Mithra: un dieu oriental dans le monde romain
1 – La Religio dans la cité
Dans le monde romain, l'espace de la cité est aussi un espace religieux, son cadre naturel. La religion ( religio ) de Cicéron est alors le « culte pieux des dieux ».
Le socle est celui des traditionnelles divinités grecques avec la représentation des douze grands dieux du Panthéon. Mais ni Athènes, ni Rome ne connaissent d'élément moral. Il s'agit d'un paganisme classique rempli de petites histoires entre les dieux qui n'invitent à aucune vie éternelle ou promesse de salut. Cette co-existence avec les dieux s'inscrit dans la vie citoyenne. Cicéron rajoute : « chaque cité a sa religion ».
« Religio », période julio claudienne.
On comprend donc facilement que la religion romaine soit polythéiste.
Les rites ou les temples ne sont pas absents (bien au contraire) mais le sacré se résume à une exécution correcte voire administrative des différents rites. L'espace religieux est donc bien celui de la cité, un espace officiel, une simple action civique.
Mais tout cela va être bousculé par les légionnaires romains qui vont ramener, dans leurs bagages, des dieux orientaux.
2 –Les dieux orientaux
Au long de leurs conquêtes, les Romains manifestent un génie tout particulier : celui de l'osmose. En matière religieuse, en Gaule par exemple, ils ne rejettent pas les nombreux dieux présents mais les absorbent dans leurs propres images.
Pourtant l'apparition des dieux orientaux va bouleverser la donne, créant des nouveaux visages et surtout apportant des cultes tout à fait différents. C'est dans le milieu des légions et dans les grandes villes commerciales, aux frontières de l'Empire, des provinces danubiennes à la Rhénanie et aux Pays Bas que se développe l'adoption de ces dieux étrangers. La conquête de l'Egypte, par exemple, apporta naturellement le culte d'Isis.
Cybèle, la grande Mère d'Asie Mineure, arriva d'Anatolie (d'ailleurs, l'empereur Antonin rendit officiel son culte et dès 160 après J.C. la fondation rituelle d'une ville ne se faisait pas sans un taurobole (1) à Cybèle).
Mais un autre culte, celui de MITHRA, venu de Perse, va s'imposer. Vers le III ° s. après J.C, il prit une telle importance que sa religion était devenue une religion d'Etat. On peut penser qu'il se présente comme le plus spectaculaire de ces dieux importés. Notons que cette religion ne s'appuie sur aucun texte sacré mais nécessite l'accomplissement d'un parcours initiatique. C'est l'archéologie qui nous en révèle le plus.
Un sanctuaire de Mithra (mithraeum) représente dans ses monuments une scène toujours sensiblement la même. Le dieu est un homme jeune, coiffé du bonnet phrygien et vêtu d'une chlamyde flottant au vent. Il maîtrise alors un taureau en tenant la bête par le mufle et en le bloquant par le genoux gauche et il l'immole d'un coup de poignard.
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Le sang qui gicle alors féconde la terre et engendre une vie nouvelle. De la queue de l'animal jaillissent déjà des épis de blé, expression de la vie domestique. Mais des animaux dangereux : le serpent et le scorpion (le chien) menacent encore ce renouveau, lutte entre le bien et le mal.
On comprend que ce combat ait plu aux légionnaires-combattants qui diffusèrent son image dans les régions parcourues. Ainsi, Arles, possédait son mithraeum au pied même du cirque.
Nous sommes ici en face d'un taurobole (ou tauroctonie). Ce sacrifice sanglant exprime le principe du renouvellement de la vie. C'est le plus grand exploit du dieu qui apparaît ainsi comme un dieu sauveur.
Son culte s'adressait à des initiés classés selon 7grades et dans la cérémonie, toute une ferveur mystique est nécessaire pour assurer l'immortalité.
Dans le stéréotype mithraïque apparaissent également la lune et le soleil ainsi que les signes du zodiaque. Mithra est bien un dieu solaire qui lutte contre les ténèbres.
3 -L'influence sur l'Empire des nouveaux cultes
L'influence fondamentale des cultes orientaux est d'introduire un élément moral. Ce sont des religions à mystères qui comblent le vide créé par la religion romaine officielle et apportent un mysticisme promettant salut et vie éternelle.
Il fallait pour cela toute une initiation qui comprenait rites, repas communiels, mystère du renouvellement de la vie lié au sacrifice du taureau. Comment ne pas évoquer, alors, la pensée de l'historien-philosophe Ernest Renan qui écrit : « si le christianisme eût été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eut été mithraïque. »
L'importance des cultes orientaux à mystères témoigne, en tous cas, par le parcours initiatique qu'il exige, d'un contact direct avec le dieu et donc un certain abandon du polythéisme.
En fait le bouleversement, même s'il n'est pas directement visible, est profond.
Néguine Mathieux écrit à ce propos : « L'apparition du christianisme qui incite à désavouer la cité des hommes et ses pratiques pour trouver celle de Dieu par la foi marque en ce sens un complet renversement de la perspective romaine, de fait le contrat civique est miné aux derniers siècles de l'Empire ».
Avant le christianisme, le culte de Mithra marquait déjà par la recherche personnelle d'un salut divin le début d'un désavouement de la cité, clé de l'empire romain.
--- Marbre romain du II ème ou III ème° s. après J.C.
Sources d'informations : sur ce site « Religion publique » et « les Galles » (prêtres de Cybèle)
De l'esclave à l'Empereur, catalogue du musée d'Arles, 2008.
Monuments Méconnus , H.P. Heydoux, 1980.
Robert Sausse
(1) Taurobole = sacrifice expiatoire au cours duquel un officiant se couchait sous un plancher à trous et ainsi, par les fentes du bois, était arrosé du sang de la victime. (Note du rédacteur du site)