, eut le loisir de faire avec sa maîtresse ce qu'il voulut ; mais étant reconnu, il fut chassé et accusé, et par moyen d'argent et de faveur il fut absous, et n'en fut autre chose.

Cicéron y perdit son latin par une belle oraison qu'il fit contre lui. Il est vrai que César, voulant faire croire au monde qui lui persuadait sa femme innocente, il répondait qu'il ne voulait pas que seulement son lit fut taché de ce crime, mais exempt de toute suspicion. Cela était bon pour en abreuver ainsi le monde ; mais dans son âme, il savait bien ce que voulait dire cela, sa femme avait été ainsi trouvée avec son amant, si que possible lui avait elle donné cette assignation et cette commodité ; car en cela, quand femme veut et désire, il ne faut point que l'amant se soucie d'imaginer des commodités, car elle en trouvera plus en une heure que nous autres saurions faire en cent ans : ainsi que dit une femme de par le monde, que je sais, qui dit à son amant : " trouvez moyen seulement de m'en faire l'envie, car, d'ailleurs, j'en trouverai prou pour en venir là ".

César aussi savait bien combien vaut l'aune de ces choses, car il était un fort grand ruffian, et l'appelait-on le coq à toutes les poules, et en fit force cocus en sa ville...Voilà donc comme César, par cette sage réponse qu'il fit ainsi de sa femme, il s'exempta de porter le nom de cocu qu'il faisait porter aux autres ; mais dans son âme, il se sentait bien touché. "

A son procès, il affirma qu'il n'était pas présent à Rome lors des faits. Mais Cicéron témoigna et démolit son alibi en déclarant qu'il était venu dans sa maison du Palatin. Malgré cela, il fut déclaré non coupable, il avait du circonvenir le jury qui le déclara innocent par un vote de 30 contre 25.

" Cicéron était ami de Clodius, qui, dans l'affaire de Catilina, l'avait servi avec le plus grand zèle, et avait toujours été comme un de ses gardes. La défense de Clodius consistait à dire qu'il n'était pas à Rome ce jour-là, qu'il en était même très éloigné. Mais Cicéron déposa qu'il était venu ce jour-là même chez lui, pour traiter de quelque affaire ; ce qui était vrai. Au reste, il fit cette déposition, moins pour attester la vérité, que pour guérir les soupçons de sa femme, qui haïssait Clodius, parce qu'elle savait que sa sœur Clodia avait envie d'épouser Cicéron, et qu'elle se servait, pour négocier ce mariage, d'un certain Tullus, ami intime de Cicéron, lequel voyait tous les jours Clodia, et lui faisait assidûment la cour. Térentia, dont Clodia, était voisine, regardait ces visites comme très suspectes ; c'était d'ailleurs une femme d'un caractère difficile ; et comme elle gouvernait son mari, elle le poussa à rendre témoignage contre lui. Plusieurs citoyens des plus distingués déposèrent aussi contre Clodius, et l'accusèrent de s'être parjuré, d'avoir commis des friponneries, d'avoir corrompu le peuple à prix d'argent, et séduit plusieurs femmes.

Cependant le peuple se montrant très mal disposé envers ceux qui semblaient s'être ligués contre Clodius pour le charger par leurs dépositions, les juges, qui craignirent qu'on n'usât de violence, environnèrent le tribunal de gens armés ; et la plupart, en écrivant leur opinion sur les tablettes, brouillèrent à dessein les mots. Il parut pourtant qu'il y avait eu plus de voix pour l'absoudre ; et le bruit courut qu'on avait distribué de l'argent aux juges. Aussi Catulus, les ayant rencontrés au sortir du tribunal : " Vous avez eu raison, leur dit-il, de demander des gardes pour votre sûreté, de peur qu'on ne vous enlevât votre argent. " Clodius ayant reproché à Cicéron que les juges n'avaient pas ajouté foi à sa déposition : "Au contraire, lui répondit Cicéron, il y en a eu vingt-cinq qui m'ont cru, puisqu'ils vous ont condamné : et trente qui n'ont pas voulu vous croire, puisqu'ils ne vous ont absous qu'après avoir reçu votre argent. " César, appelé en témoignage dans cette affaire, ne voulut pas déposer : il dit que sa femme n'avait pas été convaincue d'adultère ; mais qu'il l'avait répudiée, parce que la femme de César devait être exempte, non seulement de toute action criminelle, mais encore de tout soupçon. "

Plutarque, vie de Cicéron, XXIX.

Dès le jugement rendu, il fut nommé questeur en Sicile.

En 59 avant J.C., il se fait adopter par un plébéien et de Claudius, il devient Clodius (question de prononciation). " César fit passer dans les rangs plébéiens le patricien P.Clodius, ennemi de Cicéron et qui, depuis longtemps, tâchait d'y entrer. " Suetone, César, XX.

Comme plébéien, il put enfin devenir tribun de la plèbe en 58 avant J.C. et s'empressa de mettre le peuple de son coté en faisant accepter une loi sur la gratuité du blé public. Il va se constituer une troupe de gens de sac et de corde à son entière dévotion.

En 57 avant J.C., son principal adversaire, Milon, agent des optimates (les meilleurs) est élu à son tour tribun de la plèbe, lui travaillait pour Pompée. Lui aussi avait sa propre troupe d'agitateurs et de tueurs. Le Sénat tenta de faire dissoudre ces deux bandes, en vain. Milon fera détruire les tables de bronze où les lois de Clodius étaient inscrites.

Durant son tribunat, Clodius fera exiler (qu'il haïssait depuis le procès de la bona dea), il l'accusera d'avoir fait mettre à mort sans jugement des citoyens romains, les complices de Catilina. " César, offensé de cette conduite, anima Clodius contre lui, aliéna Pompée, et déclara devant le peuple que Cicéron lui paraissait avoir blessé la justice et les lois, en faisant mourir Lentulus et Céthégus sans aucune formalité de justice. " Plutarque, Cicéron, XXX.

" Cicéron, trahi par Pompée et abandonné de tout le monde, eut enfin recours aux consuls. Gabinius le traita toujours avec beaucoup de dureté ; mais Pison, lui parlant avec douceur, lui conseilla de se retirer, de céder pour quelque temps à la fougue de Clodius, de supporter patiemment ce revers de fortune, et d'être une seconde fois le sauveur de sa patrie, qui se trouvait, à son occasion, agitée de séditions et menacée des plus grands maux ". Plutarque, Cicéron, XXXI.

" Dès qu'on fut informé de sa fuite, Clodius fit rendre contre lui un décret de bannissement, et afficher dans toutes les rues la défense de lui donner l'eau et le feu, et de le recevoir dans les maisons, à la distance de cinq cents milles de l'Italie. " Plutarque, Cicéron XXXII.

Il détruira sa maison sur le Palatin qu'il fera remplacer par le portique d'un temple dédié à Minerve et comme celui-ci n'occupait pas toute la surface, il fera racheter le reste par un homme tout dévoué à sa cause. " Clodius, après avoir fait bannir Cicéron, brûla ses maisons de campagne et sa maison de Rome, sur le sol de laquelle il éleva le temple de la Liberté. Il mit en vente tous ses biens, et les faisait crier tous les jours, sans qu'il se présentât personne pour les acheter. " Plutarque, Cicéron, XXXIII.

A son retour d'exil, seize mois plus tard, il verra sa maison reconstruite aux frais du Sénat bien que son emplacement entre temps ait été consacré pour l'édification d'un lieu réservé à la religion.

Enfin, il sera édile curule en 56 avant J.C. et en 53 avant J.C., il sera candidat à la préture tandis que son éternel ennemi, Milon, va essayer de se faire élire au consulat. Et le 20 janvier 52 avant J.C., ils se rencontrèrent, par hasard, sur la voie Apienne, il va s'ensuivre une échauffourée au cours de laquelle un gladiateur au service de Milon blessera grièvement Clodius. Il sera transporté dans une auberge voisine et là sera achevé. A l'annonce de sa mort, sa troupe excitée par sa femme mettre le feu à la Curie. Cicéron défendra le meurtrier (pro Milone), devant Pompée qui présidait le tribunal. Il va se laisser impressionner et laissera condamner Milon à l'exil. Ce dernier partit pour Marseille où il coulera des jours heureux. Le plaidoyer que nous connaissons a été entièrement réécrit et n'est pas celui qui fut prononcé pour la circonstance.

" Peu de temps après, Milon tua Clodius ; et, traduit en justice pour ce meurtre, il chargea Cicéron de sa défense. Le sénat, qui craignit que le danger où se trouvait un homme de la réputation et du courage de Milon ne causât quelque trouble dans la ville, chargea Pompée de présider à ce jugement, ainsi qu'à tous les autres procès, et de maintenir la sûreté dans la ville et dans les tribunaux. Pompée ayant, dès avant le jour, garni de soldats toute l'étendue de la place, et Milon craignant que Cicéron, troublé par la vue de ces armes auxquelles il n'était pas accoutumé, ne plaide pas avec son éloquence ordinaire, le persuada de se faire porter en litière sur la place, et de s'y tenir tranquille jusqu'à ce que les juges eussent pris séance, et que le tribunal fût rempli, car Cicéron, naturellement timide, non seulement à la guerre, mais dans le barreau, ne se présentait jamais pour plaider sans éprouver de la crainte ; et lors même qu'un long usage eut fortifié et perfectionné son éloquence, il avait bien de la peine à s'empêcher de trembler et de frissonner. Quand il plaida pour Licinius Muréna, accusé par Caton, jaloux de surpasser Hortensius, qui avait eu le plus grand succès en parlant le premier pour l'accusé, il passa toute la nuit à travailler son discours, et se fatigua tellement par ce travail forcé et cette longue veille, qu'il parut inférieur à lui-même. Le jour qu'il défendit Milon, quand il vit, en sortant de sa litière, Pompée assis au haut de la place, environné de soldats dont les armes jetaient le plus grand éclat, il fut tellement troublé, que, tremblant de tout son corps, il ne commença son discours qu'avec peine et d'une voix entrecoupée ; tandis que Milon assistait au jugement avec beaucoup d'assurance et de courage, ayant dédaigné de laisser croître ses cheveux et de prendre un habit de deuil : ce qui ne contribua pas peu à sa condamnation. " Plutarque, Cicéron, XXXV.

             

Voir le paidoyer de Cicéron, sur ce site : Pro Milone

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