Agrippine la Jeune :   Julia Agrippina ou Agippina Minor   15 après J.C.
59 après J.C.
L’Histoire la connait surtout pour avoir été la mère de l’empereur Néron. Elle était la petite fille d’Agrippa et de Julie, la fille d’Auguste, la petite fille adoptive de Tibère, la sœur de Caligula, la fille de Germanicus et de sa femme Agrippine l’Ancienne (Agrippina Major), voilà pour une brève biographie. Elle était donc issue d’une famille qui s’était emparée du trône impérial.

Elle est née à Trèves (Augusta Treverorum), cité où sa mère s’était réfugiée pour échapper aux mutineries des légions romaines. En fait, on sait peu de choses sur sa petite enfance sinon qu’elle était la fille d’un couple adoré par les Romains et détesté par l’empereur Tibère.
Elle a été jugée très sévèrement par les historiens anciens, en particulier par Tacite et Suétone. Son ambition suprême était de faire régner son fils par tous les moyens y compris le meurtre et à travers lui, elle voulait pouvoir diriger les affaires de l’Etat.  
Elle se maria à 13 ans (âge légal=12 ans)  avec Cneus Domitius Ahenobarbus, consul en 32 après J.C., petit-fils de Marc Antoine et d’Octavie, la sœur de l’empereur Auguste, Ahenobarbus veut dire « barbe d’airain » (alliage de cuivre ou synonyme de bronze), l’origine du nom vient de Lucius Domitius qui dit avoir rencontré Castor et Pollux, il fut tellement ému que pour le remettre de ses émotions, ils lui caressèrent le visage, sa barbe de noire devint rousse, légende racontée par Suétone.
C’était un mariage arrangé par Tibère qui lui ordonna de ne pas avoir d’enfant, il faut se souvenir de l’acrimonie qu’il y avait entre lui et la famille de Germanicus il ne voulait pas de descendance qui viendrait de lui. Effectivement, Néron ne naquit qu’après son décès. Ce couple était formé de deux personnes qui étaient cousins éloignés, lui était plus vieux qu’elle, il avait 45 ans. Il était réputé pour avoir un caractère emporté et violent. Il avait été l’amant de nombreuses femmes dont Albucilla qui fut accusée de lèse-majesté envers Tibère.
Albucilla, qui avait eu pour mari Satrius Sécundus, dénonciateur de Séjan, fut déférée comme impie envers le prince. Tacite, annales, VI, 47.
D’après Tacite, il aurait été convaincu d’inceste avec une de ses sœurs. Tout cela pouvait lui valoir une condamnation à mort. Heureusement, Tibère mourut à ce moment là.
A 22 ans, après 9 ans de mariage, elle donna naissance à un enfant. De nombreux signes montrèrent qu’il était promis à un grand destin, entre autres on rapporta qu’il était protégé par des serpents dragons, on peut penser qu’Agrippine n’était pas étrangère à ces rumeurs pour bien montrer au peuple que son fils était défendu et distingué par les dieux   Toutes les hypothèses virent le jour sur la stérilité de son mariage (j’en ai évoqué une un peu plus haut), on dit, même, que son fils, Néron, avait pour père Sénèque ou Caligula dont on connaissait les passions amoureuses pour ses sœurs.  
Selon Pline l’Ancien, Agrippine aurait eu un accouchement difficile, l’enfant se serait présenté par les pieds, signe funeste pour l’avenir. A la naissance, elle voulut faire faire un horoscope de son fils par un mage chaldéen.
« Les signes suivants annoncèrent sa grandeur. Au  moment où, vers l'aurore, il venait au monde, il fut environné de rayons lumineux avant qu'on vît le soleil en projeter aucun ; cette circonstance, jointe à la position des astres en cet instant et à leurs conjonctions, donna lieu à un astrologue de prédire deux choses au sujet de l'enfant : l'une, qu'il parviendrait à l'empire; l'autre, qu'il ferait mourir sa mère. En entendant cette prédiction, Agrippine fut, sur le moment, tellement transportée hors d'elle-même, qu'elle s'écria : « Qu'il me tue, pourvu qu'il règne… » Dion Cassius, LXI, 2.

Néron ne s’appelait pas ainsi dans ses jeunes années. L’usage de la famille « Ahenobarbus »était de prénommer leurs fils Cneus ou Lucius. Néron eut le prénom de Lucius, ce n’est qu’en 50 après J.C. lors de son adoption par Claude qu’il reçut ce surnom (surnom –NERO- de la famille Claudia).
C’était une femme très ambitieuse et pour arriver au pouvoir elle était prête à tout, elle était insatisfaite de sa vie et de la vie.Même sous son frère, Caligula, elle conspira. Elle fut impliquée dans le complot d’Aemilius Lepidus. Ce dernier était le mari de Drusila dont Caligula était fou amoureux bien que se soit sa sœur. A ce titre, il pouvait être considéré comme un héritier de Caligula qui n’avait pas d’enfant mâle. Il voulait le pouvoir, découvert, il entraina Agrippine dans sa chute, elle fut reléguée sur l’ile de Pontia. Vespasien, pour faire avancer une carrière sans relief, demanda une aggravation de la peine. Cela lui vaudra la haine de la mère de Néron une fois celle-ci impératrice. Elle ne put quitter l’ile qui vit son internement qu’à la mort de son frère, Caligula. Durant son exil, son fils (3 ans) fut confié aux bons soins de sa tante, Domitia Lepida Minor, la mère de Messaline.
« Réduit presque à l'indigence, il fut nourri chez sa tante Lepida, sans autres maîtres qu'un danseur et un barbier. » Suétone, Néron, 6.
En 40 après J.C., elle perdit son mari alors qu’elle était exilée. Elle voulut se remarier et jeta son dévolu sur Galba celui qui devait devenir empereur. Mais ce dernier était déjà marié et fidèle à sa femme, il ne voulait pas divorcer. Elle fut même giflée par la belle-mère du futur éphémère empereur. Elle se retourna, alors, vers Crispus Passienus, riche avocat et homme politique qui fut consul en 27 et 44 après J.C. et qui avait une fortune estimée à  200 millions de sesterces. Celui-ci pour l’épouser dut divorcer de Domitia, sœur de l’ancien mari d’Agrippine, celle qui s’occupa de Néron, bien ou mal,  durant l’exil de sa mère, elle la fera exécutée plus tard. Bientôt, il devait mourir ; on murmura qu’elle n’y était pas étrangère. Il laissait son immense fortune à sa femme et à son beau-fils.
Parmi les amis qu’elle s’était forgée, figurait l’affranchi impérial Pallas. Cet ancien esclave de Claude la fit pénétrer dans le Palais où elle put recommuniquer avec son oncle devenu empereur.
« Agrippine ne fut pas plutôt dans la demeure du prince que, femme habile à tirer parti des choses, elle s'empara de l'esprit de Claude et s'attacha par la crainte ou par de bons offices ceux qui avaient quelque bienveillance pour lui » Dion Cassius, LX, 32.
Messaline, la femme de Claude, qui n’était que le vice incarné d’après les témoignages que nous a laissé Tacite, morte, elle réussit à épouser son oncle. Elle devint impératrice après que l’empereur se soit livré à diverses simagrées afin que le Sénat le supplie d’accomplir un geste qui n’était en fait qu’un inceste, crime odieux aux yeux des Romains. La noble assemblée insista pour qu’il épouse sa nièce et même fit ne loi autorisant un oncle à se marier avec sa nièce, le fait que Claude ait été censeur avec Vitellius, le père du futur empereur facilita beaucoup les affaires, c’est ce dernier qui arracha au Sénat son consentement actif. Elle devint donc la quatrième épouse de Claude.
Elle était présente partout où il allait, son influence en matière de politique est indéniable. Elle voulait être considérée comme l’égale de l’empereur. Et c’est ainsi qu’elle put continuer à se livrer à des meurtres destinés soit à sa satisfaction personnelle soit à ce qu’il y avait de plus important au monde pour elle : mettre son fils sur le trône ; fils qui reçut la toge viril avant l’âge légal (14 ans) puisqu’il abandonna l’enfance 9 mois avant tandis que son frère par adoption, Britannicus, continuait de porter la toge prétexte des enfants. Entre autres, elle fit assassiner Lollia Paulina qui avait été sa plus importante concurrente pour épouser Claude. On dit qu’elle se fit apporter sa tête et que pour bien l’identifier plongea les doigts dans sa bouche pour en inspecter la dentition, ce fait est rapporté par Dion Cassius.

Elle poussa Silanus, qui devait épouser Octavie, la fille de l’empereur, à se suicider car elle voulait que cette fille se marrie avec son fils. Elle le fit accuser d’inceste, chasser du Sénat, il ne put achever son année de préture. Vitellius qui était toujours censeur ne fut pas étranger à ce décès. Elle fit aussi assassiner son ancienne belle-sœur, comme dit plus haut, elle craignait son influence sur Néron. Elle la fit accuser de sorcellerie et malgré l’intervention de l’affranchi impérial, Narcisse, proche de Claude, elle fut exécutée. Elle fit se démettre de leur fonction les deux hommes qui occupaient la fonction de préfet du prétoire, trop proche de ce qu’il restait du clan de Messaline, pour les remplacer par un seul homme  qui lui était dévoué : Burrus.
Elle réussit, avec l’aide de Pallas, à faire adopter son fils par Claude. Son fils légitime, celui qu’il avait eu avec Messaline, Britannicus, resta insensible et même complètement désintéresser de l’évènement qui pouvait pourtant le priver de son trône alors qu’il avait de nombreux partisans. Il avait 8 ans lorsqu’Agrippine devint sa belle-mère et il était soutenu par Narcisse, affranchi impérial, très proche de Claude. L’impératrice voulut le disqualifier mais ne pouvait l’attaquer de front, elle imagina de le rendre responsable de la mauvaise évacuation des eaux du lac Fucin où avait eu lieu une importante naumachie. Un peu plus tard, elle élimina par le meurtre Britannicus aux dires des historiens anciens, thèse qui fut reprise par de nombreux historiens modernes, d’autres plaidèrent pour la mort naturelles. Tout le monde s’accorde pour dire qu’au moins jusqu’en 54 après J.C., elle gouverna en s’appuyant sur Sénèque, Burrhus et Pallas. Les Romains considérant la femme comme une perpétuelle mineure donc irresponsable, elle ne pouvait franchir les portes de la Curie comme la loi le disait. Elle obligea donc son fils à convoquer le Sénat au palais impérial où elle pouvait l’écouter en se dissimulant derrière une tenture.  
S’apercevant que Claude voyait en elle une arriviste doublée d’une femme violente qui voulait à toute force que son fils accède au trône impérial, des historiens ont même pensé que l’empereur regrettait de l’avoir épousée, elle décida de le supprimer. Elle agit avec la complicité du médecin de la cour : Xénophon de Cos, elle avait aussi soudoyé le goutteur de Claude, l’eunuque Halotus qui injecta le poison dans les champignons qu’ils venaient de tester, plat dont raffolait l’empereur. Ce dernier ne mourut pas tout de suite. Le médecin, Xénophon, dut employer une plume qui lui servait d’habitude à faire vomir les convives d’un banquet pour qu’ils puissent remanger ou boire, il l’empoisonna, la plaça au fond de l’auguste gorge. L’empereur fut divinisé et elle devint la prêtresse de son culte.
« Claude, irrité des menées d'Agrippine, dont il commençait à s'apercevoir, et cherchant son fils Britannicus qu'elle avait soin de soustraire la plupart du temps à ses yeux, en même temps qu'elle faisait tout pour assurer l'empire à l'enfant qu'elle avait eu de Domitius son premier mari, ne voulut plus supporter cette conduite; il s'apprêta à renverser Agrippine et à nommer son fils successeur à l'empire. Quand Agrippine fut instruite de ces projets de Claude, elle fut saisie de crainte et résolut de le prévenir par le poison….Agrippine et Néron firent semblant de regretter celui qu'ils avaient tué, et élevèrent au ciel celui qu'ils avaient emporté de table sur un brancard. » Dion Cassius, LX, 34 et 35.
Son fils était parvenu au trône, son but était atteint.  
Revenons aux premiers temps de Néron. Pour satisfaire les ambitions de sa mère, il va épouser Octavie, la fille de Claude, mais pour cela, pour ne pas commettre d’inceste puisqu’Octavie est sa sœur par l’adoption, Agrippine se fit, de son coté, adopter par une autre famille, c’est ainsi que le mariage put avoir lieu en 53 après J.C., Néron avait 16 ans, Octavie13. Le mari ne put jamais supporter sa femme. C’est un cœur libre qui rencontra l’affranchie Acté. Agrippine redouta immédiatement  l’influence qu’elle  pouvait avoir sur son fils mais après un moment de colère, elle essaya de s’en faire une amie. Surtout lorsque surgit Poppée qui fut toujours son ennemie.
 « …sa passion pour Poppée devenait chaque jour plus ardente. Cette femme, qui voyait dans la vie d'Agrippine un obstacle à son mariage et au divorce d'Octavie, accusait le prince et le raillait tour à tour, l'appelant un pupille, un esclave des volontés d'autrui, qui se croyait empereur et n'était pas même libre. »  Tacite, Annales, XIV, 1.
On a même dit que la nouvelle maitresse impériale aurait poussé son amant à tuer sa mère.
La preuve de l’influence de la mère sur le fils est donnée par la représentation de leurs deux figures sur des monnaies. J’en donne un exemple ci-dessous.

                           

Puis en 55 après J.C., Sénèque, Burrus et Néron voulurent s’affranchir de la tutelle de l’impératrice mère. Au printemps de cette année là, Agrippine avait perdu entièrement son influence sur son fils. Pour marquer ce changement d’attitude, il priva sa mère de sa garde personnelle et elle dut quitter le palais impérial. Entre 56 et 58 après J.C., des rumeurs se firent de plus en plus insistantes disant que la mère et le fils avaient des relations incestueuses. Tacite évoque ce fait par l’intermédiaire du témoignage de Fabius Rusticus, un ami de Sénèque ; on a même prétendu que Néron avait une maitresse qui était le sosie de sa mère. De nos jours, les historiens sont unanimes pour nier ces faits.
Et enfin pour s’affranchir de sa tutelle, il en vint à penser que le seul moyen était de la tuer. En mars 49 après J.C., pour les fêtes consacrées à Minerve, il lui envoya une lettre laissant entendre un prochain rapprochement, il lui demandait de venir dans une demeure qu’il possédait dans le golfe de Naples Il lui aurait envoyé un navire pour la traversée. Il l’aurait fait embarquer sur une galère trafiquée qui devait s’ouvrir en deux en haute mer. Effectivement le bateau coula, ses passagers furent achevés à coup de rames par les marins qui étaient complices de l’attentat. Agrippine put s’échapper à la nage et regagna sa villa de Baules. Elle avertit son fils qu’elle vivait toujours.  
L’histoire du naufrage qui précéda sa mort est totalement incroyable. Voltaire en avait déjà pointé les incohérences. Mais l’histoire officielle, jusqu’à présent, dit  que cette nuit là le triérarque (mot venant du grec = commandant d’un navire de guerre) Herculeius et le centurion Obaitus font irruption chez elle et la tue.
Elle lui dit "que, s'il était envoyé pour la visiter, il pouvait annoncer qu'elle était remise ; que, s'il venait pour un crime, elle en croyait son fils innocent ; que le prince n'avait point commandé un parricide." Les assassins environnent son lit, et le triérarque lui décharge le premier un coup de bâton sur la tête. Le centurion tirait son glaive pour lui donner la mort. "Frappe ici," s'écria-t-elle en lui montrant son ventre, et elle expira percée de plusieurs coups. Sa fin vue par Tacite, Annales, XIV, 8.
Sa fin vue par Dion Cassius :
« Quand elle fut arrivée dans sa maison, elle ne fit semblant de rien et ne dévoila pas le piège qu'où lui avait tendu : elle se hâta d'envoyer vers son fils, pour lui dire l'accident qui était arrivé comme un effet du hasard, et lui annonça qu'elle avait eu le bonheur de se sauver. A cette nouvelle, Néron ne se contint plus, il fit punir le messager comme coupable d'attentat envers sa personne, et dépêcha aussitôt à sa mère Anicétus et les matelots, car il n'osa pas confier sa mort aux prétoriens. Agrippine, à leur vue, comprit le motif qui les amenait, et. s'élançant de son lit, elle déchira ses vêtements, puis, découvrant son sein : « Frappe, dit-elle, Anicétus, frappe ce sein, il a porté Néron. » » Livre LXI.
Selon une légende, Néron aurait voulu voir le corps de sa mère et aurait été émerveillé par sa beauté ; ce qui contredit la thèse des relations incestueuses, il aurait du connaitre déjà ce corps.
La version officielle de son décès fut qu’elle s’était suicidée après un échec d’une tentative d’assassinat de Néron. Ce n’est qu’après la mort de ce dernier que des serviteurs d’Agrippine osèrent élever un petit monument à sa mémoire. Il se trouve sur la route de Baules à Misène :
« …tant que Néron fut maître de l'empire, aucun tertre, aucune enceinte ne protégea sa cendre. Depuis, des serviteurs fidèles lui élevèrent un petit tombeau sur le chemin de Misène, prés de cette maison du dictateur César, qui, située à l'endroit le plus haut de la côte, domine au loin tout le golfe. » Tacite, Annales, XIV, 9.

 

Parmi les livres consultés, un est essentiel :Agrippine, Sexe, crimes et pouvoir dans la Rome Impériale de Virginie Girod

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